DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 8

Mardi 6 décembre 2005
(Séance de 17 heures )

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Françoise Milewski, rédactrice en chef de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et des membres de la mission, coauteures du rapport : « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de la précarité »

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- Examen du rapport (n° 2724) de Mme Chantal Brunel sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple

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La Délégation aux droits des femmes a entendu Mme Françoise Milewski, rédactrice en chef de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et les membres de la mission, coauteures du rapport : « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de la précarité »

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rendu hommage, au nom de la Délégation, à Mmes Françoise Milewski, Sandrine Dauphin, Nadia Kesteman, Marie-Thérèse Letablier, Dominique Méda, Françoise Nallet, Sophie Ponthieux et Françoise Vouillot, coauteures du rapport « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de précarité », commandé en septembre 2004 par Mme Nicole Ameline, alors ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Elle a regretté que ce travail extrêmement complet, remis dans des délais très rapides - en mars 2005 -, n'ait pas été suffisamment médiatisé, et elle a rappelé que la Délégation, en 2006, se penchera précisément sur le thème « femmes et précarité ».

Le problème le plus épineux rencontré par les femmes est celui de la précarité, comme en attestent notamment les rapports du Secours catholique. Certes le législateur ne peut pas faire de miracles, mais il a obligation d'écouter et de formuler des propositions pour s'efforcer de préparer l'avenir à partir de la réalité.

Mme Françoise Milewski a identifié cinq idées forces mises en relief par le rapport de la mission. Les analyses traditionnelles de la précarité négligent le mode d'insertion spécifique des femmes sur le marché du travail : la précarité n'est certes pas spécifique aux femmes, mais elle les concerne davantage (instabilité de l'emploi et ruptures de parcours ; stabilité dans le sous-emploi ; fragilité de l'insertion et de la réinsertion). Ce sont les inégalités entre les hommes et les femmes qui génèrent le risque de précarité pour ces dernières : la précarité des femmes n'est pas similaire à celle des hommes, car aux fondements communs de précarité s'ajoutent pour elles des fondements spécifiques. Des inégalités entre les femmes elles-mêmes existent et se développent, dans la formation, l'emploi, les salaires, les retraites, etc. Les politiques publiques peuvent beaucoup pour contrecarrer la précarité, mais elles sont souvent contradictoires : par exemple, la politique de développement du temps partiel, l'extension du congé parental, la réforme des retraites, etc., ont renforcé le risque pour certaines femmes de basculer vers la précarité. Enfin, la précarité des femmes influe en retour sur l'ensemble du marché du travail.

Depuis les années 1950, les taux d'emploi et d'activité des femmes se sont fortement accrus : 80 % des femmes en âge de travailler sont actuellement actives. Il n'empêche qu'un écart significatif - de l'ordre de 15 points - demeure entre le taux d'emploi des hommes et des femmes pour la tranche des 25-54 ans, et que, depuis les années 1990, la résorption des écarts a tendance à ralentir. De plus, si l'on raisonne en équivalent temps plein, l'insertion des femmes a cessé de progresser, à cause de l'explosion du temps partiel.

L'emploi est une condition nécessaire pour éviter la précarité, mais elle ne suffit pas. L'instabilité de l'emploi et la stabilité dans le sous-emploi constituent des handicaps. Les frontières entre emploi et sous-emploi, activité et inactivité fluctuent. Par exemple, ce sont surtout des femmes qui sont concernées par les contrats à durée déterminée ou par les dispositifs d'attente des politiques de l'emploi, et elles sont moins nombreuses que les hommes à en sortir vers l'emploi stable. Cela se vérifie également pour les sorties du chômage : si les femmes restent moins longtemps au chômage que les hommes, c'est parce qu'elles en sortent plus souvent vers l'inactivité que vers l'emploi, et, lorsqu'elles en sortent vers l'emploi, c'est plus souvent que les hommes vers un contrat à durée déterminée que vers un contrat à durée indéterminée. La relation au marché du travail est donc lâche et discontinue, ce qui peut s'avérer dramatique en cas de rupture familiale.

