Office parlementaire d'évaluation

des politiques de santé

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COMPTE RENDU N° 3

Jeudi 15 juin 2006

(séance de 9 h 30)

Présidence de M. Nicolas About, président

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SOMMAIRE

 

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- Présentation des rapports des experts sur l'évaluation de la politique de lutte contre les infections nosocomiales (Sénat) et le bon usage des médicaments psychotropes (Assemblée nationale)



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L'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPEPS) s'est réuni, au Sénat, sous la présidence de M. Nicolas About, sénateur, président de l'OPEPS.

&&Santé - Infections nosocomiales - Présentation du rapport des experts&&

Rappelant que le Sénat a confié l'étude préparatoire de son rapport sur la politique de lutte contre les infections nosocomiales au centre national d'expertise hospitalière (CNEH), M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a précisé que, conformément au cahier des charges, elle devait comprendre un panorama de la qualité des soins dans les hôpitaux français à partir des données disponibles sur les infections nosocomiales, la présentation des outils de lutte mis en place et leur comparaison avec les exemples étrangers, notamment européens, l'étude des conséquences sanitaires, économiques et judiciaires des infections nosocomiales, et une analyse de la perception de la qualité des soins à l'hôpital par la population et les professionnels de santé, établie sous la forme d'un sondage d'opinion.

Des réunions ont été organisées à trois reprises avec l'équipe du CNEH au cours des huit mois de l'étude pour prendre acte de l'avancée des travaux. Elles ont été le lieu de débats fructueux sur les difficultés posées par les infections nosocomiales en matière de qualité des soins à l'hôpital et sur les moyens les plus efficaces pour limiter leur apparition.

Il a considéré que l'étude remise par le CNEH comprend une synthèse très complète du sujet retenu et plusieurs propositions concrètes et opportunes d'amélioration de la politique de lutte contre les infections nosocomiales, qu'il a souhaité voir reprises lors de prochains travaux parlementaires.

M. Roland Cash, expert du CNEH, a indiqué que la politique de lutte contre les infections nosocomiales a, pour la première fois, été mise en œuvre en France il y a une trentaine d'années. Ses structures ont été progressivement organisées et ont été accompagnées d'un développement des moyens de surveillance épidémiologique. Elle s'appuie sur deux fondements législatifs majeurs : la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et au contrôle de la sécurité sanitaire et celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Plus récemment, un programme de lutte contre les infections nosocomiales, piloté par le ministère de la santé et un groupe d'experts, a été mis en place pour la période 2003-2008 et des tableaux de bord comparatifs des établissements de santé ont été publiés.

La méthodologie appliquée par le CNEH a consisté en plusieurs entretiens auprès des institutions, des représentants des établissements de santé, des assureurs et des experts, en une analyse bibliographique poussée de la littérature française, européenne et internationale sur le sujet des infections nosocomiales et en une enquête sur place dans trois sites hospitaliers, comportant l'analyse de dossiers de patients particulièrement caractéristiques. Ce travail d'investigation a été complété par une enquête menée par l'Ipsos auprès de professionnels de santé et du grand public.

Selon l'enquête de prévalence menée en 2001, 6,9 % des patients sont infectés lors d'une hospitalisation : il s'agit, dans 40 % des cas, d'infections urinaires, d'infections du site opératoire dans 10 % des cas et de pneumopathies dans 10 % des cas. Ce taux est orienté à la baisse par rapport à l'enquête de 1996. Au total, les infections liées à un soin représentent 22 % des accidents médicaux. Ainsi, 1,5 % des infections chirurgicales ont été suivies d'une infection (cette proportion s'établit à 0,62 % pour les patients dits « à risque faible ») et 14,9 % des patients en réanimation ont été touchés, essentiellement en développant une pneumopathie.

Plusieurs facteurs favorisent la survenance des infections nosocomiales : l'âge élevé du patient, la fragilité de son état de santé, mais aussi la présence d'interventions invasives, de traumatismes ou encore de brûlures. En outre, la résistance élevée des germes aux antibiotiques rend leur traitement délicat, même si le taux de résistance évolue favorablement : la proportion de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) a ainsi augmenté dans les pays d'Europe, sauf en France où il a diminué (28 % en 2004, contre 33 % en 2002). On estime toutefois qu'un tiers de ces infections pourrait être évité grâce à des mesures de prévention.

Pour les infections nosocomiales acquises en unité de soins intensifs (pneumonie, bactériémie, infection urinaire) et après une intervention chirurgicale, la France se situe dans la moyenne européenne du taux d'infections nosocomiales et même dans la fourchette basse pour certaines interventions, comme celles sur le colon, les cholécystectomies ou les arthroplasties de la hanche.

