DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 14

Mardi 11 mars 2003
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Marie-France Boutroue, conseillère à la Confédération générale du travail (CGT)

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- Audition de Mme Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche au CNRS

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Marie-France Boutroue, conseillère à la Confédération générale du travail (CGT).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans le cadre du nouveau thème de travail de la Délégation, celui de l'égalité professionnelle, nous avons le plaisir de recevoir Mme Marie-France Boutroue, conseillère à la Confédération générale du travail.

Je suis extrêmement préoccupée par l'application de la "loi Génisson" dans les entreprises. Celle-ci présentant peut-être quelques difficultés, j'ai souhaité entendre des témoignages à ce sujet. J'ai d'ailleurs la ferme intention de renouveler ces auditions, l'an prochain, après les premiers bilans, pour analyser les points d'achoppement, essayer d'y remédier et vous apporter notre aide.

Aujourd'hui, je souhaiterais d'abord que vous nous donniez votre avis sur la "loi Génisson", puis que vous nous indiquiez si vous rencontrez des difficultés pour obtenir les indications chiffrées, imposées par la loi, et notamment s'il arrive aux entreprises de faire de la rétention d'informations. Si tel était le cas, nous aimerions savoir à quel niveau et ce que nous pourrions faire pour faire appliquer correctement cette loi par les entreprises.

Par ailleurs, selon vous, les indicateurs s'avèrent-ils pertinents et permettent-ils d'identifier les difficultés propres à l'entreprise ? Estimez-vous que la "loi Génisson" favorise correctement l'égalité hommes-femmes dans les entreprises ou qu'elle a besoin d'être améliorée ?

Mme Marie-France Boutroue : Mon exposé s'articulera autour de trois constats.

Premièrement, je dois dire qu'à la CGT, nous sommes vraiment favorables au maintien de la "loi Génisson", d'abord, parce qu'il a été trop difficile de discuter par ateliers au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, ensuite, parce que nous pouvons presque dire que cette loi est l'expression de ce que souhaitaient les organisations syndicales. Elle est particulièrement bien conçue par rapport à la situation réelle des entreprises.

Deuxièmement, il nous a fallu beaucoup travailler, non seulement en interne, mais aussi avec un certain nombre de chercheuses, de chercheurs ou de députés qui, ayant contribué à l'élaboration de la "loi Roudy" de 1983, pensaient très souvent qu'il n'y avait pas lieu de la revoir et qu'il suffisait de l'appliquer. Or, il faut préciser que la loi de 1983 faisait suite aux lois Auroux de 1982, aux blocages des salaires et à une multiplication d'activités syndicales qui ne limitaient pas leur champ d'action à l'égalité hommes-femmes. Il ne faut pas oublier non plus qu'à ce moment-là, les organisations syndicales étaient à dominante masculine.

Or, il est aisé de constater que, sans participation des femmes, rien ne se fait en matière d'égalité professionnelle. Je le sais par expérience et je vais vous en donner un exemple.

Dans le cadre de la confédération, nous avons eu de larges débats sur le féminisme, sur la nécessité d'avoir des collectifs, et, dans les années quatre-vingts, il a été décidé que le thème de l'égalité des hommes et des femmes serait intégré à l'activité générale. Pendant un certain temps, il ne s'est pourtant rien passé parce que, sans cet aiguillon que sont les femmes qui se réunissent, non pas pour parler tricot, mais pour étudier les droits et faire en sorte qu'ils soient pris en compte, tout se noie dans le général.

Troisièmement, pour les raisons que je viens d'exposer, il faut des collectifs. Il est, en effet, impératif que les femmes de tous horizons puissent se rassembler avec le souci de travailler sur le sujet de l'égalité professionnelle.

Vous trouverez dans les documents que je vous ai apportés, notamment dans la revue Lune à laquelle je collabore, tous les renseignements concernant cette démarche.

Pour nous, le bien-fondé de la loi est donc indiscutable.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je vous rassure : pour nous aussi.

Mme Marie-France Boutroue : C'est Mme Nicole Péry, alors secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, qui nous a aidé à réactiver le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Sa détermination, associée à toutes les mesures imposées par la Commission européenne - notamment les plans nationaux d'action pour l'emploi -, a été le moteur de l'énorme travail réalisé sur la condition des femmes.

Au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, le travail s'est organisé autour de deux axes privilégiés. Les organisations syndicales et le patronat se sont réunis à plusieurs reprises dans des ateliers, et, même si le patronat n'a pas participé à tous les débats, la brochure "le guide d'appui à la négociation sur l'égalité" qui a été élaboré constitue ce qui peut se faire de mieux en termes d'examen pratique des situations.

Nous avons réuni, le 6 mars dernier, dans la perspective de la journée du 8 mars, un certain nombre de militantes d'entreprises, afin de savoir ce que devenait la loi de mai 2001. On en parle beaucoup ; elle a donné lieu à beaucoup de travaux ; de nombreuses journées d'études et de stages lui ont été consacrés ; nous avons essayé de travailler concrètement.

Ainsi, aux dernières élections prud'homales, le taux de candidatures féminines est passé de 22 % à 40 % et nous comptons 31 % d'élues sur nos listes. Il faut savoir que, pour parvenir à ce résultat, il nous a fallu débattre dans les unions départementales et dans les syndicats pour que des militants laissent leur place et pour faire émerger des jeunes, ce qui a représenté un très gros travail.

Aujourd'hui, ce travail porte ses fruits puisque, depuis trois ans, des débats sont, tous les ans, consacrés à l'égalité hommes-femmes et tout spécialement à la loi sur l'égalité : nous ne lâcherons pas sur ce point.

Le bilan que nous avons dressé répond tout à fait aux questions que vous nous avez soumises. Beaucoup plus d'organisations syndicales se préoccupent d'égalité, ce qui est positif. Environ soixante à quatre-vingts collectifs ont été créés sur le territoire national, que ce soit des collectifs fédéraux ou des collectifs départementaux et, dans ce cadre, des femmes participent à un certain nombre de débats et organisent des stages sur l'égalité, toutes choses qui débouchent sur la création, assez facile à obtenir, de commissions sur l'égalité dans les entreprises.

En revanche, il est beaucoup plus difficile d'obtenir des documents des employeurs qui, le plus souvent, nous remettent des dossiers qui ne contiennent rien, ce qui impose de revenir à la charge et de redemander à travailler sur les indicateurs. En outre, il n'existe pas de négociations sur l'égalité en tant que telle. Notre organisation syndicale s'intéresse de près à ce sujet qui justifiera la création de journées d'études et une implication encore plus importante de nos responsables.

Pour ce qui est de la rétention d'informations...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est une réalité ?

Mme Marie-France Boutroue : Tout à fait, et d'ailleurs, si je n'ai pas pu vous apporter de documents, c'est parce que je n'en ai pas. Nous en avons cherché et nous n'en avons trouvé qu'un du groupe Aéroports de Paris et un autre des banques ; je ne peux pas vous les communiquer parce que le dossier est actuellement en cours.

Pourtant, il suffit simplement aux entreprises de répondre à des questionnaires sur la base de critères, étant précisé qu'en termes de conditions de travail, tout le monde dispose des éléments de réponse. Mais, si les entreprises se mettent à travailler cette question, il ne s'agira pas seulement de donner des analyses chiffrées ; des négociations suivront, ce qui aura un coût pour les entreprises.

En ce qui me concerne, je constate que, si le nouveau Conseil supérieur de l'égalité professionnelle s'est bien mis en place, aucun de ses ateliers ne s'est réuni depuis le mois de décembre pour examiner la situation de l'égalité professionnelle, comme nous l'avions demandé. J'avais pourtant mis en garde Mme Nicole Ameline sur ce point.

Or, ce que nous propose actuellement le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, c'est la "labellisation" des entreprises qui mettent en place des crèches. La garde des enfants est certes un réel problème, mais l'égalité, c'est tout autre chose.

Je maintiens que le meilleur service à rendre aux organisations syndicales, pour les aider à promouvoir l'égalité, serait de réactiver en tant que tel le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, tout en faisant le point de la situation. De la sorte, quand nous nous trouverons face aux employeurs, nous serons en mesure de discuter - il ne s'agit pas de négociations -sur ce qu'il convient de faire, deux ans après la mise en place de la "loi Génisson".

La loi a été adoptée en mai 2001, et les décrets d'application en septembre. De là notre inquiétude, que vient encore aggraver l'examen des bilans d'égalité. En effet, ils ne traitent pas de l'égalité professionnelle au sens strict du terme, dans la mesure où ils incorporent les questions d'horaires de travail, d'horaires de réunions, de déplacements, de mobilité, de qualification, de mode d'accueil des enfants, de vie privée et de vie familiale. C'est tout cet ensemble que recouvrent les bilans d'égalité. Ils ne se résument donc pas à la seule égalité, mais traitent tout un ensemble de problèmes de société.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ils retracent le parcours de l'homme et de la femme, à partir du moment où ils entrent dans une profession et embrassent une carrière professionnelle.

Mme Marie-France Boutroue : Exactement. Le seul rapport qui nous soit parvenu, est un rapport relatif à un accord sur l'industrie des tuiles et briques.

Vous m'avez demandé comment vous pourriez nous aider.

J'aurais tendance à dire qu'il faudrait activer le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle et le réunir, car c'est sa fonction première. S'il ne l'assume pas, s'il ne réunit pas les ateliers pour faire le point, si nous n'avons pas des chercheurs pour nous aider, nous ne pourrons pas faire grand-chose.

