DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 5

Mardi 12 novembre 2002
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Elisabeth Badinter, écrivain et philosophe

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- Audition de Mme Françoise de Panafieu, maire du 17ème arrondissement de Paris

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Elisabeth Badinter, écrivain et philosophe.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La Délégation aux droits de femmes a demandé à être saisie des dispositions du projet du loi pour la sécurité intérieure relatives à la prostitution.

Le problème de la prostitution se pose en France avec une acuité nouvelle, dans la mesure où l'arrivée massive, ces dernières années, de jeunes prostituées venant des pays de l'Est ou d'Afrique, dans le cadre de trafics mafieux, met à jour un véritable esclavage des temps modernes.

Aussi est-il urgent de légiférer, en mettant l'accent sur le problème de la prostitution, certes, mais aussi sur celui, douloureux, du trafic de ces prostituées. Il s'agit de voir de quelle façon la loi pourra aider à atténuer le problème de la prostitution, car parvenir à une prostitution zéro est un défi qu'il sera difficile de relever.

Tel est le contexte dans lequel nous souhaitions vous entendre et connaître votre appréciation de la situation.

Y a-t-il véritablement plusieurs types de prostitution ? N'y a-t-il pas plutôt, dès le départ, une aliénation de la personne prostituée ? Ce sera ma première question.

Deuxième question : les mesures du projet de loi stigmatisant les personnes prostituées et visant à réprimer sévèrement le racolage actif et passif sur la voie publique vous paraissent-elles de nature à en faire disparaître les manifestations les plus visibles ?

Plus généralement, en vous appuyant sur la façon dont des pays comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou la Suède ont organisé le contrôle de la prostitution, comment vous situez-vous dans le grand débat qui oppose aujourd'hui partisans de l'abolitionnisme et du réglementarisme ?

Enfin, quel est votre avis sur le projet de loi quant aux prostituées, aux clients et aux proxénètes ?

Mme Elisabeth Badinter : Avant de tenter de vous donner mon avis sur ces questions, je voudrais mettre les choses au point : je ne suis pas une spécialiste de la prostitution, je n'ai qu'un point de vue extérieur sur ce sujet. Si j'ai cependant pris la parole, c'est que j'ai été très frappée par ce qui me semblait être une erreur et une manipulation ; après avoir travaillé sur le sujet, j'ai pensé que mon point de vue méritait d'être entendu publiquement, étant donné que personne ne le soutenait. Je me suis trouvée très solitaire dans cette affaire.

J'ai été frappée par ce que j'appelle une manipulation intellectuelle, à l'égard du problème de la prostitution. J'ai eu le sentiment que parce qu'il y avait un énorme trafic des femmes venant de l'Est ou d'Afrique depuis trois ou quatre ans, d'aucunes ou d'aucuns profitaient de cette nouvelle donne que constitue cette arrivée massive de femmes - qui sont, elles, à proprement parler des esclaves - pour pousser leurs pions vers le prohibitionnisme, en faisant ce qui me semble extrêmement malhonnête : un amalgame.

En effet, parce qu'il y a un problème majeur, insupportable, - le trafic de femmes -, dont tout le monde convient, on a alourdi la barque en disant qu'il n'existe pas de prostitution volontaire, pas de prostitution "libre", ai-je envie de dire, c'est-à-dire non contrainte par une force extérieure, en l'occurrence les mafieux, les menaces, etc.

J'ai le sentiment que, non seulement à propos de la prostitution, mais aussi à l'égard d'autres sujets concernant les femmes, il y a un désir tendant à imposer une image de la sexualité, un idéal de la sexualité qui me paraît tout à fait idéologique. Pour certaines féministes, le fait pour une femme de décider qu'elle va se prostituer, c'est-à-dire de louer son corps - louer et non vendre, et je trouve désastreux que l'on parle d'esclavage sexuel à propos des prostituées que l'on appelle "indépendantes" - est un mal absolu. Celles et ceux, puisqu'il existe les prostitués masculins, qui le font sont-ils tous et toutes des esclaves, des victimes de la vie, des victimes économiques, des victimes sexuelles et autres ? Je ne le pense pas.

On trouve effectivement dans la population française - on l'a vu dans le sondage paru dans Elle - l'idée que l'on ne peut se livrer à une telle activité sans excuse ; il faut donc des excuses radicales.

Je pense, quant à moi, qu'il n'existe pas une ou deux, mais de multiples sortes de prostitution. Entre la prostituée d'un certain âge, française, sans proxénète, la prostituée occasionnelle qui cherche à rallonger des fins de mois difficiles, la prostituée qui opère de chez elle par le biais d'internet, les prostituées des salons et les prostituées de luxe, il y a une diversité extrême de situations. Là encore, je suis choquée de l'amalgame.

Vous avez certainement entendu des femmes prostituées parler et affirmer haut et fort que, pour certaines, c'est réellement un choix. Même si c'est une minorité - en ne parlant que des prostituées françaises non contraintes par proxénète -, il existe des femmes qui ont fait ce choix. Je vous réponds donc que je ne crois pas que toutes les prostituées soient des victimes absolues.

Les chiffres donnés dans les différents rapports élaborés, tant au Sénat qu'à l'Assemblée Nationale, montrent que les prostituées qui ont fait appel aux services sociaux ont fait état, pour près de 80 % d'entre elles, de chocs, de traumatismes d'ordre divers. Il ne s'agit pas là de l'ensemble des prostituées, mais de celles qui font appel aux services sociaux, justement parce qu'elles sont fragilisées.

Et nous voilà confrontés à un problème extrêmement difficile à résoudre du point de vue politique, car il me paraîtrait juste de préserver la liberté de toutes ces prostituées. Cela veut dire libérer les prostituées qui sont objets de trafic - et qui sont, elles, véritablement dans l'esclavage - de leur proxénète, première tâche ; et, deuxième tâche, respecter la liberté des autres. Ces deux opérations, extrêmement difficiles à concilier - j'en ai conscience - me semblent l'impératif le plus juste à poursuivre aujourd'hui.

J'ajouterai que j'en ai assez que, lorsque les prostituées s'expriment, elles ne soient pas crues. C'est toujours le même leitmotiv, le discours des abolitionnistes purs et durs, que j'ai pu entendre à l'UNESCO, qui consiste à dire : "Si les prostituées vous disent cela, ne les écoutez pas. Elles ne pensent pas ce qu'elles disent." J'estime que c'est un mépris insupportable pour ces femmes !

D'ailleurs, tout le débat que nous avons aujourd'hui aura pour effet premier une stigmatisation des prostituées comme on n'en aura pas vu depuis le XIXème siècle, car l'effet premier de tous ces débats publics et du discours moralisateur que l'on entend ici ou là, qu'il soit le fait de la droite traditionnelle ou de la gauche bien-pensante, est de donner de la prostitution une image encore plus dégradée qu'elle ne l'avait. Je trouve cela très grave.

Si l'on essaie de distinguer ces deux types de prostitution, il est un point sur lequel nous sommes absolument tous et toutes d'accord : pour commencer à résoudre le problème, la première action à engager est une chasse sans merci aux proxénètes et aux mafieux.

Je me suis renseignée et il semble que les moyens mis à la disposition de cette lutte soient ridicules. Démanteler des réseaux proxénètes implique des moyens que l'on n'a jamais mis. Tous demandent pourquoi, au fond, on ne met pas le "paquet" contre ces proxénètes. J'aimerais que l'on réponde à cette question. Vous avez vu, comme moi, derrière le Bus des Femmes, les grandes voitures des proxénètes qui attendent les filles terrorisées, des femmes qui n'ont le droit d'y monter que cinq minutes. Si vous et moi les voyons, la police doit bien les voir, d'autant que ces voitures sont assez remarquables. Cela pose question.

Donc, à mon sens, le premier acte, c'est la lutte contre le proxénétisme.

Mais il faut aussi des mesures d'accompagnement pour sortir ces filles de l'état dans lequel elles sont. Je ne pense pas, par exemple, qu'il soit digne, ni efficace de décider que les jeunes femmes qui auront participé à l'arrestation ou au démantèlement des réseaux mafieux puissent être mises dans un avion et renvoyées dans leur ville d'origine. Ce n'est pas digne ; il me semble que ces jeunes femmes devraient avoir le choix de rester en France.

Cela dit, ne soyons pas à notre tour idéaliste. Si l'on proposait à ces jeunes femmes de rester en France pour recevoir une formation, il faudrait être utopique pour penser qu'elles accepteraient toutes une formation qui fasse d'elles des femmes payées au SMIC. Je suis convaincue que nombre d'entre elles se diraient qu'elles gagnent bien mieux leur vie sur le trottoir, surtout sans proxénète. Arriver à les convaincre toutes d'arrêter la prostitution me semble assez irréaliste.

Un certain nombre d'entre elles voudra rentrer, mais un nombre plus important encore voudra rester pour gagner de l'argent et l'envoyer au pays. Le démantèlement des réseaux mafieux ne résoudra pas tout le problème. Les jeunes femmes de l'Est que vous avez dû rencontrer avouent très franchement, pour certaines d'entre elles, qu'elles sont venues en sachant très bien ce qui les attendait. Elles ont pensé qu'elles pourraient, dans l'immense misère où sont leurs familles dans leur pays d'origine, les aider à vivre.

Concernant les positions adoptées par certains pays d'Europe : le prohibitionnisme à la suédoise, et bientôt le Danemark, et le réglementarisme de l'Allemagne, des Pays-Bas et de l'Autriche, mon avis est que ces deux systèmes me semblent avoir, tous deux, des avantages et des effets pervers.

