DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 7

Mardi 3 décembre 2002
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Xavier Raufer, professeur à l'Institut de criminologie de l'Université de Paris II, sur le thème de la prostitution et des réseaux mafieux

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- Examen du rapport de Mme Marie-Jo Zimmermann sur les dispositions relatives à la prostitution du projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n° 381), pour la sécurité intérieure

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu M. Xavier Raufer, professeur à l'Institut de criminologie de l'Université de Paris II.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La Délégation a le plaisir d'accueillir M. Xavier Raufer, professeur à l'Institut de criminologie de Paris II. L'ayant reçu la semaine dernière et ayant estimé ses propos sur les réseaux mafieux d'une grande importance, je me suis permise de l'inviter à nouveau cette semaine devant vous, juste avant l'examen par la Délégation du rapport sur les dispositions du projet de loi pour la sécurité intérieure concernant la prostitution. Il était temps de légiférer sur ce sujet et je pense sincèrement que cette loi ne sera que la première d'une importante série.

M. Xavier Raufer : Nous constatons des évolutions sur le terrain, au contact non seulement des personnes qui luttent contre les diverses formes de la criminalité, mais également des malfaiteurs.

Tout d'abord, la prostitution classique, habituelle, celle qui a eu cours durant les années 1940 à 1980, disparaît. Les prostituées traditionnelles sont des femmes vieillissantes - rue Saint-Denis, elles ont entre 40 et 60 ans -, qui ont un proxénète isolé, qui font cela comme métier d'appoint et qui ne sont absolument pas en mesure de s'opposer au développement des structures du crime organisé. En effet, les jeunes femmes qui sont exploitées par les réseaux en question sont, elles, très jeunes - de 18 à 20 ans, voire moins -, plus séduisantes. Leurs proxénètes sont d'une extrême férocité et tuent comment ils respirent : ils se débarrassent à la fois des prostituées récalcitrantes et de la concurrence avec la plus grande rapidité. La prostitution classique est donc vouée à disparaître. Nous avons même vu, à Lyon par exemple, des prostituées traditionnelles manifester devant la mairie pour "concurrence déloyale".

Ensuite, contrairement à ce que peuvent dire certains, il n'y a pas de prostituées sans proxénètes. C'est une légende. Y compris dans la prostitution de luxe, ces femmes, qui sont mannequins le jour, sont escort girls la nuit. La différence aujourd'hui, c'est que les proxénètes sont plus organisés, plus internationalisés et plus féroces qu'avant.

Par ailleurs, ceux qui à l'heure actuelle, à la vitesse d'un virus informatique et dans toute l'Europe, sont en train de conquérir le marché de la prostitution, sont issus de gangs et de clans albanais, dont les éléments supérieurs forment une authentique mafia. Comment le sait-on ? Par des informations, parfaitement matérielles et vérifiées, pragmatiques et empiriques sur le terrain : quand nous avons pu démanteler des réseaux de proxénètes et de prostituées, les successeurs arrivaient dès le lendemain - de nouvelles filles avec un nouveau mac -, avec, en plus, quelques kilogrammes de cocaïne pour payer les frais d'avocats de l'équipe qui venait de tomber.

M. Florent Montillot, adjoint au maire d'Orléans, m'a confirmé que dans cette ville, l'organisation était la même : chaque fois qu'un individu qui surveille les prostituées sur le terrain tombe, dix nouvelles filles arrivent sur le trottoir pour payer les frais d'avocat. Il faut donc prendre conscience que, si nous nous y prenons mal, nous aggravons le problème en pensant l'arranger.

Enfin, il faut savoir qu'il n'existe pas de criminalité à orientation unique : aucune bande dans le monde n'est mono-criminelle. Si une société criminelle se constitue pour prostituer des filles, pour faire venir des migrants clandestins ou vendre de l'héroïne, au bout d'un certain temps, par opportunisme et par absence de contrainte, elle touchera à toutes les sortes de criminalité. Nous constatons donc que l'arrivée massive de prostituées est une étape d'accumulation primitive du capital : dix Albanaises sur le trottoir - on les appelle ainsi, même si elles viennent de différents pays, les proxénètes étant des Albanais - rapportent environ 1 million d'euros par an de profit brut ; avec cette somme, ils peuvent amorcer la pompe et se lancer dans le commerce des stupéfiants à grande échelle.