M. Roland Cash, expert du CNEH, a ensuite procédé à une évaluation de la mortalité liée aux infections nosocomiales, dont on estime qu'elles multiplient par trois le risque de décès. Globalement, le taux de décès imputable d'une façon certaine aux infections nosocomiales serait de 6,6 % des décès totaux en établissement hospitalier de court séjour. Parmi ces décès imputables à une infection, aucune autre cause de décès à court terme n'était présente pour 2,8 % d'entre eux. Si on restreint l'analyse aux décès imputables à la seule infection chez des patients dont le pronostic vital n'était pas engagé à court terme, le taux est de l'ordre de 1,2 %.

Ainsi, on peut estimer le nombre de décès annuels dus aux infections nosocomiales en secteur hospitalier à environ 9.000, dont 4.200 chez des patients pour lesquels le pronostic vital n'était pas engagé à court terme, dont la moitié sans autre cause de décès apparente. Si on applique à ce résultat un taux d'évitabilité de 30 %, il y aurait donc de l'ordre de 1.250 décès directement imputables à une infection, évitables chaque année.

Les surcoûts attribuables aux infections nosocomiales ont fait l'objet d'évaluations à de nombreuses reprises dans la littérature médicale, mais avec des champs d'investigation et des méthodes variables. Ils varient de 500 euros pour une infection urinaire à 40.000 euros pour une bactériémie sévère en réanimation, et suivant le type d'infection, le germe en cause, le site de l'infection, l'unité d'hospitalisation, les facteurs de risque propres au patient et la pathologie pour laquelle il est pris en charge. Ils résultent essentiellement de l'allongement des durées de séjour.

Compte tenu du nombre d'infections constatées et de leur coût moyen, on estime le surcoût total des infections nosocomiales en France entre 0,73 et 1,8 milliard d'euros. De fait, une diminution de 10 % du taux d'infection conduirait à une économie de 240 à 600 millions d'euros. Or, on peut chiffrer l'effort de prévention réalisé par les établissements de santé à environ 100 millions d'euros. Ces mesures de prévention présentent donc un rapport coût-bénéfice favorable.

M. Roland Cash, expert du CNEH, a enfin abordé les effets pervers engendrés par la publication de tableaux de bord des infections nosocomiales dans les établissements de santé. La diffusion publique de données de résultats de soins poursuit deux objectifs : la transparence vis-à-vis des usagers et l'incitation des établissements à s'améliorer, pour conserver leur réputation. Or, en pratique, ces démarches ne produisent pas d'effets favorables évidents dans les pays occidentaux. Elles présentent, en revanche, le risque de pervertir la qualité des données si les établissements se trouvent pénalisés par un mauvais classement.

Pour pallier cet inconvénient, les Etats-Unis ont mis en place des structures neutres indépendantes, qui collectent les données d'accidents médicaux par établissement de manière anonyme, dans un esprit d'amélioration de la qualité de soins.

En matière d'infections nosocomiales, la France a, pour sa part, engagé une politique de publication d'indicateurs, les établissements étant répartis en catégories homogènes pour produire des comparaisons valides. Cinq indicateurs ont été retenus : un indicateur de moyens, l'Icalin, publié au début de l'année 2006, la consommation de produits hydro-alcooliques de désinfection, le taux de staphylocoques dorés résistant à la méticilline, le taux d'infections du site opératoire et la consommation d'antibiotiques, ce dernier indicateur devant devenir un indicateur composite du bon usage des antibiotiques.

M. Nicolas About, sénateur, président, a demandé si un indicateur relatif à la durée de l'hospitalisation en fonction de la pathologie ne serait pas plus pertinent.

M. Roland Cash, expert du CNEH, en est convenu, mais a précisé qu'un tel indicateur n'a pas été retenu à ce jour par le Gouvernement.

Mme Marion Stéphan, directrice adjointe du département santé de l'Ipsos, a ensuite présenté les conclusions de l'enquête menée par l'institut de sondage sur la perception des infections nosocomiales par le grand public et les professionnels de santé.

Ce sondage a été mené courant janvier par téléphone auprès d'un échantillon de 502 personnes de plus de quinze ans, représentatif de la population française, et de 200 professionnels de santé (médecins généralistes, médecins hospitaliers, infirmiers hospitaliers).

