DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 13

Mardi 25 février 2003
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Mmes Annie Thomas, secrétaire nationale à la Confédération française démocratique du travail, et Marie-Josephe Charon, responsable de la délégation Femmes de la CFDT

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mmes Annie Thomas, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et Marie-Josephe Charon, responsable de la délégation Femmes de la CFDT.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mes chers collègues, nous abandonnons momentanément la question de la parité en politique - nous resterons cependant vigilants, non seulement en ce qui concerne la réforme des modes de scrutin, mais également en ce qui concerne la mise en œuvre de la parité par les partis politiques - pour aborder aujourd'hui un sujet qui me tient à cœur : l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Je souhaiterais, dans un premier temps, faire un bilan des lois existantes et, dans un second temps, proposer des recommandations visant à permettre une meilleure application de ces lois. Nous commençons donc une série d'auditions sur le thème de l'égalité professionnelle, sujet qui concerne un grand nombre de personnes, aussi bien dans les entreprises que dans la fonction publique.

Nous accueillons aujourd'hui Mmes Annie Thomas, secrétaire nationale à la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et membre de l'Observatoire de la parité, et Marie-Josephe Charon, responsable de la délégation Femmes de la CFDT, qui sont toutes les deux, également membres du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle.

Vingt ans après la "loi Roudy" de 1983, nous constatons que l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas acquise, et que l'accès des femmes aux fonctions de responsabilité, dans les entreprises comme dans la fonction publique, est loin d'être une réalité. La loi du 9 mai 2001 - à l'initiative de Mme Catherine Génisson, à laquelle je tiens à rendre hommage - vise à renforcer de façon volontariste les droits des femmes dans les entreprises, en imposant notamment une obligation de négociation sur l'égalité professionnelle en entreprise.

Lors de mes interventions dans différents colloques, je rappelle aux entreprises cette obligation de négocier sur l'égalité professionnelle, à partir du rapport de situation comparée.

La "loi Génisson" favorise également la parité aux élections professionnelles au sein de l'entreprise ainsi qu'aux conseils de prud'hommes. Elle prévoit également, dans la fonction publique, la féminisation des instances compétentes pour le recrutement, l'avancement et la gestion des carrières des fonctionnaires, et en particulier des jurys.

Conscient du retard pris en matière d'égalité professionnelle, le Gouvernement a décidé d'en faire l'une de ses priorités. Dès juillet 2002, Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, a présenté vingt-cinq propositions visant à faire progresser la parité dans les entreprises et les administrations, en privilégiant à la fois les actions de terrain et le dialogue social.

Je vous laisse maintenant la parole pour un exposé liminaire ; vous pourriez nous indiquer comment vous percevez cette question sur le terrain et ce que vous attendez de nous. Si je ne suis pas favorable à l'élaboration de lois supplémentaires - nous en avons suffisamment -, il y a certainement des actions à mener - même au niveau du Parlement - afin de présenter, d'ici à trois ans, un bilan en progrès.

Mme Annie Thomas : Nous trouvons très positif que votre Délégation se préoccupe de l'application d'une loi. Voter une loi est, en effet, une mission essentielle du Parlement, mais en suivre l'application est indispensable, notamment en ce qui concerne l'égalité professionnelle. Une loi ne fait pas le printemps - deux, non plus, nous l'avons vu -et ce qui compte beaucoup, c'est le jeu des acteurs sociaux, la négociation et la mobilisation du monde de l'entreprise. Que l'Assemblée nationale souhaite nous aider en la matière m'apparaît très positif.

Vous avez souligné, madame la présidente, le travail initié par la ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, Mme Nicole Ameline, que nous avons suivi avec beaucoup d'intérêt au cours de la Conférence nationale et au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Ces questions ont été travaillées au Conseil supérieur et continueront de l'être. Il existe donc une démarche collective, globale, intéressante sur ce sujet. Nous ne souhaitons pas rajouter de contraintes juridiques en la matière - l'arsenal juridique français étant bien complet - ; nous voulons faire avancer ce thème dans la pratique, et notamment dans celle des entreprises.

