SOMMAIRE

Avant-propos par M. Alain Claeys 3

Ouverture de la séance 7

Introduction : les cellules souches dans l'évolution de la biologie 9

Table ronde n° 1 : Les caractéristiques des cellules souches 17

Table ronde n° 2 : Les enjeux pour la recherche. La position de la France 31

Table ronde n° 3 : Quelles utilisations des cellules souches : l'enjeu de la santé 53

Table ronde n° 4 : Les enjeux économiques 85

Table ronde n° 5 : Le clonage scientifique : quelles perspectives ? 119

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Office parlementaire d'évaluation

des choix scientifiques et technologiques

Paris, le 21 février 2006

Madame, Monsieur,

Dans le cadre de la préparation de mon rapport concernant « Les recherches sur le fonctionnement des cellules vivantes », demandé à l'Office par le Bureau de l'Assemblée nationale, j'ai souhaité organiser une journée d'auditions publiques ouvertes à la presse sur le problème particulier des cellules souches adultes et embryonnaires.

L'audition de spécialistes du sujet s'avérait absolument nécessaire pour au moins deux raisons majeures. D'une part l'extrême rapidité des travaux menés dans ce domaine rend difficile un suivi précis et un recul critique permettant de distinguer les faits avérés des annonces sans lendemain. D'autre part les retards ont été pris dans l'application de la loi d'août 2004 et il y a des dangers d'amalgame entre les cellules souches embryonnaires et la transposition nucléaire.

Cette nécessité s'est aussi imposée à moi compte tenu du véritable déferlement médiatique qui a accompagné, tout au long de l'année 2005, les nouvelles en provenance de Corée. En effet, on s'en souvient, une équipe coréenne avait revendiqué la production de plusieurs lignées de cellules souches embryonnaires humaines en utilisant la technique de la transposition nucléaire.

Aussitôt le pas avait été allègrement franchi : la possibilité de guérison d'affections encore incurables, telles les maladies de Parkinson et d'Alzheimer, était en vue, était à la portée de la main, était là ! Cette attitude n'était d'ailleurs pas l'apanage de certains média mais aussi d'éminents professeurs de médecine qui distillaient, de façon irresponsable, de faux espoirs aux malades et à leurs proches.

Il était donc nécessaire de faire un point très précis sur l'état d'avancement des recherches dans ce domaine des cellules souches.

Il m'est apparu qu'il était indispensable que cet état des lieux soit fait publiquement afin que, au-delà du rapporteur, l'opinion publique soit informée des principaux et véritables enjeux de ce domaine.

J'ai aussi souhaité que s'instaure un échange de vues public de préférence aux classiques auditions privées pour susciter un débat sur ce sujet.

J'espère que cette discussion sera reprise de façon très large au niveau national comme cela a eu déjà lieu dans un certain nombre de pays comme les Etats-Unis lors de l'élection présidentielle de 2004 et en Suisse à l'occasion du référendum du 28 novembre 2004.

J'ai donc réuni les chercheurs français les plus compétents sur ce sujet à l'Assemblée nationale le 22 novembre 2005.

Je les remercie d'avoir bien voulu accepter de venir rendre compte de leurs travaux et de leurs analyses des recherches effectuées dans leur domaine au niveau international. Qu'ils acceptent toute ma gratitude pour leur présence ce jour.

Le débat a été passionnant et très dense de bout en bout. Il a été parfois très animé mais est toujours resté d'une grande courtoisie.

Que disent les chercheurs ?

Leur message principal est que la France prend actuellement du retard par rapport à ses concurrents européens et mondiaux.

Les chercheurs posent en effet très clairement la question de l'introduction de l'autorisation de la transposition nucléaire dans la loi du n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

Cependant, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, des problèmes devront être résolus en cas de modification de la loi du 6 août 2004.

La difficulté la plus importante réside dans la nécessité de disposer d'ovocytes en grandes quantités pour réaliser une transposition nucléaire, compte tenu du faible taux de réussite de celle-ci.

Cette nécessité fait planer une menace très réelle de commercialisation des ovocytes et, partant de leur marchandisation, à laquelle il faut très résolument s'opposer.

Les chercheurs ont aussi adressé d'autres reproches à la loi.

Ils lui ont ainsi reproché d'avoir instauré des procédures trop complexes et donc pénalisantes pour leur travail. J'examinerai cette question dans mon rapport notamment en évaluant les pratiques de l'Agence de la biomédecine qui se met juste en place.

A ce propos, il faut souligner que plus d'un an et demi après l'entrée en vigueur de la loi, le décret d'application sur les conditions d'autorisation et mise en _uvre des recherches menées sur les embryons humains vient juste d'être publié, soit dix-huit mois après la publication de la loi. Ce retard a certainement désavantagé la recherche française.

Cette situation est d'autant plus dommageable que la concurrence mondiale s'exacerbe dans ce domaine comme j'ai pu le constater lors d'une récente mission en Asie.

Pour élaborer mon rapport, j'ai en effet pris le parti de me rendre dans quelques-uns des pays les plus en pointe dans ce domaine afin d'évaluer très précisément leur situation. J'estime en effet qu'un tel sujet ne peut pas être abordé et traité dans l'urgence et la précipitation certainement nuisibles à une réflexion approfondie, documentée et équilibrée.

Ce travail sur les cellules souches embryonnaires est encore du domaine de la seule recherche fondamentale.

Pour avoir voulu sans doute brûler les étapes, l'équipe coréenne qui a défrayé la chronique en 2005 s'est fourvoyée dans une fraude scientifique de grande ampleur. Néanmoins cette affaire, qu'il convient d'apprécier seulement sur le plan de l'honnêteté scientifique, ne doit absolument pas jeter l'opprobre sur tout le secteur de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et adultes.

La recherche sur la transposition nucléaire ne doit pas non plus être victime de sa proximité avec le clonage reproductif que je condamne très fermement.

J'apprécie tout à fait le point le point de vue de M. Alain Fischer sur ce point.

En effet celui-ci indiquait au cours de cette audition publique, qu'il ne faut pas condamner la transposition nucléaire car « par définition, un développement scientifique est neutre : il n'est ni positif, ni négatif. Il faut [le] réglementer de telle manière que l'on favorise le développement socialement « utile » et en évitant un développement que la société, à juste titre, ne souhaite pas. »

Il faut donc qu'une nouvelle sérénité soit aujourd'hui retrouvée sur ce sujet.

Cela remet certainement en cause la précipitation qui, cette dernière année, a trop souvent tenu obscurci le débat sur ce sujet d'une grande complexité.

Une fois de plus il s'avère que le temps scientifique ne doit être, en aucune façon, être asservi au temps médiatique. Il faut assurément dans ce domaine « laisser du temps au temps ».

J'ai la conviction que les cellules souches, aussi bien adultes qu'embryonnaires, ont certainement un immense potentiel. Cela permettra d'abord de mieux connaître les formidables secrets de la Vie. Dans un avenir qui reste aujourd'hui incertain, se lèveront peut-être des espoirs pour un certain nombre d'affections aujourd'hui incurables.

Je serai amené à faire des recommandations très concrètes sur l'utilisation des cellules ouches dans le rapport que j'élaborerai dans les prochains mois.

Au-delà des problèmes scientifiques, cette question soulève d'immenses questions éthiques dont le débat public doit s'emparer. Comme le soulignait M. Jacques Chirac, Président de la République, dans la lettre qu'il m'a adressée le 15 décembre dernier, dans ce domaine, « il convient d'agir avec discernement afin que soit exclue toute conception utilitariste de l'être humain ».

Je souscris naturellement à ce souci qui doit être primordial dans ce domaine. Pour autant il faut aussi, dans le même temps que nos chercheurs se sentent fermement encouragés à aller dans de l'avant pour « faire reculer la souffrance, la maladie, le handicap » comme le notait encore le Président de la République dans la même missive.

Alain Claeys

Député de la Vienne

La séance est ouverte à 9 heures sous la présidence de Monsieur Alain Claeys, député de la Vienne, rapporteur.

Ouverture de la séance

M. Alain Claeys, député de la Vienne, rapporteur

Mesdames et Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation. Je vais dire quelques mots sur cette journée et quelle a été ma démarche.

Député de la Vienne, je précise tout d'abord que je ne suis ni médecin ni chercheur. J'ai eu l'occasion de m'intéresser à tous ces sujets de bioéthique dès 1997, lorsque l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a réalisé l'évaluation de la loi bioéthique de 1994. Le législateur avait décidé que cette loi devait être évaluée au bout de cinq ans par l'Office parlementaire.

C'est dans le cadre de cet Office que j'ai fait cette évaluation avec Claude Huriet qui était à l'époque sénateur. C'est à partir de cette date que j'ai commencé à m'intéresser à la bioéthique. Nous avons fait deux rapports, puis j'ai animé, à l'Assemblée nationale, la mission d'information préparatoire au projet de loi de révision des lois « bioéthique » de 1994. En première lecture, j'ai été le rapporteur du projet de loi « bioéthique ».

Après le changement de majorité, le projet de loi a été adopté en deuxième lecture en août 2004. Parallèlement, à la demande de l'Office, j'ai fait deux rapports sur la propriété intellectuelle et les brevets. Le premier avait trait à l'analyse de la directive européenne 98/44/CE du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques qui a été transposée en droit français. Le deuxième abordait la propriété intellectuelle dans le domaine du vivant. Nous aurons l'occasion d'y revenir cet après-midi, plus particulièrement dans la quatrième table ronde.

Cette audition d'aujourd'hui entre dans le cadre d'une nouvelle étude que le Bureau de l'Assemblée nationale a demandée à l'Office, concernant la recherche cellulaire. Nous aborderons à travers ce sujet la problématique des cellules souches et ce que l'on appelle le clonage à visée thérapeutique, scientifique, mais d'autres expressions doivent être utilisées. Si l'on pouvait aujourd'hui clarifier ces notions, ce serait une bonne chose.

Je souhaite que dans cette journée, tout puisse être dit, à la fois sur votre appréciation de la loi de 2004, sa mise en _uvre, sur les enjeux en termes de recherche, de santé, et pour faire un point assez précis sur ce sujet du clonage, la situation à l'étranger, les résultats aujourd'hui et les problèmes éthiques. Tout cela est nécessaire pour une bonne compréhension de ce sujet et pour ne pas rester dans des annonces journalistiques, parfois sensationnelles, qui cachent dans une certaine mesure la réalité.

Je voudrais excuser un des intervenants prévus qui ne pourra, à mon regret, être présent. En effet, Mme Carine Camby, directrice générale de l'Agence de la biomédecine, va quitter ses fonctions dans les jours qui viennent. Elle m'a indiqué m'a signalé qu'elle ne pouvait pas malheureusement, de ce fait, représenter l'Agence aujourd'hui. Elle devait participer à la deuxième table ronde.

Nous allons commencer.

Je voudrais avant cela remercier Mme Ketty Schwartz d'avoir accepté mon invitation et d'ouvrir nos débats. La tâche n'est pas simple. La première question que j'ai envie de lui poser est qu'elle nous explique en quoi ce qui se passe aujourd'hui, sur les cellules souches, constitue une révolution dans la recherche et comment nous abordons en France cet enjeu, ainsi que sa vision de ce qui se passe à l'étranger. Nous pouvons ainsi poser le débat, ce qui nous permettra au fur et à mesure des différentes Tables rondes d'approfondir les sujets.

Introduction : Les cellules souches dans l'évolution de la biologie

Mme Ketty Schwartz, vice-présidente du Conseil d'administration de l'Inserm, ancienne directrice de la recherche au ministère de la Recherche

Monsieur le Député, Mesdames et Messieurs, c'est un très grand honneur pour moi de tenter de répondre aux questions simples, évidentes, que vous avez posées, surtout devant un parterre aussi prestigieux de scientifiques, de politiques et de représentants de la société civile de notre pays. Je voudrais également vous dire combien nous vous sommes reconnaissants d'avoir accepté la lourde tâche de préparer un nouveau rapport concernant les recherches sur le fonctionnement des cellules vivantes. Si nous voulons faire avancer la législation de notre pays, ce rapport ne pouvait être confié à de meilleures mains que les vôtres.

La thématique d'aujourd'hui, les cellules souches, est probablement un des domaines de la biologie dont l'évolution, depuis quelques années, est parmi les plus spectaculaires. Vous avez parlé de révolution, et le terme n'est pas trop fort. Cette révolution est portée à la fois par l'expansion sans précédents de nos connaissances sur les séquences des génomes des organismes vivants depuis même pas une dizaine d'années, sur la structure et sur la fonction des gènes, sur la façon dont nous avons appris à modifier les organismes vivants, en particulier des petits modèles animaux, tels que la souris, par transfert ou remplacement de gènes, et par le développement depuis une dizaine d'années de la biologie à grande échelle et des nanotechnologies.

L'intérêt des cellules souches aujourd'hui est considérable, à la fois sur les plans cognitif, thérapeutique et économique. Dans un domaine aussi évolutif que celui-là et suscitant autant de questions éthiques, il est bon que le temps de la réflexion éthique et du débat démocratique s'harmonise avec celui de la recherche, afin que puissent être définis des mécanismes de contrôle et de décision qui soient complètement transparents, adaptés à l'évolution des acquis scientifiques et qu'ils permettent à nos chercheurs d'explorer, en toute légalité, les nouvelles voies et les nouveaux chemins qui mèneront à la connaissance.

Pour recadrer un peu le débat, que signifie et qu'entend-on sous le vocable « cellules souches » ?

Les cellules souches sont caractérisées par trois propriétés fondamentales, quelle que soit leur origine ou le stade de développement auquel on les trouve.

D'une part, ce sont des cellules indifférenciées, c'est-à-dire qu'elles n'ont aucun caractère spécifique d'un tissu, et elles ne sont pas capables d'exprimer une fonction spécifique. Ainsi, elles ne peuvent pas s'associer avec leur voisine, pomper du sang, comme le font les cellules adultes du tissu cardiaque, et elles ne peuvent pas transporter de l'oxygène dans le courant sanguin.

Ce sont des cellules capables, dans des conditions particulières, à la fois in vivo, mais également ex vivo, dans des tubes de culture, de se diviser et de proliférer à l'état indifférencié.

Enfin, ce sont des cellules qui sont capables de se différencier en cellules spécialisées, ce qui signifie que les quelque deux cents types cellulaires qui constituent notre organisme proviennent tous à l'origine de cellules souches.

Quelles sont les étapes de cette différenciation, différenciation des tissus humains et des tissus des mammifères en général ?

Au départ, il y a l'_uf, le zygote, l'_uf fécondé, qui est dit cellule totipotente, parce qu'il peut donner tous les types cellulaires. Au fur et à mesure des divisions, les spectres de différenciation des cellules filles s'amenuisent, c'est-à-dire que dans les blastocytes, d'où sont issues les lignées de cellules souches embryonnaires humaines, dans cette masse interne, les cellules sont dites pluripotentes parce qu'elles vont être à l'origine des trois grandes lignées (ectoderme, mésoderme et endoderme), qui commencent à perdre un éventail de possibilités de différenciations et qui deviennent multipotentes.

On parle ensuite de cellules précurseurs, comme celles du muscle squelettique, qui sont des cellules qui n'ont plus que deux choix de différenciation : devenir cellules du muscle squelettique rapide ou du muscle squelettique lent. Les cellules précurseurs se trouvent dans les tissus adultes. C'est ce que l'on appelle les cellules souches adultes. Depuis quelques années, l'existence de cellules souches multipotentes dans les tissus adultes a été le sujet d'un certain nombre de travaux. Il semble clair qu'il en existe aussi dans ces tissus.

Au xxe siècle, l'étude de ces cellules était incluse dans le grand champ de la biologie du développement et notre pays s'était particulièrement illustré dans ce domaine. J'en veux pour preuve la première diapositive qui nous avait été présentée à Mme Judith Melki, à M. Guy Fuhrmann et à moi-même, par M. John Gearhart qui nous exposait l'état d'avancement de ses travaux, à l'université John-Hopkins, à Baltimore lors d'une mission aux États-Unis. Cette diapositive montrait Mme Nicole Le Douarin, rendant ainsi hommage à ses travaux sur les chimères et la crête neurale.

Les thérapies issues des cellules souches, ou leurs possibilités thérapeutiques, datent de la seconde partie du XXe siècle, au travers des greffes de moelle osseuse dans les leucémies et les lymphomes où des cellules souches hématopoïétiques allogéniques ont été largement utilisées pour remplacer les cellules souches du patient. Les premières lignées de cellules souches embryonnaires qui ont été considérées comme telles, provenaient en réalité de tératocarcinomes, chez la souris et datent de 1960. La vraie première souche embryonnaire de souris date de 1981. Cela a été découvert par Evans, Kaufman et Martin, c'est-à-dire il y a vingt-cinq ans à peine.

Les premières lignées de cellules souches embryonnaires de primates non humains datent du milieu des années 1990. Mais c'est en 1998 que les premières lignées de cellules souches embryonnaires humaines ont été obtenues, soit à partir de la masse interne de blastocystes, par Thomson et collaborateurs, soit à partir de cellules germinales extraites de f_tus humains de cinq à neuf semaines.

C'est à partir de ce moment-là, parce qu'il y avait la possibilité d'obtenir des lignées de cellules souches embryonnaires humaines, que la biologie des cellules en général, quel que soit leur stade de différenciation, a été projetée sur le devant de la scène médiatique et scientifique, et qu'elle est devenue un champ à part entière de la biologie. Cela fait sept à huit ans à peine.

Les raisons de cet essor sont simples. Ce sont de nouveaux objets d'étude, extraordinaires d'une part pour comprendre les mécanismes du développement et de l'évolution, pour comprendre les mécanismes des pathologies humaines, pour soigner, et peut-être guérir. Comprendre les mécanismes du développement et de l'évolution, c'est comprendre quelles sont les signatures moléculaires et les signaux de différenciation qui conduisent au maintien d'une cellule souche à un état indifférencié, ou, au contraire, à sa différenciation. C'est finalement l'exploration de toute la façon dont notre organisme se constitue à partir d'une cellule et s'est constitué au cours de l'évolution.

Dans ce contexte, une voie extrêmement rapide de recherche a été développée au début des années 2000, avec l'apparition des outils qui permettaient d'analyser globalement l'expression des gènes. En 2002, les premières études montrant l'ensemble des produits des gènes, les transcriptomes, sont parues à partir de cellules souches embryonnaires, de cellules souches neurales ou hématopoïétiques. Elles avaient été accueillies avec un grand enthousiasme. Depuis, malgré quelques pistes, il faut reconnaître que les résultats sont relativement décevants. Il semble que ce que l'on voulait prouver, donner une signature moléculaire à un état, qui, en anglais, se dit stemness (traduit en français par « souchitude »), n'a pas été atteint. On s`attendait à trouver une signature génétique commune à toutes les cellules souches. En fait, quelques gènes ont été trouvés (oct4, nanog), mais c'est à peu près tout et il semble plus clair maintenant qu'il n'y a pas de programme génétique unique caractérisant les cellules souches.

Une autre voie de recherche suivie à l'heure actuelle, en particulier pour les cellules souches adultes est celle des interactions qui existent entre les cellules souches et leur environnement immédiat. Cet environnement immédiat a d'une certaine façon rendu hommage à la France, puisque cela s'appelle des « niches ».

Je vous présente un schéma très récent qui développe une voie de recherche montrant comment, à partir d'une cellule totipotente, la cellule se différencie petit à petit pour arriver à l'état adulte, en cellule différenciée. L'hypothèse est que, à la surface, à l'interaction entre la partie embryon et adulte, la cellule est maintenue à un état indifférencié par son interaction très forte avec la niche, autour de cette cellule. Les signaux qui sont émis et l'interaction entre la cellule et la niche conditionnent l'accessibilité des gènes à la transcription. La caractéristique commune des cellules souches serait donc d'être arrêtées dans leur progression vers un état différencié par leur environnement immédiat. On arrive peut-être à une hypothèse d'une logique moléculaire des cellules souches qui serait quantitative, ouvrant un accès à différents programmes génétiques, plutôt que qualitative, avec un programme transcriptionnel commun.

Pour étudier tout cela, ce n'est qu'un exemple, il faut pouvoir avoir accès aux lignées des différentes espèces. Une souris n'est pas un primate non humain, un primate non humain n'est pas un homme, et l'on sait déjà qu'il existe des différences majeures d'expression entre une cellule souche embryonnaire humaine et une cellule souche embryonnaire de souris.

Comprendre les mécanismes des pathologies humaines : le séquençage du génome humain a permis depuis dix ans de trouver les gènes responsables de très nombreuses de nos maladies.

Si l'on interroge la Human gene mutation database de Cardiff, qui est une des mieux documentées à l'heure actuelle, on trouve plus de quarante-sept mille mutations qui ont été décrites et publiées et qui correspondent à près de mille huit cents gènes à l'origine de maladies humaines. Il faut donc comprendre les mécanismes pathogènes de toutes ces mutations. Vous savez tous qu'il y a eu une floraison de modèles murins qui ont été créés. Ce sont des modèles génétiquement modifiés et ils ont apporté des informations tout à fait majeures sur ces maladies. Il ne fait nul doute qu'un meilleur modèle expérimental que les souris permettrait d'étudier les mécanismes avec le même fonds génétique que celui du patient. Cela peut se faire en dérivant des lignées à partir d'embryons porteurs de la mutation et non réimplantés après diagnostic préimplantatoire.

L'autorisation d'importation d'une de ces lignées porteuse de mutations de la mucoviscidose a été donnée dans notre pays le mois dernier, le 24 octobre, et l'autorisation pour deux autres lignées porteuses d'une extension dans le gène de la huntingtine, responsable de la maladie de Huntington, est en attente depuis plus d'un mois. Une autre façon de faire, pour obtenir le même fonds génétique que celui des patients, est de créer des lignées par transfert nucléaire (somatic cell nuclear transfer) ou clonage thérapeutique, qui était le terme utilisé autrefois, que je n'aimais pas, ou encore clonage scientifique, qui est également utilisé. La terminologie internationale tend plutôt vers le terme de transfert nucléaire ou transfert de noyau.

M. Alain Claeys

Je voudrais dire un mot à ce sujet. Ce terme de « transfert nucléaire » est-il pour tous les présents la bonne définition ? Même si ce n'est pas celle ressentie le plus explicitement par le plus grand public... On peut donc retenir ce terme pour la journée.

M. Claude Sureau, président honoraire de l'Académie nationale de médecine, membre du Comité consultatif national d'éthique

Le terme de « transposition » est souvent utilisé par des chercheurs étrangers, pour une simple raison pratique. Le transfert est un terme qui est également utilisé pour le transfert d'un embryon dans l'utérus maternel. Il existe donc deux acceptions du terme transfert, ce qui peut être un peu gênant.

Mme Ketty Schwartz

En effet. Le terme de transplantation cellulaire avait aussi été donné, mais on a celui de « transposition nucléaire ». Je serais d'accord a priori.

Cette voie de transposition nucléaire me paraît être très prometteuse parce qu'elle ouvre une nouvelle ère de modèles animaux qui pourraient être obtenus par transplantation de ces cellules humaines porteuses de mutation dans des souris immunodéficientes.

Pour soigner et guérir, les greffes de moelle osseuse dans les cancers se pratiquent comme vous le savez depuis le milieu du siècle dernier, avec des effets secondaires non négligeables, en particulier la foudroyante réaction de l'hôte contre le greffon. De nombreuses avancées ont été réalisées depuis, et le champ de la régénération du système hématopoïétique est aujourd'hui en plein développement.

D'autres champs émergent, en termes de médecine régénératrice. Permettez-moi de citer deux exemples. Le premier concerne l'insuffisance cardiaque, caractérisée par une destruction des cellules musculaires cardiaques. C'est un problème majeur de santé publique. Au milieu des années 90, avec Philippe Ménasché, et d'autres, nous avions exploré la possibilité d'autogreffe dans le tissu cardiaque de cellules précurseurs du muscle squelettique. Ceci a conduit, en 2000, au premier essai de phase 1, premier essai mondial dans le domaine de la thérapie régénératrice de l'insuffisance cardiaque. Depuis deux ans, on a mis sur pied un essai mondial en double aveugle de phase 2. Philippe Ménasché l'évoquera sans doute tout à l'heure dans une des tables rondes.

Transplanter des cellules précurseurs squelettiques dans un muscle cardiaque, ce n'est probablement pas la voie idéale, mais elle a largement ouvert dans le monde la voie à la thérapie régénératrice du tissu cardiaque. L'autre exemple que je voudrais citer est celui d'une maladie rare neurodégénérative, qui est la maladie lysosomale, dite maladie de Batten. Elle est due à des mutations de gènes, qui codent des enzymes, des thioestera ou des peptidases.

Le 20 octobre 2005, aux États-Unis, la société StemCells a obtenu l'accord de la FDA, pour commencer un essai de phase 1 à la fois de sécurité et de première efficacité, qui utilise des cellules souches humaines neuronales f_tales. La démarche suivie par cette petite société est tout à fait exemplaire. Elle a bénéficié des transferts de savoir-faire de scientifiques prestigieux dans le domaine de la différenciation et de la biologie du développement. Les scientifiques ici reconnaîtront les noms d'Irving Weissman, de Fred Gage ou de David Anderson. Le premier objectif de cette société a été d'établir la faisabilité de cette thérapie régénératrice à partir de cellules f_tales. Ils ont choisi la maladie de Batten comme maladie modèle. Ils ont mené des tests in vivo, sur des modèles murins de la pathologie et ils ont mis au point un procédé pour purifier à un très haut degré ces cellules neuronales f_tales. Ils ont montré qu'elles repeuplaient le tissu cible. Cette repopulation est faible, inférieure à 10 %, mais elle est suffisante pour produire une amélioration fonctionnelle. Il est clair que la possibilité d'une réaction immunologique contre des cellules neuronales allogéniques est relativement faible, probablement à court terme, sans doute à cause du confinement particulier du système nerveux. Ils n'ont observé aucun tératome sur plus de trois mille animaux qui ont été traités pendant des périodes allant jusqu'à plus de soixante semaines.

La validation de cette approche les conduira ensuite à la développer dans des maladies neurodégénératives plus fréquentes, comme la maladie de Parkinson, d'Alzheimer, les traumatismes médullaires, ou la sclérose en plaques. En termes de mise au point de thérapie et d'acquis concernant la possibilité d'utilisation de ces cellules souches c'est une étape très importante qui a été franchie par les autorités régulatrices aux États-Unis voici moins d'un mois.

Soigner et guérir, c'est aussi la mise au point de tests qui permettent de cribler à haut débit des chimiothèques, qu'elles soient privées ou publiques. C'est la possibilité de mettre au point des tests qui permettent d'évaluer la toxicité potentielle des chefs de file ou des drogues qui ont été sélectionnés, sans avoir, ou en complément, des modèles animaux.

Soigner et guérir, c'est aussi trouver de nouvelles classes de médicaments qui agiraient sur de nouvelles cibles qui auraient été mises en évidence au travers de la recherche fondamentale portant sur les voies de différenciation de ces cellules souches.

Soigner et guérir, dans un monde idéal, c'est aussi pouvoir régénérer les tissus détruits avec des cellules dont le génome nucléaire serait identique à celui du patient. Pour tout cela, les possibilités de recherche ouvertes par l'utilisation de lignées cellulaires obtenues après transposition nucléaire paraissent extrêmement prometteuses.

Comme vous le souhaitiez, Alain Claeys, je vais terminer cette brève introduction en essayant de situer notre législation aujourd'hui sur les cellules souches humaines, dans le contexte européen et international.

Je vous présente deux diapositives qui sont très récentes (novembre 2005), qui m'ont été confiées par la Commission européenne.

On peut observer les pays qui ont la législation la plus restrictive par rapport à ceux qui ont la législation la plus permissive. Aucune recherche n'est autorisée en Autriche, en Pologne et en Lituanie. En Allemagne et en Italie, on ne peut pas créer de nouvelles lignées, mais on peut importer des lignées préparées ailleurs. La douzième autorisation d'importation et de recherche a été accordée en Allemagne il y a à peine un mois à l'Institut Robert-Koch. Ces lignées doivent correspondre aux lignées américaines, sauf pour l'Allemagne, où elles correspondent à la mise en _uvre de la loi de 2002. Dans les autres pays (Finlande, Danemark, France, Estonie, Hongrie, Tchécoslovaquie, Slovénie, Espagne), l'importation et la dérivation de nouvelles lignées à partir d'embryons surnuméraires sont autorisées.

Je tiens cependant à souligner que chez nous, il ne s'agit pas d'une autorisation, mais d'une interdiction, sous réserve dérogatoire, et uniquement pour une durée de cinq ans. D'une certaine façon, je trouve donc qu'ils sont très « gentils » de nous avoir situés dans ce peloton. Par ailleurs, en ce qui concerne l'autorisation de dérivation de nouvelles lignées à partir d'embryons surnuméraires, les décrets d'application ne sont pas parus, et ce n'est donc toujours pas autorisé. Nous devrions être situés beaucoup plus à droite dans le graphique.

Permettez-moi de signaler le cas de la Suisse, qui est tout à fait particulier et intéressant, car c'est le seul pays au monde aujourd'hui où il a été demandé aux citoyens par référendum si la recherche sur les cellules souches embryonnaires pouvait être autorisée, et 66 % des votants ont répondu affirmativement il y a quelques mois. En Australie, au Brésil, au Canada, au Japon, à Taiwan, c'est la même situation que les pays situés au-dessus. Enfin, en Belgique, en Suède, en Grande-Bretagne, en Israël, aux États-Unis sur des fonds non fédéraux, en Chine, en Inde, à Singapour, en Corée du Sud, la transposition nucléaire est autorisée.

Une analyse globale de toutes ces données montre que les pays qui ont soit une politique permissive, qui autorise la transposition nucléaire, soit plus flexible, qui autorise la création de nouvelles lignées de cellules souches à partir d'embryons surnuméraires, constituent aujourd'hui plus de la moitié de la population mondiale. Étant donné la situation aujourd'hui en France, en novembre 2005, nous ne sommes pas tout à fait aujourd'hui dans cette moitié.

J'espère très vivement et profondément, et je me permets de m'adresser aux décideurs présents, et à Alain Claeys en particulier, que la législation de notre pays va évoluer très vite, et que non seulement les décrets autorisant la création de nouvelles lignées à partir d'embryons surnuméraires vont enfin être promulgués, mais qu'il y aura une révision de la loi de bioéthique, même si la proposition de loi de Roger-Gérard Schwartzenberg, n'a pas été pour le moment retenue. J'ai été l'une des dix signataires de la pétition, afin de demander à la fois la levée de l'interdiction et de transformer cette levée d'interdiction en autorisation, avec bien évidemment un encadrement strict, et avec une autorisation des transpositions nucléaires. Il faut que cela soit encadré de façon stricte.

Je me permets d'ajouter que la recherche aujourd'hui, dans tous les pays, sur les lignées de cellules souches embryonnaires humaines, est la plus encadrée en termes législatifs. Même dans les pays où la transposition est autorisée, il faut près de quinze cachets avant de pouvoir autoriser et effectuer une telle recherche. L'Académie nationale américaine a promulgué, il y a quelques mois, en avril 2005, des cell guidelines qui sont très complètes et qui peuvent servir de cadre en tant que guides pour autoriser et encadrer ces recherches.

M. Alain Claeys

Merci beaucoup, Ketty Schwartz, de votre exposé, à travers lequel vous avez répondu à un certain nombre de questions.

Je voudrais apporter une précision. Les décrets de la loi d'août 2004 ne sont pas de la compétence du Parlement. C'est l'exécutif qui doit prendre ce décret. J'avais attiré, à l'époque, l'attention du ministre Philippe Douste-Blazy. J'ai l'impression qu'un certain nombre de décrets, les principaux, prennent du retard, et l'on fonctionne actuellement uniquement « par dérogation » en quelque sorte.

Mme Ketty Schwartz

Si vous me permettez, on fonctionne par dérogation, puisque la loi indique l'interdiction, sauf dérogation, et pour une durée seulement de cinq ans en ce qui concerne l'importation de lignées. Mais la création de nouvelles lignées à partir d'embryons surnuméraires est pour le moment suspendue à la promulgation de ces décrets d'application. Nous ne sommes donc même pas dans ce contexte. Les scientifiques, médecins et chercheurs français ne peuvent travailler qu'avec des lignées provenant de l'étranger. Ils dépendent donc très lourdement aujourd'hui des apports venant de l'étranger. C'est, je crois, extrêmement important.

M. Alain Claeys

Nous allons y revenir, y compris sur la rédaction de la loi, telle qu'elle nous est revenue de nos collègues sénateurs. J'aurai des questions assez précises au cours de la journée pour voir quel est le mode opérationnel. N'est-ce pas une contrainte supplémentaire pour des autorisations éventuelles ?

Cet exposé était utile, pour nous, parlementaires, afin de faire un point, notamment de vocabulaire, ce qui n'est pas inutile dans notre société de communication, mais aussi pour bien distinguer aujourd'hui ce qui est de la recherche fondamentale de ce que sont les premières applications. En tant que responsables politiques, nous devons avoir cette honnêteté intellectuelle et cette rigueur pour parler à bon escient

Nous allons passer à la première table ronde. Je voudrais vous présenter Mme Anne Fagot-Largeault, philosophe et médecin, professeur au Collège de France et membre de l'Académie des sciences. A côté de vous, Jean-Claude Ameisen, professeur des universités, praticien hospitalier, président du Comité d'éthique de l'Inserm.

Table ronde n° 1 : Les caractéristiques des cellules souches

Mme Anne Fagot-Largeault, philosophe et médecin, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences

Vous m'avez demandé, Monsieur le Député, de faire un survol historique et philosophique de la question.

M. Alain Claeys

Je pense qu'il n'est pas inutile, en ce début de journée, d'avoir aussi cette vision.

Mme Anne Fagot-Largeault

Je voulais dire pour commencer que je partage complètement la position de Mme Schwarz en ce qui concerne la réforme de la loi. Il conviendrait d'envisager au minimum la dépénalisation et, au mieux, l'autorisation et l'encadrement du clonage à visée thérapeutique, comme on l'appelle couramment. Je ne vais pas poser cette question, mais faire un certain nombre de considérations historiques afin de remettre en perspective le problème. Je ferai cela en cinq points.

1) On a observé pour la première fois à la loupe, au microscope composé, que la matière vivante avait une structure alvéolaire ou cellulaire au xviie siècle. A partir de 1830, quand le microscope a fait un progrès décisif, avec des microscopes achromatiques, les noyaux de cellule ont apparu aux yeux des observateurs. Cela a été l'occasion de la formulation du début de ce que l'on appelle la théorie cellulaire par Schleiden et Schwann (1838-1839). Cette première formulation dit : « Tous les organismes vivants sont constitués de cellules. » Vingt ans plus tard, Virchow a complété la théorie cellulaire en posant que toute cellule naît d'une cellule. C'est donc seulement au xixe siècle que l'on a pris conscience que les êtres vivants sont tous formés de cellules.

Dans la seconde partie du xixe siècle, en 1868, Haeckel divise les vivants en monocellulaires et pluricellulaires et il conjecture que les êtres pluricellulaires dérivent des monocellulaires. Un peu plus tard, en 1875, pour la première fois, Hertwig observe au microscope la fécondation d'un _uf d'oursin, c'est-à-dire la pénétration du spermatozoïde dans l'ovule et la conjugaison des noyaux. C'est seulement depuis cette période, la fin du xixe siècle, que l'on sait ce qu'est la fécondation et que l'on a élucidé son mystère.

2) On sait donc depuis à peine plus d'un siècle que tous les organismes vivants proviennent d'une seule cellule. En ce qui concerne les pluricellulaires que nous sommes, c'est le zygote, c'est-à-dire l'ovule fécondé par le spermatozoïde. On a appris depuis un peu plus d'un siècle, les stades de la division progressive de cette cellule initiale, qui se partage en deux, en quatre, en huit, en seize, etc., qui passe par des états de différenciation successive, jusqu'à donner, comme l'a signalé Mme Schwarz, environ deux cents types différents de cellules qui constituent notre organisme.

Les stades de la différenciation ont reçu des noms. On a dit que la première cellule est totipotente, elle peut faire toutes les cellules. Ensuite, on passe par des stades de pluripotence, de multipotence, et les dernières cellules qui vont donner des cellules complètement spécialisées sont appelées progénitrices.

Le propre des cellules souches est qu'elles peuvent à la fois se diviser pour redonner des cellules souches, c'est-à-dire se multiplier à l'identique, et qu'elles peuvent en même temps se diviser pour donner des cellules plus spécialisées qu'elles.

Au cours du xxe siècle, l'étude des cellules souches a ébranlé un dogme qui figure à peu près dans tous les manuels de biologie du xxe siècle, à savoir que la différenciation d'une cellule normale n'est pas réversible. En fait, les cellules souches peuvent semble-t-il présenter des phénomènes de transdifférenciation. Au laboratoire, il a été montré que des cellules hématopoïétiques de souris, qui normalement donnent naissance aux cellules sanguines, peuvent sous certaines conditions donner des cellules de foie, de muscle ou de poumon. Il a été montré également que des cellules souches neurales cultivées avec des cellules endothéliales formant la paroi des vaisseaux peuvent changer leur destin et devenir des cellules endothéliales. Le cours de la différenciation n'est donc pas entièrement déterminé, semble-t-il. C'est ce que l'on a appelé la plasticité des cellules souches, mais cette plasticité est aujourd'hui controversée et en partie mal connue.

3) On sait donc depuis le début du xxe siècle qu'il existe dans nos organismes des cellules souches qui sont les précurseurs de cellules différenciées. Ces cellules souches sont la source de la régénération permanente de notre organisme. On peut prendre l'exemple des cellules du sang. Chaque jour, 1 % de nos globules rouges, 10 % de nos plaquettes et 100 % de nos globules blancs sont éliminés de la circulation, détruits, et remplacés par des cellules formées dans la moelle osseuse à partir de précurseurs issus de la différenciation des cellules souches hématopoïétiques. Il en est de même pour les cellules musculaires, intestinales, cutanées, et même la plupart des cellules du système nerveux central. Elles sont sans cesse détruites et remplacées par des cellules neuves, dérivées des cellules souches que nous avons en réserve. Ce turn-over cellulaire est l'un des aspects d'un phénomène connu depuis très longtemps, appelé « circulus vital », « tourbillon vital » ou métabolisme.

On peut dire que nos cellules souches sont la concrétisation du potentiel biologique que nous avons de nous individuer constamment tout en assurant la continuité de notre être. Il est connu aujourd'hui que, chez l'adulte, les cellules souches conservent et transmettent un potentiel que l'on peut qualifier d'embryonnaire, car la greffe du noyau d'une cellule souche dans un ovocyte peut donner un embryon susceptible de se développer comme un clone de l'organisme donneur du noyau. Si l'on connaît l'existence des cellules souches et si l'on a appris à analyser leurs propriétés dans le courant du xxe siècle, c'est seulement à la fin de ce siècle que l'on a appris à cultiver des lignées de cellules souches embryonnaires, d'abord de souris, depuis les années 1980, puis de cellules souches humaines, depuis la fin des années 1990. On s'est également exercé à contrôler leur différenciation et c'est alors qu'on a entrevu les perspectives thérapeutiques qu'elles offrent et qui mènent à la médecine dite régénératrice.

4) Les propriétés régénératrices des êtres vivants sont connues depuis longtemps. Au xviiie siècle, Réaumur étudiait la régénération des pattes chez l'écrevisse, Spallanzani a montré que l'escargot régénère même sa tête et Tremblay a découvert que les polypes d'eau douce se laissent bouturer comme des plantes, à savoir qu'un morceau de polype redonne un polype entier. Au xixe siècle, Claude Bernard, puis Paul Bert, ont anticipé la possibilité de mettre des tissus en culture et les techniques de la culture des tissus ont été mises au point vers 1910.

L'ingéniosité extraordinaire des chercheurs, dans toute la première partie du xxe siècle, s'est exercée sur les végétaux, les animaux et sur l'homme, pour cultiver les tissus et greffer des tissus cultivés. Au milieu du xxe siècle, la vogue était aux greffes de tissus embryonnaires car on avait observé que les tissus des embryons sont moins souvent rejetés que les tissus adultes. On cite un certain nombre de cas, par exemple de greffes de thyroïde chez la souris, ou du tissu thyroïdien chez les souris ou des rats. Sur des êtres humains ces greffes étaient réalisées avec prélèvement de tissu thyroïdien sur des enfants mort-nés et la transplantation sur ceux que l'on appelait des crétins myx_démateux, c'est-à-dire des enfants nés sans thyroïde.

