DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 17

Mardi 5 avril 2005
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition sur le thème de l'égalité salariale de M. Dominique Tellier, directeur des relations sociales du MEDEF, de Mme Catherine Martin, directrice de l'emploi du MEDEF et de Mme Martine Clément, PDG de la société de galvanoplastie industrielle (SGI)

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu, sur le thème de l'égalité salariale, M. Dominique Tellier, directeur des relations sociales du MEDEF, Mme Catherine Martin, directrice de l'emploi du MEDEF et Mme Martine Clément, PDG de la Société de galvanoplastie industrielle (SGI).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que la Délégation avait déjà rencontré les mêmes représentants du MEDEF, deux ans auparavant, pour établir un premier bilan de la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle. Depuis cette date, le MEDEF et les syndicats ont signé un accord national interprofessionnel le 1er mars 2004.

Aujourd'hui, comment le MEDEF réagit-il à l'annonce par le Président de la République d'une nouvelle loi de rattrapage salarial en cinq ans ? Celle-ci fera-t-elle avancer l'égalité professionnelle ? La nouvelle obligation de négociation dans les branches et les entreprises s'inscrit-elle dans le prolongement de la loi du 9 mai 2001 ? Posera-t-elle aux entreprises des difficultés d'application ? La CGPME, déjà auditionnée, a pour sa part émis quelques réticences.

Mme Martine Clément a souligné que l'accord sur l'égalité professionnelle avait été signé par l'ensemble des syndicats avec enthousiasme, chacun étant conscient que l'arsenal législatif existe et qu'il s'agit maintenant surtout de faire évoluer les mentalités. Pour le moment, ce sont plutôt les entreprises que les branches qui se sont emparées de cet accord, en dépit des initiatives du MEDEF et de celles de Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, qui a organisé un « tour de France de l'égalité professionnelle ».

Le principal obstacle que rencontrent les femmes est la difficulté à suivre des orientations qui leur permettent ensuite d'occuper des postes intéressants et importants. À cet égard, les moments clés sont ceux de l'embauche et de la promotion.

Les négociations doivent toujours être inspirées par le réalisme et le pragmatisme : par exemple, si, dans une organisation donnée, la différence de salaires entre les femmes et les hommes est supérieure à 5 ou 6 % - taux qui semble correspondre à l'écart inexplicable -, il convient de s'attacher, en trois ou quatre ans, à la réduire pour la ramener à un niveau plus proche de la normale. Pour que les partenaires sociaux soient en mesure de pousser les négociations plus avant, ils doivent partir d'une analyse des faits partagée. En l'espèce, le Gouvernement les a laissés négocier, comme ils le revendiquaient.

Le projet de loi débute par des articles très précis, très détaillés, mais il accorde une large place à la négociation, et c'est ce qui en fait un bon texte. De plus, le fait que le Président de la République ait braqué le projecteur sur le sujet tendra à faire bouger les choses. Ainsi, la rédaction adoptée permettra le déploiement de la concertation imaginée dans l'accord, mais il est tout aussi positif que l'objectif affiché soit clairement d'aboutir à des résultats.

L'article 1er pose néanmoins problème en ce qui concerne ses dispositions sur les augmentations individuelles - en fonction du mérite, de l'activité, de la réussite du salarié, bref, de sa contribution à la valeur ajoutée de l'entreprise - à la suite d'un congé de maternité. Un système fondé sur l'automaticité créerait des distorsions dans les entreprises. Il serait préférable de prendre en considération l'itinéraire de la personne, ses références, c'est-à-dire les augmentations individuelles dont elle a bénéficié au cours des trois années précédentes. Mais ce point de divergence, qui est le plus marqué, n'est pas pour autant insurmontable ; il doit être possible de trouver une solution par voie d'amendement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a insisté sur la nécessité de sauvegarder la confidentialité et s'est donc étonnée que le projet de loi prévoie de telles augmentations individuelles.

