DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À l'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 2

Mercredi 24 juillet 2002
(Séance de 15 heures )

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Madame la Ministre, je tiens d'abord à vous remercier d'avoir accepté notre invitation à venir évoquer devant la Délégation la communication que vous avez présentée ce matin en Conseil des ministres. J'ai souhaité que nous vous auditionnions rapidement, car comme je l'ai souligné, lors de la première réunion de notre Délégation, une législature de cinq ans, c'est à la fois long et court. Or, notre mission consiste, au premier chef, à mettre en application les propositions que nous aurons formulées dès le début de notre mandat.

La parité entre les hommes et les femmes en politique - je l'ai déjà affirmé à plusieurs reprises - est un combat de longue date. Depuis votre premier mandat, d'abord comme suppléante, en 1988, puis comme députée en 1991, vous avez montré, Madame la Ministre, à quel point la parité, notamment en politique, était une de vos priorités. A nos côtés, vous avez pris en charge l'ensemble des textes sur la réforme constitutionnelle, puis sur la parité, qui ont abouti à la loi du 6 juin 2000. Et nous savons tous que la parité, au c_ur de l'évolution de la société tout entière, répond aussi à une indispensable modernisation de la vie politique. Pour vous, je le sais, la parité en politique est une étape. Mais ce n'est pas la seule qu'il faudra franchir, bien au contraire. Au-delà de la sphère politique, en effet, il y a l'égalité dans la société et la vie professionnelle. Il s'agit là encore, je le sais, d'une de vos priorités.

Vous avez également exprimé le souci de considérer la vie des femmes dans toutes ses dimensions, de prendre en particulier en compte le respect de leur dignité, trop souvent bafouée dans des situations de violence ou d'oppression, comme dans les situations de traite des êtres humains.

Nous sommes donc très heureux et très honorés de votre présence. Je souhaiterais maintenant, de manière à lancer officiellement les travaux de la Délégation, que vous nous exposiez vos priorités pour les cinq ans à venir.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Madame la présidente, je tiens d'abord à vous féliciter d'avoir pris la responsabilité tout à fait éminente d'assurer la présidence de la Délégation aux droits des femmes. Je tiens également à remercier chacune et chacun d'entre vous pour leur présence.

La Délégation aux droits des femmes est une instance importante de cette maison. Je suis très attachée à l'Assemblée nationale et à ses instances. Je suis très attachée à la cause des femmes en politique. Et je crois que cette Délégation à un rôle majeur à jouer. Tout au long du mandat qui m'a été confié, je serai donc à votre entière disposition, pour faire progresser, avec vous, ce grand enjeu de démocratie qu'est l'égalité entre les hommes et les femmes.

Quels sont les grands axes de l'action en faveur de la parité, de l'égalité professionnelle et du respect du droit des femmes ?

Les questions d'égalité et de parité, je veux le rappeler solennellement, sont au c_ur des préoccupations du Gouvernement. Ce matin même, au Conseil des ministres, le Président de la République rappelait que la parité était un sujet absolument essentiel et il exprimait le souhait que la politique en faveur des femmes soit placée sous le sceau d'un plus grand volontarisme. Il s'agit donc de l'expression même d'une volonté présidentielle et gouvernementale et d'un enjeu urgent et majeur de société.

Dans cet esprit, je compte d'abord mener mon action avec une approche horizontale et transversale. En effet, les droits des femmes, leur place et leur rôle dans la société et dans l'entreprise sont l'affaire du Gouvernement et de l'ensemble des ministères, mais aussi des collectivités territoriales et des partenaires sociaux. La question de l'égalité professionnelle constitue un très bon exemple de cette nécessaire transversalité.