L'avantage du système suédois est de crier haut et fort à toute l'Europe : "Nous sanctionnons la prostitution". Cela n'encourage certainement pas les mafieux à aller s'installer d'abord en Suède. Cela n'annihile pas complètement la prostitution, d'après ce que j'en sais, mais il est vrai que ce système n'est pas un encouragement à la multiplication des réseaux mafieux.

Mais le prohibitionnisme, outre les principes sur lesquels repose cette position, me semble aussi avoir, plus pragmatiquement, des effets pervers. Le premier effet pervers, c'est que la prohibition de l'alcool n'a jamais empêché les gens d'avoir envie de boire et de s'en procurer.

Autrement dit, le prohibitionnisme engendre inévitablement la clandestinité. Or, la clandestinité est absolument désastreuse. Tout d'abord, elle fragilise considérablement les clandestines. Après tout, même si cela ne concerne qu'un petit nombre de femmes, c'est les placer en situation extrêmement délicate : clandestinité dans les rues, ce qui les repousse vers des endroits moins fréquentés ; impossibilité de se plaindre si elles sont agressées ; et autre inconvénient majeur, cela est extrêmement dangereux du point de vue sanitaire. Il n'y a plus personne, par exemple, pour venir distribuer les capotes. Vous avez été certainement stupéfaites, comme moi, de voir que le Bus des Femmes distribue à poignées ces préservatifs, les proxénètes n'en donnant pas aux prostituées. On imagine les conséquences : un danger sanitaire évident.

Cela signifie également le développement d'une prostitution cachée, en salons, par internet et téléphone rose, qui n'est absolument plus contrôlée.

Je vois donc un avantage et de nombreux inconvénients au prohibitionnisme.

En ce qui concerne le réglementarisme, je vois aussi des avantages et des inconvénients.

Le premier inconvénient du réglementarisme, c'est que si l'on dit que la prostitution est légale et que les filles ont des droits afférents à tout citoyen, il est clair que cela peut être un appel d'air pour les proxénètes mafieux qui auront le sentiment, à tort ou à raison - à tort, si j'en crois certains reportages que j'ai vus sur l'Allemagne - qu'ils peuvent venir s'installer. Cela ne va en aucun cas freiner l'esclavage des femmes.

Mais l'avantage du réglementarisme, c'est que donner des droits aux femmes qui se prostituent - pouvoir bénéficier de la sécurité sociale, de l'accès à l'hôpital, accéder à la possibilité d'une vie de citoyen normal -, c'est aussi la possibilité de se reconvertir ; or, l'une des grandes difficultés que rencontrent les prostituées françaises, c'est qu'il est très difficile de quitter la prostitution lorsqu'on n'a pas de bulletin de salaire, etc. Etre une citoyenne comme une autre ouvre donc des portes aux femmes qui ne veulent plus se prostituer.

Je trouve choquant qu'il n'en soit pas ainsi en France. Les prostituées sont de mon point de vue, des femmes comme les autres et pas des sous-créatures. Je trouverai donc normal qu'elles bénéficient des droits de tout citoyen. Elles paient des impôts, c'est normal ; elles devraient aussi avoir les droits de tout citoyen français. Cela me paraît moralement très important.

Devant ce qui semble encore très confus sur les effets des deux systèmes, il semble qu'il ne faut pas se précipiter dans l'un ou dans l'autre. Il n'y a pas le feu. S'il est urgent de régler le problème de l'esclavage et de lutter contre les proxénètes, en revanche nous avons le temps d'attendre de voir ce que cela donne ailleurs. Vous voulez légiférer maintenant sur les prostituées françaises, mais si vous pensez qu'il n'existe qu'une alternative prohibitionniste ou réglementariste, je pense que vous vous mordrez les doigts d'avoir pris une décision trop vite. Autant il n'y a pas une seconde à perdre pour lutter contre les proxénètes, autant il est bien tôt pour opter pour une des deux positions.

La position française jusqu'à l'arrivée de ces esclaves était plutôt raisonnable. Ce sont d'ailleurs les luttes menées par les prostituées il y a une vingtaine d'années, les procès faits aux proxénètes des Françaises depuis vingt ans qui ont eu cet effet. C'est l'une des raisons - même si ce n'est pas la seule, - pour laquelle il y a aussi des prostituées libres.

Je me demande si en optant précipitamment pour une solution ou une autre, nous n'allons pas agir trop vite. Encore que je ne sois pas pour une réglementation à l'allemande, je suis résolument pour que les prostituées sans proxénète aient tous les droits de citoyenne.

Les prostituées libres redoutent beaucoup le réglementarisme ; j'ai été intéressée de savoir pourquoi.

En fait, dans des hôtels comme les Eros Center à l'allemande, le tenancier leur envoie des clients et elles ne peuvent pas choisir. Dans la rue, - elles l'expliquent très bien - durant les deux ou trois minutes au cours desquelles elles négocient la prestation, elles se rendent compte à qui elles ont affaire, si l'homme avec lequel elles négocient est un pervers, un homme dangereux ou un homme comme tous les hommes. Et elles peuvent refuser. Je redoute que, si elles sont dans des hôtels Eros Center, elles redeviennent des femmes faisant de l'abattage. C'est, à mon avis, un handicap pour leur propre liberté.

Donner des droits aux prostituées serait aussi une solution positive dans la mesure où il n'y aurait certainement pas tous les problèmes de rue et de police des rues. A l'heure actuelle, les prostituées françaises ne peuvent pas, ou dans des conditions effrayantes, louer un appartement avec une collègue, parce que la personne qui leur louerait l'appartement serait dit proxénète. Pourtant, ce serait plus confortable pour elle, et elle ne serait pas dans la rue. La possibilité de louer un appartement est un droit de tout citoyen.

Donc, le réglementarisme présente des aspects, à mon avis, intéressants. Je comprends très bien qu'il n'est pas supportable pour des concitoyens d'amener le matin un enfant à l'école et de rencontrer partout des femmes qui tapinent, de voir des préservatifs usagés, des seringues et tout ce que l'on sait, jetés dans la rue. On ne peut pas non plus l'admettre. Il faut trouver une solution qui convienne à la fois à la police des villes et aux filles.

Mme Françoise de Panafieu : Nous ne sommes pas là pour chercher la bonne solution, mais la moins mauvaise, car si la bonne réponse existait, il y a longtemps qu'elle aurait été mise en œuvre.

Il y a un point dans votre discours, dont je n'ai pas bien saisi l'articulation. Vous avez dit dans un premier temps - et vous avez raison - que, dans certains pays, la prostitution est bannie. Vous avez énoncé les dangers d'une telle position, mais vous avez aussi souligné que c'est un moyen d'envoyer un signal à des mafieux qui, évidemment, n'ont pas le cœur à choisir ces pays en priorité pour s'y installer.

Puis, vous avez dit dans un second temps qu'il n'y avait pas urgence à légiférer sur ce point. Mais, voilà, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation telle que la France qui, par ailleurs, est la patrie des droits de l'homme et du citoyen, offre toute la panoplie de la prostitution : des enfants, des adultes, des hommes, des femmes, en appartement, en hôtel, en centre de relaxation, dans la rue... Et l'on voit bien que l'un des buts que recherche aujourd'hui le ministère de l'Intérieur c'est, avant même de légiférer, d'envoyer un signal très fort et de dire : "attention, nous ne plaisantons plus ; cette lutte est devenue une des priorités." Cela se ressent d'ailleurs déjà. La prostitution ne s'est certes pas estompée, mais les prostituées que l'on peut connaître disent que c'est bien moins rentable, en tout cas, bien plus difficile. En six mois.

On ne peut donc pas uniquement se cantonner dans l'immobilisme car, quand on envoie un signal, il faut que le train suive. On ne peut indéfiniment envoyer des signaux sans suite, parce qu'ils finissent par n'avoir aucun sens.

Mme Elisabeth Badinter : Je suis soucieuse de la liberté des prostituées volontaires. J'en suis soucieuse, mais je ne suis pas indifférente au problème social que cela pose.

De mon point de vue, le signal le plus fort et, me semble-t-il, le plus juste, ce n'est pas la sanction du client et de la prostituée, mais quelques procès bien "saignants", comme l'on commence à en avoir : les proxénètes dans le box, avec la presse et vingt ans de prison ! Cela, oui, me semble être le signal le plus juste !

Il y a déjà eu un tel procès à Toulouse. Entre parenthèses, vous êtes sûrement au courant du fait que la fille qui a dénoncé son proxénète n'a pas eu de papiers et qu'elle est maintenant à nouveau dans la rue, dans la clandestinité et dans un état épouvantable, parce qu'un des proxénètes, ou l'un des complices, a été acquitté et qu'elle n'est pas protégée. Cela me choque profondément.

Le signal fort, ce serait les proxénètes dans le box ! Je ne sais s'il faut réinventer un chef d'accusation pour ces proxénètes mafieux étrangers, pour ces esclavagistes, mais de bonnes condamnations me semblent être le signal le plus fort et le plus juste.

Pour s'attaquer à eux, il y a Europol. Car cela concerne toute l'Europe. Il y a en ce moment, à juste titre et l'on s'en félicite, une coopération contre le terrorisme en Europe qui, apparemment, fonctionne. Il me semble qu'une coopération similaire contre les mafieux proxénètes serait extrêmement efficace et juste.

Mme Christine Boutin : Pensez-vous que la réglementation supprimerait le proxénétisme ? Si cela ne le supprime pas, par voie de conséquence, quel statut social aurait les proxénètes de ces femmes qui auraient un bulletin de salaire ?

Mme Elisabeth Badinter : Normalement, le réglementarisme, tel qu'on le décrit en Allemagne supprime le proxénète, au sens propre du terme, qui est remplacé par un tenancier d'hôtel.