Il est vrai que ce dossier n'avance pas vite et que nous avons parfois des surprises. En 1998, par exemple, l'observatoire des relations de la CFDT a mené une étude selon laquelle 1 % des accords signés par la CFDT concernait des questions d'égalité hommes/femmes. Cela a été un véritable électrochoc. Nous avons donc décidé de mettre en place une action - "100 sections pour l'égalité professionnelle" -, et de cibler un travail de terrain - réalisé de façon quasi complète, puisque nous avons travaillé avec 80 sections. Nous avons mis au point un outil de formation. Car négocier l'égalité professionnelle, cela s'apprend. Outre cet outil, nous nous sommes dotés d'une chargée de mission à l'égalité professionnelle.

Par ailleurs, je souhaiterais vous faire part de la nouvelle situation créée par les négociations liées à la réduction du temps de travail. En effet, l'égalité professionnelle ne se négocie pas uniquement dans le cadre de la "loi Roudy" ou de la "loi Génisson" - qui n'était pas encore votée. Les négociations relatives à la réduction du temps de travail ont énormément intéressé les femmes et ont fait émerger des questions qui n'apparaissaient pas ; la question du temps a fait émerger celle du temps social, et, dans ce dernier, l'on trouve le temps des femmes, des mamans, et le temps des hommes, le temps des papas.

Or, lorsqu'il a été question de réduire ou d'amplifier le temps de travail, les questions liées à la vie personnelle et à la vie familiale ont fait surface. Les femmes ont alors introduit des thèmes - peu familiers -, tournant notamment autour de l'articulation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Des accords ont été trouvés sur différents thèmes, tels que : temps de travail/temps de vie, conciliation, charge et stress, précarité et temps partiel. Je vous citerai deux accords en particulier qui doivent figurer dans le débat de l'égalité professionnelle : d'une part, l'accord que nous avons signé avec le groupe Carrefour, et, d'autre part, celui que nous avons signé avec le groupe Penauille - entreprise de services qui s'occupe, par exemple, du déplacement des handicapés dans les aéroports.

Ces deux entreprises embauchaient de nombreuses personnes à temps partiel. Le groupe Carrefour a décidé de limiter le temps partiel de manière drastique : il est passé de 60 % à 40 % de son personnel. Le groupe Penauille, lui, a augmenté le nombre d'heures des contrats de travail à temps partiel, qui sont passé de vingt-deux heures à vingt-huit heures. Or, ce sont là des mesures qui intéressent les femmes. Ce type d'accords a établi chez nous un autre état d'esprit.

Pour les négociations sur la réduction du temps de travail, nous avions la possibilité de désigner des mandatés, c'est-à-dire des personnes qui n'étaient pas adhérentes d'organisations syndicales. La CFDT compte le plus grand nombre de mandatés et 50 % d'entre eux sont des femmes. Cela a prouvé l'intérêt des femmes pour la négociation.

La "loi Génisson" ouvre une nouvelle opportunité, car elle oblige les entreprises à inclure le thème de l'égalité professionnelle dans les négociations obligatoires. Il s'agit d'une démarche transversale intégrée de l'égalité, et, en même temps, d'une démarche spécifique
- création de commissions d'égalité. En ce qui concerne les négociations de branches, la "loi Roudy" ne les prévoyait pas au contraire de la "loi Génisson". C'est une évolution positive, car des avancées sont possibles à ce niveau.

D'ores et déjà, nous avons enregistré un certain nombre de négociations avec des résultats intéressants. Par exemple au Crédit Mutuel de la Loire-Atlantique, à la GMF et chez Nestlé.

Nous avons également travaillé sur des filières administratives très féminisées. Pour parvenir à l'égalité professionnelle, on pense souvent que c'est dans les branches où cohabitent des hommes et des femmes que se rencontrent le plus de difficultés ; on oublie parfois que celles-ci sont encore plus grandes dans des branches entièrement féminisées : c'est, en effet, là que la situation des femmes est la moins bonne. Nous devons donc traiter la question non pas en termes de comparatif homme/femme, mais de professionnalisation des métiers.

