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DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT
ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 6

Mercredi 25 janvier 2006
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. François Rancy, directeur général de l'Agence nationale des fréquences, sur l'organisation de la couverture numérique du territoire

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La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. François Rancy, directeur général de l'Agence nationale des fréquences, sur l'organisation de la couverture numérique du territoire.

Le président Émile Blessig a exposé que, depuis le début de la législature, la Délégation se préoccupait tout particulièrement des conditions de développement de la couverture numérique du territoire. Elle s'est beaucoup souciée de la constitution d'une fracture numérique en matière de téléphonie mobile et d'accès à l'Internet à haut débit. L'audition, en octobre dernier, de M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), a montré que cette dernière était en cours de résorption. En revanche, une nouvelle fracture pourrait apparaître entre territoires favorisés et territoires plus difficiles en matière de téléphonie mobile de troisième génération. Les fréquences hertziennes attribuées à la téléphonie mobile ne sont en effet pas les plus confortables ni les plus économiques ; elles demandent beaucoup plus d'installations que celles qui ont été attribuées à la télévision analogique.

La télévision numérique terrestre (TNT) va demander beaucoup moins d'espace sur le spectre hertzien pour faire passer le même nombre de chaînes qu'aujourd'hui. Au-delà de la forte augmentation du nombre de chaînes diffusées qu'elle permettra, la question se pose donc aussi d'autres usages de ce dividende numérique, en faveur de la téléphonie par exemple, pour diffuser de l'image et du son sur les mobiles.

L'Agence nationale des fréquences est chargée de tenir à jour 1e tableau d'attribution des bandes de fréquences, de surveiller leur emploi et de proposer au Premier ministre des répartitions de fréquences, avec l'objectif d'une utilisation optimale du spectre. C'est pourquoi, pour éclairer sa réflexion, la Délégation a souhaité que son directeur général puisse lui présenter l'état actuel de la réflexion relative au dividende numérique, l'informer sur les enjeux et les conséquences éventuelles de la conférence internationale sur les fréquences qui se tiendra en juin prochain, et enfin lui expliquer les rôles respectifs de l'Agence, du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de l'ARCEP.

M. François Rancy, directeur général de l'Agence nationale des fréquences, a fait observer que les questions abordées étaient liées non seulement à la téléphonie, mais à toute la panoplie des usages numériques à destination du grand public, en particulier la télévision numérique terrestre. Aussi, quand on parle d'aménagement numérique du territoire et de fracture numérique, il faut prendre en compte l'ensemble des services.

L'ARCEP, le CSA et l'Agence ont des fonctions différentes. L'ARCEP est responsable des communications électroniques, en particulier du téléphone mobile, dont elle régule les marchés. Le CSA est responsable de la télévision. Au contraire de l'ARCEP, il se concentre sur les contenus. Quand le CSA donne une autorisation de fréquence à une chaîne, l'usage de cette fréquence est donné comme un sous-produit de l'autorisation : elle doit servir à diffuser le contenu ainsi autorisé. Au contraire, l'ARCEP donne des autorisations d'utiliser un faisceau ; tout le reste est déclaratif. L'ARCEP se concentre sur la gestion du caractère concurrentiel du marché.

Pour sa part, l'Agence s'occupe de la gestion des fréquences. L'ARCEP et le CSA ne sont que deux des neuf principaux utilisateurs de fréquences ; parmi ces neuf, le ministère de la défense est le premier utilisateur ; s'y ajoutent ensuite le ministère de l'intérieur, pour la police, les pompiers et le SAMU, le ministère de la recherche, notamment la radioastronomie, le ministère des transports pour ce qui concerne la météorologie, les phares et balises et le contrôle fluvial, le ministère en charge de l'espace pour le CNES et toutes les applications spatiales, et enfin l'aviation civile.

Le rôle de l'Agence est de faire en sorte que les besoins de chacun de ces utilisateurs soient satisfaits. L'organisation n'est d'ailleurs pas très différente dans la plupart des autres pays, même s'ils ne disposent pas tous d'une agence en tant que telle. Le spectre relève du domaine public des Etats ; lorsqu'il n'y a pas d'agence, ce sont les ministères des télécommunications ou de l'industrie qui sont chargés de sa gestion. Seuls le Royaume-Uni avec Offcom et les États-Unis avec la FCC (Federal Communications Commission), ont fusionné cette fonction avec celle de réglementation de l'audiovisuel.

