DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 6

Mardi 12 décembre 2006
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

- Audition de M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'Université de Paris X, sur le thème de la parité

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue au professeur Guy Carcassonne. Se souvenant l'avoir déjà interrogé, dans la toute première année de son mandat de députée, à propos de la première loi sur la parité, elle lui a demandé son sentiment sur le nouveau projet de loi présenté par le Gouvernement, qui doit venir en discussion devant le Sénat dans quelques jours, puis devant l'Assemblée en janvier 2007.

M. Guy Carcassonne, après avoir rappelé qu'il a toujours été, pour sa part, très favorable à la parité et à sa traduction dans la Constitution, s'est dit fort peu séduit par le projet de loi, qui manque selon lui de cohérence et d'imagination, et pourrait en outre soulever quelques difficultés constitutionnelles.

L'extension de la parité aux exécutifs des assemblées délibérantes n'est pas en soi contraire à la Constitution : elle porte certes atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, mais cela peut être justifié par la nécessité de satisfaire un autre principe à valeur également constitutionnelle, celui de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Toutefois, les objections que l'on peut émettre au principe paritaire prennent d'autant plus de vigueur que l'on restreint l'aréopage auquel l'appliquer. Ainsi s'il est aisé, au sein d'un conseil municipal ou régional comptant plusieurs dizaines de personnes, de concilier l'équilibre des sexes et le choix de personnes compétentes, l'exercice est plus délicat, pour ne pas dire vain, lorsqu'il s'agit de désigner une poignée de responsables. Imagine-t-on qu'un Parlement, au moment d'accorder - ou non - sa confiance au Gouvernement, voie son vote contraint par tel ou tel critère ?

Quant à l'idée d'obliger chaque candidat aux élections cantonales à se doter d'un suppléant de sexe opposé, elle pouvait se concevoir lorsqu'il n'existait aucune disposition visant à favoriser la parité, mais dès lors que tel n'est plus le cas, elle apparaît incohérente, vaine et choquante. Incohérente, car aucune raison valable ne justifie qu'on l'adopte pour les seuls conseillers généraux, sans l'étendre aux députés et à ceux des sénateurs qui sont élus au scrutin uninominal. Vaine et choquante, car elle revient à tabler sur la mort précoce d'un nombre suffisant de conseillers généraux pour faire accéder une moitié de femmes aux assemblées départementales.

M. Guy Carcassonne s'est dit attaché à la liberté des formations politiques et à l'universalité de la citoyenneté. En conséquence, il a estimé qu'il ne voyait pas de raisons de principe qui pourraient empêcher la constitution d'un parti composé exclusivement d'hommes ou exclusivement de femmes.

Il ne faut pas mélanger les sujets, car cela ne fait qu'introduire de la confusion dans une législation qui, par ailleurs, est restée plutôt cohérente jusqu'à présent. Le Parlement a su moderniser, par des lois successives, les élections législatives, municipales, régionales, européennes. Un seul scrutin ne l'a jamais été : le scrutin cantonal. Lorsqu'il aura enfin été réformé, sans doute le scrutin de liste sera-t-il en vigueur au moins pour la représentation des zones urbaines, et la parité alors pourra s'y appliquer aisément.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a également estimé qu'une réflexion serait nécessaire sur l'articulation entre département et intercommunalité. Elle a regretté que le projet de loi fasse l'impasse sur la représentation des femmes dans les intercommunalités.

Poursuivant son propos, M. Guy Carcassonne a jugé que le troisième point du projet de loi, à savoir l'alourdissement des sanctions financières en cas de non-respect des dispositions relatives aux élections législatives, était d'une platitude consternante. Il reste fidèle, pour sa part, à la proposition qu'il avait faite dès le début, et qui consiste à faire financer la vertu par le vice, en redistribuant entre les partis respectant la parité le produit des sanctions financières imposées à ceux qui ne la respectent pas. L'efficacité du dispositif en serait assurément renforcée, car si un grand parti peut envisager avec philosophie de voir sa subvention réduite de quelques millions d'euros, il lui sera beaucoup plus pénible, en revanche, que cette somme bénéficie à ses adversaires directs. Une telle solution, en outre, présenterait l'avantage de ne poser aucun problème constitutionnel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité connaître son avis sur l'amendement de Madame Gisèle Gautier, rejeté par le Sénat en première lecture, tendant à réserver une dotation complémentaire aux partis comptant au moins un tiers de femmes parmi les membres du Parlement.

M. Guy Carcassonne s'y est déclaré favorable, avant de préciser que la redistribution du produit des sanctions financières pouvait s'opérer selon deux critères différents, éventuellement combinés. Le premier est le nombre respectif de candidats de chaque sexe, mais sa préférence personnelle va au second, plus incitatif selon lui, et qui est le nombre respectif de femmes et d'hommes effectivement élus - c'est-à-dire investis dans des circonscriptions leur offrant une chance raisonnable de l'être. Selon sa proposition, le produit des pénalités alimenterait une « cagnotte » qui serait distribuée à ceux des partis qui se rapprochent le plus de la parité (par exemple comptant de 35 à 40 % de femmes) au prorata du nombre de leurs élues.

