DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 18

Mardi 8 avril 2003
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de MM. Hedi Jemiai, représentant du Fonds des Nations-Unies pour le développement (FNUAP) auprès de la Commission européenne et Neil Datta, secrétaire de la Fédération internationale pour la planification familiale (IPPF)

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La Délégation aux droits des femmes a entendu MM. Hedi Jemiai, représentant du Fonds des Nations-Unies pour le développement (FNUAP) auprès de la Commission européenne et Neil Datta, secrétaire de la Fédération internationale pour la planification familiale (IPPF).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui MM. Hedi Jemiai, représentant du Fonds des Nations-Unies pour la Population auprès de la Commission européenne, et Neil Datta, secrétaire de l'IPPF. Vous êtes accompagnés de Mmes Françoise Laurant, présidente, Maïté Albagly, secrétaire générale, et Dominique Audouze, coordinatrice des actions internationales, de la confédération du Mouvement français pour le planning familial.

Vous avez sollicité cette audition et elle m'a semblé nécessaire, car nous avons été sensibilisés aux problèmes de démographie et de développement par Mmes Claude Greff et Danielle Bousquet, qui ont assisté à la conférence d'Ottawa, et par Mme Béatrice Vernaudon, qui a participé à la conférence de Bangkok.

La représentation nationale, par le biais de la Délégation aux droits des femmes, doit être informée de ce qui se passe aujourd'hui dans le monde en ce qui concerne les problèmes de planning familial et de démographie. Nous vous écouterons donc avec intérêt, même s'il sera plus délicat d'aller plus loin aujourd'hui sur un plan financier.

M. Hedi Jemiai : Je m'appelle Hedi Jemiai et je suis le représentant du Fonds des Nations-Unies pour la Population, généralement connu sous le nom de FNUAP.

Quelques mots sur notre organisation : le Fonds des Nations-Unies pour la Population existe depuis plus de 35 ans. Nous travaillons dans tous les pays en voie de développement. Nous avons plus de 120 bureaux de représentations dans les pays en voie de développement et notre mission est essentiellement guidée par le programme d'action de la Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD) qui s'est tenue au Caire en septembre 1994, dont l'objectif ultime est la promotion de l'individu et de son bien-être dans un développement économique et social harmonieux et durable.

Pour contribuer à la réalisation de cet objectif, le FNUAP concentre son action dans trois domaines :

Le premier est celui de la santé de la reproduction avec tous ses aspects aussi bien médicaux, tels que la grossesse, les soins pré-nataux et post-nataux, la planification familiale, les MST, la morbidité liée à la reproduction, la mortalité maternelle, etc. que les aspects sociaux et juridiques, tels que les droits de la femme en matière de reproduction ainsi que l'égalité des droits de la femme par rapport à l'homme dans les sociétés où nous sommes présents. Ce sont là des éléments fondamentaux de l'action que mène le FNUAP.

Le deuxième est celui de la population et du développement en général, tant au niveau macro-économique qu'au niveau micro-économique où nous nous intéressons aux relations qui existent entre les phénomènes démographiques d'une part, comme la natalité, la mortalité, l'accroissement démographique, les migrations, et ceux d'ordre économique et social d'autre part, comme l'emploi, l'urbanisation, l'éducation, la santé, etc.

Le troisième est celui du plaidoyer, qui est en général centré sur l'information, l'éducation et la communication, et vise à sensibiliser les décideurs dans les pays en voie de développement, afin de faire évoluer les législations dans le sens du respect des droits humains et du soutien aux politiques et aux programmes d'action en faveur des populations, du développement, de la santé en matière de reproduction et des droits de la femme.

Concernant la structure du FNUAP, notamment le financement de nos activités, nous dépendons de l'Assemblée générale et du Conseil économique et social des Nations-Unies. Notre conseil d'administration est composé de pays membres élus régulièrement. Il s'agit de pays "donateurs", mais également de pays "récepteurs".

Le financement se fait par contribution volontaire des pays donateurs (développés et en développement) et notre budget est scindé en deux parties : tout d'abord, un budget régulier, qui finance l'organisation ainsi que les programmes que nous soutenons dans les pays en voie de développement, et, ensuite, un budget non régulier, approvisionné notamment par des sources multilatérales et bilatérales, consacré à la mise en œuvre des projets spécifiques.

Notre objectif est surtout de travailler à l'augmentation du budget régulier, car il est accompagné d'une souplesse qui permet de financer les programmes nationaux sur la base des besoins et des priorités identifiés par les pays membres. A contrario, les financements multilatéraux ou bilatéraux sont souvent soumis à des conditions qui limitent leur utilisation à certains domaines et certains pays ce qui, par conséquent, limite l'approche programme et globale privilégiée par le FNUAP.

