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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 27ème jour de séance, 71ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 20 NOVEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

        ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
        DE LA RÉPUBLIQUE (suite) 2

        ORDRE DU JOUR DU JEUDI 21 NOVEMBRE 2002 29

La séance est ouverte à vingt et une heures.

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République.

M. le Président - Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion générale.

M. Emile Blessig - Décentralisation, expérimentation, reconnaissance du principe de subsidiarité, tels sont les grands axes de cette réforme de la Constitution.

Je souhaite, au cours de mon intervention, présenter quelques-uns des amendements que j'ai déposés, avec plusieurs collègues.

Avec cette réforme, la région est reconnue au nombre des collectivités territoriales, auxquelles on veut donner les outils qui leur permettent d'assumer les compétences qui leur seront définitivement transférées, comme celles qui pourront l'être à l'issue d'une expérimentation.

Mais décentraliser, c'est aussi reconnaître la nécessité de rapprocher le pouvoir du citoyen, s'enrichir de la diversité territoriale sans nuire à l'unité nationale. Nous avons donc déposé un amendement qui précise cette coexistence entre unité et diversité.

En second lieu, notre pays fait coexister plusieurs normes juridiques, notamment européennes et nationales. Demain, en cas de transfert de compétences de l'Etat à une collectivité territoriale, cette dernière bénéficiera dans ces domaines d'un pouvoir réglementaire. Mais s'agit-il d'un pouvoir autonome ou s'exerce-t-il en subordination au pouvoir réglementaire accordé par l'article 21 de la Constitution au Premier ministre ? Nous estimons que le pouvoir réglementaire du Premier ministre ne doit pas venir faire écran au pouvoir réglementaire accordé aux collectivités territoriales.

En ce qui concerne les moyens financiers, les débats du Sénat ont illustré la nécessité de permettre aux collectivités d'obtenir de l'Etat des moyens financiers suffisants pour accomplir les missions qui leur sont confiées. Mais le transfert des moyens humains est tout aussi nécessaire. Faute d'y avoir veillé dans le passé, on en est arrivé à multiplier artificiellement le nombre de fonctionnaires. Les contraintes financières et démographiques nous interdisent de rééditer ce type d'erreur.

Le transfert des moyens humains et financiers est une condition du plein exercice de la liberté d'administration des collectivités territoriales dont le principe est réaffirmé à l'article 4 du projet. Mais ce transfert de compétences et de moyens peut entraîner une divergence d'appréciation entre l'Etat et les collectivités territoriales, et il reviendra alors au Parlement de se prononcer sur la loi. Mais de quelle possibilité d'appréciation disposera le législateur entre les services du ministère et les suppositions de telle ou telle collectivité territoriale ? C'est pourquoi, nous proposons que le Parlement se prononce sur les conditions d'attribution de ces ressources financières après avis public de la Cour des comptes, qui veillera à proposer des dispositifs aptes à ménager les ressources publiques.

L'enjeu de la répartition des compétences entre collectivités territoriales comme entre celles-ci et l'Etat est fondamental. Le Conseil d'Etat a relevé les difficultés à traduire sur le plan opérationnel le principe de subsidiarité et le risque de litiges. Pour les résoudre, il faut éviter une répartition rigide, contraire aux souhaits d'expérimentation et d'adaptation du Gouvernement et prévoir des arbitrages.

Enfin, la péréquation inscrite au dernier alinéa de l'article 6 est une mesure de justice, qui met en _uvre les principes d'égalité et d'équité qui inspirent notre Constitution. Mais il faut conjuguer péréquation et politique nationale d'aménagement du territoire définie par l'Etat dans l'intérêt de l'ensemble du pays. Une discrimination positive devrait inciter les territoires à s'inscrire dans une stratégie d'aménagement du territoire régionale mais aussi nationale, voire européenne.

Tout en adhérant pleinement à la démarche du premier ministre, je souhaitais poser ces quelques questions sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir lors de l'examen des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Derosier - Ainsi, nous serions en train de nous engager dans une nouvelle étape de la décentralisation...

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Affirmatif !

M. Bernard Derosier - La droite, si frileuse en 1982, a mesuré au cours des vingt années écoulées tous les avantages qu'elle pouvait tirer de ce concept pour asseoir son pouvoir local. Aujourd'hui elle reconnaît son erreur de s'y être opposée et l'on assiste à des sortes de coming out de la part du rapporteur et du ministre hier, et aujourd'hui du Premier ministre. Pour la droite, décentralisation est synonyme de renforcement des pouvoirs des élus locaux qui supporteraient mal selon elle le cadre imposé par la République. Lors de l'examen de la loi du 21 décembre 2001 sur les Chambres régionales des comptes, si on avait suivi la majorité sénatoriale on en aurait fini avec cette garantie dans la gestion des collectivités territoriales qu'apporte leur contrôle.

Pour la gauche, au contraire, la décentralisation, c'est la responsabilité des citoyens et de leurs élus locaux. Les nombreuses avancées intervenues depuis 1982 sont toutes à mettre à l'actif de la gauche. Elles ont toutes vu la droite s'y opposer ; qui peut croire aujourd'hui en la conversion de celle-ci ?

La décentralisation est d'abord un exercice d'équilibre : donner plus de pouvoirs aux collectivités ne doit pas conduire à affaiblir l'Etat dans ses compétences régaliennes, ni dans son rôle de garant de l'unité républicaine, de la solidarité entre les territoires et de l'égalité entre les citoyens. Si la décentralisation était seulement un remède aux maux de l'Etat, il conviendrait de prendre garde à ce que celui-ci ne soit pas pire que le mal.

Le Gouvernement met en avant la concertation qu'il aurait engagée sous couvert des assises des libertés locales. Présenter de la sorte ce qui n'a été pour lui qu'une occasion de délivrer sa vérité est tout à fait inacceptable ! On a bien vu, dans ma région, une parodie de dialogue : les responsables des collectivités territoriales ont eu au plus trois minutes pour témoigner de leur expérience, au milieu de propos plus ou moins responsables tenus par des représentants du patronat, le tout sous la houlette d'un banquier, certes ancien ministre de droite, chargé d'animer les tables rondes.

De qui se moque-t-on, sinon des citoyens et de leurs représentants ?

Notre rapporteur a présenté ce projet comme « concis et équilibré ». Mais où est la concision quand on transforme la Constitution en véritable règlement de police ou de gendarmerie ? Où est l'équilibre quand un texte manque à ce point de clarté, comme Ségolène Royal en a fait la démonstration ? En fait, par des concepts flous, et faute d'une réflexion d'ensemble, il ouvre la voie à un processus hasardeux qui risque de démanteler l'Etat et de désorganiser durablement nos institutions.

Sans doute me répondrez-vous que vous privilégiez le pragmatisme... Mais je vois surtout le désordre et l'incohérence d'un projet qui introduit dans la Constitution un concept dont la portée semble vous échapper et dont les effets risquent d'être dangereux pour l'unité de la République, celui de l'expérimentation.

Vous n'avez pas voulu, Monsieur le Garde des Sceaux, expliquer clairement à la commission des lois la signification réelle de l'expérimentation permise par l'article 2. En l'état, c'est donc une habilitation sans aucune limite claire, alors que l'égalité de tous devant la loi, fondement de notre République, est pourtant très menacée. Nous ignorons également comment sera choisie la collectivité susceptible d'expérimenter une nouvelle politique.

En s'appuyant sur des critères flous, l'expérimentation aléatoire peut aboutir à ce que les collectivités territoriales exercent l'essentiel des compétences, ne laissant à l'Etat que la portion congrue de la définition de la politique nationale. Une telle évolution serait contraire au principe de l'égalité d'accès des citoyens aux services publics, elle renforcerait les inégalités entre les territoires.

Autre incohérence, ce projet ne répond pas juridiquement aux objectifs politiques que vous vous fixez.

Vous vous targuez de restaurer la démocratie locale mais n'abordez pas la question de la réforme du Sénat, de sa place dans le paysage institutionnel, de sa capacité à représenter les collectivités territoriales.

Par ailleurs, vous proposez aux citoyens de fixer une part de l'ordre du jour des assemblées délibérantes, balayant ainsi, d'un revers de main, l'un des principes fondamentaux de la démocratie représentative, repris à l'article 27 de notre Constitution, selon lequel tout mandat impératif est nul. Certes le Sénat a, avec votre accord, assoupli le droit de pétition mais cette disposition sera inopérante puisque l'exécutif local ne pourra que difficilement refuser l'inscription de tel ou tel texte à portée démagogique.

L'égalité, c'est l'assurance de préserver la solidarité et la possibilité de satisfaire ensemble aux aspirations de chacun. Mais ce texte promeut, dans la Constitution, un principe d'inégalité en organisant la concurrence entre les institutions, entre les territoires, entre les populations. On le voit dès l'article premier, qui place sur un même plan la décentralisation et les principes d'égalité et de démocratie. Quant à la notion de « chef de file » elle constitutionnalise l'inégalité entre les collectivités territoriales et elle déroge à l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre. Une collectivité instituée chef de file pourrait imposer son point de vue aux autres collectivités, et le financement des actions communes s'apparenterait ainsi à une dépense obligatoire.

Pis encore, une concurrence risque de se développer entre collectivités pour savoir qui se verra attribuer le titre de chef de file d'une expérimentation ou d'une politique. L'opacité des décisions y gagnera ce que le débat démocratique y aura perdu, et les conflits locaux se multiplieront.

Aucune perspective de mise en _uvre n'accompagne par ailleurs ce projet. Alors qu'il fait référence à de nombreuses reprises à la loi ordinaire et à la loi organique, aucune ébauche de ces textes ne nous a été soumise. M. Devedjian nous a expliqué hier, de façon tout à fait spécieuse, que faire connaître les projets de loi à venir aurait été mépriser le pouvoir d'amendement du Parlement. Si mépris il y a, c'est vis-à-vis de la Constitution et de la part du Gouvernement. En effet, le pouvoir d'amendement relève de l'article 44 de notre texte fondamental - que vous vous proposez de malmener. Pourtant, le Président de la République lui-même avait insisté sur la nécessité de faire connaître l'ensemble des projets lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle sur la justice. Votre réponse, Monsieur le ministre, est donc fâcheuse. Contrairement à ce que vous affirmez, ce texte ne comporte aucun objectif et se contente de présenter des méthodes, subsidiarité et expérimentation pour les plus marquantes.

L'essentiel du débat consiste alors à anticiper sur les textes d'application qui constitueront le c_ur de la réforme. La question de l'autonomie financière des collectivités, élément-clé de la décentralisation, a ainsi été renvoyée au débat sur les critères de la péréquation, débat essentiel qui aurait dû précéder toute réforme. Plus encore, les ressources des collectivités locales ont été assises sur des impôts locaux injustes, chacun le sait.

La gauche et les socialistes ont suffisamment démontré leur volonté décentralisatrice pour qu'on ne leur intente pas de faux procès. Or, dans l'explication de vote de son groupe sur l'exception d'irrecevabilité, un de nos collègues a réécrit l'Histoire à sa façon. Il a prétendu que c'était à la demande des députés socialistes que l'élection au suffrage universel direct des élus communautaires ne figurait pas dans la loi relative à la démocratie de proximité. Permettez au rapporteur de cette loi devant notre assemblée de rétablir la vérité. Alors que nous avions voté cette disposition, en première lecture, avec l'accord de l'opposition d'alors, le Sénat l'a annulée. Le Gouvernement ayant décidé de l'urgence, il n'y a eu qu'une seule lecture dans chaque assemblée. Lors de la préparation de la CMP, mon collègue Hoeffel, rapporteur au Sénat, m'a dit qu'il était absolument impossible que ses collègues sénateurs acceptent cette disposition.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales - Et vous avez cédé !

M. Bernard Derosier - Parce qu'il y avait dans le projet de loi beaucoup d'autres dispositions de très grande importance relatives à la démocratie participative, à l'organisation des services départementaux d'incendie et de secours, au statut des élus, à l'expérimentation de transferts de compétences - d'ailleurs prévue sans qu'il soit besoin de modifier la Constitution - il nous semblait important d'obtenir un accord unanime en CMP, en concédant certes aux sénateurs quelques occasions de manifester leur conservatisme.

M. le Ministre délégué - Assumez-le !

M. Bernard Derosier - Je l'assume.

On l'a bien vu au fil de nos interventions : nous sommes favorables à la décentralisation mais nous ne pouvons pas vous accompagner dans l'aventure où vous entraînez la France et ses collectivités territoriales.

