DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 16

Mercredi 30 mars 2005
(Séance de 10 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition sur le thème de l'égalité salariale de représentants d'organisations syndicales et de membres de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Gabrielle Simon, secrétaire générale adjointe de la CFTC, Mme Marie-Josèphe Charon, secrétaire confédérale de la CFDT, Mme Christine Guinand, membre du collectif femmes-mixité de la CGT, Mme  Maryline Lecocq, experte sur l'égalité professionnelle de la CFE-CGC, M. Michel Miné, juriste, Mme Christine Fauré, directrice de recherche au CNRS, Mme Cristina Lunghi, présidente de l'association Arborus et Mme Marie-Cécile Moreau, juriste.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que, conformément au souhait exprimé par le Président de la République, l'Assemblée nationale allait être saisie d'un projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Elle souhaite présenter, au nom de la Délégation, des recommandations en vue de permettre l'application effective de ce nouveau texte, rien n'étant plus frustrant pour le législateur que de voter des textes qui restent lettre morte. Elle a souligné avoir toujours souhaité que soit appliquée la loi du 9 mai 2001. Le nouveau texte doit la conforter et, en aucune manière, traduire une régression.

Mme Maryline Lecocq a déclaré que la CFE-CGC ne peut être favorable à un texte qui ne prévoit aucune sanction à l'encontre des entreprises qui ne respectent pas le dispositif prévu. Des sanctions financières sont indispensables, et suffisamment dissuasives pour avoir un impact réel. Par ailleurs, les dispositions envisagées ne sont pas de nature à permettre aux femmes de briser enfin le « plafond de verre » auquel leur carrière se heurte ; des échéances précises doivent être fixées dans la loi. En l'état actuel du texte, comment en attendre des résultats probants à cinq ans ? Outre l'instauration de sanctions financières significatives et de dispositions tendant à faire disparaître « plafond de verre » et « parois de verre », la CFE-CGC propose de rendre obligatoire le maintien du salaire intégral des pères qui prennent le congé de paternité ; ce serait un formidable levier pour l'évolution des mentalités et il est regrettable que le texte n'y incite pas davantage.

Mme Cristina Lunghi a constaté que le projet ne fait pas référence à la loi du 9 mai 2001. Voilà qui pose problème, surtout si l'on prétend substituer à un texte que les entreprises ignorent alors qu'il est limpide et parfaitement explicite une loi peu claire et dont les dispositifs ne sont pas établis. La seule référence au rapport de situation comparée (RSC) ne suffit pas. Certes, il n'est pas du domaine de la loi de donner des modes d'emploi mais, tel qu'il est rédigé, le texte proposé brouille les pistes. C'est une occasion manquée, sinon une régression, que de rendre plus complexe ce qui était immédiatement compréhensible.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé qu'il convient en effet de distinguer ce qui est d'ordre législatif et ce qui est d'ordre réglementaire, mais que l'articulation doit être prévue.

Mme Maryline Lecocq a reconnu que le projet tombe certes au bon moment, mais a déploré que le texte se limite à en appeler à la bonne volonté des employeurs, sans les inciter à en faire preuve. Or certains employeurs prétendent ne pas connaître la « loi Génisson », et même ceux qui admettent en avoir connaissance ne sont pas disposés à négocier, si bien qu'on est loin de l'égalité professionnelle. Autrement dit, la démarche est déjà possible, mais il ne se passe rien.

Mme Catherine Génisson s'est demandé en quoi le projet améliore la loi du 9 mai 2001 et l'accord national interprofessionnel signé le 1er mars 2004. L'égalité salariale ne sera possible que lorsqu'il n'y aura plus aucune discrimination professionnelle et que l'on traitera intelligemment l'organisation du travail pour l'ensemble des salariés. C'est un élément symbolique de l'égalité professionnelle, mais un élément seulement, et il faut s'en prendre à l'ensemble des causes de l'inégalité salariale. Dans ce cadre, on ne voit pas ce qu'apporte le nouveau texte.

