Assemblée nationale - Sénat

Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques (OPECST)

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Compte rendu

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Mercredi 26 janvier 2005

La place des biotechnologies en France et en Europe - Examen du rapport

Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président.

La place des biotechnologies en France et en Europe - Examen du rapport

L'Office a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Yves Le Déaut, député, sur « la place des biotechnologies en France et en Europe ».

M. Jean-Yves Le Déaut a indiqué qu'après seize mois d'étude au cours desquels environ 140 auditions ont été organisées, il était parvenu au constat du retard de la France et de l'Europe dans le domaine des biotechnologies et des sciences de la vie.

Alors que les biotechnologies constituent une technologie clé, la France et l'Europe ont « décroché », tant pour la recherche que pour l'innovation, et ce, en dépit de ses atouts, notamment en ce qui concerne la formation.

La perte de compétitivité de l'industrie pharmaceutique française et européenne est perceptible. Le secteur de l'agroalimentaire subit une perte de crédibilité à cause de l'épineux dossier sur les OGM. Les positions ont été hésitantes sur des sujets difficiles et actuellement, alors que 80 millions d'hectares d'OGM sont cultivés dans le monde, le paysage européen est presque inexistant et les expérimentations y sont même contestées. Les biotechnologies restent par ailleurs peu utilisées dans l'environnement et dans de nouveaux secteurs, alors que, dans le cadre du 7ème PCRDT, une impulsion est attendue pour favoriser l'utilisation de la biomasse, la mise au point de matériaux nouveaux à partir de végétaux et de nouveaux outils de dépollution de l'air, du sol et de l'eau.

Mais si la situation est sérieuse, elle n'est pas irrémédiable. Si l'on s'en donne les moyens, on peut la redresser. Sinon, une « facture recherche » s'ajoutera à la « facture pétrolière » et la France et l'Europe devront acheter les brevets, les nouveaux médicaments et les nouvelles technologies. L'économie du XXIème siècle sera en effet une économie de la matière grise. Les rapports récents de MM. Lionel Fontagne et Hervé Lorenzi sur la désindustrialisation, de M. Jean-Paul Betbèze sur le financement de la R&D, de M. Jean-Louis Beffa sur la politique industrielle convergent sur ce point et abordent la question des biotechnologies.

La dimension stratégique des sciences de la vie et des biotechnologies doit être rapidement reconnue. A la différence de nombreux Etats, la France ne semble pas avoir pris conscience des enjeux d'un développement des connaissances et d'un soutien à l'innovation dans ce domaine, et a privilégié une démarche excessivement défensive sans se doter de moyens d'action adaptés à un secteur aussi « foisonnant ».

Il faut prendre en compte le continuum reliant la formation, la recherche et l'innovation ; les biotechnologies en sont le résultat et si un « chaînon » est manquant, les politiques resteront inefficaces.

Les biotechnologies ont vocation à être utilisées dans de nombreux secteurs et une même technologie peut avoir une application multisectorielle. Ainsi la biotechnologie végétale peut s'appliquer non seulement dans les domaines agricoles et alimentaires, mais aussi dans le domaine médical ou dans d'autres domaines industriels, pour la production de textiles ou de produits biodégradables. Les biotechnologies reposent aussi sur une série de disciplines, comme la physique, les mathématiques, la biologie et la chimie.

Les bénéfices pouvant en résulter sont très variés, tant dans le domaine de la santé, que dans ceux de l'alimentation, de l'environnement et de la sécurité, notamment pour lutter contre le bioterrorisme. Les biotechnologies se sont largement diffusées, notamment dans le domaine de la pharmacie.

En dépit de leurs atouts, notamment scientifiques, la France et l'Europe se sont affaiblies.

Le secteur de la pharmacie est sur le point de connaître une véritable crise liée à l'arrivée d'un nombre croissant de génériques, supérieur au nombre de nouveaux produits. Il subit une double concurrence, celle des « génériqueurs », certains pays se spécialisant dans ce domaine, et celle des sociétés nouvelles spécialisées dans les biotechnologies qui sont très majoritairement américaines. La politique des investisseurs, l'augmentation des coûts de R&D et la pression exercée sur les prix conduisent les grandes sociétés pharmaceutiques à se spécialiser sur la propriété intellectuelle et la vente de médicaments, même si elles maintiennent des centres de recherche qu'elles concentrent d'ailleurs aux Etats-Unis. Leur R&D est de plus en plus sous-traitée à des sociétés de biotechnologie. Si ces sociétés ne se développent pas - et en Europe, peu de sociétés de biotechnologie ont atteint la masse critique nécessaire, sauf au Royaume-Uni - le mouvement de concentration va s'exacerber, comme on l'a observé en France. La production est également de plus en plus sous-traitée. Or, dans le domaine des biotechnologies, les procédés de production sont très lourds et exigent une spécialisation technique. Dans ce secteur également, la France compte trop peu de sociétés. Face à cette situation, il convient de réagir.