Au nom de la préservation des institutions républicaines et d'une égalité, à la fois synonyme de solidarité et garante de l'unité nationale, nous nous opposons à cette révision de la Constitution, inopportune et potentiellement dangereuse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Augustin Bonrepaux - Ce débat s'engage à peu près dans les mêmes conditions que celui de 1994 sur la fameuse loi d'aménagement du territoire de M. Pasqua, laquelle devait dynamiser les territoires et réduire les inégalités. Qu'est-il resté de ce texte dont le titre VI comportait vingt-et-un articles relatifs aux compétences, à la péréquation et au développement local, et qui vous engageait à réaliser la péréquation avant 1996, l'actualisation des bases imposables avant 1997. Pourquoi Alain Juppé ne l'a-t-il pas appliqué ? Cela explique notre scepticisme quant à votre volonté d'assurer une véritable péréquation. Transférer des charges de l'Etat vers les collectivités locales est en réalité le seul moyen qui vous reste pour tenir la promesse du candidat Chirac de baisser l'impôt sur le revenu.

Etait-il besoin d'une réforme de notre loi fondamentale pour poursuivre une décentralisation engagée, avec succès, dans le cadre de la Constitution actuelle, acter l'existence des régions, collectivités créées depuis plus de quinze ans, répartir les ressources de manière plus juste quand le principe même d'égalité est au fondement même de notre Constitution ?

Vous nous expliquez que cette réforme rapprochera les services publics des citoyens. Est-ce pour organiser la disparition des services publics de l'Etat en zone rurale ? Vous avez d'ores et déjà programmé la suppression de commissariats, à Saint-Gaudens, Marmande, Limoux par exemple, de gendarmeries, de trésoreries, de succursales de la Banque de France. En revanche, vous êtes bien timorés au sujet des structures intercommunales, dont il n'est dit mot dans ce texte et qui ne seront pas reconnues comme collectivités.

Un député UMP - Heureusement !

M. Augustin Bonrepaux - Cela n'est pas étonnant quand on sait que vous vous étiez déjà farouchement opposés à la loi de 1992. Et dès le projet de loi de finances pour 2003, vous avez cherché à freiner le développement des communautés de communes à TPU en gelant le critère d'intégration fiscale.

Plus grave encore, votre projet est dangereux car il porte atteinte à la souveraineté du peuple, menace la cohésion nationale et conduira à une hausse de la fiscalité.

Mme Ségolène Royal - C'est vrai.

M. Augustin Bonrepaux - Il est scandaleux que la souveraineté du peuple soit ainsi bafouée. Les seuls représentants du peuple, élus directement par lui, siègent ici. Et voilà que vous donnez au Sénat, assemblée élue au second degré et dans quelles conditions, la priorité pour l'examen de certains textes (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Lisez sur le sujet le rapport de M. Méhaignerie, rapporteur pour avis ! Il est tout aussi scandaleux que le Premier ministre ait refusé à deux reprises de répondre à nos questions sur un sujet aussi important (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Ce projet est aussi dangereux si les expérimentations qu'il préconise doivent se traduire par le « grand bazar » que craint le Président de l'Assemblée nationale lui-même. Il est très dangereux aussi s'il n'est pas précédé d'une répartition des ressources donnant à toutes les collectivités les mêmes chances d'expérimentation. Sans cette garantie préalable, on s'achemine en effet vers une France à deux vitesses, car certaines collectivités pourront expérimenter ce qu'elles veulent pour mieux servir les citoyens quand d'autres n'auront pas les moyens d'entreprendre quoi que ce soit, ce qui aggravera encore les inégalités.

Ce projet menace aussi la cohésion nationale. On nous dit que le meilleur moyen de garantir l'égalité est d'inscrire la péréquation dans la Constitution. Mais le principe d'égalité, qui est une meilleure garantie encore, y figure déjà. Or, qu'avez-vous fait par exemple pour appliquer l'article 68 de la loi Pasqua du 5 janvier 1995 ?

Pour nous convaincre, Messieurs les ministres, mieux vaudrait que vos actes confirment vos déclarations d'intention. Or, c'est malheureusement l'inverse qui se produit. Alors que la péréquation de la DGF est passée de 8,69 % en 1996 à 14,23 % en 2001, dès cette année, vous vous êtes engagés sur la voie opposée en refusant pour la première fois de moduler la DCTP, c'est-à-dire en réduisant autant les moyens des collectivités pauvres que ceux des collectivités riches. M. Devedjian nous a expliqué au Comité des finances locales que cette modulation n'était pas possible car elle aurait abouti à réduire par trop les ressources des collectivités riches ! Est-ce là votre conception de la péréquation ? Dans ce cas il faut être inquiet. De même, la DSR et la DSU ne progresseront en 2003 que de 2,5 %, et encore par un tour de passe-passe qui a consisté à leur prendre 1 % en 2002 afin d'afficher cette progression de 2,5 % en 2003, laquelle n'est en réalité que de 1,5 %. Enfin, les crédits des fonds de péréquation diminuent et l'intercommunalité est remise en cause.

Comment allez-vous réaliser la péréquation ? M. Devedjian nous a expliqué qu'on ne pourra pas prendre aux communes riches pour donner aux autres...

M. le Ministre délégué - Je n'ai pas dit cela.

M. Augustin Bonrepaux - ... et le président de la commission des finances que la péréquation devra se faire à enveloppe constante. Et vous nous dites tous que les dépenses globales ne devront pas augmenter. Quadrature du cercle donc ! J'attends vos explications sur ces points.

Le troisième danger, celui d'un transfert de fiscalité sur les collectivités locales, n'est pas le moindre. L'article 6 confirme nos craintes à ce sujet.

M. Francis Delattre - Et l'APA ?

M. Augustin Bonrepaux - Il y est dit clairement que tout transfert de compétences s'accompagnera d'un transfert de ressources égales à celles qui étaient consacrées à l'exercice de ces compétences. Cet imparfait a toute son importance. « Etaient », ce n'est ni « sont », ni « seront » ! Le nombre d'ATOS par exemple, on le sait, était déjà insuffisant en 2002 - une grève a d'ailleurs lieu actuellement dans un collège de l'Ariège à ce sujet. Or, vous allez encore supprimer des postes en 2003 et sans doute aussi en 2004. Lorsque le transfert de ces personnels aux collectivités aura lieu, c'est à celles-ci qu'il appartiendra de créer les postes manquants. De même, alors que vous vous apprêtez à décentraliser les routes nationales, vous supprimez 700 postes dans les services de l'Equipement. Or, ceux-ci n'ont déjà pas les moyens aujourd'hui d'assumer leurs missions - ainsi la RN 20, itinéraire européen pourtant, ne peut pas être déneigée entre 21 heures et 6 heures. Dans les deux cas, votre procédé est habile. Les collectivités ne pourront faire autrement que d'augmenter leurs impôts.

Il y a là un risque de transfert de charges sur les contribuables locaux. Pour tenir les promesses du candidat Chirac de réduire l'impôt sur le revenu, qui est le plus juste, vous allez augmenter une fiscalité locale particulièrement injuste. Ce sont les plus modestes qui feront les frais de votre réforme.

Enfin, vous ne proposez rien pour moderniser la fiscalité locale, alors que par la loi de 1995 vous vous étiez engagés à réviser les bases des valeurs locatives. Êtes-vous favorable à un remplacement de la taxe d'habitation par une imposition calculée en fonction des capacités contributives de chacun ? L'UDF paraît s'être ralliée à cette idée, mais vous, quelle est votre position ?

M. Jean-Luc Warsmann - Que ne l'avez-vous fait !

M. Augustin Bonrepaux - Voilà des questions fondamentales que le Premier ministre s'est bien gardé d'aborder.

M. Jean-Luc Warsmann - La taxe d'habitation ne relève pas d'une loi constitutionnelle !

M. Augustin Bonrepaux - Le texte, dites-vous, est un point de départ. Mais où voulez-vous aller ? Est-ce que vous le savez vous-mêmes ? En tout cas, vous n'avez pas encore expliqué comment vous feriez cette décentralisation sans augmenter les impôts locaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilles Bourdouleix - Pour un élu local nouveau dans cet hémicycle, c'est une grande chance de pouvoir participer à ce débat qui va donner un nouveau souffle à la décentralisation, avec la reconnaissance de la région, les transferts de compétences, les principes de subsidiarité, d'expérimentation, d'autonomie financière.

Je regrette cependant qu'on n'ouvre pas un débat plus vaste sur l'organisation territoriale et l'accumulation des niveaux administratifs. Je suis de ceux qui s'interrogent sur la pertinence de l'échelon départemental, mais ce débat n'est pas - pas encore - à l'ordre du jour.

Je regrette surtout que ce texte ne reconnaisse pas ce phénomène majeur qu'est le développement de l'intercommunalité. Celui-ci relève d'une volonté d'intégration des communes et j'y vois un des grands progrès des dernières années (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe socialiste), car enfin les communes peuvent regrouper leurs moyens et être ainsi plus fortes. Cette non-reconnaissance crée un vide juridique. Le droit de pétition, le référendum seront interdits dans les domaines des compétences transférées, qui sont de plus en plus vastes, et c'est dommage. J'espère qu'on n'attendra pas vingt ans, comme avec la région, pour reconnaître constitutionnellement l'intercommunalité et qu'on ne freinera pas la France provinciale dans ce mouvement à cause du retard pris par l'Ile-de-France !

M. Arnaud Montebourg - Déjà un déçu de l'UMP !

M. Gilles Bourdouleix - On peut exprimer une petite déception et cependant savourer la grande joie d'appartenir à une majorité qui avance d'une manière aussi courageuse dans la décentralisation de notre République ! Je suis très heureux de participer à cette construction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Arnaud Montebourg - Ce sont des regrets joyeux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Déçu mais heureux !

M. Arnaud Montebourg - Le texte présenté par le Gouvernement - en l'absence, ce soir, du Premier ministre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) - comporte 56 paragraphes pour modifier 89 articles ! C'est le symptôme d'une certaine démesure car « l'amendement au pacte suprême ne peut s'inspirer que de l'écriture cristalline et lapidaire d'un Portalis, par exemple » - Michel Debré, père fondateur de la Constitution de 1958 l'avait compris. Mais on ne peut pas reprocher à M. Raffarin, dont la culture politique est sans aucun rapport avec celle du père du Président de notre Assemblée (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), de ne rien entendre à l'exigence historique et politique d'une remise en question du pacte suprême. Votre projet est comme un mauvais brouillon griffonné à la hâte pour dissimuler votre véritable dessein, le démantèlement insidieux de l'Etat égalitaire et solidaire. C'est peut-être aussi le signe d'une lâcheté politique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Pourquoi ne pas affirmer haut et fort qu'il s'agit en réalité de commencer le dépérissement de l'Etat, lieu de construction du contrat social et républicain ?

Mme Ségolène Royal - Avouez-le !

M. Arnaud Montebourg - Les régions, les départements et les territoires vont pouvoir, grâce à ce texte, entamer des courses de lévriers : les plus rapides et les mieux pourvus décrocheront le pompon, comme à la fête à Neuneu ; les autres, livrés à eux-mêmes, dépériront.

M. Jean-Luc Warsmann - C'est la situation actuelle que vous décrivez !

M. Arnaud Montebourg - Si ce démantèlement préludait à autre chose qu'une restauration de barons, de ducs, de féodaux utilisant les mannes publiques à des fins clientèlistes, nous aurions pu regarder votre dossier avec respect. Mais où sont, en contrepartie des énormes transferts de compétences et de ressources, les comptes rendus de mandat, inventés pourtant dès le Ve siècle à Athènes ? Où sont les droits de l'opposition, les indispensables contre-pouvoirs ?

Les fameux droits de pétition et de référendum seront à la discrétion des élus. A ce propos, que sont devenus les contre-pouvoirs envisagés par les lois de 1982 ? Un préfet est devenu un petit moineau sur la carapace d'un président de conseil général devenu, lui, rhinocéros ! (Exclamations sur divers bancs) Il tremble pour sa carrière car le second pèse plusieurs milliards de budget et cumule les mandats lui donnant influence à Paris...

M. Jean-Luc Warsmann - Vos propos sont complètement déplacés !

M. Arnaud Montebourg - ...pour se débarrasser du préfet gêneur qui aurait l'audace de faire son travail de contrôle. Finalement, l'ordre républicain est aujourd'hui inversé.

Qu'on ne vienne pas nous dire, comme l'a fait benoîtement M. Méhaignerie, que cette nouvelle organisation devrait faciliter la maîtrise des prélèvements obligatoires ! En l'absence de contre-pouvoirs, la décentralisation signifie faiblesse des mécanismes de contrôle. Du reste, les affaires politico-financières ont touché un tiers des conseils généraux et un quart des conseils régionaux dans les dix dernières années. Et le gaspillage des fonds publics n'épargne pas les grandes collectivités locales, construites sur le modèle monarchique national.

La décentralisation aurait pu servir la citoyenneté si elle s'appuyait sur les citoyens, au lieu de n'être qu'une affaire d'élus, organisée par leurs soins.