Le commerce des stupéfiants des Albanais représente un péril social beaucoup plus grave que d'autres formes de deals et de trafics réalisés par d'autres gangs criminels. Au niveau du deal de détail, le trafic de stupéfiants rapporte énormément, à condition d'être contrôlé tout au long de la chaîne - du laboratoire jusqu'au dealer de rue. Les dealers albanais, contrairement à d'autres, vendent de tout à n'importe qui : ils n'hésitent pas à vendre de l'héroïne pure à un enfant de dix ans. Leur volonté est de faire le plus d'argent possible dans un minimum de temps. Ces gens-là sont des fauves.

Voilà donc la description rapide des réseaux qui sont en train de s'installer en Europe.

Toutes les retombées dont nous disposons par le biais d'Europol - qui reçoit des rapports provenant de tous les pays de l'Union européenne -, des policiers belges - qui sont les premiers à avoir travaillé sur ces réseaux - et d'élus - tels que Florent Montillot - vont dans le même sens : nous avons affaire à des personnes extrêmement féroces.

La presse française a l'habitude de regarder les problèmes par le petit bout de la lorgnette. Le sort du client me paraît franchement secondaire face à l'installation de sociétés criminelles comme celles-là, qui contrôlent déjà à Londres - où elles n'ont mis que trois ans pour s'implanter - 75 % du marché du vice. Et cela s'accompagne maintenant de tueries, ce qui n'existait absolument pas avant l'arrivée des Albanais.

Je vous fais une promesse : le jour où tout ira bien, je le dirai ! Mais pour l'instant, nous assistons à une prise en main de la prostitution par des sociétés criminelles organisées, et tout Etat doit prendre en compte ce phénomène.

Toutes les grandes activités criminelles à l'échelle planétaire - trafics d'êtres humains, trafics d'armes, de véhicules, etc. - sont gérées par une dizaine de sociétés criminelles, toujours les mêmes. Or aujourd'hui, le contexte international, notamment la traque de Ben Laden, nous fait oublier l'importance du problème du crime organisé. Les démocraties n'ont jamais qu'un ennemi en même temps, et à l'heure actuelle, l'ennemi numéro 1 est Ben Laden.

Les sociétés criminelles s'engagent dans une activité en fonction de l'opportunisme le plus pur et du seul calcul coût/bénéfice. Et une fois qu'une des ces sociétés est enracinée, on ne sait pas comment mettre fin à ses activités pour l'éradiquer. Aucune mafia n'a été éradiquée à ce jour sur la surface de la planète.

Le problème en France est-il monstrueux, désespéré ? Non. Car la convention mondiale de lutte contre le crime organisé, signée à Palerme en décembre 2000, a mis au point des instruments très intéressants. Dès que la France l'aura ratifiée et que ses dispositions auront été transposées dans le droit positif français et dans celui des autres Etats de l'Union européenne, nous nous verrons dotés de trois instruments juridiques, pénaux, extrêmement puissants pour lutter contre le crime organisé. Ce sont les suivants :

- tout d'abord, l'incrimination des sociétés mafieuses : un individu pourra être envoyé en prison, non pas parce qu'il a commis un crime, mais du seul fait de son appartenance à une société de type mafieuse - qui sera très clairement délimitée, bien entendu ;

- ensuite, la confiscation des profits criminels ;

- enfin, le renversement de la charge de la preuve s'agissant de l'origine des produits du crime.

Lorsque nous serons dotés de ces trois instruments, nous pourrons lutter contre le crime organisé avec plus d'efficacité. A ces instruments, j'ajoute le mandat d'arrêt européen : les grandes activités criminelles des mafieux font en effet partie de ce qui ouvre juridiquement le droit à un mandat d'arrêt européen.

Les sociétés criminelles en question, comme d'habitude, ne sont fortes que de nos faiblesses et de notre incapacité à agir au niveau d'un continent. Dès que ces instruments seront mis en place, nous leur compliquerons sérieusement l'existence, mais en attendant, notamment dans le contexte actuel de psychose du terrorisme, elles se développent.