Je dois dire que je ne trouve pas cela convaincant du tout. C'est pour cela que je disais qu'il serait peut-être mieux venu, pour lutter contre le proxénétisme, que les jeunes femmes aient la possibilité de louer, absolument librement, un appartement. Elles paient des impôts, elles ont un statut de citoyenne.

Mme Christine Boutin : Il y a des voisins. Ce sera la même chose. Ils n'accepteront pas cette activité.

Mme Elisabeth Badinter : Il y a eu beaucoup de rues dans Paris, comme ça. Je ne citerai que la rue Saint-Denis où, aujourd'hui, on trouve des filles sans proxénète qui montent dans des appartements...

Mme Christine Boutin : Je suis d'accord avec ce que vous dites. Ma question est plutôt la suivante : on donne tous les droits aux prostituées, en respectant le principe de liberté. Je peux comprendre cette position intellectuelle même si, personnellement, je ne partage pas totalement votre point de vue. Si l'on va jusqu'à leur donner un bulletin de salaire, quel sera le statut du tenancier, du proxénète ?

Mme Elisabeth Badinter : Je ne peux vous répondre. Je me pose la question en même temps que vous : en fonction des impôts que l'on paie, ne peut-on avoir un certain nombre de droits par le biais des impôts ? Des bulletins de salaire, il faut des gens pour les délivrer, cela me semble dangereux.

Mme Christine Boutin : Oui, le proxénète devient l'employeur de la prostituée. On établit un contrat de travail. Cela me semble absolument impossible.

Mme Elisabeth Badinter : Mais en ce moment, il existe des prostituées sans proxénète.

Mme Christine Boutin : Mais moi, je parle de celles qui ont des proxénètes.

Mme Elisabeth Badinter : Vous parlez donc des filles de l'Est.

Mme Christine Boutin : Oui, mais aussi des Françaises.

Mme Elisabeth Badinter : Les Françaises dans leur grande majorité sont sans proxénète.

Mme Christine Boutin : Je parle de celles qui ont un proxénète. Il est vrai qu'aujourd'hui, ce sont plutôt les étrangères, mais dans le principe de la réglementation et d'un bulletin de salaire qui serait donné pour l'activité de prostitution, ipso facto, le proxénète devient un employeur.

Mme Elisabeth Badinter : Je suis de votre avis. C'est pour cela que je me demande s'il ne faut pas trouver un autre moyen que le bulletin de salaire pour leur donner accès à tous les droits normaux.

Mme Françoise de Panafieu : Rien ne les empêche d'exercer une activité libérale.

Mme Christine Boutin : Bien sûr, mais je parle de celles qui dépendent d'un proxénète. Si l'on se place dans l'hypothèse d'un bulletin de salaire, si la prostituée dépend d'un proxénète, celui-ci devient l'employeur... ou alors il faut inventer autre chose.

Mme Elisabeth Badinter : Mais il faut peut-être procéder dans l'ordre : la priorité des priorités, c'est la lutte contre les proxénètes.

Mmes Christine Boutin et Françoise de Panafieu : Tout à fait d'accord.

Mme Elisabeth Badinter : Si les prostituées françaises n'ont pas de proxénète dans leur immense majorité, c'est dû à la lutte très forte qu'elles ont menée contre les proxénètes et, en plus, au fait que la prostitution rapporte moins que la drogue et les autres trafics.

Je pense qu'il faut engager en priorité une guerre à outrance contre ces esclavagistes. C'est pourquoi, je ne comprends pas que cela n'apparaisse pas comme la priorité dans le projet de loi qui va vous être présenté.

Mme Françoise de Panafieu : Ces deux priorités sont pourtant clairement affichées : le rétablissement de l'ordre public et la lutte contre les réseaux mafieux.

Elue de la Porte de Clichy et de la Porte de Saint-Ouen où nous avons eu la tristesse de voir débarquer les prostituées étrangères dès 1997, je constate que, depuis mai 2002, treize réseaux mafieux ont été démantelés. Quand on sait ce que représentent ces filatures, nous constatons que la lutte contre les réseaux s'est accélérée. J'ai assisté au démantèlement de deux réseaux mafieux dans ma circonscription, alors que je n'avais jamais assisté à ce genre d'opération par la police dans mon arrondissement. On voit donc bien, que le Gouvernement accélère la lutte contre les réseaux mafieux.

Quand M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales, va en Roumanie rencontrer le Premier ministre roumain et son homologue, c'est pour leur demander combien il doit leur envoyer d'hommes pour lutter contre les réseaux mafieux in situ, c'est-à-dire chez eux.

Non seulement, il veut augmenter les effectifs de l'Office de répression de la traite des êtres humains, l'OCRTEH, qui s'élèvent aujourd'hui à quatorze personnes pour lutter sur tout le territoire national, mais de plus, il va envoyer ses hommes sur place pour collaborer avec la police locale à la lutte anti-mafieuse en Roumanie et, demain, en Bulgarie.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et en Albanie.

Mme Françoise de Panafieu : Et en Albanie, en effet. Mais la Roumanie et la Bulgarie sont extrêmement présentes en ce moment.

Les proxénètes, on le sait, n'exercent plus leur activité sur notre territoire, mais à partir de chez eux. C'est en dérangeant leur réseau, c'est-à-dire en intervenant malheureusement sur les victimes que sont les jeunes femmes, qu'on les fait sortir de chez eux.

Mme Elisabeth Badinter : Pour engager une lutte efficace contre le proxénétisme, avec toute la médiatisation nécessaire, il faut que l'on sache jusqu'au bout de l'Europe qu'en France, quand on est proxénète mafieux, on n'est pas le bienvenu.

Mme Françoise de Panafieu : Ils le savent. Jusqu'à l'an dernier, ils étaient chez nous. Aujourd'hui, ils utilisent des relais. Parmi les femmes qu'ils prostituent, certaines deviennent Kapo, si je puis dire, et ils utilisent aussi des relais genre "Julot casse-croûte", comme dit la police, c'est-à-dire le Français qui est toujours à la recherche de 2 000 francs. Ils ne viennent plus sur notre territoire national, parce qu'ils savent que c'est dangereux. Ils exercent leur activité de leur pays d'origine. C'est assez récent ; cela se constate depuis huit mois à peu près.

M. Jean-Marc Lefranc : Vous parliez de sanctions exemplaires, mais nous avons vu des procès exemplaires, par exemple, dans le domaine de la drogue. Est-ce pour autant qu'il n'y a plus de trafic de drogue ?

Je crois que la prostitution ne devrait pas être prohibée, mais organisée, contrôlée, sécurisée. Pour moi, l'enjeu est là. Etant élu de province, je connais mal ces problèmes. Néanmoins, quand je vois ces femmes sur le trottoir et que je vous entends dire qu'elles ont la liberté de choisir, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Quand vous voyez les conditions dans lesquelles elles travaillent, je ne suis pas certain qu'elles aient une liberté totale.

Mme Elisabeth Badinter : Elles n'ont peut-être pas une liberté totale, parce qu'il y a des impératifs économiques, mais quand elles sont à l'intérieur d'une maison et qu'on leur envoie un client toutes les demi-heures, c'est vraiment de l'abattage. Quand elles sont dehors et indépendantes, elles peuvent refuser.

M. Jean-Marc Lefranc : S'il existe des structures adaptées, ciblées et sécurisées, elles sont moins en danger.

Mme Elisabeth Badinter : Je n'ai pas rencontré une seule prostituée qui trouve que ce soit une solution.

M. Jean-Marc Lefranc : Dans tous les secteurs d'activité, il faut réglementer l'arrivée de la main-d'œuvre étrangère, quelle qu'elle soit.

Mme Elisabeth Badinter : C'est autre chose.

M. Jean-Marc Lefranc : Cela en fait partie.

Mme Nathalie Gautier : Je suis un peu surprise de votre position, si ce n'est choquée. Je reste, pour ma part, sur une position qui me paraît simple, humaine et crédible : la prostituée, le prostitué, est une victime.

J'en aurai pour preuve mes conversations avec des médecins légistes intervenant en milieu hospitalier à la suite de viols ou d'incestes. Ils me répétaient encore vendredi dernier que la plupart des femmes qui se livrent à la prostitution ont été victimes de sévices sexuels durant leur enfance.

Cela me conforte dans mon malaise à vous entendre dire qu'il y a un libre choix de la prostitution. Il est vrai que la prohibition est sans doute un objectif à long terme, un idéal, et que les étapes pour y parvenir seront certainement longues et difficiles, mais je préfère cette position à celle qui tend à dire que ces femmes sont libres.

Vous introduisez, en plus, une très nette différence entre les prostituées étrangères - ces inconnues débarquées sur les pavés de nos grandes agglomérations ces dernières années - et les Françaises qui disent, effectivement, lors des interviews qu'elles veulent la reconnaissance de leurs droits. Cette distinction me rend un peu mal à l'aise.

En revanche, je partage tout à fait votre avis sur la lutte contre les réseaux mafieux. Je pense cependant que les prostituées qui dénoncent aujourd'hui leurs proxénètes sont très peu protégées et qu'une femme prostituée qui dénoncerait ses proxénètes court un très grand danger. Il y a de nombreux cas où, quand ce ne sont pas elles qui sont victimes de violence, ce sont leurs enfants ou leur famille.

Mme Elisabeth Badinter : Vous avez une position philosophique éminemment respectable, celle de vouloir supprimer la prostitution, parce que vous ne pouvez la penser qu'en terme de victime. D'ailleurs, aujourd'hui, on ne pense tous les grands sujets qu'en terme de victimisation.

