DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 22

Mardi 21 juin 2005
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

Audition sur le thème des femmes de l'immigration :

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- Mme Sihem Habchi, vice-présidente de l'association « Ni putes, ni soumises »

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Sihem Habchi, vice-présidente de l'association « Ni putes, ni soumises ».

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que la Délégation aux droits des femmes avait déjà auditionné l'association « Ni putes ni soumises » sur le projet de loi relatif aux propos sexistes et homophobes. À cette occasion, l'association avait évoqué le problème de l'intégration des jeunes filles des cités issues de l'immigration. La Délégation souhaite approfondir ses réflexions sur ce thème, et d'abord par une meilleure connaissance de l'activité de l'association en faveur des jeunes filles issues de l'immigration. Que propose-t-elle pour les aider à conquérir ou conforter leur autonomie juridique et économique ? Comment les aider à lutter contre les violences qu'elles subissent dans la sphère domestique comme dans la cité ? Des jeunes filles d'origine maghrébine ou africaine sont également victimes de mariages forcés. Quels sont les moyens juridiques, tant en France qu'à l'étranger, qu'il faudrait mettre en œuvre pour lutter contre cette pratique ? L'association a-t-elle le sentiment d'un progrès dans la mobilisation de la société française pour l'intégration ?

Mme Sihem Habchi a rappelé que l'association « Ni putes ni soumises » était née en 2003, à la suite de la marche des femmes pour l'égalité. Depuis, soixante comités ont été créés dans toute la France, qui effectuent un travail de terrain en direction des femmes, mais aussi de l'ensemble de la population.

Ce travail consiste d'abord dans la prise en charge des victimes, en liaison avec les pouvoirs publics et diverses institutions susceptibles de débloquer des situations relatives au mariage forcé, au viol, au viol collectif.

Le second aspect de l'activité des comités est un travail de médiatisation, de libération de la parole. Il y a quelques semaines, une jeune fille de 14 ans - qui n'est pas issue de l'immigration - a été victime d'un viol collectif et contrainte à se prostituer. Une quarantaine de personnes ont été interpellées. Pour certains habitants de son quartier, la victime était responsable de ce qui lui est arrivé. Aussi, l'association, outre l'aide directement apportée à la jeune fille, a-t-elle décidé d'organiser une manifestation sur la place publique. Il est important qu'un événement de ce genre fasse l'objet d'un débat, qu'un tel drame ne soit pas entouré de silence, qu'il soit considéré et traité comme un drame public, et non comme l'affaire de la seule victime et de sa famille.

Dans les jours qui ont suivi, quatre affaires du même type ont été révélées. Il est important de savoir comment elles ont pu rester ignorées pendant si longtemps, empêchant les comités locaux d'intervenir à temps pour aider les victimes et leurs familles. Il convient de définir des méthodes d'alerte pour que celles-ci puissent avoir suffisamment confiance pour interpeller les pouvoirs publics.

« Ni putes ni soumises » est également présente dans les débats qui se tiennent au niveau international sur les violences contre les femmes. L'association a notamment participé à la conférence de Stockholm. Elle a eu à maintes reprises l'occasion de constater que beaucoup d'Européens commencent à mesurer les limites et les dangers du communautarisme. La Suède, par exemple, a été ébranlée par les meurtres de deux jeunes Suédoises d'origine kurde, Pele et Fadime. Cette dernière a été assassinée peu de temps après son intervention devant le Parlement suédois, où elle avait dénoncé les « crimes d'honneur », les mariages forcés et toutes les pratiques archaïques qui étaient tolérées en Suède, du moins dans le cadre domestique. Les Suédois, et notamment les féministes suédoises, ont pris conscience que le relativisme culturel avait conduit à tolérer pour les autres ce qu'on ne tolère pas chez soi. Au nom du respect des autres cultures, on a accepté de traiter avec les leaders religieux, avec les leaders « représentant » les communautés étrangères, auxquels on a reconnu la qualité de responsables habilités à gérer tous les aspects relatifs aux moeurs. C'est ainsi que des pratiques telles que les mariages forcés en sont venues à être tolérées.