C'est la raison pour laquelle la "loi Génisson" est intéressante : elle permet d'intégrer cette démarche. Nous avons réalisé un travail important dans deux mairies bretonnes, à Rennes et à Brest, ce qui prouve que l'on peut avancer aussi dans la fonction publique.

Au delà des résultats, il est aussi important de noter la prise en charge de nos organisations. Ainsi la CFDT-Cadres a créé un groupe de travail et a établi un guide de négociations, comportant des exemples de négociations réussies.

Autre exemple : l'expérience de notre Union régionale CFDT Bretagne qui a adhéré totalement à cette question de l'égalité professionnelle et a décidé de créer un poste de chargée de mission à l'égalité professionnelle. Ce poste est financé par une convention tripartite CFDT, direction régionale du travail et de l'emploi de Bretagne et délégation régionale des droits des femmes de Bretagne. Cette convention sera certainement renouvelée - nous avons sollicité en ce sens l'appui du ministère de la parité -, car on entre là dans le cœur du sujet. L'objectif de cette convention, et donc de notre chargée de mission, Michèle Grall, est de former nos délégués de section à l'analyse des situations comparées. Elle les aide ensuite à définir leurs revendications - toutes les situations sont différentes - et suit les négociations jusqu'à la signature de l'accord.

Nous avons fixé l'objectif suivant à notre chargée de mission : sensibiliser 120 sections d'établissement, rencontrer directement 30 sections et ouvrir 25 négociations. Nous avons établi un bilan à mi-parcours. Pour l'instant, 104 sections ont pu être contactées, 16 rencontres ont été organisées - avec un cycle de formation - et 9 négociations sont ouvertes. Ces dernières sont concentrées dans le Finistère et le Morbihan, en particulier dans le secteur de l'agroalimentaire et des banques. Tel est le modèle que nous souhaitons mettre en place dans toutes nos unions régionales.

J'insiste sur les moyens qui ont été donnés, car la négociation sur l'égalité professionnelle passera par l'implication des partenaires sociaux. Le patronat doit être également sensibilisé - et là, nous avons besoin d'aide -, afin qu'il prenne conscience qu'il est bon et intéressant d'avoir des femmes formées, efficaces, qualifiées, que cela est non pas un moins, mais un plus pour les entreprises et pour la société.

Pour la journée du 8 mars 2003 - la journée internationale des femmes - nous mettrons l'accent sur l'égalité professionnelle par l'ouverture d'une campagne « L'égalité ? ça se négocie ! ». Par ailleurs, nous avons prévu de sortir un guide à l'intention des négociateurs. Ce guide - comment négocier l'égalité professionnelle - présente les possibilités ouvertes par la "loi Génisson" ainsi qu'un plan d'actions syndicales. De plus, une réunion est prévue le 11 mars au siège de la Confédération avec notre réseau mixité - nous avons, dans toutes nos organisations un ou une correspondante égalité professionnelle/mixité, ainsi qu'une commission confédérale femme, structure plus politique - pour nous aider à créer à la Confédération un lieu d'appui-conseil à la négociation. Nous nous sommes en effet aperçus que nous n'étions pas, en la matière, les meilleurs du monde. Il s'agit donc de créer un lieu qui ait la capacité de répondre aux équipes : demande de formation, aide à la négociation, à l'élaboration d'une stratégie syndicale, contacts avec d'autres partenaires. Une représentante du service des droits des femmes sera présente à cette réunion pour nous informer des outils législatifs existants.

Nous avons identifié les domaines principaux d'intervention. Sur quoi faut-il intervenir pour aboutir à l'égalité professionnelle ? Tout d'abord, les conditions d'accès des femmes à l'emploi - question primordiale. Ensuite, les emplois occupés - analyser leurs caractéristiques. Nous avons fait émerger deux critères essentiels sur lesquels il convient de travailler : le temps mis à passer d'un coefficient à l'autre - toujours très différent pour un homme et une femme - et les primes.