Vous considérez que je fais un distinguo entre les Françaises, qui seraient libres, et les étrangères qui seraient esclaves, alors que j'ai commencé cette audition en disant qu'il existe de multiples situations.

De plus, je pense que la sexualité, puisqu'il faut en parler, est un comportement d'une complexité incroyable. Chez les femmes comme chez les hommes, il y a de multiples éléments d'ombre dans la sexualité, que l'on ne peut rayer d'un trait.

L'activité de prostitution vous semble peut-être dégoûtante, répugnante. L'idée est souvent reprise que, pour en être là, il faut être dans une détresse totale. Sinon, on ne peut comprendre. Que l'on puisse se prostituer volontairement, c'est absolument incompréhensible, sauf... si ce sont des femmes victimes !

Je rappelle tout de même que des femmes plongées dans une grande misère économique, par exemple, ont toujours la liberté négative de ne pas être prostituée et d'accepter des travaux peut-être autrement plus durs. Il n'y a certainement pas une liberté positive de la prostitution, mais il y a probablement une liberté négative ; il y a des femmes avec trois enfants, dans une misère noire, qui seront au SMIC ou au quart de SMIC, mais ne seront pas prostituées. Puis, il y a des femmes qui ne sont pas forcément dans une misère noire, qui choisissent ce métier, ou cette activité, alors qu'elles pourraient sans doute gagner leur vie autrement, mais moins bien. Ce ne sont pas forcément des femmes qui ont été violées, "incestuées", etc.

L'idée que l'on puisse, par "idéal", supprimer la prostitution me paraît totalement irréaliste. De plus, je n'ai pas la même idée que vous de la prostitution. A mes yeux, ce n'est pas l'activité dégradante que l'on dit. Ma position est sans doute minoritaire, mais je ne suis sûrement pas la seule à le penser. On a raison de dire que personne ne souhaite que sa fille soit une prostituée, ce qui prouve que ce n'est pas un métier comme les autres. Je le reconnais volontiers. Mais, par ailleurs, si, c'est le choix de certaines femmes... Tout le monde n'est pas obligé de se prostituer pour survivre. Même si des médecins vous disent que la plupart du temps, il s'agit de femmes ayant été victimes sexuellement dans leur enfance, il faut être honnête et reconnaître qu'ils s'appuient sur des statistiques tronquées, réalisées à partir de femmes qui ont, effectivement, de graves problèmes et qui consultent. Ce n'est pas le cas de toutes les prostituées.

C'est pour cela que je reviens à cette position initiale : l'idée que l'on simplifie est une idée malhonnête. Il existe de multiples sortes de prostitution.

Mme Danielle Bousquet : Je suis moi aussi extrêmement mal à l'aise face à la position que vous avez défendue, en particulier sur la pseudo-liberté des femmes, qui leur donnerait toute latitude de décider d'être prostituée plutôt que femme de ménage ou caissière dans un supermarché - puisque c'est ainsi que vous l'avez formulé dans un article du Nouvel Observateur, au mois d'août.

Des associations qui travaillent depuis de longues années avec des femmes prostituées n'ont pas du tout la même analyse que vous. Je ne veux surtout pas que l'on puisse penser que nous sommes dans un domaine qui relèverait de la morale ou de la moralité ; ce n'est pas de cela dont il s'agit, mais de la dignité des femmes. Que l'on puisse porter atteinte contre de l'argent à la dignité d'un être humain, penser qu'un individu, en toute liberté intellectuelle et de conscience, fasse ce choix n'est pas le point de vue de nombre d'associations, dont le Mouvement du Nid, par exemple. Sans parler de violences ou d'incestes vécus dans leur enfance, les associations parlent, en tout cas, de femmes ayant eu un parcours de difficultés liées à un conjoint, un ami ou des parents violents sexuellement. Elles disent à quel point celles-ci présentent comme un choix délibéré ce qui a été une contrainte liée aux aléas de la vie, parce que, sinon, ce serait une trop grande dévalorisation de leur propre être. C'est une idée que je peux parfaitement entendre ; on est obligé d'affirmer que c'est sa liberté et son choix délibéré, sinon, c'est nier soi-même la propre estime que l'on peut avoir de soi.

Mme Elisabeth Badinter : Vous avez certainement raison. Je connais le Nid. Je connais aussi d'autres associations qui ne disent pas la même chose, ou qui, en tous les cas, ne généraliseraient pas. Il y a probablement des femmes prostituées qui pensent ainsi et qui, une fois sorties de la prostitution, ont dit qu'elles tenaient ce discours pour l'assumer le plus dignement. Mais, à mon avis, ce n'est pas généralisable.

Le Nid, qui a une vocation catholique, défend son point de vue sur la prostitution qui n'est pas forcément celui d'autres associations. La multiplicité de points de vue des associations reflète la multiplicité de points de vue des prostituées.

Mme Françoise de Panafieu : Il est vrai que la prostitution peut avoir des sources multiples.

Mettons de côté, la prostitution esclavagiste. En ce qui concerne les autres prostituées, il y a des femmes qui, par les aléas de la vie - enceintes à quinze ans, rejetées de leur famille, refusant l'avortement, voulant faire vivre leur enfant et lui assurer une vie digne et des études - trouvent dans la prostitution le moyen de répondre à une question brutale et matérielle. Il y a aussi des femmes qui ont un problème profond à résoudre. Souvent, c'est un départ négatif qui les a conduites vers la prostitution - par exemple, une mauvaise relation avec le premier homme de leur vie - ; elles ont alors besoin de les faire payer. J'en ai rencontré quelques-unes...

Le départ vers la prostitution est un départ toujours négatif, parce qu'il part sur une mauvaise relation à l'autre - un abandon, une mauvaise relation affective et sexuelle -, mais il peut aussi représenter un exutoire de quelque chose.

Mme Catherine Génisson : C'est toujours un exutoire.

Mme Françoise de Panafieu : Dans ce cas, de quel droit pouvons-nous nous substituer à la personne en prétendant que cet exutoire n'est pas le bon et que nous allons lui en donner un bon. Je ne vois pas de quel droit je détiendrais la vérité par rapport à une personne qui a une autre vérité que la mienne. C'est là que le travail du législateur trouve sa limite. Nous sommes là pour protéger les plus faibles, celles qui en ont besoin, mais nous n'avons pas le droit de substituer notre morale à celle des autres ; nous n'avons pas le droit d'imposer notre morale par la loi.

Mme Claude Greff : Chacun fait ce qu'il veut dans sa vie, mais pas n'importe où. C'est sur ce point que j'aimerais que le législateur légifère.

Je crois que l'on doit laisser le choix à l'être humain. Je ne parle pas de l'esclavagisme, bien sûr. Mais la morale doit aussi imposer certaines limites : en l'occurrence, celle de ne pas exercer ce métier n'importe où.

Les femmes qui ont fait ce choix involontairement n'auront plus la même facilité d'exercer. Ce sera un choix différent. J'insiste vraiment sur le lieu d'exercice.

Mme Catherine Génisson : Il est difficile d'avoir une position. Des contraintes leur ont été imposées par la vie ; c'est le fond du problème.

Mme Elisabeth Badinter : Personne ne choisit d'être à l'usine et d'y faire un métier très difficile. Ce n'est pas non plus un vrai choix.

Mme Catherine Génisson : C'est sans doute là que nous avons une différence d'approche. C'est tout de même un métier d'une toute autre forme, parce que, quelles que soient les difficultés que l'on peut avoir à l'usine, il n'y a malgré tout pas le même don de soi, cet investissement personnel, au plus profond de soi-même, comme celui qui est fait dans la prostitution.

Je suis d'accord avec vous pour dire que la sexualité est une matière très complexe et l'on rencontre d'ailleurs actuellement tout un courant intellectuel qui met en évidence les pratiques sexuelles complexes de personnes qui ont envie, en plus, de les exhiber. Mais ces personnes ne font pas commerce de leur corps.

Je n'arrive pas à être persuadée, alors que je comprends toute une série de raisons et de faisceaux de raisons qui peuvent conduire des femmes à faire ce métier, que ce soit un choix délibéré au départ.

Mon propos n'est pas de dire que c'est bien ou mal. Cela va plus loin que la morale. Je n'arrive simplement pas à me mettre dans la tête que l'on puisse pratiquer, c'est-à-dire tirer de l'argent, des revenus, organiser sa vie sociale, sur le fait de vendre son corps.

Mme Elisabeth Badinter : Je trouve bien pire la stigmatisation dont les prostituées sont l'objet que la location de leur corps. Elles disent bien que ce qui est abominablement douloureux pour elles, c'est que leur métier, comme je le lisais ce matin dans Elle, soit celui de la femme maudite, de la "femme de rien"...

Quand on dit que c'est dégradant...

Mme Catherine Génisson : Ce n'est pas ce que j'ai dit.

Mme Elisabeth Badinter : Je ne dis pas que c'est ce que vous venez de dire, madame. Je dis que c'est ce que j'entends partout : on dit que c'est dégradant et impensable, qu'il faut vraiment y être contraint pour le faire. Cela signifie que la prostituée ne vaut pas plus que le bout de ma chaussure.

Mme Catherine Génisson : C'est pour cela que je me suis insurgée que l'on parle uniquement de morale en la matière. C'est beaucoup plus complexe que cela.

Mme Béatrice Vernaudon : J'ai été pendant longtemps assistante sociale. Je suis contente que nous ayons un débat sur ce sujet, en raison des dimensions que revêt ce phénomène actuellement en France. Je suis d'accord avec vous pour dire que l'urgence est la lutte contre les réseaux mafieux et qu'effectivement, des procès "saignants", pour reprendre vos termes, sont nécessaires.