S'agissant des sanctions, le législateur de 2001 a souhaité laisser sa plénitude à la négociation sociale, tout en introduisant le délit d'entrave, ce qui n'est pas rien, puisque lorsqu'il est constitué il relève du pénal. On constate cependant que la démarche prévue n'a jamais été faite, ce qui signifie que le dispositif est inefficace. Dans ces conditions, faut-il privilégier une démarche fortement incitative à l'égard des entreprises qui sont disposées à négocier un accord ou préférer la sanction - et dans ce cas, laquelle ? Pourrait-on imaginer de supprimer l'exonération de cotisations sociales ? Il faut être concret.

Mme Anne-Marie Comparini a demandé quelle évolution a été constatée depuis la signature de l'accord interprofessionnel, quels sont les barrières et les points de blocage, et quelles propositions pourraient conduire à une meilleure application de l'accord dans les branches, qu'il s'agisse de l'égalité salariale ou de l'évolution des carrières.

Mme Christine Guinand a déclaré que la CGT considère le projet comme un outil supplémentaire à l'efficacité incertaine. Des instruments existent déjà dont on constate qu'ils sont mal utilisés ou inutilisés, et l'on peut s'attendre à ce que le nouveau texte s'ajoute au corpus existant sans en améliorer l'efficacité puisqu'il n'institue aucune sanction et ne prévoit aucun mode d'emploi. La rédaction du projet est beaucoup trop générale, si bien que tout est laissé à la bonne volonté de l'employeur. Bien pis, le texte est ainsi conçu que l'entreprise peut ne négocier que ce qui l'intéresse - avec l'objectif, par exemple, d'obtenir le label « égalité » - tout en s'abstenant d'appliquer une politique globale d'égalité professionnelle.

Mme Marie-Josèphe Charon a exposé que, pour la CFDT, le projet n'a aucune utilité. La « loi Génisson », élaborée au terme d'une longue concertation, contient tout ce qui est nécessaire pour assurer l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. De surcroît, il était malvenu d'annoncer le dépôt d'un nouveau projet de loi alors qu'un accord interprofessionnel venait d'être signé : une fois de plus, on empiète sur les prérogatives des partenaires sociaux ! L'accord a ceci d'imparfait qu'il ne prévoit pas d'objectifs chiffrés de réduction des inégalités ; si une disposition nouvelle devait figurer dans le projet, c'est bien celle-là ; or elle n'y apparaît pas. C'est bel et bien une loi inutile.

Mme Hélène Mignon a déploré que le point n'ait pas été fait sur la loi du 9 mai 2001 avant que l'on s'embarque dans un nouveau texte dont chacun s'accorde à dénoncer l'inutilité.

Mme Marie-Josèphe Charon a ajouté que le projet ne brille pas par sa limpidité. C'est un texte fourre-tout dont on se sert pour transposer partiellement une directive européenne et pour répondre à des observations formulées par les partenaires sociaux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé sous quelle forme des objectifs chiffrés pourraient être insérés dans la loi, et quels ils devraient être.

Mme Marie-Josèphe Charon a répondu que lors de la négociation de l'accord, référence avait été faite à l'objectif défini dans le plan national d'action pour l'emploi (PNAE), à savoir une réduction d'un tiers des écarts en dix ans.

Mme Cristina Lunghi a précisé que l'analyse des rémunérations montre que l'inégalité salariale résulte de parcours professionnels inégalitaires. Dans ces conditions, adopter une loi qui ne donne aucun outil de méthode est une démarche inutile.

Mme Marie-Josèphe Charon a observé que l'inégalité salariale tient à des causes multiples et que la loi ne peut tout résoudre. Il faudrait, ainsi, travailler à l'orientation des filles et admettre, une fois pour toutes, l'extrême inégalité qu'engendre le temps partiel, qui ne cesse de s'étendre. Rien de tout cela n'est du domaine législatif.

Mme Gabrielle Simon a souligné que lors de la négociation de l'accord interprofessionnel, la CFTC a demandé, en vain, l'indication d'objectifs chiffrés, ce que le MEDEF a refusé ; mais les avancées obtenues par ailleurs étaient suffisamment positives pour que l'accord soit signé. Une fois connue l'intention du Président de la République, la CFTC a considéré que si une nouvelle loi devait voir le jour, ce devrait être la dernière, celle qui donnerait enfin les moyens d'aboutir. A ce jour, l'égalité salariale est très difficile à atteindre car l'évolution des carrières et les parcours professionnels sont difficilement quantifiables ; la loi doit donc prévoir de sanctionner les entreprises qui n'envisagent pas de progresser dans ce domaine. La CFTC était fondée à penser que le nouveau texte permettrait d'obtenir ce à quoi les partenaires sociaux n'étaient pas parvenus par le biais de l'accord interprofessionnel. Quelle n'a pas été sa surprise de constater, à la lecture de l'article 4 du projet, que le texte prévoit son propre échec ! Il s'en est suivi un communiqué de presse virulent, appelant l'attention sur l'inanité d'un texte qui prévoit ne servir à rien.