L'action que je compte mener comporte trois aspects. Premièrement, la volonté de "positiver". J'emploie ce néologisme à dessein, car la politique en faveur des femmes doit viser une approche tout à fait positive du rôle qu'elles jouent et qu'elles doivent jouer davantage encore dans la société moderne. Là aussi, et j'y reviendrai dans un instant, l'égalité professionnelle est un bel exemple. Car il ne s'agit pas tant de répondre à une exigence d'équité morale et de justice sociale, en effaçant les discriminations objectives qui existent dans ce domaine, que d'apporter aux femmes la démonstration qu'elles ont un rôle majeur à jouer, en termes d'efficacité économique, et de donner aux entreprises la certitude que réserver aux femmes la place qu'elles méritent servira les objectifs de l'entreprise.

Deuxièmement, le choix du dialogue social. Il s'agit, là aussi, d'une préoccupation plus générale du Gouvernement. L'évidence conduit à penser que plus nous jouerons la carte du dialogue, de la concertation et de la négociation avec les partenaires sociaux, plus nous aurons une force de conviction qui, au-delà de la contrainte, permettra de faire avancer les choses de manière concrète et pragmatique dans l'entreprise. Les obstacles qui existent, dans ce domaine précis, sont de telle nature que le dialogue est un passage obligé, d'abord pour identifier les principales difficultés, puis pour y apporter des solutions.

Troisièmement, la prise en compte de la territorialité. Les territoires, en effet, vont de plus en plus s'affirmer comme des échelons de solutions. Et en matière de politique en faveur des femmes, il existe, d'ores et déjà, une action conduite sur le terrain, qui est tout à fait remarquable et qu'il faut prendre en compte. Là, comme ailleurs, de beaux exemples illustrent le propos selon lequel il faut aujourd'hui penser local pour agir global.

Nous avons donc décidé d'engager une démarche très intégrée, globale, interministérielle et partenariale et qui s'inscrira dans le temps.

Quels sont les axes de l'action engagée ? Ce matin, en Conseil des ministres, j'ai rappelé, d'une part, que les démocraties ne pourront progresser que si elles font un effort sans précédent en termes d'égalité, d'autre part, que toutes les politiques sociales, au-delà de l'assistance et de la solidarité, devaient servir la liberté et la responsabilité.

Dans une "République en partage", dans une France active, l'égalité professionnelle doit occuper une place centrale. Il s'agit d'une illustration majeure de l'égalité des chances. Dans ce domaine, la cause des femmes n'est pas seulement celle de la justice, mais aussi celle de l'efficacité économique et de l'exigence sociétale, car de plus en plus, et c'est heureux, les hommes et les femmes aspirent à trouver un meilleur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, dans un partage de responsabilité mieux organisé et mieux vécu.

La question de l'égalité professionnelle se trouve donc à la croisée des politiques que nous menons dans le domaine plus général de l'égalité et elle doit constituer une application emblématique de la politique sociale du Gouvernement. Dois-je rappeler que les inégalités restent flagrantes ? Si les différences de rémunérations entre les hommes et les femmes sont de l'ordre de 25 % en moyenne, un écart irréductible perdure à hauteur de 11 %. On note, entre les hommes et les femmes, près de 5 points d'écart dans le chômage des moins de 25 ans. Et il y a près de 80 % de femmes parmi les personnes qui, en France, gagnent moins que le SMIC. 

Tout cela s'explique et les causes sont connues. Elles obéissent d'abord à des discriminations objectives au sein même de l'entreprise, dans la classification des carrières, par exemple. Ensuite, elles sont très liées à des facteurs beaucoup plus extérieurs, qui ne sont pas pour autant neutres, bien loin s'en faut. Je pense notamment à l'orientation scolaire, où les très jeunes filles souffrent d'un rétrécissement du champ de la liberté de choix des formations tout à fait injustifié. Il faudra donc que nous ayons une action très forte en direction de la communauté éducative - j'en ai déjà parlé au ministre de l'Education - pour une éducation à l'égalité, encore trop faible dans nos cultures. Elles sont également liées à la durée et à la flexibilité du travail, puisqu'on sait qu'il y a 85 % de femmes parmi les travailleurs à temps partiel. Elles sont, enfin, liées à l'inégal accès des hommes ou des femmes aux postes de responsabilité dans les entreprises, où seulement 7 % des femmes font partie de l'encadrement supérieur des 5 000 plus grandes entreprises françaises, mais aussi dans la fonction publique, où seulement 13 % des femmes occupent des postes supérieurs, alors qu'elles représentent près de 60 % des effectifs.