J'en arrive maintenant au message que je voudrais partager avec vous : depuis la Conférence du Caire, l'approche des questions de population a complètement changé. On est passé d'une vision purement démo-économique dominée par le quantitatif à une approche beaucoup plus qualitative au sein de laquelle les aspects économiques et démographiques sont intégrés à de nombreux autres éléments sociaux, éducationnels et sanitaires et où l'individu et son bien-être sont placés au centre de l'action. Cette nouvelle approche intègre tous les aspects de la santé de la reproduction comme les MST, le SIDA, la santé maternelle, la planification familiale, ainsi que d'autres aspects qui relèvent des droits humains, en particulier les droits des femmes et l'égalité entre l'homme et la femme.

Cette vision globale a complètement modifié notre dynamique et notre perspective de travail avec les pays dans lesquels nous intervenons.

Durant les cinq premières années qui ont suivi la Conférence du Caire, nous avons pu constater un dynamisme et une adhésion au programme d'action de la CIPD très forts par la majorité, sinon la totalité, des pays ayant adhéré au programme mis en place à cette occasion.

Les 179 pays qui ont ratifié le programme d'action du Caire se sont engagés par cette action à contribuer au financement de sa mise en œuvre. Ces contributions ont été assez substantielles au début. Mais depuis l'an 2000, nous observons une baisse importante des contributions, notamment celles des pays développés qui contribuent beaucoup moins au programme que ne le suggérait le plan élaboré lors de la Conférence du Caire. Cette situation financière a évidemment des implications sur les programmes que nous soutenons.

Nous avons toutefois actuellement une préoccupation plus importante que le financement, c'est la montée d'une "opposition" - ainsi que nous l'appelons dans le jargon du FNUAP - venant d'une minorité conservatrice et fondamentaliste des Etats-Unis.

Lorsque le Président Georges W. Bush a été élu, l'une de ses premières décisions a été de remettre en vigueur la politique de Mexico city. De ce fait, il a supprimé la contribution de 34 millions de dollars votée par le Congrès pour le programme du FNUAP au titre de l'année 2002.

Depuis cette décision, nous constatons une montée de l'opposition conservatrice extrémiste qui, par son action, menace les progrès réalisés et plus grave encore veut faire reculer de plusieurs décennies les acquis des femmes, notamment dans le domaine de la santé en matière de reproduction.

Ainsi, aux Etats-Unis, à l'heure actuelle, certains prônent la chasteté, l'abstinence, les relations sexuelles uniquement dans le cadre du mariage et s'opposent à l'éducation sexuelle pour les jeunes et les adolescents.

Tout ceci est très grave pour l'action que nous menons dans le domaine de la santé en matière de reproduction.

Ce qui nous préoccupe tout d'abord, c'est cette action menée par ces groupes extrémistes soutenus par l'administration du Président Bush, contre les problèmes des femmes en général et la santé en matière de reproduction. Car par leur action, ils affaiblissent les programmes qui contribuent à sauver la vie des femmes, à réduire la mortalité maternelle, à prévenir le SIDA et à diminuer la morbidité liée à la reproduction.

En outre, depuis un an, nous assistons à une infiltration au sein de l'Union européenne et notamment au Parlement européen de cette approche qui se nourrit des calomnies et des mensonges propagés par les groupes d'opposition extrémistes américains. Même si à l'heure actuelle elle est encore minime, elle doit être contenue, afin qu'elle ne devienne pas un mouvement aussi régressif qu'il l'est aux Etats-Unis.

Nous constatons une augmentation du nombre de parlementaires européens en accord avec cette approche et qui sont sous l'influence de ces groupes fanatiques américains, lesquels viennent en Europe et font des exposés au sein du Parlement européen. Ils travaillent maintenant en Irlande et dans d'autres pays pour mobiliser cette minorité.

Or, même si leur discours est basé sur des mensonges, le FNUAP et l'IPPF consacrent beaucoup d'énergie et de ressources pour démystifier leurs arguments. Ces problèmes se posent également à la Commission européenne, qui dépense autant d'énergie et de ressources pour répondre à toutes les fausses accusations et aux diverses questions de certains députés européens en accord avec ces groupes d'opposition américains.

Telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons et, malheureusement, avec l'aide des Etats-Unis et du Gouvernement de Georges W. Bush, ces minorités, bien qu'elles soient vraiment dérisoires au sein de la société américaine, deviennent un problème important pour des organisations comme le FNUAP, car leur action a des conséquences sur notre travail auprès des pays en voie de développement, qui ont besoin de ces programmes et de cette aide.