La stabilité dans l'emploi précaire est un autre phénomène préoccupant. Les femmes représentent 80 % des temps partiels ; 30 % d'entre elles travaillent à temps partiel, souvent contraint et souvent aussi à horaires atypiques, ce qui complique encore plus l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Par ailleurs, 78% des employés non qualifiés sont des femmes, et 30 % des femmes ont un emploi non qualifié. Au total, 80 % des salariés à bas salaire sont des femmes et la réduction des écarts de rémunérations tend à s'interrompre.

Les femmes sont donc surreprésentées dans l'emploi précaire ; il existe une surexposition au risque d'occuper un emploi précaire et de demeurer dans cet emploi. Les mères de famille monoparentale, les femmes immigrées et les femmes bénéficiaires des minima sociaux sont particulièrement fragilisées.

Cette situation est d'abord imputable à l'orientation scolaire des filles. Bien que leurs parcours scolaires soient plus rapides et qu'elles présentent de meilleurs taux de réussite au baccalauréat, elles sont souvent orientées vers des filières moins rentables qui les placent dans des situations plus instables. Ensuite, l'essentiel de la responsabilité de l'articulation des tâches familiales et professionnelles repose le plus souvent sur leurs épaules ; à cet égard, la politique familiale et les modes de garde de la petite enfance sont fondamentaux afin d'éviter les conflits entre fécondité et emploi, particulièrement pour les femmes les moins qualifiées, qui, lorsqu'elles se retirent du marché du travail, ont les plus grandes difficultés à se réinsérer. Enfin, les femmes subissent des discriminations sur le marché du travail, de la part des entreprises publiques comme privées.

La relation des femmes à l'emploi est le produit de multiples tendances, imbriquées. Dans les années 1960 et 1970, la satisfaction de la volonté d'indépendance financière des femmes a été facilitée par le contexte économique de fortes créations d'emplois. Mais depuis les années 1980 et surtout 1990, les femmes sont les premières atteintes par le ralentissement de la croissance et la montée du chômage. En outre, le contexte structurel de développement du secteur tertiaire a eu des conséquences contradictoires pour les femmes, à la fois négatives et positives : ce sont les hommes qui ont le plus pâti du repli de l'emploi industriel, tandis qu'un grand nombre de femmes profitaient du développement de l'emploi tertiaire ; ces emplois sont néanmoins souvent instables ou stables dans le sous-emploi - c'est-à-dire à temps partiel ou à horaires atypiques. L'évolution des structures familiales conditionne aussi leur insertion sur le marché du travail : le taux d'emploi des mères chefs de famille monoparentale est supérieur, bien sûr, au taux d'emploi moyen des femmes.

Les notions d'instabilité, de trajectoires, de ruptures de parcours, de stabilité dans le sous-emploi, de fragilité de l'insertion et de la réinsertion sont donc majeures pour comprendre les phénomènes de précarité croissante. Les femmes ont été les premières victimes de la déstructuration du marché du travail.

Les inégalités entre les femmes et les hommes produisent davantage de précarité pour les femmes, mais conduisent aussi à creuser les inégalités entre les femmes elles-mêmes, entre celles qui ont accédé à un diplôme élevé et qui parviennent à s'insérer correctement sur le marché du travail, et les autres. Ces inégalités sont visibles sur les temps partiels (choisis ou contraints, longs ou courts, réversibles ou non), les qualifications, l'accès aux différents modes de garde, les salaires et les retraites. Mais ces différenciations résultent en grande partie des inégalités entre les hommes et les femmes, dans la sphère professionnelle comme dans la sphère privée.

Le groupe de travail n'avait pas reçu mission de fournir un corps de propositions, mais les auteures du rapport ont souhaité, au terme de leurs réflexions, formuler des « pistes de réflexion pour la politique publique ». Trois thèmes majeurs ont été mis en exergue et des interrogations émises.