De nouvelles bases d'action doivent donc être jetées en faveur de l'égalité. Elles concernent l'élargissement des choix professionnels des jeunes filles, élément clé de l'égalité des chances, les éléments de la détermination des salaires dans l'entreprise, car il existe des échelles de valeur et des coefficients hiérarchiques qui confortent les inégalités, la professionnalisation et la revalorisation de certains secteurs professionnels, une meilleure articulation des temps professionnels et privés.

Comme je l'ai rappelé avec force ce matin, l'intérêt conjoint à agir des salariés et des entreprises passe par la prise de conscience qu'une bonne organisation des temps et la reconnaissance que les salariés sont le plus souvent des parents, rencontrent à la fois les aspirations des salariés et le souci des entreprises d'une meilleure productivité et d'avantages concurrentiels.

De la même façon, au sein des territoires, la coordination des temps de la ville, mais aussi des temps ruraux, des temps des services, de l'école, des transports, des commerces, permet une meilleure appropriation de l'espace, notamment par les usagers prioritaires que sont les femmes.

Enfin, une politique volontariste doit être menée en faveur de la création de services au personne. Pour être pragmatique et concret, il est clair que les modes de garde doivent évoluer vers une diversification beaucoup plus importante, car ils concernent les jeunes enfants, mais aussi les adolescents, voire les personnes âgées. Il existe, dans ce domaine, un vivier d'emplois à ne surtout pas sous-estimer.

Sur tous ces champs d'action, nous devons avoir une très grande solidarité et une très grande complémentarité d'action, à tous les niveaux. A l'échelon européen, l'axe de travail retenu par la présidence danoise - le thème des femmes et de l'exclusion, notamment au regard de leur insertion dans l'emploi - est une opportunité à saisir. L'Europe inspire nos Etats dans ce domaine, et je souhaite que nous puissions rapidement, nous aussi, inspirer l'Europe. Au plan de l'Etat, des partenariats doivent être renforcés à tous les niveaux. Au plan des collectivités, également, ainsi qu'au plan des partenaires sociaux.

Les partenaires sociaux sont naturellement au coeur de cette réflexion. Afin de renforcer le dialogue social en matière d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, et plus précisément en matière d'égalité salariale, nous allons intégrer cette dimension dans la démarche de concertation et de négociation avec les partenaires sociaux que nous avons engagée. L'objectif est de faciliter la signature d'un second accord national interprofessionnel, ou d'accords de branche, et de mettre, d'ici à cinq ans, la pratique en conformité avec le droit. Au-delà des aspects salariaux, nous devrons donc répondre à l'ensemble des facteurs, des difficultés et des inégalités qui sont attachés au contexte dans lequel se situent les femmes.

Nous espérons ainsi, dans les cinq ans qui viennent, modifier les usages et surtout les mentalités.

J'en viens à la parité politique. Nous avons été plusieurs à nous battre, pour que cette réforme voie le jour. Car depuis la Révolution, les femmes n'avaient pas forcément bien réussi à passer la marche des siècles. Or, à l'aube d'un nouveau siècle et dans un nouvel espace élargi - l'Europe - elles se retrouvaient sans véritable espoir de changement profond. En faisant sauter les verrous, en levant les obstacles au changement, la loi sur la parité a parfaitement joué son rôle d'outil de modernisation sociale.

Quels en ont été les résultats ? Aujourd'hui, on peut se satisfaire d'avoir vu émerger, à l'issue des élections municipales de 2001, une génération de femmes qui ont su créer un réseau de compétences incomparables, sur lesquelles nous pourrons nous appuyer dans le cadre d'une décentralisation affirmée, de manière à retrouver, le plus rapidement possible, des femmes dans d'autres instances. Si la parité a été appliquée plus aisément pour les scrutins de liste, en revanche - et les législatives en ont été un bon exemple -, le résultat n'a pas été à la hauteur des espérances, des besoins et des exigences, en matière de scrutins uninominaux.