Mme Catherine Génisson a dit partager sans réserve ce sentiment.

Mme Gabrielle Simon a souligné qu'au lieu de se donner les moyens d'aboutir, le projet dénature le droit en prévoyant une nouvelle loi « au cas où ». Par ailleurs, il est d'autant plus décevant qu'il ne transpose pas entièrement la directive. Il viendra donc grossir le corpus législatif sans même avoir été rédigé dans l'espoir d'un résultat, puisqu'il ne s'accompagne pas des moyens qui garantiraient son application. Ainsi, qu'est-il prévu pour renforcer l'inspection du travail ? Que l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes subsiste alors que la France dispose à ce sujet d'une législation ancienne démontre que la loi n'est pas appliquée, ce qui est catastrophique. Il reste à comprendre pourquoi elle ne l'est pas et à définir ce qu'il faut faire pour qu'elle le soit. Si le MEDEF a refusé tout objectif chiffré dans l'accord interprofessionnel, c'est évidemment parce que cela aurait signifié prendre l'engagement de le respecter, ce qu'il ne veut manifestement pas. En réalité, le MEDEF veut bien dire « on va faire des efforts », mais il ne veut pas de résultats. Voilà en quoi une nouvelle loi était nécessaire : elle devait permettre qu'enfin on aboutisse. Mais il est vrai qu'un nouveau texte, même parfait, ne règlera pas le problème des évolutions de carrière ni celui de la formation.

Mme Catherine Génisson a observé que ces points pouvaient être inclus au nombre des objectifs à atteindre.

Mme Gabrielle Simon a déploré l'absence de démarche volontariste dans le projet et souligné que la réaction de la CFTC avait été à la mesure de sa déception.

M. Michel Miné s'est dit surpris que la question semble traitée en négligeant l'évolution du droit communautaire. On continue à penser le droit français comme si la France n'appartenait pas à l'Union européenne ; au moment où l'on entend que la population se prononce sur le traité constitutionnel, voilà qui n'est pas très pédagogique.

Le projet n'apporte pas grand-chose à la « loi Roudy », à la « loi Génisson » et à l'accord interprofessionnel, si bien que sa nécessité n'est pas certaine. Les textes existent mais la difficulté à les mettre en œuvre tient à la difficulté de négocier au sein des entreprises. Pour être efficace, le projet doit donc aider au déroulement de négociations loyales et authentiques, reposant sur des informations pertinentes, fixant des délais et prévoyant le recours à l'expertise. Certes, le nouveau texte prévoit un diagnostic partagé mais il ne dit ni par qui il sera fait, ni comment, ni avec quels moyens. Pourtant, tous les accords intéressants sont fondés sur des diagnostics établis contradictoirement après recours à des experts. C'est ainsi, par exemple, que l'on a procédé à la Caisse des dépôts.

Cela dit, c'est un point positif d'évoquer un diagnostic partagé de la situation ; c'en est un autre de prévoir l'établissement d'un procès-verbal consignant les propositions respectives des parties, mais il fallait aller plus loin car la rédaction retenue est timorée. Mieux vaudrait reprendre dans le texte la jurisprudence découlant des annulations par les juges des accords résultant de négociations déloyales. Chacun s'accorde à dire qu'il faut revaloriser la négociation collective ; que l'on passe donc aux actes !

Mme Catherine Génisson a observé que l'on touche là à un point capital, mais qu'il reste à déterminer jusqu'où préciser le processus dans la loi sans entraver l'ampleur et la liberté de négociation.