Les thèmes majeurs concernent l'emploi des femmes, qu'il convient de favoriser car la précarité est la conséquence directe des difficultés d'insertion sur le marché du travail, donc de l'absence d'indépendance. Mais il faut également prendre en compte la nature des emplois et les trajectoires professionnelles. Enfin, les structures d'accueil de la petite enfance jouent un rôle primordial pour faciliter l'emploi des femmes.

Les interrogations concernent la cohérence des politiques publiques. Deux exemples permettent de l'illustrer. Le temps partiel s'est développé du fait des politiques publiques, à partir du début des années 1990, afin de partager le travail et de lutter ainsi contre le chômage ; or, de fait, cette mesure générale a principalement touché les femmes. L'extension du congé parental, en 1994, a fait considérablement chuter le taux d'activité des mères de deux enfants, en particulier parmi les moins qualifiées d'entre elles, c'est-à-dire celles qui rencontrent par la suite des difficultés de réinsertion accrues ; on peut comprendre les femmes qui choisissent d'interrompre leur activité parce qu'elles ne s'en sortent pas ; ce qui est regrettable, c'est que les politiques publiques conduisent certaines femmes à se retirer du marché du travail, au lieu de créer les conditions pour améliorer leur insertion.

Il importe aussi de veiller à la cohérence des politiques publiques de court et de moyen termes. Les manifestations les plus néfastes de la précarité doivent être corrigées, par exemple en prévoyant des mesures comme la réservation d'emplois à plein temps pour les femmes occupant un poste à temps partiel ou la réduction de l'ampleur des horaires atypiques. Mais les politiques publiques n'ont pas simplement des objectifs de court terme ; elles doivent s'assigner des objectifs de moyen terme et, de ce point de vue, la politique de développement du temps partiel a été très négative.

En conclusion, on peut souligner que les évolutions économiques ont déterminé de nouvelles formes d'inégalités entre les femmes et les hommes, notamment l'essor massif de l'instabilité dans l'emploi des femmes et leur surreprésentation dans l'emploi précaire. Or, les femmes constituant 46 % de la population active, toute aggravation de leur précarité a un effet en retour sur l'ensemble du marché du travail : ce qui détermine leur mode d'insertion dans l'emploi a un impact d'ensemble. Les voies du sous-emploi et de la précarité ne peuvent rester limitées à une partie significative de la population active sans s'étendre aux autres.

Dans nombre de débats, la dimension spécifique du travail des femmes est oubliée. Par exemple, le potentiel d'emplois de services à la personne est considérable : les estimations les plus basses évaluent leur nombre à plusieurs centaines de milliers. Or, ils sont de fait majoritairement occupés par des femmes. Les politiques publiques doivent favoriser la qualification progressive des salarié(e)s, le contrôle de l'amplitude des horaires - en particulier quand les employeurs sont multiples, etc. Sinon, on constatera dans quelques années que, certes les femmes ont bénéficié de ce gisement d'emplois, mais que leur précarité se sera encore accrue. Autre exemple, les très petites entreprises emploient majoritairement des femmes, particulièrement hors encadrement, et surtout sur les postes à temps partiel et les CDD. Le contrat nouvelles embauches (CNE) concernera donc majoritairement des femmes.

Or cette dimension n'a jamais été intégrée dans la réflexion. La problématique du genre est négligée dans les politiques publiques ; on l'avait déjà vu à propos des mesures qui ont favorisé le temps partiel, ou lors de la réforme des retraites de 1993, qui, en allongeant la durée de référence, a surtout pénalisé les femmes, dont les parcours professionnels sont plus discontinus. Le jour où cette dimension sera prise en compte dans toutes les décisions publiques, la société aura fait un grand pas.