M. Dominique Tellier a assuré que le MEDEF acceptait que soit compensé un éventuel écart de rémunération consécutif à un congé de maternité, mais que les responsables du cabinet de Mme Nicole Ameline et de la direction des relations du travail n'étaient pas habitués à la notion de rémunération individualisée et n'avaient pas perçu que la mesure prévue était doublement inapplicable, compte tenu de la nécessité de garantir la confidentialité, mais aussi parce que, dans une petite entreprise lorsque le nombre de salariés de la catégorie concernée est très limité, la moyenne de la catégorie n'est pas significative ; il est impossible d'augmenter davantage celle qui n'a pas travaillé dans l'entreprise au cours de l'année, sous peine de susciter un mécontentement compréhensible.

C'est pourquoi le MEDEF souhaiterait que soit retenue, pour le calcul de l'augmentation accordée pendant le congé, la moyenne de celles des années précédentes, ce qui ne pénaliserait nullement les femmes concernées et empêcherait ce genre de situation.

M. Dominique Tellier a expliqué que le projet de loi donnera la priorité à la négociation collective, que les entreprises et les branches chercheront à mettre au point des dispositifs plus applicables, et que l'article 1er ne s'appliquera que de façon résiduelle, ou plutôt subsidiaire, dans les entreprises où aucun accord n'aura été trouvé, c'est-à-dire surtout parmi les plus petites d'entre elles.

Mme Martine Clément a ajouté qu'il serait préférable d'adopter un texte susceptible d'être accepté par les entreprises et d'entraîner leur adhésion.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'étant inquiétée du fait que la discussion achoppait dès l'article 1er, M. Dominique Tellier a répété l'accord de principe du MEDEF, ses réserves portant uniquement sur les difficultés de mise en œuvre du dispositif.

Mme Martine Clément a estimé que le plus important était de faire en sorte que la maternité ne soit pas un handicap pour la femme. Dans la vie courante, chacun cherche à se différencier - à commencer par les délégués syndicaux. Les augmentations individuelles, lorsqu'elles sont acquises, constituent par conséquent un élément de reconnaissance très important, et faire bénéficier une salariée de celles obtenues par ses collègues aurait quelque chose d'injuste, ou en tout cas d'inattendu.

Par ailleurs, en réponse à Mme Bérangère Poletti qui objectait qu'une femme pouvait prendre un congé de maternité sans avoir nécessairement une grande ancienneté dans l'entreprise, Mme Martine Clément a observé qu'une personne travaillant dans une entreprise depuis peu est souvent en phase ascendante et qu'elle bénéficie souvent d'un coup de pouce salarial. Au demeurant, les entreprises sont tellement à l'affût d'employés compétents qu'elles ne manquent pas de « couver » ceux qui font l'affaire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si le MEDEF avait déjà rédigé un amendement sur ce point et s'il s'attendait à ce que celui-ci soit repris par le Gouvernement.

M. Dominique Tellier a répondu que le MEDEF avait beaucoup échangé à ce sujet avec le cabinet de Mme la ministre, et que celui-ci semblait avoir compris l'utilité d'une mesure plus applicable dans les entreprises, mais qu'il ignorait si elle ferait l'objet d'un amendement gouvernemental ou d'un amendement parlementaire accepté par le Gouvernement.

Mme Martine Clément a jugé que, outre ce point de divergence fondamental, il fallait aussi raison garder en matière de sanctions, compte tenu de l'impopularité de ce système parmi les chefs d'entreprise. Avant d'en arriver là, tout doit être fait pour promouvoir en cinq ans l'évolution des chefs d'entreprise et les amener à croire à la nécessité de faire une place plus importante aux femmes pour s'enrichir de leur vision un peu différente et donc complémentaire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a considéré que les sanctions prévues par le projet de loi étaient minimes et que les sanctions pénales existantes n'étaient guère appliquées.

M. Dominique Tellier a cité les deux types de sanctions prévues : la sanction pénale pour absence de négociation et la sanction que constitue l'absence d'entrée en application ou d'extension de l'accord.

Un chef d'entreprise ne prendra pas le risque d'omettre d'aborder la question du rattrapage salarial, et de voir remis en cause un accord salarial obtenu au terme d'une négociation difficile ; ce serait une sanction terrible, qui mettrait l'entreprise dans une situation très compliquée. De même, au niveau de la branche, les négociateurs n'ont aucun intérêt à négliger le sujet, sous peine d'une impossibilité d'étendre cet accord.

