DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT
ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 5

Mardi 7 décembre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Christian Brodhag, délégué interministériel au développement durable

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La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Christian Brodhag, délégué interministériel au développement durable.

M. Christian Brodhag, délégué interministériel au développement durable, a d'abord présenté la stratégie nationale de développement durable. Celle-ci, élaborée à la suite des travaux du conseil national du développement durable et d'un groupe de hauts fonctionnaires, devenu le comité permanent des hauts fonctionnaires du développement durable, constitue un dispositif structuré. Elle n'en est cependant qu'au début de sa mise en œuvre, et présente donc plutôt, aujourd'hui, les caractéristiques d'un programme d'action. Les actions correctives à mener dans les domaines où les résultats, mesurés par les indicateurs du développement durable élaborés en application de la stratégie, sont les moins bons n'ont pas encore été lancées.

La stratégie a cependant créé, du fait de sa simple existence, un vrai mouvement. Ses limites n'obèrent ni l'importance des mesures prises, ni l'effectivité de l'action lancée. Elle comporte un tableau de bord destiné à permettre d'en mesurer la réalisation. A ce jour, 17 % des actions décidées ont été réalisées ; la réalisation de 19 % d'entre elles est avancée ; 34 % des actions sont au stade de l'engagement et 30 % des actions n'ont pas encore été engagées. La tenue en toute transparence d'un tel tableau de bord est un outil démocratique nouveau. Ce tableau de bord est aussi un outil de pilotage pour le délégué interministériel au développement durable, qui peut ensuite concentrer son action d'intermédiation, de construction, et d'impulsion interministérielle sur les actions qui progressent le moins.

M. Christian Brodhag a ensuite exposé que le délégué interministériel au développement durable avait une mission d'organisation de l'action en matière de développement durable. Il lui revient notamment de veiller, au milieu des formulations et des propositions d'ouverture de nouveaux chantiers, à la réalisation effective des actions lancées.

Au stade actuel cependant, il est vrai que si la fonction de délégué a été instituée, la délégation n'a pas encore été créée. Elle le sera par le décret portant réorganisation du ministère de l'écologie et du développement durable, dont l'élaboration est en cours.

Le délégué interministériel au développement durable a aussi pour mission de développer la prise en charge des problématiques du développement durable par l'ensemble des ministères. Chacun d'entre eux comporte désormais un haut fonctionnaire du développement durable. Des réunions du comité permanent des hauts fonctionnaires du développement durable permettent d'organiser les programmes d'action. A cette fin, on commence aujourd'hui à croiser les objectifs de la stratégie nationale de développement durable avec les indicateurs désormais disponibles. Le délégué a entrepris aussi de mettre en place des groupes de travail par éléments sectoriels de la stratégie nationale, tels que le papier ou la gestion de l'eau. Une réunion administrative sur l'énergie éolienne organisée récemment par lui a réuni 40 représentants des administrations centrales concernées et 50 représentants des administrations déconcentrées de l'Etat. L'objectif était d'organiser l'échange de bonnes pratiques et d'accélérer le déploiement de ce mode de production d'énergie. Ce type de réunions doit se multiplier : elles sont de bons instruments pour faire remonter les difficultés et les préoccupations des services confrontés à l'action sur le terrain.

Une autre tâche du délégué est de poser et de faire entendre le discours de l'Etat au sein du foisonnement des rencontres et des échanges relatifs au développement durable.

L'entrée en vigueur du protocole de Kyoto modifie en profondeur le statut du développement durable ; elle induit l'intégration de la problématique du changement climatique dans l'ensemble des politiques publiques. Dans ce contexte plus favorable, deux grands chantiers sont à réaliser. Le premier est de créer un dispositif institutionnel qui assure la stabilité du processus d'action en matière de développement durable. Après la déclaration de Rio, en 1992, une première stratégie avait été mise en place ; elle comprenait notamment une Commission française du développement durable. En 1997, elle a été abandonnée au profit d'un nouveau processus. A partir de 2003, un troisième dispositif a été lancé, sur des bases une fois de plus nouvelles. Or, la continuité de l'action présuppose la formulation d'une réflexion institutionnelle solide. Pour cela, l'existence d'un dispositif institutionnel stable, qui donne aux acteurs un cadre pour l'identification en commun des questions stratégiques, est nécessaire. Des solutions de nature à assurer cette stabilité sont possibles. En Belgique, le dispositif d'action en matière de développement durable a été organisé par la loi.