Les grands partis n'étant pas forcément les plus vertueux en la matière, il ne sera pas forcément aisé de trouver une majorité pour adopter cette disposition, mais si un amendement en ce sens était présenté, il leur serait difficile de s'y opposer autrement qu'en excipant de leur propre turpitude...

Mme Danielle Bousquet a jugé difficilement justifiable, vis-à-vis des citoyens, que le dispositif qui sera voté ne s'applique pas dès les élections de 2007, mais seulement dans cinq ans.

À M. Patrick Delnatte qui rappelait le « principe républicain » selon lequel on ne modifie pas les règles applicables à un scrutin à moins d'un an d'une élection, M. Guy Carcassonne a fait observer que la loi du 11 mars 1988 sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales s'est appliquée dès le premier tour de l'élection présidentielle qui s'est tenue le mois suivant. Rien ne s'oppose donc à ce qu'une loi promulguée en février ou mars 2007 s'applique aux élections législatives du mois de juin qui suit, et ce d'autant moins qu'il ne s'agirait pas d'édicter de nouvelles règles, mais de répartir autrement le produit des sanctions financières encourues pour avoir délibérément enfreint celles en vigueur. Au cas où l'on y renoncerait, mieux vaudrait, en toute hypothèse, écrire « à compter du prochain renouvellement général de l'Assemblée nationale », de façon à couvrir l'hypothèse d'élections anticipées.

M. Patrick Delnatte a dit douter que le Conseil constitutionnel accepte une application de cette disposition dès juin 2007, dans la mesure où les partis ont déjà désigné leurs candidats, ou l'auront fait lorsque la loi sera votée - si elle l'est.

M. Guy Carcassonne s'est dit convaincu du contraire : il ne s'agit pas de modifier les modalités d'attribution des subventions aux partis, mais l'utilisation des pénalités encourues pour non-respect d'une règle qui, elle, n'aura pas changé. Au demeurant, le plus probable est qu'il ne se trouvera ni soixante députés ni soixante sénateurs pour déférer la loi au Conseil constitutionnel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a considéré que les états-majors des partis sous-estimaient l'impact, sur l'électorat, des mesures relatives à la parité.

Revenant sur l'élection des conseils généraux, M. Patrick Delnatte a souligné que l'évolution envisagée par M. Guy Carcassonne reviendrait à créer deux catégories d'élus départementaux, représentant respectivement les zones urbaines et rurales.

M. Guy Carcassonne a répondu qu'il s'agissait seulement d'une possibilité parmi d'autres.

M. Patrick Delnatte a estimé qu'il valait mieux repenser au préalable l'architecture des différents niveaux d'administration - commune, intercommunalité, département, région - avant de réformer le mode de scrutin cantonal.

M. Guy Carcassonne a dit craindre qu'en pareil cas, l'on ne s'engage dans des querelles byzantines pour plusieurs siècles. Le conseil général date de 1790 ; il faut, s'il doit mourir, le laisser mourir de sa belle mort. La révision constitutionnelle de 2003 comporte à ce titre un potentiel d'évolution considérable, et encore inexploité. On peut très bien imaginer qu'en Alsace, par exemple, les deux conseils généraux se fondent dans le conseil régional ; dans d'autres régions, en revanche, l'échelon départemental a gardé une vraie pertinence, et se maintiendra sans doute. Pourquoi la même architecture devrait-elle prévaloir partout ? Mieux vaut moderniser le mode de scrutin sans attendre, car il est anachronique et indigne, ainsi qu'en témoignent à la fois la faiblesse des taux de participation et le nombre anormalement élevé de présidents de conseils généraux élus au bénéfice de l'âge.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a estimé nécessaire que la parité soit étendue aux intercommunalités, où les femmes sont actuellement très sous-représentées : à la dernière réunion à laquelle elle ait assisté, elles étaient 10 sur 150 ! Par ailleurs, l'articulation entre intercommunalité et département est très insuffisante. Ainsi comment doit se situer le président du conseil général par rapport à la communauté de communes ?

M. Patrick Delnatte a plaidé pour l'élection des instances intercommunales au suffrage universel.

Mme Danielle Bousquet lui ayant demandé si les réserves qu'il a exprimées sur l'application de la parité à la désignation des exécutifs communaux valaient aussi pour celle des représentants aux instances intercommunales, M. Guy Carcassonne a expliqué que le problème de principe demeurait, mais se trouvait atténué du fait que le nombre de personnes à désigner était plus important. Si l'on décide de ne pas faire élire les intercommunalités au suffrage universel, ce qui est un choix tout à fait défendable, à tout le moins pourrait-on obliger les communes ayant droit à plusieurs délégués à ne pas y envoyer plus des deux tiers ou des trois quarts de représentants du même sexe.

Mme Danielle Bousquet a considéré que le projet de loi était indigent, au point que l'on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux attendre le début de la prochaine législature pour remettre l'ouvrage sur le métier et se doter d'un dispositif plus ambitieux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit souhaiter, tout en comprenant ce point de vue, que l'Assemblée nationale examine néanmoins le texte et l'améliore, mais redouter que le Sénat ne retienne pas les éventuels amendements qu'elle lui aurait apportés.

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