L'Agence est en charge de tout ce qui relève du domaine régalien, au bénéfice des neuf affectataires de fréquences. Ainsi, elle représente la France dans les négociations internationales qui concernent le spectre. En effet ce dernier ne s'arrête évidemment pas aux frontières ; en outre, l'harmonisation internationale est facteur de progrès : le bond en avant du téléphone mobile à la norme GSM (Global System for Mobile Communications) a pour origine les réductions de coûts dues aux économies d'échelle induites par cette harmonisation. Le premier lieu de négociations est l'Union internationale des télécommunications, à Genève, qui remet à jour tous les trois ou quatre ans le règlement des radiocommunications, c'est-à-dire le livre des partages des fréquences entre États. Il y a aussi des conférences régionales des radiocommunications. Celle qui devrait s'achever le 15 juin 2006 est particulièrement importante puisqu'elle va planifier l'usage de la télévision numérique terrestre à partir de la date d'arrêt de la diffusion analogique. Il est prévu la réalisation de sept, peut-être huit, multiplex de cinq chaînes chacun. La conférence spécifiera l'usage des fréquences à utiliser par les télévisions pour les cinquante ans à venir, le précédent plan datant de 1951.

L'Agence traduit ensuite l'ensemble de ces décisions internationales d'harmonisation dans un tableau national de répartition des fréquences, qui permet à chacun des neuf affectataires d'accéder à une bande dans des conditions convenables.

Pour accompagner ces mouvements, elle dispose d'un fonds de réaménagement du spectre. Au total, depuis 1998, 100 millions d'euros ont transité par ce fonds, alimenté pour moitié par le budget de l'État et pour moitié par les remboursements de ceux qui ont bénéficié de ses avances : aujourd'hui opérateurs GSM, demain opérateurs de téléphonie de troisième génération (dite aussi téléphonie mobile 3G ou UMTS système universel de télécommunications mobiles) et de télévision numérique terrestre.

En revanche, le fonds d'accompagnement du numérique, créé il y a quelques semaines à l'initiative du Premier ministre, a exclusivement vocation à résoudre les problèmes particuliers des secteurs frontaliers, qui sont confrontés à une pénurie de fréquences. Le spectre y est divisé par deux et même par trois ou quatre en fonction du nombre de pays concernés. Pour les téléspectateurs, cette pénurie a toutefois pour contrepartie la réception des chaînes étrangères.

TDF et le CSA ont décidé de déployer la TNT tout en conservant la diffusion analogique. Aux chaînes analogiques existantes, on ajoute donc cinq multiplex numériques, soit au total 25 programmes. Or, la pénurie de fréquences aux frontières, où d'ailleurs on ne reçoit pas toujours les six chaînes analogiques, ne permet pas de procéder ainsi. Pour y faire arriver la TNT, il faut arrêter totalement la diffusion analogique. C'est pourquoi la carte de déploiement de la TNT par TDF prévoyait un déploiement très tardif dans ces zones, en particulier l'Alsace-Moselle. Pour éviter un tel décalage, il a été décidé de faire de l'Alsace-Moselle une région pilote du passage au numérique. Elle sera équipée dans les mêmes délais que les autres régions. Cependant, pour cela, il faut arrêter la diffusion analogique de façon anticipée. Les téléspectateurs n'y perdront rien, puisque les chaînes analogiques sont déjà sur la TNT. En revanche, cela suppose un équipement accéléré des foyers pour recevoir la TNT. C'est pour cela que le fonds d'accompagnement du numérique a été créé ; il est aujourd'hui doté de 15 millions d'euros et il a vocation à être encore abondé, en particulier, si elles le souhaitent, par les contributions des collectivités locales.

L'Agence nationale des fréquences est également chargée de coordonner l'implantation des stations radioélectriques. Elle doit protéger l'utilisation des fréquences contre les brouillages qui proviennent d'équipements fonctionnant hors du cadre de l'autorisation : équipements étrangers interdits en France car fonctionnant selon le tableau national de leur pays d'origine, ou autres. L'Agence poursuit par exemple ceux qui disposent de téléphones sans cordon, d'une portée de 20 à 30 km et fonctionnant sur la bande de l'aviation civile, avec tous les dangers que cela comporte. Elle joue donc un rôle de police des fréquences.