Le deuxième chantier est relatif au développement de l'action sur le territoire. Parmi les objectifs de la stratégie nationale de développement durable figure l'élaboration de 500 Agendas 21 locaux. Cependant, la base de cette élaboration est le volontariat. Pour assurer la déclinaison d'une action globale, il faudra recourir à d'autres instruments ; on peut s'intéresser, par exemple, au processus des contrats de plan.

Faisant observer que le législateur semblait marginalisé dans les approches relatives au développement durable, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a demandé si les problématiques du développement durable ne devraient pas au contraire être intégrées dans l'ensemble du processus législatif.

Elle s'est ensuite inquiétée de l'écart entre la généralisation des références au développement durable, devenu une véritable antienne du débat public, et les réalisations concrètes dans ce domaine, et s'est enquis des montants des crédits budgétaires concrètement consacrés au développement durable tant dans le budget de l'Etat que dans ceux des collectivités locales.

M. Christian Brodhag a répondu que le délégué interministériel au développement durable ne disposait pas, en l'état actuel, de crédits propres ; au sein du budget du ministère de l'écologie et du développement durable, 15 millions d'euros sont affectés à des actions de promotion du développement durable.

Le développement d'actions d'animation et de sensibilisation au développement durable ne requiert pas forcément de budgets supplémentaires. En revanche, il est essentiel que de telles actions permettent de mobiliser d'autres ministères. C'est pourquoi le ministère de l'écologie et du développement durable a demandé que dans la ventilation des crédits selon les normes de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, le développement durable fasse l'objet d'un traitement transversal.

Il est difficile d'isoler les crédits consacrés au développement durable au sein des budgets des collectivités locales, même si les coûts d'actions figurant aux Agendas 21, voire les coûts d'actions relatives au développement durable inscrites dans certains schémas de cohésion territoriale, peuvent être identifiés.

La multiplication, dans des conditions de plus en plus indifférenciées, des références au développement durable est une préoccupation. C'est aussi la tâche du délégué interministériel au développement durable de recadrer la définition du concept, et d'associer celui-ci à la réalisation de dossiers concrets aux résultats mesurables. La formulation du dossier relatif aux émissions de gaz carbonique, où a été fixé pour les pays industrialisés un objectif, la réduction des émissions par quatre, au rythme de 3 % par an d'ici le milieu du siècle, où un dispositif de mesure est opérationnel, est un exemple des actions de recadrage conceptuel à mener, parallèlement à la réalisation même de l'objectif.

Faisant observer que la mesure de la réalisation d'une stratégie supposait l'existence d'indicateurs spécifiques adéquats, M.  Serge Poignant a demandé selon quelle procédure il était prévu d'élaborer ceux-ci, si le comité permanent des hauts fonctionnaires du développement durable y travaillait seul ou en liaison avec les services déconcentrés, comment le conseil national du développement durable y était associé, quelles relations allaient être établies avec les élus locaux. Il a enfin souhaité savoir s'il était prévu d'élaborer des indicateurs d'action locale.

M. Christian Brodhag a répondu que le délégué interministériel au développement durable était tout à fait ouvert au dialogue, notamment avec le conseil national du développement durable et les associations d'élus.

Il a ajouté que le cadre régional était particulièrement adapté à la réflexion sur la stratégie nationale de développement durable et à sa réalisation. Un autre cadre d'action est constitué par chaque territoire ; les enjeux sont multiples en matière de développement durable ; il est donc souhaitable que les consensus puissent se formaliser territoire par territoire, au sein de chacun d'eux.

Le travail sur les indicateurs comporte plusieurs difficultés. La première est que l'élaboration d'indicateurs fonctionnels suppose de disposer de séries statistiques suffisamment longues ; le risque est alors d'éluder des enjeux cruciaux parce que les indicateurs ne sont pas disponibles. La deuxième est de s'en tenir à la description ; si la réflexion stratégique n'a pas hiérarchisé les indicateurs, le traitement de certains domaines essentiels peut ne pas être privilégié alors même que les indicateurs auront bien mis en évidence leur situation difficile. Il y a donc un travail d'identification des enjeux stratégiques à faire à partir des résultats fournis par les indicateurs. Ce travail doit être fait au plan national mais aussi territoire par territoire. En effet, selon les territoires, les enjeux principaux pourront diverger : ici, l'enjeu principal peut être la très grande pauvreté ; ailleurs, ce sera la préservation d'une zone naturelle sensible. L'Etat doit pouvoir développer un travail d'analyse se traduisant par l'élaboration de « porter à connaissance » qui donneront aux collectivités l'information utile à l'action.