Mme Claude Greff a observé que, dans sa circonscription, les CNE étaient majoritairement signés par des hommes. Puis elle a demandé à Mme Françoise Milewski ce que celle-ci pensait de sa proposition de loi tendant à instaurer un revenu minimum d'éducation, c'est-à-dire une indemnisation permettant aux mamans de s'arrêter de travailler, en particulier lorsqu'elles occupent un emploi sous-qualifié, n'ont pas de perspectives d'évolution de carrière et se trouvent confrontées à des difficultés matérielles pour faire garder leurs enfants.

Mme Patricia Adam, à la lumière de son expérience de vice-présidente de conseil général, a abondé dans le sens de l'analyse de l'OFCE : les femmes ne doivent surtout pas s'arrêter de travailler, pour rester indépendantes et progresser dans leur carrière professionnelle. Mais elle a déploré que les travailleurs sociaux et l'ANPE n'encouragent pas les femmes à aller vers l'emploi, surtout dans un contexte où elles se voient surtout proposer des postes à temps partiel et où il est donc plus avantageux pour elle de toucher les minima sociaux.

Il est très difficile de faire évoluer les cultures ; or, avant de faire intervenir des politiques publiques, qu'elles soient étatiques ou centralisées, il convient de modifier les comportements des professionnels. Le secteur des services à la personne crée des petits boulots, souvent avec plusieurs employeurs et sans aucun contrôle des horaires. De plus, il s'agit de services mandataires, les collectivités territoriales étant dans l'impossibilité juridique d'imposer des services prestataires.

Mme Martine Carrillon-Couvreur a constaté la même évolution dans son département, la Nièvre. Les femmes en situation précaire depuis longtemps traversent des difficultés dont elles ne parviennent plus à sortir alors qu'elles pouvaient suivre naguère des parcours qui leur permettaient de s'en sortir. Il arrive même désormais de plus en plus que des jeunes femmes en situation plus confortable, diplômées et pourvues d'une première expérience, choisissent de rester à la maison parce que la société ne garantit plus l'équilibre entre vie familiale et professionnelle. La situation générale des femmes devient inquiétante. Certaines professions sont certes accessibles aux jeunes femmes dans de meilleures conditions qu'autrefois mais seule une petite minorité est concernée. Des études existent-elles sur cette évolution ?

Mme Danielle Bousquet s'est étonnée que le dispositif rectoral des chargés de mission pour l'orientation des filles et la formation des professeurs principaux à la diversification de l'orientation ait produit aussi peu d'effets. Elle s'est dite atterrée par l'épouvantable retour en arrière que constitue l'émergence d'une nouvelle philosophie remettant complètement en question tout ce qui a été fait jusqu'à présent : les filles auraient des compétences de filles et devraient être confortées dans ces domaines. Le rapport émet-il des propositions à destination de l'Éducation nationale, lieu où se situe l'un des nœuds essentiels du problème ?

Mme Claude Darciaux a ajouté que les enseignements scientifiques et techniques, plus particulièrement les filières de la physique et des mathématiques perdaient leur crédit à l'université comme dans les grandes écoles, que les jeunes filles s'en détournaient encore davantage que les garçons et qu'elles s'intéressaient de moins en moins aux métiers dits masculins, comme ceux du bâtiment ou du génie civil. Les filles qui ont choisi une carrière d'ingénieur par le passé ont rencontré d'énormes difficultés pour s'insérer sur le marché du travail, et le tri commence très tôt, dès le collège.

Mme Chantal Brunel a noté que les politiques publiques censées favoriser l'emploi des femmes donnaient parfois le résultat inverse : leur intégration dans le monde du travail est rendue plus difficile encore. Certes, la précarité des femmes se développe, l'absence d'indépendance financière est un drame qui favorise les violences conjugales, mais tout ce qui vise à protéger la femme revient un peu à l'exclure. En effet, les mesures de protection dissuadent les entreprises de recruter des femmes. Il s'agit d'un problème de fond important, pour tous les députés, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent.

Mme Françoise Vouillot a déclaré que les chargés de mission à l'égalité des chances placés auprès des recteurs n'avaient pas vraiment les moyens, faute qu'une volonté politique se soit manifestée en ce sens, de modifier les stratégies d'orientation, et que la formation des enseignants, sur ce point, était pratiquement inexistante.