Or, il faut savoir qu'au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, presque toutes les chercheuses ont été remplacées par des directrices de ressources humaines. Je n'ai rien contre les DRH, mais, si nous voulons réfléchir à des prospectives, ce ne sont certainement pas elles - a fortiori si elles travaillent au sein de certaines municipalités - qui vont nous aider.

En revanche, il est tout à fait possible d'intégrer des chercheuses pour réactiver le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Nous avons donc demandé que les ateliers se réunissent à nouveau et qu'avec des chercheuses, nous puissions travailler à des prospectives.

Nous avons réussi à obtenir des chiffres sexués ; il s'agit maintenant de travailler à ancrer véritablement la "loi Génisson" dans les entreprises : chacun - conseils élus et organisations syndicales - aura part à ce travail.

A cet égard, je me dois de faire observer que les indicateurs sont tout à fait pertinents et que nous avons fait des simulations qui le confirment. En revanche, nous rencontrons des difficultés à les faire prendre en charge par les organisations syndicales, dans la mesure où leur gestion est assez complexe et pose des problèmes de financement.

En effet, dans le cadre des budgets alloués par l'Etat aux organisations syndicales, il nous a été précisé que la formation serait subventionnée, à condition d'y intégrer la question des femmes. Pour autant, les budgets n'augmentent pas de façon exponentielle. Quand il faut assurer une formation sur l'activité syndicale, sur les moyens économiques, sur les comités d'entreprise, sur les CHSCT, et en plus sur l'égalité, les moyens financiers ne suivent pas et il devient problématique de faire avancer le tout ...

En outre, nous aurions besoin qu'une enquête soit diligentée, notamment par la DARES- Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité - pour faire le point et mettre en commun les données obtenues par les organisations syndicales, les employeurs et les chercheurs, en vue de les analyser et de déterminer quelles réponses elles appellent.

Si l'on me dit et si l'on me prouve que tout va bien, je n'aurai rien à ajouter, mais je veux savoir ce qui se passe : cela permettra d'avancer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est toute la raison d'être de ces auditions. Je suis extrêmement préoccupée par ces bilans qui tardent à venir ; vous devez nous aider.

Mme Marie-France Boutroue : Nous pouvons nous y préparer, mais je ne suis pas certaine de trouver un écho auprès de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle.

Pourquoi ? Tout simplement parce que nous avons participé à une table-ronde, animée par M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de solidarité. Son intervention d'une dizaine de minutes a été suivie d'un tour de table. Mais, je ne crois pas à la négociation avec le patronat, en tant que tel. Un aiguillon de l'Etat est indispensable pour le forcer à agir.

Par ailleurs, j'aimerais bien que la principale préoccupation ne soit pas de "labelliser" les entreprises qui mettent en place des crèches. La question de l'accueil des enfants n'est en effet qu'une composante du problème. Je préférerais de beaucoup que l'on examine les problèmes et, si la création de crèches supplémentaires ou de modes d'accueil dans les entreprises ou les municipalités s'avère nécessaire, que l'on réponde aux besoins. Il n'y a pas lieu de se focaliser sur ce créneau.

J'ai bien compris le message qui nous a été délivré lorsque nous avons été reçues : il est hors de question de faire payer le patronat. D'accord ! C'est le point de vue d'un membre du Gouvernement et je l'admets : chacun son rôle ! Toutefois, en tant que représentante d'une organisation syndicale, je ne partage pas ce souci.

Pour moi, pour parvenir à l'égalité hommes-femmes dans les entreprises, c'est dans le cadre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle qu'il convient d'agir, et il faut aider les organisations syndicales, car ce sont toutes les femmes, indépendamment de leur couleur politique, qui seront conduites à s'impliquer dans cette question.

Vous me trouverez peut-être un peu sévère dans mon plaidoyer, mais comme cela fait quand même un certain nombre de mois que je travaille sur le sujet, j'estime que la coupe est pleine, voire qu'elle commence à déborder.

Au cours d'une réunion, une conférence nous avait été promise pour le 8 mars. Or, nous avons reçu une invitation le lundi 3 mars, pour une réunion le 6 mars, de seize heures à dix-huit heures trente, étant précisé qu'il était prévu d'écouter des interventions de présidents d'association et de ministres. Franchement, qu'est-ce que cela veut dire ? Pour qui nous prend-on ?

En attendant, des gens travaillent, des gens souffrent, des femmes sont employées à temps partiel, d'autres prennent le congé parental et, au bout de trois ans ou six ans, se retrouvent sans emploi et crèvent la faim. Après, on s'étonne de voir dans la rue les manifestations de celles qui ne se veulent "ni putes, ni soumises".

Commençons donc par leur trouver du travail : après, on verra ...

Je ne suis pas en mesure de vous brosser un autre tableau de la situation et je me sens d'autant plus responsable que j'ai participé à la négociation de la loi sur l'égalité professionnelle. Je me sens donc responsable par rapport à mon organisation syndicale et nous nous sentons responsables par rapport aux collectifs, parce que nous avons fait progresser la parité et la mixité au niveau de la CGT.

Nous entendons maintenant continuer : nous allons poursuivre notre travail sur les bilans en organisant des journées d'études, en arrêtant des plans d'action et en disant à nos organisations syndicales et à nos fédérations, qu'elles doivent négocier sur l'égalité.

Si nous n'obtenons pas de résultats, nous verrons alors comment intervenir, y compris sur le plan légal. En effet, cela fait plus de trois mois que les fédérations se battent pour obtenir des bilans d'égalité et que les employeurs refusent de leur communiquer les chiffres, notamment au niveau des casinos et des bureaux d'études.

Nous allons aussi intervenir au niveau des présidents de commissions mixtes, car cela fait aussi partie de l'activité du bureau de la négociation NC1 que de dire, sans prendre parti dans la négociation, : "il n'y a pas assez de négociations et vous devez négocier sur cette question !".

Quand les employeurs ne font pas ce qu'il faut, il me semble tout à fait naturel qu'un président de commission mixte les rappelle à l'ordre et leur demande de communiquer les chiffres.

Parallèlement, nous entendons travailler aussi sur le protocole d'accord des élections relatives aux délégués du personnel et au comité d'entreprise. Ils font l'objet d'un accord qui est totalement passé à la trappe.

Nous avons beaucoup travaillé sur les élections prud'homales et, cette année, nous allons nous consacrer uniquement à ces deux points. En travaillant avec les organisations syndicales sur le terrain, nous allons nous concentrer sur les protocoles d'accord et nous allons poser la question de la juste représentation des femmes et des hommes dans les entreprises et sur la liste électorale des délégués du personnel et des comités d'entreprise, ce qui revient à dire que les employeurs devront être beaucoup plus attentifs en ce qui concerne les bilans d'égalité, la négociation annuelle obligatoire sur les salaires, mais aussi les conditions de travail et tout ce qui touche à l'égalité.

Mme Muguette Jacquaint : Je crois que cette présentation n'appelle pas beaucoup de questions : elle résume bien les difficultés que nous soupçonnions.

De toute façon, lorsqu'on veut améliorer les choses au niveau de l'entreprise, on dresse toujours le même constat : on retrouve une inégalité entre les hommes et les femmes, aussi bien en termes de salaire que de promotion.

Maintenant que la "loi Génisson" est en vigueur, j'aurais souhaité savoir où se situent ses difficultés d'application dans les entreprises. Vous avez partiellement répondu à ma question. La première chose que me disent les jeunes filles que je rencontre, c'est qu'elles ne sont pas respectées dans leur quartier parce qu'elles ont un travail dévalorisant, quand elles parviennent à en avoir un. Il faut savoir ce que nous pouvons faire pour remédier à cela.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Notre objectif à toutes est de n'avoir plus besoin d'une journée du 8 mars : alors seulement nous pourrons dire que nous avons avancé.

Mme Marcelle Ramonet : Rien qu'en voyant comment les femmes sont représentées sur la scène politique, on peut mesurer le chemin qui reste à parcourir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Jeudi prochain, se tiendra à Metz un colloque organisé par le Conseil économique et social de Lorraine - qui compte un tiers de femmes - le Conseil régional - dont je suis vice-présidente - et la délégation régionale aux droits des femmes. Je peux vous dire que j'ai dû me battre pour que la première table ronde de ce colloque mette l'accent sur ce bilan.

Si mon premier souci en assumant la présidence de cette Délégation a été de me battre en faveur de la parité, sur laquelle planaient quelques menaces, mon second souci est maintenant de faire appliquer la "loi Génisson".

Pour ce qui me concerne, j'évoque toujours trois dates : 1972, l'égalité salariale ; 1983, l'égalité professionnelle avec la "loi Roudy" qui ne comportait pas d'aspects contraignants ; 2001, la "loi Génisson" qui rajoutait des aspects contraignants.

Quand vous évoquez la difficulté rencontrée par les uns ou les autres pour obtenir des chiffres, je suis très surprise, parce qu'il n'est pas difficile pour les entreprises de produire ces chiffres.

Au niveau de cette Délégation, je souhaite parvenir, d'abord à faire un tour d'horizon de cette question, ensuite à mettre l'accent sur la nécessité d'appliquer la loi.

Il est inutile de mettre en avant l'égalité professionnelle si, parallèlement, on ne fait rien pour la faire avancer.