Je suis, pour ma part, favorable à l'abolition de la prostitution, mais à moyen et long terme. Les choses ne peuvent se faire du jour au lendemain. Il reste tout un travail d'éducation et de prévention à faire.

Et surtout, il faut donner des moyens à toutes les associations qui travaillent auprès des prostituées, auprès des femmes en difficulté, car le moment le plus important est celui de l'entrée dans la prostitution. Souvent, c'est parce que l'on fuit un milieu familial menaçant, dans lequel il y a des menaces d'incestes et de violences, que l'on rencontre quelqu'un qui vous accueille et va vous introduire dans le réseau. Une fois là, vous êtes dans un monde à part, un monde où il y a de l'argent, et qui fonctionne selon d'autres critères. Vous avez alors beaucoup de mal à en sortir, parce que c'est un lieu où vous êtes reconnu, où vous existez, et la réinsertion est extrêmement difficile.

C'est pour cela qu'il faut donner aux associations les moyens de travailler avec les femmes qui commencent, qui sont dans la prostitution, mais qui résistent encore, qui n'en ont pas vraiment envie. C'est alors qu'il faut les aider, parce qu'ensuite, il est très difficile d'en sortir. Après, elles-mêmes choisissent de se prostituer, mais elles n'ont pas vraiment de choix, en fait.

Il nous appartient de prendre des décisions, de légiférer en ce sens. Il ne faut pas se précipiter vers des mesures trop rigides, parce qu'il y a une grande diversité de situations, mais, comme le disait Mme Françoise de Panafieu, ce projet de loi pour la sécurité intérieure cherche avant tout à lutter contre les réseaux mafieux.

En Polynésie, nous avons une autre forme de prostitution : celle des jeunes efféminés. Nous avons toujours eu une sorte de troisième sexe, mais, souvent, les familles ne supportent pas le regard des autres et quand un enfant devient efféminé, elles ont tendance à le chasser de la maison. Il retrouve alors la famille des efféminés de la rue, qui est liée à la grande prostitution.

Vous n'avez pas beaucoup parlé du client. Or, au cours de nos débats, nous avons abordé la prostitution en termes de relation hommes/femmes. J'aimerais vous entendre aborder cette question du rapport qui évolue entre l'homme et la femme.

Mme Elisabeth Badinter : Je n'ai pas travaillé sur la relation prostituée/client, qui est certainement un aspect très particulier des relations hommes/femmes.

Juste avant de parler du client, je ferai simplement remarquer que je comprends très bien votre position. Comme je le disais au début de cet entretien, si l'on arrive à tendre la main à une jeune femme qui est au bord de la prostitution, une occasionnelle qui, comme vous dites, "tombe" dans un réseau, on ne peut que s'en féliciter. C'est un travail d'association tout à fait important que d'aider des femmes qui n'ont pas envie d'entrer dans la prostitution, mais qui y sont poussées pour des raisons diverses.

Mais il ne faut pas non plus être dupe. On peut probablement en aider certaines, mais il en est d'autres qui n'auront pas envie d'avoir une vie au SMIC et qui iront dans la prostitution. Si des filles y sont poussées malgré elles, en raison de difficultés et si on peut les aider, c'est très bien. Mais il ne faut pas être dupe, ce ne sera qu'une partie d'entre elles. La société ne peut pas se payer le luxe d'assurer à toutes les femmes qui se prostituent ou commencent à se prostituer une vie épanouissante. Il n'y a pas de raison non plus qu'une prostituée, parce qu'elle est sortie de la prostitution, ait l'assurance d'une vie meilleure qu'une femme qui...

Mme Béatrice Vernaudon : Non, pas meilleure...

Mme Elisabeth Badinter : Non, pas meilleure ; elle aura une vie difficile hors de la prostitution faite de difficultés différentes, mais de difficultés aussi.

Mme Béatrice Vernaudon : Plus digne peut-être.

Mme Elisabeth Badinter : J'imagine que toutes ne seront pas prêtes à le faire. On vous donne une formation, mais ce n'est pas une formation d'énarque... C'est pour cela que je reviens à l'idée du choix.

Deuxièmement, en ce qui concerne la relation client/prostituée, très franchement, je ne vois rien à redire aux hommes qui proposent de l'argent à une femme, si celle-ci veut bien lui donner des prestations contre son argent. Cela ne me choque en rien. Je suis sûre que j'en choque plus d'une en disant cela, mais, personnellement, cela ne me choque pas. Ce qui est abominable, c'est la contrainte, c'est l'usage de la force. Mais qu'un monsieur ou une dame, même si c'est plus minoritaire, veuille acheter des services sexuels, pourquoi pas ? Elles proposent, le client dispose.

Il y a une chose dont nous n'avons pas parlé et qui est relativement éclairante, c'est la prostitution masculine, parce que tout le monde sait que cette prostitution se fait sans proxénète. C'est indiscutable. Elle ressemble à ce que vous avez dit sur la Polynésie. Pour beaucoup, ce sont des homosexuels travestis et transsexuels, le genre queer, comme disent les Américains. Cela représente une grande part de la prostitution des grandes villes, même si ce n'est qu'un quart ou un cinquième. On n'en parle jamais et, eux, sont sans proxénète. Or, vous allez légiférer pour elles et eux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je pense qu'il était nécessaire que nous ayons votre point de vue. Cela nous permet d'avancer dans notre réflexion sur cette question extrêmement difficile.

Mme Elisabeth Badinter : En tout cas, tout le monde est d'accord pour lutter contre les proxénètes. C'est déjà un point acquis.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait. Nous vous remercions.

*

* *

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Françoise de Panafieu, maire du 17ème arrondissement de Paris.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mme Françoise de Panafieu a été concernée par le problème de la prostitution avant nous, députées de circonscriptions de province. Aussi ai-je souhaité qu'elle vienne nous livrer son point de vue, qu'elle nous dise surtout si le projet de loi pour la sécurité intérieure constitue une réponse à la prostitution ou, du moins, comment cette question si difficile à traiter peut trouver des réponses favorables dans le nouveau projet de loi qui sera débattu à l'Assemblée nationale au mois de janvier prochain.

Mme Françoise de Panafieu : C'est mon rôle d'élue locale qui m'a amenée à me pencher sur la question de la prostitution. Vous le savez, depuis 1997 et, plus singulièrement, depuis 1999, la donne a beaucoup changé avec l'arrivée de la prostitution étrangère, Portes de Clichy, de Saint-Ouen et de Montmartre, territoire du XVIIème arrondissement, dont j'étais l'élue législative et dont je suis aujourd'hui le maire.

A l'époque, j'écrivais un livre intitulé Ne jetez pas la démocratie avec l'eau du bain, à la demande de Nicole Lattes. Un jour, déjeunant avec elle pour parler du livre, j'ai explosé. Je sortais d'une réunion à l'hôtel de ville où tous, préfet de police, représentants de la justice et autres, assuraient que tout allait bien, alors que je voyais le problème aller en s'amplifiant. J'avais beau essayer de le dénoncer, j'avais l'impression de prêcher dans le désert. J'ai donc explosé et Nicole Lattes m'a dit que je ne pouvais pas ne pas écrire un chapitre sur le sujet, parce qu'au fond, personne n'avait conscience de ce qui se passait et que c'était mon rôle d'élue locale.

J'ai donc écrit, en 1998, un chapitre, dont je ne retirerai pas une seule ligne aujourd'hui, dans ce livre publié en 1999.

Puis, ayant l'impression que le problème n'était toujours pas pris en compte, en octobre et novembre 2000, j'ai posé deux questions au Gouvernement. M. Daniel Vaillant, alors ministre de l'intérieur, a répondu à la première et, la réponse ne m'ayant pas satisfaite, j'ai récidivé en novembre. Mme Marylise Lebranchu, alors Garde des sceaux, m'a répondu sur l'aspect européen du problème. A ce sujet, nous serions bien inspirés de demander aux pays membres ou en voie d'adhésion à l'Union européenne, de bien vouloir adhérer à la Convention de Palerme. Cela constituerait déjà un progrès.

Il faut prendre conscience que les mentalités ont beaucoup évolué sur le sujet en peu de temps. Il faut aussi savoir que, lorsque se pose sur le terrain un tel problème, on se rend compte du décalage incroyable existant entre notre perception du problème - nous le voyons aller s'amplifiant -, et sa perception au niveau national. Il n'est pas étonnant qu'il faille deux à trois ans. Nous savons ce qui va se produire, mais nous avons du mal à faire passer le message.

En quelques années, les mentalités ont beaucoup évolué. Ainsi, en 1998, alors que le Bus des femmes était la première association à circuler sur les boulevards des Maréchaux, j'avais demandé à Mme Claude Boucher, sa présidente, à venir dans le Bus, ce qu'elle accepte volontiers aujourd'hui. A l'époque, il n'en était pas question, parce que, pour un acteur étranger, entrer dans le Bus, était considéré comme du voyeurisme.

De même, avant de poser les questions aux ministères, j'avais demandé à mon groupe politique s'il était possible de les poser. Au mois d'octobre, il m'avait été fortement suggéré de ne pas le faire, car c'était un sujet sur lequel je risquais les quolibets. J'ai voulu le faire malgré tout et, j'ai placé mon intervention sous l'angle de la traite des êtres humains. C'est ainsi qu'elle a été acceptée et que même des hommes sont montés au créneau pour prendre toute leur part dans ce débat - ce qui est bien normal. Mais c'est dire si les mentalités ont évolué.

C'est un débat qui, par le biais de la traite des êtres humains, est devenu un débat national, intéressant les hommes et les femmes de toutes les générations. Mais il a fallu un peu de temps pour cela. Je voulais citer ces deux points pour vous montrer combien la route parcourue a été importante en deux ou trois ans ; aujourd'hui, tout le monde se sent concerné par ce problème.