Mme Danielle Bousquet : Vos propos me confortent dans l'idée que la pénalisation des prostituées n'est pas du tout la solution qui s'impose à l'heure actuelle. D'autant que ces prostituées connaissent le prix à payer si d'aventure elles étaient tentées de dénoncer leur proxénète. La solution qui consiste à les mettre en garde à vue pour leur permettre de parler est donc de la pure fiction.

M. Xavier Raufer : Ces prostituées sont de simples esclaves. Les exemples dont nous disposons me permettent de vous affirmer que si une fille tombe entre les mains de la police, c'est toute sa famille au pays qui est menacée. La police belge nous a cité le cas d'une jeune femme qui a été vue en train de parler à des policiers et dont la sœur a été assassinée le lendemain en Albanie. Les Albanais n'ont pas un sens poussé de la nuance, il suffit d'être vu en train de parler à un policier pour être qualifié de "balance".

Les prostituées sont équipées de téléphone portable et doivent rendre compte plusieurs fois par jour de leurs activités. Si elles manquent à cette obligation, une enquête est menée par "la société de gardiennage" du réseau de proxénètes ; s'ils apprennent qu'une jeune femme a parlé avec la police, la famille est immédiatement mise sous pression. Je puis vous citer le cas d'une autre jeune femme qui a accepté de parler parce qu'elle se savait condamnée par le sida ; lorsqu'elle a été libérée, les proxénètes l'ont enlevée, l'ont jetée par terre - devant les autres filles - et lui ont roulée dessus jusqu'à ce qu'elle meure. C'est ça les Albanais, ils sont féroces.

Ces filles sont donc des esclaves, et la seule mesure efficace pour les protéger de tels monstres, est de leur donner l'assurance qu'elles pourront refaire leur vie. Il faudrait l'équivalent de ce qui existe aux Etats-Unis, le "witness protection program", c'est-à-dire que la police française, avant de recueillir le témoignage d'une jeune femme, devra prendre contact avec les services de police - honnêtes - des Balkans pour tirer la famille de son village. C'est ce qui se fait à Palerme : quand il y a un repenti, les hélicoptères arrivent et sortent toute la famille du village. C'est le seul moyen d'obtenir des témoignages.

La France est un pays qui, en matière criminelle, a une vision un peu hugolienne. Elle avait déjà cette vision un peu illusoire dans le cas de la prostitution classique, mais c'est totalement absurde pour ces sociétés criminelles. Les filles sont terrifiées. Elles ne se rebellent pas, parce qu'elles craignent pour leur vie et que, de temps en temps, par le biais de la Western Union, elles arrivent à envoyer 100 euros à leur famille. Ces proxénètes n'ont aucun état d'âme, et peuvent même prendre en otage et menacer de mort le bébé d'une prostituée. L'omerta n'est pas une notion romantique, comme la corrida en Espagne. C'est la peine de mort immédiate et brutale, et parfois avec torture, pour celles qui parlent, de manière à faire réfléchir les autres filles.

Nous travaillons en constante relation avec le service de lutte contre le crime organisé de la police albanaise à Tirana, et mon livre "La mafia albanaise", qui a été traduit, sert, à l'heure actuelle, de manuel aux policiers albanais. Cette lutte n'est donc pas dirigée contre les Albanais en tant que peuple : ils sont les premiers à souffrir de cette société criminelle, comme les Siciliens sont les premières victimes de leur mafia.

Les réseaux albanais contrôlent déjà environ 70 % de la commercialisation de l'héroïne dans tous les pays de l'Europe germanique (Suisse, Allemagne, Autriche, et maintenant République Tchèque et Suède), ainsi que le marché du vice à Londres. La situation devient véritablement très grave.

Mme Danielle Bousquet : Vous êtes donc d'accord sur le fait qu'en aucune manière nous ne pourrons protéger les femmes en les mettant en garde à vue ; et qu'ainsi nous aggraverons leur situation.

