DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 1

Mardi 10 octobre 2006
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Michelle BIAGGI, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (cgt-FO) sur le thème « femmes et précarité »

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Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue à Mme Michelle Biaggi, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail - Force ouvrière, et à Mmes Valérie Chartier et Cristelle Gillard, assistantes confédérales. Elle les a remerciées d'avoir accepté de venir témoigner sur le thème des femmes et de la précarité. Elle s'est déclarée très inquiète du sort des femmes, plus exposées au temps partiel que les hommes - 80 % des postes à temps partiel sont occupés par des femmes - et partant, à la précarité, surtout à l'âge de la retraite.

Elle a demandé à Mme Michelle Biaggi son avis sur la ségrégation professionnelle des femmes dans certains emplois peu qualifiés, et dits « féminins », sur l'avenir du temps partiel, et sur la façon de concilier la fluidité des marchés de l'emploi avec la protection des travailleurs.

Mme Michelle Biaggi a rappelé que la cgt-FO abordait le problème du temps partiel, qui touche essentiellement les femmes et les jeunes, de manière globale. La Confédération a beaucoup travaillé ces dernières années pour faire tomber les tabous et changer les mentalités des hommes, mais aussi de certaines femmes, sur cette question.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a approuvé, en donnant l'exemple de ces « femmes d'exception » citées par Les Echos, qui n'ont jamais contribué à faire avancer la cause des femmes. Elle s'est par ailleurs félicitée de n'avoir pas été invitée au forum national des femmes de Deauville, dont elle a par ailleurs jugé les conclusions affligeantes, préférant défendre la cause de toutes les femmes sur le terrain plutôt que de glorifier la carrière de quelques-unes.

Elle s'est également montrée très critique sur la loi relative à l'égalité salariale, soutenue sur ce point par Mme Michelle Biaggi, pour qui cette loi ne saurait être efficace sans sanctions. Par ailleurs, à partir du moment où les augmentations de salaire sont individuelles, personnalisées, à la discrétion de l'employeur, les femmes qui s'arrêtent momentanément de travailler pour s'occuper de leurs enfants ne sont plus compétitives.

Revenant à la question du temps partiel, Mme Michelle Biaggi a dénoncé l'utilisation du chèque emploi-service, qui constitue, selon elle, un moyen détourné de mettre fin à la mensualisation du salaire. Elle a également abordé le problème culturel de la formation des femmes à qui l'on a appris dès l'école maternelle à bien se coiffer, à bien se tenir, et que l'on a ainsi orientées, d'une certaine manière, vers des métiers dits « féminins ». Peu de femmes occupent aujourd'hui des métiers dits « masculins » alors que les conditions de travail sont devenues moins pénibles ; celles qui occupent ces postes y sont souvent arrivé parce qu'il manquait de main-d'œuvre masculine, du fait des départs à la retraite.

À Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, qui s'en est étonnée, Mme Michelle Biaggi a réaffirmé que, dans le secteur privé, les mentalités n'avaient pas évolué autant qu'il aurait été possible de l'espérer.

Mme Martine Carrillon-Couvreur a donné l'exemple d'un centre de formation en métallurgie et sidérurgie, dans sa circonscription, qui incitait les femmes à s'orienter vers ces métiers. Elle a reconnu qu'il s'agissait sans doute là d'un moyen de pallier le manque de main d'œuvre, mais qui permettrait néanmoins de faire évoluer les mentalités.

Mme Hélène Mignon a rapporté le cas de jeunes femmes qui, bien que s'étant distinguées au cours d'un stage en aéronautique, n'avaient pas été embauchées dans ce milieu très masculin. D'autres, parvenues à franchir le cap, sont soumises à une pression psychologique très lourde de la part de leurs collègues qui estiment qu'elles ont pris la place d'un homme.

Mme Valérie Chartier a souligné que les filles, en moyenne plus diplômées que les garçons, accédaient moins facilement à l'emploi, d'où une déperdition pour toute la nation de l'investissement dans la formation.

Mme Hélène Mignon a indiqué que Mme Martine Lignières-Cassou avait mis en place à Pau une formation destinée à accompagner des femmes au chômage depuis un certain temps et sans formation initiale, vers des métiers d'hommes. Beaucoup avaient accepté d'intégrer cette structure, mais peu s'étaient finalement intéressées et engagées vers ces métiers.

Mme Martine Carillon-Couvreur a relevé une légère évolution des mentalités dans le secteur du bâtiment, mais Mme Hélène Mignon a observé qu'embaucher des femmes sur un chantier coûtait cher car il fallait alors prévoir deux vestiaires, deux toilettes, etc.

