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DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 14

Mardi 30 mai 2006
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mmes Annie Thomas, secrétaire nationale de la CFDT et Marylou Robert, secrétaire confédérale

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Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue à Mmes Annie Thomas, secrétaire nationale de la CFDT et Marylou Robert, secrétaire confédérale, chargée de mission, qui s'occupe plus particulièrement de la formation et de l'égalité professionnelles.

Elle a souligné que le phénomène de la précarité, qui apparaissait comme résiduel il y a quarante ans, semble réapparaître et toucher tout spécialement les femmes, pour des raisons professionnelles ou personnelles (femmes seules et chefs de familles monoparentales). Lorsque, d'ici quelques années, ces femmes arriveront à l'âge de la retraite, la situation risque d'être très difficile à gérer. C'est la raison pour laquelle la Délégation s'est saisie du problème, qui recoupe de nombreux aspects : la ségrégation professionnelle ; le temps partiel, subi ou choisi, qui s'avère pénalisant à terme ; l'impact des 35 heures sur l'emploi féminin ; la conciliation de la fluidité du marché du travail et de la protection du travailleur.

Mme Annie Thomas a remercié la Délégation de l'avoir invitée à s'exprimer sur ce thème, car pour la CFDT, la précarité a malheureusement un genre : le genre féminin.

Certaines évolutions du monde du travail se sont révélées positives pour les femmes, notamment l'accès aux emplois, mais la place qui leur est faite révèle de profondes inégalités. Les syndicalistes avaient l'habitude de travailler sur des inégalités verticales, entre le haut et le bas de l'échelle ; mais de nouvelles inégalités sont apparues au sein même de chaque catégorie de travailleurs, inégalités qui concernent plutôt les femmes.

Une attention particulière doit être portée au problème de la conciliation de la fluidité du marché de l'emploi et de la protection des salariés. Le sujet est d'actualité. On parle aujourd'hui de sécurisation des parcours professionnels. Il ne faudrait pas, dans le débat actuel, ne pas se préoccuper des différences de genres. La CFDT soutiendra la démarche de la Délégation.

Mme Marylou Robert s'est attachée à mettre en évidence, à travers les chiffres, l'analyse que fait la CFDT de la précarité.

Les femmes sont davantage touchées que les hommes par les discriminations au travail. Elles sont surtout concernées par le temps partiel contraint et les CDD, notamment celles, en forte augmentation, qui élèvent seules leurs enfants. Il en résulte pour elles des difficultés de logement, de garde d'enfants, de transports, d'accès à la vie civile, à la formation et à la culture.

11 % des femmes actives sont au chômage. À l'intérieur de cette catégorie, on compte 25 % de femmes immigrées, phénomène qui se vérifie dans toutes les régions. 30 % des femmes en activité sont à temps partiel, contre 5 % des hommes. Elles constituent ainsi une main d'œuvre d'ajustement du marché du travail, ce contre quoi nous protestons vivement.

Peut-on parler de temps partiel choisi ? C'est parfois le cas dans la fonction publique. Il s'agit alors de répondre à la garde des enfants. Mais dans un cas sur deux, il s'agit d'un temps partiel contraint, d'emplois peu qualifiés, plus que médiocrement rémunérés.

57 % des employées sont en CDD, alors qu'il y a plus de 70 % de femmes parmi les employés. 17 % des femmes sont au SMIC, et 64 % des salariés payés au SMIC sont des femmes. Alors même que leurs résultats scolaires sont supérieurs en moyenne à ceux des hommes, les compétences des femmes sont sous-utilisées dans les entreprises.

86 % des familles monoparentales sont constituées de femmes élevant seules leurs enfants. Celles-ci ont peu de qualification ou pas de diplômes, et vivent, dans 36 % des cas, au-dessous du seuil de pauvreté, pourcentage qui est d'ailleurs sans doute en augmentation.

Mme Annie Thomas a observé l'existence d'un lien avec les chiffres de la délinquance, la précarité étant un terreau de pauvreté, de difficultés d'éducation et d'échec scolaire.

Mme Marylou Robert a précisé que près de 30 % des femmes occupent des emplois à temps partiel et que 61 % des emplois peu qualifiés sont occupés par des femmes. S'il y a bien eu, au cours des dix dernières années, un million et demi d'emplois créés, notamment dans le secteur des services à la personne, un tiers seulement l'a été à temps complet. Les deux autres tiers l'ont donc été à temps partiel, ne dépassant parfois pas 21 ou 22 heures par semaine.