Un autre des problèmes identifiés est le modèle masculin et industriel de négociation. Nous fonctionnons, en effet, dans le cadre des relations sociales, sous la forme d'un modèle très masculin et très industriel. Nous avons donc donné des directives à nos équipes pour qu'elles instaurent la mixité des délégations de négociation. Nous n'en sommes pas à des obligations, mais nous y songeons, et certaines de nos fédérations n'y sont pas loin - je pense en particulier à notre fédération des services, dont les équipes de négociation sont très masculinisées alors que leurs secteurs sont très féminisés.

Votre bilan doit intégrer le temps. La "loi Génisson" fait entrer l'égalité professionnelle dans le rythme des négociations obligatoires. La loi a été votée en 2001, appliquée en 2002 ; or, les négociations sont annuelles. Ce qui fait que l'on a réellement négocié dans les entreprises, par branche, que depuis fin 2002 - même si certaines ont pu anticiper. La dynamique de négociation réglementaire dans les entreprises est donc née en décembre 2002 - cet élément doit être intégré en termes de bilan. C'est la raison pour laquelle nous nous donnons deux ou trois ans pour bien évaluer ce qui se passe. D'après nos contacts, il semble que les commissions égalité qui doivent être créées dans les entreprises de plus de 300 salariés ne le sont pas encore totalement. Nous ne sommes certainement qu'au début du mouvement.

Enfin, le second cycle des négociations interprofessionnelles qui viennent de s'ouvrir comprendra ce thème. Les négociations sur l'égalité professionnelle devront porter sur les thèmes suivants : comment inscrire ce principe dans les relations sociales, quelles instructions donner aux branches, quels objectifs doit-on se fixer, pour quel type de population, etc. Il s'agira d'une négociation-cadre au niveau national interprofessionnel, qui aura ensuite vocation à se décliner par branche, suivant les réalités des situations.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La loi s'applique depuis la fin 2002. Qu'attendez-vous de nous - outre la vérification des bilans, que nous comptons entreprendre dès l'année prochaine -, quelles actions concrètes voulez-vous que nous menions qui pourraient vous aider à réaliser ce bilan ?

Mme Annie Thomas : Il s'agit là d'une question délicate, car nous entrons dans la même problématique que pour les autres négociations : il y a obligation d'ouvrir une négociation, mais pas de la conclure - même si, bien entendu, ce serait contraire à l'esprit de la loi. Il serait ainsi utile de rappeler les dispositions de la "loi Génisson", notamment celles qui sont liées à la négociation obligatoire - sous peine de sanctions, de contrôle des inspecteurs du travail.

S'agissant des autres négociations obligatoires, la Direction des relations du travail du ministère des affaires sociales est chargée d'établir un bilan ; cela fait partie de ses responsabilités. Il serait, là aussi, utile de vérifier que ce dispositif est bien mis en place
- afin notamment d'obtenir un retour. Tout comme pour la mise en place des commissions égalité, qui sont aussi une obligation de la loi.

Nous devons partir de l'idée que l'on entre dans un domaine de négociations qu'il convient de soutenir : car si nous n'avons pas besoin de soutenir les négociations salariales
- ce que nos militants savent très bien faire -, nous avons, en revanche, besoin de soutenir celles concernant l'égalité professionnelle, car ce sont des négociations sensibles et difficiles à mener qui font référence à la situation des hommes et des femmes au travail et dans la société, à tous les stéréotypes. Je préconise donc un travail de sensibilisation, de contact avec le service des droits des femmes, le ministère, le Parlement, etc.

J'ai évoqué le cas de la Bretagne, afin de vous montrer qu'il s'agit parfois d'une question de moyens. Nous partons de si loin que nous avons besoin de mesures incitatives. Bien entendu, certaines sont contenues dans les lois "Roudy" et "Génisson", mais elles ne sont pas suffisantes. Nous avons externalisé la question avec un financement public qui nous a permis d'embaucher une chargée de mission qui va aider les équipes à négocier. Il s'agit là d'une démarche à encourager.