Je ne reviens pas sur la situation actuelle, nous la connaissons tous, ainsi que la façon dont elle a évolué. Mais il est temps de trouver la manière de parer à cette situation que nous connaissons car, aujourd'hui, nous offrons toute la panoplie de la prostitution : garçons et filles, enfants et adultes, en appartement et en centres de relaxation. Nous avons, bien évidemment, la prostitution de rue, les hôtels compréhensifs. Le tout est de savoir si on l'accepte ou pas, et si oui, jusqu'où on accepte. C'est ainsi que se pose le problème.

Je répète que je ne suis pas une spécialiste ; c'est vraiment en tant qu'élue de terrain que j'ai été amenée à prendre plusieurs fois la parole sur le sujet. Je voudrais tout de suite clore un débat qui est celui des maisons closes. Ce débat est arrivé à l'occasion d'un article paru dans le Journal du Dimanche, où Marie Guenet, une très bonne journaliste que je connais bien, m'a posé à la fin de l'interview la question de savoir qu'elles étaient mes trois priorités en tant que députée. J'ai cité, entre autres, la lutte contre la prostitution. Elle m'a alors demandé si j'étais favorable à la réouverture des maisons closes. C'était une question, à laquelle j'ai répondu : "Appelez cela maison close ou lieu géographiquement ciblé, nous ne devons nous interdire aucune piste de réflexion". Manquant de place au montage, elle a coupé sa question. Je suis donc devenue celle qui avait d'abord prononcé le mot de maison close, alors qu'en fait, je parlais, moi, de lieux géographiquement ciblés, non pour dire que j'y étais favorable, mais pour dire que j'en étais au début d'une réflexion qu'il fallait aborder avec le moins de tabous possibles.

Le but du Gouvernement actuel est triple. 

Il s'agit, tout d'abord, d'envoyer un signal très fort en direction des pays d'où nous vient cette prostitution esclavagiste, de telle sorte que ces esclavagistes sachent qu'en France aujourd'hui, on a de la peine à dormir quand on fait partie d'un réseau. Ce message me paraît passer assez bien aujourd'hui. La visite de M. Nicolas Sarkozy en Roumanie y a contribué. Actuellement, un travail identique est mené en Bulgarie et dans toute la région des Balkans ainsi qu'en Afrique, car une population prostituée africaine et des réseaux africains aux mécanismes très bien huilés sont apparus également.

Il s'agit ensuite de restaurer l'ordre public. Aujourd'hui, quoi que l'on pense de la prostitution, il n'est plus supportable d'être un habitant des quartiers où elle s'exerce. Ce n'est plus tolérable. On ne peut supporter d'être parent et de devoir demander à ses enfants, parce que l'on rentre dans le parking de son immeuble, de se glisser au fond de la voiture et de baisser les yeux pour qu'ils ne voient pas ce qui se passe à l'intérieur du parking. On ne peut supporter l'idée, quand on est à son travail, de savoir que son enfant va rentrer seul et peut-être se retrouver face à une prostituée en train d'exercer son activité sur le palier de l'immeuble où l'on habite ; un enfant qui va revenir seul et qui, par conséquent, intériorisera ce qu'il a vu, parce qu'il n'aura peut-être pas la possibilité d'avoir la discussion qu'il faut avoir dans ces cas-là avec un adulte. C'est impossible de l'admettre pour ses enfants. Mais ce n'est pas non plus très agréable pour des adultes qui sortent de chez eux et se trouvent agressés par un spectacle qui ne devrait pas avoir lieu dans la rue.

Enfin, il y a, bien sûr, la répression de la traite des êtres humains. Je place ces trois objectifs sur un pied d'égalité. Je pense à ces jeunes femmes, ces jeunes garçons, ces enfants qui, aujourd'hui, sont dans nos circonscriptions. On estime à environ 4 000 le nombre de mineurs aux mains de ces réseaux. Après leur avoir donné l'argent, ils disparaissent dans la nature et dorment sous nos ponts. Ils sont inapprochables, y compris par nos réseaux de travailleurs sociaux, qui les voient s'éparpiller comme des moineaux dès qu'ils commencent à les approcher.

On ne peut supporter que perdurent de telles situations sur notre territoire national.

Plusieurs volets sont à examiner : répression et prévention, car l'une ne va pas sans l'autre et il faudra bien les faire marcher de pair à l'Assemblée nationale ; on ne saurait se satisfaire de l'une sans l'autre.

En ce qui concerne la répression, il s'agit de mettre à mal et de forcer à sortir du bois des proxénètes qui, aujourd'hui, pour la plupart, exercent leur travail de proxénète à partir de leur propre pays.

Le travail effectué par le ministère de l'Intérieur porte ses fruits. Depuis janvier 2002, ce sont treize réseaux mafieux qui ont été arrêtés, avec toutes les difficultés que cela comporte puisque, généralement, ces réseaux sont composés de quatre à six personnes, souvent de la même famille. Vous trouvez ainsi un monsieur, sa femme, sa belle-mère, sa maîtresse, son beau-père, son père. Le réseau fait vivre une famille. Sept réseaux ont été stoppés depuis mai dernier. Les procès vont commencer à être instruits.

Il y a deux possibilités pour arrêter les proxénètes : ou l'on crée suffisamment de difficultés dans leur réseau pour les forcer à venir sur notre territoire national pour remettre de l'ordre ou, s'ils ne viennent pas en France, car ils savent qu'ils ne peuvent plus dormir tranquilles en France, il faut des discussions entre le ministre de l'Intérieur français et ses homologues pour obtenir d'envoyer certains de nos hommes démanteler les réseaux mafieux à l'intérieur même du pays étranger où ils sont installés, mais aussi pour passer des "contrats" avec ces Gouvernements étrangers, - roumains, bulgares et autres -, de telle sorte qu'une fois arrêtés, les proxénètes soient non seulement punis d'une sanction pénale, c'est-à-dire d'un temps de prison ferme, mais aussi qu'il y ait saisie de leurs biens.

J'insiste beaucoup sur ce point, car il faut savoir, par exemple, que le dernier réseau arrêté Porte de Saint-Ouen permettait à une famille de huit personnes de monter des chaînes d'hôtels dans leur pays d'origine, en l'occurrence la Roumanie. Avec une saisie immédiate des biens, on les met sur la paille.

Donc, prison et saisie. C'est déjà le cas pour la Roumanie ; il faut que cela le devienne aussi avec les autres pays. Cela passe par des contrats d'Etat à Etat, de ministère de l'Intérieur à ministère de l'Intérieur.

Les réseaux démantelés sont deux réseaux bulgares, un réseau de femmes sourdes-muettes, un réseau africain, un réseau tchécoslovaque, un réseau roumain, dont les proxénètes étaient des mineurs, un réseau européen agissant entre la Belgique et la France, ainsi que six réseaux roumains. Quarante victimes étaient dépendantes, dont cinq mineurs. Tels sont les chiffres à ce jour.

Je voulais les citer, car ils mettent en valeur plusieurs éléments.

Tout d'abord, il faut vraiment frapper sur ce proxénétisme étranger, qu'il sévisse à l'intérieur ou hors de nos frontières. L'Etat et le Gouvernement ont là un véritable rôle à jouer, qu'ils commencent d'ailleurs à bien jouer actuellement.

Ensuite, je vais évoquer le problème des personnes handicapées et des clients. Aujourd'hui, les clients ne sont passibles de sanctions que dans la mesure où ils sont pris en flagrant délit avec une mineure. Ce n'est pas suffisant. Il est absolument indispensable de mieux protéger les jeunes filles, c'est-à-dire de prendre en compte le fait qu'elles peuvent être enceintes, dans un état physique ou psychique requérant une aide ou des soins, qu'elles peuvent être également handicapées... la preuve en est, ce réseau dont je vous parlais constitué de sourdes-muettes, qui ne pouvaient dénoncer personne !

Un certain nombre de critères doivent être pris en compte et doivent rendre le client passible de peines et de sanctions lourdes. Cela me paraît indispensable si nous voulons protéger les jeunes filles.

Aujourd'hui, vous le savez, il est très difficile d'intervenir auprès d'elles parce que, par exemple, notre législation fait, depuis 1994, la différence entre racolage actif et racolage passif. Actuellement, sur le boulevard des Maréchaux - ce n'est pas vrai du bois de Boulogne -, entre la Porte d'Asnières et la Porte de Saint-Ouen, il n'y a aucun racolage actif. Si on ne regarde que la tenue vestimentaire, blue-jeans et tee-shirts sont de rigueur. Seule la tenue de la jeune fille permet de voir qu'elle n'attend pas seulement son bus.

Tant que subsistera cette différence entre racolage actif et passif, la police n'aura aucune possibilité d'intervenir correctement. L'intervention est importante pour deux raisons. Tout d'abord, elle permet d'intercepter les jeunes filles et de les mettre au moins périodiquement à l'abri - certes pas définitivement, mais de manière ciblée dans le temps. C'est ensuite l'occasion de faire des contrôles sanitaires et autres, qui ne sont pas forcément faits, tant s'en faut.

Cela permet de les soustraire quelque temps à ces réseaux mafieux et, évidemment, de leur permettre ultérieurement, et nous devons y arriver, de travailler avec la police, en dénonçant des personnes contre des papiers qui leur seraient délivrés et leur offriraient la possibilité de demeurer en France. Il n'est absolument pas question, après qu'elles aient dénoncé leurs réseaux, de les laisser à la frontière où elles seraient en danger de mort. Il faut pouvoir les protéger.