Mme Marie-Cécile Moreau a souligné que les lois ne peuvent pas, d'un seul coup, faire évoluer les esprits. Le texte proposé est pédagogique : pour ne pas violer les mentalités, on présente un projet qui fixe des objectifs sans fixer de sanction. En prévoyant son propre échec, le projet est dans le même cadre pédagogique : ce que l'on dit, c'est qu'il ne s'agit pas d'obtenir un résultat mais de tendre vers l'objectif à l'horizon 2010. En bref, on transpose des indications émanant de l'Union européenne sans pouvoir véritablement exiger le résultat. D'ailleurs, le propos du Président de la République, affirmant que le projet doit aboutir en cinq ans, a quelque chose d'artificiel et de bien peu vraisemblable. Il s'adresse à la population française comme si elle était infantile pour lui donner à penser que la situation pourrait s'améliorer.

M. Michel Miné, revenant sur la négociation salariale, a souligné qu'il n'est pas question d'en détailler le contenu dans la loi mais qu'il serait utile de reprendre dans le texte les canons judicieux et pertinents de la jurisprudence et de dire explicitement que la négociation relative à l'égalité professionnelle doit se faire sur la base d'informations pertinentes fournies par l'entreprise et reposant notamment sur les informations contenues dans le rapport comparé. Si une telle disposition était prévue, la loi du 9 mai 2001 en serait renforcée. De même, il est bon de prévoir que le procès-verbal des négociations consigne les propositions respectives des parties, mais il serait mieux de dire que les entreprises doivent motiver leur position.

Mme Anne-Marie Comparini s'est élevée contre l'idée de décrire aussi précisément ce que chacun sait déjà.

M. Michel Miné a répondu que la réalité de la négociation montre qu'en de certains cas, la précision a du bon. Il s'est ensuite dit surpris de l'importance prise, dans le débat, par les sanctions : puisqu'elles sont déjà prévues, tant au civil qu'au pénal, pourquoi en rajouter ? Là où le mécanisme pèche, c'est que l'on sanctionne le refus d'ouverture des négociations mais que certaines entreprises savent ouvrir formellement des négociations et ne pas négocier loyalement...

Mme Catherine Génisson a jugé la remarque parfaitement fondée, mais s'est interrogée sur les moyens d'aller plus loin.

M. Michel Miné a suggéré de s'inspirer du texte sur la négociation collective relative au travail de nuit qui prévoit que la négociation doit être « sérieuse et loyale », pour permettre une négociation en connaissance de cause. Pourquoi ne pas reprendre les arrêts pertinents de la jurisprudence de la Cour de cassation à ce sujet ? Ainsi mettrait-on un terme aux difficultés que rencontrent les organisations syndicales dans des entreprises où les employeurs ne veulent pas négocier, ou qui consentent à des négociations purement formelles.

Mme Marie-Cécile Moreau a rappelé que l'article L. 132-27 du code du travail prévoit que l'employeur est tenu d'engager des négociations, et que l'article 5 de la « loi Génisson » dispose que celui qui se soustrait à cette obligation est passible de pénalités fixées par l'article L. 481-2 du code du travail (emprisonnement plus amende).

Mme Catherine Génisson a observé qu'il s'agit du délit d'entrave.

Mme Marie-Cécile Moreau a fait valoir que la chose n'est pas si certaine. En effet, les pénalités en question ne sont pas édictées par le code pénal, mais fixées par le code du travail. On se transportera certes devant le juge pénal, mais il ne s'agit pas du délit d'entrave tel qu'édicté par le code pénal, et qui est principalement caractérisé par les manœuvres frauduleuses qui entourent le délit. C'est d'autre chose qu'il s'agit ici ; en conséquence, parler de « délit d'entrave » en cette circonstance, c'est faire croire à quelque chose de plus grave que ce n'est en réalité. Il faudrait donc en finir avec une terminologie qui emporte un effet pervers : dans la plupart des cas, on s'abstiendra de recourir à une telle sanction car on l'estimera trop grave. D'ailleurs, il aurait été intéressant de savoir si l'incrimination a déjà été utilisée.

Mme Cristina Lunghi a dit savoir que certaines organisations syndicales de la BNP-Paribas avaient porté devant le tribunal des délits d'entrave sur le fondement de la « loi Génisson ».

Mme Marie-Cécile Moreau s'est dit certaine qu'il n'existe aucune jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation à ce sujet.