Je me reconnais dans les propos que vous tenez, parce qu'ils traduisent exactement ce que je ressens dans ma circonscription ou quand je visite des entreprises, à savoir cette difficulté à percer la réalité de l'entreprise. La "loi Génisson" étant en vigueur, il faut la faire appliquer. Il faut pourvoir se faire communiquer les bilans, car c'est sur cette base que nous pourrons apporter des corrections nécessaires

Mme Muguette Jacquaint : Tout passe par les bilans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Si le bilan est mauvais, on le corrige ; s'il n'est pas mauvais, on s'en félicite.

Je souscris aussi totalement à vos propos, lorsque vous estimez qu'on ne peut pas se satisfaire d'un "label crèche", car ce n'est pas ce que les femmes attendent. Elles ont d'autres besoins que la crèche d'entreprise. La retraite des femmes, notamment, est un sujet qui ne pourra pas être évoqué aussi longtemps que l'on ne règlera pas la question de leur carrière.

Mme Marcelle Ramonet : Dès l'embauche, il y a une discrimination.

Pour avoir récemment visité une école d'ingénieurs, je peux dire que, dès le premier entretien, la discrimination est très importante : les jeunes filles ont un temps de chômage beaucoup plus long que les garçons, parce que les chefs d'entreprise hésitent à les employer. Je peux citer le cas d'une entreprise de ma région, le département du Finistère, dont le chef qui, faute d'autre candidat, s'est vu contraint à embaucher une fille, ne demande plus maintenant que des stagiaires de sexe féminin.

C'est en raison de cette difficulté liée à la première embauche, que les jeunes diplômées doivent souvent accepter un travail réclamant des compétences bien inférieures aux leurs, alors que les garçons, qui ont des prétentions démesurées, parviennent à décrocher des emplois qui dépassent leur niveau de formation.

Comment pouvons-nous agir ? Que pouvons-nous faire en tant qu'élues ? L'autre jour un journaliste m'a demandé, ce qui était indéniablement une provocation, si, compte tenu de mes propos, j'entendais imposer des quotas à l'embauche...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce n'est pas tant une affaire de quotas que de respect du diplôme et de la personne.

Mme Marcelle Ramonet : Oui, mais comment agir devant cette réalité qui veut que les filles trouvent moins facilement du travail que les garçons ?

Mme Marie-France Boutroue : Sur ces questions, il faut revoir, au niveau de la scolarité, l'éventail des métiers qui existent et qui sont très mal connus.

A ce premier inconvénient vient s'ajouter un second : on a tendance à penser que certains métiers ne sont pas accessibles aux filles, alors qu'il y a maintenant des possibilités nouvelles, y compris dans le bâtiment.

Mme Marcelle Ramonet : Dans le secteur de la production, on continue à ne pas vouloir de filles.

Mme Marie-France Boutroue : Que l'on ne veuille pas de filles dans certains secteurs, c'est une chose, mais, dès le départ, il faut élargir la palette des métiers qui leur sont proposés car, actuellement, les filles n'exercent que 40 métiers sur les 450 qui existent.

La lutte pour l'égalité se joue à plusieurs niveaux. Il faut notamment intervenir au niveau de l'éducation, parce que certaines filles seraient attirées par des métiers dont elles ne soupçonnent même pas l'existence.

Non seulement, on ne propose pas aux filles un choix très large, mais elles sont, en plus, influencées par leurs parents qui préfèrent les voir travailler dans un bureau que dans d'autres secteurs.

Il appartient aussi aux enseignants, à un moment donné, de diffuser en direction des parents, sans bien sûr leur faire violence, une information qui doit être prise en compte par l'Education nationale.

Mme Marcelle Ramonet : Elles ne trouvent pas de travail. Quand elles sont diplômées et désireuses d'entrer dans le secteur de la production, on leur préfère les garçons.

Mme Marie-France Boutroue : On ne va pas pouvoir régler ce problème autrement que dans le cadre de l'examen des bilans d'égalité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait.

Mme Marie-France Boutroue : Les bilans d'égalité sont nécessaires, en ce moment, pour nous permettre de savoir ce qui se passe dans l'entreprise et pour tordre le cou aux inégalités.

Une fois qu'on les aura obtenus, on pourra les exploiter : voir notamment où seront passées les femmes et combien auront été engagées. Si dans l'entreprise, les syndicats constatent que l'on embauche très peu de femmes, ils pourront aller trouver l'employeur pour lui demander pourquoi il n'engage pas de femmes et pourquoi, si les postes sont lourds et pénibles, il ne les aménage pas avec le concours des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Personnellement, je crois beaucoup à ces bilans d'égalité qui vont permettre de créer, à l'intérieur de l'entreprise, des mécanismes permettant de faire entrer des femmes dans tous les corps de métiers. J'y crois parce que c'est possible.

Cela étant, il y a bien d'autres choses que nous pouvons faire, notamment en matière de scolarité. Si on n'agit pas simultanément à ces deux niveaux, il ne faudra pas attendre grand-chose de la suite.

D'autres modes d'interventions sont également envisageables et je pense notamment aux branches d'activités appelées à se développer en termes de créations d'emplois et d'emplois qualifiés. C'est le cas de toutes les auxiliaires de vie dont on a besoin, et pas seulement pour les personnes âgées. Ce ne sont pas des emplois réservés uniquement aux femmes.

Mme Marcelle Ramonet : Essentiellement pourtant.

Mme Marie-France Boutroue : Mais pour quelle qualification ?

Il faut cesser de tenir des discours qui voudraient que, parce que l'on a élevé dix enfants, on soit capable d'élever ceux des autres. Ce n'est pas du tout vrai, car élever les enfants des autres, c'est aussi un acte de société qui suppose de savoir leur transmettre les moyens de se gérer eux-mêmes par la suite.

S'agissant de l'autonomie des personnes, nous savons que la société va compter de plus en plus de retraités : il y a là des gisements d'emplois potentiels, mais encore faut-il qu'il s'agisse d'emplois qualifiés et rémunérés en juste proportion. Or, qui va payer ? Il convient de réinsérer cette question dans l'ensemble du système social et fiscal, ce qui peut conduire à se poser la question suivante : pourquoi les entreprises ne participeraient-elles pas à cet effort de création pour l'ensemble des missions de service public ?

Pour ce qui est des petites entreprises et des métiers de service de l'artisanat, une convention a été passée avec le service des droits des femmes pour former des femmes : là encore, je vois des possibilités d'agir pour former, en fonction des besoins, aussi bien d'ailleurs des hommes que des femmes.

En se livrant à une étude prospective, on voit quels types de métiers sont susceptibles de se développer, mais il faut aussi compter avec les renouvellements de postes. Dès lors, pourquoi ne pas envisager de proposer plus de formations aux femmes qu'aux hommes pour occuper ces emplois ?

Dans le secteur de la plasturgie, on est en train de créer les conditions pour qu'une négociation intervienne à ce sujet. Les employeurs sont intéressés car, arguant des coefficients et du fait qu'ils n'ont pas de femmes à former, ils peuvent néanmoins bénéficier des fonds de la formation pour les femmes. Mes camarades vont donc veiller attentivement à ce que les femmes soient formées en priorité.

Il faut procéder à un examen approfondi des secteurs et des branches d'activités pour savoir où sont les femmes et où sont les hommes, pour que chacun puisse ensuite mettre la main au porte-monnaie en termes d'embauche et de qualification, en vue d'assurer l'égalité.

Si l'on creuse bien la question, il y a infiniment de choses à faire, et je ne voudrais pas que l'on vienne me dire que la loi de 2001 n'a servi qu'à mettre en place le travail de nuit des femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Surtout pas !

Mme Marie-France Boutroue : Pourtant, si l'on regarde bien la manière dont elle est exploitée, on constate que les accords de branches qui sont étendus portent essentiellement sur le travail de nuit.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui. D'ailleurs, Mme Muguette Jacquaint et moi-même, nous nous trouvions dans l'hémicycle lors de l'examen du projet de loi et je me rappelle que son vote a donné lieu à de grands débats sur le travail de nuit, sans qu'une grande attention soit portée aux autres dispositions du texte.

Mme Marie-France Boutroue : J'étais également présente et j'ai pu le vérifier.

Mme Muguette Jacquaint : Je suis tout à fait favorable à ce qu'un travail soit entrepris sur les métiers, car ils ont véritablement changé. Beaucoup de nouveaux métiers concernent la maintenance et cela dans de très nombreux secteurs (par exemple, en électronique) ; or, nous constatons qu'ils sont très rarement proposés à des jeunes filles. Il y a donc un gros effort à faire au niveau de l'Education nationale.

Il est incontestable qu'il faut pouvoir se procurer les bilans d'égalité, mais il ne faut pas négliger les informations concernant l'embauche, pour savoir qui s'est porté candidat à tel poste, qui a été refusé et pourquoi. Cela vaut également pour les élections de délégués au comité d'entreprise.

Quand on demande ces informations aux employeurs, ils observent le plus grand secret : ce sont des questions taboues.

Il faut dire qu'il y a encore beaucoup de discrimination : une jeune femme est venue me dire récemment que, lors d'un entretien d'embauche, la première question qui lui a été posée avait pour objet de savoir si elle comptait avoir des enfants et, dans ce cas, si elle avait prévu un mode de garde : c'est tout de même scandaleux.