Mais je ne me fais pas beaucoup d'illusion. Quand on sait la difficulté que nous avons à parler avec ces femmes, je ne pense pas que beaucoup d'entre elles dénonceront. Elles sont terrorisées et ne croient pas que nous puissions les protéger. Non seulement, elles ont vécu tous les sévices que nous connaissons, mais elles sont tenues par les portables et lorsqu'on leur parle d'être libres, elles ne savent même pas ce que ce mot veut dire. Elles sont dans un pays dont elles ignorent la langue et la culture, tenues en alerte sur leurs mobiles par leur réseau. Tous les quarts d'heure, elles doivent rendre compte. Quand on leur dit le mot "liberté", elles ne savent pas ce qu'il signifie. Il est très difficile de communiquer avec elles. Avant d'arriver à les amener à dénoncer...

Après avoir parlé de la sanction qu'encourent le proxénète, le client et la prostituée, il est indispensable, vis-à-vis de cette dernière, d'aborder le volet réinsertion.

Je m'appuierai volontiers sur ce qui est réalisé actuellement pour les mineurs qui dépendent de réseaux et que nous rapatrions dans leur pays. Nous ne les relâchons pas dans la nature. Le ministère de l'Intérieur travaille conjointement avec les autres ministères - par exemple, Mme Dominique Versini a participé au dernier voyage de M. Nicolas Sarkozy en Roumanie pour étudier la question. Le Gouvernement est en train d'aider à monter des plates-formes ONG susceptibles de prendre le relais, d'emmener ces enfants à bon port et de les suivre une fois de retour au pays. Des ONG prennent ces enfants en charge en France et les confient ensuite à leurs homologues locales, puisque ce sont des plates-formes internationales, pour que l'enfant soit complètement accompagné.

Un dispositif identique pourrait être mis en place pour les prostituées, ce qui leur permettrait dans un premier temps d'être prises en charge par des services sociaux qui les aideraient à comprendre comment se réinsérer dans une vie "normale", puis, une fois le moment venu de repartir, confiées à une ONG locale qui poursuivrait cette prise en charge. Cet élément est capital et j'ai foi en cette idée.

Il faut également penser à toute l'aide que l'on doit apporter aux associations. Autant nous avons besoin du Gouvernement pour traiter le problème d'Etat à Etat, autant les villes peuvent jouer un rôle important pour apporter une aide aux associations qui permettent un soutien renforcé à des femmes, ou des hommes d'ailleurs, qui se sont trouvés en grande difficulté.

Soutien aussi à des associations qui favorisent la réinsertion et permettent la protection des prostituées, notamment contre les maladies sexuellement transmissibles. Je l'ai dit, dès 1998, dans mon livre : le Bus des femmes a été, pour la première fois, appelé au téléphone en 1998 par un client qui venait de relâcher une prostituée à la Porte d'Asnières ; elle était dans un tel délabrement physique qu'il avait refusé de la toucher et avait prévenu de manière anonyme l'association. C'était en 1998, nous sommes en 2002. C'est dire l'état dans lequel se trouvent ces femmes. Vous lisez dans vos journaux des articles sur la syphilis ou certaines MST qui ressurgissent, mais, en 1998, je l'écrivais déjà : nous voyions les prémices du retour de la gale, de la syphilis et d'autres maladies, que l'on croyait définitivement bannies de notre territoire national. Il y a donc une tâche également à remplir par l'Etat, en relais avec les associations, sur les maladies sexuellement transmissibles.

Il faut aussi procéder à la mise en place d'un dispositif de protection des prostituées qui coopéreraient avec nos services de police, pour les mettre en lieu sûr ; en fait, dans des lieux sûrs, et pas dans un lieu sûr, car si nous n'en avons qu'un, les proxénètes le connaîtront et ces personnes seront en danger, ainsi d'ailleurs que celles qui tiendront ce lieu.

Pour l'instant, quand elles acceptent de collaborer, elles sont cachées dans des couvents ou des lieux similaires, entourées de personnes qui acceptent de prendre le risque et qui n'en accueillent qu'une, de telle sorte qu'il soit impossible de retrouver sa trace. Seule la police sait où se trouve la personne.

Il faudrait, enfin, réactiver les services de prévention et de réadaptation sociale, créés en 1960, qui seraient jumelés aux commissions départementales de lutte contre les violences faites au femmes. Cela permettrait aux collectivités locales d'agir dans un cadre bien précis, sans surcharger notre législation de nouveaux textes.

Il est aussi extrêmement important de reconsidérer la formation et la sensibilisation dans les écoles, afin que les enfants puissent dédramatiser, connaître, savoir, ne pas tomber plus tard dans des pièges. Cela a été vrai pour l'avortement, c'est vrai aussi pour la prostitution : nous n'assumons pas correctement l'éducation des enfants dans ces domaines.

Un médecin, homme ou femme, en blouse blanche, auréolé d'une certaine autorité, doit être capable - et cela fait partie de sa vocation aussi - de parler à des enfants et des adolescents de ce qui se passe dans la rue. Rien n'est fait actuellement en ce qui concerne ce travail éducatif sur la prostitution.

Une campagne d'intérêt public verra le jour en 2003 pour la prévention de la prostitution et mettra chacun devant ses responsabilités. Je crois beaucoup aux campagnes nationales. Les moyens financiers sont engagés pour des affiches, des slogans. Elles responsabilisent les uns et les autres en s'appuyant sur des chiffres réels. Par le biais d'une campagne, des messages sont délivrés à la population qui peut réagir, quel que soit par ailleurs son statut personnel devant le problème posé. Cela me paraît très important. Je crois beaucoup aux campagnes d'intérêt public.

Telles sont les quelques pistes de réflexion que je voulais vous livrer et il faudra se garder, à chaque fois que nous interviendrons dans ce débat, d'être tout l'un ou tout l'autre, mais toujours l'un et l'autre : répression certes, mais aussi prévention. Car le but est également de permettre à ces jeunes personnes, qui se sont trouvées aux prises avec des réseaux mafieux, de sortir de ce circuit infernal et de revenir à une vie "normale", si je puis dire, qu'elles ont connue par le passé, car certaines n'avaient jamais pensé se retrouver sur un trottoir parisien ou européen.

Mme Nathalie Gautier : J'avais contacté quelques députées européennes au moment où beaucoup de prostituées étrangères sont arrivées puisque, dans l'agglomération lyonnaise, nous avons connu le même phénomène en 1998. Je pense que le phénomène est général. Que ce soit en Allemagne ou en Belgique, le phénomène doit être de même ampleur.

Savez-vous si une politique a été élaborée et des décisions ont été prises au niveau européen car, en regardant ce qui a été décidé par le Parlement européen, j'ai l'impression que l'on en reste à des vœux. C'est déjà une position claire de principe, mais y a-t-il eu d'autres avancées pour lutter contre ces réseaux ?

Mme Françoise de Panafieu : A ma connaissance, il n'y a eu aucune avancée. Il y a, il est vrai, des déclarations d'intention, mais rien de vraiment concret. C'est la raison pour laquelle j'évoquais la convention de Palerme. A partir du moment où vous faites partie ou souhaitez faire partie de l'Europe, il y a un minimum de règles à respecter ; parmi celles-ci, l'adhésion à la convention de Palerme devrait être nécessaire. Elle concerne la traite des êtres humains ; elle ne porte pas sur la prostitution elle-même. Il me semble que ce serait un tout premier pas. Puisque cette convention a le mérite d'exister, qu'au moins elle emporte l'adhésion des pays faisant partie de l'Union européenne.

Mme Patricia Adam : Vous avez parlé du démantèlement de réseaux de prostitution concernant des adultes. Mais des réseaux de prostitution enfantine ont-ils pu être démantelés ?

Mme Françoise de Panafieu : La prostitution enfantine, sous toute réserve, car je n'ai pas les chiffres exacts, a été montée par les mêmes réseaux que ceux qui utilisaient des jeunes femmes. Ils ont, dans un premier temps, fait venir des enfants pour piller les horodateurs et, quand ont été prises des mesures de sécurisation de ces appareils, ces enfants ont été mis sur les trottoirs par les même réseaux mafieux, que ceux trempant dans le trafic des femmes.

M. Martial Saddier : J'aurais deux remarques à formuler. Aujourd'hui, il y a une majorité de départements en France, dont le mien, la Haute-Savoie, où les gens ne se rendent pas compte du problème, parce qu'ils ne le vivent pas. Ils disent aux députés de province : "N'avez-vous rien d'autre à faire que de légiférer sur la prostitution ?".

En cela, l'idée d'une campagne nationale est assez séduisante, car elle permettrait de faire comprendre à l'ensemble de la population, surtout celle qui n'y est pas confrontée directement, l'ampleur du problème.

Ma deuxième remarque concerne ma commune, qui compte 30 % de logements sociaux, comportant des communautés étrangères. Aujourd'hui, lorsqu'il y a un manque de revenu dans un foyer, ces communautés cautionnent le fait que la mère se prostitue. Ce n'est pas montré du doigt, à partir du moment où la mère le fait pour nourrir la famille et les enfants. Le rôle des associations locales dans ces quartiers est donc essentiel, ne serait-ce que pour nous informer.

Mme Claude Greff : Dans tout commerce, sans client, vous ne pouvez pas tenir. S'il y a autant de proxénètes, de femmes, d'enfants et d'hommes proposés sur le marché, c'est que la demande est réelle et forte. Et il est vrai que plus il y aura d'offres, plus il y aura de demandes.

Mme Catherine Génisson : Pour rester dans la comparaison que vous faites, il faudrait vérifier s'il y a réellement une augmentation de la demande ou s'il n'y a pas un partage et un nivellement du revenu.