Les greffes de cellules souches ou de cellules dérivées de cellules souches embryonnaires présentent des avantages évidents par rapport à ces tentatives de greffes de tissus prélevés sur des vivants ou des morts. Les cultures de cellules permettent la conservation des cellules dans des banques. Ainsi, on n'est pas obligés de prélever sur un mort, ou, au moment où l'on a besoin de la greffe, de prélever sur un vivant. Par ailleurs, les propriétés des cellules souches embryonnaires, la capacité d'être dérivées et orientées, différenciées vers toutes les cellules de l'organisme, permettent d'avoir à disposition des greffes de tous les tissus possibles. L'inconvénient a été signalé par Mme Schwarz : les greffes de cellules dérivées de cellules souches embryonnaires sont sujettes aux rejets de greffe même si les rejets sont moins violents que dans le cas de greffes de tissus adultes.

5) Intervient alors la technique du transfert de noyau. Celle-ci permettrait des greffes qui ne seraient pas rejetées par l'organisme, à l'aide de cellules compatibles avec l'organisme. Il convient de remarquer que le clonage a été condamné sévèrement avant que l'on sache s'il était possible. Dans les années 1980 déjà, le Conseil de l'Europe a émis plusieurs mises en garde et interdictions au moins verbales à l'égard du clonage chez l'homme. Comme on l'a dit, la technique du clonage consiste à remplacer le noyau d'un ovocyte qui est à N chromosomes par celui d'une cellule somatique, à 2N chromosomes, qui peut être une banale cellule du corps. On constate que le noyau ainsi transféré est reprogrammé. Il retrouve ses potentialités embryonnaires. J'ai signalé précédemment que l'on peut considérer que toutes nos cellules ont d'une certaine manière une potentialité embryonnaire car elles ont toutes le même génome.

La technique du transfert ou de la transposition du noyau est en soi moralement neutre. Tout dépend de ce que l'on en fait. Le clonage à visée reproductive prend pour objectif de faire par cette technique un enfant, dont le génome soit identique à celui du donneur du noyau transféré. Un clone de son père, si l'on peut dire. En revanche, le clonage à visée thérapeutique cherche à obtenir par cette technique une lignée cellulaire qui puisse fournir un greffon destiné à soigner le donneur du noyau, par exemple des cellules pancréatiques qui fabriquent de l'insuline, destinées à soigner un malade souffrant de diabète insulinodépendant. Si l'on a utilisé un noyau provenant de son propre corps, la greffe sera immunocompatible avec lui. L'avantage de ce type de greffe est donc l'immunocompatibilité.

Le caractère très récent de la technique et de ses succès fait qu'elle est encore mal évaluée, peu évaluée ou pas évaluée du tout. Il faut réaliser que la brebis Dolly est née il y a moins de dix ans. L'embryon avait été obtenu par transfert d'un noyau de cellules du pis de la brebis dans un ovocyte de brebis. C'était le premier succès de clonage reproductif, qui a ensuite réussi dans d'autres espèces. On a cru observer chez les animaux résultant de clonages des malformations ou des difficultés de développement. J'ai récemment parlé avec Jean-Paul Renard qui a une grande habitude des clonages de ces difficultés de développement. Il m'a signalé que les clones qui survivent aux difficultés de la gestation ont une vie tout à fait normale, vivent très bien et se reproduisent normalement. Un certain nombre de craintes concernant la viabilité des clones est aujourd'hui surmonté semble-t-il. Mais l'événement important, qui est en partie à l'origine de notre réunion d'aujourd'hui, c'est qu'au début de l'année 2004, puis en 2005, une équipe coréenne a publié des résultats tout à fait convaincants, éblouissants, dans le domaine du clonage humain.

M. Alain Claeys

Je me permets d'intervenir sur ce point précis. Tous les présents sont-ils d'accord sur la pertinence scientifique et le fait incontestable des résultats de cette équipe coréenne, ou y a-t-il débat dans la communauté scientifique ?

Mme Anne Fagot-Largeault

C'est un résultat inachevé. L'équipe de M. Hwang a précisé qu'elle ne vise pas le clonage reproductif mais qu'elle se place dans des conditions où la reproduction par cette méthode est exclue.

M. Alain Claeys

Quelles sont ces conditions ?

Mme Anne Fagot-Largeault

Cela signifie qu'ils ne réimplantent pas dans un utérus. Ce qu'ils ont visé, et réussi, a été de prélever des cellules de la peau chez trois types de malades, des malades atteints d'une interruption de la moelle épinière, de diabète insulinodépendant et d'une maladie congénitale de l'immunité. Ils ont transféré le noyau de ces cellules de la peau de malades dans des ovocytes préalablement énucléés. A partir de ces ovocytes, où le noyau du malade avait été transféré, ils ont réussi à dériver des lignées cellulaires dans les trois directions qui correspondent aux trois couches de la différenciation de l'embryon, au début du développement. L'expérience s'arrête là. Ils ont montré la possibilité d'obtenir des cellules qui commencent à se différencier dans la direction qu'ils souhaitent pour obtenir éventuellement des cellules que l'on puisse greffer, à titre thérapeutique, chez le malade qui était le donneur du noyau.

Cela a suscité un grand enthousiasme et de grands espoirs, en particulier chez les associations de malades. Nous en sommes là. La preuve que cela peut être une véritable thérapeutique n'est pas donnée, mais on sait qu'en Grande-Bretagne par exemple, au moins une équipe travaille déjà activement sur la même ligne, à obtenir des cellules pancréatiques qui fabriquent de l'insuline pour le traitement du diabète insulinodépendant. On en est au stade de l'espoir qui, d'après les résultats cohérents, paraît sérieux.

M. Alain Claeys

Merci, madame. Je voudrais poser une question. D'un point de vue éthique, la recherche sur les cellules souches nécessite-t-elle des précautions particulières selon vous ? Au niveau international, devrait-on adopter une législation, et quelle est la grille de lecture qui pourrait guider le législateur pour avoir toutes les garanties ?

Mme Anne Fagot-Largeault

J'ai été déconcertée par le fait que la loi française autorise, même sous conditions, avec vérification sérieuse des conditions dans lesquelles cela se fait, l'utilisation de cellules souches embryonnaires qui résultent d'un projet parental, et qui ont été prélevées sur des embryons conservés au congélateur, initialement pour faire un bébé. La loi française autorise l'engagement de la recherche sur cette voie et elle pénalise lourdement la recherche sur des cellules qui sont comparables à celles-là, mais qui sont fabriquées en laboratoire par transfert de noyau.

Il me semble qu'a priori, on doit plus d'égards à des cellules qui sont le résultat d'un projet parental, qui initialement n'étaient donc pas faites pour la recherche. La loi le prévoit, puisque l'on demande le consentement du couple. On doit plus de respect à ces cellules qu'à des cellules qui ne sont pas faites pour faire des bébés, qui sont fabriquées artificiellement en laboratoire.

M. Alain Claeys

Vous voulez dire que dans le cadre de la loi française, sur ce qui a été décidé, à partir d'embryons surnuméraires, l'encadrement ou les précautions ne sont pas suffisantes ?

Mme Anne Fagot-Largeault

Je pense que l'encadrement est très strict et qu'il est suffisant, mais que l'on a raison d'imposer des égards, en particulier l'autorisation du couple donneur de l'embryon. Mais il me paraît tout à fait paradoxal que la loi considère qu'il est acceptable de faire cela et que c'est un délit de fabriquer des embryons artificiellement par transfert de noyau. On n'a pas de respect particulier pour l'ovocyte perdu par chaque femme tous les mois. Le noyau de peau, dont on extrait le noyau, on ne le respecte pas non plus. Nous perdons tous les jours des cellules de notre peau.

M. Alain Claeys

Pour être très court, le paradoxe est de dire que l'on autorise la recherche sur embryons à partir d'embryons surnuméraires, et concernant la transposition nucléaire, on la refuse, alors qu'elle pose moins de problèmes éthiques. On aura l'occasion de revenir sur ce problème de don d'ovocyte, sur lequel il convient de réfléchir.

Mme Ketty Schwarz

Je partage tout à fait cette vision concernant le déséquilibre qui existe entre l'autorisation et la pénalisation en France. Je rappelle que nous n'avons pas encore l'autorisation de dériver ces lignées.

Mme Anne Fagot-Largeault

On peut maintenant dériver les ovocytes de cellules souches embryonnaires.

M. Alain Claeys

Nous allons revenir sur ce sujet tout au long de la journée. Merci beaucoup, madame. Je vais tout de suite donner la parole à Jean-Claude Ameisen.

M. Jean-Claude Ameisen, professeur des universités, praticien hospitalier, président du Comité d'éthique de l'Inserm, membre du Comité consultatif national d'éthique

Mes travaux de recherche ne concernent pas directement les cellules souches. Mais ils concernent les mécanismes de renouvellement cellulaire, car ils ont pour objet l'étude de la mort cellulaire, et plus précisément, les phénomènes d'autodestruction cellulaire, une forme de différenciation terminale qu'on appelle mort cellulaire programmée, ou apoptose.

Depuis une quinzaine d'années, on a découvert que ces processus d'autodestruction cellulaire jouent un rôle essentiel, non seulement dans le développement de l'embryon, mais aussi après la naissance, chez l'enfant et l'adulte, dans les phénomènes de déconstruction et de reconstruction permanentes de nos corps, ainsi que de développement de nombreuse maladie.

La révolution qu'a connue la recherche dans le domaine des cellules souches a accompagné, comme une image en miroir, la révolution qu'a connue la recherche dans le domaine de l'autodestruction cellulaire. Mais il ne s'agit pas seulement de concomitance. Il existe aussi un lien étroit entre ces deux processus, car une cellule capable de se renouveler est, par définition, une cellule capable de réprimer le déclenchement de son autodestruction. La capacité à empêcher ou à retarder l'autodestruction joue donc sans doute un rôle important dans la capacité d'une cellule à devenir et à demeurer une cellule souche.

Ketty Schwarz soulignait que les recherches sur les cellules souches permettaient de poser un certain nombre de questions fondamentales concernant les mécanismes du développement embryonnaire, et, plus généralement, l'évolution du vivant. Qu'est-ce qu'une cellule souche ? Les cellules qui constituent les organismes unicellulaires, que ce soient les levures, apparues il y environ un milliard d'années, ou les bactéries, apparues il y a trois à quatre milliards d'années, sont en fait toutes des cellules souches. Elles sont capables de se renouveler et de se différencier, non pas en deux cents familles cellulaires, comme les cellules souches embryonnaires, mais en au moins trois ou quatre familles de cellules. Ces phénomènes de différenciation sont souvent réversibles, c'est-à-dire que la cellule peut repasser d'un état différencié à un état de cellule souche, sauf, bien entendu, quand cette différenciation prend la forme irréversible de l'autodestruction. L'émergence des organismes multicellulaires, il y a environ un milliard d'années, semble donc s'être accompagnée d'une restriction progressive des capacités de renouvellement et de différenciation des cellules à mesure qu'elles construisent la complexité d'un corps. Mais on retrouve, dans nos cellules souches, au début du développement embryonnaire, certaines des propriétés ancestrales des premières cellules qui nous ont, il y a longtemps, donné naissance.

Une question qui me paraît importante concerne la notion répandue d'« auto » renouvellement et d' « immortalité » potentielle des cellules souches. Une idée longtemps prédominante en biologie a été que les organismes unicellulaires, les cellules souches ancestrales, se divisent à l'identique, de manière symétrique, et s'autorenouvellent sans vieillir, en étant donc dotées d'une éternelle jeunesse. Depuis quelques années, des travaux réalisés chez la levure et certaines espèces bactériennes, ont montré qu'il s'agissait d'une illusion. La pérennité d'une colonie de levures n'est pas due à une éternelle jeunesse des cellules qui la composent, mais aux enfantements successifs de cellules éphémères. Chaque cellule-mère se divise de manière asymétrique, produisant une dizaine à une vingtaine de cellules filles, qui naissent avec un potentiel de fécondité et de jeunesse identique à celui qu'avait originellement leur cellule mère. Mais chaque cellule-mère, au fur et à mesure qu'elle « fait des petits », vieillit, devient stérile et disparaît.

Qu'en est-il des cellules souches de notre corps ? De nombreux travaux suggèrent qu'elles se divisent de manière asymétrique, produisant une cellule ayant les mêmes potentialités que la cellule mère, et une autre cellule qui va s'engager dans un processus de différentiation. Alors qu'on tente de comprendre et de manipuler les cellules souches embryonnaires et adultes, je pense qu'il est important de se demander si ces notions de renouvellement, de plasticité, et de jeunesse ne devraient pas être pensées et explorées en termes de populations cellulaires, de générations successives de cellules éphémères qui naissent, enfantent, vieillissent, deviennent stériles et meurent. Il est possible que l'illusion d'une division à l'identique, d'un « auto » renouvellement, ne soit due le plus souvent qu'à notre incapacité à distinguer les phénomènes discrets, mais cruciaux, de brisure de symétrie qui permettent de donner naissance à ce phénomène encore mystérieux d'un point de vue moléculaire, auquel nous donnons le nom de jeunesse.

La deuxième question importante à laquelle Ketty Schwarz et Anne Fagot-Largeault ont fait allusion concerne le rôle de plus en plus grand accordé à l'épigénétique dans la biologie.

M. Alain Claeys

Pouvez-vous développer sur ce sujet, par rapport à ce nouveau concept qui rentre dans la biologie ?

M. Jean-Claude Ameisen

Il s'agit des relations entre les gènes et leur environnement. Une dimension essentielle de la complexité du vivant est due au fait que les cellules et les corps peuvent utiliser leurs gènes de manières très différentes, et que, à génome identique, différentes potentialités vont s'ouvrir dans différents environnements. Toutes les cellules de notre corps, à quelques rares exceptions près, possèdent tout au long de notre existence exactement les mêmes gènes. Leur capacité à devenir et à demeurer des cellules souches, ou à se transformer dans l'une deux cents familles de cellules différenciées de notre corps, est due au fait que chaque cellule n'utilise pas ses gènes de la même manière. Les interactions, pour partie aléatoires, que chaque cellule établira avec ses voisines vont entraîner des modifications plus ou moins réversibles de l'accessibilité de certains de leurs gènes, et donc des modalités différentes d'utilisation de ces gènes. En d'autres termes, l'environnement externe de la cellule influera sur l'élaboration de son environnement interne, qui lui-même influera à son tour sur les possibilités qu'a la cellule avec son environnement externe. On distingue là toute l'ambiguïté de la notion répandue de « programme génétique ». Les gènes ne déterminent pas l'avenir : ils donnent aux cellules un certain nombre de contraintes et de potentialités - un champ des possibles - dont l'actualisation dépendra de l'histoire particulière des interactions de la cellule avec son environnement.

On sait depuis longtemps que deux cellules _uf d'abeille, génétiquement identiques, peuvent, en fonction de l'environnement extérieur dans lequel elle sont plongées, donner naissance soit à une ouvrière, qui sera stérile et vivra deux mois, ou à une reine, qui sera féconde et vivra dix ans. Cette notion d'épigénétique est ancienne. Mais son importance, et son caractère universel n'ont commencé à être réellement envisagés que depuis une quinzaine d'années.

Jusqu'à quel point les phénomènes de différenciation, qui résultent des modifications d'accessibilité des gènes à l'intérieur des cellules, sont-ils réversibles ? Chez les plantes, contrairement aux animaux, des cellules souches somatiques peuvent spontanément se retransformer, dans certains environnements, en cellules souches embryonnaires, et donner ainsi naissance à un embryon sans passer par des cellules germinales ni par la fécondation. La même transformation est-elle possible, spontanément ou artificiellement, pour des cellules animales et humaines ? Cette question fait actuellement l'objet à la fois de travaux et de controverses.

Vous savez sans doute qu'il y a quelques mois, des travaux publiés dans la prestigieuse revue Cell, mais non encore confirmés par d'autres équipes, ont suggéré que des cellules souches de la moelle osseuse pourraient spontanément se transformer en ovocytes lorsqu'elles migrent dans l'ovaire, sans que l'on sache s'il s'agit de vrais ovocytes, ou de cellules qui ressemblent à des ovocytes mais qui seraient incapables d'être fécondées et de donner naissance à un embryon.

Quelles sont les frontières de la plasticité cellulaire ? Qu'est-ce qui détermine l'accessibilité, ou l'inaccessibilité, de certains gènes ? C'est, par exemple, l'activité de certaines enzymes cellulaires qui modifient l'ADN, par un mécanisme que l'on appelle la méthylation, ou qui modifient la structure des protéines qui entourent l'ADN, par un mécanisme que l'on appelle l'acétylation. On ne sait pas actuellement quelles sont les modifications dans la composition ou la structure moléculaire du corps cellulaire - le cytoplasme - qui permettent à un ovocyte fécondé de donner naissance à des cellules souches embryonnaires, alors qu'une cellule de la peau, possédant les mêmes gènes, en est incapable. L'illustration la plus spectaculaire de cet effet de l'environnement sur les gènes a été apportée par le transfert de noyau : le noyau d'une cellule de peau transplanté dans un cytoplasme d'ovocyte va permettre une utilisation des gènes qui pourra aboutir à la formation d'un embryon.

L'importance de l'environnement est illustrée, à un autre niveau, par la notion de « niche », qu'a évoqué par Ketty Schwarz. Une cellule souche embryonnaire pluripotente d'un blastocyte va, dans l'environnement de ce blastocyte, spontanément et progressivement perdre ses potentialités de pluripotence. Si cette cellule est isolée et cultivée in vitro de manière appropriée, elle va les conserver. Si l'on injecte cette cellule dans un autre blastocyte, elle va participer au développement de l'embryon. Mais si on l'injecte dans un autre environnement, dans une autre « niche », par exemple sous la peau d'une souris immunodéficiente adulte, elle peut entraîner une forme de tumeur.

La même cellule souche embryonnaire, en fonction de l'environnement, de la niche écologique dans laquelle elle est plongée, va donc utiliser ses gènes de manières différentes. Cette notion de niche est cruciale. Elle pose, comme dans beaucoup d'autres domaines de la biologie, la question des liens entre l'intérieur et l `extérieur, entre les gènes et les cellules, entre les cellules et d'autres cellules... La cellule souche participe à la formation et au maintien de sa niche, et la niche participe a la formation et au maintien de la cellule souche. Ces effets de causalité rétroactifs, cette idée apparemment très moderne de causalité en spirale, correspondent, en fait, à ce qu'évoquait Pascal lorsqu'il parlait de « choses à la fois causantes et causées »

La notion d'environnement peut se décliner de nombreuses manières. Un premier niveau d'environnement, pour les gènes, est constitué par l'ADN qui les entoure. Les 98 % de notre ADN qui ne sont pas des gènes, c'est-à-dire qui ne permettent pas la fabrication de protéines, ont reçu le nom d'ADN « poubelle ». Depuis trois ou quatre ans, il a été découvert qu'une partie importante de cet l'ADN « poubelle » permet la fabrication de petits ARN qui régulent l'expression de certains gènes, et qui semblent jouer un rôle important dans le maintien et la transformation des potentialités des cellules souches. Il y a donc l'apparition d'un autre niveau de régulation, qui jusqu'alors était inconnu.

En ce qui concerne les implications médicales des recherches sur les cellules souches, elles concernent probablement la plupart - si ce n'est la totalité - des domaines de la santé et des maladies. Leurs applications thérapeutiques potentielles sont aujourd'hui imprévisibles, mais pourraient dépasser de très loin les des approches de médecine régénératrice au sens strict du terme, fondées sur l'idée d'injecter aux malades des cellules souches pour remplacer des cellules disparues. Par exemple, les maladies neurodégénératives pourraient ne pas être uniquement des maladies liées à la mort excessive des neurones, mais aussi des maladies du renouvellement, liées à la mort de cellules souches neuronales et à l'altération des niches qui sont indispensables à leur survie. Serait-il possible, un jour, de reconstituer ces niches et de permettre ainsi l'émergence et le renouvellement de ces cellules souches ? De manière apparemment paradoxale, les recherches sur les cellules souches conduiront peut-être un jour à des découvertes permettant des approches de médecine régénératrice qui ne nécessiteront pas le recours à des cellules souches embryonnaires pour remplacer les cellules disparues.

Un autre point qui me paraît essentiel concerne les cancers. Les cancers apparaissent de plus en plus comme des maladies des cellules souches. Premièrement, les cancers émergent à partir de cellules souches normales du corps : plus le potentiel de survie et de renouvellement d'une population de cellules souches normales est important et plus est grande la probabilité que la survenue de certaines anomalies génétiques dans ces cellules fasse apparaître un cancer. Deuxièmement, des travaux très récents suggèrent que la plupart des cellules cancéreuses, comme la plupart des cellules normales du corps, n'auraient qu'une très faible capacité de renouvellement : les capacités de renouvellement, de propagation et de résistance aux traitements des cancers seraient dues à la présence de cellules souches cancéreuses. La compréhension des mécanismes qui régulent la survie et le renouvellement des cellules souches normales et anormales a donc des implications importantes pour la compréhension et le traitement des cancers, indépendamment de toute utilisation des cellules souches embryonnaires à visée thérapeutique.

Une autre notion émergeante qui me paraît importante concerne les relations entre les cellules souches, notre vieillissement, et notre longévité. Des travaux récents indiquent par exemple que l'une des manifestations du vieillissement, le fait que les cheveux deviennent gris et blancs, est dû à la disparition des cellules souches qui donnent naissance aux mélanocytes, les cellules qui produisent les pigments des cheveux. D'autres travaux récents concernant les cellules souches musculaires, indiquent que lorsque une souris âgé reçoit du sérum, le liquide sanguin, d'une souris jeune, ses cellules souches musculaires réexpriment les mêmes gènes que les cellules souches musculaires d'une souris jeune, et acquièrent, in vitro tout du moins, les mêmes capacités de renouvellement. Là encore, l'environnement extérieur des cellules souches, l'environnement du corps, semble exercer une influence importante sur les capacités fonctionnelles de ces cellules.

Dans ce contexte, il est important de noter que la loi de bioéthique de 2004 interdit toute recherche sur les cellules souches embryonnaires, sauf si cette recherche est susceptible de permettre « des progrès thérapeutiques majeurs ». Cette restriction risque de freiner les avancées de la recherche dans la mesure où il est très probable que des recherches sur les cellules souches embryonnaires qui n'auraient pas, aujourd'hui, d'applications thérapeutiques prévisibles, pourraient bouleverser les connaissances et conduire, dans l'avenir, à des progrès thérapeutiques complètement imprévus. Le risque, comme cela a été évoqué tout à l'heure à propos de l'utilisation inappropriée du terme « clonage thérapeutique », est de focaliser les recherches sur les seules applications immédiatement prévisibles. Vouloir orienter la recherche biomédicale vers des applications médicalement utiles est une nécessité lorsque les connaissances s'y prêtent déjà ; vouloir systématiquement substituer à l'exploration de l'inconnu une recherche qui serait a priori utile parce qu'on saurait déjà ce que l'on veut trouver, pourrait s'avérer catastrophique à terme pour la recherche. A titre d'exemple, il suffit d'essayer d'imaginer ce qui aurait pu se produire, au niveau de la biologie et de la médecine, si l'on avait restreint, il y a 50 ans, pour des raisons d'ordre éthique ou économique, la recherche sur les gènes aux seules applications prévisibles de thérapie génique : on aurait probablement perdu l'essentiel des acquis de la révolution de la génétique.

M. Alain Claeys

Je voudrais vous interrompre sur ce sujet, qui est à mon sens central, et que l'on va revoir avec une autre table ronde. Cette inscription dans la loi de dire que l'on interdit, avec un moratoire sur cinq ans, sous réserve que les projets de recherche déposés à l'Agence de la biomédecine aient des visées thérapeutiques m'a toujours étonné. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement de façon opérationnelle pour un chercheur ? Comment peut-il arriver avec son projet de recherche en expliquant la visée thérapeutique ?

M. Jean-Claude Ameisen

Cela pourrait restreindre tous les projets aux seules recherches à visées d'application thérapeutique qui ont montré leur efficacité chez la souris, du type transfert de cellules souches embryonnaires pour réparer un tissu malade. Il y a un risque important à vouloir limiter a priori le champ des recherches dans un domaine nouveau au développement des applications qui paraissent les plus prévisibles et les plus utiles à un moment donné. D'une manière plus générale, il y a un risque à favoriser dans la société l'idée que les recherches dites appliquées, à visée de développements thérapeutiques à court terme, sont intrinsèquement prioritaires. Toute la dimension véritable de la recherche - l'exploration de l'inconnu, la remise en cause des connaissances, et la découverte de connaissances véritablement nouvelles - risque d'être oubliée et abandonnée.

M. Alain Claeys

Dans cet esprit, si l'on prolonge un peu l'étude de texte, que veut dire « pertinence scientifique » ?

M. Jean-Claude Ameisen

A mon sens, il devrait s'agir de recherches d'une grande originalité, d'une grande qualité scientifique, et posant des questions importantes concernant la santé ou les maladies. Mais je voudrais aborder la question de la raison d'être de cette restriction particulière des recherches, qui semble liée à un problème d'ordre éthique. Je reviens à ce qu'a dit Anne Fagot-Largeault. Il me semble que la recherche sur des cellules isolées à partir d'embryons surnuméraires qui ont été détruits, après abandon du projet parental, et sous condition d'accord des parents, ne pose pas de problème éthique spécifique. Il me semble que cela pose les mêmes problèmes que la recherche sur des cellules extraites d'un foetus mort, ou du corps d'une personne morte, à n'importe quel stade de la vie.

M. Alain Claeys

C'est ce que prévoyait la loi de 1994 qui n'a jamais été appliquée. Toute recherche était interdite, mais au bout de cinq ans, les embryons devaient être détruits.

M. Jean-Claude Ameisen

A partir du moment où il y a destruction, il semblerait étrange de considérer que, après la destruction, on donne un statut de protection à l'embryon qui serait, en ce qui concerne les conditions de recherche sur des cellules isolées après la mort, différent du statut de protection que l'on donne à un f_tus mort ou à au corps d'une personne morte.

Je voudrais maintenant aborder la question du transfert nucléaire. Et il me semble qu'il y a là au moins deux questions.

La première est : qu'est-ce ce qui est de l'ordre de la fécondation, c'est à dire qui se rattache à la conception d'un enfant, et qu'est-ce qui pourrait n'être que de l'ordre d'une simple manipulation cellulaire in vitro ? Tout ce qui aurait pour effet de dissocier les deux notions me semblerait simplifier le problème éthique. Des travaux réalisés chez la souris suggèrent que l'on peut dériver in vitro des ovocytes à partir de cellules embryonnaires. Si, à partir d'une cellule souche embryonnaire humaine, isolée d'un embryon qui a été détruit, l'on obtenait un ovocyte, que l'on transférait un noyau d'une cellule de la peau dans cet ovocyte et que l'on obtenait une nouvelle cellule souche embryonnaire, il me semble que l'on s'éloignerait de plus en plus de la notion de fécondation, et que l'on se rapprocherait de plus en plus de la notion de manipulation cellulaire in vitro. En revanche, la création, à visée de recherche, d'embryons par fécondation in vitro me paraît poser des problèmes éthiques d'une autre nature.

La deuxième question concerne le don d'ovocytes. Tant que la source de cellules receveuse pour le transfert de noyaux est un ovocyte, il faudrait établir une différence très claire, en matière d'information et de protection des donneuse, entre le don d'ovocytes qui est actuellement fait à visée de reproduction, et un don d'ovocytes qui s'inscrirait dans une visée de recherche. Ce sont à mon sens les deux questions qui, dans le contexte d'une éventuelle révision de l'interdiction actuelle de transfert de noyau à visée de recherche, méritent une réflexion sereine et un débat ouvert, qui soient à la mesure des implications éthiques. Peut-on distinguer clairement ce qui est de l'ordre de la fécondation et du projet parental, de ce qui apparaît de plus en plus comme une manipulation cellulaire in vitro ? Le jour où il serait possible de transformer in vitro une cellule de la moelle osseuse en ovocyte ou en cellule embryonnaire, on se retrouverait confronté, de manière radicalement différente, à la question de savoir où commence et où s'arrête la notion de différenciation cellulaire. Plus on entre dans le domaine des manipulations cellulaires, en dehors de tout projet de reproduction, et plus se modifie, à mon sens la problématique éthique.

M. Alain Claeys

Merci beaucoup. Sur le don d'ovocytes, nous y reviendrons en cours de journée. Il faut l'aborder car j'ai besoin de vous entendre sur ce sujet et voir, si demain on autorisait la transposition nucléaire en France, quel encadrement serait nécessaire pour ce don d'ovocyte.

Table ronde n°2 : Les enjeux pour la recherche. La position de la France

M. Alain Claeys

Nous allons passer maintenant à un débat franco-français en examinant les enjeux des cellules souches pour la recherche et la position et l'état des lieux en France. Il est utile que la représentation nationale, ainsi que les citoyens, aient la connaissance la plus juste possible de ce qui se fait en France, des problèmes qui peuvent s'y poser, des crédits qui sont mobilisés, de l'articulation (j'interpellerai le directeur de l'Inserm à ce sujet) entre les organismes de recherche comme l'Inserm et l'Agence de la recherche sur des projets. Nous devons avoir un état des lieux précis sur ces questions.

Vont participer à cette table ronde, et je les en remercie, Christian Bréchot, directeur général de l'Inserm, j'ai excusé pour les raisons que j'ai indiquées Mme Carine Camby, qui ne sera pas présente aujourd'hui, René Frydman, professeur des universités et gynécologue, Mme Evelyne Jouvin-Marche, directrice scientifique adjointe du département du vivant du CNRS, Daniel Louvard, directeur de la section de recherche de l'Institut Curie, membre de l'Académie des sciences, et qui m'a fait le plaisir d'être dans notre Comité de pilotage pour préparer l'étude que nous faisons. Enfin, Michel Van der Rest, directeur du département du vivant du CNRS.

M. Christian Bréchot, directeur général de l'Inserm

Je vais donner le point de vue d'un organisme de recherche dont la mission est la recherche biomédicale et en santé. Nous nous plaçons dans un enjeu majeur qui a été largement rappelé auparavant, avec un besoin de connaissances, de recherche fondamentale (ce point a été soulevé mais je voudrais insister) et un besoin de transfert de connaissances à des applications cliniques.

Avant d'avancer, je voudrais d'abord indiquer les programmes de recherche en cours et les enjeux pour nous dans les années qui viennent, pour ensuite aborder la question, qui rejoindra la discussion qui a déjà eu lieu, sur l'aspect adapté ou inadapté de la législation en cours vis-à-vis des ambitions dont nous parlons.

L'Inserm a, depuis plusieurs années, engagé des moyens importants dans ce domaine. Sans détailler les chiffres, l'Inserm dépense environ 15 M€ en coût global pour les unités qui travaillent dans ce secteur. Point très important par rapport à la question que vous avez posée sur l'Agence nationale de la recherche, depuis 2001, l'Inserm a, avec plusieurs partenaires, en particulier l'AFM, la Juvenile Diabetes Research Foundation, l'association Vaincre la mucoviscidose, le ministère de la Recherche, etc., soutenu des programmes à hauteur de 8 à 10 M€ au total sur projets, conduisant à près de quatre-vingts projets de recherche déposés. Je cite ce chiffre pour signaler qu'il existe un vrai besoin de clarification de la situation et une vraie demande de la part d'un grand nombre d'équipes. L'Inserm s'est engagé sur les cellules souches adultes au même titre qu'embryonnaires.

M. Alain Claeys

Vous dites que vous consacrez 15 M€ à la recherche sur les cellules souches adultes et embryonnaires, et parallèlement, vous avez des programmes sur projets pour 10 M€ avec un certain nombre d'organismes. Comment ce deuxième poste va s'articuler avec l'Agence nationale pour la recherche ?

M. Christian Bréchot

C'est ce que j'aimerais savoir. Ce n'est pas au Directeur de l'Inserm de préjuger des décisions qui seront prises sur l'ANR. Dans la demande de l'Inserm, ainsi que de beaucoup d'autres partenaires qui ont été proposés la semaine dernière au conseil d'administration de l'ANR, une action spécifique de celle-ci a été clairement discutée de façon générale sur la médecine régénérative, en liaison avec ce que font les organismes. Ce que nous souhaitons, cela fait partie de nos demandes, et c'est majeur pour 2006, c'est qu'il y ait une action de l'ANR sur projet, qui soit complémentaire des actions faites dans les organismes.

Avant d'avancer, je voudrais signaler un point qui me semble fondamental. Un certain nombre de ces actions incitatives conduisent à des projets européens. Il est fondamental que la France, de façon concrète, et pas seulement dans les mots, s'inscrive dans des projets européens. Ainsi, le projet GENOSTEM sur les cellules souches adultes mésenchymateuses, est venu de ces actions incitatives pour un programme de 8,6 M€ qui inclut vingt-cinq équipes au niveau européen. Il existe actuellement au moins six projets européens qui sont basés sur l'utilisation de ces cellules souches.

Enfin, l'Inserm, dans le cadre législatif sur lequel nous reviendrons, a participé à l'importation de vingt-trois lignées de cellules souches embryonnaires (ES), soulignant par là le besoin réel, puisque depuis la mise en place du Comité ad hoc un grand nombre de lignées ont été importées. Ce qui nous paraît très important, ce sont les besoins de recherche fondamentale, et les conséquences thérapeutiques, en particulier pour des pathologies comme le cancer, les maladies neurodégénératives, et aussi beaucoup d'autres pathologies. J'ai insisté sur l'aspect européen. Notre demande est l'intégration de la France dans les actions de constitution de banques de cellules internationales. C'est un point fondamental, qui ne pourra être obtenu que s'il y a une clarification de nos possibilités en termes de type de recherche.

M. Alain Claeys

De quelle clarification s'agit-il ?

M. Christian Bréchot

Je vais y venir, mais c'est ce qui a déjà été dit concernant les décrets d'application réellement pris, les modalités d'utilisation réellement définies.

M. Alain Claeys

Aujourd'hui, avec la législation en place et les dérogations possibles, les équipes peuvent-elles participer sans problème aux appels d'offres européens ?

M. Christian Bréchot

La réponse est clairement négative. Nous sommes en négociation perpétuelle. Il nous paraît également essentiel de pouvoir disposer de centres de recherche et de référence sur les cellules souches. Ce sont des actions menées sur plusieurs sites en France. Enfin, cette application à la clinique des pistes potentielles passe par le développement des centres d'investigation clinique, en particulier en biothérapie, avec l'ensemble des partenaires. Un ensemble d'actions peut être réalisé. Au niveau national, il y a une opportunité réelle de développer des actions ambitieuses avec les partenaires majeurs que sont les autres organismes en partenariat avec l'ANR. Elles peuvent s'appuyer encore une fois sur la participation à ces banques internationales.

Je voudrais citer une action très importante qui pose clairement la question de la situation de la France actuellement. Il s'agit de ce que l'on appelle l'International Stem Cell Forum. C'est un forum mis en place à l'initiative du Royaume-Uni, qui consiste à la fois à évoluer vers des banques de cellules souches embryonnaires, mais également, et c'est au moins aussi important, à en définir la qualité, les modalités d'utilisation, et à éviter que ne circulent au niveau international des lignées dont les qualités et les possibilités d'utilisation sont quelquefois un peu douteuses.

L'Inserm s'est trouvé, comme ses autres partenaires français, dans une situation un peu délicate, dans la mesure où nous avons été présents dès le début dans ces actions. Il est clair que si nous souhaitons continuer à participer à ces forums, et cela rejoint votre question sur les programmes européens, nous avons besoin de montrer rapidement que nous pouvons effectivement travailler sur ce type de cellules.

Je voudrais également dire que nous considérons également comme très important, et de la responsabilité de l'Inserm, d'animer un certain nombre de forums, de discussions, d'euro-conférences sur cette thématique. Le comité HERMES joue un rôle important.

Pour terminer, et c'est fondamental du point de vue de notre organisme, le cadre actuel nous permet-il de répondre réellement à ces ambitions ? La réponse est seulement partiellement positive. La « demande » de l'Inserm, est la mise en place la plus rapide possible des textes d'application. Le Comité ad hoc a permis, ce dont il faut le remercier, de gérer une situation transitoire. J'ai mentionné le fait que vingt-trois lignées avaient été importées. Sans aucune polémique, mais simplement pour analyser, je voudrais rappeler que l'Inserm a beaucoup poussé pour la mise en place de ce Comité ad hoc. À l'époque, certaines personnes nous objectaient que ce n'était pas la peine, parce que les décrets d'application allaient être pris de façon instantanée. Je crois que c'était mieux de faire ce Comité ad hoc. Il faudra suivre avec attention les propositions qui sont faites concernant l'utilisation de cellules souches générées par transfert nucléaire, en tenant compte de tous les éléments du débat, mais ce n'est pas mon rôle d'intervenir sur le sujet.

Pour terminer, quelles que soient les dispositions, ce qui a été dit tout à l'heure me paraît fondamental : ne pas lier uniquement ces recherches à la notion de progrès thérapeutique majeur. Pour un organisme de recherche comme l'Inserm, cela nous paraît tout à fait fondamental.

M. Alain Claeys

Monsieur le Directeur, je voudrais vous poser une question qui nous est souvent posée. Sur les crédits consacrés aux cellules souches par l'Inserm, quelle est la part des programmes de recherche sur les cellules souches adultes et embryonnaires ?

M. Christian Bréchot

Elle est de façon immensément majoritaire sur les cellules souches adultes, pour des raisons qui relèvent simplement de la loi.

M. Alain Claeys

Je donne la parole à René Frydman.

M. René Frydman, professeur des universités, gynécologue-obstétricien

Je vais donner le point de vue d'un médecin de base, et non pas d'un directeur d'organisme comme mon voisin, et évoquer les colloques qui se tiennent sur le plan international, au sein desquels, effectivement, la position française est très mauvaise. J'ai assisté dernièrement à un colloque rassemblant cinq mille personnes aux États-Unis autour des développements des travaux réalisés à partir des cellules souches embryonnaires, domaines dans lesquels nous ne sommes que spectateurs, et en difficulté. Il faut avoir aujourd'hui dans ce domaine une vision mondiale comme l'a déjà souligné Ketty Schwarz.

Concernant les centres de fécondation in vitro, on peut rappeler quelques chiffres : il y a en Chine deux cents centres de fécondation in vitro, il y en a soixante-dix au Pakistan et un peu partout dans le monde. Je ne dis pas qu'ils sont tous bien gérés sur le plan des lois bioéthiques, puisque la plupart n'en ont pas. Mais cela donne des occasions pour progresser dans la connaissance, ce que, malheureusement, nous ne sommes pas en droit de faire malgré nos acquis, compte tenu de notre réglementation.

Je voudrais insister sur un premier point qui concerne les embryons surnuméraires, pour redire que la situation française est un peu paradoxale.

Lorsqu'on avait pu enfin avoir un état des lieux sur les embryons congelés en France, tout le monde avait été effrayé par leur nombre élevé. Ceci est lié à vingt ans de stockage. Les congélations embryonnaires datent en France de 1985-1986 et les équipes ont attendu la loi de 1994 avant de savoir ce qu'il fallait faire. En 1994, on avait une autorisation de détruire les embryons qui étaient conçus jusqu'à cette date, mais on ne se prononçait pas par rapport aux embryons qui rentraient dans la prochaine législature, dite de cinq ans, mais qui en fait a duré dix ans. Comme il y avait une incertitude sur les embryons avant 1994 et après cette date, la plupart des équipes ont préféré ne rien faire en attendant d'avoir l'information qui aurait dû intervenir en 1999, mais qui est arrivée en 2004, avec des décrets qui ne sont toujours pas parus.

Finalement, la plupart des embryons sont toujours conservés, d'où l'importance du stock. Selon l'idéologie que l'on soutient, on peut mettre en avant ces chiffres en soulignant un aspect un peu effrayant par rapport à une situation qu'il faut expliciter. Par ailleurs, je crois savoir, mais d'autres chercheurs sont sans doute plus à même que moi d'en parler, que finalement, pour la constitution des lignées, il y a besoin de beaucoup moins d'embryons qu'on ne le pense, à partir du moment où il s'agit d'embryons ayant la capacité de se développer. Il y a donc une balance entre ce nombre très élevé d'embryons qui sont dans les cuves des laboratoires français, dont une part (environ 20 à 25 %) est en principe destinée à la recherche, selon la volonté des géniteurs. Ces embryons ne sont donc pas utilisés, mais leur nombre, pour l'établissement des lignées, est sûrement largement suffisant, et même trop.

