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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 29ème jour de séance, 75ème séance

1ère SÉANCE DU VENDREDI 22 NOVEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
      DE LA RÉPUBLIQUE (suite) 2

      ART. 3 (suite) 5

La séance est ouverte à neuf heures trente.

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République.

M. le Président - Je suis saisi de plusieurs demandes de rappels au Règlement.

M. René Dosière - Ce rappel au Règlement se fonde sur l'article 58, alinéa premier.

Nous avons terminé la séance, cette nuit, à une heure et demie. Nous discutions de l'article 3, qui tend à réduire les pouvoirs de l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct et dépositaire de la souveraineté nationale, au profit de la seconde assemblée, élue au suffrage indirect.

La discussion fut incomplète, car nous n'avons pas entendu, sur un article aussi important, le point de vue du Gouvernement. Les ministres devraient nous expliquer pourquoi le Gouvernement a rédigé et présenté un tel article.

Compte tenu du rôle du Président de l'Assemblée nationale, nous avons souhaité, en second lieu, que M. Jean-Louis Debré puisse nous faire part de son sentiment sur cet abaissement de l'Assemblée. Nous avons souhaité également que la commission des lois auditionne les anciens présidents de l'Assemblée nationale pour qu'ils nous donnent leur avis sur un article que certains d'entre nous ont qualifié de « scélérat », et dont j'ai dit, pour ma part, qu'il était un « coup d'Etat constitutionnel ». J'observe d'ailleurs avec beaucoup de tristesse que, sur certains bancs de l'hémicycle, on a évoqué le nom de Jacques Chaban-Delmas, respecté de tous, et qui est décédé.

Il est important que la suite de la discussion puisse se faire dans la dignité - je le dis pour ceux qui se sont moqués de nos interventions et des procédés que nous avons utilisés pour défendre les pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Brard - Mon rappel au Règlement se fonde sur le même article.

Je m'étonne, tout d'abord, que l'amendement Vannson ait disparu de la liste alors qu'il n'a pas été appelé hier soir.

M. Jean-Luc Warsmann - Il a été appelé.

M. Jean-Pierre Brard - Je comprends qu'à cette heure tardive, vous ayez eu des hallucinations, mais l'amendement n'a pas été appelé. M. le président nous donnera son sentiment.

Le déroulement de nos travaux est invraisemblable. Nous avons entendu M. de Courson, M. Myard, M. Clément, M. Méhaignerie qui - sur un mode incisif pour M. Clément, sur un mode plutôt fraternel pour M. Méhaignerie - ont dit sur l'article 3 la même chose que nous, qui siégeons dans l'opposition. Face à cette situation grave, Monsieur le ministre, votre mutisme est incompréhensible. Comment pouvez-vous laisser l'Assemblée dans l'ignorance de vos intentions ? Ou bien elles sont pures, et vous pouvez les afficher, ou bien elles sont inavouables et nous comprenons votre silence. Mais nous avons besoin de savoir !

Je vous interroge donc sur ces deux points, Monsieur le président, tout en sachant que vous n'avez pas le pouvoir de forcer le Gouvernement à s'exprimer.

M. Didier Migaud - Je voudrais faire un rappel au Règlement, fondé sur l'article 58 alinéa 1, afin de protester solennellement contre les conditions dans lesquelles s'est déroulée la séance de cette nuit. La présidence nous a à plusieurs reprises refusé des demandes de suspension pour réunir notre groupe.

Plusieurs députés UMP - Ce n'est pas vrai !

M. Guy Geoffroy - C'est l'arroseur arrosé !

M. Didier Migaud - Nous avons dû également constater que le nombre des suffrages exprimés contre les amendements de suppression était supérieur au double des députés de la majorité présents.