Mme Michelle Biaggi a cité le site de production de l'AIRBUS A 380, où elle n'a pas vu une seule femme travailler sur l'avion en construction qu'elle a visité, alors même que l'entreprise a obtenu le « label égalité ». Les salariées travaillent sans doute dans le secteur de la restauration, de la communication et du secrétariat.

Abordant la question de la formation professionnelle, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandé si la loi sur l'égalité professionnelle du 9 mai 2001 qui prévoyait des indicateurs spécifiques en matière de formation était correctement appliquée.

Mme Michelle Biaggi a répondu que la majorité des entreprises en France comptaient entre dix et cinquante salariés et n'étaient donc pas tenues de rendre le rapport de situation comparée prévu par la loi du 9 mai 2001.

Mme Valérie Chartier a ajouté que, selon un rapport de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, beaucoup d'entreprises de plus de cinquante salariés ne rendaient pas ce rapport, alors qu'elles en avaient l'obligation, et qu'il arrivait souvent que les rapports rendus soient inexploitables, faute d'analyse de l'employeur.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est indignée de ce que la loi du 9 mai 2001 ne soit toujours pas appliquée, et a regretté qu'en 2002, la majorité n'ait pas adapté cette loi aux PME et assuré le suivi de son application. Elle a souhaité que les organisations syndicales se mettent d'accord sur cette question pour opposer au MEDEF une position commune.

Mme Michelle Biaggi lui a répondu que chaque syndicat devant soutenir les revendications de ses syndiqués, il n'était pas toujours évident d'aboutir à un consensus de toutes les organisations syndicales.

À Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, qui l'a interrogée sur la part consacrée dans les négociations à l'égalité professionnelle et au temps partiel, Mme Michelle Biaggi a rétorqué qu'il n'y en avait aucune, à moins que la réunion ne porte spécifiquement sur ce thème. Il existe en revanche des négociations au niveau des branches.

Mme Cristelle Gillard a ajouté qu'en 2005, seuls cinq accords de branche avaient été conclus sur le travail à temps partiel (sur un total de 55 accords de branche relatifs au temps de travail en général) contre douze accords de branche conclus en 2004. Le contenu des accords est de surcroît souvent très succinct. Il est d'autant plus paradoxal que les branches ne se soient pas saisies de la question que la loi sur les 35 heures donnait des garanties aux salariés à temps partiel, et répondait à certaines revendications des syndicats - notamment sur la priorité à accorder pour la prise de congés en présence de personnels cumulant deux temps partiels.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que, grâce aux efforts de la Délégation aux droits des femmes, l'article 25 du projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié visant à permettre le cumul d'un travail à temps partiel et d'un travail en intérim venait d'être supprimé par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Mme Christelle Girard ayant émis le souhait qu'une telle disposition, qui aggrave la précarité, ne réapparaisse pas au détour d'un nouveau projet de loi, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a appelé ses invitées à la plus extrême vigilance en la matière.

Mme Michelle Biaggi a observé que, sur le sujet de l'égalité salariale, le MEDEF était partagé entre deux courants : les services, dont est issue Mme Laurence Parisot, et l'industrie, où les hommes sont davantage prédominants. Ce conflit interne ne permet pas d'aboutir à de bons accords, et les organisations syndicales rencontrent de plus en plus de difficultés, ne serait-ce que pour imposer un sujet de négociation. La cgt-FO réclame depuis de nombreuses années un droit de saisine des organisations syndicales. Cela ne lui a pas été accordé ; aussi, actuellement, les syndicats n'ont-ils pas la possibilité d'inscrire un sujet à l'ordre du jour, avec obligation de réponse des employeurs.

Revenant sur les accords de branche signés en 2005 sur le temps partiel, Mme Cristelle Gillard a expliqué que l'un d'eux, signé dans le secteur de la pâtisserie, prévoyait une durée minimale de travail d'une heure par semaine. Mme Michelle Biaggi a dénoncé cette utilisation perverse du système, qui allait priver ces salariés, faute d'un nombre d'heures suffisant, d'assurance-maladie, d'assurance-chômage, et bien sûr de retraite. De nombreuses femmes qui auront travaillé toute leur vie à temps partiel, pour des salaires de misère, se retrouveront à la retraite à la charge de la société ! Selon une étude de la DARES, 50 % des salaires mensuels à temps partiel seraient inférieurs à 750 euros, et 25 % seraient inférieurs à 480 euros. De plus en plus de salariés n'ont plus les moyens de se loger, et vivent dans des caravanes ou dans leur voiture.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que les conditions de travail en intérim étaient également déplorables.