Les résultats obtenus font apparaître des différences majeures entre l'appréciation de la population dans son ensemble et celle des professionnels de santé. Plus encore, on note des écarts importants en fonction de la tranche d'âge et du niveau d'études de la personne interrogée, mais aussi de la spécialité médicale du professionnel. Ainsi, le risque d'infection constitue, pour le grand public, une source d'inquiétude majeure lors d'une hospitalisation, loin devant l'erreur médicale. Les infections nosocomiales sont relativement bien connues, notamment par les individus de plus de trente-cinq ans et par ceux dont le niveau d'études est élevé. Toutefois, il existe toujours un déficit d'information dans les zones rurales, dans les foyers à faibles revenus et auprès des individus dont le niveau d'études est inférieur à bac + 2.

En revanche, les professionnels de santé sous-estiment l'inquiétude et le niveau de connaissance des Français en la matière, alors qu'ils se considèrent eux-mêmes comme très bien informés, notamment les médecins et les infirmiers hospitaliers. Ils connaissent toutefois encore mal, pour près de la moitié d'entre eux, le mécanisme de réparation des infections nosocomiales introduit par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

Enfin, il apparaît que plus de 60 % des personnes interrogées seraient prêtes à recourir à la justice pour être dédommagées si elles étaient touchées par une infection. Parallèlement, un pourcentage identique des professionnels de santé craint de voir sa responsabilité engagée devant le juge.

Puis Mme Claudine Esper, expert du CNEH, a présenté l'analyse du dispositif juridique relatif aux infections nosocomiales mis en place par la loi du 4 mars 2002 pour réparer les préjudices subis par les patients pour les accidents survenus après le 5 septembre 2001.

Dans le cadre du droit commun des accidents médicaux, la faute doit être prouvée par la victime, la solidarité nationale ne joue qu'en l'absence de faute et à certaines conditions (notamment la gravité du dommage). Enfin, une procédure de règlement amiable peut être utilisée au-delà d'un seuil de dommage.

La réparation des préjudices liés aux infections nosocomiales comporte, pour sa part, plusieurs particularités : la responsabilité de l'établissement de santé est automatique, sauf s'il fait la preuve de la cause étrangère (la victime doit en revanche toujours prouver la faute dans le cadre de la médecine de ville) ; en l'absence de faute, la solidarité nationale s'applique dans les mêmes conditions qu'en droit commun. La loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale a par la suite prévu que, lorsque le préjudice subi entraîne une incapacité supérieure à 25 % ou le décès du patient, l'Oniam prend en charge systématiquement la réparation. Le système de réparation est donc complexe et diffère selon le mode de soins (hôpital ou médecine de ville).

A ce socle législatif s'ajoutent des règles spécifiques relatives à l'information : information obligatoire du patient par l'établissement de santé pour tout dommage subi, signalement des infections, par les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI) et l'Oniam, aux agences régionales de l'hospitalisation (ARH).

L'étude sur les conséquences juridiques des infections nosocomiales a été menée à partir des données fournies par l'Oniam, les assureurs des professionnels de santé (Sham et MACSF), l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), qui est son propre assureur, et par trois professionnels de santé. Il apparaît, à cet égard, difficile d'obtenir des chiffres précis identifiant les infections nosocomiales dans les réclamations et les procédures.

Il ressort de cette analyse que l'Oniam a traité dix-neuf dossiers relatifs à une infection nosocomiale en 2004 et quarante-huit en 2005 au titre de préjudices très lourds, ce qui semble très peu au regard des 4.000 décès imputables chaque année à ce phénomène. Les données fournies par ailleurs par les assureurs et l'AP-HP indiquent que la chirurgie orthopédique est particulièrement concernée, que les infections nosocomiales représentent 17 % du coût des sinistres déclarés par les établissements de santé, que les déclarations relatives à ces infections ont presque triplé entre 2002 et 2004 et qu'une liaison tend à s'établir entre la politique de prime adoptée par les assureurs et les mesures de prévention mises en œuvre.

Mme Claudine Esper, expert du CNEH, a ensuite proposé plusieurs voies de réflexion et de recommandations pour la partie de l'étude relative au dispositif juridique. Elle a estimé qu'une réflexion doit être menée sur le régime préférentiel dont bénéficient actuellement les usagers victimes d'une infection en milieu hospitalier par rapport aux autres victimes d'un accident médical. Selon la volonté politique, ce régime pourrait être étendu ou, au contraire, allégé.