Dans le domaine agricole, la France et l'Europe sont confrontées à la lancinante question des OGM. Les polémiques et les controverses perdurent et la question n'a pas été tranchée. Le rapport des « quatre sages » avait formulé des propositions il y a deux ans, en préconisant les principes de parcimonie, de précaution et de transparence, et en demandant la poursuite des recherches. Aujourd'hui, les recherches elles-mêmes sont contestées, comme le montrent la diminution du nombre d'essais entrepris et le nombre de destructions. Les chercheurs sont de plus en plus démoralisés et les vocations s'étiolent. Sur 80 millions d'hectares de cultures OGM, l'Europe est pratiquement inexistante.

Il faut aujourd'hui prendre conscience des enjeux économiques et des contraintes pesant sur les biotechnologies et définir les voies d'un redressement nécessaire pour favoriser l'innovation dans ce domaine, en examinant plus particulièrement la question cruciale du financement et celle des relations entre les secteurs public et privé.

Le rapporteur a ensuite présenté ses quinze recommandations comportant soixante-trois propositions, en insistant particulièrement :

- sur la nécessité de réaffirmer le principe de progrès assorti d'une maîtrise par l'homme de l'utilisation des technologies,

- l'élaboration d'une stratégie en faveur des sciences de la vie et des biotechnologies inscrite dans la durée et la cohérence,

- la valorisation des atouts de la France,

- l'intérêt de mesurer l'impact des réglementations sur les activités de recherche et de développement,

- l'encouragement, dès l'enseignement primaire, de la formation en biotechnologies par une meilleure valorisation des métiers des sciences de la vie et une pluridisciplinarité accrue, en s'appuyant notamment sur les futurs programmes régionaux d'enseignement et de recherche (PRES) et en améliorant le statut des doctorants,

- l'accroissement des moyens accordés à la recherche publique, par un plan de rattrapage, en rééquilibrant l'effort consacré aux sciences de la vie, en organisant le retour de 1 000 chercheurs et en soutenant les équipes multidisciplinaires,

- l'amélioration souhaitable de la gestion des droits de propriété intellectuelle issus de travaux de recherche financés sur fonds publics, la directive de 1998 sur les inventions biotechnologiques devant par ailleurs faire l'objet d'une révision pour mieux assurer la coexistence du brevet et du certificat d'obtention végétale, éviter les entraves à la recherche et limiter l'étendue de la protection à une fonction déterminée,

- la mise en place de formations adaptées pour les chercheurs souhaitant acquérir des compétences entrepreneuriales,

- un soutien accru à la création et au développement des sociétés de biotechnologies, en mettant notamment en place des financements publics pour aider à la « preuve du concept », en créant un programme de soutien à l'innovation de petites entreprises (SIPE) et en instituant un système d'impôt choisi en faveur de sociétés de biotechnologies labellisées,

- la création d'un environnement favorable au maintien sur le territoire national et à l'implantation de centres de recherche et de production de groupes industriels,

- les réflexions qu'il convient d'engager sur les essais cliniques et les biogénériques,

- les actions à mener dans le cadre européen pour augmenter les moyens attribués au 7ème PCRDT, et, au sein de celui-ci, ceux alloués aux sciences de la vie, particulièrement à la biologie végétale, et pour assouplir les règles concurrentielles qui handicapent les petites sociétés et nuisent à l'attractivité du territoire européen,

- l'engagement de grands programmes en faveur des biotechnologies dites « bleues », des écotechnologies et de la traçabilité,

- une meilleure organisation du système d'évaluation des bénéfices et des risques dans le domaine de la biologie végétale, avec notamment un regroupement de l'AFFSA et de la commission des toxiques, une fusion de la commission du génie génétique, de la commission du génie biomoléculaire et du comité de biovigilance au sein d'une instance regroupant deux collèges, une unification des seuils, le rejet du principe d'une responsabilité sans faute pour les produits autorisés, la révision du cahiers des charges européen sur l'agriculture biologique et la réaffirmation du principe d'une analyse au cas par cas,

- la mise en place d'un suivi parlementaire de la politique gouvernementale dans le domaine des sciences de la vie et des biotechnologies.

M. Pierre Laffitte, sénateur, a mis l'accent sur les différentes applications possibles des biotechnologies. Ayant souligné l'impact des réglementations, il a observé que la non- transposition de textes européens et le maintien de textes nationaux spécifiques entraînaient des délocalisations, comme ce fut récemment le cas d'une usine de fabrication de nutriments qui s'est installée en Italie. C'est ainsi qu'une législation française établie sous le régime de Vichy, contraignante en matière d'herboristerie, limite le développement du secteur de la parapharmacie en France.