M. Jean-Luc Warsmann - Que ne l'avez-vous dit hier soir !

M. Didier Migaud - Nous l'avons dit, et nous en sommes amenés à douter de la régularité du vote !

M. Jean-Luc Warsmann - Quelle honte ! Il faut accepter d'être minoritaire !

M. Didier Migaud - A condition que les choses se passent dans des conditions régulières !

M. Jean-Luc Warsmann - Ce n'est pas un rappel au Règlement. Vous faites de l'obstruction.

M. Didier Migaud - Nous avons voté hier pour des amendements de suppression...

M. Jean-Luc Warsmann - L'Assemblée a voté contre !

M. Didier Migaud - Je m'exprime au nom du groupe socialiste, et nous avons dû voter sans avoir entendu le Gouvernement. Nous comprenons d'ailleurs son mutisme, tant la charge du président de la commission des lois a été violente ! Celui-ci a démontré, avec talent et conviction, combien l'article 3 était contraire à l'esprit des institutions de la Ve République.

Nous protestons aussi solennellement contre le fait que l'Assemblée nationale siège une fois de plus un vendredi, alors qu'il n'y a pas urgence. Lorsque le Sénat demande à ne pas siéger, il est entendu ! Nombre de nos collègues auraient souhaité être présents et en sont empêchés parce que des assises des libertés locales, organisées par le Gouvernement, se déroulent dans leurs départements ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Monsieur le président, cette remarque tient au déroulement de la séance !

M. Jean-Luc Warsmann - Monsieur le président, ce n'est pas sérieux !

M. Didier Migaud - N'est-il pas quelque peu surprenant, et cela ne méjuge en rien des qualités du Garde des Sceaux, que nous débattions de ce projet de loi de révision constitutionnelle sur les collectivités locales en l'absence du ministre de l'intérieur et des collectivités locales et en l'absence du ministre délégué chargé de collectivités locales ?

M. Jean-Luc Warsmann - Quelle image donnez-vous de l'Assemblée !

M. Didier Migaud - Cela témoigne d'un mépris vis-à-vis de l'Assemblée nationale ...

M. Jean-Luc Warsmann - Monsieur le président, nous n'avons pas à écouter les états d'âme de M. Migaud !

M. Didier Migaud - ...que nous tenions à relever.

M. le Président - La parole est à M. Chassaigne.

M. Jean-Luc Warsmann - Monsieur le président, appelez l'amendement 202 ! C'est cela l'ordre du jour prioritaire !

M. André Chassaigne - Mon rappel au Règlement est fondé sur l'article 58 deuxième alinéa. Je suis nouvel élu dans cet Assemblée...

M. Jean-Luc Warsmann - Vous n'en donnez pas une bonne image !

M. Guy Geoffroy - Vous vous coulez déjà dans le moule de l'obstruction !

M. André Chassaigne - ... et je voudrais dire à quel point j'ai été, cette nuit, scandalisé par le comportement des députés de la majorité.

M. Guy Geoffroy - C'est le vôtre qui a été scandaleux !

M. André Chassaigne - Nos interventions ont été réfléchies et dignes de l'importance du débat. Nous avons voulu éviter que vous passiez à la trappe une dimension fondamentale de notre Constitution... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) ... et on ne nous a répondu que par des vociférations encore pires que celles de ce matin !

M. Guy Geoffroy - Vous abusez !

M. André Chassaigne - Monsieur le président, nous devons vous dire...

M. Jean-Luc Warsmann - Monsieur le président, il est dix heures moins dix et nous n'avons pas commencé à travailler !

M. le Président - Monsieur Chassaigne, veuillez conclure s'il vous plaît.

M. André Chassaigne - Nous devons vous dire combien nous sommes scandalisés : cette nuit, j'ai sollicité au nom du groupe des députés communistes et républicains une suspension de séance. Vous nous avez accordé une suspension de deux minutes ! C'est absolument scandaleux. Je vous ai sollicité une seconde fois, et vous avez refusé la suspension.

M. Guy Geoffroy - Parce que vous en abusez !

M. André Chassaigne - Nous devons exprimer notre mécontentement face à de tels procédés.

M. Jean-Luc Warsmann - Quelle image donnez-vous de nos travaux ! Vous n'aviez déjà plus que 3 % d'électeurs et vous cherchez à les décourager !