Je pense que les prostituées étrangères gagnent peut-être moins que ce que gagnent les prostituées françaises. Mais cela demande vérification.

Mme Françoise de Panafieu : Ne jugeons pas le client. Néanmoins, je pense que le fait d'augmenter les peines, d'étendre le champ d'application de la pénalisation du client, puisqu'il ne s'agit plus maintenant seulement des prostituées mineures, mais également de personnes malades, en souffrance psychique ou physique, a fortiori handicapées, met des freins, des entraves.

En ce qui concerne le domaine européen, pour que les textes entrent en vigueur, il faut qu'ils soient ratifiés par quarante pays. Or, pour l'instant, la convention de Palerme de 2000 n'a été ratifiée que par vingt-six pays. Il en manque donc quatorze.

Mme Danielle Bousquet : A propos de la demande et du client, on observe effectivement que, de cette demande du client, naissent des vocations de proxénètes et qu'ensuite, des femmes et des hommes sont mis sur le trottoir. On peut donc se demander s'il ne serait pas utile de s'intéresser également au client.

Vous répondez que l'on s'y intéresse, puisque l'on parle maintenant de sanctionner le client de prostituées en état de dépendance. Ne risque-t-on pas, cependant, de voir s'exercer un arbitraire total, ou tout au moins relatif, de la police : qui déterminera en effet qu'une prostituée est en état de fragilité ?

Ne pourrions-nous envisager, pour avoir une vision plus large de la question, qu'au lieu de nous fixer sur le trio client-proxénète-prostituée, nous partions du postulat suivant : la société doit dire non à la prostitution ; il faut poser une limite ; la prostitution n'est pas acceptable par une société humaniste.

Une fois posé cet interdit et dès lors que le client contrevient à ce diktat de la société, il doit réparer. Et c'est la forme de la réparation qui est, ensuite, discutable : soit une journée de pénalisation, - mais je ne suis pas sûr que cela emporte l'adhésion -, soit une journée ou deux de sensibilisation sur ce qu'est la prostitution et sur ce qu'il a fait en achetant des services. Je ne sais pas sous quelle forme cela peut se faire mais, en tout cas, on met le client devant la responsabilité qu'il a prise en achetant les services d'une prostituée. Les modalités restent à découvrir, mais nous pourrions, me semble-t-il, avancer dans ce sens et ne pas considérer que le client est neutre dans l'affaire. Il ne l'est pas.

Mme Françoise de Panafieu : Non, il ne l'est pas mais, sans être une spécialiste, il se trouve que, pour les raisons que j'ai rappelées qui m'ont conduite à travailler sur cette question, j'ai été en rapport avec des hommes qui font appel à des prostituées, avec lesquelles d'ailleurs ils peuvent avoir des relations "humaines". Je pense particulièrement à deux hommes qui ne faisaient pas appel à l'esclavagisme, mais allaient dans des endroits précis où l'on offre une bouteille avant, etc. Il y a tout un code... Ils disent qu'ils avaient des problèmes affectifs forts liés à la mère et qu'ils ne savent pas comment ils s'en seraient sortis s'ils n'avaient pas eu la chance de rencontrer une prostituée avec laquelle, d'ailleurs, ils sont liés, car ils n'en changent pas chaque semaine.

Nous sommes dans des villes qui permettent un certain anonymat, mais il faut aussi prendre en compte qu'une majorité de Françaises et de Français vivent dans de petites communes et qu'il ne faut pas les désigner à la vindicte populaire.

Je ne suis pas spécialiste, je suis venue vous apporter mon témoignage car je suis une femme de terrain. Je me sens incapable de répondre de manière éclairée ; peut-être faudrait-il s'adresser plutôt à des interlocuteurs socio-médicaux.

Autant, je suis choquée par cet homme qui prend une femme dans la rue et la dépose Porte d'Asnières parce qu'elle est dans un état sanitaire effroyable, qu'il a peur d'attraper la syphilis et le signale, quand même heureusement, à l'association, autant dans le cas de ces deux hommes qui avaient demandé à me rencontrer, je n'avais affaire ni à des pervers, ni à des malades, mais à des personnes qui avaient eu ce besoin de recourir à la prostitution. Un jour, dans leur vie, il y avait eu une déchirure non assumée qui les poussait à avoir les relations sexuelles dont ils avaient besoin avec des femmes qu'ils trouvaient à la fois très compréhensives et agréables.

Mme Catherine Génisson : On peut se demander s'il est normal que, pour ces personnes à problèmes, une femme soit la thérapeutique.

Mme Patricia Adam : Etant assistante sociale d'origine, il m'est arrivé de travailler avec des prostituées. J'en ai rencontré certaines, avec des problématiques très différentes de l'une à l'autre.

Une question me tracasse : ce sont les bars à hôtesses. Je suis élue de Brest, un port militaire, où les bars à hôtesses ont toujours existé. Vous pouvez demander à n'importe quel homme et même à n'importe quelle femme dans la rue, ils savent où ils sont.

Je m'inquiète que l'on n'en parle pas, parce qu'ils sont vecteurs de toute une prostitution "légalisée" et que, depuis quelques années, ils évoluent. Il y a cinq ans encore, on n'en parlait pas. Le bouche-à-oreille fonctionnait, on savait si on voulait savoir. Aujourd'hui, c'est devenu public, affiché, voire dans la presse, par le biais d'un certain nombre de scandales, mais aussi par le discours général, la possibilité d'en parler au niveau national. A travers ces bars à hôtesses, il y a aussi une image, une banalisation de la vente de la femme. Quand on entend des jeunes filles aujourd'hui, on va dans un bar à hôtesses comme si on allait dans une boîte de nuit. Je schématise à peine.

C'est tout le regard sur la sexualité et la prostitution, avec tous les problèmes de morale, mais surtout de valeurs qui est en question. En tant que législateurs, il faut déterminer ce que nous allons pouvoir dire et faire connaître à la population française sur la valeur et la dignité du corps humain. Autant je peux comprendre pour l'avoir entendu que des femmes aient fait le choix de se prostituer pour des raisons aussi diverses les unes que les autres, autant, et j'en ai débattu avec elles, quand on discute des valeurs touchant au corps avec ces femmes, souvent, nous ne sommes pas en désaccord.

Quand on ne se situe pas en terme de jugement, mais en termes de valeurs, on s'entend et on se comprend. A condition de les respecter. Je ne dissocie pas l'un de l'autre. Je les respecte en tant qu'être humain ayant fait des choix qui sont les leurs, avec les problèmes qu'elles ont. Je ne porte aucun jugement sur le métier qu'elles pratiquent. En revanche, sur les valeurs, je pense qu'en tant que législateurs, il sera important que nous puissions intervenir dans le débat sur ce point.

Mme Arlette Grosskost : Je ne peux qu'appuyer ce que vous dites car, habitant dans une ville frontière -Mulhouse -, je peux vous dire qu'en Suisse, la prostitution est tout fait banalisée ; on vous dira qu'il n'existe pas de prostitution dans les rues suisses, qu'à Bâle, il n'en existe pas. En revanche, on connaît exactement tous les bars où vous pouvez aller. On vous dit que c'est tout à fait normal et que tout se passe très bien. On m'a déjà rétorqué : "Chez nous, ce débat n'existe pas."

Mme Françoise de Panafieu : C'est pareil en Angleterre. La prostitution s'y déroule en appartement. Tout se passe par réseau internet. Cela ne semble pas poser problème aux Anglais.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Parce que cette prostitution est invisible.

Mme Claude Greff : C'est bien le fait qu'elle soit tellement visible en France qui nous a fait réagir.

Mme Françoise de Panafieu : Oui, mais la bonne solution n'existant pas, il faut dire les choses comme elles sont : ou on interdit la prostitution et on la fait basculer dans la clandestinité ; ou on l'autorise, d'une manière ou d'une autre, et, tout d'abord, il faut éviter que les lieux où elle s'exerce ne servent de plate-forme aux réseaux mafieux et, ensuite, savoir que l'ordre public sera rétabli, mais que ce ne sera pas une solution satisfaisante.

A vrai dire, je ne sais pas si l'interdire totalement est le but à rechercher pour l'instant. Je n'y crois pas.

Mme Patricia Adam : C'est malheureusement impossible.

Mme Françoise de Panafieu : Oui, c'est la raison pour laquelle je préfère encore, essayer de trouver une solution.

Mme Claude Greff : C'est en cela que l'éducation est nécessaire en même temps que la répression.

Etant infirmière, je travaillais en traumatologie. Lorsque l'on a voulu imposer la ceinture de sécurité, les gens ne la mettaient pas. Mais aujourd'hui, après avoir réprimandé certes, mais surtout après avoir éduqué, les gens comprennent mieux qu'elle est indispensable. On ne doit pas dissocier répression et éducation.

Mme Danielle Bousquet : Je partage votre avis mais, lorsque vous avez parlé tout à l'heure d'éducation, j'ai eu l'impression que vous parliez d'éduquer aux dangers de la prostitution.

Mme Claude Greff : Non, je parlais de sensibilisation à cette question.

Mme Danielle Bousquet : Je voudrais une éducation au respect de l'autre, c'est-à-dire que quand un homme achète une prostituée, il sache ce qu'il fait concrètement. Il faut éduquer les enfants, garçons et filles, au respect ; faire une éducation sexuelle dans le respect de l'individu...

Mme Patricia Adam : Ce sont les valeurs !

Mme Danielle Bousquet : ...à l'inverse de ce qui existe actuellement : un corps de fille, ça s'achète, ça se viole, ce n'est plus un problème. J'aimerais que l'on affirme que, pour nous, ce sont des choses totalement inacceptables.

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