Pour conclure, je voudrais vous dire que notre demande d'audition n'a pas été motivée par des problèmes de moyens financiers. Nous sommes davantage préoccupés par la voix et le rôle de la France, qui doivent être à la hauteur de la dimension du pays. En effet, vos voix, en tant que parlementaires et députés, nous seront d'un très grand appui politique en matière de santé, afin de faire face à cette opposition et pour faire avancer le programme et les principes du Caire concernant la santé en matière de reproduction dans les pays en voie de développement. En effet, il n'est pas possible de lutter contre la pauvreté si les besoins fondamentaux de la santé en matière de reproduction des femmes africaines, asiatiques, etc., ne sont pas respectés.

Votre soutien est donc très important pour notre action, notamment au sein de l'Union européenne. Toutefois, je pense que les Français pourraient avoir une voix beaucoup plus active et plus dynamique pour favoriser cette activité en général.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quels sont les pays européens qui posent le plus de problèmes par rapport à vos programmes ?

M. Hedi Jemiai : C'est surtout au Portugal, en Espagne, en Italie et en Irlande que cette opposition se manifeste. Ce sont des minorités, mais elles agissent. Ainsi, par exemple, il y a quelques mois, une lettre -adressée au commissaire Poul Nielsen- a été signée par 47 députés européens. L'objectif des pétitionnaires était de contrecarrer le rapport d'une députée européenne, Mme Ulla Sandbæk, qui voulait renforcer les textes européens sur les droits en matière de reproduction et de sexualité, afin de les rendre plus clairs et plus cohérents avec le programme du Caire, puisque, cinq ans après, le programme d'action a été révisé et renforcé.

Heureusement, le Conseil a tout de même appuyé le rapport de Mme Ulla Sandbæk, mais ce type de harcèlement est quotidien. Ainsi, cette semaine, une députée irlandaise, Mme Dana Scallon, a envoyé des questions orales au Parlement de Strasbourg citant en exemple un projet ougandais, qui prônait les valeurs d'abstinence et de fidélité au sein du mariage, comme moyen de se préserver du virus du SIDA. Elle n'a repris que ce passage du projet en indiquant qu'il s'agissait d'un bon exemple de réussite et a demandé quelles étaient les actions de la Commission pour financer ce type d'activité en Afrique.

C'est cette manipulation de l'information qui est dangereuse, car le projet ougandais ne se limite pas à cela. Il y est également question d'éducation sexuelle, ainsi que des nombreux risques encourus par les hommes et les femmes, de prévention et de protection par l'utilisation des condoms. Or, Mme Dana Scallon n'a repris que la partie du projet "compatible" avec les valeurs traditionnelles et conservatrices pour étayer les questions auxquelles le Parlement européen aura à répondre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce qui me paraît surprenant, c'est que depuis l'élection de Georges W. Bush, la composition du Parlement européen n'a pas changé. Est-ce parce que Georges W. Bush a été élu que certains députés se croient maintenant plus investis d'une mission ?

M. Hedi Jemiai : Ils se sont sentis encouragés, car, lors de l'élection de Georges W. Bush, ce mouvement s'est installé en Europe, alors que ces problèmes étaient quasiment inexistants et le resteront eu égard à la culture européenne. Les Américains ont commencé cette campagne, sont venus en Belgique, sont allés en Irlande, en Espagne, etc., pour chercher, dans les Parlements des différents pays, les députés conservateurs, et pour créer un mouvement.

Leurs arguments sont fondés sur des mensonges. L'argument le plus récurrent concerne l'avortement et le fait que nous tuons des vies humaines. Les débats à ce sujet n'ont pas de fin, car il est difficile de définir à quel moment commence la vie humaine. Or, ces personnes accusent à tort le FNUAP en particulier, ainsi que toutes les organisations travaillant dans le domaine de la santé en matière de reproduction, de pratiquer des avortements forcés.

Il faut savoir que le FNUAP ne pratique pas, n'a jamais pratiqué et ne pratiquera jamais l'avortement. Nous sommes liés par le programme d'action du Caire -ratifié par 180 pays- dont le paragraphe VIII-25 indique explicitement que l'avortement n'est pas une méthode de contraception. Le FNUAP n'intervient que lorsque l'avortement se fait dans des conditions sanitaires inacceptables -comme par exemple dans le cas des avortements illégaux qui entraînent des complications énormes- et que la santé de la mère peut être mise en péril.