L'idée de l'existence de « talents spécifiques » n'est pas plus présente dans l'Éducation nationale que dans le monde du travail. Les compétences n'ont pas de sexe car elles s'acquièrent et il n'existe pas non plus de qualités « innées » féminines ou masculines.

La clé est la formation initiale et continue des acteurs du système éducatif. Il conviendrait peut-être aussi d'imposer aux recteurs, avec obligation de résultats, d'augmenter le degré de mixité dans chaque filière en favorisant plus l'orientation des garçons vers les sections littéraires et sociales, et un peu plus celle des filles vers les sections techniques, industrielles et scientifiques.

Mme Claude Greff a objecté que certaines filières offraient un nombre insuffisant de places et cité sa circonscription, où des sections de sciences médicosociales, SMS, ne sont proposées que dans deux établissements et n'accueillent que 27 élèves.

Mme Françoise Vouillot a affirmé qu'il ne se passera pas grand-chose tant que les cadres supérieurs de l'Éducation nationale ne se « mouilleront » pas : des résultats ne seront obtenus qu'ici ou là, à la marge.

Les filles représentent 46 % des élèves de terminale S et réussissent mieux que les garçons dans cette filière. Le problème apparaît après le bac. Les classes préparatoires les attirent moins car elles véhiculent une image « masculiniste » : c'est le règne de la compétition qui peut engendrer toutes formes de violences. Elles sont moins obligées que les garçons de répondre à cette pression. Quant aux filières scientifiques universitaires, elles n'offrent pas la même valorisation sociale que d'autres.

Il est difficile pour les femmes de s'insérer dans le monde du travail (dans certains métiers et certaines fonctions) car celui-ci obéit à des stéréotypes de sexe et aux normes de masculinité et de féminité, ce qui dicte les conduites d'orientation des garçons et des filles, mais également le comportement des parents et des enseignants.

Mme Marie-Thérèse Letablier a insisté sur le fait que toute interruption d'activité est néfaste pour la carrière professionnelle, les droits sociaux puis la retraite. Les femmes dépourvues d'emploi sont protégées à très court terme, mais certainement pas à moyen et long terme.

Il convient de distinguer les femmes bénéficiant d'un congé parental, parce qu'elles occupent un emploi stable doté d'un statut relativement protecteur, des autres, engluées dans une précarité dramatique. Il n'en demeure pas moins qu'une interruption de trois ans, éventuellement renouvelée, c'est très long.

Mme Danielle Bousquet ayant souligné que les femmes dont les conditions de travail sont les plus dures devraient pourtant être les mieux protégées, Mme Marie-Thérèse Letablier a confirmé que les écarts entre femmes tendent à s'approfondir, les fenêtres permettant de sortir de la précarité s'étant refermées depuis les années 1990, à cause de la conjoncture économique.

Mme Chantal Brunel a estimé que l'accueil de la petite enfance était bien plus important pour lutter contre la précarité que l'égalité salariale hommes-femmes. Des zones géographiques entières où sont implantées de nombreuses entreprises restent dépourvues de structures d'accueil de la petite enfance. Il importe de créer des établissements, crèches interentreprises ou autres, ouverts aux mêmes horaires que les entreprises, éventuellement jusqu'à minuit.

Mme Marie-Thérèse Letablier ayant considéré que la comparaison avec les pays nordiques démontrait que le travail des femmes était étroitement corrélé au développement des services d'accueil des enfants, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a expliqué que les tâches étaient plus justement partagées dans d'autres pays, tout en préconisant une diversification de l'offre de modes de garde en France.

Mme Françoise Milewski est revenue sur la dégradation des conditions de travail des femmes. Les progrès en matière de partage des tâches familiales sont restés très ténus et le marché du travail leur a été défavorable, avec la montée du chômage et l'essor d'emplois à temps partiel, non qualifiés, mal payés, préparant ainsi une future catégorie de retraitées pauvres.