Mme Marcelle Ramonet : D'un autre côté, une jeune femme qui envisage de travailler doit avoir aussi anticipé les choses : un jeune couple qui prévoit d'avoir un enfant s'organise en conséquence. Ce n'est pas à la dernière minute que l'on pense à cela.

Mme Muguette Jacquaint : D'accord, mais pourquoi ne pose-t-on jamais la question aux hommes ?

Quand on gère une entreprise, on sait que les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la vie active et, alors que l'on déplore toujours la baisse de la natalité, on ne va pas faire tout une histoire aux femmes qui attendent des enfants.

Pour ce qui est des modes d'accueil, mon opinion n'est pas totalement arrêtée. Il faut réfléchir à l'intérêt des crèches d'entreprise et savoir dans quelle mesure les entreprises souhaitent vraiment s'impliquer.

Mme Marie-France Boutroue : A Roissy, les crèches reçoivent entre 5 000 et 6 000 enfants, mais le cas est particulier en raison de l'importante fréquentation du lieu.

Cela étant, on peut parfaitement imaginer qu'il soit nécessaire de créer une crèche dans une entreprise de grande taille : après, il reste encore à discuter des modalités de fonctionnement, du mode d'accueil, etc.

Pour autant, ce n'est pas là l'essentiel. Le mieux est de laisser les parents s'organiser et de choisir une mode de garde de proximité ou à domicile. Toutes les formules peuvent être étudiées.

Mme Muguette Jacquaint : Je suis tout à fait d'accord pour ne pas faire reposer l'égalité uniquement sur l'accueil des enfants, parce que c'est une façon de faire retomber le problème sur les femmes.

Mme Marcelle Ramonet : Je considère néanmoins comme un plus le fait qu'une entreprise puisse accueillir les enfants.

Dans ma région où sont implantées d'assez nombreuses entreprises agroalimentaires, les mamans doivent travailler très tôt le matin et c'est une véritable galère que de parvenir à faire garder les enfants.

Avec quelques femmes, nous avons essayé de monter une crèche interentreprises financée, en partie par la municipalité, en partie par les entreprises...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est une très bonne formule.

Mme Marcelle Ramonet : ...mais le projet a capoté, car la plus grosse des entreprises s'est désistée au dernier moment, au motif fallacieux que, puisqu'il s'agissait d'une zone industrielle, l'air n'y serait pas bon pour les enfants.

Il n'en reste pas moins qu'à mes yeux, une entreprise qui se dote d'une crèche pour accueillir les enfants présente un avantage, dans la mesure où elle dégage les femmes de ce souci.

Mme Marie-France Boutroue : Je comprends ce point de vue.

Mme Muguette Jacquaint : Oui, mais l'égalité ne se limite pas à cela.

Mme Marcelle Ramonet : Les femmes ont déjà tellement de difficultés que, lorsqu'on les soulage de ce souci-là, et qu'elles savent qu'elles pourront travailler sans s'angoisser à l'idée de ne pas arriver à l'heure de fermeture de la crèche, c'est déjà un avantage.

Mme Muguette Jacquaint : Je n'ai jamais dit le contraire.

Mme Marie-France Boutroue : A l'inverse, on a l'exemple d'employeurs qui usent du prétexte de la crèche d'entreprise, pour exiger un peu plus de présence de leurs salariées.

Nous ne sommes pas opposées aux crèches d'entreprise, car nous reconnaissons qu'elles peuvent être utiles, mais elles ne sont pas essentielles pour l'égalité et nous considérons qu'il vaut mieux regarder quelle est l'implantation la plus favorable, la plus souhaitable et la plus judicieuse pour l'épanouissement de l'enfant. On parle toujours du temps des parents, mais jamais de l'épanouissement de l'enfant qui est un futur adulte et un futur salarié.

Mme Muguette Jacquaint : Je voudrais revenir sur les financements. Aujourd'hui, on a bien vu que le fait d'avoir des responsabilités syndicales au sein d'une entreprise suppose d'avoir reçu une formation. Qui paie ces formations ?

C'est un point sur lequel nous pourrions faire des propositions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait.

Mme Marie-France Boutroue : Depuis l'année dernière, nous avons organisé sept stages pour les militants, ce qui entraîne des frais de transport. Dans les entreprises où la masse salariale permet, par le biais du prélèvement de 0,008 0/00, de dégager une somme suffisante tout va bien, mais dans les autres, qui paient leurs employés au SMIC, la formule ne permet même pas d'envoyer un salarié par an en formation.

Il est vrai que nous pourrions organiser plus de stages, mais cela demande beaucoup de temps, beaucoup d'argent d'autant qu'il faut prévoir une documentation, dont celle que je vous ai apportée ne représente qu'une toute petite partie. Quand il faut envoyer un document à 500 personnes, il faut prévoir des frais d'envoi. Quand on réunit 250 femmes à Montreuil, il faut louer une salle et les infrastructures. Tous ces frais cumulés représentent beaucoup d'argent, ce qui contraint à opérer des sélections.

Nous allons lancer, pendant un an, une enquête sur les postes équivalents, comme au Canada, où des femmes cueillent des champignons toute la journée et où l'homme qui soulève la caisse en bout de chaîne est mieux rémunéré parce que son travail apparaît plus pénible.

Cela va nous coûter 4 300 €, mais nous voulons travailler sur cette question et donner des indications à nos organisations syndicales qui devront travailler sur les grilles et critères de classification. Il faut savoir qu'actuellement, c'est l'employeur qui, dans l'entreprise, décide de la cotation du poste, ce qui explique que deux personnes puissent avoir un niveau d'études identique, la même qualification, mais être payées différemment selon que l'une plaira plus à l'employeur que l'autre.

Tout ce que nous vous racontons, c'est vraiment du vécu !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'espérais ne pas l'entendre, mais je m'attendais à ce que, à un moment donné, cette question surgisse.

C'est là que le bilan d'égalité est fondamental, parce que cela n'est pas normal.

Mme Marie-France Boutroue : Nous avons eu une réunion, la semaine dernière sur les retraites, et j'ai dit que les inégalités n'étaient pas inhérentes à la retraite, mais aux postes de travail.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Bien sûr ; tout se ramène à la carrière.

Mme Marie-France Boutroue : En revanche, il faut faire preuve d'une très grande vigilance par rapport aux bonifications.

En effet, ces bonifications pour avoir élevé des enfants, qui comptent pour l'âge de la retraite, ont été acquises dans des conditions très particulières. Il ne faudrait pas que, maintenant, sous prétexte d'égalité, on arrive à donner plus aux hommes sous peine de rendre inégales ces situations qui obéissent à des raisons explicites.

Si tout le monde peut en bénéficier, les femmes vont se trouver pénalisées.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il faut faire attention. Un monsieur m'a écrit parce qu'ayant élevé ses enfants, il souhaitait bénéficier des mêmes droits que les femmes. Pour l'instant, il n'a toujours pas obtenu satisfaction. Il faut examiner les situations au cas par cas.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche au CNRS.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Merci, madame, d'avoir accepté notre invitation. Je dois dire que vous m'accompagnez depuis un certain nombre de jours, puisque je suis en train de lire votre dernier livre, Travail et emplois de femmes, que je trouve tout à fait passionnant et qui est une mine de renseignements sur le travail des femmes et l'évolution de la société féminine.

Autant il me semble, sans vouloir la minimiser, que la parité en politique, est symbolique, autant il m'apparaît essentiel de mettre l'accent sur l'égalité professionnelle, dans la mesure où ce problème concerne la majorité des Françaises.

Vous êtes directrice de recherche au CNRS, rattachée au laboratoire cultures et sociétés urbaines. En 1995, vous avez fondé le groupement de recherche, marché du travail et genre, - MAGE - et vous dirigez la revue de ce groupement intitulée : Travail, femmes et sociétés.

Dans votre dernier ouvrage, vous analysez l'évolution du travail et de l'emploi féminin au cours du XXème siècle, notamment sa tertiarisation, et je souhaiterais, puisqu'un colloque sur les femmes en Lorraine doit se tenir le 13 mars prochain, à Metz, que vous nous aidiez à définir précisément ce qu'est le secteur tertiaire pour lequel tant de femmes travaillent.

Au-delà de ce point de détail, j'aimerais que vous puissiez nous donner votre point de vue sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. C'est un sujet auquel s'intéressent les syndicats, les politiques, mais également des chercheurs qui, comme vous, conjuguent une vision du terrain et de la sociologie. C'est là un atout fondamental pour le législateur, même si je reste convaincue que des lois existent, que nous avons des outils, et que notre tâche, aujourd'hui, est de les faire appliquer pour une avancée intelligente des hommes et des femmes au sein de l'entreprise.

Mme Margaret Maruani : Puisque vous avez commencé par parler de parité, je voudrais dire avec beaucoup de fermeté, et ce sera un peu l'ossature de mon propos, que la parité, ce n'est pas l'égalité. Cette distinction est particulièrement importante dans le monde du travail. Pourquoi ? Parce que la féminisation du salariat est une donnée essentielle de la fin du XXème siècle : en l'espace de quarante ans, les femmes représentent près de la moitié du monde du travail, puisque leur pourcentage y est passé de 34 % au début des années soixante à 46 % aujourd'hui.

Elles forment, en Europe, 43 % de la population active ce qui prouve que la France se situe au-dessus de la moyenne européenne, devancée seulement par les pays scandinaves.