Enfin, elle contrôle la bonne utilisation du spectre, à partir d'une base de données perpétuellement alimentée par les contrôles.

M. Patrice Martin-Lalande a exposé que c'est en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « medias », qu'il espérait retirer de cette réunion des éléments de réponses à des questions qu'il se pose depuis un certain temps.

Dans le cadre de l'aménagement numérique du territoire, il y a trois séries de services pour lesquels certaines zones ne sont pas desservies : la TNT, l'Internet à haut débit et le téléphone mobile de nouvelle génération. Il a demandé si, compte tenu de ce qu'apporte la convergence numérique, il ne serait pas possible d'éviter de réaliser trois fois les investissements nécessaires pour couvrir ces zones, dont certaines sont les mêmes, et de tripler les frais de fonctionnement. Il a suggéré que ces zones soient desservies, selon les cas, pour les trois services, par la ou les nouvelles technologies les mieux adaptées à la situation, satellite, WiMax ou ADSL, et que les frais soient supportés par les consommateurs, les opérateurs, les collectivités locales, l'État. Cette solution permettrait une résorption rapide des zones d'ombre.

M. Philippe Folliot a souligné que ce sont les mêmes parties du territoire qui cumulent les handicaps et reçoivent en dernier les avancées technologiques. Il a ensuite considéré que, pour remédier de façon structurelle à cette dernière difficulté, on pourrait développer des offres liées, un opérateur ne pouvant se voir attribuer une zone rentable sans devoir remplir simultanément l'obligation de couvrir 100  % d'un territoire moins bien doté.

S'agissant de la TNT, il a demandé à qui, de TDF ou des collectivités locales, il était prévu de faire supporter le coût de l'équipement de la desserte des villages encaissés, qui bénéficient pour l'instant des relais secondaires de TDF. Si le fonds d'accompagnement du numérique est véritablement destiné à résorber la fracture numérique, ne pourrait-il pas être utilisé pour cela ?

M. François Rancy a répondu que les zones blanches de la téléphonie mobile risquaient en effet d'être aussi celles de la TNT et du haut débit. Faisant observer que, dans la mesure où leur résorption est onéreuse, aucun opérateur ne fera spontanément des investissements en infrastructures ne permettant de gagner que quelques abonnés, il a néanmoins reconnu qu'il était difficile de faire appel aux collectivités locales de ces zones, qui sont souvent peu fortunées. Pour la TNT, on dispose en revanche de l'option du satellite, qui permet de couvrir pratiquement la totalité du territoire, à l'exception de quelques vallées ; le Gouvernement et le CSA étudient sérieusement cette solution.

Il a ensuite exposé que l'appréciation d'offres spécifiques, telles que des offres liées, relevait de l'ARCEP, autorité indépendante à laquelle l'Agence ne pouvait rien imposer.

Rappelant qu'il avait été à l'origine de l'aménagement du code des collectivités territoriales pour permettre l'intervention des collectivités locales en matière d'équipement numérique, M. Patrice Martin-Lalande a fait observer que les communes avaient, dans ce cadre, la possibilité de se tourner vers le département et la région pour pouvoir faire engager, grâce à la solidarité, l'effort nécessaire.

M. François Rancy a souligné que les négociations qui avaient eu lieu avec les trois opérateurs GSM pour résorber les zones blanches produisaient en ce moment des effets solides et tangibles, et que les solutions retenues devaient pouvoir être appliquées à l'UMTS. En revanche, il en va différemment pour la TNT : il n'y a pas de concurrence pour l'acheminement d'un programme ; il ne peut donc pas y avoir de mutualisation.

M. Patrice Martin-Lalande s'est étonné qu'on exclue de la gamme de solutions l'utilisation de l'ADSL de nouvelle génération à 50 mégabits, qui permet tout à fait de faire passer la télévision. Dans le Loir-et-Cher, sur 168 000 abonnés, 2 013 seulement ne seraient pas desservis pour des raisons techniques. On pourrait donc diffuser beaucoup plus loin qu'avec le simple déploiement du réseau TNT. L'ADSL parait aussi plus intéressante que le satellite dans la mesure où elle peut être utilisée à la fois pour l'Internet à haut débit, la télévision et la téléphonie sur protocole internet.

