DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 3

Mercredi 3 novembre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Marie-Cécile Moreau, juriste, sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Marie-Cécile Moreau, juriste.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué qu'elle avait souhaité recueillir l'avis de Mme Marie-Cécile Moreau, juriste, présidente de l'association française des femmes de carrières juridiques, sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

Mme Marie-Cécile Moreau a fait partie des personnes auditionnées par le groupe de travail interministériel installé auprès de M. Dominique Perben, Garde des Sceaux, à l'occasion de l'élaboration du projet de loi. Son éclairage sur l'historique du texte et sur ses aspects juridiques est donc particulièrement intéressant.

Pour sa part, Mme Marie-Jo Zimmermann a réaffirmé son opposition à un texte qui, d'une part, mélange les problématiques homophobes et sexistes, d'autre part, établit une inégalité de traitement en matière de sanction entre les propos homophobes et les propos sexistes. Elle a observé qu'un article du journal Le Figaro, ce mardi 3 novembre, posait la question de l'interprétation par les juges de la notion de sexisme et s'est interrogé sur les problèmes posés par une telle interprétation en matière pénale.

Mme Marie-Cécile Moreau a précisé sa participation au groupe de travail de la Chancellerie. Elle a été convoquée et entendue le 12 janvier 2004. Elle a par la suite participé à une réunion plénière, à laquelle étaient convoquées toutes les personnalités entendues et les représentants des ministères intéressés, et au cours de laquelle il a été donné connaissance oralement des propositions que la Chancellerie allait remettre au Premier ministre. Il a également été indiqué que ce seraient les articles 24, 32, 33 et 48 de la loi de 1881 sur la presse qui seraient modifiés. Beaucoup des personnes auditionnées semblaient satisfaites, Mme Marie-Cécile Moreau a relevé la nécessité, en matière pénale, de connaître avec exactitude les termes des modifications proposées. En effet, un texte pénal ne supporte pas d'interprétation de texte. Or, le terme sexisme est imprécis et subjectif et pose donc problème.

Mme Marie-Cécile Moreau a observé qu'elle avait fait part de son souhait d'avoir communication du document qui serait transmis au Premier ministre à l'issue de cette réunion, mais elle n'a pas obtenu satisfaction.

Ceci précisé, elle est passée à l'exposé des raisons pour lesquelles le projet de loi déposé, la laisse perplexe et dubitative.

- En premier lieu, le texte passe à côté de la réalité du sexisme et risque d'accroître les confusions possibles sur cette notion imprécise. Ce mot - d'origine américaine - n'a pas de définition précise en France. Selon le dictionnaire, il s'agit d'une attitude discriminatoire à l'encontre des femmes, mais les chercheurs, les historiens, les philosophes, les juristes, en donnent une définition plus large, qui englobe les institutions et les comportements, par lesquels perdure la domination du masculin sur le féminin.

Le projet de loi, au lieu de donner des précisions, accroît encore la confusion en la matière.

D'une part, le titre du projet parle de propos discriminatoires à caractère sexiste, alors que le terme sexisme n'est pas repris dans le texte du projet. D'autre part, il s'agirait de propos à caractère sexiste, alors que l'article 1er du texte modifiant l'article 24 de la loi de 1881 renvoie à l'article 23 de cette loi qui est d'une portée plus large : il s'agit des discours, écrits, imprimés, dessins, affiches, moyens de communication audiovisuelle...

En outre, l'article 1er du projet rapproche dans une même incrimination la provocation à la discrimination, à la haine et à la violence, à raison du sexe de la victime ou à raison de son orientation sexuelle, ce qui est un contresens inadmissible.

Le texte établit également une différence de traitement entre homophobie et sexisme. Les articles 2 et 3 du projet de loi - qui modifient les articles 32 et 33 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse - ne visent que les diffamations et injures à raison de l'orientation sexuelle d'une personne ou d'un groupe de personnes. Il y a donc aggravation de la peine lorsque l'injure ou la diffamation a pour origine l'orientation sexuelle, mais maintien des peines actuelles de droit commun pour les injures et diffamations sexistes.

- En deuxième lieu, des instruments juridiques existent déjà dans notre droit pour combattre le sexisme (et l'homophobie) et permettre à la victime d'obtenir des dommages et intérêts devant le juge civil.

L'article 16 du code civil - entré en vigueur à la suite de la décision du Conseil constitutionnel de 1994 sur les lois de bioéthique, selon laquelle existe un principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne - précise que : « la loi interdit toute atteinte à la dignité de la personne ». C'est un article à travailler, qui pourrait être un « gisement » de nouvelles propositions. En effet, cette notion permet de distinguer celle des droits de l'homme, dont le fondement est la liberté et la défense de l'individu contre le pouvoir, et celle de dignité de la personne, dont le fondement est l'humanité.

Le sexisme n'est pas une question de liberté, c'est une question d'humanité. En la matière, il y a des décisions jurisprudentielles intéressantes, notamment celle prise par le Conseil d'Etat à l'encontre du maire d'Aix-en-Provence en 1995 à propos du jet de nain. Le jeu consistait à placer un nain - qui était consentant, car cela lui rapportait beaucoup d'argent - sur un trampoline et à le jeter en l'air. La décision d'interdiction a été prise en des termes qui pourraient être appliqués aux femmes victimes de sexisme (« objectivation, animalisation des victimes »).