Symptomatique à cet égard est la priorité donnée au Sénat. Le Sénat, qu'est-ce que c'est ? Une assemblée sans électeurs ! Comment élit-on un sénateur ? Une fois tous les neuf ans, on réunit quelques grands électeurs désignés quasiment par tirage au sort car la plupart des conseils municipaux ne contrôlent que rarement, surtout dans les zones rurales, les propositions que les sénateurs vont défendre, prétendant « ne pas faire de politique ». Pire, ces grands électeurs se dissolvent dans le brouillard après leur vote et les sénateurs sont des parlementaires n'ayant de comptes à rendre à personne, ni sur leur présence, ni sur leurs votes, leur corps électoral étant passé de l'état solide à l'état gazeux aussitôt après l'élection (Rires). Dans mon département qui est aussi le vôtre, cher Garde des Sceaux, un de nos trois sénateurs ne s'est pas signalé, depuis plusieurs années, par une quelconque présence au Sénat. Qui lui en demande compte ? Qui s'en soucie ? Le Premier ministre, lui-même, est un ex-sénateur, qui a toujours été battu au suffrage universel direct ; être élu au Sénat est plus facile.

M. Jean-Luc Warsmann - C'est scandaleux d'attaquer un parlementaire malade.

M. Arnaud Montebourg - Il faut démissionner quand on ne peut plus remplir son mandat. Cette chambre illégitime, antidémocratique, appelle une réforme profonde qui, pour un certain nombre d'entre nous, est un objectif politique. C'est une « chambre indigne », disait Pierre Mauroy, et une véritable provocation institutionnelle (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). L'article 3 est une atteinte caractérisée à la souveraineté populaire. Le groupe socialiste proposera un amendement de suppression : je suggère que vous l'adoptiez. Vous apaiserez ainsi ceux qui s'inquiètent du retour à une démocratie censitaire qui s'apparenterait plus à la monarchie de juillet qu'à une République vivante, appartenant à tous ses citoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Francis Delattre - En montant à cette tribune, membre de l'UMP et fier de l'être, j'ai un peu le sentiment qu'il y a ceux qui croient au ciel et ceux qui y croient un peu moins... Si nous interrogions les habitants de nos communes, nous découvririons sans doute qu'ils nous font confiance, et pensent que nous discutons de la classification des responsabilités entre les différentes collectivités, dont l'empilement est si incompréhensible pour eux. Mais nous, élus, nous attendons le deuxième volet de la décentralisation de 1982 : son volet financier. A vrai dire, en dehors de dispositions qui seront utiles aux collectivités de l'outre-mer, je me serais satisfait pour ma part de l'article 6. Qu'on écrive que la région est une collectivité de plein exercice, pourquoi pas, puisqu'elle l'est dans les faits. Mais était-il vraiment opportun d'introduire certains concepts qui sont tout de même assez éloignés d'une décentralisation bien maîtrisée juridiquement ?

L'article 6 sur les ressources appelle de ma part une observation. Je suis élu de la région parisienne, et les collègues de province s'attendent toujours à ce que je défende cette région, présentée comme riche. Mais l'Ile-de-France a ses inégalités. Elle a besoin d'aménagement du territoire, elle a besoin de décentralisation. Les transports urbains y sont régis par un syndicat que dominent les grandes technostructures, et où les élus de banlieue pèsent bien peu. Et l'on continue à centrer les liaisons sur le c_ur de Paris, alors que les liaisons de banlieue à banlieue ne se développent pas. La volonté politique est là, et pourtant, techniquement, les choses ne se font pas...

La décentralisation est donc nécessaire. Mais, franchement, l'article 3 est-il opportun ? Je ne parlerai pas ici d'illégitimité, mais de rigidité. Le Gouvernement a aujourd'hui le choix de déposer ses projets devant l'une ou l'autre assemblée. Pourquoi se priver de cette liberté ? On a évoqué la Nouvelle-Calédonie : imagine-t-on que les accords de Matignon n'aient pas pu être discutés d'abord à l'Assemblée ? Méfions-nous : quand les citoyens votent, ils veulent voir que le sens de leur vote est mis en _uvre. C'est cela aussi, l'esprit de mai. L'article 3 tel qu'il est revenu du Sénat est inconcevable, puisqu'il reviendrait à nous dessaisir de tous les aspects financiers. En effet la participation aux ressources des collectivités locales représente au moins 50 % du budget de l'Etat. Si les dispositions relatives à leurs ressources doivent être d'abord discutées au Sénat, nous renonçons à examiner les premiers la loi de finances ! Ce serait certes un bouleversement. Trois amendements, dus notamment aux présidents de la commission des lois et de la commission des finances, tentent de trouver un texte acceptable pour tous. Mais ce type de négociation va-t-il donner un texte à la hauteur de la Constitution ?

M. Augustin Bonrepaux - Evidemment non !

M. Didier Migaud - C'est un article de convenance.

M. Francis Delattre - Non, mais une rigidité inutile.

L'article 4, vu du fond de ma banlieue, pose aussi quelques problèmes. Nous approuvons le principe de subsidiarité. Mais est-il utile de l'inscrire dans la Constitution ? « Les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en _uvre à leur échelon » : soit, mais qui en décidera ? (Approbations sur les bancs du groupe socialiste) Y aura-t-il un droit à l'autosaisine ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Bonne question.

M. Francis Delattre - Il faut que ce soit le Parlement qui tranche. Mais dans l'état actuel des choses, ce sera le système juridictionnel. On a rarement vu une assemblée renoncer à ce point à ses prérogatives. Nous allons droit vers des conflits d'intérêt, et des conflits d'interprétation sur un article aussi mal rédigé. Dans son français approximatif, l'alinéa que j'ai cité, comparé au reste du texte constitutionnel, apparaît comme du charabia.

M. Didier Migaud - Très bien.

M. Francis Delattre - Si l'on n'y introduit pas un garde-fou nécessaire, en précisant que c'est le Parlement qui doit décider, nous nous dessaisissons étrangement de nos responsabilités et nous ouvrons la voie à des contentieux sans fin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains, et sur quelques bancs du groupe UMP).

Mme Ségolène Royal - Voilà un homme courageux !

M. Didier Migaud - Mais isolé.

Mme Ségolène Royal - Il fait honneur à notre assemblée.

M. Victorin Lurel - Avant de commencer, qu'on me permette de dire un mot de la Guadeloupe. Nous sommes choqués par le tam-tam médiatique à son sujet. Je le dis à mes collègues : venez chez nous, et vous verrez que l'accueil y est amical. Je le dis notamment à mes collègues de l'intergroupe DOM-TOM.

L'outre-mer attendait avec impatience que la République acceptât de réformer son organisation administrative. L'outre-mer a payé un lourd tribut à l'intégrisme juridique, celui notamment du Conseil constitutionnel. C'est en vain que M. Emmanuelli voulut rationaliser l'organisation administrative des DOM. Nous avons été condamnés à l'aberration des régions monodépartementales, avec les dysfonctionnements qui en résultent.

Il faut poursuivre la décentralisation, et l'alternance ayant eu lieu, vous prenez le relais. Je rappelle que ce sont MM. Rocard et Le Pensec qui ont initié en 1988 l'idée d'une évolution différenciée, d'un statut « à la carte ». Puis la LOOM a reconnu que l'outre-mer n'avait pas seulement un problème institutionnel. Il lui faut marcher sur ses deux jambes : trouver la voie du développement économique et social, et faire sauter les verrous institutionnels. Votre loi était donc nécessaire, et les socialistes ne l'ont jamais contesté : ce que nous contestons, c'est sa philosophie et son contenu. Il faut poursuivre le mouvement. Un État doit se réformer, mais pas en débudgétisant, voire en décentralisant les déficits... Il faut décider au plus près des populations. Fallait-il pour autant inscrire la subsidiarité dans la Constitution ? C'est un concept issu du droit épiscopal, repris ensuite par l'Europe, et qu'on veut appliquer en France...

Décentraliser est nécessaire, tout simplement parce que la France est en retard sur l'Europe. Un spectre hante cette assemblée : celui du fédéralisme, de l'éclatement de la République. Vu de huit mille kilomètres, j'ai une vision différente. L'Italie est une république unitaire. Ses régions ont pourtant un vrai pouvoir d'initiative législative. Les 17 communautés du royaume d'Espagne sont autonomes. Et que dire du Royaume-Uni, de la Belgique ou de l'Allemagne ?

Loin de mettre en danger la République, cette réforme est nécessaire pour mieux prendre en compte les réalités de notre pays. M. Blessig évoquait avec raison la diversité mais celle-ci ne doit pas nuire à l'unité de la République. Comment concilier ces deux notions ?

Sans verser dans le communautarisme, il faut regarder la France telle qu'elle est, dans sa diversité : multiethnique, et multiconfessionnelle. Si le principe de laïcité a réglé, au niveau de la République, le problème des confessions, il n'en est pas de même sur le terrain. Le problème, déjà évoqué par M. Sarkozy en Corse, ou ailleurs par quelques camarades socialistes, n'est jamais soulevé ici.

Sans remettre en cause le bloc de constitutionnalité ni l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme, nous aurions pu insérer, dans l'article premier, aux côtés du principe d'égalité, la notion de diversité. Votre réforme de la Constitution, pour nécessaire qu'elle soit, est profondément inégalitaire et marquée par le libéralisme. Quelle sera l'architecture administrative et territoriale de la France d'ici 20, 30 ou 40 ans ?

Ceux qui auront eu les moyens de l'expérimentation l'auront faite, et les autres non. Le jardin à la française n'est pas une si mauvaise idée. Par ailleurs, l'absence de loi organique ne facilite pas la visibilité à moyen terme. Quant à la prééminence donnée au Sénat qui n'a pas connu l'alternance depuis de trop longues années, c'est une anomalie dans un système démocratique. Pour ce qui est du pouvoir des juges constitutionnels, l'imprécision des textes ne le rendra que plus exorbitant.

Le texte pèche surtout par le manque de pouvoirs accordés aux citoyens. Certes, ils ont le droit de pétition, mais quid du référendum abrogatif ? Et puis, il est si compliqué que le citoyen ne s'y retrouve pas. Vous avez déjà essayé dans les DOM l'expérimentation, l'habilitation, les dérogations, avec l'ordonnance de 1960 sur l'organisation administrative adaptée des collectivités, sans résultat.

Vous prévoyez l'inscription nominative des dix collectivités dans la Constitution, et rassurez par là même une frange importante de l'outre-mer. Mais prenez garde de ne pas figer l'histoire. Le Garde des Sceaux déclarait dans Le Monde que le projet de loi sur la décentralisation vise à contrer les velléités indépendantistes. Mais cela ne peut concerner ni la Guadeloupe, ni la Martinique.

L'alinéa 2 du préambule de la Constitution énonce le principe de la libre détermination des peuples de l'outre-mer. Il faudra prendre garde aux effets de la « jurisprudence Mayotte » et au jeu sur les termes de « peuple » et de « population ». En inscrivant ces dispositions dans la Constitution, vous empêchez les générations futures de décider de leur avenir, et écrivez ainsi, à l'instar de M. Fukuyama, la « fin de l'histoire ». N'est-ce pas le meilleur moyen de ressusciter les bombes et les « nuits bleues » ?

La plus belle définition de la nation, c'est celle qui a été donnée à propos de l'Alsace-Lorraine qui demandait à être française en allemand. Oui, la patrie c'est ce qu'on aime. Faisons confiance à l'affection et au désir de vivre ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Huguette Bello - Pour sortir la France de son jacobinisme, un vaste processus de décentralisation a été lancé, il y a vingt ans. Pour lui permettre d'affronter les défis de l'élargissement de l'Union européenne et ceux de la mondialisation, une nouvelle étape nous est proposée. A cette occasion, une question se pose : comment affirmer l'appartenance des DOM à la République et souligner leurs spécificités ?

Dans le projet gouvernemental, la réécriture des articles 72 et 73 permettait d'évoluer, mais dans certaines limites. Ainsi, il n'était pas possible pour la Réunion d'accéder à l'indépendance, mais les départements et régions d'outre-mer pouvaient adapter à leur territoire certaines matières relevant du domaine législatif, à condition d'y avoir été habilités par le législateur. L'objectif était d'adapter la Constitution à la réalité et de permettre aux collectivités de jouer le jeu de la mondialisation.

A la Réunion, des représentants politiques ont utilisé les peurs et les fantasmes pour rejeter toute évolution et préconiser l'application stricte du droit commun. Un amendement en ce sens a été voté par le Sénat, puis annulé à la suite d'un autre amendement voté à l'initiative du président de la commission des lois. Cependant, selon un communiqué diffusé ces jours-ci, M. Clément aurait retiré l'amendement de suppression.

M. René Dosière - C'est scandaleux !

Mme Huguette Bello - C'est un premier recul du Gouvernement. Si cette décision était confirmée, la cohérence du texte gouvernemental serait remise en cause. Notre assemblée accepterait le passage d'une collectivité à une autre mais refuserait à la Réunion des possibilités d'adaptation dans le strict cadre de la loi.