L'idée ambiante passe alternativement, selon les modes du moment, du recours massif aux femmes pour renouveler la population active à l'occasion du départ à la retraite des générations du baby-boom, à l'appel pour que des mesures soient prises en faveur de la natalité. Une distinction s'impose à cet égard entre les choix individuels des femmes et les orientations des politiques publiques. Comment jeter la pierre à une femme qui, parce qu'elle est confrontée à un emploi pénible, avec des horaires atypiques l'empêchant de voir ses enfants, finit par opter pour un congé parental ou un temps partiel ? Mais il incombe aux pouvoirs publics de voir plus loin : cette femme, après trois ou six ans de congé parental, rencontrera de grandes difficultés pour se réinsérer, et se trouvera en grande difficulté en cas de rupture conjugale, avec pour seul recours les minima sociaux. Les pouvoirs publics doivent agir du côté de l'amélioration des conditions de travail ; par exemple, si l'on ne peut empêcher tout travail à horaires atypiques - car certains métiers, en relation avec le public, y contraignent - il faut condamner la malléabilité des horaires, souvent pratiquée par les entreprises ; on peut aussi, autre exemple, imaginer d'autres formules de congé parental, plus courtes et mieux rémunérées, pour attirer davantage de pères ; et enfin faire évoluer les mentalités.

L'enjeu d'un meilleur accueil de la petite enfance est crucial à court terme, parce que la population active va se renouveler. Or, l'offre de places pour les enfants de zéro à trois ans, en France, est très nettement insuffisante, et les mesures incitatives telles que les déductions d'impôts ne concernent finalement pas les catégories les plus défavorisées. Il convient de ne pas dissocier le débat sur l'emploi des femmes et celui sur les politiques familiales.

Quelle que soit la répartition des contrats CNE entre hommes et femmes dans telle ou telle circonscription, il demeure que les très petites entreprises recrutent majoritairement des femmes, selon les statistiques officielles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est émue que les statistiques, dans tous les domaines, soient trop rarement sexuées et que les progrès en la matière ne soient obtenus que sous la pression.

La plupart des services à la personne seront assumés par des femmes, au travers notamment des CNE, et bien des femmes travaillant actuellement à temps partiel percevront à peine le minimum vieillesse. Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que les membres de la Délégation, animés par la volonté de susciter des mesures législatives en amont des difficultés, avaient déjà tiré la sonnette d'alarme sur le temps partiel et les retraites, et qu'ils le referaient dans leur prochain rapport, l'idéal étant d'aboutir avant 2007.

Mme Sophie Ponthieux a indiqué que la marche vers l'égalité ne se décrétera pas et qu'elle nécessite des efforts de très longue haleine, en matière éducative et culturelle. La focalisation sur les écarts de salaires peut être trompeuse car il suffirait d'éjecter les femmes les moins qualifiées du marché du travail pour réduire mécaniquement leurs effectifs, comme les Allemandes de l'Est en firent les frais. Il n'en reste pas moins qu'il est utile d'étudier les causes des écarts de salaires.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié les journalistes, qui abordent régulièrement les thèmes des inégalités salariales ou de la petite enfance. Elle a rappelé que c'est grâce à une campagne de presse que l'Espagne s'est dotée d'une législation sur les violences conjugales. Il faut donner mauvaise conscience à ceux qui ne font rien.

Enfin, elle a remercié toutes les intervenantes et proposé de les revoir au terme des auditions de la Délégation.

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La Délégation a ensuite examiné le rapport de Mme Chantal Brunel sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple.

Mme Chantal Brunel, rapporteure de la Délégation, a indiqué que la proposition de loi, adoptée à l'unanimité par le Sénat en première lecture le 25 mars dernier, comporte des avancées extrêmement positives, en améliorant les dispositions pénales existantes et en prévoyant deux mesures spécifiques destinées à protéger les femmes issues de l'immigration : le relèvement de l'âge du mariage de 15 à 18 ans pour les filles, qui devrait permettre de réduire le nombre de mariages forcés, et la définition d'une nouvelle infraction réprimant la privation de pièces d'identité ou relatives au titre de séjour ou de résidence.