Pour faire évoluer les choses, nous procéderons à une évaluation des résultats. Je tiens à dire - et ce n'est pas une forme d'humour déguisé - que l'indignation qui a suivi le résultat des législatives me paraît un bon signe. Il y a cinq ou dix ans, nombre d'entre vous, qui siégiez déjà à l'Assemblée nationale, vous seriez indignés, mais tout cela se serait passé dans l'indifférence générale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Cela signifie donc que l'opinion a changé. On s'étonne aujourd'hui de ce qui ne gênait personne encore hier. Même si, encore une fois, nous avons à corriger les insuffisances de la loi, il ne faut pas oublier que celle-ci est d'application très récente et que l'évolution des cultures est, en soi, une chose positive. De manière à mieux mettre en phase la démocratie et les femmes, nous avancerons, grâce à une réflexion approfondie sur les résultats escomptés et sur les modifications éventuelles à mettre en _uvre.

Je terminerai par les droits des femmes. La question ne concerne pas seulement les femmes dans ce qu'elles font de mieux. Il s'agit également de penser précisément, et peut-être prioritairement, à toutes les femmes en difficulté, dans la précarité, aux oubliées des oubliés. On peut se féliciter qu'un débat comme celui de la prostitution soit à nouveau mis sur la place publique, et je souhaite que de tels débats se développent sans polémiques, dans un esprit très ouvert et très large.

Car il s'agit d'éthique et d'un sujet qui intéresse prioritairement le respect et la dignité de la personne humaine. Il me paraît donc essentiel de développer une démarche concertée, une approche moderne, européenne et internationale, dans la sérénité et dans le respect de ces femmes, qui sont d'abord des victimes.

Sur ce sujet, la France a toujours pris le parti de refuser la prostitution. Il s'agit d'une position abolitionniste. Mais il faut que vous sachiez que l'ensemble des pays de l'Union européenne ne partage pas cette position. On distingue les pays abolitionnistes, comme la France, les pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, qui ont choisi d'organiser la prostitution, en la limitant notamment à des lieux d'accueil, et enfin les pays comme la Suède qui ont choisi de pénaliser le client. Il n'existe donc pas de position commune en la matière, même si, on le sent bien, il existe une recherche commune de solutions.

Je considère, pour ma part, que nous avons à faire face à une prostitution multiple, qui appelle une réaction sous deux angles. Le premier est la lutte contre les réseaux mafieux internationaux. M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a engagé une réflexion sur le sujet et il a raison. Car il faut donner un coup d'arrêt à un marché inadmissible. Le deuxième angle est le respect de la dignité des femmes qui sont victimes des réseaux. A cet égard, le libre consentement que certains invoquent me paraît extrêmement limité.

Avec M. Nicolas Sarkozy, nous avons donc décidé de travailler ensemble, dès les prochaines semaines, de manière à adapter notre arsenal juridique à une évolution qu'il faut réduire et refuser. A titre personnel, je me suis rendue dans deux quartiers difficiles et j'ai pu mesurer l'ampleur de l'action à engager, compte tenu des conditions dans lesquelles sont accueillies et "gérées" ces jeunes femmes, qui sont victimes d'un système qui les dépasse et qui les conduit dans des logiques terribles et inacceptables.