De ce point de vue, nous pouvons dire que nous ne vivons plus dans le même monde que dans les années soixante, la féminisation de la population active ayant transformé la société tout entière et, en premier lieu, le statut des femmes.

L'évolution de la position des femmes sur le marché du travail ne se ressent pas uniquement au niveau de leur vie professionnelle : elle constitue un fil rouge pour lire la place des femmes dans la société.

Cette croissance spectaculaire de l'activité féminine, qui remonte au début des années soixante, correspond à une lame de fond que nul n'avait prévue à l'époque et que rien n'a arrêtée depuis : ni la pénurie d'emplois, ni la baisse de la croissance, ni l'apparition d'un chômage massif et structurel.

En conséquence, dans le domaine économique, si la parité existe, elle ne rime pas avec égalité et c'est là, à mon sens, un problème qui est loin d'être résolu. La féminisation du salariat n'a pas débouché sur une régression véritable des disparités, des inégalités entre emplois masculins et féminins, sans doute parce qu'elle n'a pas été accompagnée d'une politique d'égalité véritablement offensive.

De mon point de vue, tout se passe en effet comme si, pendant des années, on avait cru à une espèce de pente naturelle vers le progrès, laissant à penser que les choses allaient s'arranger, que les inégalités liées au sexe allaient se diluer dans la modernité. Or, rien de tel ne s'est produit et il y a peu de domaines où une mutation sociale d'une telle ampleur s'est faite sur un fond d'inégalités aussi coriaces et rebelles.

De ce fait même, aucun constat simple n'est possible.

Il y a plus de femmes actives, plus de femmes salariées, plus de femmes instruites, mais il y a aussi plus de chômeuses, plus de salariées précaires, plus de femmes en sous-emploi. Les comportements d'activité masculins et féminins se rapprochent, mais les inégalités professionnelles et familiales s'incrustent.

Partant de là, on peut proposer deux lectures des choses : on peut dire avec raison que tout a changé et que rien n'est plus comme hier ; on peut dire avec tout autant de raison que rien n'a bougé.

Je ne revendiquerai aucune de ces lectures, ou plus exactement, je souscrirai aux deux, en voyant précisément et point par point les domaines où la situation a évolué, stagné ou régressé.

Premièrement, concernant la féminisation du monde du travail, il faut dire et redire que la présence des femmes sur le marché du travail n'est pas nouvelle. En 1968, Evelyne Sullerot soulignait déjà que les femmes ont toujours travaillé. Ce sont les modalités de travail qui ont changé.

A partir des années soixante, nous avons assisté à une croissance continue, soutenue, du nombre de femmes actives et, au-delà du saut quantitatif, c'est du rééquilibrage de la part des sexes sur le marché du travail qu'il s'agit.

Ainsi, au début des années soixante, on dénombrait sur le marché du travail 12,6 millions d'hommes et 6,7 millions de femmes : une différence du simple au double séparait les hommes et les femmes. Aujourd'hui, la différence est minime puisque, en 2002, pour 14 millions d'hommes, le nombre des femmes actives est passé à 12 millions. En l'espace de quarante ans, le nombre des hommes sur le marché du travail a augmenté d'un peu plus d'un million tandis que celui des femmes a progressé de 5,5 millions.

Depuis quatre décennies, tout le renouvellement des forces de travail dans ce pays s'est fait par la croissance de l'activité féminine. Il est important de dire que les femmes sont devenues l'élément actif du marché du travail et ce phénomène se vérifie partout en Europe puisque, dans les années soixante, les femmes représentaient 30 % de la population active européenne alors qu'elles en représentent aujourd'hui 43 %.

Cette évolution est sous-tendue par deux facteurs majeurs : la salarisation de la main-d'œuvre féminine et la continuité des trajectoires professionnelles des femmes. Aujourd'hui, et c'est vrai depuis 1975, les femmes sont proportionnellement plus souvent salariées que les hommes et elles ont poussé le mouvement de salarisation du monde du travail

Du point de vue de la continuité des trajectoires professionnelles, qui renvoie aux comportements d'activité des femmes, les choses ont radicalement changé : dans les années soixante, la majorité des femmes, lorsqu'elles avaient des enfants, s'arrêtaient de travailler. Le taux d'activité des femmes entre 25 ans et 49 ans était, à l'époque, de 40 %, alors qu'il est aujourd'hui de 80 %. Cela signifie que la majorité des femmes de ce pays ne s'arrêtent plus de travailler à la naissance de leurs enfants. Je précise que cela n'est pas vrai pour bon nombre de pays qui nous entourent dont l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

C'est là une transformation radicale du rapport à l'emploi des femmes comme du rapport des femmes à l'agencement des projets professionnels et familiaux : les femmes sont passées de la discontinuité du travail au cumul, étant précisé qu'en la matière, la géographie européenne diffère beaucoup selon les pays et pas obligatoirement en fonction d'un axe nord-sud.

De ce premier point, il convient donc de retenir que, d'une façon très certaine, partout en Europe, mais de façon très accentuée en France, c'est dans la tranche des 25-49 ans que l'activité féminine a véritablement explosé et que ce sont les mères de famille qui ont assuré l'essentiel de la croissance de la population active.

Deuxièmement, l'évolution concerne également les places des hommes et des femmes dans le système de formation. Elle se traduit par une percée des scolarités féminines. Je crois qu'il est justifié de parler de "rupture", dans la mesure où le niveau scolaire et universitaire des femmes est, aujourd'hui, en France, supérieur à celui des hommes.

Sur ce sujet, je me permets de vous renvoyer aux travaux de Christian Baudelot, Roger Establet et Marie Duru-Bellat qui, en 1990, ont fait apparaître par leurs ouvrages Allez les filles et l'Ecole des filles ce phénomène de la réussite des filles.

C'est en 1970, que les filles ont rattrapé les garçons avant de les dépasser, en termes de réussite au baccalauréat, et en 1975 qu'elles ont fait de même, en termes de diplômes universitaires. Il aura fallu vingt ans pour que l'on prenne conscience de ce phénomène et, si la société commence à s'en rendre compte, le marché du travail, lui, l'ignore toujours, puisque le diplôme de ces filles qui se sont très bien sorties de la compétition scolaire n'a pas la même valeur sur le marché du travail que celui des garçons.

De récents travaux de l'INSEE le confirment : pour les titulaires du baccalauréat, après dix ans d'expérience, les chances d'occuper un emploi de cadre sont de 17 % pour les hommes, contre 8 % pour les femmes, pour les titulaires d'un diplôme de deuxième ou troisième cycle universitaire, ces chances sont de 76 % pour les hommes contre 57 % pour les femmes.

Je pourrais continuer en m'appuyant sur d'autres études, car cette différence de valeur du diplôme est un phénomène que l'on mesure parfaitement.

Les arguments qui, il y a quelques années, pouvaient sinon légitimer, du moins excuser les inégalités professionnelles, aujourd'hui, sont tombés. Il y a trente ou quarante ans, on pouvait faire valoir que les femmes n'avaient pas la même trajectoire professionnelle que les hommes dans la mesure où elles arrêtaient de travailler lorsqu'elles avaient des enfants : ce n'est plus vrai aujourd'hui. On pouvait mettre en avant les inégalités de formations : ce n'est plus vrai aujourd'hui, puisqu'en termes de niveau, les filles dépassent les garçons. Les deux principaux arguments qui pouvaient expliquer les inégalités professionnelles sont devenus obsolètes.

Il n'en reste pas moins que les femmes sont plus mal payées, qu'elles ont des carrières professionnelles différentes et connaissent un surchômage et un sous-emploi patent, étant précisé que la ségrégation des emplois demeure prégnante.

Il est très frappant de voir à quel point la mixité, qui est désormais implantée à l'école, n'a toujours pas touché le monde du travail. La féminisation du monde du travail ne s'est, en effet, pas traduite par une réelle mixité professionnelle et les emplois féminins restent concentrés sur un petit nombre de secteurs traditionnellement réservés aux femmes. On aurait pu imaginer qu'avec l'irruption de plus de 5 millions de femmes sur le marché du travail, les femmes allaient se disperser sur un certain nombre de secteurs, mais cela ne s'est pas produit et la situation, loin de s'améliorer, s'est même aggravée en France. On constate, en effet, que les six catégories socioprofessionnelles les plus féminisées qui rassemblaient 52 % des femmes, au milieu des années quatre-vingts, en rassemblaient 60 %, en 2002.

Par conséquent, la concentration des emplois féminins n'a fait que s'accentuer, notamment dans ces six catégories professionnelles qui sont les employés de la fonction publique, les employés des entreprises, les employés du commerce, les personnels de service aux particuliers, les instituteurs, et les professions intermédiaires de la santé : elles regroupent à elles seules 6,2 millions de femmes actives.

Sur ce point, non seulement les choses n'avancent pas, mais elles régressent. Il faut bien noter, cependant, que les évolutions sont contrastées.

Troisièmement, la progression de l'activité et de la scolarité féminine a engendré deux phénomènes : d'une part, l'accès d'un certain nombre de femmes à des professions qualifiées ; d'autre part, la féminisation massive des métiers peu valorisés et peu qualifiés. Le mouvement est double et ne se prête pas à l'amalgame.