Dans bien des pays d'Europe, tels que la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark ou le Royaume-Uni, il est très difficile de s'exprimer sur le problème des mariages forcés ou de la polygamie sans être immédiatement taxé de racisme. Ces questions sont traitées par des organisations de migrants. Autrement dit, la société est complètement communautarisée. Pourtant, l'échec du communautarisme est patent. Au lendemain du meurtre de Theo Van Gogh, seuls les extrémistes, xénophobes et religieux, se sont fait entendre.

Dans un tel contexte, le cadre républicain et laïc français peut apparaître comme un modèle pour l'Europe. Les violences dont sont victimes les femmes issues de l'immigration n'appellent pas une réponse spécifique : ce sont des violences faites aux femmes, qui doivent être traitées comme telles, indépendamment de l'origine des victimes. La discrimination positive n'est pas une solution. À cet égard, le glissement du principe d'égalité vers celui d'équité peut donner lieu à un certain nombre de dérives.

Les responsables de « Ni putes ni soumises » sont aujourd'hui les premières ambassadrices du principe de laïcité, qui est très mal compris à l'étranger. La loi relative au port de signes religieux, par exemple, a souvent été perçue comme porteuse de discriminations à l'égard de la population musulmane. Il importe de montrer que la laïcité n'est pas seulement un principe de séparation du politique et du religieux, mais qu'elle est aussi un espace d'interaction sociale entre hommes et femmes qui permet de renégocier, au plan social, un pacte laïc.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a invité Mme Sihem Habchi à exposer la position de son association sur les mariages forcés.

Mme Sihem Habchi a estimé qu'une nouvelle loi n'était pas forcément nécessaire. Il convient de faire appliquer les textes existants.

La notion même de mariage forcé appelle une clarification. Un mariage forcé est l'union d'un homme et d'une femme décidée par les parents ou la famille, sans le consentement de l'une des deux personnes concernées. Il s'agit d'une atteinte au droit le plus élémentaire de l'homme. Ce sont l'échec de la politique d'intégration des immigrés, le chômage, l'émergence des islamistes et la mise en avant du relativisme culturel qui ont contribué à cette montée en puissance des mariages forcés, dont les principales victimes sont les femmes. L'association « Ni putes ni soumises » dénonce depuis longtemps ce phénomène social qui connaît une recrudescence. Mais il faut prendre garde que certains utilisent son combat et créent des amalgames terriblement dangereux. La dénonciation des mariages forcés n'a pas pour but de servir la lutte contre les mariages blancs, lesquels sont consentis, ni la suspicion systématique à l'égard des populations d'origine immigrée.

Certains parlent abusivement de « mariages blancs », de « mariages de convenance », de « mariages coutumiers », de « mariages arrangés ». D'autres parlent de « mariages de raison », de « mariages religieux ». Les termes communément employés par certains hommes politiques sont la source d'amalgames graves. Ils prennent prétexte d'une lutte contre les mariages forcés pour élaborer des textes dont la finalité réelle est de lutter contre l'immigration. Là n'est pas le combat de l'association.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que les responsables politiques désireux de renforcer la lutte contre les mariages forcés étaient avant tout soucieux de venir en aide aux jeunes femmes ou aux jeunes filles concernées, et non de lutter contre l'immigration.

Mme Sihem Habchi a insisté sur le fait que les comités locaux de l'association ont signalé que la lutte contre les mariages forcés était l'occasion d'un certain nombre d'amalgames et de dérives. Le législateur doit veiller à éviter les confusions.

Lors des débats qui ont eu lieu au Sénat, il a été proposé que « le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves, dans le but de l'obliger à donner son consentement à un mariage » soit « puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ». Une telle réforme n'est pas forcément pertinente sur le plan juridique. Le harcèlement, la séquestration, les menaces sous condition et les violences constituent déjà des délits. En outre, la jurisprudence a consacré la notion de viol entre époux. La condamnation du mariage forcé existe déjà dans notre code civil, à l'article 146 : « Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement. » Il convient d'utiliser les dispositions existantes et de s'appuyer sur elles pour mettre en place un dispositif efficace.

Il arrive que des jeunes femmes françaises parties en vacances dans leur pays d'origine apprennent sur place qu'elles vont être mariées. Dans les cas de ce type, la position de l'association est claire : quand une jeune femme française est victime de quelque violence que ce soit dans un pays étranger, elle a droit à la même protection que n'importe quel citoyen français. Le ministère des affaires étrangères doit jouer pleinement son rôle pour venir en aide à nos concitoyennes.