Nous mènerons donc une réflexion particulière sur la question du droit des femmes et de l'accès aux droits, qui intéresse des catégories de population très diversifiées. Je pense également à toutes les femmes issues de l'immigration. Les visites que j'ai effectuées m'ont, là aussi, confortée dans l'idée que nous avions un travail important à réaliser en faveur de l'intégration. A ce sujet, d'ailleurs, je veux rendre hommage à toutes les associations qui travaillent sur ces sujets et qui constituent un lien irremplaçable entre ces femmes, les familles et les services. Car si nos services existent dans de très nombreux endroits, il n'est pas toujours simple, pour certaines femmes, d'avoir accès à leurs prestations.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pour les cinq ans à venir, je souhaiterais que la Délégation travaille sur trois points. Le premier concerne la parité. Une loi a été votée et les partis politiques comme les parlementaires veulent la maintenir en l'état. Or, certains hommes ou femmes politiques proposent régulièrement des projets visant à modifier les modes de scrutin. Je compte donc beaucoup sur votre détermination, Madame la Ministre - je sais qu'elle est grande - pour que l'on prenne bien en compte, lors des prochaines échéances électorales, les dispositions fixées par la loi, pour rendre la parité effective. Concrètement, pour les élections régionales de 2004, la parité par tranche de six candidats doit permettre de faire passer de 25 % à 45-50 % le nombre de femmes conseillères régionales.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Oui !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Lorsque le ministre de l'intérieur recevra votre avis sur l'évolution des modes de scrutin, le problème de la parité ne devra pas être oublié. Car, depuis mars 2001, de nombreuses femmes qui sont entrées en politique souhaitent se présenter à d'autres scrutins que les municipales. Je compte sur votre détermination pour préserver les acquis : il s'agit non seulement d'un v_u de la Délégation, mais aussi des femmes que nous représentons. Nous avons, les uns et les autres, été très présents lors des débats préparatoires à l'adoption de la loi. A nous, aujourd'hui, de préserver l'acquis.

Le deuxième point concerne l'égalité professionnelle. Des lois ont été votées, notamment la loi de Mme Yvette Roudy en 1983, puis celle de Mme Catherine Génisson en 2001. Je souhaite que la loi soit respectée, et qu'il y ait aussi une volonté ministérielle de mettre en avant la loi ainsi que les directives ministérielles existantes. Les textes existent et il suffit d'abord de les appliquer.

Enfin, en troisième lieu, je souhaite que nous travaillions ensemble sur les droits des femmes.

Tels sont les trois chantiers que je souhaiterais que nous approfondissions.

Mme Hélène Mignon : Je voudrais faire quelques remarques sur la parité, car si l'on en parle beaucoup, je ne suis pas certaine qu'il s'agisse d'un discours réellement intégré dans la tête des gens qui le prononcent. A mon sens, il faut rester très prudents et vigilants face à des retours en arrière ou des discours hypocrites.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Tout à fait !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il faut préserver l'acquis, comme je l'ai rappelé.

Mme Hélène Mignon : Par ailleurs, nous n'avons pas été assez loin, c'est vrai, en matière de structures intercommunales. Il faudra revoir notre façon de faire, car il existe de nombreuses communes où des femmes, adjointes, n'ont pas pu approcher des postes de responsabilité. A ce sujet, je souhaiterai que l'on puisse savoir, en 2005, si les femmes qui ont été élues lors des dernières élections municipales ont pu accéder à des postes de responsabilité. En effet, j'ai l'impression que, trop souvent, les maires en place depuis longtemps n'ont pas changé leurs habitudes de travail. Dans ces conditions, certaines femmes se découragent et abandonnent le conseil municipal ou leur poste de responsabilité. Or, les choses ne se passent pas du tout de la même façon lorsque la mairie a été conquise par une femme.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Il serait intéressant, en effet, de disposer d'une évaluation permanente.