C'est l'avenir qu'on fige et, lorsque des difficultés apparaîtront, il n'y aura plus d'autre alternative qu'une évolution statutaire. Est-ce le but recherché ?

Vous manquez de confiance dans la capacité de nos concitoyens à prendre leurs responsabilités. L'histoire se répète. Nombreux furent les opposants à l'abolition de l'esclavage au prétexte que la réforme allait conduire à la perte de la colonie.

Plus tard, l'accession de la Réunion au statut de département fut vivement combattue par ceux qui voyaient leurs intérêts menacés. Il en va de même aujourd'hui face au projet constitutionnel, dont les détracteurs sont ceux-là mêmes qui, depuis 1947, combattent les efforts de la République pour donner à la départementalisation toute sa portée.

Je le dis tout net : la polémique entretenue autour de la révision constitutionnelle est un leurre destiné à détourner la population des problèmes réels. Que ne s'occupe-t-on du sort de ces milliers d'emplois-jeunes dont les craintes s'avivent ! Que ne s'occupe-t-on de garantir l'avenir de la filière canne à sucre sur laquelle pèsent des menaces toujours plus lourdes à mesure que progressent l'élargissement de l'Union européenne et la mondialisation ! Que ne règle-t-on le cas des 11 000 journaliers communaux réunionnais - car comment les communes innoveraient-elles si on ne les aide pas à mettre fin à ce statut illégal ? Que ne cherche-t-on à réduire le criant manque de logements que connaît l'île ?

Tous les voyants sont au rouge ! Pouvons-nous attendre sans réagir ? Les vrais problèmes, ce sont le développement et l'emploi. La décentralisation peut avoir un effet de levier. Abordons donc la réforme dans un esprit constructif et responsable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Mariton - Les Français demandaient-ils une réforme de la décentralisation ? Non. La réforme est-elle indispensable ? Oui, car elle permettra de donner une réponse politique à un débat jusqu'à présent confisqué soit par une administration déterministe soit par des syndicats d'élus dont je considère, bien qu'en étant membre, qu'ils ne peuvent à eux seuls prétendre résumer ce qui doit être une vision globale de la décentralisation...

M. René Dosière - Voilà qui n'est pas gentil pour le Sénat !

M. Hervé Mariton - Encore faut-il traduire les objectifs visés par quelques principes clairement énoncés dans une Constitution qui ne doit pas être encombrée de détails. Il reviendra à la loi organique de décrire minutieusement les modalités d'application des principes énoncés. Quels seront-ils ?

J'approuve le Premier ministre, qui a parlé de subsidiarité. Je regrette que le mot ne soit pas repris dans le texte...

Un député UMP - Heureusement !

M. Hervé Mariton - ...mais l'on sait que cela signifie toujours plus de proximité. Le deuxième principe consiste à autoriser l'expérimentation, et là est la rupture la plus flagrante avec la pratique antérieure. Je suis heureux que cette notion figure désormais dans la Constitution.

Troisième principe : l'autonomie financière, qui doit avoir pour corollaires gestion sage et maîtrise des coûts. M. Méhaignerie l'a rappelé : la décentralisation, parée de toutes les vertus constitutionnelles, ne réussira que si nos concitoyens ne subissent pas une hausse des impôts locaux.

Enfin, une vision plus politique de la décentralisation devrait imposer une plus grande simplicité structurelle.

Napoléon considérait qu'une bonne constitution était nécessairement longue et confuse (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Paul Giacobbi - Non, « courte et obscure » !

M. Hervé Mariton - Ces temps ne sont plus. Notre Constitution doit énoncer des principes simples et forts, et la loi organique affirmer cette vision. Nous faisons donc _uvre utile, qui sera pleinement appréciée demain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daubresse remplace M. Debré au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Mme Christiane Taubira - Sur tous les bancs, chacun en est convaincu : la réforme de la Constitution est un acte grave et solennel qui ne doit s'accomplir qu'après mille prudences, et avec le seul souci du bien commun, ce qui exclut tout progrès qui ne serait que catégoriel, sectoriel ou géographique. Pourtant, la fréquence des révisions constitutionnelles, au cours de la dernière décennie, suggère un essoufflement. D'ailleurs bien que notre Constitution soit fondée sur le refus de la distinction des origines, de la race et de la religion et le respect de toutes les croyances, la République n'est pas laïque sur l'intégralité du territoire (Plusieurs députés manifestent leur incompréhension) puisque des ministres du culte sont fonctionnaires de l'Etat.

M. Jean-Luc Warsmann - En Alsace, oui !

Mme Christiane Taubira - Et en Guyane, de même la République n'est pas toujours laïque, lorsque les institutions publiques n'échappent ni au verrouillage ni à l'instrumentalisation.

Pourquoi, donc, réviser la Constitution ? Que n'avons-nous entendu, à propos des résultats du scrutin du 21 avril dernier, de ces fameux 17 % qui expliquent tout de l'action présente du Gouvernement, depuis la loi sur la sécurité jusqu'à la réduction des budgets de l'éducation, de la culture, de la recherche et que sais-je encore !

Mais on s'est beaucoup moins interrogé sur le fait que les abstentionnistes sont aussi ceux qui, entre deux élections, n'ont aucun espace pour se faire entendre des élus qui régulent leur vie !

Quelles sont donc les raisons de la révision constitutionnelle ? De nouvelles exigences civiques ? La nécessité d'enrichir la démocratie représentative ? L'urgence de graver dans le marbre la nouvelle architecture de la décentralisation? La volonté d'inscrire solennellement dans la Constitution les conséquences de nos engagements européens ? L'indispensable clarification des compétences entre l'Etat, l'Union européenne et les collectivités locales ? La nécessaire prise en compte des territoires à forte identité régionale et linguistique ? Le sens aigu de la démocratie, qui impose la stricte séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ? Le désir scrupuleux d'éviter l'enlisement du politique dans le marais de la cohabitation ?

Tout cela aurait, certes, justifié une révision, et même une nouvelle Constitution. Au lieu de cela, le texte soumis à notre droit d'amendement - figure de style, si j'en juge par ce qui s'est passé en commission ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) - ou plus exactement, à notre vote, traduit l'action d'un Gouvernement désorienté, coincé entre les v_ux du Premier ministre et ceux de sa majorité (« Pas du tout ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Veuillez conclure.

Mme Christiane Taubira - Je serai donc la première oratrice soumise à une extrême rigueur !

Nous avons entre les mains un texte empreint de la modestie d'un Etat qui doute de lui-même alors qu'il devrait avoir la fierté d'être le garant de l'unité, de la cohésion et de la solidarité nationales. Un Etat tellement modeste qu'il envisage subrepticement de se réformer lui-même, camouflé derrière le tohu-bohu qu'il fait sur les collectivités. Nous avons là un texte de complaisance envers les féodalités locales constituées, un texte de connivence avec le Sénat. Ce texte, nous sommes appelés non à l'amender, mais simplement à le voter. Concernant l'outre-mer, les apparentes ouvertures telles que la faculté d'adaptation réglementaire ou l'habilitation législative, sont aussitôt obstruées par l'annonce que le Parlement ne serait pas tenu de légiférer en cas de résultat positif d'un référendum local. Autre verrou, la limitation du droit de pétition qui aurait pourtant permis aux citoyens d'obtenir que les collectivités se saisissent de sujets qui les préoccupent.

Nous allons user de notre droit d'expression avec des amendements à titre principal, dans l'espoir de donner à cette réforme la dimension politique qu'elle mérite. Nous le ferons aussi avec des amendements à titre subsidiaire, pour tenter au moins d'en limiter les effets pervers. Nous le ferons avec un optimisme imputrescible en espérant sortir la majorité de son obsession du vote conforme au texte du Sénat,...

M. Jean-Luc Warsmann - C'est faux ! la commission a adopté plus de dix amendements.

Mme Christiane Taubira - ...afin de les amener vers une vision plus grandiose, afin de leur faire accepter que la loi fondamentale soit de portée générale, afin que la contribution de l'opposition soit à la mesure de sa vigueur démocratique, au moins dans cette assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains et sur divers bancs).

M. René-Paul Victoria - Notre assemblée vit aujourd'hui un moment historique puisqu'il s'agit de réécrire une partie de notre Constitution. L'exercice est délicat, mais combien exaltant, car il vise à donner plus de responsabilité aux décideurs locaux, acteurs de proximité.

L'outre-mer est aussi concerné par cette réforme. Je le dis solennellement : les 140 000 Dionysiennes et Dionysiens, les 750 000 Réunionnaises et Réunionnais sont fiers d'appartenir à la République française. Ils comptent rester pour très longtemps et, je l'espère, à jamais « département français », « région française » et « région ultra-périphérique de l'Europe » !

A plusieurs reprises, la population locale a dit non. Non, en 1982, à l'assemblée unique, véritable boulevard vers un pouvoir législatif local avec toutes les dérives qui en découlaient, notamment l'autonomie. Non, en 2000, à la bidépartementalisation et au congrès proposés dans le rapport Lise-Tamaya. Et le Conseil constitutionnel, à deux reprises, a donné raison aux Réunionnais !

Aujourd'hui, la Réunion souhaite s'ancrer plus encore au sein de la République et de l'Europe, pour assurer son développement économique. Mes chers collègues, aidez les Réunionnais dans cette voie, accompagnez leurs élus dans cette démarche, qui vise essentiellement à assurer la promotion de nos concitoyens !

Ce texte est sécurisant sur le plan institutionnel, car il mentionne la Réunion comme département et région française. Ainsi, aucune évolution institutionnelle ne sera possible sans l'avis des populations concernées et sans une loi organique. La possibilité d'instaurer une assemblée unique, nous, Réunionnais, n'en voulons pas.

Enfin, concernant la possibilité d'adapter des lois dans les domaines autorisés par le Parlement, le Sénat a eu raison d'exclure la Réunion de cette disposition : les Réunionnais préfèrent le cadre général tendant à l'assimilation législative, avec les adaptations particulières liées à l'article 73 de notre Constitution. Je souhaite donc que soit confirmé le retrait de l'amendement de M. Clément à ce propos.

En mars 1793, peu après l'exécution de Louis XVI, il était impensable que l'on appelât encore cette île lointaine de l'océan indien « île Bourbon ». Il avait été envisagé de l'appeler « Jemmapes » du nom de la victoire récente de Dumouriez. C'est alors que le célèbre mathématicien Monge, membre de la Convention, proposa de lui donner le nom de « Réunion », précisant que toute atteinte à cette possession française serait une atteinte à l'intégrité territoriale de la République. Telle n'est pas la volonté du Gouvernement, je l'ai compris ! Toutefois, la volonté des Réunionnais de rester liés de manière indéfectible à la mère patrie, doit être acceptée et défendue par nous tous.

M. Jacques Myard - Bravo !

M. René-Paul Victoria - Aussi, afin de renforcer cet attachement à la France, au nom de mes collègues André Thien Ah Koon, Bertho Audifax, Gérard Grignon et Didier Quentin, je défendrai un amendement au préambule de notre Constitution, afin d'intégrer, à jamais, les « populations d'outre-mer » dans le peuple français. Car il n'existe qu'un seul peuple français.

MM. Jacques Myard et Guy Geoffroy - Très bien !

M. René-Paul Victoria - Je suis fier de le dire à cette tribune, les Réunionnais sont heureux d'être créoles et fiers d'être Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Paul Giacobbi - Arnaud Montebourg a comparé les présidents de conseil général à des rhinocéros, ce que je prends pour un compliment, aussi essaierai-je d'être rapide sans être léger... (Sourires)

Nous voici enfin à l'heure de la décentralisation constitutionnelle. Cette révolution de la décentralisation a déjà eu lieu en Europe au cours des dernières années, notamment en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni.

Tous ceux qui agitent le spectre inquiétant d'une France divisée et d'une République désunie devraient se rassurer en constatant que ces expériences sont toutes plus audacieuses que celle que nous mettons en chantier et qu'elles ont renforcé et non affaibli les nations, dont aucune ne songe à revenir en arrière.

La nécessité d'une décentralisation constitutionnelle est clairement apparue à propos de la Corse. Le débat a soulevé des tempêtes, mais il a aussi permis à l'ensemble des Français, comme le dit fort justement notre rapporteur, de toucher du doigt la rigidité de notre Constitution, qui bloquait des revendications aussi simples que la réunification de deux départements et d'une région dans une seule collectivité, dont la population totale n'atteint même pas celle de certains arrondissements de Paris.

Je suis heureux de constater aujourd'hui que l'autorisation faite aux collectivités de modifier la loi ou de fusionner pour des motifs de simplification administrative n'est plus considérée comme un crime de lèse-République mais comme une évolution justifiée.

Républicain dans l'âme, descendant d'une lignée de républicains, représentant la quatrième génération à siéger sur ces bancs, j'ai souffert plus que d'autres de l'injure qui traitait d'ennemis de la République les partisans d'une évolution naturelle de nos régions vers une décentralisation constitutionnelle. Je le dis sans colère, mais c'est avec moins de sérénité que j'ai réagi récemment, à Ajaccio, quand on a dit que les ministres n'étaient là que sous la pression d'une organisation clandestine...