Le Président Emile Blessig a souhaité savoir comment et par qui pourraient être conduites la réflexion théorique sur les enjeux et la mise en œuvre pratique des solutions.

M. Christian Brodhag a répondu qu'un rapport sur les indicateurs avait été élaboré au niveau national. Aux niveaux infranationaux, tout reste à faire ; cependant, des réseaux de correspondants doivent pouvoir être développés. La question de la responsabilité de la mise en œuvre opérationnelle reste ouverte, même si l'outil du contrat de plan vient facilement à l'idée.

Soulignant que la décentralisation conduisait à la définition d'un Etat concentré sur l'identification et le pilotage des actions stratégiques, le Président Emile Blessig a demandé selon quelles procédures l'Etat pourrait coordonner les éléments de mesure du développement durable afin de les organiser en système.

M. Christian Brodhag a répondu qu'il était vrai qu'aujourd'hui on ne disposait pas d'un système de mesure coordonné du développement durable. Un enjeu important est cependant non pas l'élaboration de l'information mais son partage. L'information peut en effet exister hors de l'Etat. Ainsi, les impayés d'électricité, information dont dispose EDF, sont aussi un indicateur social, qui fait apparaître la répartition de la pauvreté sur le territoire.

M. Jean Launay a souhaité connaître le montant des crédits consacrés au développement durable.

Il a ensuite souhaité savoir comment le délégué interministériel au développement durable et le comité permanent des hauts fonctionnaires du développement durable travaillaient pour faire prendre en compte par les services de l'Etat la réalisation de la stratégie nationale de développement durable, notamment dans les territoires.

Enfin, il a demandé quelle collaboration était organisée entre le délégué interministériel au développement durable et la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale.

Le Président Emile Blessig a émis l'hypothèse que le développement durable était devenu l'un des éléments clés de l'aménagement du territoire.

M. Christian Brodhag a répondu qu'il n'était pas en mesure de chiffrer précisément les crédits consacrés au développement durable.

Même si, dans certains ministères, le poste qu'occupe le haut fonctionnaire du développement durable offre à celui-ci une réelle capacité d'action, le délégué interministériel au développement durable travaille à faire en sorte que la prise en compte des problématiques du développement durable n'y soit pas assurée par ce seul haut fonctionnaire. Le délégué travaille ainsi à la généralisation de dispositifs réunissant autour des problématiques de développement durable les principaux responsables administratifs de chaque ministère.

En région, la réunion des directions régionales de l'environnement et des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement fournit un interlocuteur naturel au délégué interministériel au développement durable. Cependant, la prise en compte du développement durable dans les régions suppose l'irrigation par les problématiques de celui-ci de l'ensemble des politiques qui peuvent y être conduites. A cette fin, au-delà des services du ministère de l'écologie et du développement durable, le délégué veut mobiliser en région l'ensemble de l'action administrative. Il a donc entrepris de travailler avec l'autorité de coordination des services, les préfets. Ceux-ci sont en général sensibles aux perspectives offertes par le développement durable pour l'action stratégique de l'Etat en région. Le développement durable est bien l'un des éléments clés de l'aménagement du territoire.

Le modèle de référence pour le développement des territoires était, jusqu'ici, celui de la rurbanisation : l'implantation dans les campagnes d'acteurs issus de la ville, voire y travaillant, et soucieux d'y bénéficier des standards urbains, devait être un soutien puissant pour le monde rural ; or cette approche, dont il faut tenir compte, est désormais fragilisée par l'émergence des problèmes climatiques : il faut réinventer la définition de la mobilité.

M.  Serge Poignant a fait observer que cette redéfinition mettait aussi en cause la politique des pôles de compétitivité, déjà fragilisée par la pression foncière qu'elle implique.