Elle a toutefois jugé prématuré de modifier des textes dont l'application est encore balbutiante, mais a mis l'accent sur le besoin de disposer de données précises et fiables sur le coût des accidents médicaux, l'importance de l'information des patients et des familles, la nécessité d'approfondir les connaissances sur les infections nosocomiales en médecine de ville et de clarifier la rétroactivité de la loi du 30 décembre 2002, dont on ne sait si elle s'applique aux accidents survenus entre le 5 septembre 2001 et le 1er janvier 2003. Elle a enfin souhaité que l'incitation à la gestion du risque soit renforcée par une politique d'assurance cohérente, qui prenne en compte les efforts de prévention réalisés par les établissements de santé.

M. Nicolas About, sénateur, président, a demandé si la clarification de la rétroactivité de la loi du 30 décembre 2002 nécessite une modification législative ou si elle peut être tranchée par la Cour de cassation.

Mme Claudine Esper, expert du CNEH, a indiqué qu'un texte législatif serait approprié au problème posé.

M. Jean Carlet, expert du CNEH, a ensuite exposé les recommandations proposées par le rapport. Elles concernent en premier lieu le renforcement des politiques de bon usage des antibiotiques en l'inscrivant dans les programmes de formation médicale continue des médecins de ville, en donnant un support réglementaire à la commission antibiotiques et en mettant en place des équipes opérationnelles sur l'antibiothérapie dans les établissements de santé.

Il s'agit, en second lieu, d'améliorer l'application des recommandations en matière d'hygiène et des mesures de prévention, en développant les audits de pratiques et les revues de morbi-mortalité dans les établissements, en créant un statut d'infirmière hygiéniste et en revalorisant la fonction et le rôle des médecins hygiénistes.

Il convient également de mettre en place des unités de référence pour la prise en charge des infections ostéo-articulaires et, afin de mieux connaître les séquelles des infections, de constituer un registre des patients porteurs de prothèses orthopédiques ainsi que, plus largement, de promouvoir la recherche en matière d'infections nosocomiales, notamment dans quatre domaines mal connus : la physiopathologie des infections du site opératoire et leur prévention, l'évitabilité réelle des infections nosocomiales, le comportement des professionnels de santé et la survenance d'infections dans les établissements d'hébergement des personnes âgées.

Enfin, il a proposé de faire évoluer la politique de publication d'indicateurs de qualité, avec une distinction des tableaux de bord « grand public » et des tableaux de bord opérationnels pour les établissements dans le cadre de leur politique interne d'amélioration continue de la qualité et une réflexion sur d'autres indicateurs, comme la vaccination anti-grippale du personnel.

M. Nicolas About, sénateur, président, a salué la qualité de l'étude présentée et a souhaité que ses recommandations puissent être reprises dans le cadre des prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Michel Dubernard, député, vice-président, s'est déclaré favorablement impressionné par le rapport du CNEH, notamment pour la partie qui concerne l'enquête de l'Ipsos. Il a estimé à cet égard que la méthode de sondage utilisée doit être validée pour que les résultats puissent être considérés comme significatifs.

Rappelant que l'objectif de l'Opeps est d'éclairer le Parlement au moment des débats du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il a souhaité que M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, tire de cette étude les éléments qui pourront être repris dans ce cadre à l'automne.

Concernant les infections urinaires, qui représentent jusqu'à 40 % des infections nosocomiales, il a estimé, si elles sont simples à prévenir, qu'elles sont difficiles à traiter et qu'il faut donc développer les mesures de prévention.

Il a enfin abordé la question du lien entre l'architecture hospitalière, notamment au niveau de l'organisation du bloc opératoire, et l'apparition plus ou moins fréquente d'infections nosocomiales. Il a indiqué, à cet égard, que la durée de vie d'un hôpital est inférieure à trente ans aux Etats-Unis alors qu'elle peut, en France, dépasser plusieurs centaines d'années. Il a regretté le faible nombre d'architectes hospitaliers spécialisés dans notre pays et a cité l'exemple des flux laminaires, mis au point il y a trente ans, qui ont permis une nette diminution des infections en chirurgie orthopédique.

M. Nicolas About, sénateur, président, a considéré que les médecins libéraux ne pourraient supporter, en termes d'assurance, un système d'indemnisation de la victime sans faute, identique à celui applicable aux établissements de santé. Il s'est également interrogé sur les outils mis en œuvre pour permettre le suivi des indicateurs et le contrôle des données dans les hôpitaux.

M. Gilbert Barbier, sénateur, a estimé que la formation initiale des médecins doit être renforcée en matière d'hygiène et de prescription d'antibiotiques. Il s'est interrogé sur la réalité de l'accusation portée sur les chirurgiens orthopédiques, alors que les infections nosocomiales sont souvent d'origine endogène.