Il aurait été paradoxal d'appliquer une amende : ce serait la première fois que le droit français sanctionnerait le défaut de conclusion d'accord. La période actuelle étant très favorable à l'évolution vers l'égalité entre les hommes et les femmes, il serait surprenant que les pouvoirs publics doivent en venir à cette extrémité dans trois ans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que toutes les lois adoptées depuis 1972 auraient déjà dû faire entrer l'égalité salariale dans la normalité.

M. Dominique Tellier a indiqué que plusieurs facteurs étaient favorables à une évolution positive : l'évolution démographique ; l'appropriation par les partenaires sociaux de l'arsenal législatif, incluant la « loi Génisson » ; l'inscription du nouveau projet de loi dans cette même logique, puisqu'il ne rompt pas l'équilibre existant et fait confiance aux acteurs en se fondant sur la négociation collective.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est enquise des motifs de l'échec de la loi du 9 mai 2001.

M. Dominique Tellier a répondu que les acteurs ne s'en étaient pas emparés. Or, un compromis accepté par les acteurs est toujours préférable à une loi imposée, quelle que soit sa qualité. S'ils ont le sentiment que la loi ne répond pas directement à leurs préoccupations, ils l'appliqueront, mais très formellement, sans s'intéresser au fond. Le projet de loi, au contraire, articule le corpus législatif antérieur et reprend même la méthode de la « loi Génisson », que les acteurs se sont désormais appropriée : accord sur l'analyse et mise en œuvre des correctifs.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est réjouie de l'évolution du MEDEF, qui, deux ans auparavant, avait manifesté son opposition à la « loi Génisson ».

Mme Martine Clément a précisé que le texte en préparation reprenait la méthode de la « loi Génisson » mais que les partenaires sociaux auraient la possibilité de l'appliquer en fonction de la réalité de terrain.

Mme Catherine Martin a confirmé que la longue négociation préalable à l'accord du 1er mars 2004 avait permis aux partenaires sociaux d'avancer ensemble alors qu'ils n'avaient jamais adhéré à la « loi Génisson ». La méthode de négociation a été originale : des groupes de travail produisaient des propositions écrites n'engageant pas les délégations, documents qui ont fini par déboucher sur l'accord, signé par les cinq organisations syndicales, y compris la CGT, extrêmement présente et positive. La question des stéréotypes, en particulier, a pu être débattue, les organisations syndicales prenant conscience des problèmes à régler en leur sein même. L'accord était accompagné d'une lettre paritaire demandant à Mme la ministre de prendre des dispositions dont certaines apparaissent dans le projet de loi, notamment en ce qui concerne la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, ou la formation professionnelle.

Aboutir à une prise de conscience est toujours long, mais le président Ernest-Antoine Seillière, pour sa part, est tout à fait conscient de la nécessité de faire avancer les choses. À cet égard, hormis le caractère non applicable d'une partie de l'article 1er, le projet de loi ne pose aucun problème au MEDEF, qui demandait même nombre des mesures prévues.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité que l'article 1er soit amendé car, en l'état, il irait à l'encontre de la confidentialité.

Puis elle s'est demandé comment les employeurs allaient remplir l'obligation de respecter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, et si de réelles avancées étaient possibles dans ce domaine.

Mme Martine Clément a relevé que M. Christian Jacob, quand il était ministre délégué à la famille, avait fait voter un crédit d'impôt, malheureusement rendu trop complexe par Bercy, et que les crèches interentreprises étaient de plus en plus nombreuses, mais a regretté que les assistantes maternelles soient en butte à des tracasseries administratives, alors que bien des parents ne savent pas comment faire garder leurs enfants. Le champ du crédit d'impôt doit être élargi, en particulier dans les entreprises organisées selon des horaires flottants. La grande distribution est très avancée en la matière : la garde des enfants sur place est très courante et des logiciels de gestion du personnel très bien étudiés ont été développés. Des mesures pratiques de cet ordre permettent d'obtenir des résultats.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est dite émerveillée que les mentalités aient autant évolué en deux ans et a espéré voir le problème de l'égalité salariale résolu d'ici cinq ans.

Mme Catherine Martin a noté qu'en deux ans les partenaires sociaux avaient beaucoup réfléchi et travaillé.

M. Dominique Tellier a indiqué que « la loi Génisson » et les précédentes, à tort ou à raison, avaient été perçues par les employeurs comme des contraintes, alors que, cette fois-ci, ils abordaient le problème différemment et comprenaient que tout le monde, les femmes comme les entreprises, avait à y gagner.