D'abord, on a pu voir des professions traditionnellement masculines se féminiser sans se dévaloriser. Il est important de dire que la dévalorisation n'est pas le destin de toute profession qui se féminise. Je pense aux professions de médecin, d'avocat, de magistrat, de journaliste et à bien d'autres qui se sont féminisées sans se dévaloriser. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il y ait égalité entre hommes et femmes au sein de ces professions. Un certain nombre de femmes récupèrent seulement sur le marché du travail la réussite de leur investissement en formation universitaire. C'est ainsi que les femmes représentent aujourd'hui 36 % des cadres et des professions intellectuelles supérieures, alors qu'elles n'en représentaient que 25 % en 1982, étant néanmoins précisé qu'au niveau des cadres dirigeants, le constat est aussi affligeant qu'en politique.

C'est un mouvement qui existe et il ne s'agit pas de faire du misérabilisme en la matière.

Ensuite, à l'autre extrémité de la pyramide sociale, on a vu un afflux de femmes actives se concentrer sur des emplois peu qualifiés du tertiaire.

Que s'est-il passé ? Avec le déclin des emplois ouvriers, on a assisté à un déplacement des emplois non qualifiés, de l'industrie vers les services, des postes d'ouvriers vers des postes d'employés.

Dans ce processus, les femmes occupent une place centrale, puisque 80 % des employés sont des femmes et que la catégorie "employés" regroupe aujourd'hui la moitié des femmes actives de ce pays. A cela il faut ajouter le fait que de nombreuses femmes employées cumulent deux handicaps : bas niveau de qualification et précarité de l'emploi. Il en va ainsi des vendeuses, des caissières, des aides à domicile, des employées de ménage, des serveuses, qui, bien souvent, travaillent à temps partiel avec des statuts d'une grande précarité et des horaires de travail très éclatés.

Cette coexistence de deux mouvements avec, d'une part une concentration d'une grande partie des femmes actives dans les emplois peu qualifiés du tertiaire et, d'autre part, une croissance des emplois féminins qualifiés débouche, non pas sur un constat d'immobilisme, mais de bipolarisation. A la faveur de la crise de l'emploi, de la féminisation du monde du travail, de l'élévation du niveau d'instruction des femmes, l'écart entre les femmes s'est creusé.

Quatrièmement, toutes ces différences se retrouvent au niveau des salaires. Alors que les directives européennes et les lois françaises comportent des préconisations telles que "à travail égal , salaire égal", les statistiques mettent en lumière des écarts considérables.

Sur l'ensemble des pays de l'Union européenne, les écarts de salaires s'échelonnent entre 10 % pour l'ex-Allemagne de l'Est et le Danemark et 30 % pour le Grèce et les Pays-Bas, ce qui prouve que la géographie européenne ne peut pas se décliner selon un axe nord-sud.

La France, de ce point de vue, tout comme l'Allemagne de l'Ouest, se situe dans la moyenne européenne avec un taux de 24 %.

Comment s'explique cet écart ? D'une part, par la concentration et la ségrégation des emplois féminins. On aura beau dire qu'à travail égal, salaire égal, les femmes et les hommes ne font pas le même travail et on ne peut pas comparer le salaire d'un ouvrier qualifié de la métallurgie à celui d'une femme de ménage : ils n'exercent pas le même métier et leur salaire n'est pas comparable.

Cette affirmation est juste, mais pour partie seulement, car si l'on raisonne comme les économistes, en isolant deux personnes d'un niveau de formation égal, au sein d'une même catégorie socioprofessionnelle, d'âge égal, d'expérience égale, dans des établissements de même taille, il reste ce que les économistes appellent un "résidu" - d'où la question qu'avait posée Christian Baudelot au cours de l'un de nos séminaires : le sexe est-il un résidu ? - qui est évalué entre 10 % et 15 %.

Les économistes parlent d'une "boîte noire", laquelle n'est que pure discrimination : si on prend deux clones, l'un masculin, l'autre féminin, il reste au niveau des salaires une différence de 10 % à 15 % que l'on ne parvient pas expliquer autrement que par une discrimination brutale.

Comment ces écarts ont-ils évolué dans le temps ? Vous me permettrez, pour l'illustrer de vous citer les chiffres des écarts de salaire pour des emplois à temps complet, sachant que le temps partiel était assez rare dans les années soixante.

Pour la France, ils laissent apparaître, que l'on est passé d'un écart de 36 % en 1950, à un écart de 24 % aujourd'hui. En un peu moins d'un demi-siècle, l'écart s'est donc réduit de 14 points et si le progrès est indiscutable, il est aussi indiscutablement lent. A ce rythme, dans un siècle, le problème se posera encore...

En revanche, ce que ces chiffres ne nous disent pas, c'est la montée en puissance des bas et des très bas salaires. A cet égard, je dois préciser que, comme pour les taux de chômage ou d'inflation, il y a plusieurs méthodes pour calculer les écarts de salaire. Il n'y a pas de chiffres vrais ou faux : tout dépend ce qu'on met derrière. En l'occurrence, les statistiques que je viens de vous livrer portent sur des salaires à temps plein et masquent les effets du chômage à temps partiel, lequel a pesé très lourdement sur l'évolution des bas salaires - moins de 5 500 F par mois - et des très bas salaires- moins de 4120 F par mois. Aujourd'hui, en France, 3,4 millions de personnes, dont 80 % de femmes, travaillent pour un salaire inférieur à 5 500 F par mois, ce qui est énorme : à ce sujet, je vous renvoie aux travaux de Pierre Concialdi et Sophie Ponthieux.

Les trois quarts des emplois à bas salaires sont des emplois à temps partiel, majoritairement occupés par les femmes. Qu'on le veuille ou non et quel que soit le point de vue que l'on a sur le temps partiel, ce dernier a contribué - et nous avons aujourd'hui assez de recul pour le constater - à créer des poches de pauvreté féminine au sein du salariat.

S'agissant des écarts de salaires, on peut dire aussi que l'évolution est contrastée. En effet, on observe une progression s'agissant strictement des évolutions de salaires, puisque les écarts se réduisent - lentement, mais ils se réduisent -, alors que l'on observe une régression s'agissant des bas et très bas salaires.

Cinquièmement, le travail à temps partiel, en France comme partout en Europe, est l'apanage des femmes : plus de 80 % des personnes occupant des emplois à temps partiel sont des femmes. Je n'ai vu nulle part d'exemple où le travail à temps partiel soit autre chose qu'une forme d'emploi spécifiquement féminine : il faut arrêter de dire qu'il va, un jour, intéresser les hommes, car ce jour n'est pas venu et je ne crois pas qu'il soit près de venir.

Toutefois, à la différence de nos voisins européens, le travail à temps partiel est, en France, un phénomène récent. Il date très précisément du début des années quatre-vingts, puisque, depuis cette date, le nombre de personnes travaillant à temps partiel est passé de 1,5 million à 4 millions. Autant dire que le travail à temps partiel, en France, n'est pas une composante de la croissance de l'activité féminine.

Ce n'est pas le temps partiel qui, en France, à la différence des Pays-Bas, du Royaume-Uni ou des pays scandinaves, a permis aux femmes d'intégrer le salariat. Ce n'est pas lui qui explique la féminisation du monde du travail. C'est à temps plein que les femmes ont afflué sur le marché du travail depuis le début des années soixante. J'irai plus loin en disant que c'est même là l'une des caractéristiques fortes de ce que l'on appelle, dans la géographie européenne des comportements d'activité, la croissance de l'activité féminine "à la française".

Le travail à temps partiel a fait irruption dans notre pays, au début des années quatre-vingt, à la faveur de la crise de l'emploi et sous l'impulsion de politiques publiques fortement incitatives, fondées sur des aides financières ou des abattements de cotisations sociales, récemment supprimés, mais qui ont perduré vingt ans, en faveur des employeurs créant des emplois à temps partiel.

Il est, bien entendu, compliqué de parler du travail à temps partiel tant sont disparates les réalités sociales qu'il recouvre. Entre le mercredi libre d'une secrétaire fonctionnaire et les dix-huit heures de la caissière de Carrefour, il y a un monde : il ne s'agit pas du même travail à temps partiel, les deux formules ne concernent pas les mêmes femmes, même si, malheureusement, les statistiques font un amalgame de ces deux réalités sociales.

En revanche, on sait de façon sûre que, ce qui a dopé la croissance du temps partiel en France, ce n'est pas le mi-temps dans la fonction publique, mais tous ces emplois qui se sont créés dans un certain nombre de secteurs de l'économie, où l'on a vu se multiplier les offres d'emploi à temps partiel, je veux parler de la grande distribution, de l'hôtellerie, de la restauration, des services aux particuliers et aux entreprises et cela dans une catégorie professionnelles particulière : celle des employées.

La plupart des employées à temps partiel sont donc vendeuses, caissières ou femmes de ménage. Bon nombre d'entre elles n'ont pas choisi d'avoir un emploi à temps partiel : elles ont choisi d'avoir un emploi de quelques heures plutôt que d'être au chômage. Beaucoup travaillent pour un salaire largement inférieur au SMIC avec des horaires extrêmement éclatés.

Aussi, lorsque l'on présente le temps partiel comme une bonne formule pour les femmes, au motif qu'elle leur permettrait de concilier vie professionnelle et vie familiale, je m'insurge. En effet, pour avoir enquêté il y a quelques années dans la grande distribution et avoir suivi les thèses et enquêtes de mes doctorants sur le sujet, je sais que ces employées viennent souvent travailler deux heures par-ci, par-là, sans avoir leur planning d'une semaine sur l'autre et souvent sans même savoir ce qu'elles vont gagner en fin de mois. Qu'est qu'une telle formule permet de concilier, sinon bas salaire, précarité et désorganisation de la vie familiale ?