M. Paul Blanc, sénateur, a demandé pour quelles raisons la France est le seul pays d'Europe où la résistance du staphylocoque doré à la méticilline a diminué ces dernières années.

M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a précisé que les recommandations du CNEH mettent également l'accent sur la formation initiale des médecins. Il a souhaité qu'un système d'incitation financière s'applique aux établissements de santé les plus performants en matière de prévention des infections nosocomiales.

M. Nicolas About, sénateur, président, s'est interrogé sur la validité de la comparaison entre le coût de la prévention et celui des infections nosocomiales et sur la réalité des mesures d'économies engendrées par la prévention.

M. Roland Cash, expert du CNEH, a rappelé que l'enjeu des politiques de lutte contre les infections nosocomiales est la diminution du taux de prévalence de celles-ci. On estime à l'heure actuelle qu'une diminution de 10 % rend les mesures de prévention économiquement efficaces.

Il a indiqué que le Gouvernement a récemment mis à la disposition des établissements de santé une déclaration standard de leurs données concernant les infections nosocomiales. Les ARH sont également mobilisées pour contrôler le contenu de ces déclarations.

M. Jean Carlet, expert du CNEH, a reconnu que l'architecture hospitalière constitue un facteur important de prévention des infections, mais a estimé qu'il ne doit pas devenir un prétexte qui excuserait les comportements des professionnels de santé.

Il a souligné que, pour connaître plus finement les origines des infections nosocomiales, il convient de développer la recherche en physiopathologie. On estime, à cet égard, que de nombreuses infections interviennent après l'opération et ne mettent pas en jeu l'équipe chirurgicale.

M. Pascal Astagneau, membre du conseil d'experts de l'Opeps, a considéré que le taux d'infections nosocomiales constitue un indicateur délicat de jugement de la qualité d'un hôpital. Il peut en effet être dangereux de le considérer isolément sans prendre en compte la prise en charge de la douleur, la satisfaction des patients ou l'organisation de la filière de soins.

&&Santé - Médicaments psychotropes - Présentation de l'étude des experts&&

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a observé que la réunion de l'Opeps se tient en cette première Journée mondiale de la maltraitance des adultes âgés, celle-ci pouvant précisément prendre la forme de prescriptions abusives de médicaments psychotropes, notamment dans les établissements d'hébergement, problème sur lequel le rapport d'étude apporte des éléments de réflexion intéressants.

M. Bernard Bégaud, président de l'Université de Bordeaux 2, ayant souligné que le choix de l'Opeps d'étudier l'usage des médicaments psychotropes était d'autant plus opportun que notre pays souffre d'une carence en travaux de synthèse sur le sujet, hormis certains rapports déjà anciens, a indiqué que l'étude est structurée autour des six questions figurant au cahier des charges de l'Opeps (caractéristiques de la consommation de psychotropes, facteurs explicatifs de la surconsommation, respect des recommandations de bonnes pratiques, efficacité des politiques publiques, dépendance, alternatives thérapeutiques) et présente un septième chapitre regroupant les recommandations formulées par le groupe de travail, ainsi qu'une synthèse générale.

Il a également précisé qu'outre Mme Hélène Verdoux et lui-même, tous deux membres de l'unité INSERM 657 de recherche en santé publique et professeurs à l'université de Bordeaux 2, en charge de la coordination et de la rédaction de l'étude, celle-ci a reçu les contributions de nombreux experts de disciplines diverses - épidémiologie, psychiatrie, sociologie, notamment.

M. Bernard Bégaud a ensuite présenté les conclusions de l'étude, en soulignant tout d'abord que les Français consomment trop de psychotropes et y recourent deux fois plus fréquemment que la moyenne des pays européens, beaucoup plus souvent qu'en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Au sein de la population française, un adulte sur quatre fait usage d'au moins un psychotrope au cours de l'année et la propension à y recourir augmente avec l'âge, particulièrement chez les femmes. En revanche, la France se situe dans la moyenne des autres pays européens pour la consommation de psychotropes par les enfants et les adolescents, voire parfois en deçà pour certains traitements, tel que celui de la Ritaline.

Il n'y a pas de cause unique au phénomène de banalisation de la consommation de psychotropes en France, celle-ci résultant de l'influence de plusieurs facteurs dont les effets se conjuguent, dans un contexte caractérisé par l'éclatement des responsabilités en matière de politique du médicament. Comme pour l'ensemble de la consommation médicamenteuse, la régulation de l'usage des psychotropes souffre de la juxtaposition de structures et d'agences dont les missions n'ont été ni clarifiées ni coordonnées, pour un résultat qui n'est pas à la hauteur des moyens investis. Par ailleurs, les enquêtes épidémiologiques ont permis de constater que les troubles psychiatriques sont plus nombreux que dans les autres pays, en contradiction avec l'image d'une France où il fait bon vivre. En revanche, l'étude a totalement infirmé l'idée que le recours aux psychotropes pourrait correspondre en partie à une médicalisation de la crise sociale.