En effet, des femmes meurent tous les jours à cause des complications provoquées par des avortements pratiqués dans de mauvaises conditions sanitaires ou dans l'illégalité. C'est uniquement dans ces cas que le FNUAP intervient pour soigner ces complications et faire en sorte que la vie de ces femmes soit hors de danger.

Or, les accusations mensongères portées par ces groupes prétendent que nos organisations n'existent que pour pratiquer des avortements et tuer. Pour elles, nous sommes des assassins d'enfants, et, tous les jours, sur les sites web, dans certains journaux, ils inventent des histoires et des chiffres. Après, c'est à nous d'aller démontrer que ce n'est pas vrai et cela nous prend beaucoup de ressources, d'énergie et de temps qui seraient autrement consacrés à sauver la vie des femmes dans les pays en développement.

L'une des grandes batailles au centre de cette lutte concerne la Chine et sa "politique d'enfant unique". Cette politique a néanmoins évolué et s'est nuancée : dans certaines régions chinoises, on constate une politique de deux/trois enfants selon les conditions économiques.

Deux commissions indépendantes ont été envoyées sur le terrain : une désignée par le Congrès américain et une par le Gouvernement britannique pour aller enquêter et savoir si, oui ou non, le FNUAP finance la Chine pour pratiquer des avortements. Selon leurs conclusions, le FNUAP n'a jamais contribué, ni directement, ni indirectement, à de telles politiques. Malgré cela, l'administration Bush a décidé d'annuler la subvention de 34 Millions de dollars en 2002, dont je vous ai déjà parlé, et ces groupes minoritaires et fanatiques continuent à propager ces mensonges.

Il s'agit essentiellement de groupes fanatiques. Leur conviction profonde est que nous sommes effectivement en train de tuer des personnes. De ce fait, ils ne reculent devant rien pour propager ces idées.

Notre problème est que ce mouvement est exporté en Europe et que, depuis un an, ces groupes -qui ne font que cela et sont entièrement financés par des grandes sociétés- arrivent en Europe et mobilisent certaines personnes, notamment des députés ou des parlementaires qui partagent leurs idées.

Mme Martine Carrillon-Couvreur : Combien avez-vous aujourd'hui de pays donateurs dans votre organisation ?

M. Hedi Jemiai : Nous avons environ 135 pays donateurs, dont au moins une quarantaine sont des donateurs "importants". Cependant, même les pays en voie de développement donnent selon leurs capacités, car l'important, c'est surtout l'appartenance au programme et au mouvement, quel que soit le montant de la contribution.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Les Etats-Unis ne faisant plus partie des pays donateurs, les principaux pays restant sont donc : les Pays Bas, le Japon, le Danemark, la Norvège, et l'Allemagne.

M. Hedi Jemiai : Egalement la Belgique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La France donne une subvention directe d'environ 1 million d'euros et une contribution indirecte par l'intermédiaire du Fonds européen de développement.

M. Hedi Jemiai : Ce que nous attendons de vous, et ce dont nous avons besoin, c'est un engagement politique et moral concernant le programme du Caire. L'argent passe après, car, aujourd'hui, ce sont les conférences du Caire et de Bangkok qui sont "attaquées". En effet, les Etats-Unis, qui étaient les premiers supporters du programme du Caire en 1994, en ont remis en question les concepts clés en décembre dernier, lors de la conférence de Bangkok. C'est très grave.

Mme Martine Lignières-Cassou : Concrètement, quelle forme notre soutien devra-t-il prendre ?

Mme Danielle Bousquet : Si nous pouvions faire le lien entre le FNUAP et l'IPPF, nous verrions mieux, en tant que parlementaires français, quel peut être notre rôle sur le plan européen.

M. Neil Datta : C'est la première fois qu'un représentant de notre organisation peut présenter l'IPPF à l'Assemblée Nationale française.

L'IPPF est une ONG présente dans 180 pays, et fait partie des plus grandes ONG mondiales. En effet, selon certaines estimations, nous sommes juste en dessous de la Croix rouge, donc au deuxième ou troisième rang mondial. Notre organisation a été créée en 1952 et son siège international est situé à Londres, et non aux Etats-Unis. Elle est actuellement divisée en six régions. Pour ma part, je travaille pour la région Europe, basée à Bruxelles, qui a en charge de la grande Europe -qui comprend l'Asie centrale et l'ancienne URSS-, et va de l'Islande jusqu'à Vladivostok.

Depuis près de six mois, nous avons un nouveau directeur général américain. En ce moment, il est intéressant de voir que le directeur actuel de l'une des plus grandes organisations concernant le planning familial est américain. Il a établi cinq grandes priorités :

La première est de combattre l'avortement à risque. En effet, on estime que, tous les ans, plus de 70 000 femmes meurent d'un avortement à risque et que 600 000 femmes décèdent des suites d'une maternité à risque ; c'est un peu comme si un Boeing s'écrasait toutes les six heures tous les jours de l'année. C'est un chiffre très important.