L'association, pour sa part, outre le soutien matériel qu'elle apporte aux jeunes femmes ou jeunes filles concernées, effectue un important travail d'éducation, tant il est vrai que celles-ci ne connaissent pas toujours leurs droits. C'est la raison pour laquelle elle a édité un « Guide du respect ». Malheureusement, les problèmes les plus graves se posent à l'étranger. Or, le paradoxe est que de multiples associations, dans les pays d'origine, parviennent à faire reculer des pratiques telles que les mariages forcés, la polygamie ou l'excision, alors que des jeunes femmes de nationalité française sont soumises à ces mêmes pratiques. Notre pays défend des valeurs universelles tout en se laissant aller à une certaine forme de laxisme dans la défense des droits des femmes.

Mme Bérengère Poletti a indiqué que lors d'une précédente audition de la Délégation aux droits des femmes, Mme Gaye Petek, directrice de l'Association ELELE, avait souligné le paradoxe qui veut que la condition de la femme turque progresse globalement alors que des femmes turques vivant en France, ou françaises d'origine turque, subissent des traditions archaïques, en recul dans leur pays d'origine.

M. Patrick Delnatte a invité Mme Sihem Habchi à décrire en détail le travail effectué par son association en milieu scolaire.

Mme Sihem Habchi a rappelé que son association était fréquemment sollicitée pour intervenir dans les collèges et les lycées sur les violences dont sont victimes les femmes, mais aussi sur les droits qui sont les leurs, ainsi que sur les questions relatives à la sexualité. La mixité est également un axe essentiel de ces interventions, car s'il est vrai que l'école française est mixte, il importe de cultiver cette valeur.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a déploré que l'Education nationale ne joue pas pleinement son rôle. Les droits des femmes devraient être enseignés.

Mme Sihem Habchi a dressé un parallèle entre les missions de prévention en matière de sécurité routière, qui peuvent conduire des policiers à intervenir à ce titre dans les établissements scolaires, et le travail d'éducation à la mixité et à l'égalité entre hommes et femmes, qui peut lui aussi justifier que l'Education nationale fasse appel à des intervenants extérieurs.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que ces interventions extérieures ne dispensaient pas les enseignants de remplir leur mission. Un professeur d'histoire et géographie se doit d'enseigner le programme d'éducation civique dont il est chargé.

Mme Sihem Habchi a estimé que tous les problèmes relatifs aux droits des femmes et aux violences qu'elles subissent ne devaient pas nécessairement être abordés dans le cadre de l'enseignement. Il importe de ménager au sein de l'institution scolaire des espaces à l'intérieur desquels certains sujets puissent être abordés.

S'agissant de la question des droits, l'une des difficultés est que certains jeunes Français issus de l'immigration ne se sentent pas véritablement français, ce qui les amène à méconnaître leurs droits. La France a tous les moyens nécessaires pour mettre en œuvre des dispositifs susceptibles de faire progresser chez les jeunes la conscience d'être français, et par là même la conscience de leurs droits et de leurs devoirs.

M. Patrick Delnatte a fait observer que les enseignants apprécient de pouvoir s'appuyer sur des intervenants extérieurs quand il s'agit de faire progresser les choses sur certains problèmes de société. Le dialogue avec les élèves est parfois plus facile.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a estimé que l'enseignant n'est pas seulement chargé de transmettre un savoir. Il est aussi éducateur.

Mme Sihem Habchi a considéré que dans l'esprit de nombre d'enseignants, la formation du futur citoyen ne faisait pas partie de leurs missions essentielles.

Mme Bérengère Poletti a souhaité connaître la réaction qui a été celle de l'association « Ni putes ni soumises » devant la réservation de certains créneaux horaires aux femmes dans une piscine de Lille.

Mme Sihem Habchi a souligné que cette décision a été ressentie par les membres de l'association comme un choc. Elles ont eu le sentiment d'être « lâchées » par les pouvoirs publics. Cette décision signe une forme de renoncement. Il serait opportun de méditer l'exemple de la Suède, où certaines femmes sont complètement soumises aux règles décidées par leur communauté. Jusqu'à une date récente, le mariage à l'âge de quinze ans était toléré pour les Suédoises issues de l'immigration turque. L'assassinat de Fadime a fait réagir les autorités suédoises.