M. Alain Claeys

A combien leur nombre peut-il être établi?

M. René Frydman

Le dernier recensement comptabilisait autour de soixante-dix mille embryons congelés, dont la moitié est en cours d'attente, et l'autre moitié se divise entre le don à autrui, la destruction pure et simple et la destruction avec recherche, puisque l'on a introduit très récemment cette différence. Aujourd'hui, avec l'environnement, la médiatisation, les réflexions qui ont lieu, et même le référendum suisse, pour ne faire référence qu'à celui-ci, lorsqu'on pose la question à des couples qui n'ont plus de projet parental ou qui n'acceptent pas le don à autrui, la destruction s'accompagne pour beaucoup, plus qu'auparavant, d'une possibilité de recherche au cours même de cette destruction.

M. Alain Claeys

Vous êtes la deuxième personne à évoquer le référendum suisse. En tant que chercheur et scientifique, mais aussi en tant que citoyen, s'agit-il d'une procédure sur un tel sujet qui vous paraît correcte ?

M. René Frydman

Aujourd'hui, nous sommes en France dans une situation théoriquement d'autorisation selon la loi, mais de non-application dans la réalité compte tenu de la non publication des décrets. Nous avons déjà connu cela pour le diagnostic préimplantatoire. Plutôt qu'un référendum qui va encore repousser les choses, on souhaite que les décrets sortent et qu'on puisse les appliquer, au moins pour une part. Quitte à revoir les points qui sont soulevés sur, peut-être, d'autres modifications.

Une des particularités que l'on peut avoir, parmi d'autres équipes, qui sont justement liées aux diagnostics génétiques préimplantatoires, concerne le plan cognitif. Je rejoins en cela mes collègues sur la nécessité d'employer des mots plus larges comme la recherche scientifique dont une des finalités sera de proposer des thérapeutiques.

Une visée cognitive est extrêmement importante, c'est le premier but de la démarche scientifique. Il faut d'abord comprendre pour pouvoir utiliser. Dans le domaine de la reproduction, puisque les autres chercheurs pourront parler des thèmes plus généraux, il existe trois thématiques qui sont très intéressantes, sur la formation du tissu trophoblastique du placenta, qui est une source de connaissance très importante, et que l'on pourrait aborder par ces techniques. Il y a également la création de cellules germinales, qui a été évoquée chez l'animal, la création d'ovocytes ou de spermatozoïdes, dont il faudrait vérifier la pertinence et l'efficacité. Outre le fait qu'elles pourraient s'inscrire dans un programme à visée thérapeutique, elles pourraient également être une source d'ovocytes, comme cela a été évoqué, ce qui court-circuiterait le problème du don. Cela reste encore des questions sans réponse mais mérite une réflexion.

On peut citer également les embryons qui présente des altérations génétiques, chromosomiques ou géniques. Certains laboratoires ont, du fait de la possibilité du diagnostic génétique préimplantatoire, une source cognitive très importante. En effet, on n'attend pas pour détruire ces embryons, puisqu'on les détruit chaque jour. Lorsqu'il s'agit d'embryons atteints, nous les détruisons, nous ne les conservons pas, puisqu'ils n'ont aucune destinée. Une des questions serait de savoir si dès aujourd'hui, on ne peut pas considérer que ce sont des déchets opératoires et, en tant que tels, on pourrait pratiquer, au moins sur ceux-là, des recherches qui sont fort intéressantes, et pour lesquelles je signalais qu'au congrès du mois d'octobre plusieurs communications avaient été faites.

On a le sentiment qu'il y a une évolution, et la réunion d'aujourd'hui en est la preuve. Il existe une tendance à espérer d'une part l'application de ces décrets et d'autre part le soutien des organismes de recherche. Du fait du retard de la loi, il existe encore un manque de lisibilité entre tous les participants qui pourraient donner un soutien à la création d'unités. Celles-ci se doivent d'être de niveau international et non pas saupoudrées car la convergence d'un certain nombre de talents est nécessaire pour pouvoir avancer et être transparents. On serait tentés de dire qu'avec ces décrets qui s'annoncent, cette immense possibilité que l'on voit, il faudrait qu'émergent des efforts pour concentrer les moyens.

Un des points fondamentaux que nous devrons examiner concerne la création de postes d'accueil, de postes fléchés, quels que soient les organismes ou les moyens. Nous voyons actuellement avec une certaine tristesse des chercheurs français qui se consacrent à ce domaine de recherche émigrer, justement parce qu'ils n'ont pas la possibilité de travailler sur les cellules souches, en particulier embryonnaires. Tout récemment, une chercheuse française vient d'être engagée à Harvard, et nous ne pouvons pas le faire ici.

Il faudrait véritablement, et très rapidement, prévoir une sorte de plan d'urgence, comme il y en a eu beaucoup en santé. Cela n'a pas ici la même importance que les grands plans de type cancer, mais plus que les moyens en matériel, et plus que les idées qui circulent, ce qui va nous manquer ce sont pour commencer dans des espaces bien définis, une poignée d'hommes et de femmes qu'il faut attirer, voire réattirer, car ils ne sont plus là. Il faudrait dans ce sens créer une école de formation sur ce qui s'annonce être quelque chose de très prometteur.

M. Alain Claeys

Merci beaucoup. Avant de continuer, je voudrais que l'on apporte une précision. Mme Camby est absente, mais je voudrais que l'on soit clair sur la loi et sur les difficultés que vous rencontrez aujourd'hui. L'article 37 de la loi prévoyait des mesures dans l'attente des décrets. Il était indiqué : « À titre transitoire, et jusqu'à la date où seront publiés les décrets en Conseil d'Etat, le ministre chargé de la Santé et le ministre chargé de la Recherche peuvent autoriser conjointement par arrêté l'importation à des fins de recherche des cellules souches embryonnaires, des protocoles d'étude et de recherche sur ces cellules souches embryonnaires importées dans le respect des conditions suivantes. » Sur l'importation et sur l'accord de protocole d'étude, ceci est possible aujourd'hui. L'Agence de la biomédecine est-elle opérationnelle sur ce point aujourd'hui ?

Mme Evelyne Jouvin-Marche, directrice adjointe du département du vivant du CNRS

Une réunion du conseil d'administration a lieu demain et ce point sera soulevé.

M. Alain Claeys

Concrètement, lorsqu'une équipe veut importer ou déposer un protocole de recherche, comment cela se passe-t-il ?

Mme Marie-Odile Ott, responsable du secteur « Recherche » et des programmes internationaux de l'Agence de la biomédecine

L'Agence de la biomédecine n'est pas encore à même de délivrer ces autorisations. Elle attend également la publication du décret concernant la recherche sur l'embryon. Pour le moment, le Comité ad hoc transitoire est toujours piloté par le ministère de la Recherche et il siège ce matin même.

M. Alain Claeys

Depuis que la loi a été promulguée, combien de projets de recherche ou de demandes d'autorisation d'importation ont été déposés ?

Mme Marie-Odile Ott

Environ treize équipes ont déposé des dossiers de demandes d'autorisation d'importation, de conservation et de projets de recherche. Le nombre de projets doit être de dix-sept, certains chercheurs ayant déposé quatre projets, d'autres deux et d'autres un.

M. Alain Claeys

Ces projets ont-ils été validés ?

Mme Marie-Odile Ott

Certains sont encore en cours d'examen.

M. Alain Claeys

Pour quelles raisons, s'il existe ce Comité ad hoc, des équipes ne peuvent-elles pas concourir à des appels d'offres européens ?

M. René Frydman

Nous avons rencontré une difficulté, que nous avons résolue en partie, du point de vue de la législation européenne au moment de la mise en place des appels d'offres du Sixième PCRDT. Celle-ci était liée au caractère transitoire du Comité ad hoc. Nous avons dû travailler de façon approfondie avec la Commission pour que la participation des équipes françaises soit admise. C'était simplement une demande de clarification de la part de la Commission.

M. Philippe Ménasché

Mme Ott a répondu. Il faut d'abord rendre hommage au Comité ad hoc, qui a beaucoup travaillé. Il faut aussi souligner le décalage auquel Ketty Schwarz faisait allusion, entre le temps scientifique et le temps administratif. Dans un exemple précis, il a fallu dix mois pour obtenir l'autorisation d'importation. Ce délai, dans un domaine qui évolue aussi vite, représente indiscutablement une perte de temps et une perte de chance. Il y a là cet amour de la complexification administrative et réglementaire, alors qu'on est dans un domaine où il faudrait aller rapidement, ce qui n'est pas le cas.

M. Alain Claeys

Je veux bien croire que l'on est un pays où la complexité administrative est forte, mais il faudra m'expliquer pourquoi il a fallu plus de quatre ans entre la loi et le décret d'application pour que le diagnostic préimplantatoire puisse voir le jour dans notre pays. Quand on nous a demandé, avec Claude Huriet, d'évaluer la loi de 1994, à la fin 1997, les décrets d'application, entre autres celui-là, n'étaient pas sortis. Cela pose un problème sur le rôle du législateur.

Mme Evlyne Jouvin-Marche

Je suis également directrice de recherche à l'Inserm, où je dirige une équipe dans une unité Inserm/CEA sur le pôle scientifique de Grenoble. J'interviendrai davantage au niveau de la biologie et je risque de répéter les propos de Christian Bréchot.

A ce niveau, le soutien à la recherche fondamentale est indispensable. Nous avons besoin d'accroître les connaissances et de mieux connaître les processus biologiques qu'a évoqués Jean-Claude Ameisen. C'est de ces efforts qui seront faits en recherche fondamentale que viendront le progrès et l'espoir d'utiliser les cellules souches en thérapie. Plus concrètement, les efforts du département, c'est un soutien aux équipes. Il y a une trentaine d'équipes travaillant sur les cellules souches et la différenciation cellulaire soutenues par département du vivant. Ce sont des équipes pour la plupart mixtes, composées de chercheurs du CNRS, de l'Inserm, voire de professeurs des universités.

Nous avons ouvert cette année un poste « cellules souches » dans la section 30 pour le recrutement d'un chercheur CRA, de façon à ce que les bons chercheurs, qui sont souvent formés à l'étranger, puissent revenir en France et développer les thématiques que l'on souhaite. Au niveau européen, nous avons également un soutien de nos équipes. Pour répondre à toutes les questions d'utilisation de cellules souches, adultes ou embryonnaires, une personne au département peut être consultée pour toutes les demandes. Elle répond de façon efficace à tous les projets de recherche sur les cellules embryonnaires et adultes dès qu'un chercheur CNRS souhaite faire partie de ce projet.

Au niveau de la recherche fondamentale, je vais me limiter à résumer le brillant exposé de Jean-Claude Ameisen, en indiquant les points qu'il faut absolument franchir et ceux où les équipes françaises ont un très bon niveau pour le faire.

Il s'agit d'identifier de nouvelles souches dans d'autres tissus que ceux actuellement connus. Ceci nécessitera d'avoir des marqueurs pour pouvoir les différencier, car c'est là un point d'achoppement de la recherche. En effet on n'a pas toujours les moyens d'identifier les cellules souches. Un autre point qui a été largement exposé concerne le fait de connaître les aspects moléculaires du maintien de ces cellules souches, c'est-à-dire d'étudier les plasticités tissulaires, comment ces cellules souches vont proliférer, comment elles vont être maintenues dans l'organisme et comment assurer leur autorenouvellement.

Je ne reviens pas sur un point largement abordé concernant l'étude de leur potentiel de différenciation, mais j'insisterai sur leur potentiel de migration.

Si l'on sait maintenant qu'il existe des cellules souches dans les tissus, il faut encore que ces cellules souches puissent migrer là où elles peuvent être fonctionnelles. C'est un objectif qui n'est pas encore atteint. Ces questions sont posées non seulement par les équipes françaises, mais également au niveau international. Le point le plus important, comme cela a déjà été souligné, est qu'il faut examiner leur évolution pour être sûr que ces cellules souches vont être fonctionnelles, c'est-à-dire assurer les fonctions pour lesquelles elles vont être rééduquées. Il faut également vérifier les caryotypes, le fait qu'elles n'auront pas une division anormale des chromosomes, qu'elles ne vont pas développer des caractères tumorigènes et s'engager sur une voie maligne. Surtout, il faut qu'elles soient admises par l'organisme de façon à ne pas développer des réactions immunitaires. Ce sont de larges programmes dans lesquels l'ensemble des équipes soutenues actuellement par le CNRS sont engagées. Si ces progrès sont acquis, on pourra alors répondre aux espoirs qui sont actuellement fondés par des associations de malades et utiliser ces cellules souches pour guérir. Je pense que d'autres personnes interviendront sur ce point.

M. Alain Claeys

Concernant le CNRS, on y reviendra plus tard, mais quels sont les montants engagés ?

Mme Evelyne Jouvin-Marche

L'estimation est difficile, car les montants ne sont pas énormes et la majorité de nos équipes fonctionnent généralement grâce à des appels d'offres nationaux ou européens. Il est évident que l'on soutiendra l'ANR dans la mise au point de projets sur les cellules souches, car nous avons nous-mêmes des difficultés à maintenir l'effort de recherche de nos équipes. Cependant, celles-ci publient bien. Si vous lisez la presse internationale, vous constaterez que de nombreuses équipes françaises, Inserm, CNRS, Institut Pasteur, ont souvent des travaux qui sont cités dans les meilleures revues. On ne démérite pas mais on a besoin de plus d'argent.

M. Alain Claeys

Nous allons continuer avec M. Michel Van der Rest.

M. Michel Van der Rest

Je voudrais simplement donner une indication par rapport au nombre d'équipes mentionnées par Evelyne Jouvin-Marche. Environ 10 % du potentiel de recherche du département du vivant est impliqué dans ce type de thématique. Tout dépend où l'on situe la limite et si dans ce calcul on remonte jusqu'à la notion de différenciation cellulaire. Il est évident aujourd'hui qu'à peu près tous ceux qui travaillent sur la différenciation cellulaire dans le règne animal et sur l'homme, sont concernés par cette problématique.

Le CNRS s'associe pleinement aux remarques qui ont été faites précédemment, que je ne reprendrai pas, notamment au niveau de l'importance des études sur les cellules souches et toute la recherche amont, qui est le c_ur de métier du CNRS. Il y a dans le dispositif actuel des obstacles pour rester compétitif au niveau mondial. Notamment, l'un des éléments qui est très important dans la recherche est la notion de temps, qui a deux mesures. D'une part, comme cela a été dit tout à l'heure, il est difficile de rester compétitif lorsqu'on est retardé de près d'un an pour obtenir le matériel indispensable. D'autre part, les projets se déroulent sur des durées relativement longues. Il est difficile, si l'on a des limites de temps (je pense à la dérogation de cinq ans de 2004), de faire des projets scientifiques suivant un tel échéancier, notamment par rapport à nos partenaires. Il est donc difficile de se positionner pour des projets qui vont souvent durer cinq ou dix ans, lorsqu'on ne sait pas si dans trois ans on pourra continuer. Il y a là un réel problème.

M. Alain Claeys

Pouvez-vous chiffrer ce que consacre votre direction sur ce programme spécifique ?

M. Michel Van der Rest

Cela doit tourner autour de 7 M€ sur l'ensemble des laboratoires travaillant sur la problématique telle que je l'ai définie.

M. Alain Claeys

Je suppose que vous avez la même approche que le directeur de l'Inserm concernant la relation ANR/CNRS.

M. Michel Van der Rest

Tout à fait.

Je voulais ajouter que le CNRS doit envisager tout ce qui concerne les aspects non seulement éthiques, mais, en amont, la notion de représentation du vivant. J'ai essayé, pour la réunion d'aujourd'hui, d'obtenir des chiffres de mon collègue responsable du département « hommes et sociétés », mais je n'ai pas pu les avoir à temps pour vous donner un aperçu de ce type de réflexion. Cependant, j'ai moi-même été impliqué dans des groupes de réflexion qui se coordonnaient avec des équipes notamment sur la représentation des sciences, et en particulier du vivant.

Dans un travail législatif, il est finalement très important de savoir ce que l'on met derrière les mots. Lorsqu'on parle d'embryon, qu'est-ce qu'on entend par là ? Il y a dans ce sens tout un travail qui demande encore à être approfondi. J'ai saisi le département « hommes et sociétés » de ce problème, et je sais que des travaux se font. J'ai moi-même été impliqué dans des travaux réalisés à Lyon sur certains aspects. Un groupe de travail a été créé sur les cellules souches, animé par le professeur Jacques Samarut. Mais c'est encore très imparfait et embryonnaire, et un effort doit encore être accompli dans ce sens. Cela pourrait contribuer de façon importante au débat, en éclairant nos perceptions en tant que société par rapport à ce type de problématique.

Voilà les quelques éléments que je voulais ajouter. Je souligne bien que je m'associe pleinement à ce qui a été dit, en particulier par M. Bréchot.

M. Alain Claeys

Je reviens sur les propos qui ont été tenus car je voudrais avoir des précisions. Tout d'abord, sur les difficultés que l'on aurait à participer à la création d'une banque de cellules souches au niveau international. Quels sont les freins aujourd'hui pour que la France participe avec une équipe de chercheurs ? En supposant que les décrets d'application soient publiés, en quoi notre législation vous interdit de participer à la création de cette banque ?

M. Christian Bréchot

Il y a deux éléments de réponse.

Un élément rationnel et objectif, et un autre de perception de l'effort du pays et de son engagement. Ce que j'ai surtout voulu dire concerne essentiellement le second point. Actuellement, à un forum tel que celui auquel j'ai fait allusion, on peut difficilement prétendre jouer un rôle de leader, ou en tout cas d'élément participant à un niveau important, dans une situation où la législation n'est pas clarifiée. Mais il n'y a pas d'impossibilité, et nous l'avons prouvé, puisque nous avons réussi à nous maintenir dans cet effort. Ainsi, c'est l'Inserm qui va organiser la prochaine édition de ce forum début janvier. J'ai voulu dire qu'il est difficile de jouer un rôle auquel nous autorise la compétence des équipes, comme cela a été souligné pour le CNRS, dans une situation encore aujourd'hui intermédiaire.

Le second point est qu'il est maintenant plus difficile, pour des raisons plus rationnelles, de participer de façon efficace, dans une situation où nous ne sommes pas capables par nous-mêmes de créer de nouvelles lignées. Et il est difficile d'arriver dans un forum, où il s'agit de caractériser de nouvelles lignées et d'en démontrer l'utilité, alors que nous n'avons pas droit de les générer. Nous avons donc des difficultés de perception et des difficultés rationnelles.

M. Jacques Hatzfeld, directeur de recherche au CNRS

René Frydman a indiqué tout à l'heure qu'on est prêts à utiliser des déchets opératoires (je crois que c'est le terme qu'il a utilisé) provenant de DPI. On pourrait faire des lignées immédiatement, mais la loi nous l'interdit. On pourrait gagner beaucoup de temps. Avec l'Agence de la biomédecine, cela va prendre encore des mois avant d'avoir des autorisations. Il m'a fallu neuf mois, avec huit allers-retours et un dialogue de sourds, avec pourtant un comité qui essayait de faire du mieux qu'il pouvait. Je crois qu'on va perdre encore beaucoup de temps, et j'aimerais qu'il y ait une réponse du législateur. Qu'est-ce qui nous empêche d'utiliser ces cellules, qui n'ont plus l'état d'embryon, et avec lesquelles on peut faire des lignées immédiatement ?

On peut même faire mieux que l'étranger. D'habitude on fait ces lignées sur des cocultures avec des cellules animales. On peut le faire non seulement sans coculture, mais avec uniquement des molécules humaines. Ce serait une première. Si on attend encore quelques mois, il est sûr que cela ne sera pas fait en France. C'est vraiment une question de mois. Il faut que nous ayons l'autorisation au 1er janvier.

M. Hervé Chneiweiss

Peut-être nos invités compétents pourraient-ils nous préciser pourquoi il est absolument nécessaire de créer de nouvelles lignées. On pourrait se poser la question d'utiliser d'autres matériels. Jacques Hatzfeld vient d'y faire allusion, mais une précision serait utile. Il convient également de préciser que le temps, dont M. Van der Rest nous a parlé, c'est aussi du savoir-faire et de la compétence qui n'est pas acquise ou que d'autres acquièrent à notre place.

M. Alain Claeys

Il faut évacuer tous les problèmes concernant cet article 25 de la loi. Il existe trois contraintes. La première, c'est l'autorisation limitée à cinq ans. La deuxième contrainte, c'est qu'il faut présenter des programmes de recherche à visée thérapeutique. Même moi, non scientifique, je ne comprends pas très bien ce que cela veut dire. La troisième, est que le programme de recherche sera accepté, car tout peut être bloqué s'il n'y a pas d'autres techniques possibles pour aboutir à la même recherche. Le texte indique la chose suivante : « Les recherches peuvent être autorisées sur l'embryon et les cellules embryonnaires lorsqu'elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable. » En tant que parlementaire, et cela a expliqué mon vote à un moment donné, je n'ai toujours pas compris ce que cela voulait dire. Ou j'ai peut-être trop bien compris, car avec ce type de rédaction, on peut tout bloquer.

M. Daniel Louvard, directeur de recherche au CNRS, directeur de la section recherche de l'Institut Curie, membre de l'Académie des sciences, membre du Comité de pilotage

Je ne crois pas pouvoir vous éclairer sur ce point. Beaucoup de choses ont été dites, très intéressantes, et je ne vais pas les redire, mais je reprendrai certaines d'entre elles sur quelques affirmations ou commentaires. Je vais essayer de donner un point de vue complémentaire, voire contradictoire, pour d'abord dire que, bien sûr, en tant que chercheur, je m'associe à ce qui a été dit. On met en avant les aspects thérapeutiques qui génèrent le débat éthique que nous connaissons, mais il y a avant tout besoin de soutenir la recherche fondamentale sur la meilleure connaissance des cellules souches. D'une certaine manière, le débat éthique est légitime mais il a terriblement fait glisser le débat en faveur du problème posé par les cellules souches embryonnaires.

Je me suis réjoui d'entendre Christian Bréchot signaler que l'Inserm consacre la majorité des moyens sur ce programme de cellules souches adultes. Il me semble très important aujourd'hui d'essayer de répondre scientifiquement à des questions que posent les cellules embryonnaires et adultes. J'entends parfois certains cercles d'experts les opposer les unes aux autres. Ce débat ne m'intéresse pas mais il pose des questions scientifiques fondamentales.

Lorsqu'on oppose les deux, les cellules souches adultes sont peu nombreuses. Qu'en sait-on ? Pour certains tissus, c'est faux. Les cellules souches adultes ont un nombre de divisions limitées. C'est faux. On n'en sait rien. Les cellules souches adultes ont une potentialité limitée. Certes, par définition, les cellules souches embryonnaires sont totipotentes, alors que les cellules somatiques adultes sont probablement pluripotentes. Mais quelle est leur pluripotentialité, comment doit-on les comparer aux cellules embryonnaires dont elles dérivent et qui ont permis de former ces tissus adultes ? On n'en sait rien. On dit que les cellules embryonnaires peuvent donner des tumeurs. C'est très vraisemblable et c'est démontré expérimentalement. C'est possible aussi pour les cellules souches adultes, mais on n'en sait rien. Il y a deux cent trente-cinq familles de cellules identifiées aujourd'hui chez les métazoaires que sont les mammifères que nous sommes. On compte sur les doigts d'une main, peut-être de deux, le nombre de cellules souches adultes qui ont aujourd'hui été caractérisées. Certes, ce sont deux cent trente-cinq familles qui dérivent de sous-familles et de cellules souches communes, mais toutes ces questions concernent la biologie fondamentale et elles ont besoin d'être posées. Lorsqu'on dit « connu », cela signifie que l'on a caractérisé ces cellules souches adultes, qu'on a identifié des marqueurs qui permettent de les trier et d'identifier leur origine et leurs propriétés.

Un grand travail reste donc à faire et j'espère que la communauté scientifique ne va pas rester divisée dans le cadre de ce débat éthique. Un travail de comparaison devrait être fait entre une cellule souche embryonnaire et une cellule souche adulte, pour arriver à des questions sur le niveau de plasticité d'une cellule souche adulte. Les grandes questions ont été évoquées, et je salue l'intervention de Jean-Claude Ameisen sur les grandes questions de biologie. La mitose d'une cellule souche n'est pas la même que celle d'une cellule germinale qui s'engage dans une voie de différenciation. C'est une mitose asymétrique. C'est une question fondamentale en biologie, mais malheureusement trop peu d'équipes travaillent sur ces mécanismes moléculaires de la division asymétrique. Il y a certes des travaux sur la drosophile et sur les organismes simples, mais on aimerait savoir comment cette division et cette mitose asymétrique se passent dans d'autres tissus, en particulier dans les cellules souches de nos tissus. L'épigénétique est un vaste problème remis à la mode, et l'on sait aujourd'hui que tout n'est pas dans la séquence du génome et qu'il va falloir trouver d'autres solutions.

Les petits ARN évoqués par Jean-Claude Ameisen montrent la vanité d'une certaine génération d'avoir cru qu'on avait tout expliqué, alors que tout restait sans doute à expliquer. Les cellules souches, par l'organisation de la chromatine particulière qu'elles ont adoptée compte tenu de l'inaccessibilité de leurs gènes indispensable à la protection de leur génome, restent un vaste domaine à explorer.

Comme je dirige un centre de recherche sur le cancer, et qu'on a évoqué les capacités et les possibilités d'utilisation des cellules souches, qu'elles soient embryonnaires ou adultes, à des fins réparatrices, je pense qu'une grande question se pose également sur les problèmes d'approche thérapeutique dans différents tissus.

Quelques mots sur le cancer. Le concept de cellule souche cancéreuse refait surface aujourd'hui. A la fin du xixe siècle, cette hypothèse existait déjà. Au cours des années 1930, on en parlait également. Une autre période a suivi, où les concepts darwinistes, que je ne remets pas en cause, auront largement favorisé le principe de sélection et de pression de sélection au sein des tumeurs, oubliant que celles-ci sont non seulement hétérogènes sur le plan génomique, face aux altérations génétiques au cours de la progression tumorale, mais qu'elles sont aussi hétérogènes sur le plan cellulaire. Certaines questions sont connues depuis les années 1950 ou 1960 : par exemple, pourquoi faut-il un million de cellules tumorales injectées à une souris immunodéficiente pour faire une tumeur ? On a écarté le problème en répondant que pour cloner des cellules, il en faut un certain nombre pour que cela marche. Néanmoins, on est capable avec une cellule, si elle a la possibilité de se développer dans un environnement approprié, de fabriquer des clones et donc de grandes populations cellulaires. On voit aujourd'hui réémerger le concept qu'il est probable que dans une tumeur, ce qui a assuré sa pérennité et sa croissance, c'est une sous-population minoritaire de cellules, qui ont quelque chose en commun, sans que l'on sache très bien quoi. On les appelle cellules souches tumorales, mais sont-elles vraiment des cellules souches ou sont-elles dérivées de cellules progénitrices, elles-mêmes issues de cellules souches ? La réponse n'est pas complètement claire.

Néanmoins, on a aujourd'hui quelques certitudes. C'est le cas par exemple des tumeurs cérébrales ou du sein car ce sont des groupes que l'on a réussi à mieux caractériser, à mieux isoler, à purifier presque jusqu'à l'homogénéité des sous-populations de cellules peuplant ces tumeurs. On a en effet constaté que ce n'est pas alors un million de cellules porteuses des marqueurs de cellules souches tumorales qui sont nécessaires pour créer une tumeur dans une souris mais l'injection de quelques dizaines, ou moins d'une dizaine, de cellules ayant cette propriété.

Ceci a des conséquences fondamentales. En ce qui concerne la thérapie, et je me tourne vers Marianne Minkowski qui représente ici le président de l'INCA, je souhaite vivement que l'INCA comble cette lacune qui existe dans le plan cancer, par rapport à la priorité de recherche sur les cellules souches à des fins thérapeutiques pour le cancer. C'est quelque chose que j'ai indiqué alors que j'étais vice-président de la commission qui a établi le plan cancer et cela n'a pas été entendu jusqu'à présent, ni dans les textes ni dans les actions.

Pourquoi ne réussissons-nous pas aujourd'hui en effet à éradiquer les tumeurs ? Pourquoi y a-t-il une croissance des tumeurs après une efficacité apparente ? Peut-être tout simplement parce qu'on s'est trompés de cible, qu'on tue les cellules qui prolifèrent et qui différencient, et que l'on ne tue pas efficacement les 1 à 2 % de cellules souches tumorales qui peuplent une tumeur. Ceci m'apparaît fondamental car il est possible, comme pour les cellules souches normales, comme pour les cellules souches embryonnaires, que la pharmacologie à laquelle sont sensibles ces cellules soit différente. Il est possible, parce que les mécanismes moléculaires au cours de la division, de la signalisation cellulaire, qui est un grand sujet de biologie, que ces cellules souches aient, parce qu'elles sont différentes, des propriétés différentes que nous ne connaissons pas. Je dirais à nouveau : place à la science et place à la recherche.

M. Alain Claeys

Merci, Monsieur Louvard. On ne va pas ouvrir le débat sur les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires mais je crois que votre intervention était utile.

Mme Marina Cavazzana-Calvo, professeur de médecine, chef du service du département de biothérapie de l'hôpital Necker-Enfants malades, coordinatrice du Centre d'investigation clinique intégré en biothérapie du CHU Necker-Enfants malades

Je remercie Monsieur Louvard pour cette intervention sur les bases scientifiques, que l'on a besoin de connaître, mais je ne peux pas vous laisser soutenir certaines affirmations qui ne sont pas tout à fait correctes...

M. Alain Claeys

Il peut tout dire et vous pouvez tout dire...

Mme Marina Cavazzana-Calvo

Oui, mais il faudrait que les collègues qui travaillent un peu moins sur les cellules souches aient des idées claires. Il n'y a pas aujourd'hui de plasticité des cellules souches adultes. On ne peut pas vous laisser dire cela.

M. Daniel Louvard

Qu'en savez-vous ? On ne peut pas répondre à cette question car nous n'avons pas pu l'étudier. Citez-moi le nombre de cellules souches qui ont été isolées.

Mme Marina Cavazzana-Calvo

Le débat a été conduit par les principales revues dont nous nous servons, Nature, Science, avec des personnes qui ont travaillé dans le monde entier sur les cellules souches adultes et sur les cellules embryonnaires. On peut dire aujourd'hui, sans trop craindre de se tromper, qu'il n'y a pas de plasticité. On entend par plasticité la possibilité pour une cellule souche adulte de se transformer dans un autre foyer embryonnaire. Pour les cellules souches hématopoïétiques et de la moelle osseuse, cela a été prouvé.

M. Daniel Louvard

Je crois qu'on appelle plasticité deux choses différentes.

Mme Marina Cavazzana-Calvo

C'est possible, mais on doit travailler à l'intérieur des contraintes d'une loi selon laquelle on doit demander l'autorisation de travailler sur des cellules avec des caractéristiques, bien définies. Il faut parler de celles-ci, les définir, et il est nécessaire de travailler en parallèle, sans des conflits sans intérêt, aussi bien sur les cellules souches adultes que sur les cellules souches embryonnaires. Il n'y a pas actuellement dans la communauté scientifique de conflits sur ce point. Je me permets également de saluer le travail fait à l'Inserm sur cette question, même en période de vide juridique, car il a su rassembler les chercheurs pour que l'on puisse bénéficier des connaissances aussi bien du monde de la cellule souche adulte que de celui de la cellule souche embryonnaire.

M. Jacques Hatzfeld

Tous les travaux qui ont été faits sur les MAPS - ces soi-disant cellules souches adultes qui ont des propriétés de cellules souches embryonnaires -, sont actuellement totalement inreproductibles. Ceux-ci ont été faits avec certaines lignées de souris (dites inbred) et ne marchent pas du tout avec d'autre et encore moins avec la souris sauvage. Il y a beaucoup à dire sur tous les travaux sur la souris. Chez l'homme, c'est hors de question. Des gens comme Ron McKay, qui sont des scientifiques internationaux reconnus, ont dit à Catherine Verfaillie, que lorsqu'elle leur donnerait ces cellules, ils pourraient y travailler. Pour l'instant, ils ne peuvent rien faire. Catherine est rentrée en Belgique et elle ne dirige plus cet Institut du Minnesota où on travaillait sur les MAPS. Il faut arrêter de raconter des choses qui sont fausses, de dire qu'avec le sang du cordon on va faire du c_ur qui bat, etc.

J'ajoute que je fais partie du projet européen GENOSTEM sur les cellules souches adultes. C'est grâce aux cellules souches embryonnaires que je permets à ce projet de trouver les marqueurs des cellules souches adultes, non pas en partant par l'aval, comme on le faisait auparavant, mais en partant par l'amont, en dérivant, à partir des cellules souches embryonnaires, des cellules souches mésenchymateuses, ce qui me permet d'en avoir en quantité, et d'étudier tous les marqueurs les plus primitifs. Si l'on ne travaille pas sur les cellules souches embryonnaires, on ne comprendra jamais les cellules souches adultes. Au cours de mon intervention, je parlerai de la génomique fonctionnelle, qui me semble quelque chose de très important.

M. Daniel Louvard

Je m'étonne car s'il n'y a pas de controverse, l'intervention que tu viens de faire montre qu'il y en a une. Les cellules souches embryonnaires sont totipotentes, comme je l'ai rappelé, et les cellules souches adultes sont pluripotentes.

M. Jacques Hatzfeld

Nous n'avons pas les mêmes définitions.

Mme Laure Coulombel, directeur de recherche à l'Inserm

Il existe un consensus international sur le fait que la cellule souche totipotente, c'est le zygote et les premières divisions cellulaires, que les cellules souches pluripotentes sont les lignées de cellules ES qui sont dérivées de la masse interne du blastocyste, et que le consensus veut, à l'heure actuelle, mais il peut être remis en question, que chez l'adulte on parle de cellules souches multipotentes. C'est un consensus international.

M. Daniel Louvard

Nous sommes d'accord. Ce que je voulais dire, c'est que dans un tissu adulte, nous savons bien qu'il y a des cellules souches qui dérivent des différents feuillets embryonnaires, et qu'on n'a pas pu explorer exactement, en dehors du tissu dans lequel elles existent, ou de l'organe dans lequel elles existent, si elles récapitulent ou non l'ensemble des propriétés des cellules du feuillet dont elles dérivent. Excusez-moi pour le lapsus, car ce n'est pas pluripotentes, mais multipotentes qu'il aurait fallu dire.

M. Alain Claeys

Y compris à l'Assemblée, on peut se parler. Je donne la parole à René Frydman, puis nous suspendrons le débat pendant cinq minutes, pour reprendre ensuite la troisième table ronde.

M. René Frydman

J'ai le sentiment que les gens qui travaillent ou voudraient travailler sur les cellules embryonnaires en France ne sont pas du tout opposés, au contraire, au fait qu'un travail s'effectue sur les cellules adultes. On a le sentiment qu'il y a un certain groupe de personnes qui ne souhaitent que travailler sur les cellules adultes, sans voir le bénéfice que l'on pourrait trouver. La position scientifique a toujours été « que le meilleur gagne », que les études se fassent. Si l'on peut tirer des éléments de l'une ou de l'autre, on verra à ce moment-là, mais on ne peut pas avoir des a priori. La position a priori est très négative pour la recherche scientifique.

M. Alain Claeys

Le parlementaire que je suis en est resté au rapport qui avait été commandé par le ministre de l'époque, le rapport Gros, signalant qu'il fallait mener de front les deux types de recherches.

Mme Laure Coulombel

Le terme de l'alternative a été soulevé, et c'est quelque chose qu'il faut expliquer, ne serait-ce que pour la question d'Hervé Chneiweiss. Il s'agit de l'alternative entre les lignées actuellement disponibles et de nouvelles, et de la complémentarité cellules souches adultes versus cellules souches embryonnaires. Je pense que ce terme d'alternative est très important.

Il s'agit du problème posé par les anciennes lignées de cellules embryonnaires. Le problème des lignées importées est qu'elles ont été dérivées il y a longtemps, qu'elles sont à de multiples passages, qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune standardisation de culture, et qu'elles sont cultivées dans des laboratoires indépendants et donc dans des conditions très hétérogènes. La deuxième chose, c'est que ces lignées ont été dérivées initialement dans des conditions avec des molécules de type animal et qu'il est exclu de les utiliser en thérapeutique. Pour toutes ces raisons, il est essentiel d'avoir accès à de nouvelles lignées dérivées dans des conditions standardisées et surtout dans des conditions qui seront applicables « cliniquement », ou dans des modèles précliniques animaux. C'était pour répondre à la question qui avait été posée.

Une autre question concerne la complémentarité entre les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. J'aborderai rapidement tout à l'heure le problème des cellules souches adultes car il y a d'énormes limitations à leur utilisation thérapeutique. On revient actuellement sur des choses autrefois artefactuelles et mal interprétées. Il est essentiel de ne pas les opposer, pour deux raisons. Les mécanismes moléculaires qui gouvernent le fait que ces cellules embryonnaires peuvent être amplifiées de façon illimitée sont probablement assez proches en termes moléculaires des mécanismes qui sont utilisés par les cellules souches adultes, y compris par les mécanismes qui font qu'une cellule souche va décider à un moment donné de s'engager dans une voie de différenciation versus une autre. Par ailleurs, les cellules souches embryonnaires nous donnent une accessibilité en termes de nombre qui est absolument impossible à obtenir avec les cellules souches adultes. Toute étude, qu'elle soit biochimique ou moléculaire, a besoin d'avoir une accessibilité en nombre, ce qui est actuellement impossible avec les cellules souches adultes, car elles ne s'autorenouvellent que très peu, et surtout, il faut les sortir d'un tissu et les purifier - c'est à l'heure actuelle très difficile, sauf dans le cas des cellules souches hématopoïétiques.

Table ronde n° 3 : Quelles utilisations des cellules souches : l'enjeu de la santé

M. Alain Claeys

Le débat sur lequel s'est terminée notre deuxième table ronde va peut-être trouver des prolongements dans cette troisième table ronde. Nous allons aborder plus précisément l'aspect thérapeutique, mais nous allons également revenir sur des questions évoquées depuis le début de la matinée.

Je présente les intervenants : Mme Marina Cavazzana-Calvo, professeur des universités, chef du service du département de biothérapie de l'hôpital Necker-Enfants malades, coordinatrice du Centre d'investigation clinique intégré en biothérapie du CHU Necker-Enfants malades ; Mme Laure Coulombel, directeur de recherche à l'Inserm ; M. Jacques Hatzfeld, directeur de recherche au CNRS ; M. André Hovine, président de France Parkinson ; M. Philippe Ménasché, professeur de chirurgie thoracique et cardiovasculaire à l'université de Paris V, chirurgien cardiaque à l'hôpital Georges-Pompidou, directeur d'unité Inserm ; Mme Marianne Minkowski, directrice adjointe du département biologie du cancer à l'Institut national du cancer ; M. Roger Picard, porte-parole de l'Alliance maladies rares et M. Bernard Zalc, directeur de recherche à l'Inserm.

Mme Marina Cavazzana-Calvo

Je tiens à vous remercier à deux titres. D'abord, parce que vous nous avez donné la possibilité de discuter entre autorités de santé, instituts de recherche, directeur de l'Inserm, directeurs d'instituts scientifiques et représentants des entreprises de biotechnologie. Ensuite, j'ai l'impression que sous les lumières d'une actualité très lourde d'un point de vue social, les pouvoirs publics ont oublié de continuer ce débat, important pour nous et de premier plan, sur les cellules souches et les décrets d'application.

En utilisation thérapeutique, on peut aller très vite ou très lentement. Si on pouvait concentrer l'attention sur l'utilisation des thérapeutiques et des cellules souches embryonnaires, on pourrait aller très vite mais il n'y a pas aujourd'hui d'essais en cours utilisant ces cellules. On peut élargir le débat et introduire ce parallélisme qui existe avec les cellules souches adultes.