La deuxième est le SIDA. En ce moment, plus de 40 millions de personnes sont atteintes du SIDA dans le monde et il touche de plus en plus les femmes dans les pays en voie de développement. C'est une maladie de plus en plus féminine.

La troisième est l'adolescence. Nous vivons une époque historique avec le plus grand nombre d'adolescents dans le monde : plus d'un milliard. Or, dans les années à venir, ils vont entrer dans leur âge reproductif, ce qui signifie que les besoins en matière d'éducation sexuelle, de contraception, etc., vont devenir de plus en plus grands.

La quatrième est l'accès, c'est-à-dire le besoin de produits contraceptifs, comme des préservatifs, des stérilets, etc. Ainsi, par exemple, en Afrique sub-saharienne, dans certains pays, dont le Congo, le Kinshasa ou le Rwanda, il y a peut-être un préservatif par homme en âge reproductif par an. De ce fait, même si l'on donne des cours d'éducation sexuelle, si ces pays n'ont pas les moyens de financer l'achat des préservatifs, le SIDA se transmettra tout de même.

La cinquième, et peut-être la plus importante, est le plaidoyer, c'est-à-dire la préservation des droits acquis au niveau international dans le domaine des droits des femmes et de la santé en matière de reproduction, de la sexualité, etc.

Je suis tout à fait d'accord avec les propos de mon collègue du FNUAP. Au sein de l'IPPF, nous sommes en ce moment très inquiets en ce qui concerne ces droits acquis, au niveau international. Comme cela a déjà été évoqué, la première action du Président Georges W. Bush a concerné la suppression des subventions à certaines organisations et, de ce fait, l'IPPF a perdu en six mois 8 millions de dollars, soit 10 % de son financement. Cette règle s'applique également à toutes les associations nationales de planning familial mondiales comme le MFPF. Ainsi, dans les pays en voie de développement, nous avons perdu 20 millions de dollars en sus des 8 millions, suite à la politique de Georges W. Bush.

La droite religieuse américaine, qui pratique quasiment une politique d'extrême-droite comme on la connaît en Europe, est contre l'éducation à la sexualité, l'émancipation et les droits des femmes. Leur action s'effectue principalement en attaquant l'avortement, la contraception, etc.

Leur stratégie est assez simple : ils s'en sont pris aux deux organisations qui représentent le mieux ces idées, à savoir l'IPPF, puis le FNUAP, un an après. Comment s'attaquent-ils à ces deux organismes ? En nous privant de fonds et en s'en prenant à nos réputations, comme cela a déjà été évoqué.

Au plan financier, la France représente un peu un paradoxe : d'une part, il s'agit de l'un des plus grands "bailleurs de fonds" à l'échelle mondiale, puisque, durant la dernière décennie, selon l'année, la France est troisième, quatrième ou cinquième bailleur de fonds à l'échelle internationale, et, d'autre part, c'est un bailleur de fonds extrêmement spécialisé, puisque l'aide française concerne surtout les états francophones partout dans le monde.

Aussi, si la France ne finance pas un projet dans ces pays, existe-t-il de grandes chances qu'il ne soit pas financé du tout. Or, la France a été un peu absente des financements relatifs aux droits des femmes et des droits à la sexualité, etc., ces derniers temps. J'ai cru comprendre cependant qu'il existait des problèmes concernant le mode de calcul de ces contributions et que le ministère des Affaires étrangères était en train de les résoudre. De ce fait, les contributions de la France ne seraient pas aussi modestes qu'elles le paraissent.

En outre, comme M. Hedi Jemiai l'a indiqué -et des premiers pas ont d'ailleurs déjà été effectués dans ce domaine- un vrai leadership français serait nécessaire pour défendre les droits en matière de sexualité, de reproduction et les droits des femmes.

Nous avons été ravis de voir que Mmes Danielle Bousquet, Béatrice Vernaudon et des représentants du Mouvement français pour le planning familial aient pu être intégrés à la délégation officielle de la France à la conférence de Bangkok. Cette réunion très importante était la première réunion régionale des Nations-Unies pour la région Pacifique et allait faire le point de la mise en œuvre du programme d'action du Caire.

Les Etats-Unis sont membres de la commission Asie-Pacifique, comme la France et certains autres pays européens, et, dès le début, ils ont exprimé leur souhait de renégocier certains passages. Par exemple, ils ne souhaitaient pas "réaffirmer leur engagement envers le programme du Caire", mais le "noter" ; ils souhaitaient également que ne soit plus garantie la confidentialité pour les jeunes, introduire des clauses sur l'abstinence, etc.