En France, certains dirigeants sont tentés de céder aux pressions qui vont dans le sens du communautarisme. Cette tentation n'est pas non plus étrangère au calcul selon lequel céder aux revendications de certains dirigeants communautaires pourrait avoir pour avantage de conduire à une baisse de la délinquance. Cédons sur ceci, ils nous aideront pour cela. C'est par des marchandages de ce type que l'on vend la République par étages.

Mme Bérengère Poletti a estimé qu'à force de renoncer, nous serons un jour au pied du mur.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente a considéré que nous y étions déjà.

Mme Sihem Habchi a observé qu'il était important de rester en contact avec les pouvoirs publics, notamment les municipalités, même quand l'association est en désaccord avec les décisions prises. C'est ce travail de terrain qui peut permettre aux responsables de se rendre compte que d'autres types de solution sont possibles.

Mme Bérengère Poletti a souhaité savoir si l'association avait pris contact avec la municipalité de Lille lorsque la décision a été prise, et ce qu'il en était ressorti.

Mme Sihem Habchi a indiqué qu'un débat avait eu lieu. Elle a souligné que les associations intégristes exercent des pressions sur les pouvoirs publics depuis plusieurs années. Le problème est que ce sont précisément elles que les responsables publics ont choisies pour interlocutrices, ce qui est sans doute dû au fait que les associations citoyennes ont disparu des quartiers populaires.

M. Patrick Delnatte a rappelé l'argument mis en avant par la municipalité de Lille pour justifier sa décision : si l'on ne fait pas en sorte que les femmes puissent aller à la piscine, elles resteront recluses et constitueront une génération sacrifiée.

Mme Bérengère Poletti a considéré qu'il s'agissait là d'un argument trop facile.

Mme Sihem Habchi a jugé que l'argument n'était en effet pas pertinent. Les partisans de la loi relative au respect de la laïcité à l'école n'ont pas reculé. Et les craintes exprimées par les adversaires de cette loi se sont révélées infondées. C'est précisément en ne cédant pas sur le principe de laïcité que l'on peut permettre de construire un espace public où les filles puissent être les égales des garçons. L'oppression de la femme par l'homme commence très tôt. C'est en multipliant les concessions que l'on rend possible cette oppression et qu'on lui permet de produire des effets durables.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que le journal Le Monde rapportait en ces termes les propos tenus par le ministre de l'intérieur le lundi 20 juin : « Nicolas Sarkozy regrette que les quartiers soient des « déserts spirituels ». Il invite les Eglises à prendre part au débat public. »

Mme Sihem Habchi a souligné qu'elle ne pouvait pas porter un jugement sur des propos dont elle n'a pas pris connaissance de manière complète. Il reste que la religion est de l'ordre de l'intimité. Les institutions religieuses font certes partie de la société civile, mais il convient d'éviter la mise en place d'une société communautariste. Le fait religieux peut être fédérateur, comme c'est le cas aux États-Unis, mais la France est fédérée par des valeurs plus universelles. Les Français appartiennent à différentes religions. Cela, en soi, ne pose pas problème. Mais ce qui rassemble les citoyens est ce qu'ils ont en commun.

Mme Bérengère Poletti a estimé que l'on pouvait, tout en n'étant pas particulièrement engagé dans la vie religieuse, et tout en adhérant à des valeurs républicaines, reconnaître qu'une société qui évolue sans repères et où aucune culture religieuse n'est transmise subit une certaine désorientation. L'éducation religieuse peut contribuer à transmettre aux jeunes certains repères. La position du ministre de l'intérieur, du moins telle qu'elle est rapportée dans Le Monde, ne relève pas du communautarisme.

Mme Sihem Habchi a fait valoir que c'est la citoyenneté républicaine qui permet à chacun de trouver une place dans la société. La religion relève d'une démarche personnelle. Quand la religion est considérée comme ce qui définit l'identité de chacun, l'espace commun aux citoyens est menacé.

Selon M. Patrick Delnatte, c'est précisément le fait de renvoyer le religieux à la sphère privée qui conduit au communautarisme. Cette conception contraint l'individu à un repli, en se tournant vers ceux qui partagent les mêmes convictions. La société laïque doit accepter un dialogue avec les religions, lesquelles doivent pouvoir participer au débat public. C'est ainsi que pourra avancer l'idée du vivre-ensemble sur la base de la tolérance et du dialogue. Une séparation totale entre la sphère privée, qui serait celle du religieux, et la sphère publique, d'où il devrait être exclu, mènerait vers le communautarisme.