Cependant, ce texte, s'il va dans le bon sens, ne peut me satisfaire entièrement. En premier lieu, parce que sa cohérence est sacrifiée au compromis lorsque l'on condamne une expérimentation probante dans une collectivité donnée, soit à être généralisée à toutes les collectivités de France, soit à être abandonnée là où elle a réussi. La mécanique est absurde en ce qu'elle fait de l'expérimentation une modalité nouvelle de l'uniformité juridique et institutionnelle française. Sur le plan financier, nous feignons de croire qu'il suffit de calculer équitablement les transferts de recettes de l'Etat aux collectivités locales, alors que notre incapacité à financer les politiques publiques est globale et va s'aggraver.

La décentralisation n'est pas la panacée ; si elle se borne à transférer des politiques publiques avec leurs déficits financiers et leurs réformes avortées, elle déplacera les problèmes sans leur trouver de solution.

Oublier dans ce débat constitutionnel les langues régionales parfois ravalées au rang de manifestations folkloriques...

Mme Maryse Joissains Masini - Mais c'est ce qu'elles sont...

M. Paul Giacobbi - ...c'est méconnaître la dimension culturelle de nos régions. J'aurais souhaité, puisque le Président de la République a souhaité lui-même la ratification de la Charte européenne, que ce sujet soit abordé ici.

Pour obtenir une vraie égalité, la loi doit faire des distinctions non pas seulement pour tenir compte de conditions inégales mais surtout pour les corriger.

Nous entamons donc un débat essentiel, non seulement pour notre organisation territoriale, mais aussi pour notre droit qui doit trouver une voie nouvelle d'efficacité, d'égalité et de justice pour les territoires de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Guy Geoffroy - Nous entrons dans un débat fondateur dont l'importance n'échappe à personne. Certains ont prétendu qu'une réforme de la Constitution n'était pas utile, que celle-ci pouvait même être dangereuse. N'était-il pas plus dangereux pour le fonctionnement de nos institutions de signer comme on l'a fait il y a une dizaine d'années un traité international avant de s'apercevoir qu'il ne pouvait pas être appliqué sans une révision de la Constitution ?

M. Jacques Myard - Les dirigeants le savaient parfaitement !

M. Guy Geoffroy - Le débat d'aujourd'hui sera suivi dans quelques semaines par d'autres sur la loi organique et les lois ordinaires. Nous travaillons bien dans le bon ordre.

Je demanderai à certains de nos collègues de gauche de cesser de prétendre que la République a démarré au soir du 10 mai 1981 et que la décentralisation est née exclusivement de l'esprit de ceux qui nous gouvernaient à l'époque. N'en déplaise à certains, je me permettrai un rappel historique. Qui le premier, malgré l'opposition farouche, qui apparaît ô combien singulière aujourd'hui, des socialistes et du Sénat, ...

M. René Dosière - Et de la droite libérale !

M. Guy Geoffroy - ...a dit qu'après une période où, au travers du Plan notamment, la République avait dû se construire une nouvelle et forte identité unitaire, il faudrait alléger les pesanteurs nées de la centralisation et engager pour ce faire la régionalisation ? C'est le général de Gaulle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Ségolène Royal - Vous l'avez trahi !

M. René Dosière - Il doit aujourd'hui se retourner dans sa tombe.

M. Guy Geoffroy - Lorsque vous avez repris cette idée des années plus tard, vous n'avez fait que vous inscrire dans cette logique. C'est sur cette voie qu'il nous est aujourd'hui demandé de poursuivre.

Il faut inscrire au c_ur de nos institutions, et donc de notre Constitution, la nature et le cadre des divers transferts de compétences. La question de l'égalité des ressources est fondamentale. On a évoqué le problème de l'APA, je n'y reviens pas. Je m'attarderai davantage sur la question des collèges et des lycées (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Pour avoir été en poste dans un établissement scolaire dans les années 80, je me souviens que l'Etat n'avait pas augmenté d'un centime les dotations de fonctionnement des lycées et collèges de 1983 à 1985, de façon qu'en 1986, date du transfert de compétences, leur soit transféré le minimum de ressources possible. De tels agissements feraient bien évidemment descendre aujourd'hui enseignants et parents d'élèves dans la rue. Avec cette réforme courageuse, nous disons : « Plus jamais ça ! »

M. René Dosière - Vous faites la même chose !

M. Guy Geoffroy - L'Etat et ses partenaires devront bien sûr être loyaux, je suis convaincu qu'ils le seront.

Il faut également inscrire au c_ur de nos institutions l'expérimentation, laquelle, bien qu'existant en pratique, fruit des initiatives heureuses de nos collectivités, n'est pas reconnue comme telle et mériterait d'être mieux organisée, encadrée. Ses enseignements mériteraient aussi d'être mieux exploités.

Je conclurai en disant un mot de la mauvaise querelle qui s'est développée s'agissant du Sénat. Je suis atterré par certains propos. Pourquoi tant de haine à l'encontre de la deuxième assemblée de la République ?

M. René Dosière - En effet, la deuxième !

M. Guy Geoffroy - Pourquoi lui reprocher aujourd'hui ce qu'elle est alors que vous ne l'avez pas modifiée ? Le Sénat est une assemblée démocratique, élue au second degré, comme les structures intercommunales que vous vantez tant par ailleurs, et qui en effet ont leurs mérites. Lui reprochez-vous d'avoir hébergé, après sa défaite de 1958, le sénateur François Mitterrand, ou aujourd'hui Pierre Mauroy, instigateur de l'une des étapes de la décentralisation, ou Robert Badinter, à qui nous devons tant ?

Mme Christiane Taubira - C'est l'institution qui est en cause !

M. Guy Geoffroy - Qu'il soit saisi en premier de certains projets de loi ne signifie pas qu'on lui donne la priorité. C'est pure mauvaise foi que de prétendre le contraire.

M. le Président - Veuillez conclure, je vous prie.

M. Guy Geoffroy - Vous savez pertinemment qu'examiner un texte en premier ne signifie pas avoir le dernier mot.

Ce projet de loi constitutionnelle marque un retour aux sources de la volonté participative que voulut pour la France et les Français le général de Gaulle. A travers cette nouvelle étape de la décentralisation, nous cherchons seulement à donner la parole à nos concitoyens. Pour toutes ces raisons, après le débat démocratique nécessaire qui doit avoir lieu, il faudra sans hésitation et avec plaisir voter cette ambitieuse réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Simon Renucci - Il nous est proposé aujourd'hui de prolonger le grand mouvement de décentralisation engagé il y a vingt ans par François Mitterrand et Gaston Defferre. Les lois de 1982 ont conféré aux collectivités territoriales des pouvoirs de plein exercice, confié le pouvoir exécutif aux présidents des assemblées délibérantes, transféré de nouvelles compétences aux collectivités territoriales. C'est à la gauche qu'il revient d'avoir ainsi transformé l'architecture institutionnelle de notre République. Cela a encore été le cas sous la législature précédente avec les quatre grandes lois sur l'aménagement du territoire, l'intercommunalité, la solidarité et le renouvellement urbain, et la démocratie de proximité.

Votre projet de loi constitutionnelle approfondit ce mouvement. Cela ne peut que nous satisfaire alors que nous avons éprouvé, en Corse, lors du processus de Matignon, puis lors de l'examen de la loi du 22 janvier 2002, censurée par le Conseil constitutionnel, les limites de la voie législative. Le gouvernement de Lionel Jospin avait d'ailleurs envisagé pour l'île une réforme constitutionnelle en 2004.

M. René Dosière - Cela avait été très critiqué par certains !

M. Paul Giacobbi - Et apprécié par d'autres !

M. Simon Renucci - L'initiative du Gouvernement aujourd'hui tient compte à la fois des innovations du processus de Matignon et des dispositions de la loi du 22 janvier 2002 qui en sont directement inspirées. Pour notre part, parce que nous étions, avec d'autres, au c_ur de ce processus, nous approuvons cette orientation.

Si j'apprécie que soit affirmé à l'article premier de notre Constitution le caractère décentralisé de l'organisation de la République, j'aurais néanmoins souhaité que ce principe figurât au même rang que ceux d'indivisibilité et d'égalité devant la loi. Une telle formulation en aurait accru la force.

Par ailleurs, il m'apparaît essentiel de rechercher l'équité entre des régions dont les niveaux de développement et les moyens financiers sont inégaux. Les lois organiques devront impérativement préciser les dispositifs de péréquation nécessaires. Il s'agit en fait d'ajouter la solidarité au triptyque fondateur de la République : liberté, égalité, fraternité.

En Corse, la collectivité territoriale aura le choix entre un pouvoir réglementaire d'application, un pouvoir réglementaire d'adaptation octroyé par la loi du 22 janvier 2002, et un pouvoir réglementaire d'expérimentation. Il est donc indispensable qu'au cours du débat le Gouvernement précise les modalités de mise en _uvre de l'expérimentation, et surtout celles de son éventuelle généralisation, de sa pérennisation ou de son interruption.

Des dispositifs d'évaluation des politiques publiques, à la légitimité incontestable, devront rapidement être mis en place en utilisant les compétences du CNFPT.

Enfin, l'aménagement du territoire passe aussi par un approfondissement de l'intercommunalité. Le développement de celle-ci est d'ailleurs le trait marquant de l'évolution de la décentralisation. Près de 27 000 communes sont aujourd'hui regroupées dans des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. L'intercommunalité porte donc une part importante de l'identité et de l'avenir de notre territoire, en permettant à la fois de lutter contre l'émiettement institutionnel, de renforcer la proximité et d'améliorer le contrat démocratique passé entre les élus et les citoyens.

La possibilité pour les groupements de communes de recourir au droit à l'expérimentation trouve là toute sa légitimité. La rédaction de l'article 72 aurait dû marquer davantage la nécessité de cette évolution.

Un député UMP - Non !

M. Simon Renucci - Les pas que vous empruntez méritent notre attention et notre intérêt. Toutefois, cette politique ne sera comprise que si elle s'accompagne d'une dimension, malheureusement absente de votre texte, relative à l'équilibre et l'exercice même du pouvoir à l'échelon local. Or, à cet égard, bien des inquiétudes demeurent. Si chacun convient que la décentralisation a besoin d'une nouvelle étape, la population suspecte malheureusement les élus locaux de souhaiter obtenir de nouvelles compétences pour exercer de nouveaux pouvoirs.

Il convient donc de revisiter la notion même de décentralisation si l'on veut rendre lisible, j'allais dire populaire, une réforme constitutionnelle aujourd'hui commentée par les seuls spécialistes et les élus. Il faut s'accorder sur les enjeux. Derrière les mots subsidiarité, péréquation, transferts de compétences..., votre projet oublie deux questions, la simplification de l'organisation territoriale et la séparation des pouvoirs à l'échelon local.

Depuis des années, tous les spécialistes de l'aménagement du territoire savent que l'empilement des structures administratives nuit à la clarté et à l'efficacité des politiques publiques et regrettent l'absence de distinction entre les exécutifs et les organes délibérants des collectivités territoriales.

Sur ce point, l'équilibre institutionnel de l'Assemblée de Corse peut se révéler être un exemple fécond. Dès 1982, la Corse a été pionnière, puisque les lois de décentralisation y ont été immédiatement appliquées.

Consolidé par le statut Joxe de 1991, le fonctionnement de l'Assemblée de Corse est pré-parlementaire : par un vote dit de « défiance constructive », elle peut ainsi renverser l'exécutif collégial à condition d'en proposer un nouveau, qui recueille la majorité.

Cette distinction entre conseil exécutif et assemblée délibérante permet une responsabilité effective des élus locaux, à une condition, qui n'est pas encore suffisamment remplie en Corse, le pouvoir réel de contrôle de l'organe délibérant sur la fonction exécutive.

Elu de la Corse, je suis fier de cette particularité qui, un jour, peut-être, inspirera la représentation nationale.

La France des collectivités apparaît trop, en effet, comme un système de fiefs, où le pouvoir s'exerce sans contre-pouvoir.

Le but d'une loi de décentralisation est de réduire le déficit démocratique. Pourtant, vous vous cantonnez finalement au cadre de référence classique de la Ve République et vos avancées ne s'accompagnent pas de progrès démocratiques. Vous prenez ainsi le risque de transférer au plan local l'esprit jacobin que vous prétendez combattre.

Monsieur le Premier ministre, à chaque élection, les Français sont plus nombreux à se réfugier, au mieux dans l'abstention, au pire dans le vote extrême. Vous dites que votre loi doit réconcilier nos concitoyens avec leur République. Mais au-delà des discours, ils attendent des actes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Thien Ah Koon - Le Président de la République a, lors de sa campagne, offert aux populations d'outre-mer une possibilité d'évolution statutaire conforme à leur volonté.