Dans le langage de l'administration Bush, l'abstinence implique qu'il s'agit de l'unique moyen et qu'il n'y aurait plus d'autre type d'éducation à la sexualité. Or, s'il est effectivement toujours question de l'abstinence en matière d'éducation sexuelle, elle est considérée comme un moyen parmi d'autres et non comme le seul.

C'est la solidarité entre les pays européens et asiatiques qui a permis la mise en place d'un "front" commun contre les Etats-Unis et ceux-ci ont été entièrement isolés durant cette conférence de Bangkok. Ainsi, par exemple, afin que vous compreniez bien la surprise créée par les positions américaines, la Délégation iranienne a été choquée des "souhaits" américains concernant les droits des femmes !...

Un leadership français serait donc très utile et même nécessaire pour nous aider dans ce domaine.

Cette réunion de Bangkok n'était que la première. Il y aura d'autres réunions régionales dans l'année à venir, dont deux particulièrement intéressantes pour la France : celle de la région Amérique Latine-Caraïbes, dont la France est membre, et celle de la région Europe prévue en janvier 2004. Cette dernière sera extrêmement importante.

Si je puis me permettre de donner deux points concrets d'action à la Délégation, il serait utile qu'elle favorise la mise en place de ce leadership du point de vue des acquis en termes de droits des femmes, etc., et également qu'elle se préoccupe des problèmes budgétaires des questions de développement. Il serait en effet utile que vous vous interrogiez sur les politiques de développement : "Si nous n'agissons pas à ce niveau, comme les fonds américains sont absents, comment ces questions seront-elles abordées dans nos pays prioritaires ?"

En conclusion, je souhaiterais vous parler d'un sujet qui a déjà été évoqué : nous avons noté une forte croissance des groupes anti-planning familial à Bruxelles, notamment aidés par la nouvelle administration américaine au pouvoir qui renforce ces groupes aux Etats-Unis. Ils ont reçu plus de fonds et depuis moins d'un an, ont un bureau spécialisé qui s'est installé à Bruxelles.

Même si nous ne sommes pas d'accord avec les idées qu'ils véhiculent, il faut admettre que leur travail est très professionnel. En effet, ils ont la liste de tous les députés européens avec, indiquée en vis-à-vis, la manière dont ils ont voté sur telle ou telle législation, à savoir un point rouge s'ils ont voté contre leurs idées, un point vert s'ils ont voté pour et orange en cas de position "souple". Chaque député européen est classifié.

Mme Conchita Lacuey : Ils fonctionnent comme les sectes.

M. Neil Datta : Ils vont tenter d'élargir leurs actions, ce qu'ils ont d'ailleurs déjà essayé de faire à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe avec des députés des Parlements nationaux. Ils ne sont qu'au début de leur action et sont, en outre, très bien financés du côté américain.

Mme Martine Lignières-Cassou : C'est une situation très inquiétante.

Mme Patricia Adam : Les Américains sont-ils les seuls à financer ces groupes ?

M. Hedi Jemiai : La grande majorité des fonds vient des Américains.

Mme Françoise Laurant : Lorsque l'on essaie de savoir l'origine des fonds des associations qui effectuaient les commandos anti-IVG dans les années 1990 -et cela continue un peu-, on se rend compte qu'il s'agissait de fonds américains, puisque les premiers tracts avaient été imprimés à Cincinnati, aux Etats-Unis.

Je souhaiterais également attirer votre attention sur le fait qu'au Parlement européen deux commissions sont concernées par les droits des femmes : la commission des droits des femmes et de l'égalité des chances et la commission du développement et de la coopération.

Mes deux collègues vous ont parlé de la commission du développement et de la coopération, mais il ne faut pas oublier qu'en juillet dernier, une députée belge, Mme Anne Van Lancker, a fait adopter un rapport par la commission des droits des femmes, puis par le Parlement européen. Il portait sur la santé et les droits sexuels et génétiques et indiquait que le choix de l'avortement devait faire partie des droits fondamentaux.

Suite à la présentation de ce rapport, ces groupes, mais également des groupes français ont exercés de fortes pressions sur les parlementaires européens, notamment par l'envoi de mails et par des interventions auprès de leur permanence.

Les Américains ne sont donc pas les seuls à véhiculer ces idées. Ils sont en revanche les seuls à avoir une stratégie construite. En outre, si ces groupes américains existaient déjà, ils n'étaient pas aidés comme ils le sont maintenant par le Gouvernement américain.