M. Alain Claeys

Sur les applications thérapeutiques, pouvez-vous préciser quelle est la situation exacte aujourd'hui en France et dans le monde ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo

Les essais se concentrent sur l'utilisation thérapeutique des cellules souches de type adulte. Je voudrais donner une définition, pour savoir de quoi on parle. Ce sont des cellules dérivées de tissus différenciés. Il n'y a pas de notion d'individu adulte, mais du tissu différencié. Si l'on utilise des cellules dérivées d'un liquide amniotique, et si l'on considère que les annexes placentaires sont des tissus différenciés, on va définir cela comme des cellules souches de type adulte, dérivées d'un tissu complètement différencié.

Mme Ketty Schwarz

Si je peux me permettre, j'ai évoqué ce matin l'autorisation qui a été donnée voici trois semaines à peine d'un essai de phase 1 qui utilise des cellules souches f_tales neuronales.

Mme Marina Cavazzana-Calvo

Ce sont des cellules f_tales et non embryonnaires.

Mme Ketty Schwarz

Tout à fait, mais cela modère un peu.

Mme Marina Cavazzana-Calvo

C'est pour cette raison que je voulais diviser cette catégorie de cellules souches en trois grands chapitres, même si du point de vue du développement, on pourrait effectuer la division autrement.

Nous avons les cellules souches dérivées des tissus différenciées, où l'on peut intégrer les cellules amniotiques, les cellules de type f_tal, et les cellules souches embryonnaires. Il n'y a pas aujourd'hui, à ma connaissance, d'essais thérapeutiques en cours utilisant des cellules souches embryonnaires. En revanche, il existe de nombreux essais qui utilisent la cellule souche de type adulte, avec cette précision que j'ai donnée, et qui intéressent essentiellement les cellules souches de type hématopoïétique. Il s'agit donc des cellules souches multipotentes nichées dans la moelle osseuse, capables aujourd'hui de donner naissance à des cellules matures du centre périphérique et utilisées en thérapeutique à cet effet. On sait aujourd'hui vaguement et grossièrement les isoler, car les critères phénotypiques ne sont pas suffisants pour les définir, et l'on les utilise en routine pour faire par exemple de la greffe de moelle osseuse.

Je me permets de rappeler que dans le monde, quarante-cinq mille personnes bénéficient de ce type de traitement. On sait isoler ces cellules du mieux que l'on peut, même si les critères que nous avons à notre disposition sont incertains, et ne définissent pas nécessairement une cellule homogène mais hétérogène en termes de capacité de division cellulaire, de différenciation et d'autorenouvellement. On sait les manipuler, on sait les faire multiplier mais on ne sait pas les faire retourner à l'état souche (cellules souches hématopoïétiques). On sait les manipuler d'un point de vue génétique ex vivo, à savoir, introduire de façon intégrative ou non intégrative des gènes médicaments pour diminuer ou atténuer, ou dans le meilleur des cas guérir, les symptômes d'une maladie. Ce sont les essais thérapeutiques les plus largement conduits dans le monde.

Il faut saluer un travail pionnier qui a été fait en France d'utilisation des cellules souches autres que les cellules souches adultes hématopoïétiques, par l'équipe de Philippe Ménasché, avec l'emploi de cellules du muscle adulte pour traiter l'insuffisance cardiaque. L'équipe de Marc Peschanski fait aussi partie de ces pionniers par l'utilisation de cellules f_tales neuronales visant à atténuer les syndromes de cette maladie du système nerveux central qu'est la maladie de Huntington.

On reste pionniers en France pour l'utilisation clinique des cellules souches manipulées génétiquement. Des essais prometteurs, même si l'on a rencontré quelques effets toxiques, ont été faits dans les déficits immunitaires combinés sévères, avec l'aide de l'Inserm. Celui-ci joue un rôle fondamental dans l'innovation thérapeutique et dans le soutien qu'il apporte à la seule institution qui a continué à soutenir les cellules souches, malgré le vide dans lequel on s'est trouvé. Grâce à l'intervention massive de cette institution deux autres essais thérapeutiques sur des cellules modifiées génétiquement et des cellules souches hématopoïétiques vont voir le jour en 2006. L'un portera sur la leucodystrophie liée à l' « X », première maladie neurodégénérative de l'enfant, et l'autre sera un essai beaucoup plus restreint dans le domaine de l'hémoglobinopathie (thalassémie majeure et drépanocytose). C'est le contexte dans lequel on est aujourd'hui, pour ce qui concerne les essais d'utilisation thérapeutique sur les cellules souches.

Concernant les cellules souches embryonnaires, je ne vais pas répéter tout ce qui a déjà été dit très clairement ce matin. On aimerait que quelques points soient résolus, que les autorités apportent des définitions notamment sur le statut de l'embryon, la protection des dons d'ovocytes, les méthodes que l'on peut utiliser pour les dérivations des cellules souches embryonnaires. Car on sait aujourd'hui que l'on pourrait les dériver à un stade plus précoce, sans toucher à l'intégrité de l'embryon, comme nos collègues généticiens et de la gynécologues font pour les DPI, les diagnostics préimplantatoires.

Je voudrais mettre l'accent sur les contraintes auxquelles on doit faire face aujourd'hui en France, même s'il existe des équipes phares qui figurent en très bonne place dans la compétition internationale. Ces contraintes sont législatives. A vous, Mesdames et Messieurs de l'Assemblée nationale, d'arriver à les lever. Ce sont des contraintes de création et de caractérisation de cellules ES. Hervé Chneiweiss nous a permis de signaler, avec sa question très précise, que l'on est dans l'obligation, si l'on veut rester dans la compétition internationale, de créer de nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires humaines et de les caractériser. Dans le cas contraire, on n'aura pas notre place aux côtés des autres partenaires internationaux dans les forums consacrés aux cellules souches.

Il existe également des contraintes liées aux chercheurs. On doit se donner les moyens, comme cela a été évoqué par M. Frydman, de rappeler des chercheurs partis à l'étranger et de leur assurer de bonnes conditions de travail en France, où ils pourraient créer des équipes et former de nouveaux chercheurs. Je me permets de rappeler que nous avons également des contraintes matérielles. Dans un pays développé comme la France, je suis étonnée que l'on n'ait pas su créer dans les derniers dix ans un institut de recherche digne de ce nom sur les cellules souches. On pourrait très vite, et avec les moyens existants, faire travailler ensemble des chercheurs sur les cellules souches adultes et embryonnaires, qui pourraient aller beaucoup plus vite avec des conditions de travail autres que celles dans lesquelles on opère tous les jours.

M. Alain Claeys

Est-ce que cette coopération existe ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo

Heureusement qu'elle existe. Encore une fois, l'intervention de l'Inserm a été unique dans le territoire national, car il a rassemblé des chercheurs qui travaillent sur les cellules souches embryonnaires et adultes, des muscles, de l'intestin, du pancréas, hématopoïétiques. Nous avons des réunions en commun, mais ce n'est pas suffisant. L'Inserm a mis les moyens qu'il pouvait, mais nous avons besoin de beaucoup plus. Il faudrait un institut digne de ce nom, comme il en existe en Belgique, dans le Royaume-Uni, en Suède, aux États-Unis. Je ne comprends pas que dans un pays comme la France, on ne puisse pas libérer des moyens matériels pour cette recherche d'une façon un peu plus rapide que ce qui se fait actuellement.

M. Alain Claeys

Pouvez-vous nous faire un point sur les travaux de Robert Lanza, concernant la possibilité, à partir d'un embryon comptant huit cellules, de prendre une cellule sans que cela porte atteinte à l'intégrité à l'embryon ? Où en sont ses recherches ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo

Je ne sais pas exactement où en sont les recherches de ce groupe. D'autres ici les connaissent peut-être mieux que moi. Ce travail ouvre une possibilité de production de cellules souches embryonnaires à partir d'un stade précoce, sans toucher à l'intégrité de l'embryon, ce qui pourrait faire tomber certains obstacles éthiques sur cette question.

M. Daniel Aberdam

Effectivement, des expériences ont été tentées, dont certaines réussies, et peu ont été publiées. On peut isoler des cellules de la masse interne avant même la formation du blastocyste sans véritablement détruire l'embryon. C'est encore au stade très expérimental. D'autres expériences sont également très intéressantes de fusion de cellules ES avec des noyaux pour augmenter le cytoplasme. La cellule souche a en effet un rapport noyau/cytoplasme qui est en faveur du noyau. Pour essayer de remplacer l'ovocyte, ce qui pose un problème du fait de la nécessité du don notamment, des travaux sérieux à l'heure actuelle montrent que l'on peut utiliser la cellule souche embryonnaire comme alternative, d'ovocyte, comme d'autres alternatives.

M. Jacques Hatzfeld

Dans le cas des DPI, c'est encore plus simple, car on arrive à un déchet opératoire et l'on est capable de faire une lignée avec celui-ci.

M. Daniel Aberdam

Je voudrais réagir sur cette terminologie de tumeur en parlant de cellules souches embryonnaires. Ce terme revient régulièrement depuis près de six ou sept ans, il affole le public, les médias, sur une notion qui est fausse. Pour démontrer qu'une cellule souche embryonnaire est pluripotente, une des expériences que l'on fait est que l'on injecte ces cellules en sous-cutanée chez la souris immunodéficiente. On obtient alors des tératocarcinomes, qui sont des tumeurs bénignes, mais qu'on ne peut obtenir que sur des souris immunodéficientes, c'est-à-dire lorsque le système immunitaire ne peut pas s'en débarrasser. Il est clairement établi que lorsqu'on différencie les cellules souches embryonnaires, on n'obtient plus ces tumeurs. Il faut donc arrêter d'avancer cette terminologie de tumeur en parlant de cellules souches embryonnaires. Si l'on arrive à purifier des cellules différenciées à partir de cellules souches embryonnaires, toutes les expériences publiées, non publiées ou commentées, montrent qu'il y a absence de tumeur. Je ne sais pas si Philippe Ménasché a un recul sur les cellules qu'il a pu injecter, mais je ne pense pas qu'il ait obtenu de tumeur.

M. Philippe Ménasché

Je suis tout à fait d'accord avec les propos de Daniel Aberdam. On a injecté des cellules souches embryonnaires préorientées pour devenir des cellules cardiaques aussi bien chez des petits animaux comme des rats, que chez des moutons ou des singes. On n'a jamais observé, à partir du moment où les cellules sont pré-différenciées correctement, la moindre tumeur. Je pense qu'il y a un élément d'affolement qu'il faut calmer.

M. Daniel Aberdam

Je souhaiterais que les journalistes présents puissent le noter pour qu'une fois pour toutes on ne revienne pas régulièrement sur le sujet.

M. Hervé Chneiweiss

Avant de laisser la parole à Laure Coulombel, car elle va sans doute y revenir, je voudrais que l'on souligne l'extrême prudence que Marina Cavazzana-Calvo a montrée vis-à-vis des essais cliniques qui sont menés et le lien entre la recherche fondamentale et les essais cliniques pour tout ce qui concerne ces cellules souches, qu'elles soient embryonnaires ou adultes.

Je voudrais le mettre en parallèle avec un autre paradoxe qui émerge actuellement dans la littérature médicale internationale. En effet, certaines cellules hématopoïétiques, sous prétexte qu'elles ont un antigène CD 34, qu'elles sont caractérisées comme un des progéniteurs, voire des cellules souches hématopoïétiques employées depuis une longue période pour les greffes de moelle, sont utilisées, chez l'homme, dans des essais cliniques tous azimuts (accidents vasculaires cérébraux aigus, infarctus cardiaques aigus) qui font frémir au regard de nos règles éthiques. Je voudrais que l'on mette en parallèle ce paradoxe.

René Frydman a évoqué la mondialisation. On voit se multiplier aujourd'hui certains essais cliniques humains avec certaines cellules souches adultes. Parallèlement, on fait preuve d'une extrême prudence et on freine des essais extrêmement bien menés sur des cellules souches, au prétexte qu'elles seraient embryonnaires.

Mme Laure Coulombel

Je voudrais revenir sur les définitions précises de ce que l'on appelle des cellules souches adultes, qui sont ce que je connais le mieux.

En premier lieu, on n'arrive pas jusqu'à maintenant à purifier jusqu'à homogénéité ces cellules souches. À ma connaissance, il n'y a pas possibilité chez l'homme d'avoir un tube avec 100 % de cellules souches, ce qui est totalement différent avec les cellules souches embryonnaires. La complémentarité commence là. Par ailleurs, il faut s'entendre sur une définition, et jusqu'à présent tout le monde est à peu près d'accord. Pour une cellule souche, il faut avoir une fonction, et donc un système expérimental, pour la mettre en évidence. C'est tout le problème. J'insiste sur le fait qu'il est très important en recherche de développer des modèles, en particulier in vivo, qui permettent de mettre en évidence cette fonction, que ce soit pour les cellules souches embryonnaires ou pour les cellules souches adultes.

La définition d'une cellule souche est la suivante : c'est une cellule qui va reformer in vivo et à long terme la diversité d'un tissu. Je pense que tout le monde est à peu près d'accord sur cette définition, avec la diversité par la production de cellules différenciées. Il est important d'avoir un système expérimental pour le mettre en évidence. Il n'y a pas d'autres moyens à l'heure actuelle. C'est en soi une voie de recherche qu'il ne faut pas oublier.

Je voudrais insister également en ce qui concerne les cellules souches adultes, en rejoignant l'aspect thérapeutique, sur le fait qu'il y a une très grande diversité entre ces cellules souches. Il convient de faire des distinctions au sein des cellules souches tissulaires spécialisées dans la mesure où, à l'intérieur même de ce groupe, il existe une diversité, avec des tissus qui se renouvellent en permanence, parce que des cellules meurent (la peau, les intestins, le système hématopoïétique). De ce fait, ces tissus sont déjà utilisés en thérapeutique, puisque l'on sait que ces cellules souches sont fonctionnelles in vivo. Par ailleurs, il existe une autre catégorie de tissus qui spontanément ne se renouvellent pas, mais on peut encore subdiviser, entre ceux qui vont être capables de répondre à une lésion, et pourvoir à sa réparation par activation des cellules souches et d'autres tissus où, même si les cellules souches sont présentes, elles ne sont pas capables pour l'instant de réparer. C'est une distinction importante, parce que les applications thérapeutiques et la recherche à ce propos ne sont alors pas les mêmes.

Ainsi, la question en thérapeutique est de savoir comment on peut essayer de réparer un tissu qui spontanément ne le fait pas efficacement.

De ce point de vue, on peut formuler trois stratégies. On peut trouver des molécules qui vont stimuler les cellules souches présentes dans le tissu. C'est une voie de recherche qui ne concerne pas la cellule mais la molécule qui va stimuler, ce qui est très important. Là aussi, des cellules souches embryonnaires peuvent peut-être nous servir de crible pour ce type de molécules. Il existe un va-et-vient permanent entre ces deux types de tissus. On peut également travailler sur les salamandres, avec des molécules qui peuvent être présentes également chez l'homme. Il y a donc un travail sur la définition des cellules et sur la définition des molécules qui peuvent les stimuler. On peut peut-être stimuler des cellules qui sont dans le tissu, mais qui ne font pas leur travail, ou bien on peut essayer de purifier ces cellules, de les amplifier en laboratoire, et de les réinjecter dans le tissu. On peut également prendre les cellules qui sont dans un tissu, et faire ce que l'on fait dans une greffe de moelle, c'est-à-dire une transplantation immédiate.

J'évoque immédiatement ce qui a été décrit au cours des deux dernières années, c'est-à-dire le fait que dans cette fameuse moelle osseuse, il pourrait y avoir plein de cellules souches capables de réparer l'ensemble des tissus. Il faut être très clair à l'heure actuelle. Les cellules souches médullaires, cela ne veut rien dire. Dans la moelle osseuse, il y a des cellules souches hématopoïétiques, dont a parlé Marina Cavazzana-Calvo, il y a des cellules souches dont le terme souche est peut-être totalement inapproprié et qui sont des cellules qui adhèrent quand on les met en culture, et que j'appellerais volontiers des cellules stromales multipotentes, qui vont faire de l'os, de la graisse et du cartilage. Il y a une autre catégorie de cellules, qui sont des progéniteurs, qui vont faire éventuellement des vaisseaux, de l'endothélium, et qui ne sont peut-être pas stricto sensu des cellules souches. Enfin, il y a un énorme point d'interrogation concernant les cellules souches multi-tissulaires, isolées par deux ou trois équipes mais dont les travaux ne sont pas pour le moment reproductibles, qui sont des cellules qui seraient capables, in vitro, dans des conditions expérimentales (j'insiste, car on ne connaît pas du tout leur signification in vivo, si elles existent), de refaire plusieurs tissus.

La première question est de savoir, tout d'abord, ce qu'il en est de ces cellules in vivo : existent-elles et que font-elles ? Il n'y a aucune réponse. Deuxièmement, cela n'est pas reproductible et l'on est donc peut-être devant un événement qui est survenu dans une cellule ayant proliféré pendant de multiples divisions, voire parfois plusieurs mois et qui est un artefact de « culture », même si l'observation expérimentale est juste. Il faut donc être très clair. Actuellement, la source de cellules thérapeutiques à partir de moelle osseuse concerne les maladies hématologiques et l'utilisation des cellules souches hématopoïétiques, éventuellement pour aider à une reconstruction d'un dégât osseux dans le cas des cellules osseuses. Il n'existe pas pour le moment d'autres applications pour les progéniteurs endothéliaux, éventuellement dans le cas d'une réparation vasculaire.

Cette notion sur laquelle j'arrive de « transdifférenciation » n'est à l'heure actuelle absolument pas démontrée. Elle tendait à montrer qu'une cellule souche hématopoïétique était capable de faire autre chose que des cellules hématopoïétiques. Il n'y a pas de démonstration expérimentale valable à l'heure actuelle. Avec une seule cellule chez la souris, rien ne se produit d'autre que des cellules souches hématopoïétiques.

En revanche, certains dérivés de ces cellules souches hématopoïétiques peuvent fusionner dans le tissu malade avec une cellule malade et lui conférer alors la capacité de redevenir « normale ». Dans ce cas, on est devant un cas de reprogrammation nucléaire somatique. Il faut bien différencier ces deux choses. D'un point de vue thérapeutique, il n'y a pas à l'heure actuelle à ma connaissance une quelconque application de cette fusion, mais cela peut être éventuellement envisagé dans l'avenir, et l'on peut y réfléchir. Il n'y a pas à l'heure actuelle d'utilisation de la moelle osseuse d'un point de vue thérapeutique efficace pour des pathologies musculaires, nerveuses ou autres. Dans nos laboratoires, on peut faire exprimer certains marqueurs d'autres tissus par des cellules souches hématopoïétiques, mais on est alors peut-être à nouveau dans l'artefact de culture. D'un point de vue thérapeutique, la moelle osseuse est à peu près bien cadrée aujourd'hui, mais des progrès peuvent être faits.

Je me permets d'insister sur la notion d'accessibilité, que j'ai évoquée.

Pour les cellules souches adultes, il existe un grand problème d'accessibilité. Il faut d'abord avoir le tissu et aller les y chercher et il faut pouvoir les purifier, ce qui est souvent très difficile car elles meurent souvent très rapidement lorsqu'on les sort de leur contexte. De toute façon, on aura des « fifrelins ». De ce point de vue, les cellules souches embryonnaires humaines sont un apport absolument considérable pour décrypter les mécanismes.

Comme cela est vrai pour les cellules souches embryonnaires, on peut envisager que les cellules souches adultes que l'on cultive dans les laboratoires puissent faire des choses dans les boîtes de culture qu'elles ne font pas dans l'organisme. Quelle peut être l'application thérapeutique de cela ? Il faut être prudent pour les réutiliser en termes de remplacement substitutif d'un tissu, mais on peut utiliser ces cellules que l'on a amplifiées en laboratoire dans une application de criblage moléculaire. Je reviens à la recherche sur les molécules capables de modifier ou de moduler le comportement des cellules souches. Il ne faut certainement pas l'oublier.

M. Alain Claeys

Merci beaucoup. Monsieur Louvard, sur la dernière remarque concernant les cellules adultes...

M. Daniel Louvard

Je suis tout à fait d'accord.

M. Alain Claeys

Jacques Hatzfeld, vous avez été la première équipe qui a eu l'autorisation, sur dérogation d'un ministre précédent, pour importer des cellules souches. A quelle date était-ce ?

M. Jacques Hatzfeld

C'était en 2002. Nous entrons donc dans la quatrième année de travail sur les cellules souches embryonnaires.

M. Alain Claeys

Administrativement, comment cela s'est-il passé ?

M. Jacques Hatzfeld

C'était à l'époque où Mme Ketty Schwartz était directeur de la recherche et M. Schwarzenberg, ministre. On m'a demandé de faire un dossier assez complet, qu'on m'a prié d'améliorer trois fois. Il était totalement faux de prétendre que ce dossier a été fait à la va-vite, juste avant des élections présidentielles de 2002. Un travail extrèmement complet a été fait par la direction du ministère. Un comité de sages a revu tout le dossier, et je n'étais pas du tout content lorsque, le lendemain, un sénateur a dit qu'on se moquait d'eux, qu'une autorisation avait été donnée « par-dessus la jambe ». C'était inacceptable.

Je regrette d'avoir été le seul à avoir pu travailler sur les cellules souches.

M. Alain Claeys

Si vous me permettez, sur cette période, j'ai affirmé ma position au ministre. Hervé Chneiweiss devrait s'en souvenir. Je n'étais pas contre ces dérogations, mais je souhaitais que préalablement, au moins en première lecture, le Parlement autorise la recherche sur les embryons surnuméraires. En effet, je trouve paradoxal (c'est la situation de l'Allemagne) que l'on n'autorise pas la recherche dans un pays où on accepte l'importation de cellules souches. Cela me posait un problème éthique et cela me pose toujours un problème.

M. Jacques Hatzfeld

Par la suite, il y a eu le Comité ad hoc. Nous avons demandé de nouvelles lignées, et nous avons travaillé pendant trois ans avec deux lignées provenant d'Australie. Récemment, nous avons eu l'autorisation d'importer trois autres lignées. Je voudrais que l'on fasse très attention à ce que l'Agence de la biomédecine ne s'empêtre pas dans un système certes administrativement correct mais ingérable. On va perdre un temps faramineux pour avoir des autorisations qui pourraient être obtenues très rapidement dans des cas où l'on connaît le laboratoire, l'institut où cela se passe. Il faut arrêter de passer des mois à faire des allers-retours avec des experts que l'on ne connaît pas. On a l'impression d'être considérés comme des gens susceptibles d'être malhonnêtes. On est vraiment considérés comme des chercheurs qui ont l'intention de frauder avec la loi. Cette attitude est inacceptable.

M. Alain Claeys

La directrice de l'Agence de la biomédecine n'est pas présente, mais si Mme Ott souhaite intervenir, qu'elle n'hésite pas. Quels sont les délais actuels ?

M. Jacques Hatzfeld

J'ai discuté avec plusieurs personnes de l'Agence de la biomédecine, dont Mme Ott. On m'a dit que pour faire de nouvelles lignées, il faut d'abord attendre que cela passe au Journal officiel, qu'il faudra au minimum quatre mois, après que nous aurons reçu les informations sur la façon dont nous devons faire notre présentation, car nous ne savons pas encore sous quelle forme nous devons présenter notre dossier. Ensuite, ce sont quatre mois minimum. S'il y a le moindre problème, on devra attendre quatre mois supplémentaires. Par ailleurs, on ne nous informera s'il y a un obstacle qu'au bout des quatre mois, alors que l'expert pourrait, en cas de difficultés, nous demander directement des précisions nécessaires avant ce délai.

Je rappelle ce problème du DPI, où l'on pourrait faire des lignées tout de suite. Il est urgent que nous ayons une réponse rapidement dans ce domaine car nous pourrions rattraper tout ce temps que nous perdons en ce moment.

Mme Marie-Odile Ott

Je laisserai ensuite la parole à M. Picard pour son expérience du Comité ad hoc, qui a fait un « essuyage de plâtre », comme on dit dans le langage courant, de ces procédures.

Concernant l'Agence de la biomédecine, nous avons prévu des fenêtres d'autorisation qui prendraient au maximum quatre mois, qui sont des fenêtres d'ouverture de dépôt de dossier. À partir du temps 0 jusqu'au temps final, il y a un maximum de quatre mois. Cela peut aller plus vite si les dossiers ne posent pas de problème. Il faut soumettre ces dossiers à des experts scientifiques, qui soumettent leur rapport à un conseil d'orientation, puis la directrice générale prend la décision. Entre le moment de l'examen des dossiers, de l'envoi et de l'obtention d'une expertise correcte, où il faut réunir les gens au même moment, il y a tout de même des contraintes difficiles à réduire. Il y aura une liste de recevabilité, mais en cas de pièces manquantes ou d'informations complémentaires, le temps sera suspendu. Des mesures sont prévues également dans le décret, que nous attendons tous.

M. René Frydman

Je voudrais dire quelques mots sur le délai.

On sait bien qu'il peut être raccourci, voire allongé ou devenir indéterminé dans le temps. J'insiste sur l'expérience vécue autour du diagnostic préimplantatoire. Je dois dire très solennellement que je viens d'apprendre que la responsable de l'Agence de la biomédecine, à peine nommée, vient d'être apparemment remplacée. Si elle l'a été par la personne dont le nom est cité, on est vraiment dans la situation la plus difficile. En effet, elle est connue par ses positions rétrogrades par rapport aux progrès scientifiques, puisque nous avons déjà eu affaire à elle sur les mêmes thèmes. On peut tout imaginer, tout en restant dans le cadre de la loi. Toutes les procédures peuvent être extrêmement allongées et ne pas aboutir. Nous avons manifesté, avec un certain nombre de chercheurs, notre inquiétude. Alors qu'une agence se met en place, nous souhaitons avoir des informations sur les raisons de ce remplacement et sur la confirmation de la ligne proposée, qui est manifestement idéologique, et sur laquelle nous ne pouvons qu'être très inquiets. Cela devra sans doute aboutir dans les milieux scientifiques à une prise de position très claire, en ce qui me concerne en tout cas et pour certains d'entre nous, car on ne va pas dans le bon sens.

M. Alain Claeys

Merci. Daniel Aberdam

M. Daniel Aberdam

Je voulais ajouter aux propos de Jacques Hatzfeld un témoignage personnel, puisque je fais partie des laboratoires qui ont obtenu l'autorisation du Comité ad hoc d'importer et de travailler sur les cellules souches embryonnaires humaines. Nous avons dû attendre des mois, mais je voudrais préciser deux choses. Il a fallu trois autorisations, une d'importation, une autre de travail sur les cellules embryonnaires humaines, et une autre de stockage. Je n'ai pas besoin de commenter mais je pense qu'il y a une exagération.

M. Alain Claeys

Cela concerne le niveau réglementaire. Ce n'est pas la loi qui dicte cela.

M. Daniel Aberdam

Je ne crois pas. Depuis des années, nous stockons des lignées de partout. Mais les conditions de stockage pour ces lignées les font suspecter d'être très dangereuses. Elles pourraient très bien sortir du laboratoire pour se transformer en « monstres », ou l'inverse... Encore une fois, on n'a peut-être pas confiance en nous, et l'on pense qu'on peut les donner et qu'il faut qu'elles soient enfermées avec des cadenas, car c'est la réalité. A Nice, nous n'avons pas encore de centre de thérapie cellulaire génique, qui est en fin de construction, et j'ai donc eu l'autorisation d'importer les lignées, celle également de les travailler, mais pas celle de les stocker à Nice. Je les stocke donc à Montpellier et vous pouvez imaginer la facilité de travail.

M. Alain Claeys

Sur ce cas particulier, pouvez-vous m'indiquer, dans une note, toutes ces difficultés qui peuvent être gigantesques pour vos recherches ? Cela me sera utile.

M. Daniel Aberdam

Pour terminer, j'ai le sentiment qu'il existe une suspicion permanente face aux scientifiques. Nous sommes évalués, nous, laboratoires Inserm, par l'Inserm. Pourquoi y a-t-il besoin d'une réévaluation de ces projets de recherche, qui sont acceptés par les instances évaluatrices de l'Inserm ? Pourquoi ajouter encore des procédures, et faire des « mille-feuilles » ? C'est un problème de confiance, et je considère que le législateur doit commencer à donner confiance aux chercheurs. Arrêtons de rajouter des agences sur des agences. C'est un témoignage personnel.

M. Alain Claeys

Monsieur Picard, vous souhaitiez intervenir sur ce sujet

M. Roger Picard, porte-parole de l'Alliance maladies rares

J'étais également membre du Comité ad hoc qui se réunissait ce matin sur les dernières demandes d'importation de lignées de cellules souches.

Je comprends ces critiques. Je suis représentant d'association, et je ne suis donc pas un scientifique. J'ai participé à beaucoup d'études sur trente-cinq ou trente-six dossiers qui nous sont parvenus et j'ai été co-rapporteur avec un scientifique sur une vingtaine de dossiers. Le problème ne se situe pas au niveau de la suspicion, mais au niveau des contraintes, du carcan qui nous a été imposé par le législateur, ou l'interprétation qui a été faite, au niveau des décrets d'application. On nous a demandé de statuer sur des demandes d'importation, de conservation et de recherche. On ne nous a pas demandé notre avis sur le fait de savoir si c'était légitime ou pas. C'était le cadre qui nous était imposé dans ce comité, et nous avons essayé de remplir cette mission au mieux.

M. Alain Claeys

Vous considérez que c'est une procédure lourde.

M. Roger Picard

Pour répondre à M. Hatzfeld, dès qu'il y avait une demande complémentaire, elle était transmise immédiatement.

M. Daniel Aberdam

Cela n'a jamais été le cas.

M. Roger Picard

Ensuite, il y a la réunion du comité, et une implication administrative qui n'était plus du ressort des membres du Comité, car toute l'administration travaille derrière. Je me suis élevé contre le fait que le délai passe à quatre mois, ce qui me semble totalement anormal.

M. Alain Claeys

Merci de votre témoignage, Monsieur Picard. Je redonne la parole à Jacques Hatzfeld, mais c'était utile de faire le point sur le sujet.

M. Jacques Hatzfeld

Le sujet de notre table ronde concerne l'utilisation des cellules souches et les enjeux pour la santé. On parle beaucoup de thérapie cellulaire, mais on parle très peu de la génomique fonctionnelle. Je voudrais expliquer de quoi il s'agit pour les journalistes qui ne sont pas au courant.

Lorsqu'on travaille avec les cellules souches adultes, et que l'on cherche quels sont les gènes, ce que l'on appelle les stemness genes en anglais (en français j'ai entendu le mot « souchitime » », mais il vaut mieux utiliser l'anglais) c'est-à-dire les gènes qui contrôlent les cellules souches, on n'arrive à aucun consensus entre les différents laboratoires, même si, quelquefois, le consensus concerne un gène. Lorsqu'on prend les cellules souches embryonnaires, et que l'on compare plusieurs lignées (une étude récente a été faite sur sept lignées), on a trouvé pour l'autorenouvellement de ces cellules quatre mille deux cents gènes qui étaient des EST, c'est-à-dire des gènes dont on ne connaît pas encore la fonction. Il y avait consensus entre les laboratoires, entre les lignées.

Pour l'autorenouvellement, on sait qu'il existe quatre mille deux cents gènes, et je pense qu'il y en a autant pour les parties de différenciation. Il y a donc près d'un tiers du génome humain dont on ne connaît pas la fonction, mais dont on sait qu'il contrôle le développement, et que ces gènes sont exprimés sur les cellules souches embryonnaires. Si l'on a des lignées de cellules souches embryonnaires, on va pouvoir connaître la fonction de ces gènes. Les biotechnologies anglo-saxonnes ont tout de suite compris. Avant de connaître exactement la fonction de ces gènes, ils ont compris qu'il fallait faire les protéines et les anticorps correspondant à ces protéines. On peut trouver maintenant, correspondant à tous ces gènes, toutes ces protéines qui vont être les médicaments de demain. En effet, on connaît la séquence de ces gènes, et l'on sait qu'ils correspondent à des récepteurs, à des facteurs de croissance, à des hormones, à des facteurs de transcription, qui peuvent interagir dans le développement humain. Il faut absolument arrêter d'opposer les cellules ES humaines aux cellules souches adultes. Je continue à travailler beaucoup, beaucoup plus vite sur les cellules souches adultes depuis que je travaille sur les cellules ES.

Je vous ai donné l'exemple où nous cherchons à caractériser les cellules souches mésenchymateuses à travers le projet européen GENOSTEM, mais nous ne partons pas de cellules souches adultes, qui sont très rares, à un pour 107 cellules, et qui, lorsqu'on les met en culture, ont déjà perdu leur propriété de cellules souches. On ne peut donc pas travailler avec elles. Les lignées de cellules mésenchymateuses obtenues à partir de lignées de cellules souches embryonnaires nous permettent d'avoir beaucoup de cellules souches et on peut les caractériser. On est en train de trouver des marqueurs sur les cellules souches mésenchymateuses, que l'on ne trouvait pas avant, et on va pouvoir en trouver beaucoup plus.

Ce que l'on appelle la génomique fonctionnelle, c'est la possibilité d'étudier la fonction de tous ces gènes dont on ne connaissait rien jusqu'à présent et qui représentent un tiers du génome humain. Lorsqu'on aura tous ces gènes qui contrôlent le développement et la thérapie cellulaire, les cellules souches adultes seront repensées totalement différemment. On aura des facteurs, des hormones, qui nous permettront d'aller beaucoup plus vite. On peut faire dans certains cas des études de thérapie cellulaire tout de suite, ce qui a été cité tout à l'heure. C'est en effet très important, mais je pense qu'on ira beaucoup plus vite lorsqu'on aura fait toute cette génomique fonctionnelle.

Je voudrais citer un exemple de situations aberrantes. Au CNRS, à l'Institut de chimie des substances naturelles, des substances permettraient par exemple de travailler sur la mucoviscidose, mais on ne peut travailler dans l'état actuel que sur des malades. Cela complique considérablement l'étude de ces nouvelles molécules alors qu'on pourrait actuellement faire ces études grâce aux cellules provenant de DPI. On préfèrerait avoir immédiatement de très nombreuses lignées correspondant à différents malades. Cela nous permettrait d'avoir des lignées de cellules souches embryonnaires que l'on pourrait développer vers tous les tissus et voir ce qui se passe pour tel gène de la mucoviscidose à chaque niveau de différenciation et comment les molécules sont susceptibles d'intervenir sur ces cellules.

Il faut changer d'optique, en particulier au CNRS. Je suis heureux de l'arrivée d'un nouveau directeur du département du vivant, autrefois appelé les sciences de la vie. J'espère que M. Van der Rest va nous aider dans ce sens. En effet, en ce moment, et je reprends ce qui a été dit, beaucoup de chercheurs partent à la retraite (dans mon équipe c'est le cas de deux directeurs de recherche) et on n'a personne pour les renouveler. Ce sont des équipes qui vont s'écrouler. On a besoin d'embryologistes, et on ferme Nogent, l'Institut d'embryologie. Va-t-on remplacer toutes ces personnes qui partent à la retraite ? La pyramide des âges actuelle fait que dans les six à huit prochaines années, la moitié des chercheurs du CNRS va partir à la retraite. Je pense que le minimum serait de remplacer immédiatement ceux qui travaillaient sur les cellules souches par un poste fléché dans le domaine.

M. Michel Van der Rest

J'enregistre le message, mais il est certain que l'objectif n'est pas de voir diminuer le nombre de chercheurs dans les années à venir, bien au contraire. Le domaine des cellules souches est évidemment un domaine dans lequel nous devons poursuivre des recherches très en amont, comme on l'a dit plusieurs fois ce matin.

M. Jacques Hatzfeld

Je souhaite une réponse rapide sur la possibilité d'utiliser les DPI. Ce ne sont plus des embryons, mais des déchets opératoires, et on pourrait travailler tout de suite. Ou bien on veut bloquer la situation et nous empêcher de travailler, mais c'est alors un acte politique, ou politicien.

M. Alain Claeys

Dans le cadre de la loi aujourd'hui, l'autorisation n'est pas possible. Cela suppose une modification de la loi. Je ne pense pas que cela puisse être décidé à travers une mesure réglementaire.

M. René Frydman

Dans le cadre de la loi, on va voir ce qui concerne la recherche sur l'embryon dans le décret. Jacques Hatzfeld, et je ne peux que le suivre, signale que ce ne sont pas des embryons surnuméraires en attente d'une solution selon la volonté des géniteurs, mais des embryons qui sont détruits à l'instant même. Cette destruction est imposée du fait de la maladie, et c'est même le bien-fondé du diagnostic préimplantatoire. Il faut que les textes suivent et les gens doivent prendre les décisions qui s'imposent.

M. Alain Claeys

Concrètement, pour la proposition qui est faite, ce n'est pas un décret qu'il faut.

M. René Frydman

La proposition qui est faite consiste à savoir, malgré ce que l'on vient d'apprendre concernant la nomination de ce matin, si on est amenés à aller de l'avant, quel sera le courant de pensée et si on sera soutenus ou pas. On a déjà connu cela pour un certain nombre de phénomènes de société.

Mme Ketty Schwarz

Dans la mesure où l'on n'a pas aujourd'hui, sans les décrets, l'autorisation de dériver de nouvelles lignées, ce qui est proposé par Jacques Hatzfeld ne pourra pas être mis en application. Cela ne pourrait-il pas être tout de même mis en application ?

M. René Frydman

Selon les interprétations, on peut rester dix ans là-dessus ou passer très vite.

M. Roger Picard

Je voudrais préciser que parmi les autorisations de recherche sur les cellules souches qui ont été données par le Comité ad hoc, on trouve deux lignées importées issues de DPI malades. Du moment que l'on autorise de la recherche sur des lignées d'importation, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire. Ce serait totalement illogique.

M. Alain Claeys

Parallèlement au travail que je fais, je vais saisir les ministres sur ce sujet, et en particulier sur les décrets.

M. Hervé Chneiweiss

Il faut être très clair, comme vient de le faire René Frydman. Les faits qui sont du domaine du réel sont là et l'interprétation sociale ou législative qui en est faite est différente. Les lignées de cellules dont nous parlons, ce sont des cellules qui ne peuvent donner que d'autres cellules. Il se trouve qu'il y a référence à leur origine. Mais dans l'interprétation qui avait été faite en 2002, et qui avait abouti à l'autorisation donnée à Jacques Hatzfeld d'importer, il avait été considéré qu'il s'agissait de lignées de cellules humaines, et que la législation et la réglementation qui s'appliquait à ces cellules étaient la réglementation et la législation de lignées de cellules humaines, soumises à différentes règles d'importation.

De la même façon, dans le cas d'embryons à propos desquels a été fait un diagnostic d'une maladie génétique particulièrement grave, nous sommes devant des cellules qui ne pourront en aucun cas donner lieu à implantation ou à future vie. Comme plusieurs intervenants l'ont signalé, au sens médical du terme, on est devant (il faut utiliser des mots cruels) un déchet opératoire. On se trouve donc comme devant une tumeur que l'on retire, comme devant une vésiculaire biliaire avec des calculs que l'on retire. On est devant un tissu humain, certes, mais qui n'a plus de fonction vitale ou de possibilité de développement vital. Les faits étant les faits, la loi ou le règlement, aura à en donner une interprétation, qui sera de toute façon une interprétation de faits qui restent les faits.

M. Alain Claeys

J'ai bien compris ce que vous dites.

Je pense qu'on va arriver à un équilibre, que l'on pourra juger mauvais ou bon, ce n'est pas à moi de le dire ici. J'ai pris mes responsabilités au Parlement, d'autres collègues ont fait un autre choix. Mais c'est la loi qui s'impose à nous tous. Il y a deux problèmes par rapport à cette loi. D'abord, les décrets d'application qui ne sortent pas. Dans ce cas, le législateur a un droit de regard car les décrets doivent suivre et il n'est pas acceptable que cela prenne autant de temps. L'autre sujet qui est l'objet de ce rapport, c'est comment faire évoluer cette loi. Cette journée d'aujourd'hui nous apporte toute une série d'éléments qui seront utiles au législateur. Celui-ci a souhaité que l'actualisation de la loi ne soit pas une actualisation rigide, tous les cinq ans, mais qu'il puisse y avoir des actualisations plus rapides. Je crois aux faits et à la pédagogie pour faire avancer les choses.

Monsieur Hovine, vous êtes président de l'association France Parkinson. Vous pouvez peut-être nous expliquer comment votre association de malades s'intègre dans cette réflexion, dans ce dispositif, comment vous êtes consultés, et voir quels sont les thèmes auxquels vous êtes plus particulièrement attaché aujourd'hui et quel regard vous portez sur cette loi.