Mme Hélène Mignon : Quant à la mixité, au travail ou en politique, je crois que, malheureusement, les textes de loi ne peuvent, à eux seuls, améliorer les choses. Encore faut-il que les mentalités changent. Pour autant, une de nos propositions, qui me paraît très intéressante, mériterait d'être reprise. Il s'agissait, pour les femmes travaillant dans une entreprise, d'être présentes le plus possible au sein de la représentation syndicale, de telle manière qu'elles puissent impulser et participer à toutes les négociations. Cette approche permettrait de mettre en lumière les richesses d'une discussion, lorsqu'elle est menée par des hommes et des femmes.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Comme vous, Madame la députée, je pense que ce n'est pas uniquement les textes, ni seulement les négociations interprofessionnelles qui changeront les choses, mais que ce seront également les femmes. Il faudra que, là où une femme exerce une fonction dans la vie municipale, dans la vie politique ou dans l'entreprise, elle se saisisse des postes de responsabilité auxquels elle peut prétendre. Car très souvent, les femmes sont touchées par une forme de résignation qui les entraîne à reprendre à leur compte cette belle formule de Bernanos, "le démon de mon c_ur s'appelle à quoi bon".

Pour revenir à la question des élections et de la parité, j'observe, moi aussi, que les femmes ont largement investi les mairies, mais pas forcément les postes de pouvoir. Aux dernières élections municipales, nous avons, en effet, enregistré une hausse d'environ 3 % de femmes députées maires. Celles-ci sont également très peu nombreuses dans les grandes communes.

Il reste donc beaucoup de progrès à faire. Il faut être non seulement attentifs et vigilants, mais aussi très offensifs et volontaristes, car, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, tout ce qui n'est pas une avancée est une régression.

Mme Brigitte Bareges : Je suis députée maire de Montauban et je fais donc partie des 3 % de femmes que vient d'évoquer Madame la Ministre. Je souhaite vous livrer une réflexion à l'état brut, qui concerne les femmes divorcées et les familles monoparentales. Bien souvent, en effet, ce sont les femmes qui sont en charge de ces familles, et il me paraîtrait utile d'engager une réflexion pour les aider et mieux les accompagner.

Certes, il existe diverses allocations et l'action des travailleurs sociaux. Mais les dispositifs ne sont-ils pas trop dispersés ? Comme avocate, j'ai eu à défendre des femmes en grand désarroi, abandonnées par leur mari et sans pension alimentaire. Elles peuvent être accueillies dans des centres d'accueil ou de secours. Mais ne faudrait-il pas mettre en place un référent unique qui les prendrait en charge ? Il ne s'agit pas de créer un assistanat permanent, mais de les accompagner quelque temps.

Il s'agit également d'un problème de société. Des mères de famille se retrouvent en grand désarroi face à des adolescents qu'elles ne maîtrisent plus, notamment parce qu'elles travaillent et que leur temps privé n'est pas toujours compatible avec le temps professionnel. Nous devrons, me semble-t-il, particulièrement réfléchir aux dispositifs d'aide à domicile, non seulement parce qu'ils contribuent à créer des emplois, mais aussi parce qu'ils peuvent éviter des débordements familiaux.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Vous avez pleinement raison. Les femmes qui vivent dans des foyers monoparentaux ou dans la précarité cumulent tous les handicaps. Ce problème fera l'objet d'une réflexion spécifique, que nous mènerons avec le ministre de la famille, plus directement en charge de cette question.

Ce qui est difficile pour les unes devient réellement héroïque pour les autres. Nous avons évoqué rapidement le partage des tâches, c'est-à-dire, en fin de compte, le respect de l'autre, qui peut conduire à alléger ses charges de travail. Il s'agit d'une dimension de la modernité. Hier, une élue m'indiquait que son mari acceptait de garder les enfants pendant qu'elle était à l'Assemblée nationale. C'est un bel exemple qui, heureusement, n'est sans doute pas isolé.

Pour autant, et d'une manière plus banale et quotidienne, on constate que le partage des tâches est insuffisamment intégré dans les cultures et les comportements, même dans les familles où le couple est resté uni. On compte deux millions de familles monoparentales ; 14 % des enfants grandissent au sein de telles familles. Ce n'est pas un petit problème.

Mme Brigitte Bareges : A la suite d'un divorce, c'est une chance pour la femme de pouvoir garder ses enfants. Lorsqu'elle en est responsable, en effet, elle est plus combative et peut donc mieux se battre. Pour autant, c'est une lourde tâche, surtout lorsque la pension alimentaire n'est pas payée. Même si des dispositifs existent, comme l'allocation de soutien familial, il faut être très attentif à ce réel problème de société.