M. Louis Guédon, député, a précisé que ladite législation avait, pour des raisons de santé publique, confié aux seuls pharmaciens compétence pour commercialiser certaines substances, en exigeant un diplôme apportant toutes les garanties nécessaires.

M. Pierre Laffitte, sénateur, a considéré qu'un excès de protection n'était pas justifié dans tous les cas et que les formations devaient s'adapter au développement de la phytopharmacie. Il a souligné les potentialités des biotechnologies dans le domaine de l'environnement, notamment pour remplacer les matières plastiques et développer une industrie utilisant les produits végétaux, sachant que la France dispose de compétences dans ce domaine. Il a aussi souligné l'importance des structures de capital risque.

M. Christian Kert, député, a demandé au rapporteur une clarification rédactionnelle de ses conclusions relatives à la technologie des OGM.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, rapporteur, a répondu que la technologie de la transgénèse n'était effectivement ni bonne, ni mauvaise ; elle peut être utilisée pour le meilleur comme pour le pire. Il en va de même d'autres techniques, comme dans le domaine de la physique. Les OGM sont issus d'une même technique, mais il en existe une multitude. Certains sont utilisés dans divers secteurs, comme celui de la santé où cela ne soulève par de problèmes. Dans l'agroalimentaire, renoncer à toute utilisation de cette technologie serait une erreur et les recherches, notamment les expérimentations en plein champ, doivent se poursuivre. Il ne s'agit pas non plus de substituer cette technique aux autres. Il convient aussi de considérer ses bénéfices potentiels, en prenant en compte les besoins des pays du Sud, tant dans le domaine alimentaire, avec par exemple le riz doré, que dans celui des énergies renouvelables.

M. Claude Saunier, sénateur, a observé que le présent rapport, en développant des arguments sur les enjeux économiques, était bien venu. Mais s'il convient d'alerter l'opinion publique sur certaines évolutions négatives, il faut aussi reconnaître les atouts de la France qui existent, comme l'INRA par exemple, et dire qu'il n'est pas encore trop tard, que la France peut trouver sa place dans cet enjeu. Les OGM constituent certes un élément important mais il ne s'agit que d'un élément parmi d'autres. Dans ce domaine, les connaissances restent encore incertaines, comme le montre l'exemple du riz doré qui a suscité diverses controverses.

Par ailleurs, M. Claude Saunier a suggéré que l'Office dresse un bilan de l'application des recommandations qu'il a formulées depuis deux ou trois ans, afin de contribuer aux réflexions conduites par le Parlement dans le cadre de la future loi de programmation et d'orientation de la recherche.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, rapporteur, a souligné que s'agissant des OGM dans l'agriculture, il avait souhaité poursuivre l'étude qu'il avait engagée en 1998 et essayé de faire un bilan. Toutefois ce n'est pas l'objet essentiel du rapport : sur soixante-trois propositions, seules sept leur sont consacrées. En ce qui concerne le riz doré, l'AFSSA a analysé l'ensemble des publications traitant de cette question, ce qui conduit à relativiser les critiques qui avaient été émises.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, a relevé que l'approche retenue par le rapporteur vise à afficher la gravité de la situation, à formuler de nombreuses propositions pour tenter d'y remédier et à essayer de « purger l'hypothèque » des OGM. Il a noté que certaines propositions étaient plus faciles à mettre en œuvre que d'autres. S'agissant plus particulièrement des essais cliniques, le Directeur général de l'INSERM a lui aussi souligné, lors de l'audition publique du 2 décembre 2004, la nécessité de faire évoluer la situation qui se dégrade ; si des mesures immédiates peu compliquées existent, il faut les formuler précisément. Il faut savoir par exemple que, dans les CHU, un essai clinique mobilise des personnels qui ne peuvent plus se consacrer aux soins des malades et se heurte à diverses difficultés.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, rapporteur, a suggéré qu'une démarche soit entreprise par l'Office pour signaler certaines difficultés particulières.

Faisant droit à cette observation, M. Henri REVOL, Président, et M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président, ont à leur tour suggéré diverses démarches de l'Office pour diffuser et suivre l'application des conclusions du rapport.

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L'Office a adopté, à l'unanimité des présents, le rapport « sur la place des biotechnologies en France et en Europe », ainsi que l'ensemble des recommandations proposées par le rapporteur, (Mme Marie-Christine Blandin, sénateur, empêchée d'assister à la réunion, avait indiqué qu'elle s'abstenait sur ce vote).


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