Beaucoup de femmes se retrouvent ainsi en situation de sous-emploi selon les critères des statisticiens, ce qui revient à dire qu'elles travaillent moins qu'elles ne le souhaiteraient. Au fil des ans, le temps partiel est devenu la figure emblématique de la division sexuelle du marché du travail. Contrairement à d'autres questions, à propos desquelles on peut parler d'une "tradition" d'inégalité, s'agissant du temps partiel, on peut dire que l'on a créé, de toutes pièces, une forme d'emploi spécifiquement féminine.

Cette situation renvoie à la question de savoir si l'on peut laisser se développer cette forme d'emploi spécifiquement féminine et se multiplier les emplois payés au-dessous du SMIC, sachant que la majorité des travailleurs pauvres sont, en France, des femmes travaillant à temps partiel.

S'agissant des travailleurs pauvres on les pointe toujours du doigt aux Etats-Unis en dénonçant le fait que l'on y a choisi de comprimer le chômage à coups de mauvais emplois, mais il faut se rendre à l'évidence que des travailleurs pauvres, il en existe aussi en France. Qu'est-ce que ces 3,4 millions de personnes qui travaillent pour un salaire inférieur au SMIC, sinon des travailleurs pauvres et principalement des travailleuses pauvres dont on parle très peu  ?

Sixièmement, les années qui ont vu se développer la féminisation de la population active sont aussi celles qui ont connu l'essor d'un surchômage féminin qui s'est solidement incrusté dans le paysage social et, à cet égard, les chiffres sont très frappants dans la mesure où ils permettent de mesurer le silence qui pèse, notamment au niveau des médias, sur la question du chômage féminin.

Tous les mois, on commente les courbes du taux de chômage comme si elles constituaient une sorte de baromètre social. On distingue le taux de chômage des jeunes, le taux de chômage des vieux, le taux de chômage des cadres, celui des personnes qualifiées et moins qualifiées, mais on ne parle jamais du chômage des femmes.

Selon l'enquête la plus récente de l'INSEE, qui remonte à 2002, le taux de chômage global est de 8, 9 %. Or, si on le décompose selon le sexe, il se situe à 7,9 % pour les hommes et à 10,1 % pour les femmes. Si on le ventile en fonction de la catégorie socioprofessionnelle, il est estimé à 4 % chez les cadres, hommes et femmes confondus, à 11 % chez les employées et à 16 % chez les ouvrières.

Le taux de chômage des jeunes, très durement frappés par le chômage, ce qui choque notre société, se situe, pour les moins de 25 ans, à un niveau global de 20 %, ce dernier taux se ventilant de la façon suivante : 18 % pour les jeunes hommes et 23 % pour les jeunes femmes. Ces chiffres illustrent bien la sélectivité du marché du travail, parce que c'est précisément chez les moins de 25 ans que les taux de chômage devraient accuser de moindres écarts entre les hommes et les femmes. Il s'agit, en effet, de générations où les filles sont plus diplômées que les garçons, d'une tranche d'âge où l'effet famille ne joue pas, puisque la première maternité, en France, intervient en moyenne à 29 ans. Ce n'est donc pas parce que les filles ont des enfants ou sont moins diplômées qu'elles ne travaillent pas, mais parce que le marché du travail filtre, sélectionne et produit de la discrimination, de la ségrégation.

Ce problème n'est pas purement français : sur l'ensemble de l'Union européenne, on retrouve les mêmes écarts.

Je suis très frappée de constater à quel point ce surchômage avéré passe inaperçu. On note une sorte de tolérance sociale par rapport au chômage des femmes, comme si persistait dans les esprits l'idée, qui n'est pas exprimée car politiquement incorrecte, du salaire d'appoint : le chômage serait moins grave pour les femmes...

S'agissant des chiffres du chômage officiel, j'ai récemment publié un autre livre Les mécomptes du chômage, dans lequel j'ai tenté de scruter toutes les zones d'ombre qui entourent le chômage : le chômage découragé, le chômage révélé. Si on les dissipe, on arrive à des taux de chômage beaucoup plus importants et à des différences entre les hommes et les femmes nettement plus significatives.

En conclusion, je dirai que, finalement, avec la féminisation du monde du travail, quoi que l'on dise, quoi que l'on pense, quelles que soient les inégalités que l'on puisse constater, c'est le statut des femmes dans la société qui a fondamentalement changé. Ne l'oublions jamais lorsque nous soulignons les inégalités. Cela étant, cette féminisation ne s'étant pas accompagnée d'une résorption des inégalités, il faut en permanence rappeler ces deux aspects de la question.

Il y a féminisation, mais l'égalité n'est pas au rendez-vous et doit faire l'objet d'un autre combat. En la matière, parité ne rime pas avec égalité.

J'ai le sentiment que, par rapport au monde du travail, les femmes ont gagné en autonomie, en liberté : le fait d'accéder au salariat offre une autonomie économique, c'est la liberté. En revanche, l'égalité entre les sexes continue à piétiner et à stagner.

Mme Muguette Jacquaint : Vous avez situé le début du mouvement de féminisation au début des années soixante. Est-ce en rapport avec que le fait que les femmes devaient, pour travailler, obtenir l'autorisation de leur mari ?

Mme Margaret Maruani : Croyez-vous que beaucoup la demandaient ? C'était déjà complètement anachronique dans les années soixante. Je crois que ce qui a fait monter ce phénomène, c'est l'explosion du secteur tertiaire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Comment le définissez-vous ?

Mme Margaret Maruani : Il faut d'abord savoir si l'on définit les emplois ou les activités.

Par exemple, quelqu'un qui est ouvrier dans la fonction publique, n'exerce pas un métier tertiaire, mais il travaille dans le secteur tertiaire. A l'inverse, une femme qui est secrétaire dans une entreprise industrielle exerce un métier du tertiaire, mais elle travaille dans le secteur industriel. En général, on parle du secteur tertiaire, mais on y inclut aussi bien les employés de bureau, de commerce, les services, les professions intellectuelles, depuis les cadres jusqu'aux enseignants. C'est une catégorie très éclatée.

Mme Muguette Jacquaint : J'ai souvent entendu des chefs d'entreprise dire que les femmes ne savaient pas se valoriser : qu'en pensez-vous ?

Mme Margaret Maruani : C'est un argument.

J'ai plutôt tendance à penser que les responsables du recrutement dans les entreprises ont toujours une vision extrêmement sexuée des emplois et n'embauchent pas indifféremment un homme ou une femme pour occuper tel ou tel poste. Le marché du travail crée de la discrimination. On a souvent, y compris dans les analyses sociologiques qui ont été produites, rejeté une part de responsabilité sur la famille et dit que cette situation reflétait la division sexuelle de la famille.

Il est vrai que, pour l'essentiel, les tâches domestiques et l'éducation des enfants reviennent aux femmes : c'est une espèce de noyau dur qui ne bouge pas. Cela étant, cela ne suffit pas à expliquer toutes les inégalités, ni même celles qui existent sur le marché du travail. Ce n'est pas parce que ces tâches incombent aux femmes qu'on les embauche comme caissières ou vendeuses à temps partiel, mais parce que le marché du travail a créé de tels emplois.

En revanche, quelle hiérarchie créent ces emplois à bas salaire au sein de la famille ? Les écarts de salaire entre hommes et femmes ne font que creuser les inégalités au sein de la famille.

Mme Claude Greff : J'aurais aimé que vous développiez un peu plus votre point de vue sur les inégalités qu'engendre, selon vous, le temps partiel et sur l'influence de la maternité sur la carrière professionnelle des femmes.

Mme Margaret Maruani : Le temps partiel a une histoire compliquée. Dans les années soixante, les politiques publiques ont poussé le temps partiel pour pallier la pénurie de main d'œuvre dont souffrait alors le pays. C'était un moyen d'attirer les femmes sur le marché du travail. Il n'a pas forcément été reçu comme tel, puisque les femmes sont arrivées à temps plein sur le marché du travail.

Il est revenu au goût du jour dans les années quatre-vingt, dans la mesure où on l'a vu comme un moyen de comprimer le chômage, mais cela n'a pas fonctionné non plus.

C'est vrai que le temps partiel recouvre beaucoup de réalités, et je n'aime pas la distinction qui a été établie entre le temps partiel subi et le temps partiel choisi, parce que je la trouve très idéologique. Certaines femmes peuvent choisir de travailler à temps partiel parce qu'elles sont tellement écrasées par les tâches domestiques qu'elles n'ont pas d'autre solution. En l'occurrence, s'agit-il d'un choix ? Pas vraiment ! A l'inverse des femmes qui se sont vu imposer un temps partiel à l'embauche peuvent finir par très bien s'en accommoder.

Je pense, moi, que la seule frontière qui a du sens doit être établie selon que c'est l'employeur qui a imposé le temps partiel à l'embauche ou le salarié qui l'a demandé. En d'autres termes, plutôt que de savoir qui a choisi le temps partiel, il faut savoir qui l'a produit.