Le Président Emile Blessig a demandé si des réflexions avaient déjà croisé les problématiques de l'aménagement du territoire et du développement durable, et si avaient déjà été repérées des approches d'aménagement du territoire faisant converger aménagement du territoire et développement durable, et d'autres les faisant diverger.

M. Christian Brodhag a répondu que, du cadre européen au cadre local, il y avait plusieurs échelles géographiques d'aménagement du territoire, et que leurs logiques n'étaient pas identiques. On considère que la meilleure garantie du dynamisme d'un développement local est qu'il soit partagé par les acteurs ; dès lors, le mode d'action privilégié est la fédération des acteurs autour de projets communs. Une difficulté cependant est que le consensus des acteurs peut se réaliser en opposition ou au détriment d'autres acteurs : en opposition à des acteurs voisins, au détriment des générations futures. Il est donc indispensable, pour favoriser le développement durable d'un territoire, que la gouvernance locale soit éclairée sur les enjeux : c'est cette réflexion qui est à l'origine de l'idée des « porter à connaissance ».

Par ailleurs, il faut parfois arbitrer entre plusieurs paramètres du développement durable : ainsi, promouvoir les modes de construction locaux peut amener à souhaiter rouvrir des carrières locales de matériaux, dont la fermeture avait pu être décidée pour des raisons de nuisance à l'environnement. L'arbitrage entre l'hydraulique, source d'énergie durable, et la gestion piscicole, source de biodiversité, est un autre exemple bien connu. On ne dispose pas d'outils satisfaisants pour éclairer les arbitrages internes au développement durable.

Le Président Emile Blessig a alors demandé si l'on pouvait considérer que favoriser l'accès à l'information sur le territoire, en réduisant les obligations de mobilité physique, était favorable au développement durable, et si, dans ces conditions, la généralisation de l'internet haut débit sur le territoire n'était pas un enjeu essentiel du développement durable.

M. Christian Brodhag a répondu que la redéfinition de la mobilité était au cœur du développement durable. Le développement durable, c'est favoriser des modes de développement économes en énergie et peu producteurs de déchets, et promouvoir la primauté de la circulation de l'information sur celle de la matière. La création d'une société de la connaissance et de son partage est l'un des enjeux de la stratégie européenne de développement aujourd'hui.

Après avoir indiqué que la Délégation était soucieuse que l'Etat, dans son rôle de stratège d'un pays décentralisé, se dote d'un instrument d'évaluation de la pertinence des actions de développement durable sur le territoire, et rappelé qu'elle avait elle-même entrepris de telles actions d'évaluation dans quatre domaines, l'eau, l'air, l'énergie et les déchets, le Président Emile Blessig a demandé si le délégué interministériel au développement durable arrivait facilement à obtenir l'accès aux indicateurs élaborés par d'autres ministères, et si les indicateurs du développement durable n'avaient pas toute leur place au sein des données que le nouvel observatoire des territoires mis en place par la DATAR allait traiter au profit de l'ensemble des acteurs.

Après avoir observé que plusieurs indicateurs importants parmi les 45 indicateurs retenus pour le développement durable mesuraient la situation dans les domaines auxquels s'intéressait la Délégation, M. Christian Brodhag a répondu qu'il fallait que le dispositif d'évaluation et de mesure soit aussi intégré que possible, et que la DATAR avait vocation à être un maillon important du dispositif d'observation et de promotion du développement durable. Cependant, bien souvent, l'information nécessaire à l'action décentralisée existe ; simplement elle n'est pas intégrée dans la prise de décision, ou encore elle est ignorée par les décideurs.

Le Président Emile Blessig a alors souhaité savoir comment la stratégie nationale du développement durable s'inscrivait au sein de la stratégie européenne de développement durable.

M. Christian Brodhag a répondu que le développement d'une stratégie européenne de développement durable ne suscitait pas toujours de synergies. Des propositions de nature à renforcer la construction d'une telle stratégie, notamment quant à son intégration dans les territoires, n'ont récemment pas trouvé le succès. Une approche plus globale que la simple approche environnementale suscite parfois des craintes quant à la dilution qui pourrait s'ensuivre ; on voit aussi se développer des propositions formulées en termes de technologies propres et d'éco-efficience, considérées comme plus faciles à intégrer au sein du débat économique traditionnel.


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