Mme Annie Thomas a admis que les services à la personne puissent constituer un gisement d'emplois, mais a souligné le risque d'accélération de la précarité pour les femmes. Si on peut se féliciter de ces créations d'emplois, on doit s'inquiéter du fait qu'il s'agisse d'emplois précaires.

Mme Marylou Robert a précisé que les chiffres qu'elle a cités sont des chiffres officiels de l'INSEE, datant d'octobre 2005.

M. Patrick Delnatte a demandé s'il s'agissait de créations nettes d'emplois, et s'est interrogé sur le nombre des emplois détruits et des emplois créés.

Mme Annie Thomas a répondu que, dans le secteur des services à la personne, il n'y avait pas d'emplois à détruire, à la différence de l'industrie ou du BTP.

Mme Marcelle Ramonet a observé qu'il était difficile d'offrir des emplois à temps plein dans le domaine des services à la personne.

Mme Annie Thomas a répliqué qu'il était possible de trouver des solutions par le biais de groupements d'employeurs, et que si l'on n'y arrivait pas, personne ne voudrait aller vers ce type d'emplois - ou seulement à contrecœur.

Mme Marylou Robert s'est inscrite en faux contre le fait que ces postes doivent être considérés comme peu qualifiés, car les personnes qui les occupent sont souvent elles-mêmes qualifiées, par exemple pour s'occuper des personnes âgées. Il existe donc un problème de reconnaissance des compétences, s'expliquant notamment par le fait que, lors des négociations de branches, l'examen des postes de travail ait été fait essentiellement par des hommes. Or, qu'il s'agisse des assistantes maternelles ou des personnes qui s'occupent des personnes âgées, les compétences exigées, qui ne sont ni naturelles ni innées, sont réelles.

S'agissant toujours des compétences inutilisées, il faut savoir que les jeunes filles attendent en moyenne sept ans pour trouver un travail stable en CDI, contre quatre ans pour les jeunes gens, et qu'il existe un décalage de plus en plus important entre l'emploi obtenu et le diplôme acquis.

Il faut s'inquiéter également du cumul des sous-emplois - temps partiel, CDD, emplois aidés. 62 % des emplois aidés sont occupés par des femmes, mais 31 % seulement des apprentis sont des femmes.

Mme Marcelle Ramonet a insisté sur le fait que les emplois aidés sont destinés à remettre le pied à l'étrier à certaines personnes, et que l'intérêt du plan Borloo est de faire en sorte que ces emplois aidés débouchent sur une formation.

Mme Annie Thomas a regretté que ces emplois aidés soient davantage des emplois occupationnels que d'insertion dans l'emploi. Il existe des voies royales d'insertion dans l'emploi comme l'apprentissage, la formation par alternance, les contrats de professionnalisation, voire l'intérim, mais les femmes y sont très minoritaires. Les partenaires sociaux sont en partie concernés par ces problèmes liés à l'apprentissage et à la formation par alternance, dans la mesure où ils gèrent les systèmes de formation par alternance. Au moment des discussions sur la formation et l'égalité professionnelle, certaines organisations, dont la CFDT, ont demandé que les accords de branche réservent des proportions identiques aux garçons et aux filles dans les voies d'apprentissage. Mais le résultat ne se fera pas sentir immédiatement, et tant que les femmes représenteront 60 % des emplois aidés et 30 % seulement des apprentis, le problème subsistera : elles ne seront pas dans les vrais circuits d'insertion dans l'emploi.

Mme Marylou Robert s'est dite inquiète de la prégnance du sous-emploi chez les jeunes femmes : entre vingt et vingt-quatre ans, 15,7 % des femmes sont en situation de sous-emploi, contre 4,6 % des hommes.

Mme Annie Thomas a reconnu que les pouvoirs publics travaillaient beaucoup à l'insertion des jeunes, mais a souligné que les solutions trouvées ne règleront pas tous les problèmes par miracle. Il y a des différences entres les jeunes qui sont diplômés et ceux qui ne le sont pas ; et il y a aussi des différences de genre, qui n'apparaissent pourtant jamais dans les politiques publiques - voire dans celles des partenaires sociaux...