M. André Hovine, président de France Parkinson

L'association France Parkinson est une des associations de malades dans le domaine des maladies neurodégénératives. Tout en m'exprimant pour le cas spécifique de Parkinson, se profilent en arrière-plan les problèmes de la maladie d'Alzheimer, de la sclérose en plaques, de la sclérose latérale amyotrophique, de la maladie de Huntington, qui sont d'autres maladies neurodégénératives. Ceci représente un enjeu crucial en termes de santé publique et en termes de finances publiques, compte tenu du nombre de personnes concernées par ces maladies. En effet, on dépasse aujourd'hui le million de personnes qui sont directement touchées par ces affections, sans parler de leur entourage, pour qui c'est également un drame au quotidien, de vivre ces maladies qui sont à la fois incurables et évolutives.

Si je prends le cas de Parkinson, il n'y a pas de remède à la maladie et il n'y a même pas aujourd'hui, sauf quelques espoirs à court terme, de moyens de protection neuronale qui permettraient de stopper l'évolution de la maladie. Il existe des thérapies médicamenteuses, dans le cas de Parkinson la chirurgie cérébrale profonde, avec la stimulation du corps noir. Il y a des progrès mais pas de remède définitif ou de suspension de l'évolution. Tout ce qui concerne de nouvelles approches pour la thérapie de la maladie fait l'objet d'une attente immense de la part des malades. Attente immense qu'il ne faut pas décevoir, sous plusieurs aspects. Le premier est celui de ne pas donner d'espoirs prématurés et inconsidérés. Ceci est très important, et je me tourne plus spécialement vers la presse et les journalistes car le « scoop » qui intéresse le journaliste peut conduire à des erreurs d'interprétation, de faux espoirs, et le mouvement en retour est généralement très brutal. On se dit qu'on parle encore de cela mais que finalement il ne se passe rien et qu'on n'a rien trouvé. Du point de vue des malades, il est important d'avoir une information qui soit à la fois objective et mesurée, pour ne pas donner des espoirs inconsidérés.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt Mme Schwarz parler d'un essai qui doit démarrer aux États-Unis sur la maladie de Batten. Je crois que c'est à propos de nouvelles comme celle-là qu'il faut s'essayer à développer une information qui soit suffisamment prospective et objective, mais aussi mesurée, et qui puisse être relayée ensuite par les différents organes d'information que constituent au premier chef les revues d'information internes aux différentes associations de malades.

Je voudrais aussi, au-delà du point de vue strict des malades, parler en tant qu'association et non pas de mon expérience en tant que président d'association dans le domaine de la thérapie cellulaire, puisque nous n'avons pas été associés aux commissions ou travaux qui sont en cours. Je l'ai été cependant dans un autre domaine, en étroite collaboration avec Hervé Chneiweiss, sur un autre sujet important voici quelques années, et qui l'est toujours, concernant la création de banques de tissus. L'association est impliquée dans la création de banques de tissus cérébraux ou de tissus en relation avec l'évolution des maladies neurodégénératives et nous nous sommes souvent heurtés à des problèmes de compréhension et d'interprétation des textes législatifs et réglementaires. Partant de cette expérience, je crois que la transposition est aisée dans le domaine qui nous intéresse aujourd'hui. Je me permets d'attirer l'attention du législateur et de ceux qui sont responsables de la parution des textes réglementaires, sur la nécessité d'avoir des textes clairs recelant le minimum d'ambiguïté et développant le maximum de cohérence, ce qui malheureusement n'est pas toujours le cas.

M. Alain Claeys

Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais on peut mieux faire.

M. André Hovine

Je le note avec beaucoup de satisfaction, car nous en sommes, surtout en l'absence de décrets d'application, à la recherche de l'interprétation de la pensée du législateur et nous n'avons pas d'accès direct à ce qui nous permettrait de la saisir pleinement. Lorsqu'on essaie de solliciter un corps éminent comme le Conseil d'État, celui-ci se réfugie prudemment sur le fait que la saisine, pour l'interprétation du législateur, passe par des procédures très complexes. Je profite de l'occasion qui m'est donnée ici, partant encore une fois d'un autre domaine qui ne concerne pas directement la discussion d'aujourd'hui, mais dont je sens bien à travers les différentes interventions qu'elle est sous-jacente à de nombreux problèmes rencontrés par les scientifiques. Il est très important qu'il y ait une cohérence, une absence d'ambiguïté, et une précision dans les décrets d'application, pour que l'on puisse intégrer des préoccupations opérationnelles au moment de la réflexion. Non pas seulement des préoccupations éthiques, qui sont indispensables, mais opérationnelles, à savoir comment cela peut marcher sur le terrain. On a une parfaite illustration sur la loi sur la bioéthique telle qu'elle est sortie des textes de 2004, où le prélèvement de tissu est subordonné à l'existence d'un projet de recherche. Étant un financier à l'origine, j'ai toujours appris que dans les banques, on commençait par collecter l'argent avant de faire des prêts. Malheureusement, dans le domaine scientifique, s'il faut en croire la loi, il faut commencer par avoir une maison à construire avant de commencer à collecter des dépôts. C'est un peu paradoxal.

M. Alain Claeys

On vous demande de guérir avant de vous autoriser à avoir un projet de recherche...

M. Jacques Hatzfeld

Nous avons absolument besoin de ces tissus. Vous n'avez pas besoin de projets. C'est précisément lorsqu'on aura cette génomique fonctionnelle, qui nous donnera toutes ces protéines, que l'on pourra, grâce aux coupes qu'on peut faire avec vos tissus, voir quels sont les gènes impliqués. D'office, vos banques sont importantes.

M. André Hovine

C'est bien la raison pour laquelle nous n'avons pas reculé devant l'obstacle et que nous les avons créées, mais en tant que responsables à un titre ou à un autre, dans cette banque de tissus, nous nous sentons parfois en position « bancale » par rapport à la loi, ce qui n'est pas confortable, surtout si on lit les derniers chapitres consacrés aux dispositions pénales...

A titre informatif, je voudrais signaler que les préoccupations que vous avez aujourd'hui, en ce qui concerne le sentiment des usagers sur la question, seront reprises à l'échelle européenne, à Bruxelles, dans un mois, lors d'une conférence qui est soutenue en particulier par la Fédération européenne des associations de maladies neurologiques, et dont le thème pendant deux jours sera précisément le positionnement des usagers par rapport à la thérapie cellulaire et tous ces travaux scientifiques que nous avons entendus ce matin.

M. Alain Claeys

Merci, Monsieur Hovine.

Je donne la parole à M. Philippe Ménasché pour qu'il nous explique concrètement ce que l'on fait aujourd'hui.

M. Philippe Ménasché

Je vais faire trois remarques concrètes, puisque nous sommes dans le champ de la thérapeutique.

La première chose qu'il faut dire, c'est que dans le domaine des essais cliniques de la thérapie cellulaire, si l'on met de côté les greffes de moelle, qui existent depuis longtemps, l'expérience à ce jour est très limitée. Je fais écho à ce que vient de dire M. Hovine. Que ce soit dans le domaine du cerveau, du pancréas, ou du c_ur, peu de patients ont bénéficié aujourd'hui de la thérapie cellulaire et l'honnêteté oblige à dire que l'on est incapable à ce jour de dire si l'efficacité de la thérapie cellulaire va être limitée, très importante ou nulle. Personne ne peut le savoir, même si un certain nombre d'indices sont encourageants. Si ce n'était pas le cas, on ne continuerait pas. C'est d'ailleurs complètement normal, puisque les premiers essais qui ont été faits sont des essais de phase 1 qui testent la faisabilité, la tolérance, et pas vraiment l'efficacité. On va rentrer maintenant dans la phase d'essais cliniques conçus pour démontrer l'efficacité, celle-ci restant à démontrer. Il faut donc rester prudents, en particulier vis-à-vis des patients, ne pas susciter des espoirs qui ne seraient pas fondés.

Le deuxième point, c'est que dans l'état d'ignorance où nous nous trouvons (je fais écho à ce qui a déjà été dit), cela n'a aucun sens d'opposer les cellules adultes aux cellules embryonnaires. Les deux pistes doivent être explorées en parallèle et on verra bien. Je ne vais pas rentrer dans les détails médicaux, mais il n'est pas impossible que les deux types de cellules trouvent finalement leur place dans des pathologies différentes. Pour donner un exemple, on sait aujourd'hui que si l'on veut remplacer une cellule du c_ur, il est peu probable dans l'état actuel des connaissances que l'on puisse y parvenir avec des cellules adultes. Les cellules embryonnaires en sont semble-t-il capables. A contrario, s'il s'agit simplement d'amener des cellules qui peuvent sécréter de l'insuline, des îlots de Langerhans, des cellules adultes prélevées chez des sujets en coma dépassé font très bien l'affaire.

Pour prolonger ce qui a été dit concernant l'absence d'a priori, l'opposition qui existe parfois entre les cellules adultes et embryonnaires n'a aucun sens sur le plan clinique. Il faut explorer les deux, ce qui signifie ne pas se couper la piste des cellules embryonnaires et l'on en revient à tout ce qui a été dit jusqu'à présent.

Enfin, je voudrais dire quelques mots sur un dernier point. On a toujours tendance à se lamenter sur tout ce qui nous arrive, mais la France a des atouts réels dans ce domaine, qui sont totalement sous-exploités. Elle a des atouts de par la qualité scientifique de ses équipes et parce que, plus qu'on ne le croit, on a la capacité dans ce pays à faire tomber les cloisons et à faire en sorte que des hospitalo-universitaires, des chercheurs, des biotech, se mettent autour d'une table et travaillent. Il y en a des exemples. On s'aperçoit que ce n'est pas toujours le cas dans les pays étrangers, y compris aux États-Unis, où les structures sont souvent plus rigides, peut-être à cause des dimensions. Nous avons par ailleurs des atouts « financiers ». Il est vrai qu'on n'a jamais assez d'argent, mais des efforts importants ont tout de même été consentis par le CNRS. L'Assistance Publique a créé un fonds d'amorçage pour les biothérapies. L'expérience prouve que même si cela prend du temps, lorsque le projet est bon, il est financé. Je ne pense pas que ce soit l'élément bloquant.

En outre, la France a un atout assez spécifique, qui n'est sans doute pas suffisamment reconnu, et qui est lié à l'expérience d'un certain nombre d'équipes comme celles de Marina Cavazzana-Calvo ou de Marc Peschanski, notamment. C'est ce que l'on appelle la recherche translationnelle. Il est très important de faire de la recherche fondamentale, mais notre travail est de soigner des malades et non pas des rats. À un moment donné, il faut passer des procédures développées en laboratoire à des procédures qui sont applicables chez l'homme. C'est un vrai métier. On est très aidés par l'AFSSAPS, qui fait un travail remarquable. Jean-Thomas Vilquin, qui a participé avec nous à l'aventure de la thérapie cellulaire, sait que ce travail translationnel est quelque chose d'important et un certain nombre d'équipes françaises ont acquis une réelle expertise en la matière. Il est d'ailleurs amusant de voir qu'à l'étranger, c'est souvent sur ces aspects de translation qu'on nous interroge.

En face de ces atouts, la frustration n'en est que plus grande, de voir ce capital peu valorisé et sous-exploité du fait des difficultés législatives auxquelles il a été fait allusion. Autoriser l'importation et interdire la création de lignées, c'est tout de même une hypocrisie extraordinaire, sans parler des difficultés de type purement réglementaire. Je sais que le Comité ad hoc a très bien travaillé, mais je me fais l'écho de ce qui a été dit. Dans un domaine où les choses vont vite, les délais imposés sont parfaitement inacceptables. Ce n'est pas la responsabilité de ceux qui sont dans la commission. S'il y avait une seule chose concrète qu'on vous demande, qu'on vous supplie, c'est de faire en sorte que les procédures puissent être allégées et que le temps administratif se cale un peu plus sur le temps scientifique.

Je termine en indiquant qu'on a des raisons aujourd'hui d'être très inquiets de ce point de vue et cela plus aujourd'hui qu'avant-hier, car on attend d'abord la parution des décrets d'application. Une fois que ces décrets vont enfin sortir, il va falloir les « mettre en musique », ce qui est le travail de l'Agence de la biomédecine. De ce point de vue, la décapitation honteuse de cette agence, du fait du départ de Carine Camby, est catastrophique. En effet, chacun a reconnu ses mérites et son implication, mais cela va bien au-delà d'un problème de personnes. Ce n'est pas simplement un fonctionnaire que l'on déplace pour le mettre ailleurs. C'est un coup d'arrêt, au mieux de six mois et sans doute d'un an, indépendamment des lignes politiques car je ne connais pas la personne qui lui succède. On met en place une agence, une équipe performante, qui travaille, qui fait du bon travail, et l'on change tout le monde. Au moment où les décrets vont sortir, le départ honteux de Carine Camby est un « mauvais coup » porté à la recherche sur la cellule souche. Vous m'excuserez de ma brutalité chirurgicale, mais vous savez que les chirurgiens sont des gens qui vont droit au but, et je pense me faire l'écho de ce que pensent Marc Peschanski, René Frydman et les autres. Au-delà d'un problème de personnes, c'est vraiment un coup d'arrêt à la recherche sur les cellules souches, et on n'en avait pas besoin.

M. Alain Claeys

Je vous remercie de la clarté de vos propos.

M. Philippe Ménasché

Je voudrais ajouter à ce qu'a dit René Frydman, qu'on espère avoir quelques explications et quelques indications sur ce que va être la politique dans les mois à venir.

M. Alain Claeys

Vous pourrez réintervenir au cours des deux autres tables rondes de cet après-midi. Mme Marianne Minkowski, je crois qu'il est important d'écouter votre intervention. Vous êtes directrice adjointe du département biologie du cancer à l'Institut national du cancer

Mme Marianne Minkowski, directrice adjointe du département biologie du cancer, à l'Institut national du cancer

C'est la raison pour laquelle je vais plutôt parler de biologie que de thérapeutique, même si le sujet abordé est principalement lié à la thérapeutique. Pour l'Institut du cancer, c'est aussi une biologie qui va vers la thérapeutique. Une grande majorité des propos que je voulais tenir a été évoquée par plusieurs intervenants avant moi, concernant la recherche sur la biologie des cellules souches dites normales, pour faire la distinction avec les cellules souches des tumeurs, qui permet d'obtenir des connaissances essentielles, et en particulier des connaissances nécessaires à la compréhension du processus de cancérogenèse. Le deuxième volet est l'identification et la caractérisation des cellules souches des tumeurs, dont on semble maintenant admettre l'existence, et qui devrait permettre l'élaboration de nouvelles approches dans le traitement du cancer. Mais ce n'est pas dans l'immédiat, car avant cela, il faut les caractériser réellement.

Il est actuellement accepté et démontré dans certains cas, qu'il existe au sein des tumeurs diverses populations cellulaires qui ont des pouvoirs ou des capacités d'autorenouvellement et de prolifération qui sont différentes. Parmi ces cellules tumorales, il existe une sous-population qui possède des propriétés d'autorenouvellement et la capacité d'initier et de maintenir la croissance de la tumeur. C'est cela que l'on appelle aujourd'hui les cellules souches tumorales ou cellules souches des tumeurs, sur lesquelles les travaux commencent réellement à être importants. Je reviens d'un congrès sur la recherche translationnelle dans le cancer, où il est clair que l'aspect « cellule souche » des tumeurs apparaît maintenant comme quelque chose qui peut expliquer un certain nombre de difficultés, notamment dans les thérapeutiques standards.

Il est essentiel que l'on soutienne l'étude de ces cellules souches, c'est-à-dire leur caractérisation phénotypique moléculaire et fonctionnelle, par comparaison avec les cellules souches dites normales. Il ne faut pas faire un travail à moitié, mais faire ces études en comparant les différences et les similitudes de ces deux types de cellules souches. Cela permettra de mieux comprendre le processus d'initiation des tumeurs et surtout d'identifier de nouveaux marqueurs et de nouvelles cibles pour une meilleure efficacité thérapeutique. En effet, les chimiothérapies standards s'adressent à des cellules en division et les cellules souches, par définition, sont quiescentes. Ces chimiothérapies standards ne sont pas efficaces sur les cellules souches des tumeurs et la compréhension de celles-ci, de leur fonctionnement, de leur raison d'être permettra sans doute d'améliorer les thérapeutiques des différents types de cancer.

J'avais pensé à vous parler de thérapie génique et cellulaire, mais je ne crois pas que cela se fasse dans le domaine du cancer avec des cellules souches actuellement. Daniel Louvard me corrigera si je me trompe. Il existe un certain nombre d'essais de thérapie génique et cellulaire dans le cancer. Un essai de phase 3 va commencer aux États-Unis sur un adénovirus porteur de P53 qui a été développé en Chine, qui devrait prochainement recevoir une autorisation de mise sur le marché. Il existe également un certain nombre d'essais de phase 2 et ce que l'on appelle l'immunothérapie, qui consiste à se servir du système immunitaire pour se débarrasser des cellules cancéreuses. Le souvenir que j'en ai est très lointain, puisqu'à une époque, j'étais membre d'une association qui prônait beaucoup la thérapie génique. Il existe en effet des essais qui sont faits au niveau du cancer, qui consistent à prendre des cellules tumorales, à les manipuler pour y introduire un gène tueur, la thymidine kinase, ensuite à réinjecter ces cellules chez les patients et à leur donner du Ganciclovir, ce qui permettait de déclencher le phénomène de mortalité des cellules cancéreuses.

Pour répondre à l'injonction de Daniel Louvard, l'Institut du cancer a la forte détermination dans les prochains appels d'offres qui vont être lancés d'ici la fin de l'année, d'en faire un sur les cellules souches.

M. Alain Claeys

Justement, comment s'inscrit l'Institut national du cancer, nouvel organisme, dans ces programmes de recherche ? Comment coordonnez-vous vos propres programmes de recherche avec les autres organismes de recherche ?

Mme Marianne Minkowski

Le rôle de l'Institut du cancer et de la mission qu'on lui a donnée est de coordonner tout ce qui se fait au niveau du cancer, pas seulement au niveau de la recherche, mais au niveau de la recherche clinique, des soins, de l'épidémiologie, etc. Au département biologie de l'Institut du cancer, nous lançons des appels d'offres vers les scientifiques des différents organismes.

M. Alain Claeys

Comment cela se coordonne-t-il par rapport aux programmes de recherche des organismes ? Il y a l'Agence de la biomédecine, les organismes, l'Institut du cancer... Au niveau de ces programmes sur les cellules souches, comment cela s'articule-t-il, qui est le pilote ?

Mme Marianne Minkowski

Au niveau du programme sur les cellules souches que nous voudrions lancer, il est évident que nous ne le ferons pas sans savoir ce que l'ANR va faire de son côté, et ce que les organismes font du leur. Nous devons être complémentaires, incitatifs, et ne pas répéter deux fois les mêmes types d'appels d'offres.

M. Alain Claeys

J'ai le sentiment que les équipes de recherche vont être confrontées à des tâches administratives considérables pour répondre à tous ces appels d'offres.

Mme Marianne Minkowski

Il faut l'éviter, ce qui n'a pas été forcément fait jusqu'à maintenant, mais l'Institut du cancer existe seulement depuis mai 2005.

M. Alain Claeys

Ce n'est pas un reproche que je vous fais.

Mme Marianne Minkowski

On a essayé d'initier une forme de coordination, notamment au niveau des cancéropôles qui existent depuis un peu plus longtemps.

M. Alain Claeys

Que représentent les cancéropôles en termes de recherche dans la réalité, des équipes Inserm, le CNRS ? Cela s'inscrit donc dans des programmes de recherche.

Mme Marianne Minkowski

Ce sont également des équipes hospitalières.

M. Alain Claeys

L'Institut national du cancer est-il prêt à participer à ces programmes de recherche, et ne pas recréer de nouveaux appels d'offres ?

Mme Marianne Minkowski

Les projets de recherche au sein des cancéropoles ont été initiés et sélectionnés à la suite d'un appel d'offres du ministère. On ne fait que continuer, prendre le relais de ce qui a été fait, pour essayer de continuer cette structuration, à la fois par la création des cancéropoles et les projets de recherche dits structurants qui y sont menés.

M. Alain Claeys

Je pense qu'une clarification doit être faite par rapport à tous ces organismes et dispositifs. Monsieur Picard, vous êtes le porte-parole de l'Alliance maladies rares, mais vous avez été aussi acteur du Comité ad hoc qui a permis d'instruire des dossiers. Sur ce dernier point, avez-vous des choses à ajouter par rapport à ce que vous avez indiqué ?

M. Roger Picard

On nous a assuré lors de la dernière réunion du Comité, ce matin, que les décrets d'application de l'Agence de la biomédecine sont sur le bureau du ministre et devraient être signés pour la fin de ce mois.

M. Alain Claeys

J'ai une autre information que je ne vous avais pas donnée. J'avais proposé à M. Xavier Bertrand, ministre de la Santé de conclure ces travaux. Il m'a fait savoir qu'il ne pouvait pas être présent aujourd'hui car il revient demain matin de Chine. Si je comprends bien, l'Agence de la biomédecine est maintenant à la recherche d'un directeur ou d'une directrice.

M. Roger Picard

On ne nous a pas parlé de cela. Je sais seulement que deux dossiers sont arrivés pour étude ce matin au Comité ad hoc, et qu'ils seront traités par l'Agence de la biomédecine. On est donc normalement partis a priori dans le circuit de l'Agence de la biomédecine.

M. Alain Claeys

Vous annoncez aujourd'hui que le Comité ad hoc ne siégera plus et que ce sera donc l'Agence de la biomédecine qui va instruire les dossiers.

M. Roger Picard

A condition que toutes les conditions soient réunies à l'Agence de la biomédecine. J'ignore ce qu'il en est.

M. Philippe Ménasché

Je ne sais pas qui sont les deux malheureux demandeurs mais il faut d'un point de vue concret savoir que cela signifie sans doute pour eux que leurs travaux de recherche sont décalés d'au moins un an.

M. Alain Claeys

Par rapport à cette information et en tant que rapporteur, je m'occuperai de cela. Il y aura une démarche auprès des ministres concernés, santé et recherche.

M. Roger Picard

Je ne peux pas vous répondre sur l'identité de ces deux demandeurs car ces dossiers ne nous ont pas été communiqués. Je sais simplement que dans les deux demandes il y en avait une, et c'était la première, d'un laboratoire privé.

M. Alain Claeys

Nous allons demander des précisions pour les jours qui viennent. En effet, s'il faut autant de temps pour le reste, on risque de perdre un an.

M. Roger Picard

En effet. J'ai répondu à votre invitation en tant que porte-parole de l'Alliance maladies rares, et je suis par ailleurs président de la Fédération Huntington Espoir, qui représente les malades atteints de maladie de Huntington. J'ai été sollicité par le ministère de la Recherche lors de la mise en place du Comité ad hoc en tant que représentant des associations et non en tant que spécialiste des cellules souches, bien que dans le cas de la maladie de Huntington on est assez informé de ces procédures. J'ai accepté non pas par conviction par rapport à la loi, car ce n'est un secret pour personne de dire qu'elle ne me convient pas forcément, mais par démocratie. A partir du moment où l'on est sollicité pour participer à quelque chose, j'estime que le mieux est d'être impliqué pour comprendre ce qui se passe plutôt qu'être dehors et de critiquer. J'ai été globalement assez satisfait de participer à ce Comité, avec toutes ses lourdeurs et contraintes que cela a pu apporter. Je pense que cela ne va pas forcément être mieux à l'avenir.

En ce qui concerne la loi, nous aurons sans doute deux demandes au niveau des associations. D'une part, que la révision de la loi de 2004, qui devrait se faire normalement au bout de cinq ans, ne prenne pas le même chemin que celle de 1994, pour laquelle cela a pris dix ans et dont les décrets ne sont encore pas sortis, ce qui va faire douze ans. Cela nous pose des problèmes. Par rapport à l'évolution de la recherche et de la science, c'est dramatique. Il faut que cela « colle » beaucoup plus près à la réalité scientifique et à l'évolution.

M. Alain Claeys

Je vous rappelle, dans l'esprit du législateur, le rôle de l'Agence de la biomédecine qui devrait remettre chaque année un rapport pour adapter et faire des propositions. Cela devrait être beaucoup plus rapide, sans attendre de faire un nouveau balayage tous les cinq ans. C'est l'idée que j'ai, en fonction des conclusions du rapport, pour faire avancer les choses.

M. Roger Picard

Cela se passera comme cela à condition que les instances dirigeantes de l'Agence de la biomédecine soient des moteurs et non pas des freins. Je n'ai pas l'impression que cela prenne le bon chemin dans ce domaine. Une réflexion a été faite, lorsque nous avons dû traiter tous les dossiers, à savoir qu'on ne fera peut-être pas l'économie de la mise en place d'une ou plusieurs banques de cellules souches en France. Des demandes viennent d'un peu partout. Il est évident que la médecine traditionnelle a atteint ses limites, malgré les recherches sur les médicaments dits orphelins, très soutenus au niveau européen, mais qui restent l'exception. Les cellules souches sont porteuses d'immenses espoirs pour les patients et leurs familles, tant au niveau des traitements que de la connaissance de la maladie. Le travail sur les cellules souches est donc très important pour nous pour traiter les maladies. Mais il l'est aussi pour comprendre comment cette maladie fonctionne en exploitant les résultats des DPI et en étudiant les lignées de cellules souches malades.

Je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'il faut prendre garde de ne pas donner de faux espoirs à court terme ou de faire des promesses qui ne seraient ni réalistes ni éthiquement recevables. L'attente des malades est très grande. Dans le monde, les maladies rares, ce sont sept mille pathologies, et ce sont en France trois millions de malades, soit une personne sur vingt, atteints de maladies rares. C'est énorme. L'attente des malades n'est pas forcément de soigner ou de guérir la maladie, mais de faire en sorte qu'on puisse la soulager, la prendre en charge et tendre vers une vie quasi « normale » qui intègre la maladie, et ce qui en découle très souvent, le handicap, qui ne peut pas être dissocié de la maladie.

En ce qui concerne la maladie de Huntington, qui me touche plus personnellement, il s'agit d'une maladie neurodégénérative, qui touche six mille malades et vingt mille personnes à risque. Il existe depuis 1993 un test génétique prédictif, qui permet à partir de la majorité (c'est interdit avant, ce qui est une bonne chose) de savoir si l'on est porteur de la maladie, et si l'on sera malade un jour, soit en moyenne aux alentours de quarante ans. Il est remarquable de constater que 90 % des personnes à risque ne font pas ce test. En effet, il n'y a pas de perspective de guérison ou d'espoir de guérison à court terme ou d'un traitement quelconque. Toutes les personnes à risque vivent donc dans une angoisse permanente, développent des pathologies que l'on pourrait caractériser de collatérales, suivant un terme à la mode. On espère que les cellules souches vont donner à terme des espoirs raisonnables de traitement, ce qui aura pour effet que les malades déclarés non seulement vont être dépistés mais que tous ceux qui sont dans la chaîne, la fratrie, les enfants et les petits-enfants, vont pouvoir se faire dépister puisqu'il y aura un espoir de guérison. La problématique pourra alors s'inverser. Des solutions seront peut-être apportées pour traiter les malades, pour prévenir la maladie, utiliser beaucoup plus le DTN, les DPI, ce qui n'est pas fait aujourd'hui. On perpétue la maladie sans arrêt. Voilà ce que je voulais dire, au niveau de l'attente des patients.

M. Alain Claeys

Merci. Je vous rappelle que vous pourrez intervenir également dans le cadre des tables rondes de cet après-midi. M. Bernard Zalc, vous avez la parole.

M. Bernard Zalc, Directeur de recherche à l'Inserm

Je serai bref. Je pense que je suis ici parce que je suis coordonnateur, avec Laure Coulombel, du réseau d'utilisation des cellules souches neurales à visée thérapeutique. C'est un réseau que nous avons créé il y a quelque temps et qui est très fortement soutenu par l'Inserm, le ministère de la Recherche et quelques associations caritatives.

Je voudrais faire quelques rappels sur le système nerveux, essentiellement constitué de deux grands groupes de cellules, les neurones et les cellules gliales. Parmi celles-ci, je mets un peu à part l'oligodrendocyte, qui est la cellule myélinisante du système nerveux central. Dans les maladies neurodégénératives, il s'agit de maladies où une population cellulaire est décimée, qu'il s'agisse des neurones dopaminergiques dans la maladie de Parkinson, de neurones cholinergiques dans la maladie d'Alzheimer, de motoneurones dans la sclérose latérale amyotrophique ou des oligodendrocytes dans la sclérose en plaques. Jusqu'à il y a une dizaine d'années, on vivait avec l'idée qu'on avait nos cellules dans le cerveau, qu'elles étaient formées à la naissance et qu'au-delà de vingt ans, on subissait une perte progressive de ces cellules. Voici une dizaine d'années, on a découvert les cellules souches neurales qui ont créé un espoir de thérapeutique sans doute démesuré avec l'idée que l'on pouvait peut-être régénérer certaines cellules de notre cerveau.

Le premier mouvement, vers la simplicité, a été de remplacer ces cellules par des approches chirurgicales. Non seulement c'est une stratégie simple, on prend des cellules souches pour les introduire dans le cerveau et elles viennent remplacer la population décimée, mais de plus, et il y a là sans doute un problème d'éthique du chercheur, avec le fantasme de la greffe de cerveau. Si ces approches ont été très médiatisées, c'est aussi parce que les chercheurs y ont participé, avec notamment cette notion qu'on va changer notre cerveau et qu'on va prendre le cerveau de quelqu'un d'autre. On imagine facilement tout ce que cela peut animer comme fantasmes dans la population, qu'elle soit bien-portante ou qu'il s'agisse de patients.

D'autres alternatives existent. Dans certaines pathologies, cette approche chirurgicale ne s'applique pas. Si l'on observe l'illustration de cette coupe d'un cerveau de patient qui a une sclérose en plaques, chaque zone blanche est une lésion. Sur l'exemple montré, le patient a vingt-huit lésions. On peut estimer que dans tout son cerveau, il y en a près de cinquante, en oubliant la moelle épinière, qui en comporte environ une vingtaine. Le patient a donc près de soixante-dix lésions. Un chirurgien qui est prêt à mettre soixante-dix aiguilles dans un cerveau de patient, ce n'est plus un chirurgien, et j'appelle cela un acupuncteur. Il existe un autre élément qu'il ne faut pas oublier dans une affection comme la sclérose en plaques : les lésions bougent. Sur ce patient, le chirurgien devrait passer son temps à introduire des aiguilles et à injecter des cellules. Ce n'est pas possible. D'autres approches sont donc envisagées.

C'est là que la recherche fondamentale est cruciale. On sait qu'autour des ventricules il y a des cellules souches, qu'on doit pouvoir les mobiliser et comprendre comment non seulement il faut les mobiliser et les amener à se multiplier, mais aussi comment les amener à se différencier sur une certaine voie. Si on veut obtenir des neurones dopaminergiques comme dans la maladie de Parkinson, ce n'est pas la peine de générer des oligodrendocytes. En revanche, si l'on génère des neurones dopaminergiques, on n'aidera en rien un patient qui a une sclérose en plaques. C'est ce genre d'approche qu'il convient de soutenir, et qui est déjà soutenu au sein du réseau cellules souches neurales à visée thérapeutique. Il faut poursuivre dans cette voie.

M. Alain Claeys

Merci beaucoup. Vous pourrez également intervenir à nouveau cet après-midi. Merci d'être restés toute la matinée.

Table ronde n° 4 : Les enjeux économiques

M. Alain Claeys

Nous abordons un sujet qui est parfois un peu négligé, mais qui pourtant paraît essentiel et pose un certain nombre de problèmes éthiques : je veux parler des enjeux économiques. Madame Siobhán Yeats, de l'Office européen des brevets, est présente cet après-midi et je souhaiterais qu'elle transmette toutes mes amitiés à Alain Pompidou. Nous avons la joie de vous accueillir aujourd'hui, et je pense que votre intervention est importante. J'irai vous rendre visite à l'Office européen des brevets à Munich dans les semaines qui viennent. Je salue Monsieur Hervé Chneiweiss, directeur de recherche à l'Inserm, professeur au Collège de France et membre du Comité de Pilotage. Je salue également Messieurs Christian Pinset, fondateur et président-directeur général de l'entreprise Celogos, Philippe Pouletty, président de France Biotech, David Sourdive, directeur général délégué de Cellectis, et Jean-Thomas Vilquin, fondateur de l'entreprise Myoxis, qui participent également à cette table ronde.

Je ferai tout d'abord intervenir Monsieur Pouletty, suivi de Monsieur Chneiweiss et de Madame Yeats.

Compte tenu de ce que nous avons évoqué ce matin, y a-t-il un intérêt économique ? Si oui, est-il compatible avec l'intérêt scientifique et thérapeutique ? Pouvez-vous nous dire ce qui se passe aujourd'hui en France, et comparer la situation de la France avec celle qui existe au niveau international ?

Je donne la parole à Monsieur Philippe Pouletty.

M. Philippe Pouletty, président de France Biotech

Merci Monsieur le Président.

Si vous le permettez, je parlerai plus globalement d'ingénierie tissulaire, et pas seulement de cellules souches. L'intérêt économique sera considérable dans les trente années à venir. Il faut être patient : si l'on examine l'histoire des biotechnologies et de l'ingénierie tissulaire, ce type de développement ne se fait ni en trois ans, ni en cinq ans. Pourquoi l'intérêt sera-t-il considérable ? Si l'on examine le nombre de pathologies qui seront traitées - de façon très schématique - par une molécule, le rêve de la génomique consistant à dire que nous aurons de plus en plus de cibles et que nous développerons de plus en plus de molécules qui résoudront toutes nos pathologies, est un mirage. Si l'homme est fait de cellules et de tissus, et pas simplement d'une collection de petites molécules ou de protéines, c'est parce que la physiologie normale est très complexe. De nombreuses maladies vont au-delà de la simple administration d'une seule molécule. Une autre raison est que la barrière pour développer des thérapeutiques plus efficaces augmente avec les progrès technologiques : certains sont ainsi déçus qu'il n'y ait pas davantage de médicaments approuvés par exemple par la FDA. En effet, il ne suffit pas d'avoir de nouvelles molécules : elles doivent également être plus efficaces et / ou moins toxiques que celles qui existent actuellement.

Si l'on se penche sur l'histoire des biotechnologies et de l'ingénierie tissulaire, les grands succès ont consisté à reproduire ou imiter la nature. Ce dont nous parlons aujourd'hui, avec les cellules souches et l'ingénierie tissulaire, consiste bien à reproduire ou imiter la nature. La substitution ne date pas d'aujourd'hui, qu'il s'agisse des dérivés plaquettaires du sang, des diverses transplantations, des greffes de moelle, mais également des anticorps monoclonaux et polyclonaux, des protéines recombinantes, ou encore des vaccins. Tout cela représente plus de 70 % du chiffre d'affaires des biotechnologies actuelles. Il est donc aisé de parier que l'ingénierie tissulaire sur les trente prochaines années connaîtra un développement considérable. On peut citer des chiffres « prévisionnels », en se basant sur des besoins médicaux et les malades présentant des insuffisances hépatiques, cardiaques, rénales, pancréatiques ou souffrant de diabète, voire en faisant des projections sur les transplantations d'organes : en 2020 ou 2030, ces technologies représenteront entre 5 et 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires - sous réserve que les progrès technologiques continuent et que la réglementation s'adapte.

Pour que ce genre de technologies arrive sur le marché, dans la mesure où il y a énormément de recherches fondamentales à faire, l'effort ne pourra pas être réalisé par les seuls groupes pharmaceutiques, les investisseurs ou les entreprises de biotechnologie. Nous avons souvent discuté de ce thème : si les Etats ne fournissent pas en amont un très gros effort de financement de la recherche nécessaire pour ce type d'innovation, les entreprises et les investissements privés ne pourront pas prendre le relais. Celui-ci ne peut être pris que si le travail d'amont a été réalisé.

Où se place la France dans ce domaine ?

Elle se situe à peu près au même niveau qu'elle occupe dans les autres domaines des biotechnologies ou des sciences de la vie. Nous retrouvons les mêmes problèmes chroniques de la recherche académique en sciences de la vie qui est sous-dimensionnée en France. Compte tenu de ses moyens financiers et de sa qualité - comparés à des pays qui ont pris davantage d'initiatives comme l'Angleterre et les Etats-Unis -, la France est peut-être troisième en Europe. Elle a un fort potentiel à condition d'y mettre les moyens et la volonté.

Quels sont les enjeux pour la France ?

Dans ce domaine, la recherche est totalement mondialisée et les chercheurs vont là où les universités leur offrent les meilleurs moyens de recherche, tant en salaire, qu'en personnel, qu'en équipe de recherche et qu'en collègues de même niveau. Dans le monde, il y a environ 200 entreprises de biotechnologie qui ont une activité majeure dans le domaine de l'ingénierie tissulaire et des cellules souches. Il y a environ 3 500 entreprises de biotechnologie tous azimuts : cela représente 5 à 7 % de l'activité de la biotechnologie mondiale. La plupart de ces entreprises travaillent en amont, bien sûr perdent de l'argent et consomment beaucoup de capital. Le nombre d'entreprises et leur taille relativement modeste pourraient considérablement augmenter dès lors que la recherche d'amont aura progressé et que les indications et les produits développés ne seront pas simplement de la greffe de peau ou les applications les plus simples de l'ingénierie tissulaire.

M. Alain Claeys

Quel est le nombre d'entreprises de biotechnologie en France ?

M. Philippe Pouletty

Il y a en France deux ou trois entreprises de biotechnologie dont l'activité est dominante et qui sont correctement financées. Je ne suis pas certain qu'il y ait plus de trois entreprises qui passent la barre de la visibilité.

M. Alain Claeys

Quelles sont les relations avec les organismes de recherche et les laboratoires ? Comment naissent les collaborations et comment est traitée la question de la propriété intellectuelle ?

M. Philippe Pouletty

Il y a schématiquement deux manières de créer une entreprise de biotechnologies. D'une part, il peut s'agir d'un essaimage à partir d'un organisme de recherche ou d'une université, avec en général un ou deux chercheurs qui en ont assez de « ronronner », ou qui ont d'excellentes idées et qui souhaitent sauter le pas en créant une entreprise. D'autre part, il peut s'agir d'essaimage de groupes pharmaceutiques pour lesquels cette activité ne fait pas partie de leur c_ur de métier. Pour la thérapie cellulaire et l'ingénierie tissulaire, il n'y a pas d'essaimage dans ce domaine, car les groupes pharmaceutiques y ont très peu d'activité.

M. Alain Claeys

Actuellement, les groupes pharmaceutiques ne s'y intéressent donc pas ?

M. Philippe Pouletty

Non, à part peut-être certaines grosses entreprises de biotechnologies comme Genzyme, historiquement Baxter avec son activité de transfusion sanguine et de dérivés sanguins, un peu GlaxoSmithKlein. Il n'y a pas plus anti-biotechnologies que Sanofi-Aventis, notre groupe pharmaceutique national qui est par ailleurs remarquable, car il considère qu'il y a encore beaucoup de choses à faire en pharmaceutique classique et en petites molécules, et que la biotechnologie pose énormément de problèmes.

Ce domaine n'est pas très attractif pour un groupe pharmaceutique ou pour une société de biotechnologies car l'ingénierie tissulaire pose d'énormes problèmes logistiques, de coûts de production, de traçabilité, de contrôle de qualité, d'assurance-qualité, car elle est souvent individualisée. Une petite société suisse, Symetis, essaie de fabriquer des valves cardiaques à partir des cellules du cordon ombilical du f_tus qui présente une pathologie cardiaque. Cela signifie qu'il faut fabriquer une valve cardiaque sur 6 à 8 semaines, individualisée pour ce malade. La logistique et le coût de production sont donc très lourds.

Pour une entreprise pharmaceutique habituée à produire une molécule en tonnes ou en millions d'exemplaires, avec un emballage et un contrôle de qualité assez simples et dix lots de production par an, l'ingénierie tissulaire est effroyablement compliquée. La simplification consiste à considérer des cellules dites « universelles » pour permettre de fabriquer un produit pour les différents malades. Néanmoins, cette séquence nécessite pour les dirigeants d'un groupe pharmaceutique une transition considérable.