Enfin, il convient de travailler à la maintenance de cette loi. Nous allons découvrir, au fur et à mesure, les difficultés. Cela va-t-il être autour du rapport d'analyses comparées, faudra-t-il préciser les critères pertinents, le modèle, etc. ? Peut-être. Et dans ce cas, nous aurons besoin d'outils législatifs et réglementaires pour assurer le suivi. Mais pour l'instant, la loi est suffisante.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Effectivement, nous avons, aujourd'hui, suffisamment de dispositions législatives. Ma préoccupation est plutôt la suivante : comment faire appliquer la loi ? Elle a été votée en mai 2001, et je sais que le bilan est difficile à établir dans les entreprises. Il serait utile que vous ayons des retours sur l'application de la loi, afin de mettre en place, si nécessaire, des mesures incitatives. En effet, malgré la "loi Roudy", nous avons été obligés de voter, en 2001, une seconde loi la "loi Génisson", pour remettre le système en place.

Lors du vote de la "loi Génisson", le débat a été focalisé sur le travail de nuit des femmes. De ce fait, nous avons omis de médiatiser l'importance du rapport de situation comparée. Il est nécessaire de mettre en place un travail de suivi, car il ne suffit pas de voter des lois, il convient de les appliquer. S'agissant de la parité en politique, il convient de surveiller si les listes la respectent. Pour l'égalité professionnelle, le problème est différent et plus complexe, car il convient d'aller vérifier dans les entreprises, ce qui n'est pas un travail aisé ; mais nous sommes dans l'obligation de le faire, puisque la loi a été votée.

Mme Annie Thomas : Nous avons constaté, dans les formations et les premières négociations, la difficulté de construire un tableau de situations comparées - qui est l'outil de base de la négociation. Les négociateurs ont besoin de formation. Il est en effet très difficile de rassembler, à travers des documents divers - que l'on vous donne ou non d'ailleurs -, les informations importantes, et d'être en capacité d'en déduire, par exemple, que le problème réside dans l'accès à la formation ou dans les primes. Il s'agit d'un véritable travail de détectives pour nos équipes, dans un environnement difficile.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans les entreprises que j'ai suivies, la recherche des informations ressemblait à un jeu de piste.

Mme Annie Thomas : Il serait utile d'intervenir afin de simplifier cela et de déterminer un fléchage cohérent.

Il est vrai, comme vous venez de le dire, que nous sommes bien armés au niveau législatif, sauf en ce qui concerne la fonction publique. La "loi Génisson" prévoit certaines mesures positives, mais elle n'entre pas, fondamentalement, dans le cœur du sujet, comme pour le secteur privé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et cela est extrêmement grave ! C'est l'une des premières recommandations qu'il conviendra de mettre en avant.

Mme Annie Thomas : Il conviendra de démontrer que les corps et les statuts ne conduisent pas à l'égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Marie-Josephe Charon : Il serait utile de réécrire une circulaire. Pour ce qui concerne la fonction publique, nous sommes toujours obligés de réclamer des statistiques sexuées.

Mme Annie Thomas : Une autre disposition de la "loi Génisson" concernait les élections prud'homales. Il serait utile que votre Délégation établisse un bilan pour l'ensemble des organisations syndicales. En ce qui nous concerne, nous avions 21 % de femmes élues, lors des dernières élections ; cette année, alors que nous avons présenté 37 % de candidates, nous avons 30 % d'élues. Nous ne sommes pas pour autant totalement satisfaites, puisque nous avions espéré une quasi-parité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il s'agit tout de même d'une bonne progression, notamment pour des élections prud'homales !

Mme Annie Thomas : Certes, mais nous avons été peu aidés. L'administration est incapable de nous fournir une analyse sexuée. De ce fait, nous étions incapables, en 1992 comme 1997, de déterminer le nombre de femmes - toutes organisations confondues - présentées.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et en 2003 ?

Mme Annie Thomas : Normalement les statistiques devraient exister, mais il est encore trop tôt. Nous avons besoin de critères, de suivi. Je suis incapable de vous dire le taux de féminisation des candidats présentés par les autres organisations.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous allons auditionner le ministre de la fonction publique.