Mme Marylou Robert a indiqué que le nombre des CDD avait été multiplié par six et celui des contrats d'intérim par quatre au cours des dernières années. Actuellement, sur quatre emplois actifs, on compte un chômeur, un précaire et deux emplois à temps plein. Les femmes sont les plus touchées par la précarité ; parmi elles, les jeunes femmes le sont deux fois plus. Il convient d'y être très attentif, car cela aura des conséquences au moment de la retraite. Avant, les différences entre les hommes et les femmes étaient liées aux périodes d'interruption d'activité liées à la maternité et aux enfants ; maintenant s'y ajoutent l'intérim et la précarité.

Mme Annie Thomas a ajouté que la CFDT s'était plus particulièrement intéressée au temps partiel contraint. Les professions les plus féminisées - assistantes maternelles, grande distribution - sont celles qui connaissent le plus fort taux d'enfermement dans le temps partiel contraint et dans les emplois non qualifiés. Cela est dû à l'organisation du travail et à certains impératifs de productivité. Voilà pourquoi il faut agir pour revaloriser de telles professions.

Il apparaît au passage que le développement du temps partiel est lié historiquement à celui des aides aux entreprises, par exemple lors de l'instauration des 35 heures.

Mme Marcelle Ramonet a relevé que la grande distribution, pour éviter la contrainte des 35 heures, était passée aux contrats à 22 heures et que les femmes avaient été frappées de plein fouet par cette évolution. Ce n'est vraiment pas du temps partiel choisi !

Mme Annie Thomas a répondu que les exonérations de charges étaient antérieures aux 35 heures et que certaines aides avaient été supprimées. Il faudrait faire un bilan global des aides, examiner les conséquences qu'elles ont eues sur l'organisation du travail et sur les individus, et les réorienter vers les métiers qualifiés et la création d'emplois.

La faiblesse des salaires des femmes étant surtout liée aux faibles durées de travail et aux types d'emplois occupés, la recherche de solutions doit privilégier l'autonomie plutôt que l'assistance, y compris dans les systèmes d'insertion. Une allocation doit s'accompagner inévitablement d'une recherche d'emploi, de qualification, d'une formation, d'une VAE, etc.

Lutter contre la précarité, c'est aussi rechercher le plein emploi. Tout est lié. Il faut éviter de créer une barrière entre la politique économique et la politique sociale.

On peut tenter de faire respecter l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes en partant du principe « à travail égal, salaire égal ». Mais dans les secteurs très féminisés, l'égalité avec les hommes tombe : 90 % des personnes concernées sont des femmes, et les emplois sont décrédibilisés. Dans ces cas-là, la négociation est difficile à mener.

Il convient également d'ouvrir les entreprises aux personnes éloignées de l'emploi. La pénurie de main d'œuvre peut constituer une chance, mais aussi une faiblesse liée aux conditions de travail. Les chambres consulaires doivent insister sur ce point auprès de leurs mandants, ainsi que sur la nécessité d'une politique de recrutement mixte, que les entreprises n'ont généralement pas.

S'agissant des nouveaux emplois et des services à la personne, il conviendra de veiller à la durée du travail, à l'accès à la formation et aux conditions d'exercice.

Mme Marylou Robert a indiqué que certains contrats, en raison du temps de travail requis, ne permettent même pas de bénéficier d'une protection sociale.

Mme Annie Thomas a ajouté que certains contrats ne permettaient pas d'accéder à la retraite. En dessous de 22 ou 23 heures, en effet, le salarié cotise à une caisse de retraite, mais lorsqu'il sera à la retraite, il n'aura que le minimum vieillesse. En général, les intéressés ne sont même pas informés de cette situation, qui est indécente. Il ne devrait pas y avoir de contrats inférieurs à l'ouverture des droits.

Mme Marylou Robert ayant observé que la loi permettait aux salariés à temps partiel de cotiser à temps plein et Mme Annie Thomas ayant précisé que l'entreprise pouvait s'acquitter elle-même du différentiel, M. Patrick Delnatte s'est demandé s'il ne serait pas possible d'instituer une surcotisation.

Mme Annie Thomas a suggéré qu'il n'y ait plus de contrats à temps partiel en dessous de 22 ou 23 heures. Le problème des « jobs » d'étudiants pourrait être réglé en créant pour eux un statut spécifique. La question de la durée horaire des contrats est capitale, le reste relève de problèmes classiques d'organisation du travail de façon à éviter les longues coupures dans la journée, d'accès à la formation professionnelle, etc.