Cette transition est plus facilement réalisée par certaines entreprises de biotechnologie comme Genzyme, car elle a été la pionnière de traitements de maladies rares - donc chers - pour un petit nombre de malades. Une société comme Genzyme peut donc beaucoup mieux intégrer l'idée de développer des médicaments extrêmement chers pour un petit nombre de malades avec une logistique lourde - Philippe Ménasché en a peut-être parlé précédemment. Si l'on se projette 20 ou 30 ans en avant, le risque pour les groupes pharmaceutiques de ne pas se lancer à temps dans ce domaine est qu'ils éprouveront des difficultés à réaliser au dernier moment tout le travail d'amont qui aura été fait par d'autres. Les unités de production de ces biotechnologies n'ont strictement rien à voir avec celles des produits pharmaceutiques classiques.

M. Alain Claeys

Lorsque vous dites qu'il s'agit d'un marché de plusieurs milliards de dollars, le thème des cellules souches est-il une « stupidité » ?

M. Philippe Pouletty

Non. Je citais une fourchette allant de 5 à 50 milliards d'euros. Si l'on se base sur des exemples actuels comme les insuffisances cardiaques, rénales ou hépatiques, ou encore les greffes de moelle, il y a environ 25 000 transplantations d'organes et 50 000 greffes de moelle entre l'Amérique du Nord et l'Europe de l'Ouest. Le nombre de patients inscrits sur les listes d'attente répertoriées est environ dix fois plus important que le nombre de transplantations ou de greffes annuel. Ce sont les malades très avancés qui sont inscrits sur ces listes d'attente. Plus les approches thérapeutiques seront accessibles, plus le nombre de malades inscrits sur les listes d'attente sera large.

Aujourd'hui, le candidat à la transplantation cardiaque est un malade « au bout du rouleau », qui a moins de 70 ans. Si Philippe Ménasché réussit, ce qu'on lui souhaite, à traiter plus facilement les insuffisances cardiaques à partir de thérapies cellulaires, un plus grand nombre des malades, qui aujourd'hui ne sont pas inscrits comme candidats à la transplantation et qui suivent des thérapeutiques plus classiques, bénéficieront de ces traitements. Le nombre de malades ayant une insuffisance d'organe parmi celles que j'ai citées est de plusieurs millions par an dans le monde. Il restera à voir si les traitements développés sont suffisamment simples, efficaces et peu toxiques pour qu'ils touchent 5 % ou 80 % de ces candidats potentiels. Il est certain que plus l'on mène de recherches dans ce domaine, plus l'on a de chance de développer les traitements qui bénéficieront de manière large à ces malades.

Monsieur le député, je suis toujours effaré par le fait que nous sommes très doués pour organiser des tables rondes, mais qu'année après année, nous continuons à nous poser des questions dont la réponse devrait pourtant être évidente depuis 10 ou 20 ans ! Quand Arnold Schwarzenegger qui n'est pas un grand scientifique mais qui a une vue simple de l'avenir, a décidé de mettre 3 milliards de dollars sur 10 ans en fonds d'Etat pour la recherche californienne dans la Silicon Valley là où elle est déjà très forte en biotechnologies, il n'a pas fait table ronde après table ronde !

M. Alain Claeys

Je vous remercie de vos conseils, mais je ne pense pas que ce soit mon modèle.

M. Philippe Pouletty

Je souhaiterais néanmoins que nous en reparlions.

M. Alain Claeys

Philippe Ménasché, travaillez-vous avec des entreprises de biotechnologies ? Comment se passe votre collaboration ?

M. Philippe Ménasché, professeur de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire à l'Université Paris V, chirurgien cardiaque à l'hôpital Georges Pompidou, directeur d'Unité Inserm

Jean-Thomas Vilquin est certainement plus compétent que moi pour le dire. Comme il est très modeste, je vais toutefois vous raconter brièvement une histoire qui illustre mes précédents propos sur les potentialités qui existent dans ce pays, à condition qu'on ne passe son temps à y mettre des freins.

Lorsque nous avons commencé à travailler sur l'utilisation de cellules souches musculaires pour traiter les patients insuffisants cardiaques, une importante phase a été menée sur l'animal, puis nous sommes arrivés à la recherche dite « translationnelle ». Avec l'AFSSAPS, nous avons discuté de la manière dont nous pourrions adapter nos procédures à un usage humain. Ce sont Jean-Thomas Vilquin et Jean-Pierre Marolleau de l'hôpital Saint-Louis qui ont mené cette recherche translationnelle à bien, au point de déposer un brevet portant spécifiquement sur la technique utilisée pour pouvoir greffer ces cellules musculaires humaines dans un c_ur humain. C'est Genzyme, qui est une grosse société de biotechnologie américaine, qui est venue trouver Jean-Thomas Vilquin ! Lorsque nous avons greffé les premiers patients et que cela a suscité un certain intérêt, Genzyme a immédiatement repéré qu'il y avait là une ouverture intéressante. Alors que la démarche se fait généralement dans le sens France / Etats-Unis, ce sont les Américains qui ont débarqué à l'Hôpital Saint-Louis et qui l'avaient même acheté à l'époque en estimant qu'il était beau et qu'il leur donnerait de l'espace pour cultiver les cellules. Au-delà de l'anecdote, ils sont venus trouver Jean-Thomas Vilquin et Jean-Pierre Marolleau qui étaient détenteurs du brevet Assistance Publique Hôpitaux de Paris et Inserm.

J'aime raconter cette histoire, car elle montre qu'il y a des potentialités qui sont bridées par le mille-feuille administratif que nous subissons tous les jours. Ce sont les techniciennes de l'Hôpital Saint-Louis et de l'APHP et l'équipe de Jean-Thomas Vilquin qui sont allées à Boston présenter leur technique à leurs collègues américains. Dans l'essai international en cours, il y a deux sites de production avec des techniques parfaitement harmonisées et standardisées : l'un à l'hôpital Saint-Louis et l'autre à Boston. Il y a véritablement une potentialité, à condition que l'on laisse les gens travailler !

M. Alain Claeys

Cette histoire est très intéressante. Pouvez-vous nous expliquer les freins que vous avez rencontrés ? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas en France pour que ce processus aille jusqu`à son terme et se développe ?

M. Jean-Thomas Vilquin, fondateur de l'entreprise Myosix

Je remercie Philippe Ménasché d'avoir raconté cette histoire. Lorsque nous avons réussi la culture de ces cellules, nous nous sommes rendus compte qu'il pouvait y avoir un potentiel, et nos institutions nous ont poussés à faire une demande de brevet, ce que nous avons fait.

M. Alain Claeys

Qu'avez-vous breveté ?

M. Jean-Thomas Vilquin

Nous avons breveté la production de cellules musculaires - et éventuellement leur usage dans les pays où cela est possible -, et les populations de cellules que l'on peut extraire du muscle dans un temps assez court. Ceci était assez nouveau et n'avait à ma connaissance pas été fait ailleurs dans le monde.

M. Alain Claeys

Vous avez breveté le processus de production ou quelque chose de plus large ?

M. Jean-Thomas Vilquin

Nous avons essentiellement breveté le processus et les populations. Nous avons donc créé une petite société afin de valoriser tout cela. Nous étions quatre au départ. Genzyme est venu nous voir au bout de quelques mois : nous n'avons pas tout de suite conclu avec eux car nous cherchions des investisseurs sur place. Nous avons rencontré des difficultés, peut-être parce que notre entreprise n'était pas suffisamment grande mais aussi parce que le marché était absolument considérable. A l'époque, on nous avait parlé aux Etats-Unis d'un marché de 12 milliards de dollars par an pour le traitement de l'insuffisance cardiaque post-ischémique. Il fallait donc que nous ayons immédiatement une structure très importante, ce qui effrayait les capitaux-risqueurs et les investisseurs que nous avions rencontrés. En étudiant le dossier de Genzyme, nous nous sommes rendu compte que cette société avait une tradition de culture cellulaire, de logistique et de préparation des produits, et qui savait comment recevoir les biopsies et renvoyer des cellules de bonne qualité avec une bonne démarche d'assurance qualité. Nous nous sommes donc associés à eux, pour les développements cardiaques, en essayant toutefois de rester indépendant pour les autres développements que nous pourrions réaliser à partir des cellules musculaires.

A l'origine, Philippe Ménasché est venu nous trouver au laboratoire parce qu'il avait besoin de myoblastes - je travaille sur les myopathies avec l'Association française contre les myopathies. Nous avons beaucoup bénéficié des connaissances que nous détenions sur les myopathies, sur la fabrication des cellules et sur les injections. Nous en avons fait bénéficier Philippe Ménasché. Cette plate-forme de production de cellules a été créée, et nous nous en servons à présent avec Myosix pour essayer de retourner vers d'autres essais cliniques, non pas vers des maladies fréquentes mais des maladies rares voire orphelines.

M. Alain Claeys

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées en France ? Sont-elles d'ordre législatif, juridique ?

M. Jean-Thomas Vilquin

Il s'est essentiellement agi de difficultés d'ordre administratif. Entre le dépôt de la demande et la réception du document, il nous a fallu quasiment un an pour obtenir une licence exclusive de ce brevet, pour des raisons qui me sont inconnues. Ceci a été un frein face aux investisseurs qui regrettaient que nous n'ayons pas de brevet. A l'époque, il manquait certains fonds comme les fonds d'amorçage de l'Assistance Publique qui existent à présent et qui auraient permis de réaliser plus rapidement quelques essais. Nous nous sommes surtout heurtés à un problème d'échelle, en passant de 10 à 300 patients dans le monde entier. Cet essai coûte 15 à 20 millions d'euros.

M. Alain Claeys

Vous soulevez un premier problème administratif pour obtenir la licence exclusive et un second problème lié au tour de table financier. Aujourd'hui en 2005, est-il plus difficile sur cette thématique des cellules souches de réaliser des tours de table financiers et de mobiliser du capital-risque ?

M. Jean-Thomas Vilquin

Je manque d'expérience actuellement. Je crois que c'est peut-être un peu plus difficile, car en 2000 c'était le moment des bulles spéculatives qui se sont rapidement dégonflées par la suite. A un certain moment, il a été très difficile de trouver de l'argent.

M. Alain Claeys

Le mouvement repart aujourd'hui. Vous n'avez donc pas vécu ce que le domaine de l'informatique a par exemple connu ?

M. Jean-Thomas Vilquin

Non, nous n'avons pas eu le temps de connaître cela.

M. Philippe Pouletty

En ce qui concerne le capital-risque, il y a actuellement 150 à 200 millions d'euros investis en France sur les biotechnologies. Ceci est peu élevé et le domaine de la thérapie cellulaire sera jugé comme un des domaines à haut risque et à long terme. Si la masse de capital-risque est restreinte, le pourcentage qui aboutira dans le domaine des cellules souches sera assez modeste car la plupart des fonds répartissent leurs investissements entre des projets à court terme ayant des produits déjà identifiés et des projets d'amorçage à long terme. Pour qu'il y ait suffisamment d'argent allant dans les cellules souches ou vers d'autres technologies d'amont, la courbe de Gauss n'est pour le moment pas suffisamment développée.

Je souhaite faire un point rapide sur la décision de plafonnement à 8 000 € de cette loi de finances, dont on peut annoncer avec certitude que s'il est maintenu, il réduira la levée des FCPI à partir de 2007. Il s'agit des fonds communs de placement pour l'innovation créés avec un avantage fiscal pour le souscripteur, qui pourra déduire de son impôt sur le revenu 25 % de son investissement jusqu'à un maximum de 12 000 €. Ces FCPI représentent 50 % du capital risque français : sans eux, ce dernier s'effondrerait. Le plafonnement à 8 000 € fera passer l'employé de maison devant et les leveurs de FCPI disent qu'à partir de 2007, l'amputation des FCPI sera de 50 à 75 %, ce qui est très ennuyeux pour toute la biotechnologie française, et bien sûr pour les cellules souches.

M. Alain Claeys

Vous avez évoqué le montant consacré aux biotechnologies en France. A titre de comparaison, pouvez-vous nous indiquer celui d'autres pays ?

M. Philippe Pouletty

Aujourd'hui, en capital risque, en levée d'introduction en bourse et en offre secondaire (c'est-à-dire toute la chaîne de financement des quinze premières années d'une entreprise de biotechnologie), l'Europe au sens large représentait en 2004 17 % des Etats-Unis, soit 1/6ème, ce qui est très faible. En Europe, l'Angleterre se situe loin devant, l'Allemagne en deuxième position et la France en troisième position. L'Allemagne, qui avait bien démarré en 1995, a beaucoup souffert depuis 2000. L'Angleterre pèse 4 à 5 fois la France en taille, nombre des sociétés et investissements en capital-risque. L'Europe est très en retard, alors qu'elle en a les moyens. En effet, ce sont l'épargne et les fonds de pension qui alimentent le capital dans le monde, et l'on sait que les Européens sont de gros épargnants. Très peu de l'épargne ou de l'assurance-vie française va vers les investissements en PME, et encore moins dans les PME technologiques à cause de la culture et de la perception du risque de la diversification des investissements. Si l'on poussait les investissements en capital risque sur toute la chaîne de financement, l'on assisterait à d'énormes progrès en France et en Europe, car la matière grise, le management et les entrepreneurs existent, de même que les besoins !

M. Christian Pinset, fondateur et président-directeur général de l'entreprise Celogos

En ce qui concerne la question du financement, il n'y a en France quasiment pas de fonds d'amorçage, en particulier pour les entreprises de thérapies cellulaires, car il est difficile de saisir quel est le produit. Lorsque l'on fait de la thérapie cellulaire autologue, on prélève les cellules d'un patient, on effectue un process et on les réinjecte ensuite. Pour beaucoup de gens, il est difficile de savoir où est le produit. Cela les oblige à totalement modifier leur mentalité, car l'industrie pharmaceutique travaille pour avoir un produit qui puisse soigner des millions de personnes. L'image de la thérapie cellulaire est totalement inverse : un produit soigne une seule personne.

En ce qui concerne les licences dont parlait Jean-Thomas Vilquin, il est relativement difficile d'obtenir des licences en France lorsqu'on discute avec le CNRS ou n'importe quelle université. Dans une université que je ne citerai pas, nous avions un accord de collaboration avec un partenaire et nous travaillions ensemble. Nous avons finalement dû renoncer après un et demi à cause d'un changement dans notre direction. La situation n'était plus gérable.

M. Alain Claeys

On me dit que dans les grands organismes de recherches, on mutualise ces choses.

M. Christian Pinset

Peut-être y a-t-il cette volonté de mutualiser, mais le temps est long entre le moment où l'on choisit cette orientation et celui où ce genre de pratique est mis en _uvre. Nous sommes confrontés à des problèmes administratifs complètement ubuesques. Dans le cas précédent, nous avions quasiment signé, mais la direction a changé et tout a dû être recommencé. Nous avons donc abandonné et avons changé de projet.

M. Alain Claeys

M. Ménasché, confirmez-vous cela ?

M. Philippe Ménasché

Je n'ai pas été en prise directe avec ces problèmes, car je ne fais pas partie d'une entreprise, mais il est certain que la multiplicité des partenaires en cause, en l'occurrence l'Assistance publique, l'université et les organismes de recherche (Inserm et CNRS), complexifie d'une manière effroyable la situation. Chacun veut sa part et cela rend les histoires difficiles.

M. Alain Claeys

Que chacun veuille sa part se fait également aujourd'hui aux Etats-Unis! L'exception universitaire est terminée. La complexité administrative est un autre point.

M. Philippe Ménasché

Le fait qu'un travail comme celui dont nous parlons puisse bénéficier à la fois à un organisme de recherche comme l'Inserm et à un organisme de soin comme l'Assistance publique paraît complètement normal. Une fois de plus, c'est la « mise en musique » qui pose problème, car elle prend un an.

M. Alain Claeys

Nous reviendrons sur les différents sujets abordés. Hervé Chneiweiss, vous êtes chercheur : comment abordez-vous l'aspect économique du sujet qui nous concerne ?

Quelles sont les questions que devraient se poser les responsables publics ? En d'autres termes, le système de propriété intellectuelle qui existe aujourd'hui au niveau international est-il adapté à ce type de recherche ? Cette propriété intellectuelle permet-elle l'innovation ou comme certains le pensent sert-elle à constituer des rentes de situation et à freiner la recherche ?

M. Hervé Chneiweiss, directeur de recherche à l'Inserm, professeur au Collège de France et membre du Comité de Pilotage

Je tiens tout d'abord à vous remercier de me faire intervenir dans cette table ronde. Je n'interviendrai pas directement sur les questions de création d'entreprise, mais j'ai le sentiment qu'en abordant la question de la brevetabilité du vivant, sur laquelle Mme Yeats reviendra également, nous nous retrouvons face des difficultés déjà rencontrées avec la brevetabilité des gènes, et qui sont encore plus aigues. Nous avons en effet rappelé précédemment le faible nombre de cellules différenciées (235 pour le tissu adulte), qui est encore plus faible pour les cellules souches embryonnaires sur lesquelles je vais davantage insister. La brevetabilité, quand elle concerne un brevet de produit, peut produire un effet d'instabilité, voire de mettre en danger des entreprises existantes et d'entraîner des difficultés à créer des entreprises nouvelles, y compris à apporter du capital-risque.

M. Alain Claeys

Afin que les esprits soient clairs, que représentent les dépôts de brevets sur les lignées de cellules souches au niveau européen et américain ? Sont-ils un risque potentiel ou une réalité ?

M. Hervé Chneiweiss

Je ne dispose pas des chiffres européens mais Mme Yeats les connaît certainement.

En ce qui concerne l'USPTO (l'Office des brevets américain), une recherche dans la base de données trouve 2 000 brevets dans lesquels le mot « cellule souche » apparaît. J'insiste notamment sur deux brevets qui eux portent sur les cellules souches embryonnaires, déposés par l'Université du Wisconsin à la suite des travaux de caractérisation des cellules souches embryonnaires humaines par l'équipe de James Thomson, et qui d'une certaine façon confèrent un monopole complet à un triangle formé par l'Université du Wisconsin (représentée par sa filiale WARF), la firme de biotechnologie Geron et les NIH qui participent à ce triangle sur l'aspect de la régulation.

Deux brevets ont été accordés à l'Université du Wisconsin. Ils sont détenus et développés par WARF : ces brevets 780 et 806 portent sur la préparation, la purification, la caractérisation et la production de cellules souches de primates pour l'un et de cellules souches embryonnaires humaines pour l'autre. A partir de là, l'Université du Wisconsin a délivré une procédure à WARF qui s'articule avec les réglementations de 2001 mise en place par l'administration américaine au niveau du NIH, avec une liste de cellules souches humaines approuvées. Celles-ci peuvent faire l'objet de financement par des fonds fédéraux américains et une liste de cellules souches non approuvées qui restent utilisables et développables par des financeurs privés mais ne sont pas éligibles. Tout cela repose donc sur un Human Embryonic Stem Cells Register se trouvant au NIH.

La société Geron, qui avait en partie financé les travaux de James Thomson, se trouve propriétaire de la licence exclusive des trois premières lignées de cellules souches qui portent en particulier vers des différenciations possibles vers des lignées neurales, des lignées d'îlots pancréatiques pour traiter le diabète et vers des cardiomyocytes. L'accord entre WARF et Geron porte également sur d'autres lignées, mais de façon non exclusive. Tout cela est complété par un  memorandum of understatement entre Wicell et les NIH pour s'accorder sur la réglementation et la distribution à travers le monde de licences autorisant ou non les équipes à travailler sur les cellules souches embryonnaires humaines. D'autres sociétés internationales ont rejoint l'accord : Bresagen, ES Cell International (une société de Singapour) et the Regents of the University of California. Nous reviendrons sur la question d'Arnold Schwarzenegger et de l'amendement 71 car ce sont les citoyens californiens qui ont voté ce crédit de 3 milliards de dollars. Aujourd'hui, la mise en _uvre de cet amendement 71 connaît des difficultés à cause de ce système des brevets obtenus par WARF.

On distingue deux catégories d'usage.

Tout d'abord, les usages scientifiques à but non lucratif : 132 licences ont été accordées par WARF à différentes équipes à travers le monde pour utiliser les cellules souches embryonnaires humaines. Toutes ces licences sont accordées à un laboratoire ou une équipe précis pour une série d'usages et tous les droits commerciaux sont réservés à WARF. Ensuite, un certain nombre d'accords a été signé avec des compagnies privées. On sait qu'il y a au moins sept compagnies privées à but commercial qui ont signé ces accords, mais on n'en connaît pas le contenu exact. En tout état de cause, l'exclusivité des droits commerciaux sur ces cellules embryonnaires humaines reste en principe couverte par ces deux brevets 780 et 806.

Le problème est le même que celui que nous avons déjà rencontré pour les gènes. Ces brevets, à travers les revendications, couvrent le produit, la matière brevetée. En l'occurrence, il s'agit ici des cellules souches embryonnaires humaines. En particulier, le brevet 806 revendique comme produits les cellules souches humaines mésodermales, endodermales et ectodermales, c'est-à-dire toutes les cellules initiales du corps humain. A partir du moment où il s'agit d'un brevet de produit, il donne droit à tous les produits dérivés du produit initial et à toutes les manières d'obtenir ces produits dérivés à partir du produit initial.

M. Alain Claeys

Ces revendications ont été acceptées ?

M. Hervé Chneiweiss

Oui, par l'USPTO dans ces deux brevets, en particulier pour le brevet 806. Le problème sera le même que celui rencontré pour les gènes, à savoir la possibilité de contester sur le terrain même du droit des brevets la validité de ces revendications. La contestation peut se faire sur la nouveauté s'il est possible trouver une publication antérieure à celle du groupe de Thomson et rapportant la même chose, sur l'inventivité si la méthode utilisée pour les produire peut être démontrée comme évidente pour quelqu'un de l'art, sur la faisabilité, et en particulier sur l'extension des revendications. Une des faiblesses du brevet 806 est la largeur de ses revendications : il n'est pas clairement prouvé dans ces revendications que toutes les cellules revendiquées ont vraiment été produites ou s'il était vraiment possible de les produire au moment où le brevet a été revendiqué.

Je pense que nous devrons prendre conscience qu'il y a une menace lourde qui pèse sur tout un champ des biotechnologies dont nous avons dit l'importance. Le fait qu'un certain nombre de brevets de produits ait été pris sur les cellules les plus originelles par ce triangle WARF-Geron-NIH doit nous faire nous interroger sur la manière d'envisager la propriété intellectuelle pour le développement des biotechnologies et non pas pour conférer à tel ou tel groupe un privilège de rente.

M. Alain Claeys

Je crois que nous devons nous arrêter quelques instants sur ce sujet, qui est un des sujets centraux de notre réflexion. Aujourd'hui, le brevet produit tel qu'il est défini est-il adapté au vivant, et en particulier à la recherche sur les cellules souches ? A l'inverse, ce brevet produit peut-il constituer un frein, y compris à la recherche et au développement ? Nous savons très bien ce qui se passera : si ces brevets produits continuent à être acceptés, le contentieux sera tranché par la justice. Si le législateur veut réduire cette notion de brevet produit à des brevets d'application, ces derniers seront-ils un handicap majeur pour la recherche développement ? En quoi un brevet produit peut être aujourd'hui un élément de développement de la recherche ? N'est-il pas plutôt une rente de situation ?

M. Philippe Pouletty

A quelle date ce brevet a-t-il été déposé ?

M. Hervé Chneiweiss

Il a été publié en 2001.

M. Philippe Pouletty

L'expiration aura donc lieu dans 15 ans. Chaque fois que nous sommes du mauvais côté de la barrière, nous trouvons qu'il est inadmissible d'avoir des brevets si larges. Lorsque l'on est du bon côté, on est fier des découvertes de nos organismes, comme la découverte du HIV par l'Institut Pasteur. Il faut rappeler que la durée de ces brevets est limitée. Mme Yeats me corrigera si je me trompe : en Europe, nous avons le droit de faire de la recherche et du développement pendant la durée du brevet, alors qu'aux Etats-Unis, la jurisprudence peut permettre d'attaquer les gens qui le font pendant le brevet. Sur des technologies qui demandent beaucoup d'années de développement, je ne suis pas certain qu'il s'agisse d'un tel frein à la commercialisation de produits, qui prendra pas mal de temps. Pour justifier les investissements massifs par les investisseurs, l'absence de brevets très large représente un frein à la prise de risque de l'investissement. Je ne fais pas partie de ceux qui critiquent les brevets très larges lorsqu'ils existent.

M. Alain Claeys

Y a-t-il beaucoup de brevets produits en Europe ?

M. Philippe Pouletty

Il y en a certainement moins qu'aux Etats-Unis. Les brevets européens sont nombreux mais ils sont très souvent plus étroits. De gros brevets existent, comme celui lié au HIV : cet exemple de brevet produit extrêmement large a permis à l'Institut Pasteur d'encaisser plus de 100 millions d'euros de redevance.

M. Alain Claeys

Madame Yeats, la directive européenne a été transposée dans le droit français. Bien avant qu'elle le soit, elle avait été introduite dans le règlement de l'Office européen des brevets. Vous avez donc un certain recul par rapport à ce sujet : quelle est la réflexion sur le vivant que vous menez au sein de l'Office européen des brevets et quelles sont les évolutions que l'on peut attendre ?

Mme Siobhán Yeats

Je vous remercie.

Je ne crois pas que ce soit à l'Office européen des brevets de défendre ou d'attaquer les brevets. Certains les ont attaqués, d'autres les ont défendus. Le rôle de l'Office est de représenter la loi telle qu'elle. Les lois européennes des brevets stipulent que les éléments humains, y compris les cellules sont brevetables, selon certaines conditions bien sûr, et avec les limites du constat éthique. Cela signifie que les cellules souches sont en principe brevetables s'il n'y a pas de considérations éthiques spéciales. Il faut donc distinguer les différents types de cellules souches.

Les cellules adultes et f_tales peuvent être obtenues à partir de sang ou de moelle épinière cédées pour la recherche par des volontaires. Il n'y a donc là pas de problème éthique. Ces cellules sont brevetables sans limitation.

La situation est différente concernant les cellules embryonnaires.

Leur utilisation est controversée pour les mêmes raisons qui font que la recherche est controversée en Europe car elles sont dérivées d'embryons humains. Déterminer si ces cellules peuvent être brevetées fait bien sûr l'objet d'un très vif débat en Europe. Un nouveau développement sur le brevet WARF a eu lieu la semaine dernière, concernant le brevet 780 sur les cellules de primates.

Une disposition particulière existant dans la loi européenne stipule que l'utilisation d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales est exclue de la brevetabilité car contraire à la moralité. La raison de cette exclusion n'est pas tout à fait claire. La directive a été rédigée en 1998, voire avant. A cette époque, les cellules souches humaines n'avaient pas encore été isolées, au contraire des cellules de primates. Il est difficile de savoir pour quelles raisons la Commission européenne a inclus cette disposition dans la règle. C'est un problème pour les examinateurs de l'Office européen des brevets car il faut l'interpréter. L'opinion publique est divisée, ce qui ne rend pas la tâche facile pour les examinateurs de l'OEB. Une des positions serait que l'utilisation d'embryons humains en tant que tels serait exclue de la brevetabilité. Ceci correspondrait par exemple à la vente d'embryons humains destinés à la reproduction ou au clonage. Une indication du Comité d'éthique de la Commission semble dire que les personnes qui ont fait le texte avaient ces idées en tête. Dans cette première interprétation, on pourrait considérer que les embryons tels quels ne sont pas brevetables, mais que les cellules dérivées des embryons ne sont pas des embryons tels quels et seraient donc brevetables. La seconde interprétation serait bien sûr plus large : toute recherche mettant en jeu des cellules souches embryonnaires humaines implique à un moment ou à un autre la destruction d'embryons humains. Il peut donc être plaidé que ces recherches sur les cellules embryonnaires sont fondées sur l'utilisation à des fins commerciales d'embryons humains, et que le résultat de ces recherches n'est pas brevetable. Il faut rechercher un consensus sur le sujet, bien qu'il n'y en ait pas : doit-on ou non breveter ces cellules ?

Jusqu'à maintenant, les premières instances de l'Office européen des brevets confrontées à ce type de décision ont considéré que les cellules souches embryonnaires humaines ne pouvaient pas être brevetées. Non seulement les cellules elles-mêmes, qu'elles soient dérivées ou non des lignées cellulaires, mais également toutes leurs utilisations ainsi que les méthodes pour les isoler et les cultiver ne seraient pas brevetables.

M. Alain Claeys

Donc aujourd'hui, à l'Office européen des brevets, les cellules elles-mêmes et les procédés pour les cultiver ne sont pas brevetables.

Mme Siobhán Yeats

C'est ce qu'ont décidé les examinateurs dans trois cas qui ont été traités jusqu'à maintenant, dont le cas de WARF. Les trois demandeurs ont posé un recours contre la décision de première instance et nous avons eu vendredi dernier une procédure orale. La chambre de recours a décidé d'envoyer la question à la Grande chambre de recours de l'OEB qui prend des décisions sur les questions fondamentales pour interpréter la loi. Nous allons demander comment nous devons interpréter cette stipulation selon laquelle l'utilisation des embryons n'est pas brevetable et si on peut breveter ces cellules ou non.

M. Alain Claeys

Pour le moment, cette question est donc transmise à votre plus haute juridiction pour arbitrage. Cela vous différencie donc de l'Office américain des brevets. Quelle est la position de l'Office japonais des brevets ?

Mme Siobhán Yeats

Je crois qu'ils sont assez stricts aussi mais la question des embryons au Japon est un peu différente.

M. Alain Claeys

Y a-t-il une différence entre la position de l'Office européen des brevets et l'Office anglais des brevets ?

Mme Siobhán Yeats

L'Office anglais des brevets donne des brevets pour les cellules et leur utilisation, mais ni pour les méthodes pour les isoler de l'embryon ni pour les embryons tels quels.

M. Alain Claeys

Mais donnent-ils des brevets pour les lignées cellulaires ?

Mme Siobhán Yeats

Ils ont une interprétation assez étroite ; ils indiquent que l'utilisation elle-même n'est pas brevetable. Les cellules qui sont isolées plus tard ne sont pas une utilisation telle qu'elle, et sont brevetables. Chaque entreprise peut donc aller demander en Grande-Bretagne un brevet, obtenir un brevet anglais et déposer parallèlement une demande en Europe. Plusieurs entreprises suivent cette stratégie. Nous devrons attendre un à deux ans pour obtenir la réponse de la Grande chambre de recours. Jusqu'à ce moment, nous ne continuerons pas à traiter les cas relatifs aux cellules embryonnaires : nous attendrons cette décision.

M. Alain Claeys

Pour le moment, tous les dossiers de revendication qui vous sont soumis ne sont pas analysés, dans l'attente de la décision ?

Mme Siobhán Yeats

Nous allons attendre cette décision. Cet évènement est très récent, puisqu'il s'est passé voici quatre jours. Jusqu'à maintenant, nous continuions à les traiter, mais nous n'avions pris de décision que dans trois cas seulement.

M. Alain Claeys

Avez-vous des questions sur ce sujet ?

M. Jacques Hatzfeld

Au CNRS, nous avons déposé une demande de brevet et nous avons effectivement reçu cette réponse. Il s'agit plutôt d'une lignée qui fabrique un facteur permettant de différencier les cellules ES. Cela n'est-il pas brevetable en Europe ? Il ne s'agit pas d'une lignée ES mais d'une lignée qui est un facteur, que nous souhaitons analyser. Si ce que vous dites est vrai, il n'y a plus aucune entreprise privée qui va investir dans ce genre de recherche !

Mme Siobhán Yeats

Vous avez raison, c'est un problème que l'on voit clairement à l'OEB. Mais nous sommes coincés entre les deux positions. Une partie nous dit que nous mettons en danger toute l'industrie européenne car nous ne donnons pas de brevet, et une autre estime qu'il va absolument contre l'éthique de donner des brevets parce que cette recherche est immorale. Nous n'avons pas encore trouvé ce consensus en Europe : nous recherchons l'opinion de la majorité.

M. Jacques Hatzfeld

Vous confirmez donc que pour ce genre de demande de brevet, il n'y a pas de réponse pour l'instant ?

Mme Siobhán Yeats

Pour l'instant, il n'y a pas de réponse.

M. Jacques Hatzfeld

L'Office des brevets m'a indiqué que la réponse de Bruxelles était négative.

Mme Siobhán Yeats

C'est Bruxelles qui a fait la loi. Bruxelles n'a pas de réponse, car je leur ai personnellement demandé ce qu'ils voulaient obtenir avec cette loi et ils m'ont répondu qu'ils ne le savaient pas.

M. Alain Claeys

La directive européenne qui a été adoptée ne répond pas concrètement à la question que vous posez.

Mme Siobhán Yeats

C'est cela.

Mme Marina Cavazzana-Calvo

Je découvre enfin au niveau de la législation la relation entre état européen et l'Office européen des brevets. Est-ce que les Etats peuvent à titre individuel prendre les brevets et les passer en deuxième instance à l'Office ? Ne serait-ce pas une manière de contourner cette législation ?

Mme Siobhán Yeats

Non, mais on peut déposer chaque demande de brevet séparément dans tous les Etats en Europe - en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, au Danemark, etc. - et obtenir des brevets qui sont valables seulement pour le pays concerné.

M. Daniel Aberdam

Nous avons breveté la fabrication de peau à partir de cellules ES murines, et le brevet portait sur les cellules de mammifères. Le terme « mammifères » retenu par les instances de brevets en France, a visiblement été rejeté par la communauté européenne et a été accepté par la communauté américaine. Cela signifie qu'un brevet qui peut tenir aux Etats-Unis, et éventuellement en Belgique et en France ne peut vraisemblablement pas tenir en Europe. Cela ne veut rien dire.

M. Alain Claeys

La représentation nationale avait donc eu raison de s'interroger sur la transposition de la directive européenne. Ce qui avait été évacué avec les gènes se pose à présent très concrètement sur les cellules souches. Il a été décidé au niveau de l'Office européen des brevets que, concernant la brevetabilité des cellules souches ou des lignées de cellules souches, la plus haute autorité de l'Office européen des brevets serait saisie pour arrêter une position, dans la mesure où Bruxelles ne pouvait pas donner d'interprétation. Depuis quatre jours, il a été décidé que ce type de revendication ne pouvait pas être examiné à l'Office européen des brevets.

Mme Siobhán Yeats

Il s'agit plutôt d'une bonne nouvelle, car cela signifie que nous aurons enfin une décision définitive, même si cela prend un ou deux ans. Je considère cela comme un progrès. Jusqu'à présent, l'examinateur était obligé de chercher quasi lui-même quoi faire.

M. Jacques Hatzfeld

C'est une bonne chose en ce sens que nous pourrons utiliser toutes les inventions américaines en Europe : cela signifie-t-il que nous nous moquons de leurs brevets ?

Mme Siobhán Yeats

Nous ne nous moquons pas de leurs brevets, mais un brevet américain n'est pas valable en Europe.

M. Jacques Hatzfeld

Nous pourrons donc appliquer ces brevets sans avoir à payer de royalties ?

Mme Siobhán Yeats

C'est votre interprétation, pas la mienne.

M. Jacques Hatzfeld

C'est une question.

Mme Siobhán Yeats

Cela dépend de la situation.

M. Philippe Ménasché

Prenons l'exemple suivant : si demain, ces fameux décrets d'application finissent par sortir, et une fois que l'Agence de la biomédecine aura donné son feu vert, même si ce n'est sans doute pas demain, et qu'un laboratoire français dérive une lignée de cellules souches embryonnaires « françaises » et propose un procédé nouveau, par exemple de prédifférenciation des cellules ou de sélection des cellules prédifférenciées, en bref quelque chose qui n'a rien à voir avec la lignée à proprement parler, mais avec les procédés de préparation dans une perspective clinique. Pour la société en question, le procédé est-il brevetable ?

Mme Siobhán Yeats

Malheureusement, je ne peux pas vous donner de réponse exacte : il faut vraiment attendre ce que décidera la chambre de recours de l'OEB sur la portée de cette directive. La loi évolue avec le consensus dans la société. Selon moi, il n'est pas imaginable qu'en continuant à réfléchir, à discuter, à faire des tables rondes, et à développer l'opinion européenne, on finisse par décider qu'on ne peut pas du tout breveter les résultats de cette recherche importante.

M. Hervé Chneiweiss

Je souhaite apporter plusieurs petits points de précisions.

Tout d'abord, jusqu'à présent, WARF accorde aux institutions de recherche des licences exclusives pour un usage donné, mais toujours de manière gratuite. Cela fait partie de l'accord pour la recherche. A partir du moment où il s'agit d'un laboratoire à but non lucratif, l'accord existant avec le NIH stipule qu'il n'y a aucun droit : il doit y avoir un material transfer agreement, et tous les droits commerciaux restent attachés à WARF. C'est sans redevances et sans frais que la licence est accordée à l'institution à but non lucratif. De ce point de vue, NIH et WARF ont établi un accord dans lequel la spécificité « recherche » est accordée.

Deuxièmement, aux Etats-Unis, des juristes se sont déjà penchés sur la question suivante. Si une société européenne, après avoir dérivé une lignée de cellules souches embryonnaires humaines européennes, essayait d'en commercialiser un produit aux Etats-Unis, elle tomberait alors sous le coup des deux brevets de WARF et aurait à trouver un accord de licence ou de brevet secondaire pour commercialiser son produit. Sur le territoire américain et les pays comme le Canada qui reconnaissent les brevets américains, l'entreprise aurait à trouver un accord d'agrément avec Geron et WARF pour pouvoir commercialiser ses produits. Sur le sol américain, ce sont les deux brevets WARF qui s'appliquent jusqu'à contestation éventuelle devant la chambre de recours de l'USPTO du champ de revendication. Comme je l'ai indiqué, le brevet 806 couvrant les trois feuillets embryonnaires, il paraît difficile dans l'état actuel des choses d'imaginer un produit issu d'une cellule souche embryonnaire humaine ne tombant pas d'une façon ou d'une autre sous le coup de ce brevet.

En réponse à la remarque de Philippe Pouletty, on est certes heureux lorsqu'on a des brevets larges - et les redevances sur les tests liés au SIDA ont été importantes - mais Pasteur n'a pas pris une propriété intellectuelle sur toutes les maladies sexuellement transmissibles utilisant un rétrovirus, ou encore sur tout moyen de test diagnostic impliquant l'usage des lymphocytes ! Nous sommes ici sur des niveaux d'extension qui ne tiennent pas compte de la multiplicité des gènes. Pour en revenir aux cellules souches embryonnaires humaines, en ce qui me concerne il ne s'agit pas d'un problème moral lié à l'origine de ces cellules - nous en avons longuement discuté ce matin -, mais du fait qu'en prenant ce brevet, WARF s'octroie un droit sur toute cellule souche embryonnaire, quelle qu'elle soit, d'où qu'elle provienne, et pour les 15 ans à venir ! Si cela n'est pas une limitation majeure à tout développement biotechnologique...

Mme Siobhán Yeats

C'est un peu plus compliqué que cela, car nous avons toujours des principes de système de brevet, avec des brevets très larges, puis des brevets plus étroits au fur et à mesure que l'on développe une matière. De la même manière que l'on pèle un oignon, qui devient plus petit au fur et à mesure que l'on en retire les couches. Dans l'exemple des gènes, nous avions en Europe un brevet sur l'expression d'un gène quelconque dans une cellule de mammifère. Cela ne signifie pas que tout le monde a cessé de travailler sur l'expression des gènes. Un deuxième brevet a ensuite été déposé sur par exemple l'expression des facteurs de croissance, puis ensuite sur d'autres gènes et d'autres promoteurs. On continue à développer le principe général contenu dans le premier brevet large. Même si c'est un brevet large qui couvre en principe l'isolement des cellules souches embryonnaires, c'est effectivement WARF qui a réalisé ce travail de pionnier, qui a obtenu ce brevet et qui a également demandé un brevet en Europe. Si vous avez une grande innovation, vous aurez un brevet large. Ensuite, si vous isolez des cellules de souches particulières, qui ne sont pas spécifiquement couvertes par ce brevet et qui ne sont pas exprimées dans ce brevet, vous obtiendrez un deuxième brevet. Le processus se poursuivra. Bien sûr, vous êtes en quelque sorte dépendants de WARF ou des autres, mais vous avez néanmoins quelque chose à offrir. Si les uns et les autres possèdent chacun leurs cellules, ils peuvent décider de travailler ensemble et de faire une licence. En principe, ce système a toujours fonctionné dans l'industrie pharmaceutique et il fonctionne déjà dans l'industrie biotechnologique. Théoriquement WARF contrôle tout le monde mais il n'a finalement pas grand intérêt à le faire car il en souffrira également, en ne pouvant plus utiliser les découvertes de ses concurrents. Un accord sera trouvé : c'est de cette façon que le système fonctionne.