M. Xavier Raufer : Leurs proxénètes ne sont pas des génies tout puissants, je ne peux donc pas vous affirmer que cela va se passer ainsi à chaque fois. Cependant, il est vrai que le risque est fort. Compte tenu de ce que l'on sait sur la férocité des individus en question, il est à peu près certain que si un réseau tombe deux jours après la garde à vue d'une prostituée, elle sera tuée à sa sortie. Les conditions dans lesquelles les témoignages sont recueillis - sans la mise en place d'un système de protection des témoins - font courir des risques graves, chaque fois que l'on a affaire à une société criminelle organisée. Pas uniquement dans le cas des Albanais. Pour se venger du principal repenti de la mafia sicilienne, Tomaso Buscetta, qui est mort l'année dernière, la mafia a tué 43 personnes ! A savoir toute sa famille - sa femme, ses enfants, ses petits-enfants, etc. -, ainsi que son chien et le copain avec qui il regardait les matchs de football !

Mme Danielle Bousquet : A votre avis, quelles pourraient être les conséquences de l'application des dispositions concernant les prostituées - peines éventuelles de prison et 3 750 euros d'amende ?

M. Xavier Raufer : Tout d'abord, des policiers vont se faire tirer dessus - le fait de tirer sur un policier ne les dérange pas. Vous avez vu ce fait divers dans la presse, il y a une semaine, concernant une querelle de famille : un réfugié Kosovar habitant dans le Sud de la France a surpris sa femme en galante compagnie avec un autre Albanais ; il les a tués tous les deux. Il a appliqué la vendetta, le devoir sacré. Son père va alors le voir en prison, et en sortant, il est tué avec deux autres Albanais. Et cela se passe, non pas au fin fond de l'Albanie, mais à Aix-en-Provence. Et ces personnes ne sont pas des criminels : ce sont des familles normales qui appliquent leur vendetta. Cinq morts en trois jours.

Imaginez un proxénète, criminel endurci, déjà condamné à perpétuité en Albanie : si des policiers viennent semer la pagaille dans son "cheptel", il va y avoir des coups de feu ! Et des précédents, dans le domaine de la surveillance de ces personnes en Belgique, montrent que pour payer les frais des avocats des proxénètes qui tombent, elles vendent de l'héroïne et de la cocaïne. On risque donc d'intensifier, à un moment donné, sur une partie du territoire, le trafic de stupéfiants pour réamorcer la pompe et faire repartir la machine.

Mme Muguette Jacquaint : On a donc affaire à de véritables criminels, prêts à tirer sur les policiers qui dérangeront leur trafic et sur les prostituées qui parleront. Ils ne veulent pas de témoins, les filles sont donc vouées, ou à rester en prison, ou à se faire tuer.

M. Xavier Raufer : Ces jeunes femmes sont traitées comme du bétail. Elles ne restent jamais plus de trois mois dans un pays - le temps d'un visa de touriste. Elles circulent dans l'Union européenne, et au bout de trois ou quatre ans, lorsqu'elles sont "usées", les proxénètes les laissent mourir ou les abandonnent sur place, à la charge du pays dans lequel elles se trouvent - d'autant qu'ils ne manquent pas de jeunes femmes pour les remplacer. En général, elles sont malades, car il n'y a, bien entendu, aucune hygiène et elles doivent assurer un grand nombre de prestations dans des conditions épouvantables.

Nous avons affaire à des réseaux nomades ; ces individus bougent beaucoup ; il n'y a pas de Chinatown albanais. Bien au contraire, ils se fondent dans la population, et s'ils ont une belle cravate, ils rentrent sans aucune difficulté à l'hôtel Georges V.

Pendant cinquante ans, l'Albanie a été une dictature dirigée par une espèce de Staline, Enver Hodja, qui, avant d'être dictateur, était professeur de français et grand spécialiste de Victor Hugo. Une fois au pouvoir, il a décidé qu'il ne fallait plus parler l'anglais - la langue de l'impérialisme - et, comme il s'était fâché avec les Russes et les Chinois, les Albanais n'apprenaient plus ni le russe, ni le chinois. Les Albanais parlent donc très souvent le français. Mes correspondants de la police albanaise parlent très bien français. Il ne faut donc pas s'imaginer que les proxénètes vont contourner notre pays : ils parlent français, ils installent donc leurs trafics en France.