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois - Je voudrais prendre la parole en tant que président de la commission des lois. Chacun a compris qu'il ne s'agit pas de rappels au Règlement, mais d'obstruction. M. Chassaigne a fondé son intervention sur l'article 58 alinéa 2, que je vais lui relire : « Si, manifestement, son intervention - celle du député - n'a aucun rapport avec le Règlement ou le déroulement de la séance, ou si elle tend à remettre en question l'ordre du jour fixé, le président lui retire la parole ». Monsieur le président, je vous demande d'appliquer strictement le Règlement. Quant aux suspensions de séance demandées pour réunir un groupe alors qu'il n'y a qu'un député présent...

M. André Chassaigne - Deux !

M. le Rapporteur - ...nous voyons que deux minutes suffisent amplement.

M. le Président - Monsieur Brard, n'étant pas amnésique, je puis vous assurer que l'amendement de M. Vannson a été appelé. J'ai appelé un amendement de M. Delattre qui n'a pas été défendu et que M. Vuilque a repris, puis j'ai appelé celui de M. Vannson.

En ce qui concerne votre seconde observation, j'ai laissé aux intervenants un temps de parole largement supérieur à ce qui était prévu afin que l'Assemblée soit suffisamment informée, compte tenu de l'importance du sujet. Cela a été le cas en particulier pour MM. Migaud et Balligand.

M. Jean-Pierre Brard - Il y eu en effet de la discrimination !

M. le Président - Vous avez ensuite multiplié les incidents de séance. Comme l'ont dit le Président de la République et le Président de l'Assemblée nationale, nos travaux se jugent certes sur les arguments échangés au fond, mais également sur la forme des débats. Il y a des limites à ne pas dépasser. Le président peut refuser des suspensions de séance lorsqu'elles deviennent répétitives et j'ai dû hier soir vous donner lecture de l'article 58 alinéa 2 parce que vos rappels au Règlement n'avaient plus rien à voir avec les débats.

M. Dosière a fait ce matin un véritable rappel au Règlement, et je donne la parole au Garde des Sceaux pour lui répondre.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Il est difficile de dire que le Gouvernement ne s'est pas exprimé sur l'article 3 alors que j'ai largement exposé sa position, tant dans mon discours introductif que dans mes réponses aux interventions générales. Nous souhaitons que le Sénat donne son avis au début des discussions portant sur les collectivités locales pour éclairer l'ensemble du Parlement. D'autres ont en effet dit bien avant moi que le Sénat était l'assemblée des communes de France.

La commission des lois et celle des finances ont travaillé sur cet article, et les rapporteurs ont exposé leurs conclusions hier soir. Le Gouvernement est totalement ouvert à la discussion, ainsi que je l'ai dit lors de la discussion générale. Commençons donc l'examen des amendements ! Je donnerai la position du Gouvernement au fur et à mesure de la discussion et nous travaillerons ensemble à améliorer la rédaction de cet article.

ART. 3 (suite)

M. le Président - Nous en venons à l'amendement 202, précédemment réservé, qui est en discussion commune avec le 201.

M. Jean-Pierre Brard - Avant d'exposer notre amendement 202, je voudrais dire qu'hier...

M. le Président - Veuillez vous exprimer sur votre amendement, Monsieur Brard, vous avez fait un rappel au Règlement tout à l'heure.

M. Jean-Pierre Brard - Hier, vous ne nous avez accordé que deux minutes de suspension alors que c'était la première que nous demandions ! On peut parler de discrimination ! (Rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

L'amendement 202 a été précédemment réservé, mais je n'étais pas au courant ! Souhaitiez-vous que nous commencions la discussion aujourd'hui avec cet amendement ?

M. Jean-Luc Warsmann - Il était hier sur la feuille jaune !

M. Jean-Pierre Brard - Je vous remercie de ce traitement de faveur...

Monsieur le ministre, l'homme a été doté de la faculté de parole. Ce n'est pas une raison pour parler sans rien dire ! Vous nous renvoyez aux propos que vous avez déjà tenus, mais vous n'avez jamais répondu à nos questions ! Même MM. de Courson et Myard n'ont pas été convaincus. Et l'opinion commence elle aussi à s'interroger ! Pourquoi tenez-vous tellement à cette prééminence absolue du Sénat ? Vous vous dirigez subrepticement vers l'article 25 de la Constitution de Napoléon III, résultant du coup d'Etat du 2 décembre !