M. Alain Claeys

Il y a deux pratiques possibles. Soit il s'agit de la pratique du juge, qui va arbitrer à partir de brevets larges, ce qui permettra d'arriver progressivement à un point d'équilibre. Soit une autre démarche existe selon laquelle le législateur prend une position sur ce type de brevet en considérant que les brevets produits ne sont pas acceptés et qu'il faut en rester aux brevets d'application. C'est là le débat qui doit être mené. L'Office européen des brevets a besoin d'une réflexion, y compris dans le cadre de son règlement intérieur. Ceci prouve que la directive européenne, en terme d'interprétation, a ses propres limites.

M. David Sourdive, Directeur général délégué de Cellectis, a également son point de vue à donner. Nous donnerons ensuite la parole à M. Christian Pinset de l'entreprise Celogos.

M. David Sourdive, directeur général délégué de Cellectis

Je vous remercie.

Je souhaiterai apporter un peu d'optimisme dans la discussion : depuis ce matin, j'entends beaucoup de propos sur les problèmes qui se posent, sur les difficultés rencontrées, sur le fait que l'on se pose des questions dans le monde entier.

Je centrerai mon propos sur deux choses. Tout d'abord, il s'agit d'essayer de vous donner la mesure de la très large potentialité des cellules souches et sur l'enjeu important qu'elles représentent notamment en matière d'ingénierie du vivant. Ensuite, il s'agit de témoigner de l'occasion particulière que nous avons aujourd'hui en France de prendre une position forte et pérenne dans ce domaine et de voir à quel point il peut être important pour nous d'aller dans cette direction.

La société Cellectis est née au début de l'année 2000 d'un essaimage industriel de l'Institut Pasteur. En réponse à la question posée précédemment « est-il difficile d'obtenir des licences des instituts académiques en France ? », la réponse est oui, mais il existe néanmoins des méthodes qui fonctionnent.

Il se trouve que nous sommes dépositaires d'une propriété intellectuelle extrêmement forte et de brevets très larges sur l'ingénierie du génome, le knock-in et le knock-out. Cela représente 6 familles de brevets et 75 brevets dans le monde, ce qui est énorme. Nous avons mis quelques mois à négocier avec l'Institut Pasteur, qui est co-propriétaire avec l'Institut Curie, le CNRS et l'Inserm. Comment faisons-nous ? Nous mandatons un seul interlocuteur et nous nous donnons 14 jours pour répondre à toute proposition et contre-proposition. Ce sont des méthodes simples qui fonctionnent, et qui aboutissent à une ratification. Je ferme cette parenthèse en répondant que l'obtention de licences des instituts académiques est difficile mais que des méthodes existent. Il faut simplement se mettre d'accord. Il est vrai que l'empilement de co-propriétés peut rendre les choses extrêmement difficiles.

Cellectis a été fondée sur la base de la vision suivante : au XXe siècle, la chimie a connu une révolution. Dans les années vingt, nous sommes passés de l'empirisme et de quelques réactions isolées à quelque chose de beaucoup plus systématique. Nous sommes devenus capables d'agencer le carbone, l'hydrogène, l'azote, l'oxygène de manière très savante et systématique. La chimie envahit tous les compartiments : la vie, le textile, la pharmacie, les engrais, etc. Le vivant va connaître la même évolution au XXIe siècle. Nous nous sommes donc positionnés dès le début sur cet axe de l'ingénierie génomique, et en particulier l'ingénierie des cellules en général et des tissus en particulier.

Pour quelles raisons s'agit-il d'un domaine stratégique ? Parce qu'il s'agit d'un des principaux gisements de croissance des années à venir. Il est tout à fait stratégique pour la thérapie, je n'y reviendrai pas car nous en avons beaucoup parlé, car il s`agit d'être capable de réparer des séquences malades dans des cellules isolées de patient, qu'elles soient malades de défauts génétiques innés ou acquis, comme des virus. Démonstration a été faite qu'on pouvait guérir des cellules d'infection virale, ce qui est une approche rare. Ce domaine est également stratégique car son application dans l'industrie est énorme : j'axerai mon propos sur ce point.

Les bio-industries sont très nombreuses en Europe et le vivant est présent dans un très grand nombre de domaines. Cependant, l'obtention d'une souche nécessite un grand nombre de processus industriels. Tout ce qui se passe en aval (purification...) est assez bien maîtrisé. Néanmoins, l'obtention d'une souche industrielle est un cauchemar, que ce soient pour les personnes qui font du criblage pour valider des molécules, pour les personnes qui font des modèles animaux, ou encore qui font de la production de molécules recombinantes (anticorps...) ou complexes (antibiotiques). Je ne parle évidemment pas des personnes qui travaillent sur les plantes, qui sont aujourd'hui condamnées à faire de la transgenèse et qui aimeraient bien faire autre chose. Il y a donc aujourd'hui un enjeu énorme dans l'ingénierie du vivant et en particulier dans l'ingénierie génomique. C'est sur ce créneau que nous nous sommes positionnés et que nous sommes devenus une réalité industrielle et, depuis, une réalité sectorielle.

Où se situe l'enjeu ?

L'opportunité vient du fait que le moment est le bon : la génomique est passée par-là. Nous avons les moyens de connaître le contenu des séquences des génomes d'un certain nombre d'organismes et de microorganismes qui sont d'un intérêt immédiat, pour l'industrie ou la thérapie. Deuxièmement, des sauts technologiques existent. Aujourd'hui, on sait cibler très précisément un endroit dans un génome et le réécrire. Nous ne savons pas aller jusqu'à la base près, mais nous n'en sommes pas loin. C'est une affaire de mois ou de quelques années. Le saut technologique est là et les preuves de concept sont déjà en route. Nous avons donc l'antériorité. Troisièmement, nous avons les acteurs : comme cela a été dit et répété, nous avons de très grands chercheurs et de grands cliniciens en France, et une capacité à agir avec les acteurs industriels qui existent. Nous avons également des outils, comme les pôles de compétitivité, comme Méditech dans lequel Cellectis est impliquée. Nous avons pu démontrer que nous savions travailler ensemble et nous organiser. Je peux témoigner qu'un certain nombre de mes partenaires sont autour de cette table et que nous réussissons à développer des projets collaboratifs et structurants et qui produisent à la fois une recherche et des applications performantes.

Aujourd'hui, comment faire pour saisir cette occasion et prendre une position forte et dominante, pérenne sur ce domaine ? Effectivement, le brevet n'est qu'une arme d'interdiction. Il ne permet pas de faire quelque chose mais interdit aux autres de le faire. C'est une monnaie d'échange, et ce n'est pas parce que quelqu'un a pris un brevet très large que pour autant tout est perdu. Je peux en témoigner dans mon travail quotidien : nous sommes nous-mêmes dépositaires d'un brevet très large, et je vois ce qui se passe autour de nous et comment nous avons à poursuivre la compétition face à des gens qui ont très bien compris qu'ils pouvaient bloquer en aval telle ou telle application et avoir une monnaie d'échange avec nous.

M. Alain Claeys

Je suis d'accord avec vous, mais au-delà de cela, à travers ces brevets, nous passons tout de même à des brevets de la connaissance.

M. David Sourdive

Je vais y venir immédiatement.

Dans notre cas, il s'agit d'un brevet de procédé. Nous ne sommes pas dans le cas d'un brevet de produit. Il faut être clair. Nous contrôlons l'utilisation tout à fait artificielle de mécanismes dont les fondements sont effectivement naturels, comme la recombinaison homologue induite, ciblant un endroit particulier dans un génome (mammifère ou non, en fonction des territoires). Nous contrôlons l'utilisation de ces ciseaux moléculaires extrêmement précis permettant de déclencher cette recombinaison-là, qui eux aussi sont naturels. Ces brevets avec des revendications extrêmement larges aujourd'hui ne portent pas sur de la connaissance en tant que telle. Nous ne brevetons pas de connaissance mais un procédé matériel impliquant la mise en _uvre de molécules bien précises et bien décrites.

Ce matin, nous avons beaucoup parlé de la puissance normative et de la difficulté qui résultait de l'empilement de règles, qu'elles soient dans la loi, le règlement ou la procédure, pour obtenir telle ou telle autorisation.

Il y a un deuxième axe important sur lequel je souhaite vous interpeller : celui de votre aptitude à débloquer des moyens. Il faut ouvrir des lignes budgétaires sur ces thématiques et notamment sur l'ingénierie du vivant - sur lequel nous sommes assez bons en France. Nous allons atteindre un stade où c'est la gestion de la complexité qui fera la différence.

La complexité vient de la montagne d'informations que nous donnent la génomique et toutes ces biopuces : traditionnellement, la France possède de bons mathématiciens et de bons théoriciens de l'information pour arriver à extraire du sens de tout cela. Je ne suis pas certain que nous ayons gagné voire mené cette première bataille sur les biopuces et le génome : en revanche, nous serons présents pour la prochaine, et nous avons vraiment des chances de la gagner ou en tout cas de prendre une position très forte dans ce domaine. L'ouverture de lignes budgétaires sur cet axe et la reconnaissance de ces thématiques d'ingénierie du vivant et d'ingénierie génomique, ne serait-ce qu'en la faisant apparaître dans la nomenclature, me paraît être la première chose que vous pouvez faire. Cette action peut paraître symbolique, mais elle ne l'est pas car elle amène à sa suite des conséquences budgétaires extrêmement importantes. C'est un phénomène de levier.

La seconde chose est que le soutien doit être fort et pérenne. Un certain nombre de mesures structurelles visant à favoriser l'investissement dans notre société est essentiel. Ce qui a été dit est malheureusement très vrai : aujourd'hui, le carburant des sociétés de biotechnologie est bien l'investissement en capital. Nous sommes sur des projets à risques, à long terme, et qui nécessitent un investissement d'une grande intensité et qui doit être sur une période de temps à l'échelle de ce que sont les essais cliniques. Tout ce qui peut être de nature à mobiliser l'épargne - la France a le deuxième taux d'épargne derrière les Japonais - sera favorable. Mais aujourd'hui cette épargne ne va pas dans les PME innovantes françaises. Je peux témoigner d'un certain nombre d'exemples : notre principal concurrent - pour une fois, les Français sont en avance et les Américains nous suivent - lève de l'argent pour nous rattraper. Il s'agit entre autre d'argent venant de l'assurance-vie française ! Notre concurrent vient donc en Europe, rachète des entreprises, les détruit et les délocalise en Californie. Nous résisterons mais un certain nombre d'acteurs européens vivent cela : les épargnants de leur pays préfèrent donner de l'argent aux Américains qui vont délocaliser les industries de ce pays.

Nous devons nous interroger sur les moyens de mobiliser cette épargne. Voici quelques années, un engagement formel avait été pris devant le ministre de l'industrie et des finances de l'époque (M. Sarkozy) par les dépositaires de l'assurance-vie de placer 4 % dans les PME innovantes. Il n'en est rien aujourd'hui et pourtant ces gens bénéficient d'un privilège fiscal énorme, qui profite essentiellement aux industriels américains et chinois - des statistiques sauront mieux que moi étayer ce propos. Du point de vue de l'industriel que je suis aujourd'hui, je dois vous dire que vous avez une occasion devant vous, que nous avons une quantité d'atouts, et que nous sommes en position de mener quelques-unes - pas toutes - des batailles importantes qui vont se présenter. Nous avons besoin que ce soutien soit fort, efficace et surtout pérenne. Vous avez dans vos mains deux leviers : celui de la ligne budgétaire, et la possibilité de mobiliser l'épargne.

M. Alain Claeys

Avez-vous eu des contacts avec l'Agence pour l'innovation ?

M. David Sourdive

Je vais être très franc avec vous. L'Agence pour l'innovation est aujourd'hui composée de trois personnes qui répondent très difficilement au téléphone, qui signalent que l'agence est en train de se structurer, et qui, constatant que nous sommes une PME, indiquent que cela tombe bien dans la mesure où l'agence s'est engagée à mettre quelques fractions de % de son argent pour les PME, mais qu'il faut venir avec un très grand groupe. Comme M. Pouletty l'a dit précédemment, il n'y a plus qu'un très grand groupe dans la santé en France, qui n'est pas très favorable aux biotechnologies. Nous essayons de trouver un moyen de structurer quelque chose de la dimension qui conviendrait à l'A2I à travers les pôles de compétitivité. C'est l'outil que nous allons utiliser.

M. Alain Claeys

Etes-vous intégré dans un pôle de compétitivité ?

M. David Sourdive

Cellectis est non seulement intégrée mais fait partie des fondateurs de Meditech, dont elle est administrateur et membre du bureau exécutif. Il n'empêche qu'aujourd'hui, les interactions avec l'A2I sont complexes. Le dispositif que l'A2I veut mettre en _uvre n'est même pas encore approuvé par Bruxelles, où il est seulement déposé pour examen. Si j'ai bien compris, il s'agit de très gros projets, or dès qu'il y a plus de 25 millions d'euros mis sur la table, le traitement se fait au cas par cas et il faut retourner à Bruxelles. On nous envoie donc des signaux extrêmement confus et pas très positifs aujourd'hui pour des PME innovantes. Je rappelle que l'innovation dans la santé se fait pour une part significative dans les entreprises de biotechnologie, une part très importante des médicaments aujourd'hui en développement clinique est issue des biotechnologies - pour ne pas dire la majorité. Alors, dire que l'A2I réserve une « petite part » de son argent aux PME est paradoxal.

M. Alain Claeys

Merci M. Sourdive. Je donne la parole à M. Christian Pinset.

M. Christian Pinset

Je vous remercie de m'avoir invité et je remercie M. Sourdive d'avoir essayé de donner un élan d'enthousiasme, que je vais tenter d'illustrer.

M. Alain Claeys

Je n'ai pas trouvé les chercheurs pessimistes ce matin.

M. Christian Pinset

Peut-être est-ce comme la météo : « variable » ! Je vais vous raconter l'histoire d'un scientifique qui « ronronnait » et qui a décidé de construire une entreprise de biotechnologie, avec l'idée sous-jacente d'essayer de trouver le meilleur moyen de faire la preuve du concept que la thérapie cellulaire est non seulement quelque chose de possible mais que cela peut être possible industriellement. D'une certaine manière, cela oblige à une réflexion différente de celle menée dans la recherche académique, et qui consiste à essayer de trouver la conjonction entre une pathologie pour laquelle on pourrait entrevoir une thérapie cellulaire, un produit qui puisse soigner cette pathologie et une alternative au produit qui existe déjà. Cela est relativement délicat.

Je vais essayer de vous montrer que l'on peut construire des produits de thérapie cellulaire pour des indications auxquelles on ne pense pas immédiatement. En terme de thérapie cellulaire, on pense souvent aux maladies rares ou qui mettent en jeu le pronostic vital. Ce qui nous intéresse est de développer la thérapie cellulaire pour des maladies qui ne mettent pas en jeu le pronostic vital mais le pronostic au sens de la dignité de l'être humain. Nous sommes en train de lancer un produit dont nous avons commencé l'essai clinique en mai avec quatre patients traités contre l'incontinence urinaire. Pourquoi avons-nous choisi cette pathologie ? Lorsque nous avons fait des tours auprès des investisseurs, tous étaient effarés de nos propositions et s'étonnaient que nous proposions une thérapeutique innovante et très chère dans une indication qui ne menaçait pas le pronostic vital. Nous avons essuyé de la surprise et parfois du dédain de la part de ces investisseurs.

Nous avons gardé le cap en particulier grâce aux aides de l'Etat, que je remercie à cette occasion, pour essayer de construire cette preuve du concept. Le marché de l'incontinence urinaire est extrêmement important - il y a environ 3 millions d'incontinents urinaires en France, et la gravité de cette incontinence est très variable. C'est une affection pour laquelle il y a peu d'alternatives thérapeutiques, en particulier chez l'homme. Chez ce dernier, cette pathologie fréquente représente 20 % des suites du cancer de la prostate. Lorsque j'ai examiné les histoires cliniques de nos quatre premiers patients, j'ai été moi-même surpris du fait qu'il s'agissait de personnes qui allaient relativement bien et qui se sont soudainement retrouvées incontinentes. Pour ces patients, les seules alternatives sont les couches ou le sphincter artificiel : l'éventail thérapeutique est donc réduit. Dans ce contexte, nous avons pensé que nous pouvions réparer le sphincter de manière relativement simple. Il s'agit d'une thérapeutique autologue : un morceau de muscle du patient prélevé au niveau de l'épaule est traité en culture selon un procédé semblable à celui de Myosix, caractérisé et réinjecté par une intramusculaire simple en péridurale. C'est relativement simple à mettre en place et cela peut fonctionner. J'espère que cela pourra rapporter pour notre société.

A votre question sur les endroits où nous avons rencontré des soucis, je vous répondrai que nous nous attendions à certains problèmes d'ordre technique : cela fait partie de notre métier de scientifique. Je pensais rencontrer des soucis réglementaires et, là, j'ai été très surpris. Je crois que c'est M. Pouletty qui disait que les choses se passaient bien avec l'AFSSAPS. En effet, en discutant et en avançant ensemble, nous faisons la réglementation avec l'AFSSAPS. Cette agence est une bonne spécificité française, car si elle est un frein, elle nous impose des normes qui sont très importantes pour aller ensuite sur le marché. Nous avons surtout rencontré des soucis d'ordre économique. Il est relativement difficile de trouver des investissements en France, en particulier dans le premier tour. Nous avons réussi une opération miraculeuse. Si cette présente réunion s'était tenue voici un an, je n'y aurais pas assisté car nous étions dans une situation extrêmement délicate et je me demandais si nous n'allions pas devoir licencier le personnel. Nous avions les autorisations et nous pouvions commencer les essais cliniques, mais nous n'avions absolument pas les moyens de le mettre en _uvre. Ceci était un drame car les gens travaillant avec moi risquaient de perdre leur emploi et parce que cela était désespérant du point de vue du montage du projet.

Parce que nous étions proches d'un essai clinique, parce que nous commencions à penser qu'il pourrait y avoir un produit et que le marché de l'incontinence urinaire était important, nous avons réussi à mettre des contacts en place, et en particulier à faire une alliance avec une petite société française très intéressée à l'innovation et qui est notre partenaire HRA Pharma. Cette société a mis sur le marché la pilule du lendemain (Norlevo). Cette alliance nous a permis d'obtenir des fonds et également toute la richesse technique (direction médicale, construction d'essais cliniques) permettant d'entrevoir cet essai sous un autre angle et avec un autre type de compétences. Nous sommes beaucoup plus « heureux » maintenant.

Nous sommes dans une situation où nous devons mêler deux dimensions, l'économie sur laquelle je ne reviendrai et l'essai clinique. Faire un essai clinique consiste à la fois à vouloir être audacieux en proposant des choses qui n'ont pas été faites, et dans le même temps à être vigilant. Le fait de gérer ces deux capacités n'est pas forcément facile. Je me suis « jeté dans la mare » sans avoir aucune expérience industrielle. J'ai mené sereinement ma carrière de scientifique jusqu'à ce que je n'aie plus envie de ronronner en tant que directeur de recherche. C'est cette expérience que j'essaie de vous faire partager : si on vous donne les moyens de pouvoir être audacieux tout en restant vigilant, il y a vraiment un avenir, et pas simplement en France pour la thérapie cellulaire. Je pense très sincèrement que nous avons un des meilleurs modèles pour montrer que l'on peut faire la preuve d'un concept dans une pathologie extrêmement répandue et handicapante. Depuis que nous avons établi cette alliance industrielle, nous sommes dans des conditions satisfaisantes pour pouvoir entrevoir l'avenir, non seulement en terme de thérapie autologue mais aussi en terme de réflexion sur les thérapies cellulaires du futur, notamment pour disposer de produits allogéniques de thérapie cellulaire.

M. Alain Claeys

M. Vilquin ?

M. Jean-Thomas Vilquin

Ma remarque ne porte pas directement sur les brevets mais sur le fait qu'il faut harmoniser les conceptions de brevets. Il faudra également harmoniser la réglementation au niveau européen pour la thérapie cellulaire. Nous avons actuellement de la chance en France avec l'AFSSAPS, qui est une des agences qui réalise le travail le plus fouillé et le plus approfondi. Lorsque l'on a obtenu une validation de l'AFSSAPS, on peut l'avoir plus facilement dans les autres pays européens. Néanmoins, à chaque fois que l'on veut aller dans un autre pays, on doit passer par une agence réglementaire. Une harmonisation est donc nécessaire : peut-être est-elle en cours. Dans notre cas, avec Philippe Ménasché, nous avons un essai international en cours. Nous avons pu réaliser immédiatement des cellules en France parce que cela était déposé à l'AFSSAPS, mais nous avons dû repasser devant toutes les agences des pays européens.

Par ailleurs, c'est le manque de visibilité à court terme qui fait reculer les investisseurs. Ils ont peu d'indication de fiabilité et d'efficacité mais ils ne savent pas non plus ce que va leur rapporter le produit. Il serait important de mener une réflexion sur le mode de remboursement de l'utilisation des produits de thérapie cellulaire, qu'ils soient seuls ou associés à des prothèses ou des produits d'ingénierie tissulaire. C'est cela qui va leur permettre d'investir.

Ma troisième remarque est optimiste : ce qui intéresse Philippe Ménasché est de pouvoir injecter des cellules dans le c_ur à l'aide d'une seringue. A la limite, le contenu de la seringue sur le plan clinique ne l'intéresse pas : il est intéressé sur le plan scientifique de savoir à quoi correspondent ces cellules. Tous les développements périphériques sont communs aux cellules ES et aux cellules adultes. On fera un cathéter pour injecter des cellules de la même façon, qu'il s'agisse de cellules ES modifiées, devenues adultes et différenciées, ou de cellules souches adultes directement. Il y a une complémentarité. Les développements tournant autour des cellules ES ou des cellules souches adultes sont les mêmes pour les types cellulaires. Ce qui profite à l'un peut profiter à l'autre. C'est ce qui se passe également entre nous, n'est-ce pas ?

M. Philippe Ménasché

Je sais tout de même ce qu'il y a dans la seringue !

M. David Sourdive

Il faut clairement insister sur un aspect : les technologies d'ingénierie de cellules et d'ingénierie du vivant ont des applications à long terme en thérapie régénérative, mais elles n'ont pas que ces débouchés. C'est ce qui a permis à des investisseurs de s'impliquer dans des projets où il y a un marché immédiat. L'opportunité dont je vous ai parlé se trouve dans les applications industrielles : Marc Peschanski pourra vous donner un exemple concret de ce que l'on peut faire aujourd'hui dans ce domaine. Il ne faut pas se limiter en considérant que le problème se posera dans 10 ou 20 ans : le problème existe aujourd'hui. Nous avons des parts importantes de ce potentiel de croissance à saisir immédiatement ! Le vivant est présent dans bien des compartiments ! Nous n'allons pas attendre, comme la révolution chimique au XXème siècle, que les occasions soient passées pour nous décider à utiliser du vivant pour arrêter de faire de la chimie ou faire quelque chose que la chimie ne sait pas faire. Il y a une application immédiate et les investisseurs peuvent y aller. Cellectis correspond à une levée de 16 millions d'euros avec des investisseurs danois et français. En la matière, il faut élargir le champ et non se limiter aux seules visions de la médecine régénérative.

Mme Siobhán Yeats

Je voudrais seulement dire que le système de brevets n'est pas là pour faire plaisir aux fonctionnaires de l'Office européen des brevets ! Il est là pour rendre service au public et aux entreprises et pour trouver cet équilibre entre les demandes du public et les demandes des entreprises. Nous vous écoutons : s'il y a des problèmes avec la loi, nous menons bien sûr une réflexion. Si je peux me permettre, c'est également le devoir des politiciens de faire des lois claires et acceptables pour tout le monde. Le fait de réfléchir sur des questions fondamentales de la société ne devrait pas être le travail de l'Office européen des brevets. Il faudrait faire la loi et ensuite inclure ces questions dans la loi. Nous allons poursuivre ces réflexions dans l'Office et en dehors de l'Office, et nous allons écouter tous ceux qui discutent avec nous. Ce travail est difficile, nous essayons de travailler avec la loi dont nous disposons. Si elle est incorrecte, il faut la modifier, et ce n'est pas aux Offices de faire cela. Il vaut mieux conserver une loi assez générale : nous avons une loi générale des brevets qui date de plus de 100 ans et qui a bien servi à la communauté.

M. Alain Claeys

Nous n'allons pas vous faire supporter les hésitations des politiques parfois sur des textes législatifs. S'il n'y a plus d'interventions, je vous propose d'aborder la dernière table ronde. Avant cela, je voudrais pour ceux qui nous rejoignent résumer en quelques mots ce qu'ont été nos débats depuis ce matin, dont je me félicite de la richesse.

Tout d'abord, il y a une demande unanime - et je crois compréhensible - pour que les décrets d'application de la loi puissent être publiés le plus rapidement possible, d'autant que j'ai appris hier qu'il y avait des bouleversements à l'Agence de la biomédecine. Sa directrice devait être présente aujourd'hui, et elle m'a indiqué hier qu'étant sur le départ elle ne pouvait pas assister aux débats. Le Comité ad hoc terminant ses travaux, il n'instruira plus de dossier. L'Agence de la biomédecine doit donc être le plus rapidement possible opérationnelle. Vous êtes tous d'accord sur ce constat.

La deuxième chose évoquée porte sur la possible ambiguïté dans la rédaction de l'article 25 de la loi de bioéthique. Je l'ai entendu, sans porter de jugement sur le fond : interdiction de recherche sur l'embryon, moratoire de cinq ans, analyse des programmes de recherche en fonction de leur vocation thérapeutique « sous réserve que d'autres techniques ne le permettent pas ». Des clarifications sont nécessaires, et je pense que les décrets d'application devront être les plus clairs possibles. A travers vos interventions, le législateur s'est rendu compte de ce qui relevait aujourd'hui du stade de la recherche fondamentale et des perspectives thérapeutiques. Je crois qu'il y a une confusion parfois dramatique pour nos concitoyens, car on leur laisse croire des choses fausses. C'est le rôle du législateur d'éviter le sensationnel et d'être très scrupuleux sur l'avancée des recherches. Vos interventions successives nous ont permis d'y voir beaucoup plus clair. L'autre chose qui a été dite, et qui a je crois été le n_ud de la discussion en fin de la matinée, est de ne pas opposer un centre de recherches travaillant sur des cellules souches adultes et un centre travaillant sur des cellules souches embryonnaires. Les uns et les autres ont été très clairs là-dessus.

Un point ne concerne pas directement le débat qui nous occupe aujourd'hui, mais qui est important pour la mobilisation des moyens. C'est la complexité des procédures dans ce domaine. Le directeur général de l'Inserm et le responsable du CNRS des sciences du vivant qui étaient présents ce matin nous ont expliqué ce qu'était leur budget dans le domaine des cellules souches. Ils nous ont bien indiqué qu'il fallait trouver une articulation avec la nouvelle agence qui a été créée : c'est un sujet de réflexion et de préoccupation que doivent examiner les responsables publics. Ceci est également vrai avec l'Institut du Cancer : si ce dernier, à travers des canceropôles, met des moyens sur telle ou telle équipe, il faut qu'il y ait une articulation car cette équipe est très certainement liée à l'Inserm ou au CNRS.

D'autre part, l'aspect européen a été évoqué, et j'insiste beaucoup sur la difficulté rencontrée aujourd'hui par nos équipes pour participer activement ou utilement à des appels d'offres européens. Nous devons avoir cela en tête. En tant que rapporteur de cette étude, je ne manquerai pas de le mentionner fortement.

Nous avons également abordé en fil conducteur ce que certains appellent le clonage à visée scientifique, le clonage à visée thérapeutique ou, pour reprendre l'expression de M. Claude Sureau, la transposition nucléaire. Quelles sont les perspectives ? La tendance dominante ce matin, pour les différents intervenants, a été de dire, tout en expliquant - et je crois que cela est important - ce qui se passe réellement dans le monde et non pas en fantasmant sur telle ou telle découverte qui aurait lieu, que cette technique devra à un moment ou à un autre être autorisée en France. Vous avez bien fait de mentionner, en tant que chercheurs, que la condamnation dans la loi actuelle du clonage dit « thérapeutique », mis presque sur le même plan que le clonage dit « reproductif », pose un certain nombre de difficultés.

Nous allons consacrer cette dernière table ronde au clonage scientifique (ou au clonage thérapeutique), en mentionnant un sujet d'actualité que plusieurs intervenants ont abordé, à savoir le don des ovocytes.

Table ronde n° 5 : Le clonage scientifique : quelles perspectives ?

M. Alain Claeys

Je vais présenter les derniers intervenants : Messieurs Daniel Aberdam, directeur de recherche à l'Inserm, Alain Fischer, professeur de médecine, directeur de l'Unité 429 de l'Inserm (hôpital Necker-Enfants malades) et membre de l'Académie des sciences, Bertrand Jordan, directeur de recherche au CNRS, conseiller à Marseille-Nice Génopole, Axel Kahn, directeur de recherche à l'Inserm et membre du Comité de Pilotage de cette étude, Marc Peschanski, directeur de recherche à l'Inserm, Didier Sicard, président du Comité national consultatif d'éthique, et Claude Sureau, président honoraire de l'Académie nationale de médecine, membre du Comité consultatif national d'éthique.

Je donne la parole à Daniel Aberdam.

M. Daniel Aberdam, directeur de recherche à l'Inserm

J'ai déjà fait part de quelques notions que je considère comme importantes, et je vais reprendre celles qui ont été dites au cours de la journée. Il faut absolument, impérativement ne pas prendre davantage de retard supplémentaire comme nous l'avons fait dans le passé : il ne faut pas avoir d'a priori, et considérer que les techniques qui sont impossibles aujourd'hui, ne le seront pas forcément demain. Cela ne doit pas être une raison pour freiner une décision législative. Nous l'avons bien vu lorsque dans les années 2001-2002 on a opposé les cellules somatiques aux cellules souches embryonnaires. Certains ont estimé que les cellules souches adultes pouvaient faire au moins aussi bien que les cellules souches embryonnaires et que l'on pouvait laisser de côté ces dernières. Un retard a été pris dans la décision de légiférer et les décrets ne sont toujours pas appliqués pour la dérivation des nouvelles lignées. Je crois que Jacques Hatzfeld a suffisamment insisté sur les non-raisons de retarder encore la dérivée de lignées à partir de diagnostics préimplantatoires. Comme le disait René Frydman, il s'agit de déchets opératoires et a priori la discussion est très différente du statut de l'embryon.

Le débat sur le statut de l'embryon a toujours lieu et nous n'en parlerons pas. Tout ce qui a trait au clonage ou à ce que l'on appelle à présent la transposition nucléaire - je pense que ce terme est davantage correct - sera évidemment extrêmement utile comme modèle cellulaire. Nous avons suffisamment insisté aujourd'hui pour éviter systématiquement de donner de faux espoirs à court et moyen terme en matière de thérapie. La transposition nucléaire est indispensable pour avoir des modèles cellulaires qui permettront de comprendre des mécanismes et d'avoir des modèles de pathologie, dont nous ignorons les bases moléculaires et génétiques et les causes des dysfonctionnements. Je suis davantage concerné par les maladies auto-immunes directement liées à la biologie cutanée pour lesquelles des modèles cellulaires seraient très importants à partir de transposition nucléaire. C'est naturellement encore plus vrai pour les maladies neurodégénératives ou autres. Je pense que des spécialistes interviendront sur ce sujet. Je préfère laisser la parole à ceux qui sont directement concernés par cette évolution de la loi.

M. Alain Fischer, professeur de médecine, directeur de l'Unité 429 de l'Inserm (hôpital Necker-Enfants malades), membre de l'Académie des sciences

Je ne suis pas certain qu'il y ait encore beaucoup de choses à dire. Vous avez largement abordé les questions qui concernent la transplantation nucléaire - qui est mon terme personnel : je suis d'accord pour ne pas utiliser le terme de clonage thérapeutique. Aujourd'hui, nous pouvons raisonnablement dire qu'il y a un intérêt potentiel à cette technique. Daniel Aberdam vient à l'instant de rappeler la génération de cellules souches à partir du transfert nucléaire et provenant de matériel de cellules pathologiques. Un fibroblaste de la peau de n'importe quel individu est potentiellement susceptible d'être utilisé.

M. Alain Claeys

Pouvez-vous nous donner votre vision de ce qui se passe au niveau international, par rapport aux pays où le « clonage thérapeutique » est autorisé ?

M. Alain Fischer

Je ne suis pas certain d'être le mieux placé pour donner cette image. Laissez-moi ne pas répondre tout à fait à votre question. Je suis certain que d'autres intervenants savent mieux que moi quelle est la situation internationale dans le domaine de la recherche sur la transplantation nucléaire.

Il y a un intérêt majeur autour de la génération de cellules pathologiques embryonnaires à partir de laquelle on peut mener des travaux absolument fondamentaux au sens propre du terme, mais également au sens figuré car il s'agit de modèles de développement thérapeutique ultérieur. Nous avons besoin de ce matériel dans d'énormes champs de la médecine des maladies génétiques et pas uniquement celle qui a été évoquée à l'instant. Il y a également l'éventualité que ces cellules présentent un jour un intérêt thérapeutique, même s'il faut être honnête et dire que cela est plus qu'incertain et très lointain. Il y a tout de même la notion de compatibilité pour les antigènes majeurs d'histocompatibilité.

La question sur laquelle nous devons nous arrêter n'est pas « pourquoi êtes-vous finalement arrivés à la conclusion qu'il faudra l'autoriser ? », mais « dans la mesure où il faudra l'autoriser dans l'avenir, qu'est-ce qui empêche de ne pas l'autoriser aujourd'hui ? ». Y a-t-il des freins objectifs ?

Pendant longtemps, un des freins - qui à mon avis était partiellement acceptable - était de considérer que ce n'était en gros pas faisable. Dans ce cas, pourquoi autoriser quelque chose qui n'est pas faisable ? Aujourd'hui, nous savons que c'est clairement réalisable, dans des conditions encore difficiles et avec une efficacité relativement faible, qui s'est apparemment améliorée de manière sensible en l'espace d'un petit nombre d'années et qui va probablement encore s'améliorer. Cet argument tombe donc à mon avis.

Le deuxième argument est de dire que l'on génère des cellules qui ont une potentialité de vie ce qui fait revenir sur le débat classique qui n'est pas propre aux transferts nucléaires. Ce même débat a eu lieu à propos des embryons, aussi je ne pense pas qu'il faille l'évoquer spécifiquement à ce niveau.

Le troisième argument consiste à dire que cette technique est potentiellement dangereuse car à côté de bénéfices éventuels de nature scientifique ou médicale, elle est susceptible d'être utilisée pour le clonage reproductif. On peut discuter cet argument car je pense que sur le plan scientifique, il y a aujourd'hui des notions connues sur les problèmes d'empreintes qui font que cela est loin d'être évident. Même si l'on acceptait cet argument, je pense qu'il n'est pas raisonnable de le mettre en avant. Par définition, un développement scientifique est neutre : il n'est ni positif, ni négatif. Il faut ensuite réglementer de telle manière que l'on favorise le développement socialement « utile » et en évitant un développement que la société, à juste titre, ne souhaite pas. Je pense qu'il s'agit d'une discussion d'un autre niveau.

Le quatrième argument, évoqué ce matin, et qui à mon avis est le seul à mériter une attention sérieuse sur cette question, porte sur le don d'ovocyte. Il y a un vrai problème qui mérite réflexion et régulation. Dans la mesure où il existe déjà des circonstances médicales aujourd'hui, où des dons d'ovocytes sont autorisés, on doit pouvoir trouver un cadre réglementaire strict permettant ce don, en évitant, au moins dans notre pays, les risques de dérive vers des pratiques inacceptables de pression morale, de pression financière, de commerce, ... Il me semble que cette question est la seule qui mérite vraiment une attention importante, mais ne paraît pas insoluble. J'ai donc envie de dire qu'il faut autoriser le transfert nucléaire, et le plus rapidement possible, évidemment dans des conditions d'encadrement très strictes.

En ce qui concerne votre question sur l'international, je ne suis sûrement pas le mieux placé pour y répondre. Au-delà de ce qui se passe en Corée avec les aléas actuels qui jettent probablement une ombre sur cette situation, je fais allusion aux questions d'éthique sur le don des ovocytes, sur lesquelles je n'ai pas d'information particulière. Je crois qu'une activité de recherche avance en Grande-Bretagne. Des équipes américaines - notamment à Boston - travaillent sur ces sujets avec des fonds privés et avancent assez sérieusement. Je ne suis pas capable de faire une liste exhaustive, mais des équipes de recherche travaillent sur ce sujet et ont ou auront à court terme le savoir-faire pour développer des lignées de diverses natures et qui seront très utiles à un très grand nombre de domaines de la recherche médicale.

M. Bertrand Jordan, directeur de recherche au CNRS, conseiller à Marseille-Nice Génopole

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer. Je ne suis pas intervenant dans le domaine de la transposition nucléaire ou du clonage scientifique, mais plutôt observateur et vulgarisateur. Je vais essayer de prendre un peu plus de recul.

Deux choses me paraissent frappantes dans ce domaine.

Tout d'abord, la progression rapide et dans le même temps l'imprévisibilité des recherches. Il y a dix ans, si on nous avait posé la question de savoir si le clonage reproductif de mammifère était possible, on aurait probablement presque tous répondu non. Un an après, Dolly est née ! Voici deux ou trois ans, après le clonage reproductif d'un certain nombre d'animaux, nous avons eu des résultats publiés dans d'excellentes revues qui montraient qu'apparemment, le clonage de primates serait beaucoup plus difficile que le clonage d'autres mammifères, et que vraisemblablement, le spectre du clonage reproductif ou éventuellement « thérapeutique » humain s'éloignait, ou qu'en tout cas nous avions plus de temps pour y réfléchir.

Un peu plus d'un an après ces articles, le premier article de l'équipe de Hwang montrait qu'elle arrivait bel et bien par transfert ou transposition nucléaire à obtenir des blastocystes humains et dans un cas à dériver des lignées de cellules ES. Un an plus tard, des travaux beaucoup plus avancés ont été publiés : cette équipe était cette fois partie de cellules de malades et avait obtenu 11 lignées à partir de blastocystes.

Nous avons donc été démentis plusieurs fois sur des avancées qui paraissaient exclues et qui se sont réalisées. Cela ne signifie pas que tout ce que nous considérons comme impossible aujourd'hui deviendra possible demain. Il y a des contre-exemples : des avancées médicales ont paru à portée de main et ont mis beaucoup plus de temps qu'on ne le pensait à se réaliser. C'est le cas de la thérapie génique que l'on imaginait à portée de main il y a 20 ans. Elle a été beaucoup plus longue à déboucher qu'on ne le pensait et elle ne concerne encore pour le moment que quelques cas. Tout ce domaine est extrêmement mouvant et cela a bien sûr beaucoup d'implications sur les aspects législatifs et sur la nécessité d'une réactivité rapide de la législation par rapport à l'avancée des recherches. C'est un point qui me paraît frappant dans ce domaine.

L'autre point, et nous l'avons vu tout au long de la journée, est de constater à quel point il y a une interférence entre la recherche, l'éthique, la politique et l'industrie, qui sont extraordinairement mêlées dans ce secteur, plus que dans beaucoup d'autres. Par exemple, le problème de l'origine des ovocytes est réel. Il me semble que, probablement, le bruit créé autour de la provenance des ovocytes dont s'est servie l'équipe coréenne n'est pas uniquement motivé par les questions éthiques que cela peut poser. Il semble que cette équipe ait utilisé les ovocytes d'au moins une personne participant à l'équipe de recherche et signataire de l'article. Ceci paraît incorrect car cette personne peut avoir été mise sous pression de participer au travail de recherche. Si l'histoire se limite à cela, ce n'est quand même pas un scandale, scientifique et moral de toute première grandeur qui justifie que l'on mette M. Hwang au pilori. Derrière cela, il semble qu'il y ait des aspects économiques, politiques et de concurrence scientifique qui incitent sans doute à donner à cette affaire plus d'importance qu'elle n'en a.