Mme Marylou Robert a souligné que certains temps partiels tronçonnés ont une amplitude horaire égale à celle d'un temps plein, du fait des déplacements qu'ils suscitent.

S'agissant de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, Mme Annie Thomas a fait part du souhait de la CFDT que les financements sociaux soient prioritairement orientés vers les modes de garde des enfants, avec un accès privilégié aux modes collectifs pour les personnes les plus défavorisées. Ces dernières, en effet, n'ont pas la possibilité de faire garder leurs enfants à domicile, et il est vital pour elles de travailler.

Pourquoi la plupart des familles monoparentales sont-elles en dessous du seuil de pauvreté ? Parce que ces femmes ont des difficultés à travailler et à concilier leur vie familiale et que de ce fait, bien souvent, elles ne travaillent pas. Les modes de garde dépendent beaucoup des politiques des municipalités. Certaines ont tendance à évacuer le problème en écartant les familles dont elles pensent qu'elles ne pourront pas payer et provoqueront des difficultés. Or, il est très important pour une mère isolée d'avoir accès à un service de garde, sans quoi elle va décrocher du marché du travail, multiplier les heures de ménage et ne plus pouvoir s'occuper de ses enfants. Certaines femmes cumulent même les handicaps en étant chef de famille et issues de l'immigration.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que, lorsque l'on parle d'immigration, on fait souvent l'impasse sur certains problèmes spécifiques aux femmes. Tout au plus parle-t-on de l'insertion des jeunes en général et des jeunes filles en particulier. C'est pourquoi il faut parler des femmes dans leur ensemble, jeunes ou moins jeunes.

Mme Marylou Robert a insisté sur le fait que le tissu industriel français a évolué : en Lorraine, près de 60 % des salariés, et 70 % des femmes, travaillent dans des entreprises de moins de 200 salariés. Or on est resté sur des schémas de grosses entreprises.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné qu'en Lorraine comme dans le Nord, les femmes ont payé un lourd tribut aux licenciements, ce qui peut expliquer qu'on y aborde différemment le problème de l'emploi féminin.

Mme Marylou Robert a déploré qu'on ne mette pas l'accent sur la formation initiale et professionnelle, car beaucoup de jeunes femmes ou de jeunes filles dynamiques et compétentes, se trouvent privées de perspectives de carrière.

Mme Annie Thomas s'est dite optimiste concernant la place des femmes dans la société, mais a estimé qu'il fallait porter un regard lucide sur la situation. La société a envers elles un devoir de transparence et d'information. Lorsque l'on constate une injustice inadmissible, il faut le dénoncer et agir, notamment par la voie législative.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a répondu que la question de l'emploi à temps partiel avait été abordée dans le cadre de la loi sur l'égalité salariale.

Mme Annie Thomas a posé la question de l'avenir des articles de la loi sur l'égalité salariale censurés par le Conseil constitutionnel, notamment ceux sur la place des femmes dans les instances professionnelles.

Elle s'est dite opposée au cumul entre temps partiel et intérim, proposé par le Gouvernement à l'article 24 du projet de loi sur la participation, expliquant que ce cumul n'est pas possible matériellement, et que l'article, introduit à la demande de certains secteurs du patronat, ne précise même pas que la durée légale du travail doit être respectée. D'autres dispositions du projet de loi, en revanche, conviennent aux partenaires sociaux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a déploré que l'on retrouve dans un nouveau projet de loi l'article 14 de la loi sur l'égalité salariale censuré par le Conseil constitutionnel. S'agissant des dispositions censurées concernant la composition des conseils d'administration, elle a indiqué qu'elle allait déposer une proposition de loi constitutionnelle pour permettre à la loi de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales.

M. Patrick Delnatte a observé que la décision du Conseil constitutionnel sur l'article 14 se fondait sur des raisons de forme, et a souligné la difficulté avec laquelle le principe de parité avait été introduit dans la Constitution.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé qu'elle avait été l'orateur du groupe UMP dans la discussion du projet de loi constitutionnelle sur la parité en politique et que les débats avaient eu à l'époque une teneur philosophique. La question de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine économique et social devra être abordée au moment de la campagne présidentielle. Elle a ensuite remercié Mme Annie Thomas et Mme Marylou Robert.

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