Elle a ensuite présenté les recommandations de la Délégation et indiqué qu'elle souhaitait reprendre sous forme d'amendements celles qui ont une portée législative.

S'agissant des mesures alternatives aux poursuites, elle a observé que la médiation pénale obtient peu de résultats concrets puisque l'agresseur est placé sur le même plan que la victime et qu'elle conduit souvent à l'abandon de la procédure. Elle a relevé que si les associations d'aide aux victimes de violence souhaitent généralement sa suppression, la recommandation proposée, plus modérée, limite à une seule fois la possibilité de recourir à cette médiation pénale. Par ailleurs, le recours plus systématique à l'injonction de soins fait également l'objet d'une recommandation.

Une autre recommandation vise à favoriser la mobilité géographique des femmes qui ont besoin de quitter leur emploi pour s'éloigner d'un compagnon ou d'un ex-compagnon violent afin de reconstruire leur vie. Lorsqu'une procédure judiciaire est en cours pour violences, il faudrait ouvrir le droit aux allocations de chômage en cas de démission, pour les femmes travaillant dans le secteur privé, et établir un droit prioritaire à la mobilité géographique, pour les femmes fonctionnaires. L'ouverture des droits pourrait s'effectuer sur la base d'un document délivré par le Procureur de la République.

Mme Chantal Brunel a insisté sur la nécessité d'aider financièrement les femmes victimes de violence. Elle a en effet relevé qu'elles hésitent à dénoncer leur mari de peur des répercussions économiques sur la famille. Elle a donc insisté sur la nécessité de leur délivrer en urgence les prestations auxquelles elles peuvent prétendre, car au-delà du problème du logement, se pose le problème de leur insuffisance de ressources lorsqu'elles quittent le domicile conjugal. Il appartiendrait donc au Procureur de la République d'autoriser le versement en urgence des prestations à caractère social ou familial auxquelles elles peuvent prétendre.

En ce qui concerne la polygamie, Mme Chantal Brunel a estimé qu'il conviendrait d'instituer un tuteur extérieur à la famille (association, assistante sociale,...) qui puisse s'assurer de la préservation des intérêts des enfants et empêcher que le père n'ait la libre disposition des prestations familiales. En effet, les prestations familiales représentent parfois l'équivalent d'un salaire pour le père polygame et lui permettent d'exercer un contrôle psychologique et économique sur ses épouses. La polygamie est certes interdite en France, mais elle existe : il conviendrait donc d'enlever au père polygame ce moyen de domination sur les mères qui s'exerce de manière préjudiciable pour les enfants.

Mme Patricia Adam a fait observer qu'il existe déjà dans le code de la famille des dispositions permettant au juge des enfants d'ordonner que les prestations soient versées à un tuteur si le montant des prestations n'est pas employé dans l'intérêt des enfants. Elle a donc relevé que la loi existe et qu'il suffirait de la faire appliquer. Elle a souligné que l'on dispose de peu de moyens permettant de savoir de manière précise combien de familles sont concernées par la polygamie.

Mme Chantal Brunel a indiqué que la polygamie est très répandue dans certains quartiers et que l'on ne peut ignorer le phénomène. Elle a proposé de modifier la proposition de recommandation en précisant dans celle-ci que le versement des prestations familiales à un tuteur extérieur à la famille a pour objectif de s'assurer qu'elles sont bien utilisées pour les enfants.

La Délégation a ensuite adopté l'ensemble des recommandations.