Un autre exemple est celui de la question des cellules souches adultes. Nous en avons discuté ce matin de façon un peu vive, mais finalement tout à fait équilibrée, en s'écoutant et en se comprenant. Si l'on examine la presse américaine, la question des cellules souches adultes est devenue complètement politique. Dans l'état actuel des choses, l'affirmation selon laquelle on peut leur faire faire tout ce que l'on peut espérer faire faire aux cellules souches embryonnaires est fausse. Elle est pourtant largement utilisée dans des débats politiques sur la discussion de telle ou telle loi à la Chambre des représentants ou au Sénat.

Dans ce secteur de la transposition nucléaire, il me paraît extrêmement important d'essayer de bien séparer ce qui relève du domaine de la réalité scientifique et ce qui relève du domaine de la politique, de l'industrie. Il faut essayer d'avoir une législation et des modes de réglementation qui tiennent compte de l'état de l'opinion à un moment donné, qui peuvent éventuellement restreindre les possibilités de recherches, et qui, dans le même temps, soient capables de prendre en compte les développements et de s'adapter à l'avancée de la recherche.

M. Axel Kahn, directeur de recherche à l'Inserm, membre du Comité de pilotage

Selon le vieux principe qu'il vaut mieux tout d'abord rappeler l'état des lieux avant que de porter un jugement éthique ou moral sur ce qu'il s'agit de faire, je vais rappeler l'état des lieux au niveau national et au niveau scientifique.

Tout d'abord, dans la perspective thérapeutique, il n'y a pour moi pas de doute que la médecine régénératrice basée sur un transfert de cellules progressera et est appelée à un certain avenir, éventuellement brillant, que ces cellules soient dérivées de cellules souches somatiques ou bien de cellules souches embryonnaires. Actuellement, des essais cliniques concernant pas moins d'un millier de malades, ou en tout cas plusieurs centaines, sont en cours avec différentes populations de cellules progénitrices ou de cellules souches somatiques. Outre ce qui vous a été présenté pour le c_ur, à l'heure actuelle des essais sont menés au Japon sur la cirrhose du foie, aux Etats-Unis, au Japon et en Corée, sur des conséquences neurologiques d'accidents cardiovasculaires, sur ce que vous a présenté Christian Pinset... L'intérêt de tout cela est que ces résultats seront dépouillés et que dans un ou deux ans, nous saurons ce qu'il faut en penser et quels progrès en matière thérapeutique on pourra en obtenir chez l'homme.

Il n'y a pas encore à proprement parler d'essais thérapeutiques utilisant des cellules souches embryonnaires mais il y en aura, je l'espère bientôt, dans la perspective que Philippe Ménasché vous a présenté ce matin. Il n'y a pas de raison de penser que les cellules dérivées de cellules souches embryonnaires, compte tenu de l'extraordinaire multiplicité des types cellulaires que l'on peut obtenir, ne seront pas à un niveau de sécurité tel que l'on puisse raisonnablement lancer d'importants essais cliniques.

Les problèmes à surmonter sont de trois ordres, certains l'étant déjà.

Parmi ces difficultés rémanentes, on trouve d'une certaine façon quelques « bonnes surprises ». Il s'agit tout d'abord de s'assurer de la non tumorigénicité de ces cellules - car lorsqu'elles ne sont pas différenciées elles sont tumorigènes - ou éventuellement de pouvoir s'en préserver en introduisant un gène qui permettrait de détruire des cellules qui deviendraient tumorales (il s'agit d'une des perspectives développées).

Ensuite, il s'agit de comparer sur le long terme la fonction de ces cellules dérivées in vitro de cellules souches embryonnaires à des cellules différenciées dans un champ morphogène in vivo. Même si elles semblent souvent équivalentes, cela mérite d'être vérifié. Il faut également examiner quelle est leur durabilité après transfert.

Enfin, le troisième élément à prendre en compte est celui de la tolérance immunologique : il s'agit là, en général, d'allotransplantation lorsque l'on parle de cellules souches dérivées d'embryons surnuméraires. Ici, il y a plutôt de bonnes surprises. Nous nous attendions à des réactions de rejet de greffe tout à fait classiques. Nous ne pouvons pas encore dire que les connaissances sont stabilisées, mais les bonnes surprises sont que très singulièrement, il semble que les cellules souches embryonnaires disposent d'un certain privilège immun. Plusieurs résultats expérimentaux le montrent, dont ceux de Philippe Ménasché, et ce de la manière la plus étonnante. Contre toute attente, et même dans des conditions de xénotransplantation, il y a une tolérance tout à fait singulière à ces cellules.

Voilà à peu près où nous en sommes pour ce qui est des visées thérapeutiques.

Où en sommes-nous pour ce qui est des transplantations nucléaires et de l'obtention de cellules souches embryonnaires à partir d'embryon obtenues par transfert de noyau ?

Vous connaissez les résultats obtenus par les Coréens. Les questions importantes qui se posent portent tout d'abord sur l'origine des ovocytes. A terme, on imagine que pourront être utilisés des ovocytes qui ne seraient pas prélevés après hyperstimulation hormonale de femmes et ponction ovarienne par voie endovaginale qui est habituellement faite pour prélever des ovocytes, mais que l'on pourrait obtenir après différenciation maîtrisée in vitro de cellules souches embryonnaires. Ceci fournirait des ovocytes en théorie en nombre illimité. De fait, il y a trois ans, on a montré que les cellules souches embryonnaires, dans des conditions particulières, pouvaient se différencier en des cellules ayant de nombreuses caractéristiques d'ovocytes. Une année après, on est parvenu à obtenir des cellules ayant beaucoup de caractéristiques de spermatozoïdes, par différenciation maîtrisée in vitro de cellules souches embryonnaires. Ce matériel doit encore être testé et il ne peut être aujourd'hui utilisé  - et je ne sais pas quand il le pourra - car les spermatozoïdes ne sont pas fécondants et que les ovocytes-like (les cellules de type ovocytaire obtenus) ne nécessitent pas d'être fécondés ou activés pour commencer à se diviser. Ils effectuent un développement spontané parthénogénétique. Des travaux complémentaires doivent donc être menés. Il y a une possibilité que demain ces cellules soient obtenues en très grandes quantités, ce qui lèverait une difficulté majeure aujourd'hui. Ce n'est pas le cas à ce jour.

Aujourd'hui, la fabrication d'embryon par transfert de noyau somatique continue à reposer sur l'obtention d'ovocytes. Quelles que soient les évolutions, il est bien évident qu'il faudra faire extraordinairement attention aux conditions dans lesquelles ce matériel est obtenu. Même si les collègues coréens ont considérablement amélioré la technique et s'ils montrent que nous avons des chances d'obtenir une lignée à partir d'une dizaine d'ovules, il n'empêche que pour des recherches nombreuses et importantes, le besoin en ovules sera énorme et les conditions dans lesquelles ils seront obtenus sont d'un intérêt considérable et doivent être précisées.

L'obtention de cellules souches embryonnaires à partir d'embryons clonés a d'évidents intérêts scientifiques. Ces derniers ont déjà été exposés et sont principalement de deux ordres.

Le premier est de travailler sur la « reprogrammation » : il s'agit du phénomène par lequel il y a une reprogrammation d'un noyau somatique, initialement programmé pour faire tout autre chose qu'un développement embryonnaire et dont le programme est effacé et reprogrammé chez l'homme. C'est un sujet scientifique intéressant : compte tenu des spécificités d'espèces, ceci peut être réalisé chez différentes espèces de mammifères dont les primates et l'homme.

Le deuxième ordre d'intérêt consiste à obtenir des cellules souches embryonnaires à partir desquelles on pourra développer des cellules différenciées qui seront caractéristiques de différents états pathologiques. Le jour où nous les maîtriserons, nous pouvons imaginer obtenir des cellules pancréatiques pour une maladie comme le diabète. Aujourd'hui, on ne sait pas encore le faire mais on le saura probablement lorsque les techniques s'amélioreront. De même, il sera possible d'obtenir des cellules nerveuses pour suivre l'évolution des troubles caractéristiques d'une maladie dégénérative nerveuse. Le plus intéressant sera peut-être, lorsque cela sera parfaitement maîtrisé, d'utiliser de telles cellules à des fins de criblage moléculaire, c'est-à-dire à des fins pharmacologiques.

Comme cela a été dit, je confirme totalement que les perspectives d'utiliser de telles cellules à des fins directement thérapeutiques sont à ce jour incertaines et lointaines. C'est la raison pour laquelle on peut hésiter à parler - même si c'est un bon terme - de transfert de noyau somatique ou bien de clonage à visée scientifique. Il est certain que le terme de clonage thérapeutique est un mauvais terme, qui doit être abandonné car il est mystificateur. Il n'y a d'une certaine manière pas besoin d'avancer l'intérêt thérapeutique pour justifier de l'intérêt à permettre cela.

Le doute essentiel qui fait que cette méthode est incertaine vient du fait qu'il ne s'agit pas ici de traiter des maladies rares. Il ne s'agit pas de maladies génétiques, même du type de celles qu'Alain Fischer a traitées avec succès. On parle ici de maladies frappant des dizaines ou des centaines de millions de personnes : infarctus du myocarde, maladie d'Alzheimer.... Si à chaque fois que l'on soigne un malade, même avec la meilleure des techniques, il faut commencer par obtenir des ovocytes, créer un embryon cloné, isoler les cellules, les caractériser, vérifier qu'elles ne sont pas pathogènes, ...cela sera certainement difficile. Il faut espérer que d'autres méthodes seront mises au point et seront de ce point de vue plus commodes. Sans doute, les méthodes les plus probables et réalistes consistent à dériver des cellules souches embryonnaires, si tant est que persiste un réel problème d'incohérence immunitaire, mais peut-être aurons-nous une réelle bonne surprise, à savoir que ces cellules seront tellement bien tolérées que nous n'aurons pas besoin de trop faire attention à l'incompatibilité de lignées allogéniques.

Dans la mesure où il y a de très nombreux embryons surnuméraires, comme on le fait avec des greffes de moelle, nous pourrons obtenir de très grandes quantités de cellules souches embryonnaires, caractérisées pour les antigènes d'histocompatibilité dans le groupe HLA et s'en servir comme matériel de départ pour tout malade ayant des groupes tissulaires équivalents. L'avantage de cela est que cette méthode se rapproche d'un médicament : les produits sont placés dans des ampoules et envoyés d'un endroit à un autre du monde. Il est même possible, en fonction des maladies les plus fréquentes à soigner, de commencer à dériver le jour où nous saurons le faire toute une série de ces cellules pancréatiques, hépatiques, cardiaques, dopaminergiques... qui seront caractérisées pour leurs fonctions, typées pour les groupes HLA, mises en ampoules scellées et stériles et prêtes à l'emploi de telle sorte que l'on puisse approcher des concepts de médicament cellulaire. C'est ce que l'on peut espérer si l'on veut qu'effectivement cette thérapeutique soit accessible à un nombre croissant de personnes.

Pour terminer, quelle est ma position personnelle par rapport à l'évolution de la loi ?

Je faisais partie de ceux, très rares, qui n'étaient initialement pas favorables à ce que la loi permît cette expérience passant par la fabrication d'embryons clonés, et ceci pour deux raisons principales. Je m'en suis expliqué maintes fois, il n'y a donc pas de secret sur ce point.

J'étais tout d'abord choqué par la stratégie de lobbying présentant les possibilités thérapeutiques comme une évidence face à laquelle on ne pouvait que déférer, mobilisant éventuellement les associations de malades. Pour que le débat pût se développer, il m'a semblé important de rétablir de ce point de vue la situation. Je n'ai en revanche jamais nié l'intérêt scientifique de cette méthode. Ensuite, le problème des ovocytes et la crainte que j'avais que la mise au point de la technique d'obtention d'embryons par transfert de noyau somatique donne la recette à tous ceux qui veulent cloner des enfants (clonage reproductif auquel je suis tout à fait opposé), faisaient que pour moi la balance penchait du côté de la non-autorisation de la recherche.

Il n'y a pas de doute que les choses ont changé d'une certaine manière, non pas parce que mon analyse était fausse mais parce que les choses se développent telles qu'elles devaient se développer. Une équipe coréenne tout à fait remarquable a mis au point et a publié partout dans le monde cette technique : celle-ci est à présent accessible à tous ceux qui souhaitent l'utiliser, pour quoi que ce soit, et dans quelque pays que ce soit, quelles que soient ses lois. Je ne soupçonne certainement pas mes collègues en France de fabriquer des embryons par transfert somatique pour cloner des bébés. Cette situation est réellement nouvelle et justifie tout à fait que le débat soit relancé.

M. Marc Peschanski, directeur de recherche à l'Inserm

Il est étonnant que je sois dans un duo avec Axel Kahn et que j'indique que je suis parfaitement d'accord avec lui, alors que pendant des années nous nous sommes écharpés sur cette loi.

Celle-ci, finalement, nous interdit de travailler sur le transfert nucléaire pour de nombreuses années, sauf si nous avons la chance qu'elle soit réexaminée et que nous puissions véritablement recommencer à parler de sciences et de possibilités de réaliser une recherche dans les conditions habituelles de celle-ci, relatives à l'encadrement et à l'habilitation, et au travers de la justification de nos programmes et du contrôle qui s'exerce sur la réalité de ce que nous faisons. J'ai défendu cette position de principe depuis le départ, qui nous guide en général quelles que soient les activités que nous menons. Il y en a bien d'autres qui tombent sous le coup de la loi lorsque nous les pratiquons en dehors de ce cadre ou sur le trottoir devant notre laboratoire ! Lorsque j'avais l'autorisation de le faire, il était possible dans mon laboratoire de travailler sur la cocaïne ou le LSD. Si j'étais sorti sur le trottoir avec ces produits dans ma poche, je serais allé comme tout le monde en prison.

Je suis heureux qu'Axel Kahn soit devenu un défenseur de cette position et que nous puissions recommencer à parler d'une seule voie dans la communauté scientifique pour demander que ces règles soient respectées et que de nouveau la société nous donne en même temps l'encadrement et l'habilitation pour des travaux de recherche dans lesquels nous respectons par définition le principe du respect de l'être humain vivant ou destiné à l'être, être différent de cellules ayant un patrimoine génétique humain mais qui ne sont pas destinées à autre chose qu'à être éliminées.

Sur le transfert nucléaire, je prendrai le point de vue du scientifique qui explique pourquoi il en a besoin et à quoi il va essayer de s'en servir si jamais il a la possibilité de le faire, c'est-à-dire si la loi est modifiée.

Le transfert nucléaire est le moyen de donner à une lignée de cellules souches embryonnaires un patrimoine génétique connu - pas forcément entièrement -, mais en tout cas qui possède des caractéristiques génétiques qui nous intéressent. Ceci nous intéresse par exemple parce que le patrimoine génétique est celui d'un malade atteint d'une affection liée à une mutation génétique (maladie monogénique) ou atteint d'une maladie plus répandue et lourdement biaisée par le patrimoine génétique qu'il porte, par exemple la psychose maniaco-dépressive, l'autisme, et d'autres maladies qui sont rattachées de manière importante au patrimoine génétique mais qui ne sont pas rattachées à un gène spécifique. La possibilité de créer une lignée de cellules souches embryonnaires qui posséderaient ce patrimoine génétique identifié nous permettrait également de posséder - du moins en théorie - en quantité infinie des cellules de tout phénotype, à tout moment de leur développement ou de leur différenciation, sur lesquelles nous pourrions étudier les mécanismes de la maladie en question et, éventuellement, essayer de les combattre.

Nous aurions au travers de cela un modèle pathologique sur lequel nous pourrions, comme l'industrie le fait avec des cibles chimiques, utiliser une cible biologique qui soit une vraie cible pathologique reproduisant entièrement par définition le patrimoine génétique aboutissant à la maladie en question. Ceci permettrait d'utiliser ces centaines de milliers ou ces millions de molécules qui sont dans les placards de l'industrie pharmaceutique, et qui en sortent lorsque l'industrie trouve des cibles sur lesquelles les tester, et dont les résultats sont finalement importants. Par exemple, les traitements anti-rétroviraux utilisés aujourd'hui pour lutter contre le virus du SIDA proviennent de ce criblage, c'est-à-dire de l'essai systématique de centaines de milliers de molécules sur une cible repérée, à savoir ici une des cibles venant du rétrovirus.

En ce qui concerne les cellules souches embryonnaires ainsi porteuses d'une mutation, on pourra nous objecter l'existence du diagnostic préimplantatoire dont nous avons parlé ce matin. Effectivement, les lignées de cellules souches embryonnaires dérivées d'embryons écartés au moment du diagnostic préimplantatoire peuvent être disponibles dans les laboratoires - nous travaillons à Evry sur de telles lignées grâce à une première autorisation puis une seconde qui vient apparemment de nous être donnée par le Comité ad hoc - et nous permettent de commencer à travailler. Le diagnostic préimplantatoire est aujourd'hui ouvert à une trentaine de maladies monogéniques. Les spécialistes nous indiquent que ce chiffre pourra évoluer vers quarante ou cinquante maladies. Il y a aujourd'hui plusieurs milliers de maladies identifiées - on parle de 6 000 - qui sont liées à un défaut génétique de ce genre. Nous aurons donc toujours 5 950 et quelques maladies pour lesquelles nous n'aurons pas accès à un embryon par diagnostic préimplantatoire. Mais nous pouvons avoir accès à une lignée de cellules souches embryonnaires par transposition nucléaire à partir d'un malade identifié comme porteur de la maladie.

Il y a donc là un véritable bénéfice de recherche et éventuellement à terme, quelque chose qui est à haut risque et qui ne peut être promis aujourd'hui - tout ce que nous pouvons promettre étant de travailler dessus -, à savoir de déboucher sur une thérapie.

D'autre part, il y a également une utilisation industrielle autre mais évidente de ce type de cellules souches et de la transposition nucléaire : il s'agit du problème de la toxicologie prédictive, évoqué par David Sourdive. Aujourd'hui, les industriels de la pharmacie testent les médicaments, et ceux de la cosmétique leurs produits sur des modèles plus ou moins éloignés de la situation humaine. Pour des raisons diverses, il est extrêmement difficile aux industriels de la pharmacie d'aller tester l'effet de leurs molécules sur toutes les cellules de tous les tissus de l'organisme humain. De la même façon, pour la cosmétique, il est relativement difficile d'examiner au long cours l'effet de pommades pour la peau et en particulier dans les systèmes bien organisés. Il est d'autant plus difficile d'envisager cela dans des conditions de patrimoine génétique non pathologique mais différent. Par exemple, une personne particulièrement sensible au soleil, même si elle n'est pas albinos, fera éventuellement une réaction à une pommade X. Dans ce cas, ceci aurait pu être prévu dans un essai de toxicologie prédictive qui aujourd'hui n'a pas de modèle. Au travers d'une transposition nucléaire à partir de quelqu'un présentant ces caractéristiques dans une lignée de cellules souches avec ensuite une différenciation vers un certain nombre de cellules formant la peau, un modèle aurait pu être testé par les industriels de la cosmétique. Il s'agit évidemment de marchés considérables. Le marché de la modélisation et celui de la toxicologie prédictive sont pour les industries pharmaceutiques et de la cosmétique actuellement de véritables bouchons qui bloquent le développement d'un grand nombre de produits. Le fait de posséder des modèles qui soient de véritables modèles humains sur lesquels tester ces médicaments ou ces produits cosmétiques est d'une importance considérable.

Ces modèles sont d'une importance considérable également pour nous. Le fait que l'industrie pharmaceutique puisse correctement tester ces médicaments avant de les mettre sur le marché ou que les pommades qu'on s'applique sur la peau ne donnent pas forcément un urticaire géant a un intérêt thérapeutique, même si cela ne peut être inscrit tel quel dans la loi.

J'ai souhaité présenter quelques exemples afin que nous ramenions les choses à leur réalité, afin que nous puissions, comme l'a dit Axel Kahn sur la science, les considérer comme des perspectives d'application. Bien évidemment, je ne promets pas cela pour demain. Simplement, la recherche appliquée, celle qui va vers ce type d'utilisation, doit être considérée dès maintenant. Il n'y a pas une recherche fondamentale sur les mécanismes qui devrait se faire immédiatement et une recherche appliquée qui se verrait repoussée par la loi afin de réfléchir ensuite aux applications. Ces deux recherches vont ensemble, fonctionnent en parallèle et en réalité se nourrissent l'une de l'autre. La loi, en imposant un objectif thérapeutique pour une pathologie grave aux demandes d'autorisation d'importation ou de dérivation de lignées de cellules souches embryonnaires, commet une erreur évidente qui va à l'encontre de la nécessité de la recherche fondamentale. Il ne faudrait pas à l'inverse dire qu'il y a d'abord une recherche fondamentale avant qu'il puisse y avoir une recherche appliquée : cela serait également faux.

M. Alain Claeys

Avant de passer la parole à Messieurs Sicard et Sureau, je tiens à souligner que nous nous sommes parlés très directement depuis ce matin. A juste titre, vous avez parfois fait des reproches pertinents à la représentation nationale. Ces critiques ont été notamment judicieuses - et je les rejoins - sur un point de l'article 25 de la loi, à savoir que les protocoles de recherches sont acceptés s'ils ont des applications thérapeutiques. Je vous retourne la question. Pourquoi certains membres de la communauté scientifique - y compris des professeurs de médecine autour desquels se fait une importante publicité -, pour justifier la transposition nucléaire, parlent toujours de clonage thérapeutique ? En tant que parlementaire, je trouve scandaleux de dire qu'il y aura demain des applications thérapeutiques. J'en ai souvent discuté avec Axel Kahn : cela a été pour moi une des raisons qui me faisait m'interroger sur la transposition nucléaire. Pourquoi la communauté scientifique s'est-elle laissée aller au fait d'annoncer que les applications thérapeutiques étaient pour demain ? Je rejoins parfaitement ce que vient de dire Marc Peschanski. En tant que chercheurs, lorsque vous entendiez parler de clonage thérapeutique, cela ne vous a-t-il pas gêné ?

M. Philippe Ménasché

Bien sûr que oui. Malheureusement ce terme de clonage thérapeutique est né voici quelques années lorsqu'on a voulu opposer le clonage reproductif à un clonage qui n'aurait pas une visée reproductive. Ce malheureux terme de clonage thérapeutique a été trouvé. Tous ceux qui travaillent vraiment dans le domaine des cellules souches ont depuis le début dit qu'il était absurde d'accoler cette épithète « thérapeutique » qui à ce jour n'était validée par aucun travail expérimental. Malheureusement, il sonne bien et il faut reconnaître que les médias ont amplifié le phénomène parce qu'il fait rêver.

M. Alain Claeys

Il ne faut pas reprocher aux médias de transcrire ce qu'ils entendent de la bouche de chercheurs et de médecins reconnus qui publient des textes pas plus tard que ce week-end dans des journaux à grands tirages !

M. Philippe Ménasché

Je ne fais pas de reproche aux médias. Je dis simplement que ce terme faisant rêver, il est plus facilement amplifié, et il est ensuite extrêmement difficile - Axel Kahn, Marc Peschanski et Alain Fischer le savent bien - de faire machine arrière et d'expliquer en permanence ce que nous faisons. A ce jour, aucune expérience préclinique sérieuse n'a validé le fait que le clonage aurait véritablement des effets thérapeutiques. Une fois de plus, je ne crois pas que les gens qui travaillent dans ce domaine aient jamais prétendu que le clonage aurait des effets thérapeutiques.

M. Alain Claeys

Il faut absolument éduquer la représentation nationale et lui expliquer chaque jour que la recherche fondamentale n'est pas honteuse !

M. Axel Kahn

Je souhaite apporter un petit détail. Je suis conseiller scientifique pour la biologie de l'Oréal. Pour ce qui est de tester des produits sur de la peau, il n'y a aucun problème : on peut créer de la peau d'africain, d'asiatique, d'albinos, etc., car les cellules souches cutanées sont bien connues. S'il y a bien une indication pour laquelle nous n'aurons pas besoin de cellules souches embryonnaires, ce sera pour fabriquer de la peau. La peau ainsi reconstruite est capable de bronzer, de présenter des réactions inflammatoires... Je suis d'accord avec Marc Peschanski pour tout le reste.

Pour en revenir à votre question, dans la mesure où vous nous faisiez un reproche, je vais vous en faire un ! J'étais membre du Comité d'éthique jusqu'à il y a encore peu de temps, et je me souviens d'un jour où, étant l'un des orateurs à la tribune, je me trouvai à côté du Premier Ministre. Celui-ci a annoncé que la loi allait autoriser la fabrication de ces « cellules de l'espoir tellement prometteuses »... C'est à ce moment que je me suis senti très choqué, en me disant que quoi que l'on décide, tout était justifiable. Je suis profondément un homme de débat : pour que celui-ci ait lieu, il faut poser la question. Certes, les scientifiques sont coupables, mais il y a là un jeu à trois : scientifiques, politiques et médias.

M. Hervé Chneiweiss

Je ne saurai que poursuivre dans la direction d'Axel Kahn.

Hélas, nous sommes dans un courant utilitariste qui est né avec la génomique et la biologie à grande échelle, lorsque nos collègues américains ont lancé en 1969 le grand programme génome humain comme nouveau rêve après que l'homme ait mis un pied sur la Lune. Ils ne l'ont pas vendu en tant que connaissance du génome humain mais comme nouvelle frontière pour guérir le cancer. A partir de ce moment a eu lieu une sorte d'entraînement qui a fait que dans tout article scientifique, les auteurs commencent ou terminent en justifiant leur travail par une pathologie. Il y a également un jeu par rapport aux différentes représentations publiques, les médias ou les politiques, pour essayer de justifier cette idée sous-jacente qui traverse tous les partis politiques que la connaissance scientifique pure est quelque chose de noble mais qui ne mérite pas forcément d'aller au combat vis-à-vis de croyances morales profondément enracinées dans l'histoire d'un pays. Il est parfois apparu à certains plus aisé de défendre des positions utilitaristes. Quand, avec un certain courage, le Premier Ministre en question a utilisé les termes scientifiques appropriés, il a été « recadré » par certains scientifiques qui lui ont conseillé d'utiliser le langage commun.

M. Alain Claeys

C'est comme cela que l'on écrit l'Histoire.

M. Alain Fischer

Je suis naturellement d'accord sur le fait qu'un certain nombre d'expressions scientifiques ou de médecins ne soient pas vraiment acceptables et vendent à très court terme des progrès qui n'existent pas. Par contre, je ne suis pas absolument d'accord avec - si je l'ai bien comprise - l'interprétation que vous en faites, consistant à dire qu'après tout, puisque nous sommes dans un contexte où l'on nous raconte des « bobards », il n'y a du coup pas de raison de s'intéresser à ce sujet.

M. Alain Claeys

Je vous arrête tout de suite. Je pense que qualifier de recherche fondamentale la transposition nucléaire suffit à la justifier.

M. Alain Fischer

J'ai tout de même entendu que pendant un certain temps - et j'ai cru comprendre que cela a été pendant un moment la position d'Axel Kahn -, certains ont pensé que dans la mesure où on leur vendait des promesses qui n'étaient pas sérieuses, on ne pouvait considérer sérieusement cette approche. D'une certaine façon, ce raisonnement peut être acceptable, mais il n'est absolument pas spécifique à la transplantation nucléaire. Dans un domaine que je connais bien, la thérapie génique, nous avons entendu des propos au moins aussi scandaleux répétés un très grand nombre de fois : ce n'est pas pour autant que l'on a interdit la recherche sur la thérapie génique, heureusement ! Notre rôle de scientifique est bien évidemment de contrôler notre parole mais certaines expressions ont la vie dure. Ce qu'a dit Hervé Chneiweiss est assez juste sur la tendance à vouloir justifier de façon utilitaire toute recherche. Même si nous n'y arrivons pas toujours, c'est de notre devoir que d'essayer de l'éviter. C'est aussi de votre devoir, à vous politiques et aux médias, de faire le tri et néanmoins de considérer dans un domaine en discussion ce qu'il peut avoir d'intéressant.

M. Didier Sicard, président du Comité national consultatif d'éthique

Je préside le Comité mais je ne le représente pas ici. Il s'est d'ailleurs exprimé, il y a 3 ou 4 ans, de façon majoritaire en faveur du clonage.

J'adresserais aux scientifiques le même reproche que vous, en les renvoyant au Parlement, car vous avez inscrit dans la loi, et je partage l'avis de Marc Peschanski, que l'obligation de travailler sur l'embryon est d'une finalité thérapeutique. Le Parlement est le premier à avoir inscrit l'obligation thérapeutique pour travailler sur l'embryon. Nous sommes face à une qualité d'hommes de sciences, à des découvertes coréennes et à la nécessité des entreprises de biotechnologie de recevoir de l'argent et d'investir. Qu'est-ce que l'éthique dans ce domaine ? Elle est un bruit de fond qui se voudrait porteur d'une vertu et d'une vérité humaine. Il est évident que l'éthique permet simplement de s'interroger. Fondamentalement, la réussite d'un clonage thérapeutique sur le plan industriel constitue un paradoxe car même si nous réussissons à le contourner, le marché ovocytaire ne pourra pas être régulé. Car  à partir du moment où cela deviendra un procédé thérapeutique pour les diabétiques, les parkinsoniens, dès l'instant où la thérapie cellulaire deviendra une thérapie antibiotique et anti-hypertensive, les femmes feront inévitablement l'objet d'une marchandisation.

Autrement dit, les lois ne pourront rien faire. Nous constatons dans le monde que la marchandisation du vivant est mille fois plus importante qu'en France, qui est encore l'un des rares pays à l'avoir interdite de façon très formelle.

Nous avons conscience de ce débat sémantique. Car si nous avions annoncé d'emblée que le transfert nucléaire était destiné à mieux comprendre le début de certaines maladies métaboliques ou génétiques et le vivant, je pense qu'il n'y aurait pas les obstacles de la société avec l'évacuation totale d'une réflexion sur l'ovocyte que l'on essaie de cadrer au moyen de lois ou en créant des cellules souches qui donneront des ovocytes afin d'éviter l'utilisation des femmes. Il est inquiétant de constater que la plupart des pays, notamment d'Asie, ne considèrent pas ce sujet comme un problème. Or j'ai le sentiment qu'il demeure justement un problème existentiel de l'humanité. Considérer que ce n'est pas une question éthique, ou que l'on la balaye de façon légale ou opportuniste, continue à susciter l'inquiétude.

Si l'on arrive à faire en sorte que le clonage devienne un procédé industriel pour cribler des antibiotiques, des antiviraux, des antihypertenseurs ou pour essayer des crèmes, autrement dit que la thérapie cellulaire devienne la voie royale de la thérapeutique, son succès serait alors confronté à une impasse.

Il reste tant de travaux à effectuer sur la thérapie cellulaire avec les cellules souches embryonnaires et adultes. A partir du moment où le clonage est destiné à réparer une personne et pas dix, on peut imaginer que la thérapie, par ses propres cellules, a un avenir important. J'ai le sentiment que le diagnostic pré-implantatoire est encore réduit, mais il n'est pas nécessaire de travailler sur les 4 953 maladies génétiques, d'emblée. On est d'ailleurs frappé par la hâte de certains à annoncer, coûte que coûte, des résultats.

La thérapie cellulaire ne doit pas s'enfermer dans un projet thérapeutique à visée universelle pour la plupart des maladies humaines, ce qui me paraît effrayant dans son concept même alors que d'autres voies prometteuses existent. Effectivement, l'éthique est dérisoire dans ce domaine. Je ne supporte pas le discours de José Bové sur les OGM et l'on pourrait me faire le même reproche en me disant que j'agite une sorte d'apocalypse humaine à travers cette réflexion. Mon sentiment reflète une angoisse irréversible car il faut agir avec prudence. Les deux technologies ne sont pas uniquement centrées sur ces questions.

M. Claude Sureau

Tout d'abord, je ne suis pas aussi angoissé que Didier Sicard mais plutôt d'un naturel optimiste.

Je vais rappeler un événement qui s'est produit en 2002. Un grand nombre de personnes ici présentes participaient à un colloque sur les lignées cellulaires organisé conjointement par les Académies des sciences, représentée par Jean-François Bach, et de médecine, que je représentais. Ce colloque a débouché sur une prise de position extrêmement forte et nette des deux Académies en faveur de la recherche sur les cellules embryonnaires obtenues à partir d'embryons surnuméraires de fécondation in vitro, mais également en faveur du transfert nucléaire. Pourquoi l'Académie de médecine, réputée très conservatrice, s'est-elle déterminée dans ce sens ? Outre l'intérêt général et le bénéfice thérapeutique pour certaines pathologies, évoqués ce matin, elle a retenu l'amélioration des conditions de la procréation médicalement assistée et de la médecine de l'embryon.

Car dans une certaine mesure on a complètement oublié ce qui était l'objet de la loi de 1994, l'amélioration des conditions de la procréation grâce à la procréation médicalement assistée. Cet élément a disparu alors qu'en matière de congélation d'ovocytes, des avancées très importantes restent à obtenir.

La médecine de l'embryon, quant à elle, a évolué et bénéficié de l'impulsion de Georges David qui insiste sur la nécessité de la développer. Elle est, selon ses termes, un concept fondamental, pour nous, accoucheurs qui sommes conscients d'une dérive dramatique de la société. En effet, en raison des moyens d'investigations qui se renforcent, les diagnostics de pathologies réelles ou supposées de l'embryon et du f_tus nous contraignent de plus en plus à devenir des « éboueurs de la société ». On nous demande de le faire et nous sommes critiqués pour cela. C'est un drame qui ne pourra que s'aggraver car les méthodes de diagnostic iront en se renforçant. Le seul moyen d'éviter cette dérive est de renforcer la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires, position que nous avons prise à l'Académie.

La médecine de l'embryon n'est pas qu'une partie de la médecine en général appliquée à l'embryon car elle contient une spécificité qui, afin que la recherche soit efficace et puisse progresser, suppose une destruction d'embryons. Les embryons comme les f_tus sont pour nous comme des patients mais nous admettons l'éventualité de les détruire.

Concrètement, nous sommes favorables à la recherche sur les embryons qu'ils soient surnuméraires parce qu'ils n'ont pas de destinée, ou pathologiques car ils doiventt être détruits.

A cet égard, un point reste à préciser sur les plans philosophique, idéologique voire religieux.

Les opinions sont tout à fait divergentes. Un personnage très important de l'Académie me faisait remarquer qu'un embryon in vitro, ce n'est pas plus qu'un globule rouge. Je ne partage pas l'avis de ceux qui pensent que les embryons in vitro ne sont que des amas cellulaires sans consistance ni dignité. J'estime, à titre personnel, contrairement à l'avis du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994, que l'embryon in vitro possède une valeur ontologique personnelle importante. Je pense personnellement qu'il est légitime de passer outre à la protection que la loi lui accorde selon l'article 16 du Code civil pour des raisons reconnues comme valables, qu'il s'agisse de raisons individuelles, dans le cas de grossesses extra-utérines par exemple, ou de raisons collectives comme la recherche.

D'autre part, nous sommes tout à fait favorables à la transposition nucléaire et nous insistons sur sa nécessité. Nous avons manqué de chance car l'évolution vers la transposition nucléaire à visée thérapeutique est survenue après le clonage reproductif. Imaginons qu'en 1997 le clonage reproductif ne soit pas découvert avec la brebis Dolly, qu'il ait fallu attendre dix ans et, qu'entre temps, nous ayons découvert des possibilités d'application du transfert nucléaire. Personne ne se serait alors posé la question de l'assimilation des deux concepts.

Enfin, je ne crois pas avoir trouvé dans la loi une allusion à la recherche, pourtant nécessaire à mon sens, sur les gamètes et les ovocytes. Cela nous serait pourtant extrêmement utile. Nous pourrions envisager, dans ce cadre, la modification du patrimoine génétique de ces gamètes. Même si l'article 13 de la Convention d'Oviedo s'y oppose, l'article 16.4 du Code civil reconnaît la légitimité de cette recherche dans la mesure où elle permettrait d'éviter l'apparition d'anomalies congénitales.

L'embryon pour la recherche est un sujet épineux qui ébranle la communauté des scientifiques et l'ensemble des parlementaires et juristes.

Est-il légitime d'interdire de produire des embryons pour la recherche ?

C'est ce qu'envisagent les lois, en accord avec l'article 18 de la convention d'Oviedo, et qui me paraît une erreur conceptuelle et majeure, d'ailleurs évitée par les Anglais plus pragmatiques. Hors la tératologie expérimentale à écarter, supposons que nous fassions des progrès en matière de congélation des ovocytes et que nous envisagions leur fécondation par la suite. Nous obtiendrions un embryon, que nous ne transférerions pas parce qu'il pourrait être pathologique, mais que nous étudierions. Qu'aurions-nous fait d'autre qu'un embryon pour la recherche ? La loi contient des lacunes en ce sens que les Anglais ont évité. En contrepoint, nous nous sommes prononcés par la négative lorsque nous avons été consultés afin de recueillir notre approbation sur les décrets d'application de la loi en préparation. Nous déplorons en effet l'absence d'un paragraphe concernant les études qui ne portent pas atteinte à l'embryon mais qui sont susceptibles de déboucher sur un transfert de cet embryon. Il y aurait une utilité considérable, suivant un protocole parfaitement défini et sous surveillance extrêmement étroite, à encourager les progrès qui serviraient notamment à l'amélioration de la fécondation in vitro.

S'agissant de la rareté des ovocytes, nous réussirons tôt ou tard à produire une meïose artificielle et à obtenir des gamètes artificiels créés à partir de cellules somatiques à n chromosomes. La situation sera alors fondamentalement modifiée car les stérilités définitives seront résolues et la querelle du clonage reproductif sera ainsi vidée de sa substance.

M. Hervé Chneiweiss

La communauté scientifique et médicale ainsi que la représentation politique sont confrontées à la nécessité d'affronter la situation avec réalité et d'expliquer aux citoyens qu'elle a changé.

Une proposition a été faite très récemment par un embryologiste célèbre, Rudolf Jaenisch, et reprise par un membre du Comité de l'éthique du Président des Etats-Unis. Il s'agit de rendre l'embryon in vitro non implantable, en ajoutant à la transposition nucléaire un gène siRNA, qui interdirait la possibilité d'implantation. Avons-nous vraiment besoin de cet artifice technique afin, comme l'évoquait Marc Peschanski, de respecter la législation et l'objectif scientifique ? Je ne l'espère pas et il nous faudra beaucoup de courage pour poursuivre notre projet scientifique et l'objectif de dérivés des lignées.

M. Alain Claeys

Le bureau de l'Assemblée nationale a décidé de confier cette étude à l'OPECST en raison de sujets encore en suspens dans la loi d'août 2004. S'agissant de cette loi s'imposant à tous, quelques urgences sont à traiter.

D'abord, il faudra que les décrets d'application paraissent et ne complexifient un peu plus certains articles de la loi. Car si nous fermons totalement le jeu sur la notion de visée thérapeutique des projets scientifiques, nous risquons d'engendrer un système où plus aucun protocole de recherche ne serait accepté. Nous devrons veiller à ce que la publication des décrets se fasse rapidement et dans les meilleures conditions.

D'autre part, je suis troublé par la situation de l'Agence de la biomédecine, dont je regrette grandement l'absence malgré la présence d'une représentante, Mme Ott. Il faut, au plus vite, qu'elle puisse instruire ces dossiers de recherche car il n'existe plus de structure capable de le faire actuellement. Ce serait un an de perdu pour certaines équipes.

Enfin, ce n'est pas la règle législative mais l'environnement qui nous pose des problèmes pour participer aux appels d'offres européens ou pour la constitution de banques internationales de lignées de cellules souches. Nous devons donc apporter des précisions car c'est essentiel.

Nos échanges ont aujourd'hui, non seulement pour les parlementaires mais aussi pour la presse, permis d'établir un état des lieux précis de ce que sont la recherche fondamentale et les espoirs thérapeutiques tout en replaçant les débats dans la réalité et non le fantasme.

Je suis convaincu que si ce débat n'est pas partisan aujourd'hui, la représentation nationale pourra avancer. Cela doit se faire dans une transparence totale car il n'existe pas d'oppositions entre la représentation nationale et la communauté scientifique, ni avec les associations de patients. Par rapport aux avancées internationales, nous devrons, le moment venu, prendre nos responsabilités afin de franchir une nouvelle étape.

L'Office travaillera le plus vite possible et nous souhaitons, grâce à ce rapport, apporter des réponses et en proposer à la représentation nationale car c'est elle qui décidera d'un certain nombre d'avancées en tenant compte de vos expériences et analyses, des positions des associations, du Comité d'éthique et des Académies.

Merci.