Il ne faut pas être naïfs. Un rapport d'Europol explique qu'en 1999, des mafieux albanais attendaient les réfugiés à la descente des avions pour leur donner la consigne d'aller dans tel ou tel pays. Une grande partie de ces réfugiés, qui n'étaient pas de vrais réfugiés, ont été choisis pour faire les têtes de pont en France, en Angleterre, etc. Ce n'était pas, bien entendu, le cas de tous les réfugiés, mais cela s'est produit de manière suffisamment fréquente et visible pour qu'un rapport d'Europol le signale et se demande s'il était normal que des individus, connus comme des grands criminels d'envergure, attendent au pied des avions l'arrivée des réfugiés.

Je ne dis pas que tous les réfugiés étaient concernés, mais il y a eu une vague de sentimentalisme exacerbé pendant laquelle on a tout oublié, par exemple que des criminels notoires faisaient partie des délégations de l'UCK à Rambouillet. Tout cela pour vous dire que rien ne s'est fait pas hasard, que ces trafics ont été planifiés.

Une partie de la solution se trouve, d'abord et avant tout, dans la prise de conscience que ce problème existe. Si vous êtes intéressés, sachez que le haut fonctionnaire albanais chargé de la section "crime organisé, lutte contre la mafia" vient à Paris au mois de janvier avec la traductrice du livre dont nous avons parlé. Il pourra vous parler de la mafia albanaise qui, d'ailleurs, l'a condamné à mort.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Voilà mes chers collègues pourquoi je tenais à auditionner M Xavier Raufer. Nous pouvons ainsi mieux prendre conscience du problème extrêmement grave posé par ces réseaux mafieux.

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La Délégation aux droits des femmes a ensuite examiné le rapport de Mme Marie-Jo Zimmermann sur les dispositions relatives à la prostitution du projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n° 381), pour la sécurité intérieure.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a présenté l'ensemble des recommandations.

Mme Danielle Bousquet et M. Bernard Roman ont insisté sur la sécurité qui doit être assurée à la personne prostituée lorsqu'elle a accepté de porter plainte ou de témoigner, en s'inspirant notamment du "witness protection program" américain qui assure une protection très efficace des témoins. Ils ont souligné la nécessité de cette protection, aussi bien pour la personne prostituée, en France, par un hébergement adapté, que pour ses proches, dans le pays d'origine et proposé en ce sens une modification de la huitième recommandation. Ils ont souhaité compléter, ce qui a été accepté par la Délégation, la recommandation approuvant la délivrance d'une carte de résident à la personne prostituée, en cas de condamnation définitive du proxénète, de façon à élargir les possibilités d'octroi de cette carte.

Mme Danielle Bousquet a estimé très contestable la possibilité de garde à vue de la personne prostituée instituée par l'article 18 du projet de loi.

Mme Muguette Jacquaint, rappelant que tous les pays européens se trouvent confrontés aux mêmes difficultés, s'est également déclarée opposée à la garde à vue comme aux mesures répressives visant la personne prostituée.

Après que Mme Danielle Bousquet ait souligné la nécessité d'une réflexion globale sur ce sujet, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que la Délégation s'engagera à assurer un suivi de l'application du projet de loi pour la sécurité intérieure ainsi que de l'ensemble des problèmes de la prostitution.

La Délégation, tenant compte des observations ainsi exprimées et des modifications acceptées, a adopté l'ensemble des recommandations, les groupes socialiste et communiste exprimant une réserve à l'égard de la quatrième recommandation qui, tout en regrettant que le seul moyen de protéger les prostituées des violences des réseaux mafieux soit de prévoir des peines d'emprisonnement, approuve les objectifs du projet de loi.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

1. La Délégation, consciente de l'arrivée massive ces dernières années de personnes prostituées venues notamment de l'Est de l'Europe dans le cadre de réseaux mafieux internationaux de plus en plus organisés et violents, considère que la lutte contre le proxénétisme et les réseaux mafieux doit être la priorité absolue d'une politique globale de lutte contre la prostitution.

2. La Délégation se félicite à cet égard de l'introduction par le Sénat dans notre code pénal des dispositions du protocole additionnel à la convention de Palerme, créant une nouvelle incrimination de traite des êtres humains permettant de pénaliser lourdement les activités de ces réseaux. Elle estime que les pays candidats à l'élargissement de l'Europe devraient s'engager à ratifier le protocole additionnel et la convention.