M. François Rancy a répondu que, au vu des nouveaux progrès technologiques enregistrés chaque année par l'ADSL et des efforts déployés par France Télécom, on pouvait espérer en effet que le haut débit serait à plus ou moins brève échéance disponible partout. L'ensemble des solutions techniques doit être utilisé.

Il a ensuite indiqué que le déploiement du réseau de la TNT s'arrêterait probablement à une couverture de 85 % de la population : poursuivre les investissements n'aurait pas grand sens quand on sait que, pour passer de 65 % à 85 %, il faut déjà passer de 115 à 500 émetteurs. Il y a actuellement 3 500 émetteurs pour la diffusion analogique et personne n'envisage d'aller jusque-là pour la TNT.

M. Philippe Folliot a demandé ce que deviendraient les 15 % restants en 2012, au moment de l'abandon de l'analogique.

M. François Rancy a répondu qu'ils seraient couverts par les autres technologies disponibles, le satellite, l'ADSL et le câble.

Il a ensuite précisé que dans l'esprit des pouvoirs publics, le fonds d'accompagnement du numérique était exclusivement destiné à accélérer le déploiement de la TNT et l'extinction de la diffusion analogique aux frontières. Il n'a pas pour objet d'aider l'équipement des zones difficiles. S'il devait servir à la couverture de tout le territoire, ce n'est pas de 15 millions d'euros qu'il faudrait doter le fonds, mais de 1,5 milliard d'euros, voire plus encore si l'on se réfère aux modèles britannique ou américain. Un décret sur les conditions de son utilisation est en préparation. Comme il s'agit d'une aide d'État, il faut demander l'avis de la Commission européenne. Le fonds devra respecter la neutralité technologique. Il n'est pas destiné à payer des adaptateurs TNT aux gens mais à leur permettre de continuer à recevoir la télévision. On peut donc imaginer qu'il serve aussi à subventionner un abonnement, ici au câble, là à l'ADSL ou au satellite. La France essaiera aussi de tirer parti des erreurs qui ont été commises ailleurs, en Allemagne ou surtout en Italie, où la confusion des genres a été signalée à la Commission.

Le président Émile Blessig a souhaité savoir si le plan numérique serait défini dès la conférence de 2006.

M. François Rancy a répondu que tel serait bien le cas, les discussions avec les Etats voisins étant déjà très avancées. La principale inconnue tient à l'effet « dominos ». En effet, le plan détermine exactement quelle fréquence va être utilisée par chaque grand émetteur, l'idée étant d'assurer la compatibilité entre les grands émetteurs pour chacun des sept multiplex. Il faut donc que les émetteurs à l'intérieur de chacune des couches soient compatibles en fréquence et que la compatibilité soit également assurée entre chaque couche. Ce sont donc en fait sept puzzles qui sont construits ensemble pour assurer la couverture nationale. Ensuite, ils doivent être raccordés aux frontières. On peut envisager d'arriver à la conférence avec un puzzle tout prêt entre pays européens. Mais si ce puzzle ne se connecte pas avec les autres Etats voisins, le Maroc, la Turquie, la Russie, ... il faudra tout reprendre.

La conférence durera cinq semaines, il y aura sept groupes de négociations et le point sera fait chaque semaine. La complexité de la question fait que le succès n'est pas assuré à la date prévue. Si cependant tel est le cas, le 15 juin un plan sera disponible, qui sera applicable dès l'arrêt de l'ensemble de l'analogique aux frontières.

Le fait que certains de ses voisins soient plus avancés que la France complique les choses. L'Italie avait annoncé qu'elle arrêterait l'analogique fin 2006, mais cette échéance a été repoussée de deux ans. Il est par ailleurs inenvisageable que, du jour au lendemain, un certain nombre de foyers ne reçoivent plus la télévision. Le fonds d'accompagnement du numérique vise bien à éviter cela.

Pour que la France atteigne son objectif d'un équipement total en 2012, il faut aussi que les fabricants d'adaptateurs soient capables d'en livrer 50 à 60 millions en quelques années. Malgré le succès des chaînes de la TNT, il n'en a été vendu l'an dernier que 1,7 million.

Enfin, s'agissant des régions frontalières, où l'abandon de l'analogique est la condition nécessaire pour que le numérique permette à leurs habitants d'accéder à autant de chaînes qu'ailleurs, à partir de 2007 quelques petits émetteurs vont être coupés çà et là et le basculement se fera progressivement jusqu'en 2010.