Parmi les facteurs favorisant la consommation des médicaments figurent le paiement à l'acte de la consultation médicale ainsi que l'insuffisance de la formation initiale et continue des professions de santé dans le domaine de la prescription, plusieurs rapports européens ayant établi que le nombre d'heures de formation consacrées à cette matière est, en France, cinq à six fois inférieur à ce qu'il est dans les pays de l'Europe du Nord.

S'agissant des prescriptions de médicaments psychotropes, l'étude montre que les recommandations de bonnes pratiques sont peu respectées, notamment pour les durées de traitement : celles-ci sont longues quand elles devraient être courtes (supérieures à six mois pour plus de trois quarts des usagers d'anxiolytiques, alors que la durée recommandée maximale est de trois mois), et courtes quand elles devraient être longues (inférieures à un mois pour au moins une personne sur quatre traitée par antidépresseur, alors que ce traitement doit être poursuivi au moins six mois après la rémission de l'épisode dépressif). Les indications des traitements sont également peu respectées : la moitié des personnes consommant des antidépresseurs et plus des deux tiers de celles consommant des anxiolytiques et hypnotiques ne présentent pas de trouble psychiatrique relevant d'une indication reconnue ; inversement, moins d'une personne sur trois souffrant de dépression bénéficie d'un traitement approprié. Le niveau élevé de la consommation française n'implique donc pas une meilleure couverture des besoins sanitaires et n'exclut pas un mauvais usage de ces médicaments.

En ce qui concerne l'efficacité des actions engagées par les pouvoirs publics et l'assurance maladie pour lutter contre les prescriptions inadaptées, la carence la plus flagrante concerne la quasi-absence d'évaluation de l'impact des mesures et recommandations et de l'utilisation des financements publics.

S'agissant des alternatives thérapeutiques, parmi lesquelles figurent les psychothérapies, on observe, d'une manière générale, un faible recours à ces traitements, alors que la réponse à la souffrance psychique ne peut se limiter au médicament. Néanmoins, la saturation du réseau des psychiatres, en France, fait qu'on ne peut pas recommander une extension des prises en charge par psychothérapie sans aborder la question des moyens, et donc celle du statut des psychothérapeutes non médecins.

L'homéopathie et la phytothérapie constituent une autre alternative thérapeutique à la prescription de médicaments psychotropes « allopathiques ». Si elles ne sont pas adaptées aux pathologies psychiatriques lourdes, elles peuvent convenir pour certaines plaintes, notamment les syndromes anxieux, affectant en particulier le sommeil. Mais les récentes décisions de déremboursement concernant certaines spécialités pharmaceutiques à base de plantes ont porté préjudice à ces médicaments, au risque de reporter la consommation vers des psychotropes, remboursés mais parfois mal tolérés.

Une meilleure application des règles élémentaires d'hygiène de vie doit être également considérée comme une véritable alternative thérapeutique à la prescription de psychotropes, notamment pour les plaintes concernant le sommeil en l'absence de trouble psychiatrique avéré. Ainsi, certaines personnes en viennent à prendre des psychotropes pour trouver le sommeil sans avoir pensé à abandonner leur habitude de boire du café après dix-sept heures, alors que le métabolisme de la caféine varie en fonction de l'âge.

Enfin, dépendance et sevrage sont trop souvent confondus : en termes de santé publique, le problème majeur soulevé par les psychotropes n'est pas celui de la dépendance, celle-ci ne concernant qu'une très faible minorité d'usagers ayant un usage abusif, toxicomaniaque, des psychotropes, mais celui de la prévention et du traitement d'un syndrome de sevrage chez les personnes ayant un usage prolongé de psychotropes. L'interruption brutale du traitement chronique par psychotropes - notamment les anxiolytiques et hypnotiques - pouvant entraîner des symptômes de sevrage, il est indispensable que les prescripteurs soient mieux informés pour les prévenir en évitant l'usage prolongé de psychotropes et les gérer, notamment par la diminution progressive des posologies.