Le projet nous confronte à une échéance capitale. La France, c'est vrai, a besoin d'une décentralisation plus poussée. Je soutiens naturellement le contrat conclu par le président Chirac afin de substituer à une gestion souvent devenue inefficace et contestée une société plus moderne et plus démocratique.

Mais j'ai été élu aussi pour défendre un projet, l'intégration plus forte de la Réunion dans la France, continuant en cela la mission de mes prédécesseurs, qui ont servi cette cause depuis trois cents ans. M. Michel Debré, père de notre Constitution, s'est ainsi battu pendant 25 ans pour nous sortir de notre pauvreté culturelle et sociale, pour notre émancipation dans la France. Son combat contre le séparatisme est le nôtre : aux partisans de l'autonomie, nous opposons la continuité territoriale, l'assimilation administrative, l'intégration française et européenne.

Au nom de notre population et des maires de nos communes, je vous demande d'écarter une logique purement juridique et de soutenir les deux aménagements que je défends. Il s'agit, premièrement, de refuser de donner aux assemblées territoriales de la Réunion le droit de voter les lois et règlements. L'amendement de M. Virapoullé et de Mme Payet voté au Sénat doit être maintenu et l'amendement de suppression proposé par M. Clément repoussé.

M. René Dosière - Il a été adopté par la commission des lois !

M. André Thien Ah Koon - Deuxièmement, il s'agit d'empêcher que la Réunion puisse passer du statut de DOM à celui de TOM, en adoptant l'amendement que j'ai déposé en ce sens.

Nous refusons toute dérive institutionnelle. Nous refusons l'autonomie, l'assemblée unique. Nous voulons être égaux en droits et devoirs, nous voulons rester définitivement département français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), comme les Alsaciens ou les Auvergnats (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). A mes collègues de gauche, je dis qu'ils ont trop enfoncé la France pour pouvoir continuer à provoquer les autres !

Nous voulons aussi former, avec Mayotte et les terres antarctiques françaises, la 23e région française.

Madame la ministre, Messieurs les ministres, chers collègues, affirmez aujourd'hui la primauté du politique sur le juridique. Nous serons alors, comme vous, des Français et des Européens parce que nous avons choisi de l'être. Faites qu'on ne puisse dire plus tard que notre message n'a pas été entendu ! C'est parce que les Réunionnais veulent l'assimilation que les dix-neuf mairies de droite ont fermé hier leurs portes. Notre volonté de rester Français est une revendication profonde, après ce que nous avons subi sous l'ère coloniale. En votant les amendements proposés, vous allez mettre un terme définitif à celle-ci. Vive la France, vive la Réunion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. René André - Chacun d'entre nous mesure bien le risque réel de rupture entre les citoyens et les élus et la nécessité de rapprocher les gouvernants des gouvernés.

Ce texte va dans ce sens en établissant une nouvelle architecture des responsabilités au sein de la République.

Comment ne pas souscrire à ce projet si, comme vous nous le dites, il doit libérer les énergies, rendre les régions plus dynamiques, mettre fin à la recentralisation des finances locales insidieusement instaurée par le précédent gouvernement, conjuguer cohérence et proximité ?

Comment ne pas être satisfait quand vous nous assurez que les transferts de compétences seront compensés intégralement et l'égalité entre les territoires assurée par une péréquation consacrée par la Constitution ?

Ce texte peut donc être la marque de la réforme de l'Etat attendue par tous, même si tous ne la conçoivent pas de la même façon.

Votre majorité, Monsieur le Garde des Sceaux, est riche de sa diversité. Pour ma part, comme beaucoup d'entre nous sur ces bancs, je crois aux valeurs d'un Etat fort, recentré, certes, sur ses compétences régaliennes, mais qui veille sur l'unité de la République, assure l'égalité entre toutes ses composantes, citoyens ou territoires.

Vous partagez ces valeurs. Comme vous, je sais que la France du TGV ne peut être organisée comme celle des diligences. Des évolutions sont donc nécessaires.

Permettez-moi cependant, Monsieur le ministre, de vous poser quelques questions. Vous avez rappelé à plusieurs reprises la nécessité de respecter l'unité et l'indivisibilité de la République, et de garantir l'autorité républicaine. N'aurait-il pas dès lors été opportun, après avoir indiqué que l'organisation de la France est décentralisée, de préciser aussi qu'elle est déconcentrée ? On peut certes se demander si la déconcentration est un principe constitutionnel. Mais ce serait préciser heureusement l'article 72 de la Constitution, qui ne donne pas clairement autorité au préfet sur les services déconcentrés de l'Etat. C'était une bonne occasion de réaffirmer l'autorité de la République et l'égalité des citoyens sur tout le territoire. Pourquoi, alors que nos concitoyens déplorent la multiplication des structures et des collectivités, donner l'impression - je veux croire que ce n'est qu'une impression - de ne pas être plus clair sur ce sujet ? Ce qui est souhaitable n'est pas toujours possible immédiatement. N'aurait-il pas cependant été possible de jeter plus clairement les bases de cette simplification que tous nos concitoyens attendent ?

L'article 3 nous pose aussi quelques questions. M. le Premier ministre l'a d'ailleurs admis, en indiquant qu'il s'en remettrait à la sagesse de l'Assemblée. Je suis de ceux qui pensent que cet article ne se situe pas dans l'esprit de la Ve République et qui se souviennent du dernier référendum organisé par le général de Gaulle sur la régionalisation. Notre assemblée doit déjà concilier ses compétences avec la décentralisation et la construction européenne. Doit-elle en outre, concernant les collectivités locales, accepter de les voir limitées ? Devons-nous admettre de n'avoir sur ce sujet qu'une compétence en quelque sorte déléguée, réduite, « retenue » ? Nous sommes pourtant directement élus par nos concitoyens, qui sont les premiers intéressés par le sujet des collectivités locales, avant même les responsables de celles-ci, fussent-ils des grands électeurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Enfin, je regrette que le texte ne fasse nulle mention de l'intercommunalité. Le Premier ministre a répondu en partie à cette interrogation. Je souhaite que notre débat achève de lever les ambiguïtés, d'autant qu'il fait partie des travaux préparatoires qui, dans l'avenir, éclaireront le Conseil constitutionnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et sur de nombreux bancs du groupe UMP).

M. Bertho Audifax - Ce projet revêt une importance majeure pour notre pays. Dans nos régions d'outre-mer, et particulièrement à la Réunion, toute évolution du paysage institutionnel suscite angoisses et interrogations. La Réunion, devenue département français en 1946 devra attendre la Constitution de 1958 et son article 73, et surtout M. Michel Debré, pour en recueillir les bénéfices. Pendant les années dites de décolonisation, les Réunionnais ont dû se battre contre l'autonomie. A partir de 1981, ils ont dû encore se battre contre l'assemblée unique et les risques de dérive institutionnelle. Récemment encore, le projet de bidépartementalisation les a divisés. Vous comprendrez donc la sensibilité particulière de mes compatriotes, décidés dans leur très grande majorité à rester des Français à part entière, pour ce qui est des droits comme des devoirs.

Le texte actuel de la Constitution opère une distinction claire entre les DOM, régis par l'article 73 et les TOM, par l'article 74. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a confirmé la rigoureuse distinction entre ces deux statuts.

Votre projet améliore la rédaction de l'article 73 en reprenant en compte l'esprit de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, qui confirme le double principe de l'assimilation législative et réglementaire, d'une part, et de la possible adaptation de la législation et réglementation républicaines aux spécificités des départements et régions d'outre-mer, d'autre part.

A l'alinéa 2, vous introduisez une réelle novation juridique en permettant aux collectivités des départements et régions d'outre-mer de décider elles-mêmes de ces adaptations dans le champ de leurs compétences ou si elles y sont autorisées par la loi. Il faut bien ici mesurer les risques de dérive entre les adaptations, aujourd'hui décidées par le législateur pour tenir compte de situations particulières, et les dérogations qui pourront demain être décidées par les assujettis eux-mêmes. Certes, la loi organique devrait rassurer les Réunionnais sur ce point, et nous y veillerons. Cependant la ligne de partage entre le statut de département ou région d'outre-mer relevant de l'article 73 et celui de collectivité d'outre-mer relevant de l'article 74 semble moins nette.

Cette inquiétude est accrue par le troisième alinéa de l'article 73 : les départements et régions d'outre-mer deviendraient des décideurs en réglementation locale par dérogation aux lois et règlements de la République. Nous craignons que le fossé se comble entre les articles 73 et 74, alors que parallèlement il s'élargirait entre le statut des collectivités métropolitaines et celui de l'outre-mer.

C'est cette inquiétude que veut lever l'amendement, déposé au Sénat par M. Virapoullé au nom de tous les parlementaires de la majorité. Il ne fait qu'appliquer les déclarations du Président de la République, disant « l'heure des statuts uniformes est passée, il n'y a plus aujourd'hui de formules uniques qui répondent efficacement aux attentes variées des différentes collectivités de l'outre-mer... ». Et d'ajouter : « la Réunion a choisi de rester dans son statut départemental actuel et ce choix doit être respecté ».

Cet amendement pare au risque de dérive vers la spécialité législative et constitutionnalise l'existence du département et de la région de la Réunion. En aucun cas, nous ne pouvons accepter, qu'il soit supprimé. En effet, ou bien un département ou une région d'outre-mer souhaite rester dans le statut de l'article 73. Il est alors soumis, sous réserve des adaptations possibles, au droit commun des départements et régions métropolitains. L'accentuation de la décentralisation au profit de ces derniers renforcera les possibilités de démocratie locale et d'adaptation des règles communes, notamment grâce au mécanisme d'expérimentation. Ou bien un département ou une région d'outre-mer souhaite bénéficier d'une faculté d'auto-organisation et d'un statut particulier. Il lui appartiendra alors d'opter pour le régime de l'article 74 , ce qui se traduira notamment par la règle de spécialité législative et réglementaire.

Les Réunionnais préféreront toujours l'assimilation adaptée à la spécialité législative, car ils savent que le développement économique ne peut se construire que sur la stabilité institutionnelle.

Dimanche dernier, comme nombre d'entre nous, j'ai apprécié à leur juste valeur les mots : « respect de l'autre, humilité, écoute. » Ne cherchons pas à faire le bien de nos compatriotes contre leur gré, au risque d'être comme sous la précédente législature, insensibles au bon sens et à la conscience populaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Myard - On a souvent dénoncé les maux d'une France mal administrée. La centralisation en serait la raison essentielle, l'antidote serait la décentralisation. C'est sans doute partiellement vrai, mais, comme le disait Claude Bernard, « tout est poison, rien n'est poison, tout est question de mesure... ». Le mal français réside davantage dans l'extension permanente du champ de l'action publique, que dans son niveau, son échelon d'intervention ou son mode d'organisation. « Qui trop embrasse, mal étreint ». Plus encore que de décentraliser, il est impératif de simplifier les procédures, de mettre un terme à l'inflation des normes, source de rigidité et de lenteur. Au demeurant, le prurit harmonisateur de la Commission de Bruxelles est également une source de complexité accrue. Il faudra bien un jour, au nom de la démocratie, remettre l'Europe à sa place - toute sa place, mais rien que sa place.

Mais aujourd'hui, il s'agit de décentralisation. C'est un thème prometteur. Il est exact que notre pays a largement bénéficié du talent libéré des élus des collectivités territoriales, dont le travail concourt à la modernisation de notre territoire et à son dynamisme. Dans de très nombreux domaines, leur action a fait disparaître, selon la prédiction d'André Malraux dans son discours d'Amiens, « le mot hideux de Province ».

Vous nous proposez de donner un nouveau souffle à la décentralisation qui répondrait à une forte aspiration de nos concitoyens. Sans doute ! Mais ils souhaitent avant tout une action publique efficace, et une meilleure gestion de la dépense publique, pour payer moins d'impôts. Ces deux objectifs peuvent se recouper avec la décentralisation. Mais ce n'est pas toujours le cas, et s'il est « tendance », comme disent les « bobos », de dénoncer les gabegies de l'Etat, nous ne devons pas oublier les faillites retentissantes de quelques collectivités territoriales. Les rapports de la Cour des comptes sont instructifs à cet égard.

Votre projet de réviser la Constitution vise trois objectifs. Tout d'abord, accroître l'efficacité publique par la proximité, et le droit à l'expérimentation, pour s'adapter aux situations locales. Ensuite, assurer aux collectivités la maîtrise de leurs ressources fiscales. Enfin, développer la démocratie locale. Je rappellerai d'abord qu'on ne doit toucher qu'avec prudence à la loi fondamentale, et surtout ne pas surcharger son texte par des précisions inutiles. Montesquieu disait : « on ne peut changer les lois que d'une main tremblante ». La Constitution ne doit énoncer que des principes clairs et concis, dont la mise en _uvre sera précisée par une loi organique.