M. Neil Datta : Par ailleurs, les groupes tels que ceux-ci n'ont pas seulement des positions anti-avortement. Ils paraissent donc être de vraies ONG et, depuis la mise en place du Gouvernement de Georges W. Bush, peuvent donc toucher des fonds fédéraux américains, ce qui les renforce.

En ce qui concerne le financement de ces "ONG" ou de ces groupes en Europe, nous avons découvert tout récemment qu'au Portugal, une place au Conseil national sur les droits des femmes avait été refusée à l'un de ces groupes, car il ne pouvait pas expliciter les origines de son financement. La même situation s'est produite en Australie à la fin de l'année 2002. Ce phénomène est donc en train de se répandre petit à petit dans plusieurs pays.

Mme Patricia Adam : Qu'en est-il de Angleterre ?

M. Neil Datta : Ces groupes y apparaissent également.

Mme Françoise Laurant : Le Planning familial français a un énorme contentieux avec l'association "Droit de naître" qui, chaque fois qu'une élection législative a lieu, inonde les parlementaires de courrier. L'une de leurs déclarations nous diffamait tellement que nous avons porté plainte et demandé une enquête. Comme cette plainte a été "balayée" par l'amnistie après l'élection présidentielle, nous avons demandé à voir le dossier. Or, il n'y avait rien ; la police n'avait pas enquêté. Cela signifie donc que, dans le système français, des personnes doivent être liées à ces groupes ; il n'existe pas d'autres raisons pour que l'enquête n'ait pas été effectuée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il n'y a pas que sur ce sujet que des enquêtes ne sont pas réalisées. Vous ne devez pas vous sentir persécutés.

Mme Françoise Laurant : Suite à notre plainte, la même association a envoyé un nouveau courrier, dans lequel elle expliquait que le MFPF était contre la liberté de penser et le droit d'expression, puisque nous avions demandé leur dissolution. Or, nous ne l'avons jamais demandée. Nous avons seulement porté plainte pour diffamation. Ces personnes ont une stratégie électorale -elles agissent ainsi lors de chaque élection- et je tenais à signaler que cette association était l'un des supports de la pression exercée sur les députés à Bruxelles en juillet dernier. Je ne dis pas qu'il existe une Internationale de ces réseaux, mais cela en prend presque l'allure.

Je n'étais pas présente aujourd'hui pour parler de ce réseau, mais j'en ai saisi l'occasion. Je voudrais vous dire notre satisfaction de l'adhésion de la Délégation au Forum parlementaire intereuropéen sur la population et le développement. En effet, nous jugeons intéressant que des parlementaires se réunissent aux niveaux européen et international sur différents thèmes et nous estimons très important que la France prenne sa place.

Mme Danielle Bousquet : J'estime très important que la France ne soit pas absente de ces débats.

Dans les années précédentes, la présence de la France n'a peut-être pas été suffisamment régulière. En effet, quels que soient les pays et les régimes politiques, nous nous rendons compte que nos collègues parlementaires des autres pays prennent véritablement position sur les droits des femmes dans les pays sous-développés, qui sont un réel levier de développement.

Il est certain que, si nous n'avons pas de vision plus internationale et que nous ne nous occupons de la situation des femmes que dans nos pays "développés", nous passerons à côté de notre objectif. En effet, on ne peut pas imaginer que des droits se développent dans un endroit de la planète au détriment des droits dans les autres pays sans risquer des explosions que l'on ne souhaite pas.

Il est donc de notre responsabilité, en temps qu'élus, d'exprimer la position française sur ces questions. Ainsi, lorsque Mme Claude Greff et moi-même sommes allées à la conférence d'Ottawa, même si nous ne partageons pas la même analyse sur tous les sujets, nous avons exprimé une position identique sur toutes les questions, à savoir qu'il s'agit de droits fondamentaux, sur lesquels il était très important que l'avis soit consensuel.

L'adhésion de la Délégation aux droits des femmes, au Forum parlementaire intereuropéen était donc très importante et nous nous retrouvons totalement sur ces questions.

M. Hedi Jemiai : Je soutiens tout à fait les propos de Mme Danielle Bousquet. Je crois que les droits des femmes dans les pays européens ne doivent pas empêcher d'agir dans le reste du monde, car les deux vont de concert.

Nous avons parlé tout à l'heure de la conférence sur la population et le développement qui sera organisée par la Commission économique pour l'Europe (CEE) à Genève en janvier 2004. A ce sujet, je répète qu'il est très important que la France joue un rôle en accord avec ce que préconise le programme d'action du Caire.