Puis M. Bernard Bégaud a présenté les recommandations du groupe de travail. Elles concernent tout d'abord la promotion d'études sur l'épidémiologie des troubles psychiatriques et sur les médicaments psychotropes, non seulement par un soutien financier et récurrent (notamment par des bourses doctorales et post-doctorales), mais également par un accès plus aisé aux bases de données de l'assurance maladie : 83 % des remboursements sont actuellement inaccessibles aux investigations statistiques, contrairement aux pratiques en vigueur dans tous les autres pays développés.

La deuxième recommandation concerne la réduction des prescriptions inappropriées par un meilleur respect des recommandations de bonnes pratiques, étant précisé que la notion de prescription inappropriée a été considérée dans l'étude sous l'angle de l'excès comme du défaut de prescription. Dans ce domaine, la formation initiale et continue du personnel médical doit être développée indépendamment des stratégies commerciales des laboratoires pharmaceutiques, la coordination et la validation des enseignements obligatoires pouvant être confiées aux universités et l'amélioration de la diffusion des recommandations de bonnes pratiques pouvant être placée sous la responsabilité d'un organisme unique, qui pourrait être la Haute autorité de santé (HAS).

Sur le plan institutionnel, le cadre juridique existe et suffit - on peut notamment citer le plan Santé mentale 2005-2008, en cours de mise en place - mais une troisième recommandation concerne l'amélioration de la coordination des autorités sanitaires et des agences existantes, ainsi qu'une évaluation des politiques publiques et des moyens mis en œuvre par les organismes publics existants pour réguler et rationaliser l'usage des médicaments psychotropes.

Les autres recommandations proposent un meilleur accès aux alternatives thérapeutiques (il faut notamment évaluer l'impact du déremboursement de certaines spécialités pharmaceutiques sur le report des prescriptions vers les médicaments psychotropes), le développement de l'information des prescripteurs concernant les méthodes de sevrage et d'aides à l'arrêt des traitements et la mise en œuvre de campagnes d'information concernant les médicaments psychotropes et les règles d'hygiène de vie.

M. Philippe Clery-Melin, membre du conseil d'experts, a souligné l'exhaustivité de l'étude et indiqué qu'un bilan de la mise en œuvre du plan de santé mentale vient d'être réalisé par le ministre de la santé, M. Xavier Bertrand, dont les données pourraient être intégrées à l'étude. Il a ensuite souligné que, lorsque l'on parle de l'usage des médicaments psychotropes, il faut bien distinguer ce qui relève de vraies pathologies psychiatriques et ce qui résulte de la quête de certains individus en mal d'identité au sein d'une société dépressive où le recours aux psychotropes est favorisé par un accès aisé aux médicaments. Par ailleurs, il convient d'aborder la question des alternatives psychothérapeutiques avec beaucoup de prudence : l'accès aux psychothérapies peut faire l'objet d'une prescription par les médecins généralistes, dès lors qu'ils en connaissent les indications et les limites, ce qui impose que leur formation soit améliorée car ils sont à l'origine d'une part importante des prescriptions de psychotropes. De plus, les psychothérapies doivent faire l'objet d'une évaluation externe, la Haute autorité de santé étant l'organisme approprié pour diffuser les recommandations de bonnes pratiques dans ce domaine. Un décret est actuellement en préparation dans ce sens. En fait, les associations représentatives des différents courants psychanalytiques sont aujourd'hui plus ouvertes à l'idée d'une évaluation de leurs pratiques, dès lors toutefois que les référentiels d'évaluation ne leur sont pas imposés.

M. Bernard Bégaud a précisé qu'en France, huit prescriptions sur dix émanent de médecins généralistes et que ces derniers sont plus enclins à prescrire à leurs patients un traitement médicamenteux qu'une psychothérapie pour laquelle ils ne sont pas compétents. Bien que les problèmes liés à la souffrance psychique représentent une part très importante de la clientèle des médecins généralistes, la formation en psychothérapie est insuffisante au sein du cursus médical, et il est difficile d'imposer un stage en psychiatrie à tous les étudiants, pour des raisons pratiques liées au nombre de places disponibles.

M. Philippe Clery-Melin a ajouté que les passerelles entre la médecine générale et les médecins psychiatres fonctionnent mal, une enquête ayant montré que 15 % seulement des patients souffrant de troubles psychiatriques avérés ont été adressés à un médecin psychiatre.

Mme Blum-Boisgard, membre du conseil d'experts, a indiqué que les syndicats de médecins généralistes s'étaient opposés au projet d'imposer l'avis préalable d'un médecin psychiatre pour la reconnaissance d'une affection psychiatrique de longue durée.