M. Michel Miné s'est à nouveau étonné que l'on semble se focaliser sur la sanction pénale. L'enjeu est d'imposer l'ouverture de négociations et, à cette fin, de pouvoir saisir le juge civil pour qu'il ordonne à l'entreprise de communiquer les informations pertinentes et d'engager des négociations. Or, cela est possible en l'état actuel du droit, et des accords ont déjà été signés sous la contrainte judiciaire. Bref, là encore, les outils efficaces existent.

Mme Cristina Lunghi a observé qu'il restait à en informer les salariés.

M. Michel Miné a souligné que l'important serait d'obliger à davantage qu'à la simple ouverture des négociations. La formulation retenue dans le projet apparaît d'ailleurs en retrait par rapport à la législation en vigueur.

Mme Hélène Mignon s'est inquiétée de cette précision, car c'est évidemment sur le nouveau texte que les entreprises s'appuieront.

Mme Marie-Cécile Moreau a constaté, une nouvelle fois, que le projet ne recherche pas un résultat : son objectif est de faire évoluer les esprits.

Mme Maryline Lecocq a observé que la sanction lui paraît incontournable pour une application concrète de la loi.

Mme Hélène Mignon a déclaré partager ce point de vue, ajoutant que le rôle des parlementaires n'est pas de faire évoluer les mentalités.

Mme Catherine Génisson a observé que, de surcroît, le projet constitue un coup d'arrêt à la négociation sociale.

Mme Cristina Lunghi a exprimé le même sentiment. Alors que la négociation se met en place, c'est un encadrement méthodologique qui serait nécessaire, comme celui proposé avec le « label égalité ». Si ce à quoi l'on tend, c'est faire évoluer les mentalités, ce n'est pas en adoptant un texte, qui pourrait se révéler être une régression, que l'on y parviendra. Ce projet est contre-productif.

M. Michel Miné s'est référé à l'article 10 qui ouvre le bénéfice de l'aménagement de la charge de la preuve aux salariées discriminées en raison de leur état de grossesse, soulignant que cette disposition apparemment favorable risque d'être en réalité, elle aussi, contre-productive si l'on en fait une lecture a contrario. De plus, il existe d'autres dispositions plus favorables pour les femmes enceintes, notamment pour la procédure d'embauche - où se joue l'essentiel des discriminations. Il paraît inconcevable d'instituer deux démarches différentes pour les femmes enceintes. Quelle complexité ! En somme, non seulement le projet n'apporte rien de neuf, mais il risquerait d'être nocif par certains de ses aspects.

Si l'on souhaite véritablement faire évoluer les mentalités, pourquoi ne pas mener dès maintenant à son terme la transposition de la directive du 23 septembre 2002, ce qui doit d'ailleurs être fait avant le 5 octobre 2005 ? Il n'est pas indifférent de constater que les dispositions dont la transposition n'est pas prévue sont celles relatives au harcèlement sexiste et sexuel : tous les sociologues s'accordent pour dire que ce n'est pas dans les entreprises où règne un climat sexiste que les femmes seront portées à demander une promotion...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a évoqué la difficulté de définir le terme « sexiste ».

M. Michel Miné a répondu que la transposition est possible sans avoir à définir le terme et sans, donc, heurter les susceptibilités nationales.

Il a ensuite souligné que l'article 12 du projet, qui assure aux salariées en congé de maternité un droit effectif à l'indemnité de congés payés, est en retrait par rapport à la jurisprudence communautaire, qui prévoit l'obligation de cumul des périodes de congés de maternité et de congés payés (arrêt CJCE du 18 mars 2004). Et pourquoi un texte par lequel on dit vouloir corriger l'insuffisante prise en compte des congés maternité ne propose-t-il pas de modifier également le code du travail dans ses dispositions relatives aux contrats à durée déterminée ? Il est décidément très surprenant d'oublier ainsi les acquis communautaires.

Mme Catherine Génisson a déclaré n'être pas certaine qu'il s'agisse d'oublis. Elle a souhaité connaître l'opinion de ses interlocuteurs tant sur la discrimination indirecte que sur la situation des femmes dans les fonctions publiques. Elle a encore cherché à savoir comment on pourrait, par des propositions précises, rechercher la parité dans les lieux de négociation. Elle s'est déclarée en désaccord avec le projet dans ses dispositions relatives à la formation, soulignant que c'est l'égalité d'accès qu'il convient de garantir. Enfin, si volonté politique il y a, elle doit s'exprimer à la fois par un message fort - celui qui manque dans le projet - et par des moyens ; or le réseau des déléguées régionales s'est considérablement amoindri alors qu'elles conduisent une action déterminante.