Mme Bérengère Poletti a évoqué le traumatisme subi par les entreprises avec la loi sur les 35 heures et estimé qu'il avait empêché toute ouverture ; il aurait fallu traiter le problème de l'égalité salariale avant celui de la réduction du temps de travail.

Mme Martine Clément s'étant félicitée de la qualité du travail accompli par les entreprises sur le terrain, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, en a déduit que les entreprises répondraient sans aucune difficulté à l'obligation de rédiger des rapports de situations comparées entre les hommes et les femmes.

M. Dominique Tellier a rétorqué que les entreprises étaient légalistes mais appliqueraient avec infiniment plus d'entrain les analyses comparatives prévues dans l'accord que celles imposées par la loi, les cases à remplir n'étant pas pertinentes pour toutes les entreprises : la généralité devient une contrainte ; plus la réglementation entre dans le détail au lieu de se limiter aux têtes de chapitres, plus elle représente une charge pour les entreprises, particulièrement les PME, qui se ressemblent de moins en moins.

Mme Martine Clément s'est félicitée que des mesures d'organisation tendant à faciliter l'activité des femmes - telles les conciergeries - soient désormais appliquées en France, selon l'exemple des pays scandinaves. Ce système vertueux est favorable aux salariées mais aussi aux entreprises - quand elles recrutent, elles reçoivent dix candidatures pour une place -, et certaines d'entre elles ont commencé à le comprendre. Progressivement, accorder une vraie place aux femmes permet de se doter de collaboratrices de qualité, d'autant plus consciencieuses qu'elles doivent en faire un peu plus que les hommes. Mais il reste beaucoup à accomplir, notamment en matière de promotion.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a cependant souligné que, depuis dix ans, le temps consacré par les hommes aux tâches ménagères n'a guère évolué : les mentalités, en France, posent encore problème et le comportement des générations de vingt-cinq à quarante ans ne l'incite guère à l'optimisme.

Mme Martine Clément a observé que les enfants, c'est-à-dire les futurs hommes et femmes, étaient surtout élevés par les femmes.

M. Dominique Tellier a au contraire estimé que les attitudes de l'homme et de la femme vis-à-vis des tâches extraprofessionnelles s'étaient profondément transformées en France, alors qu'en Allemagne les femmes ne travaillent guère hors du foyer.

Mme Bérengère Poletti a déploré que les crèches d'entreprise soient présentées comme des équipements destinés à aider les femmes et non pas les parents ou les familles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a annoncé qu'elle ferait un bilan avant la fin de la législature, et qu'elle ne manquerait pas de commenter l'application de la loi, quitte à réclamer des mesures plus contraignantes si l'égalité n'est toujours pas atteinte, l'absence de sanctions constituant l'une des inquiétudes suscitées par le texte en gestation.

Mme Martine Clément a affirmé que, contrairement aux apparences, en trente ans la situation s'était largement améliorée, puisqu'il avait fallu alléger les conventions collectives de dispositions extrêmement défavorables, et que le déficit actuel de main-d'œuvre constituait une chance magnifique pour les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, ayant qualifié l'argument de dérangeant, M. Dominique Tellier a rétorqué qu'il fallait se saisir de cette chance.

Mme Martine Clément a déclaré que les mentalités auront vraiment évolué lorsque les femmes seront bouchères ou boulangères au lieu de tenir la caisse de la boutique de leur mari.

Mme Bérengère Poletti a témoigné des difficultés que pose l'arrivée des hommes dans le métier de sage-femme, surtout pour les suites de couches, la femme qui vient d'accoucher n'étant pas culturellement prête à se faire soigner par un homme.

Mme Martine Clément a indiqué qu'un autre aspect de l'accord signé par les partenaires sociaux concernait la mixité des métiers, à laquelle les syndicats tiennent beaucoup.

Mme Bérengère Poletti a ajouté que la plupart des syndicalistes, y compris les femmes, ne voulaient pas entendre parler d'une évolution contrainte de la représentation féminine dans leurs structures, alors qu'un regard féminin, au moins proportionnel à la place des femmes dans l'entreprise, les aiderait grandement dans les négociations.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié l'ensemble des participants.

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