Mme Danielle Bousquet : Lors du voyage parlementaire que nous avons effectué en Norvège, en janvier dernier, consacré à l'application de l'égalité professionnelle dans ce pays, nous avons rencontré une médiatrice du travail qui avait pour mission de se saisir des atteintes à l'égalité professionnelle dans les entreprises. En particulier, lorsque des femmes ou des organisations syndicales discutaient d'une mesure leur semblant opposée à l'égalité professionnelle, elle essayait de débrouiller l'affaire avant qu'elle n'aille devant les tribunaux. Il ne s'agit pas d'un pouvoir décisionnaire, mais d'une médiation.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Cette personne exerçait-elle ses fonctions au sein même de l'entreprise ?

Mme Danielle Bousquet : Non, elle était conseillère auprès du ministre des droits des femmes. Il s'agit, me semble-t-il, d'une excellente formule qui permet, d'une part, à chacun de se rendre compte qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, d'autre part, de trancher rapidement les conflits.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : La Suède est également un exemple intéressant en la matière, même si paradoxalement, les femmes y ont des postes à responsabilité, davantage en politique qu'en économie.

En matière de discrimination, nous tendons vers la mise en place d'organismes plus ou moins indépendants et plus ou moins extérieurs aux entreprises. Une directive a été élaborée en ce sens. Il s'agit de processus intéressants, mais ce regard et cette vigilance devraient également exister au sein même de l'entreprise. Avec les partenaires sociaux, nous essaierons d'ailleurs d'aller très loin dans l'investigation et l'identification des discriminations.

Mme Béatrice Vernaudon : Députée de la Polynésie française, je voudrais rappeler que la France existe aussi à 18 000 kilomètres de Paris, dans le Pacifique, avec la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.

La loi sur la parité nous a été imposée, alors que nous n'étions pas impliqués dans une démarche volontariste, dans la mesure où la femme occupait déjà une place importante au sein de la société polynésienne et qu'elle était bien souvent la conseillère de son mari. En exigeant une alternance stricte pour l'élection de l'Assemblée de Polynésie, d'où est issu le Gouvernement autonome du territoire, on est ainsi passé de 5 à 23 femmes sur 49 élus.

Ce changement nous a déstabilisés, car les élections sont arrivées peu de temps après le vote de la loi et les femmes n'étaient pas prêtes. Nous avons été le premier territoire à expérimenter cette loi. Comme les femmes étaient peu présentes dans les partis politiques, ceux-ci ont dû se mettre à la recherche de femmes susceptibles d'être élues, et sont allés les chercher dans chaque secteur professionnel et au sein des confessions religieuses. Des femmes se sont ainsi retrouvées sur le devant de la scène et commencent seulement à réaliser qu'elles ont en charge un territoire de 240 000 personnes.

Un travail de prise de conscience et de formation à une bonne gouvernance me paraît donc indispensable. Nul n'est prophète en son pays. Nous avons besoin d'écouter des gens de l'extérieur nous parler d'expériences de femmes en politique. Encore une fois, le problème de formation est réel, car les femmes n'ont pas été préparées à cette nouvelle expérience. Comme elles n'y ont pas réfléchi, elles ont tendance à copier spontanément ce que font les hommes. Elles ont donc besoin d'être accompagnées et d'être formées à la bonne gouvernance, au management, à l'écoute et à la transparence.

C'est d'une modernisation de la gestion politique dont nous avons besoin. Il faut sortir du système politique antérieur où un chef, à qui on faisait allégeance, décidait de tout.