Mme Sihem Habchi a déploré qu'un certain glissement se soit opéré en France de la notion de laïcité vers la notion de tolérance. Tolérer, ce n'est pas vivre avec, c'est vivre à côté. Les responsables religieux font partie intégrante de la société civile et ont parfaitement le droit de participer au débat public. Une chose est d'accepter qu'ils prennent part au débat public, autre chose est d'accepter qu'ils remettent en cause les valeurs fondamentales de la République, et notamment l'égalité entre les hommes et les femmes. L'intégrisme, qui peut d'ailleurs être également catholique, s'attaque toujours aux droits des femmes et à la mixité.

Elle a estimé que les propos de M. Patrick Delnatte relevaient d'une autre conception de la laïcité, dominante dans plusieurs pays européens autres que la France, la « laicité ouverte », dont l'ambition se limite à créer une soupape de sécurité dans les relations entre communautés. Lors d'une conférence internationale qui s'est récemment tenue en Espagne autour du thème du vivre-ensemble, cette expression n'était pas traduite en anglais par living together, mais par coexistence. Le modèle de la coexistence entre plusieurs communautés a conduit à des échecs cuisants.

M. Patrick Delnatte a souligné qu'à ses yeux, vivre ensemble signifie bien vivre avec et non vivre à côté.

Mme Bérengère Poletti a fait observer que le débat sur la loi relative au respect de la laïcité à l'école, adoptée par le Parlement en 2004, avait été abordé sous l'angle du rapport entre le religieux et la sphère publique, et non sous l'angle de l'égalité entre les hommes et les femmes. Il eût été préférable de défendre ce texte au nom de l'exigence d'éduquer les filles selon les mêmes principes que les garçons. Envisagée de ce point de vue, cette loi eût peut-être été mieux comprise.

Mme Sihem Habchi a souligné que l'association « Ni putes ni soumises » n'avait pas dissocié les deux approches. Défendre la laïcité implique de défendre l'égalité entre les hommes et les femmes.

Les inégalités sociales sont réelles. Elles entraînent tous les jours des femmes et des hommes hors du champ social et hors de la démocratie. Les politiques de rattrapage sont nécessaires. Mais toute réparation qui ne s'appuie pas sur le principe d'égalité comme moteur entre, à terme, dans une autre logique, celle de l'équité. Or l'égalité n'est point l'équité. Il ne s'agit pas simplement de donner à chacun les moyens d'affronter les difficultés en étant sur la même ligne de départ que les autres, mais de permettre à chacun d'être, tout au long de sa vie, un citoyen à part entière. L'équité est un comportement ou une conduite qui prolonge l'égalité, mais qui ne doit pas se substituer à elle. L'égalité est un principe émancipateur. C'est à la fois l'objectif et le moyen. Tant que l'objectif n'est pas atteint, chaque citoyenne, chaque citoyen a la légitimité de demander tous les moyens pour y parvenir.

La condition du communautarisme et de son corollaire, la discrimination positive, nous montre que, sous prétexte de politiques de correction des inégalités, il s'opère un glissement du principe d'égalité vers le principe d'équité. En conséquence, nous glissons fatalement du principe de laïcité vers celui du communautarisme, où la religion devient le dénominateur commun et un facteur mobilisateur. Dans ces conditions, la dynamique sociale se communautarise, et le rapport de forces nécessaire à toute transformation se morcelle. Dès lors, le combat des femmes s'en trouve miné. Dans ce contexte, la notion de mixité n'a pas le même sens pour tout le monde.

D'ores et déjà, nous voyons naître et se développer ici et là des courants de pensée, et surtout des comportements, visant à remettre en cause les acquis de la lutte féministe, à tel point que la mixité se réduit en peau de chagrin dans les quartiers défavorisés, révélant ainsi les résistances et les contradictions face à la laïcisation des moeurs qui a transformé notre société. Défendre la mixité revient à défendre et à réaffirmer la laïcité comme vecteur émancipateur.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Sihem Habchi pour sa contribution aux travaux de la Délégation.

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