M. Pascal Astagneau, membre du conseil d'experts, a estimé que si l'on veut diminuer le recours aux psychotropes, il faut faciliter l'orientation de certains patients vers les psychothérapeutes plutôt que vers les psychiatres, les premiers étant suffisamment nombreux et formés.

M. Philippe Clery-Melin a indiqué que le nombre de psychothérapeutes non médecins-psychiatres et non psychologues est évalué à 36 000, alors qu'en France, seules les formations de médecins psychiatres et de psychologues prévoient des enseignements garantissant la capacité à assurer des psychothérapies. Un statut de psychothérapeute, parallèle à ces formations, risquerait de servir de paravent à des personnes incompétentes, voire à des sectes. L'enjeu principal est en fait le remboursement des psychothérapies effectuées par des psychologues. Par exemple, la Mutuelle générale de l'Education nationale (MGEN) assure depuis une dizaine d'années un remboursement pouvant aller jusqu'à 150 séances de psychothérapie, subordonné à une évaluation régulière, par un psychiatre, de l'état d'avancement du traitement. Un système similaire avait été mis en place dès les années trente à Chicago pour les psychanalystes : avant d'entreprendre une psychanalyse, les patients étaient soumis à une dizaine de séances de psychothérapie afin de justifier l'indication. Dans le contexte médico-légal actuel, alors qu'il faudrait réserver les consultations psychiatriques aux seuls patients souffrant des pathologies les plus lourdes, le seul moyen d'obtenir un remboursement est d'aller consulter un médecin-psychiatre, lequel pratique des psychothérapies qui pourraient être dispensées par des psychologues, mais alors sans remboursement.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a souligné l'intérêt des psychothérapies comme alternative à la prescription de psychotropes et, dans cet esprit, a estimé qu'il faut réfléchir à la possibilité d'établir des passerelles entre les professionnels de santé. Elle a également souligné que l'étude apporte des éléments importants sur l'usage des psychotropes par les personnes âgées, qui pourraient servir de base à l'élaboration de recommandations destinées notamment aux établissements d'hébergement des personnes âgées.

M. Philippe Clery-Melin a ajouté que, parallèlement au problème de surconsommation de psychotropes chez les personnes âgées, la prévalence et le diagnostic de la dépression au sein de cette population sont en voie de devenir un problème de santé publique, comme en témoigne l'augmentation inquiétante du nombre des suicides parmi les sujets âgés, en raison du retard de diagnostic des dépressions. Pour ces personnes, la surconsommation des psychotropes peut masquer des symptômes d'origine dépressive et l'on peut dire qu'aujourd'hui deux patients sur trois ne bénéficient pas des traitements adéquats.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a insisté sur la nécessité de trouver une solution au problème de l'accès aux informations détenues par les établissements hospitaliers, afin d'éviter le blocage actuel des études épidémiologiques, notamment sur certaines tranches d'âge et certaines populations précises.

M. Nicolas About, sénateur, président, a indiqué qu'il conviendra de définir précisément l'objet des études nécessaires.

M. Bernard Bégaud est revenu sur la question du financement des recherches, pour souligner que les axes d'études dans le domaine de l'épidémiologie des maladies mentales et de la pharmaco-épidémiologie devraient être repris dans les grands programmes de recherche - programme hospitalier de recherche clinique et programme de l'Agence nationale pour la recherche. Par ailleurs, si la surconsommation française est prouvée, il faut savoir qu'inversement, il y a beaucoup plus de patients qui ne sont pas traités malgré une souffrance psychique avérée. Il ne faut d'ailleurs pas y voir une source d'économies car une personne qui, par exemple, arrête son traitement antidépresseur au bout d'un mois, prend une décision contre-productive, génératrice de coûts et de souffrances supplémentaires.

L'équipe scientifique a également étudié les effets indésirables potentiels des consommations excessives de psychotropes, particulièrement sur les sujets âgés, chez qui elles peuvent entraîner chutes, fractures, troubles cognitifs et risques de démence. En revanche, pour l'un des effets indésirables les plus polémiques, celui du suicide chez les jeunes patients traités par antidépresseurs, Mme Verdoux a fait une analyse de sensibilité au travers de la littérature scientifique, montrant que même en se plaçant dans les hypothèses les plus défavorables, le rapport bénéfice/risque reste très favorable au traitement. Les antidépresseurs ont en effet pour propriété intrinsèque de désinhiber les sujets, y compris dans leurs tendances éventuellement suicidaires, mais comme ils soignent les dépressions qui sont un facteur bien plus important de suicide, il convient de traiter dans tous les cas. La crainte du suicide ne doit donc jamais empêcher le recours aux antidépresseurs.


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