Le président Émile Blessig a fait observer que le dossier du calendrier de déploiement de la télévision numérique risquait forcément d'être débattu dans le cadre d'autres échéances prévues en 2007.

Convenant que la pression était sans doute appelée à s'accroître, M. François Rancy a cependant fait valoir le poids des négociations avec les pays voisins. Une liste des fréquences des 41 émetteurs proches de la frontière a été transmise le mois dernier aux négociateurs allemands ; ceux-ci arriveront eux-mêmes avec leur liste au prochain rendez-vous. L'image du puzzle reste valable, mais dans la phase transitoire, le puzzle change à chaque fois qu'on éteint un émetteur. Si l'objectif reste d'équiper les régions frontalières au même rythme que le reste du pays, aboutir en 2007 suppose que les décisions internationales soient prises dans les prochaines semaines. Plus on ira vite, plus le risque d'erreur sera grand. On devra donc parfois revenir sur certaines décisions. Pour ces raisons, la concertation devra être étroite avec les collectivités locales et avec les élus d'Alsace-Moselle, qui sont les mieux à même de sensibiliser la population aux enjeux et à la complexité du dossier.

Le président Émile Blessig a demandé si, dans la mesure où le spectre n'est pas extensible, on pouvait envisager que les avancées technologiques permettent une redistribution des fréquences entre les usagers. Par ailleurs, le rapport du CSA indique que certaines fréquences militaires pourraient être réaffectées à des usages civils. Il a donc souhaité savoir si le champ de compétence de l'Agence incluait une telle redistribution ou s'il était limité à l'affectation des gains obtenus par l'évolution technologique.

M. François Rancy a fait observer que le rapport du CSA traitait de l'accélération du déploiement de la TNT, ce qui n'est pas exactement ce qu'on appelle le dividende numérique. Dans ce contexte, il est envisagé un prêt de fréquences militaires jusqu'en 2010, pour permettre la transition.

Quant au dividende numérique, il ne se matérialisera pas avant l'extinction de l'analogique, en 2010 dans les zones frontalières et en 2012 dans toute la France. Ce n'est qu'à ce moment que l'on pourra réaffecter les fréquences qui auront été libérées par la télévision analogique. C'est aussi à ce moment que le nouveau plan pourra être appliqué. Or, dans ce plan, le dividende numérique est entièrement affecté à la radiodiffusion. En fait, le déploiement actuel de la TNT est une façon de prendre le dividende numérique. Faire de la télévision vers les mobiles en est aussi une, qui profite à la télévision. Car la télévision vers les mobiles reste de la télévision numérique : il faut plus d'émetteurs et de fréquences, mais la topologie du réseau reste la même.

Le discours de la Commission européenne sur le dividende numérique, selon lequel le passage au numérique permettra de consommer moins de fréquences pour la télévision, est inadapté à la situation actuelle. Si l'objectif est de diffuser trois chaînes de télévision sur toute la France, là on gagnera effectivement des fréquences. Mais la TNT, telle qu'elle va être déployée dès le départ, c'est déjà 5 multiplex, c'est-à-dire 25 chaînes. Le déploiement de la TNT préempte ainsi l'essentiel du dividende numérique.

M. François Rancy a ensuite retracé l'historique de la téléphonie mobile. Avant le GSM, il y a eu, au début des années 1980, les réseaux Radiocom 2000 et SFR 450 mégahertz (MHz) qui se situaient dans les bandes de la télévision. Cependant, faute d'une harmonisation des fréquences et des équipements, ces systèmes n'ont pas pu se développer. Les pays européens en ont conclu qu'il fallait harmoniser les fréquences. C'est ce qui a été fait à la conférence administrative mondiale des radiocommunications de 1979, sur la base d'une ouverture de nouvelles bandes, celles aujourd'hui utilisées par le GSM, des 900 MHz. L'effort d'harmonisation a duré jusqu'en 1992. Le GSM s'est alors développé progressivement, jusqu'à exploser à partir de 1998-2000, avec la baisse concomitante des prix.

Une fois les obstacles au développement du GSM aplanis, les responsables des fréquences ont entrepris de préparer la suite, c'est-à-dire l'après-saturation des bandes utilisées par le GSM. La conférence administrative de 1992 a donc identifié à l'échelle mondiale des bandes de fréquences de 2 gigahertz (GHz) pour pouvoir passer à la troisième génération. Le déploiement des réseaux à grande échelle a commencé en 2003-2004 : le mouvement a donc pris cette fois douze ans.