Mme Marie-Cécile Moreau a souhaité connaître la position des organisations syndicales sur la discrimination positive rendue possible par l'article 141 du Traité d'Amsterdam, disposition reprise dans le traité constitutionnel.

Mme Marie-Josèphe Charon s'est dite profondément troublée que plusieurs articles du projet soient en retrait par rapport à la législation européenne. La moindre des choses serait d'exiger une mise à niveau.

Mme Catherine Génisson a souligné que le droit communautaire a toujours été une force de proposition pour ce qui est des droits des femmes. Revenant sur la parité dans les lieux de négociation, elle a rappelé que les organisations syndicales avaient exprimé des avis divergents en 2001.

Mme Marie-Josèphe Charon en a convenu, ajoutant que la CFDT, constatant l'absence de progrès, est désormais favorable à ce que l'on aille plus loin.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a précisé qu'elle souhaitait que des progrès soient accomplis sur ce point.

Mme Catherine Génisson a fait valoir que les progrès ne seront possibles que si une telle disposition emporte l'adhésion des syndicats.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé qu'il faut lancer le processus, comme il a été lancé dans le monde politique.

Mme Catherine Génisson a souligné que si le monde politique est uniforme, il n'en va pas de même dans le monde du travail : il serait objectivement impossible d'appliquer la loi dans des secteurs entiers, qui sont soit entièrement féminisés, soit entièrement masculinisés.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a maintenu que l'occasion était donnée de contribuer à faire évoluer les mentalités, même au sein des organisations syndicales.

Mme Christine Guinand a convenu que l'histoire de la CGT ne favorise pas la féminisation de ses instances. Pourtant la commission exécutive confédérale est paritaire. Néanmoins, il est vrai que trop souvent ce sont des hommes autour de la table des négociations. A l'inverse, il est anormal que seules les femmes négocient les sujets qui les concernent car, aussi longtemps que ces sujets seront considérés comme spécifiques, ils ne seront pas tenus pour prioritaires.

Il est impératif que la loi s'applique à la fonction publique, qui n'est exempte ni de discriminations directes ni de discriminations indirectes. Quant à l'égalité d'accès à la formation, elle n'existe pas quand la hiérarchie doit donner son accord et qu'il s'agit d'une jeune femme, que l'on soupçonnera toujours de vouloir un enfant puis de vouloir s'y consacrer. Et pour ce qui est de l'accès des salariés à temps partiel à la formation, la situation est catastrophique, car nul ne se préoccupe de rechercher les aménagements d'horaires qui le permettraient. A ce sujet, on constate que le projet ne mentionne aucunement le temps partiel imposé, qui est pourtant la base de toutes les inégalités.

Mme Catherine Génisson a dit partager ce point de vue. C'est un autre des aspects contre-productifs et anti-pédagogiques de ce texte, qui nie, par cette omission, la précarisation croissante des femmes. On sait pourtant que sur 3,4 millions de travailleurs pauvres, 80 % sont des femmes, en raison, principalement, du temps partiel subi. Comment prétendre traiter de l'égalité salariale sans évoquer cette question ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est dite convaincue de la nécessité d'une réflexion approfondie sur le travail à temps partiel ; il serait malhonnête d'ignorer son influence sur la précarité.

Mme Marie-Cécile Moreau a souligné que la récente loi sur le divorce conduirait à des drames et qu'il restait aussi à mesurer l'impact de certains textes en préparation, dont celui qui porte sur la filiation. Elle a noté que, dans bien des esprits, le salaire de la femme est toujours considéré comme un salaire d'appoint.

Mme Christine Guinand a déclaré que la CGT est favorable à la discrimination positive, à condition qu'il s'agisse de dispositions temporaires tendant au rattrapage.

Mme Maryline Lecocq a rappelé la volonté de la CFE-CGC de parler de mixité au lieu de parité entre hommes et femmes et d'égalité des chances fondée sur des compétences réelles.

Pour ce qui est des femmes dans les entreprises publiques, elles souffrent sans aucun doute de discriminations qu'aggravent le flou et l'opacité des procédures. Des polytechniciennes sont mises à l'index car elles ont choisi de travailler à temps partiel...