L'article 1382 du code civil selon lequel « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » est le fondement, en cas de préjudice, de l'action en réparation qui peut donner lieu à dommages et intérêts. Ce serait un inconvénient d'introduire une incrimination de sexisme dans le code pénal, car il ne serait plus possible d'agir sur le terrain de l'article 1382 du code civil (jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis l'arrêt du 12 juillet 2000).

L'article 809 du nouveau code de procédure civile donne tout pouvoir au juge des référés s'il existe un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite. Celui-ci peut prendre des décisions dans l'urgence. Cela peut le conduire à arrêter un affichage dans des cas suffisamment graves. Comme dans la jurisprudence du jet de nain, la notion d'ordre public inclut celle de respect de la dignité de la personne (cf. C.E., 27 octobre 1995).

L'article 31 du nouveau code de procédure civile donne la possibilité à certaines associations de demander réparation pour des actes ayant un caractère sexiste, lorsqu'elles ont dans leur objet statutaire le principe de spécialité pour combattre le sexisme.

Beaucoup de textes existent donc en matière civile, qui sont peu ou pas utilisés.

- En troisième lieu, le projet de loi modifie la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui est une loi pénale.

On peut considérer que la répression et la sanction pénale ne sont pas forcément la meilleure réponse pour parvenir à éradiquer le sexisme. Cela conduit à se faire beaucoup d'ennemis, notamment la presse et les médias. En outre, cela ouvre un débat frontal avec le principe de liberté d'expression. En France, le principe de liberté d'expression est couplé avec un autre principe constitutionnel, selon lequel celui qui en abuse doit répondre de cet abus dans les cas déterminés par la loi (article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789). Ce deuxième principe a permis d'amender de manière considérable la loi de 1881. Faut-il cependant rajouter une nouvelle exception - l'incrimination en matière de sexisme - comme il y en a une en matière de racisme depuis 1972 ?

Il existe une inconnue : la décision que rendrait le Conseil constitutionnel, s'il était saisi du texte. En effet, il n'a pas été consulté sur la loi sur le racisme. Quelle serait son appréciation vis-à-vis de l'atteinte que le texte porterait à la liberté d'expression pour le sexisme ?

Il faudrait pouvoir considérer que la limitation envisagée peut être une exception à la liberté d'expression parce qu'elle est une atteinte trop grave à la dignité de la personne et que traiter une femme comme un objet ou un animal ou tenir des propos extrêmement violents à son encontre, ne peut rester sans aucune sanction.

- Enfin, le principe de liberté d'expression est défendu ardemment par la Convention européenne des droits de l'homme. Le deuxième alinéa de l'article 10 précise les conditions et restrictions possibles à celle-ci. Elles doivent résulter d'une loi qui, elle-même, devra respecter des critères que la Cour apprécie avec rigueur : précision, prévisibilité et sécurité juridique.

Il existe une inconnue quant à la position de la Cour européenne sur le texte de loi s'il est adopté en l'état.

En conclusion, Mme Marie-Cécile Moreau a observé que faire une loi pénale sur une notion aussi mal connue et discutable que le sexisme ne lui paraissait pas répondre aux exigences du droit pénal interne ni du droit issu de la Convention européenne des droits de l'homme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, lui a demandé comment pouvait s'expliquer la différence de traitement entre homophobie et sexisme s'agissant des injures et de la diffamation.

Mme Marie-Cécile Moreau a indiqué qu'à sa connaissance, le projet élaboré par le Garde des Sceaux traitait de la même manière les propos homophobes et sexistes, alors que la première version élaborée par le Premier ministre ne portait plus que sur les propos homophobes, et qu'une nouvelle version avait été rédigée, sous l'impulsion de Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, à la suite des propos tenus par l'imam de Vénissieux à l'encontre des femmes. Le sexisme avait alors été réintroduit à la seule incrimination de l'article 24 (« provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination »).

Revenant sur l'idée que la création d'une nouvelle incrimination pénale n'était pas nécessairement la bonne voie pour combattre le sexisme, ella a indiqué qu'elle faisait confiance aux médias, et qu'il faudrait leur offrir le challenge d'aider les femmes. Elle a évoqué le CSA et la mission qui lui a été confiée par la loi de 1986, modifiée en 2000, de veiller à ce que les programmes de radio ou de télévision ne comportent pas de présentation sexiste. Les sanctions du CSA peuvent aller jusqu'à la suspension des émetteurs.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a évoqué le cas de M. José Luis Rodriguez Zapatero, Premier ministre espagnol, interpellé par les médias pour faire adopter une loi contre les violences faites aux femmes. En Espagne, ce sont les médias qui ont fait prendre conscience aux politiques de ce problème majeur.

Mme Marie-Cécile Moreau a indiqué que le concours des médias pourrait être demandé en contrepartie de la liberté d'expression dont ils disposent. A son avis, les médias, s'ils entretiennent et véhiculent le sexisme, ne le créent pas.

Plutôt que la contrainte de la voie pénale, qui heurte les médias au nom du principe de la liberté d'expression, il faudrait obtenir leur aide, par l'intermédiaire du CSA mais également du BVP, association loi de 1901, qui n'a pas de pouvoir contraignant, mais qui vient de signer une charte de bonne conduite avec Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle.

Les médias pourraient contribuer à la mise en application des lois sur l'égalité hommes-femmes, plutôt que de continuer à véhiculer des idées sexistes. Il faut tabler sur leur bonne foi.

Mme Marie-Jo Zimmermann a marqué son accord avec l'idée qu'il fallait faire confiance aux médias et a remercié Mme Marie-Cécile Moreau de tous les arguments juridiques présentés à la Délégation sur le projet de loi.

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