Vous nous avez demandé quelle forme concrète votre action pourrait prendre et je suggère que, pour préparer cette réunion européenne de janvier 2004, une réunion intermédiaire ait lieu, peut-être en lien avec la journée mondiale de la population le 11 juillet, où l'on discutera de manière plus détaillée des problèmes que nous avons seulement commencé à évoquer ici.

Il serait admirable que la France ait une stratégie générale vis-à-vis des problèmes de population, de développement, de droits humains, de droits des femmes et de santé en matière de reproduction, élaborée en étroite coopération avec des organisations comme le FNUAP et l'IPPF et qui servirait de guide au niveau des programmes de coopération.

Encore une fois, les moyens financiers -bien qu'importants- ne sont pas tout ; le soutien et le leadership politique dans ce domaine comptent bien davantage.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je vous propose de faire part de cette audition au ministre des affaires sociales, M. François Fillon, au ministre de la santé, M. Jean-François Mattei, au ministre délégué à la famille, M. Christian Jacob, à la ministre déléguée la parité et à l'égalité professionnelle, Mme Nicole Ameline, et, puisqu'il s'agit d'un problème international, au ministre des Affaires étrangères, M. Dominique de Villepin.

Il appartiendra ensuite aux ministres respectifs de prendre des décisions.

A mon avis, votre demande concernant la tenue d'une réunion préparatoire à la conférence de Genève le 11 juillet ne devrait pas poser de problème, car nous serons encore tous présents à Paris à cette date.

En outre, je tiens à vous signaler que, lors de chaque conférence internationale, un ou plusieurs représentants de la Délégation sont présents et qu'un compte rendu est systématiquement envoyé aux différents ministères concernés.

Mme Marie-Françoise Clergeau : La Délégation a un travail de sensibilisation à effectuer, mais il serait également bien, en plus des ministres concernés, de transmettre les propos et souhaits de MM. Hedi Jemiai et Neil Datta à la Délégation aux droits des femmes du Sénat.

Nous avons eu des informations très intéressantes et nous allons pouvoir en faire part aux différentes personnes concernées dans nos circonscriptions, car les problèmes des femmes intéressent tous les réseaux et les relais existant dans ce domaine.

Lorsqu'il est question de la défense des droits des femmes, nous nous rendons compte que c'est en sensibilisant le maximum de personnes, notamment de femmes, que nous pouvons faire prendre des décisions permettant d'avancer.

C'est un sujet très préoccupant et nous avons intérêt à agir avec les réseaux existants.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait.

Mme Danielle Bousquet : Je souhaiterais apporter un complément d'information. Pour la conférence de Bangkok, le représentant français était dûment mandaté par le Gouvernement français pour tenir les propos qu'il a tenus, c'est-à-dire qu'il n'était pas question de revenir sur les droits acquis. On constate donc bien que le Gouvernement poursuit son action dans le sens de ce qui a été acté auparavant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je n'ai aucun doute à ce sujet.

Mme Danielle Bousquet : Ce que nous pouvons dire n'est pas une hérésie par rapport à la position diplomatique française. En ce qui concerne les engagements financiers, c'est un autre sujet.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous avez souhaité être auditionnés et je vous ai reçus. Cependant, je ne peux pas prendre d'engagement financier et, c'est au Gouvernement qu'il appartient de le prendre. C'est pour cela que je transmettrai aux ministres concernés vos propos et souhaits, en espérant que les ministres cités précédemment vous répondront positivement et vous donneront leur engagement.

Mme Françoise Laurant : M. Neil Datta n'en a pas parlé, mais l'IPPF produit tous les mois un document avec une série de brèves informations sur la santé sexuelle et reproductive dans différents pays. Vous les recevez, mais je trouve dommage que cela ne soit pas plus largement distribué.

Ces documents mensuels ne sont pour l'instant édités qu'en anglais, M. Neil Datta n'ayant ni le temps, ni les moyens financiers de les traduire. Je souhaiterais donc que le MFPF obtienne une aide financière, afin que son bureau puisse distribuer une édition en français. Lorsque je ferai la demande de subvention, je m'adresserai donc à vous pour l'appuyer, car je pense intéressant d'avoir des textes traduits.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je fais partie des parlementaires qui n'encouragent pas du tout les Etats-Unis et leur langue et préférerais que l'on utilise le français dans les conférences internationales.

M. Hedi Jemiai : Aux Nations-Unies, la langue française est une langue de travail officielle. Toutefois, les francophones sont un peu désavantagés, car ils doivent parfois écrire leurs rapports de missions dans les deux langues.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce n'est pas normal. Si nous étions un peu plus fermes, nous demanderions des traducteurs en toutes circonstances.

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