Mme Gabrielle Simon a souligné que les entreprises recourent de plus en plus au temps partiel imposé pour assurer la flexibilité dont elles ont besoin. L'ampleur du phénomène doit être mesurée, de manière d'autant plus urgente que le nombre des travailleurs pauvres ne cesse de croître, qui sont principalement des travailleurs à temps partiel. Les contrats à temps partiel doivent être encadrés pour empêcher qu'ils ne se traduisent par une rémunération si faible que les salariés concernés ne puissent en vivre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, rappelant le rapport de la Délégation sur ce thème, adopté en novembre 2004, a déclaré que c'était là l'un de ses objectifs prioritaires, car il est très inquiétant de prévoir que, dans les années à venir, des salariés qui auront cotisé et qui arriveront à l'âge de la retraite n'auront droit qu'au minimum vieillesse.

Mme Hélène Mignon a souligné qu'une telle situation est vexatoire.

Mme Gabrielle Simon a ajouté qu'elle est aussi explosive. Quelle société entend-on construire en acceptant que les entreprises, refusant toute responsabilité sociétale, se défaussent de leurs charges en matière de retraite sur la collectivité nationale, au détriment de la cohésion sociale et même de l'efficacité économique ?

S'agissant de la fonction publique, la situation est d'autant plus complexe que l'on avance masqué. Puisque les recrutements se font par concours, il ne peut, théoriquement, exister de problèmes d'inégalités. Et pourtant, il n'est que de voir qui occupe les postes de direction à la Banque de France pour se rendre compte que, alors que le vivier des adjointes de direction est très important, les femmes ne progressent pas vers les postes les plus importants. La discrimination indirecte est très forte, et elle est favorisée par le non-dit, le détournement des procédures et l'opacité généralisée.

Pour ce qui est de la discrimination positive, il n'est pas glorieux d'y être contraint. Mais puisqu'il n'est pas de progrès possible sans y venir, alors, oui, à condition que les dispositions soient temporaires.

En matière de formation, il faut aboutir à l'égalité d'accès, à condition de préserver la liberté de choix et, donc, de respecter le désir des femmes, qu'il soit d'élever leurs enfants ou, à un autre moment de leur vie, de s'investir dans leur carrière.

Mme Marie-Cécile Moreau a rappelé que le Conseil constitutionnel a précisé que la parité est édictée en matière de représentativité dans les instances élues politiques, et dans celles-là seulement ; elle n'est donc pas possible en matière professionnelle. S'agissant de la discrimination positive, il est intéressant de constater que deux des organisations syndicales présentes s'y déclarent favorables, à la condition qu'elles soient temporaires, car c'est également ce que décide la convention de New-York relative à l'élimination des discriminations à l'encontre des femmes (convention CEDAW). En revanche, l'article 141 du Traité d'Amsterdam dit permettre, voire promouvoir, des mesures « en faveur du sexe sous-représenté », formulation qui traduit une recherche d'équilibre, sans limitation dans le temps.

M. Michel Miné a dit préférer parler d' « action positive » plutôt que de « discrimination positive ». Le débat est clos sur le principe ; il doit à présent avoir lieu sur ses modalités d'application. Il a souligné la nécessité de s'appuyer sur la jurisprudence communautaire la plus récente pour instaurer un dispositif tel que les salariés à temps partiel puissent bénéficier d'une majoration de 25 % dès la première heure complémentaire travaillée (arrêt CJCE du 27 mai 2004).

Mme Christine Fauré dans le cadre d'un débat sur la possibilité d'étendre la parité à d'autres secteurs de la vie sociale que la politique, a souligné que pour faire évoluer les mœurs il faut utiliser de nouveaux concepts et donc de nouveaux mots et, surtout, cesser de ronronner. Si l'on ne s'y décide pas, combien d'années faudra-t-il pour faire évoluer le si pesant droit français ? Il existe en France une forme de conservatisme juridique qui ne dit pas son nom et qui entrave toute innovation. Il faudra bien, pourtant, faire progresser une situation telle que la France est le seul pays membre de l'Union européenne dans lequel les femmes ne sont nulle part ! Il paraît ainsi invraisemblable que l'on ne puisse transposer intégralement une directive au motif que l'on n'est pas d'accord sur la définition d'un mot.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié l'ensemble des participants.

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