Mme Michelle Biaggi a abondé dans son sens, ajoutant que les conditions étaient encore pire dans le secteur du commerce et de la grande distribution, d'autant que « la loi Fillon » du 4 mai 2004 a permis de déroger aux garanties apportées par la loi sur les 35 heures. Il est dorénavant possible de signer des accords dérogatoires sur l'amplitude et le nombre de coupures - des salariés peuvent ainsi travailler deux heures le matin et deux heures l'après-midi -, mais aussi sur les délais de prévenance, en passant de sept à trois jours, ce qui complique encore davantage la situation de ces personnes obligées de cumuler plusieurs emplois pour gagner suffisamment leur vie.

Mme Hélène Mignon a rappelé que, dans une grande surface où s'était rendue la Délégation, la direction avait eu l'idée perfide de confier aux salariées elles-mêmes le soin d'organiser le temps de travail de chacune. Elle a par ailleurs appelé les députés à plus de cohérence dans l'élaboration des textes : comment aborder la question de la délinquance des jeunes sans se préoccuper des conditions dans lesquelles eux et leurs parents vivent ?

Mme Michelle Biaggi s'est à son tour interrogée sur l'avenir de ces personnes qui n'auront bientôt plus les moyens de survivre.

Le temps partiel, a souligné Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, ne devrait plus être subi, mais choisi en toute connaissance de cause, y compris quant aux conséquences sur le montant de la retraite.

Mme Michelle Biaggi a dénoncé le fait que les entreprises qui ont choisi de faire du temps partiel leur mode de fonctionnement n'offrent pas de dignes contreparties : pourquoi ne pas obliger les employeurs, par exemple, à payer la totalité des cotisations retraites, des cotisations d'assurance maladie, etc. ? La cgt-FO est très inquiète pour la renégociation des retraites en 2008. De nombreuses personnes risquent fort d'être obligées de trouver un travail pour compléter leur retraite.

Mme Hélène Mignon a confirmé ce fait : elle est déjà sollicitée, dans sa circonscription par des personnes à la retraite qui ne peuvent plus payer leur loyer et cherchent un travail. Le travail au noir ne peut que se développer dans ces conditions. Elle a cité le cas d'une aide ménagère payée par chèque emploi-service, à qui l'employeur, qui n'avait plus besoin de ses services, n'avait pas payé d'indemnité de licenciement. Celui-ci n'avait pas conscience qu'il était tenu par un contrat de travail. Pour les salariés pauvres, il ne reste in fine que les allocations du RMI.

Mme Michelle Biaggi a par ailleurs attiré l'attention de la Délégation sur le cas des groupements d'employeurs, lesquels ont largement recours au temps partiel. Invitée il y a un an à négocier une convention collective générale destinée à couvrir les salariés de ces groupements, la cgt-FO a soulevé tant de problèmes que le dossier est toujours en attente aujourd'hui.

Mme Valérie Chartier a souligné, plus généralement, le manque de fonctionnaires de contrôle et d'inspection du travail, surtout en matière de travail temporaire, où la loi est systématiquement contournée. De surcroît, les salariés à temps partiel ne sont que rarement syndiqués, notamment par crainte de perdre leur emploi.

Mme Michelle Biaggi a confirmé qu'il arrivait à sa confédération de faire intervenir des inspecteurs du travail, non pas dans les agences d'intérim, mais chez les clients de l'agence. La cgt-FO essaie d'être la plus présente possible au sein des entreprises qui recourent au travail en intérim. Elle a du reste édité un guide spécifique du salarié intérimaire, qui est distribué aux délégués syndicaux.

Beaucoup de travail reste à faire en matière de temps partiel, notamment sur la rémunération des heures complémentaires.

Pour Mme Cristelle Gillard, il conviendrait ainsi de prévoir une majoration dès la première heure complémentaire.

À Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, qui lui demandait si elle gardait un peu d'espoir, Mme Michelle Biaggi a répondu que tout dépendrait du courage du législateur à voter les lois nécessaires et surtout à suivre leur application. Ainsi, 70 % des entreprises ne rendent pas le rapport de situation comparée, ce qui empêche d'évaluer les écarts de salaire. De surcroît, le MEDEF fait obstacle à l'examen par les syndicats des écarts de salaire.

Mme Valérie Chartier a relevé que le recours au temps partiel expliquait en grande partie les écarts de salaire, et que l'on était toujours sans nouvelle du chantier lancé sur cette question par M. Gérard Larcher et Mme Catherine Vautrin en avril dernier.

Mme Michelle Biaggi s'est élevée contre l'idée de compléter les salaires des personnes à temps partiel par des participations à l'actionnariat.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié les représentantes de la cgt-FO pour leur contribution.

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