Votre objectif de proximité est juste en ce qu'il rapproche nos concitoyens du pouvoir décisionnel. Sur le plan financier, les collectivités territoriales doivent maîtriser leurs ressources et ne pas dépendre de la manne étatique, sous réserve de la solidarité nationale. Les élus locaux doivent rester à l'écoute de leurs concitoyens et je rappellerai les propos d'Edouard Herriot : « la démocratie est bonne fille, mais pour qu'elle soit fidèle, il faut faire l'amour avec elle tous les jours » (Sourires).

Vous voulez privilégier la région comme véhicule de la décentralisation. C'est une faute, quand on sait à quel point les départements sont viables et proches des citoyens. Donnez-leur les possibilités de s'associer à des projets déterminés. L'Etat unitaire ne doit pas laisser place à une Europe des régions, avec tous les dangers que cela comporte.

Pour ce qui est du droit d'expérimentation, il doit être encadré afin d'éviter toute surenchère. Quant à la liberté fiscale, la faculté laissée aux collectivités locales de fixer l'assiette de l'impôt aggravera les inégalités.

Les riches réduiront l'assiette quand les pauvres l'élargiront.

Cette disposition est d'autant moins acceptable que l'Etat est de plus en plus encadré en la matière par les directives européennes.

Quant au droit de pétition, il est porteur de tous les dangers : les pétitions vont se succéder. Ce sera le retour des tricoteuses et autres agitateurs professionnels ! Si les élus locaux doivent rester à l'écoute, ils n'en ont pas moins besoin de sérénité pour travailler !

La Constitution de la Ve République a fait ses preuves et je ne suis pas certain qu'une révision constitutionnelle permette une décentralisation équilibrée, efficace et proche de nos concitoyens (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Michel Buillard - Le projet de réforme constitutionnelle renouvelle la relation entre la République et l'outre-mer, entre la République et la Polynésie française, entre la République et le concept d'autonomie.

La relation entre la République et l'outre-mer s'inscrit dans un cadre historique où les décisions, souvent unilatérales, émanaient du centre. On a trop souvent opposé les grands principes républicains aux spécificités de l'outre-mer. Votre texte dépasse ce clivage, en restaurant le dialogue et en accordant une attention particulière aux populations d'outre-mer dont les intérêts sont au c_ur du dispositif.

La Constitution reconnaît ainsi la possibilité de prendre des mesures spécifiques pour protéger l'emploi local ou l'accès à la propriété foncière. La culture républicaine n'a pas suffisamment reconnu le concept de peuple d'outre-mer, consacré par les constitutions de 1946 et 1958. Votre texte, au contraire, fait passer la spécificité avant l'uniformité.

Les Polynésiens ont préféré la République à l'indépendance. Pour la première fois, le nom de la Polynésie française est inscrit dans le corps de la Constitution, affichant ainsi aux yeux de la communauté internationale la volonté des Polynésiens de rester Français. Mais c'est aussi un gage de stabilité pour les investisseurs.

Certes, ce choix ne va pas dans le sens de l'Histoire, mais il appartient aux Polynésiens, et notre projet de loi l'exprime parfaitement.

Enfin, le désir d'autonomie a souvent été assimilé, à tort, à de l'indépendantisme, voire à un nationalisme exacerbé. Que de joutes avant de pouvoir comprendre ce mouvement, grâce aux lois statutaires de 1984, puis de 1996. Aujourd'hui, il entre dans la Constitution.

La réussite de l'autonomie repose sur trois piliers : un statut flexible, une équipe gouvernementale compétente et soudée, et surtout un bon leader. C'est grâce aux capacités visionnaires de notre président-sénateur que la Polynésie a pu réussir la reconversion économique de l'après-Centre d'expérimentation du Pacifique.

Mais ce succès a également été possible grâce au soutien de l'Etat, et je remercie à ce titre M. le Président de la République, M. le Premier ministre, MM. les ministres et Mme la ministre de l'outre-mer.

Il faut également saluer le sens des responsabilités des élus qui surent utiliser à bon escient les deniers publics, prévenir la rupture de la continuité territoriale, et créer, avant la métropole, la CMU. Rendons grâce, enfin, aux Polynésiens eux-mêmes qui se prennent en main pour accéder à l'emploi et au logement grâce à des mesures publiques d'accompagnement.

L'autonomie quoique encore fragile apparaît alors comme une variante de la décentralisation, qui pourrait servir d'expérimentation.

Pour toutes ces raisons, nous approuvons votre projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Camille de Rocca Serra - Il y a, dans l'histoire de la France, des années particulièrement importantes : l'année 2002 en est une.

Durant des siècles, notre pays n'a vécu que sur une organisation institutionnelle centralisée que même la Révolution n'a pas ébranlée.

A la fin des années 1960, aux prémices de l'Europe, seul Charles de Gaulle avait compris que le centralisme d'un Etat omnipotent ne correspondait plus aux réalités modernes. Il avait eu raison trop tôt. La France n'était pas prête.

Elle ne l'était pas davantage en 1982 lorsque fut engagée la réforme de M. Gaston Defferre, qui n'alla jamais jusqu'à son terme.

Jacques Chirac, afin de moderniser la France et renforcer la démocratie, a engagé une réforme capitale qui restera dans l'histoire. Jean-Pierre Raffarin a voulu, quant à lui, conduire cette réforme selon une méthode nouvelle.

Ainsi, l'Etat n'impose plus ses vues, mais s'appuiera sur les espérances et les craintes de tous ceux touchés par la réforme, qu'ils soient élus ou simples citoyens : espérance d'un vrai pouvoir local, partenaire de l'Etat et responsable de l'avenir des collectivités qu'il administre librement ; espérance d'un Etat allégé dans ses tâches et renforcé dans ses missions essentielles pour garantir à tous l'égalité, la solidarité, la sécurité, la liberté et le développement durable ; crainte d'une décentralisation en trompe-l'_il, avec des compétences limitées, et une insuffisance de moyens.

La Corse a fait l'expérience de ces réformes politiquement audacieuses, mais en réalité, imparfaites et frileuses. Rappelons les recettes aléatoires tirées de taxes portant sur des produits dont on veut limiter la consommation, ou bien que le Gouvernement supprime unilatéralement sans accorder de contrepartie suffisante. Rappelons ces compétences que l'Etat a transférées dans des domaines où il s'était financièrement désengagé et où, pourtant, les besoins étaient considérables...

La Corse a aussi vécu le risque d'une expérimentation que d'aucuns n'hésitaient pas à lui faire prendre alors qu'ils le refusent aujourd'hui aux autres régions.

M. René Dosière - Pour faire en Corse ce que voulait Jospin, et que veut aussi l'actuel ministre de l'intérieur !

M. Camille de Rocca Serra - Les réformes que vous envisagiez ne donnaient pas la sécurité juridique nécessaire ! C'était l'aventure !

M. René Dosière - Dites-le à M. Sarkozy !

M. Camille de Rocca Serra - Dans une France modernisée, dans une République refondée, la Corse ne pourra que retrouver sa place et tenir son rang. Il faut, pour cela, avoir le courage de réformer l'Etat et, en un mot, voir plus grand et plus loin.

Que de sang versé, que de larmes, que de temps perdu, que de gâchis auraient été évités si notre pays, que les Corses ont contribué à bâtir avait su, plus tôt, donner à l'organisation des pouvoirs sa forme moderne, indispensable !

Aujourd'hui, les Corses n'aspirent qu'à vivre et travailler dans la sérénité. Ils ne veulent plus craindre pour leur avenir au sein de la République. La réforme constitutionnelle leur donne plus de garanties, mais des interrogations demeurent, auxquelles, j'en suis certain, le Gouvernement répondra dans la loi organique. Que mon appel soit entendu : c'est celui d'un représentant d'hommes et de femmes blessés, lassés, inquiets, mais qui ont encore confiance dans leur pays, la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Hunault - Ce projet traduit l'engagement du Président de la République, qui avait souligné la nécessité de réviser notre Constitution pour garantir un nouvel équilibre entre l'Etat et les collectivités territoriales. J'insiste sur le fait que voter ce texte, ce n'est pas s'attaquer au principe de l'indivisibilité de la République, auquel nous sommes, nous aussi, attachés, mais donner aux collectivités territoriales plus de liberté et, partant, plus d'efficacité. Tous, nous avons condamné la lourdeur du processus de décision et tous, nous avons déploré l'impuissance de l'Etat. Comment, dans ces conditions, pourrions-nous refuser un projet qui s'inspire très largement de travaux parlementaires, qu'il s'agisse du rapport Mauroy-Delevoye ou de la proposition Méhaignerie - que le groupe socialiste a adoptée en juin 2000 ? Comment ne pas relever l'incohérence de nos collègues de gauche ? Quant à nous donner des leçons après avoir refusé les lois de programmation... Et que dire de la Corse ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Il est normal que des inquiétudes se manifestent, et il reviendra au rapporteur de les lever, et à la loi organique de préciser le contenu de la réforme dont les principes auront été posés.

Quant aux expérimentations, elles existent déjà, en matière de transport ferroviaire notamment, et ce sont des réussites. La nouvelle étape, indispensable, de la décentralisation permettra une meilleure organisation territoriale ; elle devra aussi permettre de clarifier les compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Je tiens à saluer la démarche du Gouvernement qui, en réunissant les assises des libertés locales, a suscité un débat réel, et un afflux de propositions.

Enfin, une décentralisation réussie suppose une réforme de la fiscalité locale : de quelle autonomie véritable bénéficient des régions qui trouvent les deux tiers de leurs ressources dans les dotations de l'Etat ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

D'une liberté d'initiative plus grande, les collectivités locales gagneront en responsabilité et donc en efficacité. La France en sera renforcée, tout comme le pacte républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bruno Bourg-Broc - A la lecture de ce texte, et après avoir entendu les déclarations du Gouvernement, la première chose qui me vient à l'esprit c'est : « enfin » ! Enfin, un gouvernement qui fait de la décentralisation une priorité, enfin un texte qui affiche la volonté de changement que nous attendions depuis si longtemps !

Après les innombrables colloques auxquels nous avons tous participé, après les très nombreux ouvrages, rapports et articles publiés, personne ne doutait plus que l'organisation institutionnelle de notre pays appelait une réforme de fond.

Depuis dix ans au moins, les maux sont répertoriés : multiplication et opacité des niveaux de décision et de financement ; fiscalité locale et dotations publiques injustes et déséquilibrées ; mécanismes de solidarité territoriale insuffisants ; enfin, appareil d'Etat inadapté.

Pour autant, personne ne songe plus à remettre en cause ce que les Français considèrent comme un acquis irréversible.

Trois convictions font l'unanimité, dont la première est que la décentralisation, victime de son succès, a perdu en efficacité, en transparence et en proximité. La seconde est qu'il existe dans le pays une demande pressante de participation et de responsabilité.

La dernière est que la proximité est une garantie de meilleur gouvernement, de « meilleure gouvernance ».

Ces dernières années, nous avons donc espéré une réforme, mais nous n'avons eu que des retouches. C'est qu'il manquait la volonté, et peut-être aussi le courage d'ouvrir le chantier.

En s'engageant sur cette voie, le Gouvernement démontre qu'il a les deux. Je m'en réjouis.

Son objectif est de relancer une décentralisation en panne, selon des orientations claires. Nous avons trop souffert de décisions contradictoires et de mesures incohérentes pour ne pas nous féliciter que le Gouvernement ait choisi de procéder méthodiquement, en fixant les grands principes avant d'entrer dans le détail. C'est une démarche de bon sens !

Sur le fond, il n'y a ni surprise, ni révolution, et les principes retenus sont conformes aux attentes de la très grande majorité des acteurs de la décentralisation, puisqu'il s'agit de l'affirmation de l'autonomie fiscale, de la péréquation, de la reconnaissance de la région, de la participation accrue des citoyens à la vie locale et du transfert de ressources correspondant au transfert de charges.

Voilà ce que, toutes tendances confondues, nous demandions depuis bien longtemps.

Quant au droit à l'expérimentation, c'est, là encore, une réponse de bon sens à la diversité de notre territoire. Les élus qui ne cessent de dénoncer les décisions prises unilatéralement à Paris ou à Bruxelles, sans considération des spécificités locales, devraient trouver là l'instrument dont ils ont besoin. Si le cadre est tracé, si la loi donne la direction, je n'y vois aucun danger pour l'unité républicaine.

Mais, pour aboutir, la réforme ne doit pas passer outre plusieurs problèmes importants. En premier lieu, la commune doit demeurer la cellule de base de la démocratie française. Elle ne doit donc être exclue ni de la distribution à venir de compétences nouvelles ni du bénéfice du droit à l'expérimentation. Le renforcement des régions ne doit donc pas se faire à leur détriment, par l'instauration d'une tutelle de fait. Au demeurant, les communes peuvent décider d'une intercommunalité, notion dont je déplore qu'elle ne figure pas dans le texte.