La France nous a imposé cette loi. A elle de nous aider maintenant à la mettre en _uvre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Votre témoignage est très intéressant, et je me rappelle que, lors des débats préparatoires à l'adoption de la loi, des représentants de la Polynésie nous expliquaient déjà ce que vous venez de nous rappeler.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Votre témoignage est extrêmement touchant. Vous incarnez bien cette modernité que nous souhaitions tous, mais également cette humilité des femmes, qui est tout à fait remarquable. Car comme vous l'avez très bien dit, les femmes exerçaient déjà des responsabilités très importantes. Lors d'une visite en Nouvelle-Calédonie, où j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreuses femmes, dont Mme Djibaou, j'ai pu m'en rendre compte.

Vous faites cependant état d'un problème plus général. Les femmes sentent, en effet, qu'elles ont besoin d'une formation, d'une sorte d'accompagnement. Or, ce sont les partis politiques qui jouent ce rôle. Et trop souvent, la formation est insuffisante, voire inexistante.

Une nouvelle correspondante égalité à Wallis-et-Futuna travaille sur les questions d'insertion professionnelle. Mais je mesure bien que votre souci est davantage politique. Comment aider les femmes ? Ce matin, j'ai rencontré un député de Saint-Pierre-et-Miquelon avec qui j'évoquais cette question qui nous préoccupe, car il ne faut pas seulement penser aux femmes de métropole qui travaillent.

Je vous propose de réfléchir ensemble à ce sujet. Il s'agit d'un grand défi à relever, car vous vivez dans une zone qui se modernise très vite et qui développe des relations internationales importantes.

Mme Béatrice Vernaudon : Je tiens également à préciser que nous ne nous inscrivons absolument pas dans une perspective européenne. Nous sommes, certes, des territoires français, mais des territoires autonomes, faisant partie des territoires associés. Au plan des relations internationales, nous nous inscrivons donc, non pas dans la construction européenne, mais dans le développement du bassin océanien, où nous avons souvent l'occasion de représenter la France dans les conférences internationales. Je me suis rendue au sommet Asie-Pacifique sur la parité, organisé par les Nations-Unies à Bangkok, qui a été l'occasion de faire la promotion de la participation des femmes en politique. De la Turquie jusqu'à la Polynésie, une grande partie de la planète était représentée. Or, lorsque j'ai rappelé que la France avait changé sa Constitution pour établir la parité, les femmes ne pouvaient pas le croire, même celles d'Australie et de Nouvelle-Zélande, qui sont pourtant des pays avancés sur le plan de la démocratie. Pour elles, un tel principe était impensable, compte tenu des mentalités de leur pays. Seule l'Inde a imposé un quota de 30 % de femmes.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Pour reprendre le propos de Mme la présidente, il me paraît essentiel de maintenir les acquis, car compte tenu des difficultés que vous rencontrez, il ne faudrait pas qu'il y ait un abandon de responsabilité.

Mme Béatrice Vernaudon : Votre intervention est très importante, parce que les hommes ont été obligés, par la loi, de céder leur place. Aujourd'hui, ils sont des observateurs extrêmement exigeants et les femmes sont un peu déstabilisées par cette situation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Votre témoignage est extrêmement instructif.

Mme Béatrice Vernaudon : L'assemblée de Wallis-et-Futuna compte vingt membres. La loi sur la parité, avec alternance stricte, s'imposait à ce territoire. Or, malgré cette disposition, il est passé de deux femmes élues à une seule. Pourquoi ? Parce que son organisation est très particulière. Comme chaque famille présente une liste, il y avait pratiquement autant de listes qu'il y avait de sièges. Or, seules les têtes de liste ont été élues.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Y a-t-il d'autres observations ?

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle : Je tiens à vous remercier pour votre accueil et votre écoute. Je suis à votre entière disposition et c'est avec plaisir que je reviendrai à chacune de vos invitations.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je vous remercie, Madame la Ministre. Vous nous avez donné des pistes de réflexion pour les cinq ans à venir : préservation des acquis en politique, application des lois en matière d'égalité professionnelle, meilleure conjugaison entre vie privée et vie familiale. C'est donc un important travail qui nous attend, avec l'espoir d'en dresser un bilan positif dans cinq ans.

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