3. Etant donné la rotation rapide des personnes prostituées à l'intérieur de l'espace européen et la mobilité des réseaux, le démantèlement de ces derniers requiert une coopération renforcée avec les pays européens et la négociation d'accords bilatéraux avec les pays concernés par ce trafic, dans le domaine de la police et de la justice.

4. Ne mésestimant pas les nuisances engendrées par la prostitution dans certains quartiers des grandes villes et l'urgence d'un signal à donner aux acteurs de la prostitution, la Délégation approuve les objectifs du Gouvernement visant l'ordre public, qui l'ont conduit à proposer des mesures dissuasives vis-à-vis du racolage sur la voie publique.

Elle regrette toutefois que le seul moyen de protéger les prostituées des violences des réseaux mafieux soit de prévoir des peines d'emprisonnement. Il est paradoxal que la protection des victimes de ces réseaux passe par la garde à vue qui, seule, permettrait à la prostituée de dénoncer les violences dont elle est victime sans craindre des représailles de son proxénète.

5. La Délégation recommande, dans l'application des mesures incriminant le racolage, la stricte observation par les fonctionnaires de police du code de déontologie qui impose "le respect absolu des personnes, quelle que soit leur nationalité ou leur origine", afin d'éviter l'arbitraire dans l'appréciation des faits de racolage passif, dont la définition imprécise leur laisse une large marge d'action.

6. Vis-à-vis du client, la Délégation recommande l'application des dispositions déjà existantes, en particulier sa pénalisation en cas de recours à la prostitution de mineurs, introduite par la loi du 4 mars 2002, ou pour exhibition sexuelle et se félicite des mesures renforçant les sanctions en cas de recours à la prostitution des handicapés et des femmes enceintes.

7. La Délégation recommande des mesures d'accompagnement social visant l'ensemble des personnes prostituées et un réengagement de l'Etat dans la politique de prévention, d'accueil et de réinsertion de ces personnes, par des mesures apportant plus de facilités dans l'accès aux soins, au logement, à une formation professionnelle.

8. La Délégation insiste sur la nécessité d'assurer l'anonymat et la sécurité des personnes prostituées, lorsqu'elles acceptent de porter plainte ou de témoigner contre leurs proxénètes. Cela implique que des dispositions soient prises par l'Etat pour assurer leur protection en France par un hébergement adapté et celle de leurs proches dans le pays d'origine.

9. En cas de retour dans le pays d'origine, ces personnes doivent être assurées d'une sécurité maximale, préparée avec les autorités de leur pays et les associations, afin d'éviter une reprise en mains par les réseaux et de favoriser leur insertion.

10.  S'agissant des personnes prostituées étrangères, la Délégation se félicite de la disposition adoptée par le Sénat permettant de leur délivrer une carte de résident, en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause. Elle souhaite voir élargir cette possibilité à d'autres cas.

11. En vue de favoriser la réinsertion des personnes qui abandonnent la prostitution, la Délégation recommande qu'elles fassent l'objet d'un traitement fiscal approprié et, notamment, d'un abandon des poursuites.

12. Des actions d'information devront être menées sur la réalité de la prostitution, l'atteinte qu'elle porte aux droits des femmes et à leur dignité, à l'égalité entre hommes et femmes, au respect de l'autre, par des campagnes de sensibilisation grand public, complétées notamment :

- par une information pédagogique dans les établissements scolaires, dans le cadre des horaires consacrés à l'éducation sexuelle ;

- par une approche des questions de la prostitution dans le cadre de la formation des personnels sociaux et de police en contact avec les personnes prostituées.

13. Un financement des mesures de prévention, d'accueil et de réinsertion des personnes prostituées devra être inscrit dans le cadre du budget, ainsi qu'un accroissement du soutien financier des associations qui assurent aujourd'hui l'essentiel de l'accompagnement sanitaire, social et juridique de ces personnes.

14. La Délégation préconise la création d'une structure nationale spécifique qui pourrait être une mission interministérielle, ayant compétence pour l'ensemble des problèmes de prostitution et de traite des êtres humains.

15. La Délégation assurera un suivi de l'application des mesures du projet de loi, relatives à la prostitution, notamment des pratiques administratives, policières et judiciaires concernant la prostitution et la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Elle suivra avec une particulière attention, la mise en œuvre de mesures assurant la prévention, l'accueil et la réinsertion.


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