La deuxième difficulté tient à l'inégalité de ressources et de charges entre les collectivités. L'amplitude actuelle des disparités n'est pas acceptable et si nous voulons qu'un citoyen soit d'abord Français avant d'être Champenois ou Breton, l'Etat doit engager un effort sans précédent de solidarité territoriale (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Ma troisième préoccupation a trait à l'équilibre territorial qui, précaire et fragile, ne peut résulter que de la volonté publique : volonté de lutter contre la concentration des services publics dans les grandes agglomérations ; volonté de poursuivre l'effort de désenclavement ; volonté de mener une politique d'aménagement du territoire à la fois ambitieuse et déterminée. Ne l'oublions pas, le problème de la péréquation n'est pas seulement d'ordre financier.

Ma quatrième préoccupation est relative à l'organisation institutionnelle. Les processus de décisions et de financements publics ont atteint une complexité qui les rend incompréhensibles. Nous devons rationaliser les procédures, simplifier l'exercice quotidien du pouvoir décentralisé.

Ma cinquième préoccupation tient à la forme de l'Etat dans une France décentralisée. La décentralisation ne sera vraiment achevée que lorsque l'Etat aura lui-même conduit sa transformation. Il y a encore beaucoup à faire. Un point tient particulièrement à c_ur aux maires : il faut faciliter le passage entre fonctions publiques d'Etat et territoriale.

Enfin, je suis de ceux qui pensent que la rédaction actuelle de l'article 3 du projet ne correspond pas à l'esprit de la Constitution (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UMP).

Loin de moi l'idée de remettre en cause le bicamérisme, mais l'Assemblée est bien celle qui vote la loi en dernier lieu. L'équilibre voulu par les constituants n'est pas le fruit du hasard, gardons-nous de le remettre en cause ! (Mêmes mouvements)

Voilà une réforme attendue, nécessaire et bien engagée. Mais au-delà des principes fondateurs auxquels nous souscrivons, il faudra demain se pencher sur la technique. Le plus dur est à venir (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean-François Mancel - Ce projet sera le socle fondateur de la nouvelle phase de décentralisation qu'a souhaitée le Président de la République et que le Premier ministre a pris activement en charge.

C'est, de la part du Gouvernement, une attitude courageuse car les résultats positifs ne se feront sentir qu'à long terme alors que les interrogations, les doutes, les craintes, les criailleries peupleront à court terme, l'univers politique et médiatique.

Cette réforme est indispensable. Elle n'est pas un joujou pour experts, élus nationaux et locaux mais le moyen d'améliorer le service public pour le citoyen tout en réduisant la charge du contribuable.

M. André Chassaigne - On verra le résultat...

M. Jean-François Mancel - Cette réforme se confond avec celle de l'Etat et doit s'appuyer sur deux principes fondamentaux : plus d'efficacité et plus de démocratie.

Il nous faut d'abord répondre simplement et clairement à la double question : qui fait quoi, qui paye quoi ?

Pour emprunter une formule à notre Président, je dirai que le bazar n'est sans doute pas pour demain, mais pour aujourd'hui : imbrication des compétences, confusion des responsabilités, croisements des financements font le nid de l'inefficacité, de l'irresponsabilité et du manque de démocratie.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Tout à fait !

M. Jean-François Mancel - Comme l'a dit le Premier ministre, les contrats de plan, qui partaient d'une bonne idée, sont devenus l'illustration de ces maux.

M. Jean-Luc Warsmann - Absolument !

M. Jean-François Mancel - Ce projet l'annonce, il nous faudra ensuite, avec courage, régler les problèmes de financement. Le système fiscal local est inégal et injuste, mais jusqu'à maintenant, nous ne sommes pas parvenus à le réformer. Pire, les systèmes de compensation aggravent les inégalités et les dotations de l'Etat, comme l'illisibilité de l'impôt, poussent à l'augmentation de la fiscalité locale. Si la décentralisation aboutissait à la hausse systématique de la fiscalité locale, elle y perdrait toute crédibilité. Or, si nous voulons que les élus locaux aient à c_ur de tenir leur fiscalité, il faudrait récompenser ceux qui maîtrisent leurs dépenses plutôt qu'encourager ceux qui les augmentent et même s'il est vrai que ces cinq dernières années des lois mal conçues, voire scélérates, les y ont contraints.

Enfin, il n'y aura ni réforme de l'Etat, ni décentralisation réussie sans une réforme des fonctions publiques. Certes, il faut l'accomplir avec les fonctionnaires et pas contre eux mais la crainte des résistances ne doit pas nous conduire à l'inaction. Les statuts sont dépassés, les grilles indiciaires obsolètes, l'hermétisme des corps inadaptés. Il faut favoriser le passage entre la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale.

Le Gouvernement s'est engagé courageusement dans la voie de la réforme, il nous trouvera fidèlement à ses côtés pour l'approuver mais aussi pour faire des propositions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Certains avaient laissé entendre qu'il n'y avait pas de débat sur cette réforme constitutionnelle. Cette longue discussion générale montre que cette crainte était sans fondement.

Vous avez été nombreux à relever que la méthode n'est pas la même qu'en 1982-1983. Certes, les conditions historiques ont changé, mais la réforme Defferre ne fut pas un modèle de concertation et de dialogue avec les collectivités locales. M. Bignon a eu raison de souligner que les assises des libertés locales ont été l'occasion d'une vraie discussion dans les régions, grâce à laquelle ceux qui le voulaient ont pu apporter leur contribution à un débat important pour l'avenir du pays et de ses territoires. On est donc loin de la parodie de concertation qu'a cru devoir dénoncer M. Derosier.

Je l'ai dit, cette réforme ne se traduit pas par une remise en cause du rôle de l'Etat et de l'unité de la République, bien au contraire ! M. Albertini l'a justement rappelé et je ne partage pas le point de vue caricatural de M. Balligand.

Oui, cette réforme doit être le levier de celle de l'Etat, à laquelle on sait mon attachement. Dès 2003, la décentralisation sera aussi l'occasion de réformer l'Etat, ce que nous n'avons pas plus les uns que les autres réussi à faire jusqu'à présent. C'est un souci que vous êtes nombreux à partager, en particulier MM. Alain Gest et René André.

Oui, ce texte libérera les énergies, comme l'a dit le Premier ministre et comme l'ont rappelé avec force Marc-Philippe Daubresse et Anne-Marie Comparini.

M. Bourdouleix a évoqué l'intercommunalité. Si le Gouvernement n'a pas souhaité faire dans la Constitution une place aux EPIC, au même titre que les communes, les départements et les régions, c'est que ces structures ne sont pas encore stabilisées. En revanche, j'ai accepté volontiers la suggestion du Sénat que les structures intercommunales soient susceptibles de porter des expérimentations. C'est bien une façon de reconnaître leur existence.

M. Dord a souligné notre volonté décentralisatrice, je l'en remercie.

J'ai bien entendu l'intervention de M. Bonrepaux et celle, caricaturale, de M. Montebourg, dont je salue d'ailleurs à cet instant la place vide puisqu'il a tout à l'heure fustigé l'absence d'un président de commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Si je puis me permettre de lui donner un conseil, je lui dirai qu'il ne faut jamais insulter l'avenir et qu'il gagnerait à plus de modération dans l'expression.

Plusieurs d'entre vous ont insisté sur l'autonomie financière des collectivités, point-clé en effet de la réforme. Je remercie M. Carrez d'avoir souligné la nécessité d'une réforme concomitante de notre fiscalité locale, laquelle a en effet vieilli et n'offre plus les souplesses indispensables. Si nous ne la réformions pas, nous ne pourrions pas satisfaire entièrement l'appétit de décentralisation qui se fait jour. Nous devrons faire preuve d'imagination.

Je partage les préoccupations exprimées par MM. Blessig et Geoffroy sur les transferts de compétences. Ceux-ci s'accompagneront bien des transferts de ressources correspondants. J'indique à M. d'Aubert que nous en examinerons plus en détail les modalités pratiques dans la loi organique et les lois ordinaires à venir. Nous veillerons à éviter toute dérive financière, je rassure M. Mariton sur ce point.

MM. Victoria, Thien-Ah-Koon et Audifax ont bien sûr traité de l'outre-mer. Ma collègue, Mme Girardin, développera en détail ces points ultérieurement dans le débat. M. Victoria a rappelé l'attachement viscéral de La Réunion à la République, je le comprends, moi qui suis aussi très attaché à l'outre-mer que j'ai appris à connaître et à aimer dans d'anciennes fonctions. Et sur ce point, je puis le rassurer : ce projet garantit à l'île et à sa population un ancrage sans précédent au sein de la République. M. Thien-Ah-Koon s'est exprimé avec la même force et la même sincérité pour défendre le statut départemental de La Réunion. Je me permets de lui faire observer qu'avec le nouvel article 72-4, il ne sera plus possible de modifier le statut de l'île par une simple loi ordinaire et qu'il faudra de toute façon recueillir le consentement de la population. Ce texte donne en fait aux collectivités d'outre-mer la clé de leur avenir, tel est bien ce qu'elles souhaitent.

M. Geoffroy a eu raison de déplorer la fausse querelle nourrie par la gauche su sujet du Sénat. Ce texte qui, comme toute réforme constitutionnelle devra être adopté en des termes identiques par les deux chambres, sera l'occasion d'un travail approfondi sur leurs relations. Des amendements ont été déposés, nous en discuterons le moment venu, mais je suis convaincu que nous parviendrons à un dispositif pertinent, permettant à la Haute assemblée d'examiner en premier certains textes bien spécifiques sans nullement porter atteinte à l'équilibre du bicamérisme issu de la Constitution de 1958.

M. Renucci a exprimé sa sensibilité d'élu de Corse et fait part de certaines inquiétudes. Il a souligné l'intérêt que présenterait pour son île l'obtention d'un statut particulier.

Je partage la conception de M. André sur le rôle de l'Etat dans la République. Et si d'ailleurs je n'étais pas convaincu de son rôle essentiel, je ne défendrai pas ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Dans le contexte international actuel où se construit l'Europe élargie et se met en place une économie largement mondialisée, il est indispensable que l'Etat assume ses missions régaliennes. Et l'action de ce Gouvernement depuis juin dernier est la preuve, si besoin était, que nous avons bien l'intention de privilégier les missions régaliennes...

M. Augustin Bonrepaux - Et surtout de favoriser les plus riches !

Mme Ségolène Royal - Et de ne rien donner à l'Education nationale !

M. le Garde des Sceaux -... missions régaliennes que la gauche, elles, avait délaissées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Plusieurs d'entre vous ont abordé la question de l'intercommunalité. Je suis convaincu que celle-ci transformera profondément notre organisation territoriale. Sa mise en place a aussi montré tout l'intérêt des expérimentations (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) puisqu'il existe pour les groupements des compétences obligatoires et d'autres facultatives.

Je salue la force avec laquelle M. Buillard a rappelé l'attachement de la Polynésie française à la République. L'autonomie des collectivités que ce projet se propose de renforcer correspond bien à la situation concrète de ce territoire d'outre-mer.

M. de Rocca Serra a évoqué, après M. Giacobbi, la situation particulière de la Corse, regrettant que celle-ci ne bénéficie pas d'un statut assez particulier. Je lui fais observer que le nouvel article 72 permettra à toutes les collectivités qui le souhaitent, et donc à la Corse si tel est son souhait, d'adopter un statut particulier. Il appartiendra à la loi de faire éventuellement évoluer ce statut, étant entendu qu'il sera soumis à référendum. Celui-ci ne sera certes que consultatif mais le Gouvernement et le Parlement ne pourront qu'en tenir le plus grand compte. La future loi organique et les lois ordinaires qui suivront préciseront ces points.

M. Hunault a insisté sur la nécessité de mobiliser les énergies, je l'en remercie.

Je partage l'opinion exprimée par M. Bourg-Broc sur la péréquation. La décentralisation, ce n'est pas le chacun pour soi mais bien au contraire une gestion plus proche et plus efficace des territoires et des services publics. La péréquation des ressources est donc tout aussi indispensable que la réforme de l'Etat.

M. Mancel a lui aussi abordé la question de la péréquation. Je suis d'accord avec lui, elle devra se fonder sur des critères objectifs et enclencher un cercle vertueux en incitant à une bonne gestion et à la modération fiscale.

Notre réforme est fondée sur une vision pragmatique des choses. Et bien entendu la réforme constitutionnelle d'aujourd'hui, accompagnée par un débat dans les régions, débouchera sur une loi organique ou une loi ordinaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce matin, jeudi 21 novembre,
à 9 heures.

La séance est levée à 0 heure 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 21 NOVEMBRE 2002

A NEUF HEURES :1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat (n° 369), relatif à l'organisation décentralisée de la République.

M. Pascal CLÉMENT, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

(Rapport n° 376)

M. Pierre MÉHAIGNERIE, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

(Avis n° 377)

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance

A VINGT ET UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

    www.assemblee-nationale.fr


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