En 2000, en prévision du succès de la troisième génération, on a commencé à rechercher de nouvelles bandes de fréquences ; la bande des 2,5 GHz a été identifiée.

On observe donc une montée en fréquence et on parle maintenant, pour la quatrième génération, de bandes de fréquences situées entre 3 GHz et 6 GHz. Plus une bande est haute, plus il faut de relais mais plus la bande est large et permet de faire passer de données.

Le calendrier de déploiement de la téléphonie mobile 3G part de la bande de 2 GHz en 2004. Celle-ci n'est peut-être pas idéale en termes d'aménagement du territoire. Les opérateurs prévoient cependant une saturation de cette bande en 2008. Ils ont donc, à cette date, prévu de basculer une partie du trafic 3G dans la bande actuellement réservée au GSM, laquelle va bientôt assurer une couverture totale du territoire. Les licences qui leur seront délivrées par l'ARCEP à partir du printemps prochain leur permettront de le faire sans autorisation particulière. Dans une troisième étape, à l'horizon 2010, ils envisagent de recourir aussi à la bande 2,5 GHz. L'ensemble de ces évolutions ne suppose à aucun moment l'abandon du GSM : celui-ci sera simplement cantonné à une place de plus en plus faible au sein de sa fréquence. Enfin, s'il y avait un dividende numérique, la bande UHF serait disponible à partir de 2015.

Le président Émile Blessig a demandé si cela signifiait que la gamme des services auxquels aura accès un téléphone mobile 3G variera en fonction de la desserte de l'endroit où il se trouvera.

M. François Rancy a expliqué qu'aujourd'hui, dans la mesure où la téléphonie 3G n'est pas disponible partout, les terminaux commutent automatiquement vers la bande GSM dans les zones non équipées ; ils fonctionnent alors comme des appareils GSM. En 2008, en revanche, ils pourront conserver leurs fonctionnalités 3G sur la bande actuellement GSM. Le problème éventuel de la saturation de l'ensemble de ces bandes pourra alors être résolu en 2015 avec l'option du dividende numérique. Mais il faudra que les opérateurs aient de bons arguments pour convaincre les actuels utilisateurs du spectre UHF.

Il a aussi rappelé que l'Agence des fréquences n'a pas autorité sur l'ARCEP, le CSA ou le ministère de la défense. Elle s'applique à mettre les gens autour d'une table pour essayer de concilier les points de vue. Dans cette optique, le responsable des études prospectives, M. Jean-Jacques Guitot, préside depuis deux ans un groupe au sein duquel les opérateurs sont parvenus à définir deux scénarios, qui ont été entérinés par le Conseil d'administration de l'agence. Le premier est un scénario d'enrichissement des services audiovisuels, notamment avec la téléphonie vers les mobiles, qui préempteraient donc l'intégralité du dividende numérique ; le second est un scénario de cohabitation entre l'audiovisuel et les télécommunications, au sein duquel une partie, qu'on n'a pas encore spécifiée, de la bande actuellement attribuée à la télévision serait réservé aux services mobiles. Cela ne relève toutefois pas de la prochaine conférence régionale, qui ne s'intéressera qu'à la radiodiffusion, mais de conférences ultérieures ; à la conférence mondiale de 2007, on pourra si nécessaire faire état d'un besoin de fréquences pour les mobiles ; le sujet pourra alors être inscrit à l'ordre du jour de la conférence de 2010, qui pourra identifier une partie de la bande réservée à la télévision pour y faire passer de la téléphonie mobile. Il faudra alors procéder à une harmonisation européenne, replanifier la bande pour la télévision et rebâtir tous les puzzles, ce qui pourra intervenir à l'horizon 2015.

Aujourd'hui, la priorité de l'Agence est de réussir la conférence régionale de juin prochain et de négocier le plan de transition avec les pays voisins pour accélérer le mouvement aux frontières, notamment en Alsace-Lorraine.

M. François Rancy s'est enfin déclaré prêt à revenir devant la Délégation à l'issue de la conférence régionale, en particulier pour présenter la phase de transition aux frontières.

Le président Émile Blessig a remercié M. François Rancy pour cette proposition ainsi que pour sa présentation très complète.


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