Recommandations adoptées par la Délégation

aux droits des femmes

1. Mettre en oeuvre des actions spécifiques de prévention en milieu scolaire, afin d'obtenir une évolution en profondeur des mentalités et des représentations concernant les relations entre les hommes et les femmes, en insistant particulièrement sur la notion de respect de l'autre, sur le principe d'égalité entre les hommes et les femmes et en formant progressivement les élèves aux méthodes de résolution pacifique des conflits ;

2. Élaborer des modules de formation englobant tous les aspects de la prise en charge des violences au sein du couple (psychologie des agresseurs et thérapie, parcours et démarches à accomplir pour faire cesser la violence, mesures d'accompagnement permettant aux femmes de recouvrer leur autonomie). Ces modules, adaptés au rôle spécifique de chaque catégorie d'intervenants (travailleurs sociaux, médecins, policiers, gendarmes, magistrats, avocats) doivent être intégrés aussi bien dans la formation initiale que dans la formation continue ;

3. Créer des outils statistiques permettant de recenser annuellement les violences non pas uniquement en fonction de leur nature, mais également en précisant le sexe de la victime, l'âge et s'il existe ou existait une relation de couple entre l'agresseur et la victime. Ces données chiffrées précises permettraient de mesurer de manière exacte l'ampleur et les caractéristiques des violences subies par les femmes au sein du couple et d'apprécier l'efficacité des actions entreprises pour lutter contre ce phénomène ;

4. Limiter à une fois la possibilité de recourir à la médiation pénale en matière de violences au sein du couple. Il s'agit, en effet, d'une alternative aux poursuites qui obtient peu de résultats concrets puisque l'agresseur est placé sur le même plan que la victime. La médiation apparaît donc bien souvent à l'agresseur comme un moyen d'échapper aux sanctions, sans subir la moindre contrainte ;

5. Rendre plus systématique le recours à l'injonction de soins dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites, notamment en le préconisant fortement dans le guide de l'action publique du ministère de la Justice relatif à la lutte contre les violences au sein du couple. Ces thérapies permettent d'obtenir des résultats beaucoup plus tangibles en matière de comportement de l'agresseur que la médiation pénale, laquelle banalise les actes de violence car elle en fait un élément du conflit relationnel au sein du couple. A cet égard, les expériences pilotes menées à Paris et à Nîmes ont obtenu des résultats positifs dans ce domaine et mériteraient d'être étendues ;

6. Développer les capacités d'accueil en urgence pour les femmes victimes de violences au sein du couple, que ce soit dans des centres d'hébergement ou bien dans des familles d'accueil, les deux dispositifs pouvant être utilisés de manière complémentaire ;

7. Autoriser le versement en urgence, à la demande du procureur de la République, des prestations à caractère social ou familial auxquelles les femmes peuvent prétendre. En effet, celles qui sont totalement démunies de ressources sont actuellement dans l'incapacité de faire face aux dépenses immédiates lorsqu'elles doivent quitter le domicile, du fait de la violence de leur compagnon ;

8. Favoriser la mobilité géographique des femmes ayant un emploi qui s'efforcent de limiter, voire de supprimer les contacts avec leur agresseur. Cela nécessite, à partir du moment où une procédure judiciaire est en cours pour violences commises par le compagnon ou l'ex-compagnon, d'ouvrir le droit aux allocations de chômage aux femmes travaillant dans le secteur privé lorsqu'elles démissionnent pour s'éloigner de leur agresseur et de reconnaître aux femmes fonctionnaires un droit prioritaire à la mobilité géographique ;

9. Renforcer la lutte contre les mariages forcés qui constituent une violence caractérisée contre les femmes, en instituant un contrôle systématique de la réalité du consentement des jeunes filles mariées à l'étranger, la transcription du mariage en France devant être notamment subordonnée à une autorisation qui ne pourra être délivrée qu'après que la jeune fille ait été entendue séparément par les autorités consulaires ;

10. La polygamie constituant une violence faite à des femmes souvent en situation précaire et parfois mineures, s'assurer, dans le cas de familles vivant en état de polygamie, que les prestations familiales bénéficient bien aux enfants en les versant à un tuteur extérieur à la famille.

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