Quand on regarde ce qui s'est passé depuis vingt ans, on voit que le temps partiel s'est essentiellement développé dans des secteurs qui ont massivement embauché, parce qu'il offre une grande souplesse aux employeurs, tout en étant extrêmement rigide pour les femmes.

S'agissant de la maternité, j'ai dit que, dès lors que l'âge de la première maternité se situait aux alentours de 29 ans, elle ne pouvait pas expliquer les forts écarts de taux de chômage entre jeunes gens et jeunes filles.

Il est très frappant de constater - et c'est un phénomène qui est particulièrement accusé en France par rapport aux autres pays européens - que, la plupart du temps, la maternité n'écarte plus les femmes du marché du travail : les taux d'activité des femmes ayant un enfant, deux enfants ou pas d'enfant sont, aujourd'hui, quasiment identiques.

S'il y a une différence, elle intervient à partir du troisième enfant, et encore, puisque plus de 50 % des femmes qui ont trois enfants et plus sont, aujourd'hui, actives. La maternité n'est plus un frein à l'activité professionnelle.

Pour confirmer ce que je viens de dire, je vais vous livrer quelques chiffres. Le taux d'activité des femmes de 25 ans à 49 ans, selon le nombre d'enfants, est, aujourd'hui, le suivant : 86 % lorsqu'elles n'ont pas d'enfant, 84 % lorsqu'elles ont un enfant, 75 % lorsqu'elles ont deux enfants, 50 % lorsqu'elles ont trois enfants et plus.

Dans les années soixante, ce taux d'activité était de 55 % pour les femmes sans enfant, de 42 %, pour les femmes ayant un enfant, de 26 % pour les femmes ayant deux enfants, et de 15 % pour les femmes ayant trois enfants et plus.

Ces chiffres traduisent bien une révolution.

Mme Claude Greff : Il est difficile de comprendre, que 80 % des femmes travaillent pour un salaire inférieur au SMIC.

Mme Margaret Maruani : Non : les personnes qui gagnent un salaire inférieur au SMIC sont à 80 % des femmes.

Mme Claude Greff : Cela me paraît effrayant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est effrayant et c'est ce qu'il convient de changer, d'autant, comme vous le disiez que l'on n'en parle jamais.

Mme Muguette Jacquaint : Et d'autant que ce sont elles qui travaillent dans les conditions les plus difficiles, qu'elles ont souvent de jeunes enfants et qu'elles doivent assumer les frais de garde.

Mme Margaret Maruani : C'est bien pourquoi l'allocation parentale d'éducation (APE) a eu des effets dévastateurs : elle a fonctionné à plein régime parce qu'elle concernait précisément cette population qui travaillait pour très peu d'argent et qui s'est vu proposer la même somme pour rester à la maison. Il fallait être héroïque pour ne pas accepter l'offre. Le drame, c'est que, après, ces femmes ne retrouvent plus d'emploi. L'ouverture de cette allocation aux familles de deux enfants remonte à 1994, et toutes les études réalisées depuis montrent que cette opportunité a été saisie, soit par des femmes au chômage, soit par des femmes en situation très précaire, qui, ensuite se sont trouvées totalement déconnectées du marché du travail.

Mme Claude Greff : Je comprends parfaitement ce que vous avez dit, mais il me semble, étonnant - et ne voyez rien de discriminatoire dans mon propos - que quelqu'un qui n'a pas de qualification particulière puisse se trouver écarté du marché du travail.

Mme Margaret Maruani : Le problème c'est que les emplois non qualifiés, même s'ils tournent beaucoup, ne sont pas assez nombreux pour que tout le monde puisse en occuper, sans quoi nous n'aurions pas des millions de chômeurs.

Les risques de se retrouver au chômage après avoir bénéficié de l'APE ont été statistiquement mesurés et ils sont très élevés. C'est un constat.

Mme Muguette Jacquaint : On peut d'ailleurs très bien concevoir que, compte tenu du taux de chômage, les hommes prétendent aussi à ces emplois.

Mme Margaret Maruani : Ce n'est pas si sûr, car durant ces vingt dernières années, on n'a pas observé, en France ou en Europe, du fait du chômage, de mouvement de substitution de main-d'œuvre. Les hommes ne sont pas venus occuper les emplois féminins. Cela s'est produit dans d'autres pays, notamment dans les pays où il n'y a pas (ou peu) d'indemnisations de chômage.

On aurait pu imaginer que cela se produise en Europe, d'autant que les activités tertiaires où les femmes travaillent ont été moins touchés par les suppressions massives d'emplois que le secteur industriel, mais cela n'a pas été le cas.

Il faut dire les choses jusqu'au bout : la ségrégation, aussi paradoxal que cela puisse paraître, a relativement protégé les femmes de la crise de l'emploi. Les hommes ne sont pas devenus assistants maternels.

Ce qui est surtout frappant, c'est l'écart qui existe entre le poids des femmes dans le secteur économique, leur niveau de formation et la place qu'elles occupent dans le monde du travail.

Mme Muguette Jacquaint : Je connais des femmes de niveau bac + 3 qui sont caissières pour un salaire de 4 000 F par mois...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, c'est monnaie courante.

Mme Muguette Jacquaint : ... et le temps partiel n'a fait qu'aggraver les choses.

Mme Margaret Maruani : Effectivement. On peut dire qu'il a largement contribué à la paupérisation d'une partie du salariat féminin. De ce point de vue, il y a incontestablement une régression.

D'ailleurs, il faut savoir que la bataille des chiffres et des définitions sur les working poors, les travailleurs pauvres, ne fait que commencer. C'est un débat que je suis de très près, car l'INSEE est en train de proposer une définition de la pauvreté laborieuse assez restrictive : elle toucherait ceux qui gagnent moins que 50 % du salaire médian, soit environ 3 500 F. A ce compte-là, il y aurait 1,3 million de travailleurs pauvres. L'organisme de statistiques européen, Eurostat, propose de mettre la barre à 60 % du salaire médian, ce qui ferait passer le nombre des travailleurs pauvres à 2,4 millions.

Pour ce qui me concerne, je suis partie de la définition qui me semblait sociologiquement la plus juste, qui inclut tous les salaires inférieurs au SMIC, et je suis arrivée à 3,4 millions.

Selon la définition de l'INSSE, il y aurait donc 1,3 million de travailleurs pauvres, dont 60 % d'hommes, alors que sur les 3,4 millions de personnes concernées par ma définition, il y aurait 80 % de femmes.

Pourquoi ? Parce que l'INSEE prend comme unité de compte, non pas le salarié, mais les familles divisées en unités de compte ce qui permet d'englober tous les hommes dont la femme ne travaille pas, et pour qui le risque de tomber dans la pauvreté est proportionnel au nombre d'enfants. Or, on sait bien que, dans les familles, l'argent du ménage n'est pas partagé à égalité. Il faudrait tomber d'accord sur une vraie définition pour décortiquer tout cela.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : De quelles aides auriez-vous besoin pour faire avancer les choses ?

Mme Margaret Maruani : Je pense qu'il faut d'abord s'attaquer au sous-emploi. On ne peut pas tolérer qu'il y ait 3,4 millions de travailleurs pauvres. Cela traduit une dégradation de la valeur du travail qui est inadmissible.

Il faut reprendre la question du travail à temps partiel à bras-le-corps. Martine Aubry, alors ministre de l'emploi et de la solidarité, a suspendu les aides à la création des emplois à temps partiel, mais il reste qu'un certain nombre de secteurs d'activité ont intégré le temps partiel comme un mode de gestion de la main-d'œuvre permanente. Comment désincruster cette habitude ?

Je considère que le temps partiel devrait être régulé au même titre que les autres formes d'emploi atypiques, comme l'intérim ou les contrats à durée déterminée. Pourquoi au bout d'un certain nombre d'années passées à temps partiel, les travailleurs n'auraient-ils pas le droit de demander un temps plein ?

Il faut aussi bien étudier la question du chômage. J'avoue que je suis fatiguée d'entendre parler du chômage des cadres ou des jeunes, alors que personne, pas même les syndicats, n'évoque la répartition par sexe du chômage.

Mme Muguette Jacquaint : Peut-on aller jusqu'à dire que le travail à temps partiel nuit à l'image du travail des femmes ?

Mme Margaret Maruani : Indéniablement. S'agissant du temps partiel, on a toujours cité en exemple, ce qui me fait sursauter, les Pays-Bas où 17 % des hommes et 70 % des femmes travaillent à temps partiel : c'est-à-dire que c'est toute l'image du travail des femmes qui, dans ce pays, est accolée au temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Les modèles nordiques ne sont pas meilleurs.

Mme Margaret Maruani : Non ! Certaines de leurs expériences sont à retenir, mais ils sont loin d'être des modèles. D'ailleurs, il n'y a pas de modèles, il n'y a que des contre-modèles.

Je me rappelle que l'on disait toujours de la France, il y une quinzaine d'années, qu'elle était en retard par rapport au Royaume-Uni, parce que moins de femmes y travaillaient à temps partiel et je m'insurgeais déjà contre cette vision en disant, avec raison je pense, qu'au contraire, elle était en avance.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je vous remercie beaucoup, et dans les cinq ans qui viennent, je n'exclus pas de vous revoir pour faire à nouveau le point de la situation.

Mme Margaret Maruani : Bien volontiers, mais laissez-moi vous dire que, s'agissant des droits des femmes, on n'avance pas à petits pas : il faut des coups de force.

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