Mme Marie-Josephe Charon : Parmi les actions que vous pourriez mener, il serait intéressant de demander au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle un certain nombre de travaux, puisque c'est sa mission. Il a été renouvelé il y a quelques mois. Si vous le sollicitiez sur un certain nombre de thèmes précis, cela impulserait des travaux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous allons le faire extrêmement rapidement. Les observatoires ne sont efficaces que s'ils produisent de la matière.

Lorsque je suis intervenue dans le débat sur la proposition de loi sur l'égalité professionnelle, en 2001, Mme Catherine Génisson avait été un peu choquée par mon franc-parler. Alors que nous avions la "loi Roudy", je ne comprenais pas que nous soyons obligés de légiférer à nouveau sur ce thème. Aujourd'hui, que cette loi a été votée, appliquons-là ! Et si nous rencontrons des difficultés, aménageons-là !

Cette année, nous vous auditionnons pour que vous nous disiez comment faire appliquer la loi ; l'an prochain nous ferons le bilan de son application, et nous assurerons un suivi de cette loi pour les cinq ans à venir.

Mme Annie Thomas : Afin de rendre cette loi plus efficace, vous pourriez introduire, au-delà de la connaissance des négociations, un suivi des critères. On parle toujours, par exemple, de l'inégalité salariale.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela ne doit-il pas être précisé dans le bilan ?

Mme Annie Thomas : Oui, mais dans le bilan de chaque entreprise. Comment allez-vous procéder à cette vérification, de façon globale, dans cinq ans ? Des équipes négocient et nous ne le savons même pas ! Et nous découvrons parfois qu'elles ont négocié des choses exceptionnelles.

Le bilan sera plus simple à faire, dans quatre ou cinq ans, si nous fixons, dès aujourd'hui, quelques critères précis. L'inégalité salariale, par exemple, est de 27 % ; le nombre de femmes à des postes de tel niveau est de tant, etc. C'est de cette façon que l'on va arriver à mesurer l'efficacité de la loi ; avec des critères nationaux, pertinents. Si l'on fait baisser l'inégalité salariale de 27 % à 18 %, on pourra dire que la loi a joué son rôle.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est de cette façon que je comptais travailler avec le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle.

Mme Martine Carillon-Couvreur : S'agissant des 35 heures, des négociations ont permis de voir émerger un suivi ; cela est intéressant, mais nous n'avons pas pu les obtenir.

Mme Annie Thomas : Certaines sections, je pense à Samsonite, dans le Nord, où une majorité de femmes travaillent, ont récupéré 22 ou 23 jours de RTT, et ont pu négocier pour bloquer la plupart de leurs jours pendant les vacances scolaires - notamment les petites vacances - et le mercredi. Ils font là de l'égalité professionnelle sans le savoir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'aimerais que ces exemples soient cités de façon à aider d'autres entreprises.

Mme Annie Thomas : Vous trouverez, dans le guide de notre Union des cadres, quatre ou cinq exemples d'entreprises - Nestlé-France, Schlumberger, Hewlett-Parckard -, ainsi que des contacts. Et nous avons, nous aussi, cité quelques exemples dans le guide de la Confédération. Nous vous les enverrons. Nous avons parfois l'impression que rien ne se fait, mais ce n'est pas vrai.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il faut les faire connaître afin que d'autres entreprises fassent de même.

Mme Hélène Mignon : Avez-vous abordé le problème du travail de nuit ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un sujet que nous aborderons, mais de façon spécifique. Au moment de la "loi Génisson", le débat a porté essentiellement sur le travail de nuit, laissant de côté des aspects importants de cette loi, notamment le bilan. Je souhaiterais donc que les auditions qui vont suivre portent sur l'égalité professionnelle et le bilan. Le travail de nuit fera l'objet d'une réunion spécifique ultérieure.

Mme Annie Thomas : S'agissant du travail de nuit, nous étions la seule organisation syndicale à accepter la modification législative ; ce débat était tout à fait hypocrite : des femmes travaillent la nuit, c'est une réalité. A la date d'aujourd'hui, aucun problème ne nous a été signalé.

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