L'article 3 introduit au bénéfice du Sénat un privilège contraire à l'esprit des institutions et dangereux pour l'équilibre de notre démocratie, quoique très prometteur en ce qui concerne l'enrichissement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous ne pouvons transformer celui-ci en troisième chambre qui deviendrait supérieure aux deux autres ! Cette disposition qui laisse perplexe n'ajoute rien à la décentralisation. A quoi bon l'instituer alors que le Gouvernement a déjà toute latitude pour procéder ainsi au coup par coup ? Cet article sans fondement politique ni juridique a son origine ailleurs que dans la recherche d'une « bonne gouvernance ». C'est un cadeau fait à la deuxième assemblée. Or, en politique, les cadeaux sans contrepartie n'existent pas. Sans doute l'auteur de ce cadeau espère-t-il gagner ainsi la reconnaissance des sénateurs, qui pourrait ensuite s'exprimer sous forme d'une élection à la présidence du Sénat. Le Premier ministre nous a dit avant-hier qu'il trouvait blessant un tel raisonnement. Loin de moi l'idée de le blesser ! Je voudrais simplement qu'il nous explique ses motivations réelles.

Nous n'avons rien contre la personne du Premier ministre. C'est pourquoi notre amendement 202 ne le vise pas personnellement mais désigne simplement « le Premier ministre en exercice ». Cet amendement, qui rassure chacun sur son avenir, rendrait superflu l'article 3. J'invite donc l'Assemblée à le voter.

M. le Président - Sur l'amendement 201, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Didier Migaud - La façon dont nos travaux se déroulent et dont la présidence est exercée ne contribue pas à la sérénité du débat.

M. Jean-Luc Warsmann - Cette mise en cause de la présidence est scandaleuse ! Surtout de votre part !

M. Didier Migaud - Nous ne comprenons pas ce qui motive le Gouvernement lorsqu'il propose cet article 3 qui donne priorité au Sénat pour un certain nombre de textes et qui, par conséquent, remet en cause l'équilibre des pouvoirs voulu par les constituants de 1958. Nous nous étonnons qu'il ait eu la plume aussi légère...

Le ministre nous dit qu'ainsi le Sénat pourra donner son avis, mais enfin la navette est faite pour cela !

La Constitution de 1958 a institué un bicaméralisme inégalitaire qui fait que l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, incarnation de la souveraineté nationale et garante de l'intérêt général, peut l'emporter sur le Sénat, dont les membres sont élus par des élus locaux. Nous respectons tout à fait le Sénat et son travail - sans quoi nous aurions présenté un amendement tendant à mettre fin au bicaméralisme - mais nous entendons rester dans l'esprit de 1958.

La préséance que donne l'article 3 au Sénat porterait atteinte au droit d'amendement de l'Assemblée...

M. Jean-Luc Warsmann - C'est faux !

M. Didier Migaud - Mais si, M. Méhaignerie et M. Clément l'ont écrit dans leur rapport, rejoignant ainsi une lecture du Conseil constitutionnel, et ont d'ailleurs présenté des amendements pour préserver ce droit d'amendement.

M. Jean-Luc Warsmann - Mais non, ils ne visent que les amendements du Gouvernement, pas ceux des députés !

M. Didier Migaud - La priorité d'examen donnée au Sénat pourrait bel et bien priver l'Assemblée de son droit de proposer une disposition totalement nouvelle, c'est-à-dire en l'occurrence qui n'aurait pas été préalablement débattue au Sénat...

M. le Président - Veuillez conclure !

M. Didier Migaud - Mais je suis sans cesse coupé par M. Warsmann.

Je ne vois pas d'autre justification à cet article qu'une certaine complaisance du Premier ministre envers ses anciens collègues sénateurs. C'est pourquoi, nous proposons, par l'amendement 201, d'écrire carrément que le Premier ministre en fonction en septembre 2004 deviendra de droit Président du Sénat. Compte tenu de l'actualité, il n'est d'ailleurs pas sûr que l'actuel Premier ministre sera toujours en poste en 2004...

M. Guy Geoffroy - Pourquoi ? Que se passe-t-il selon vous ?

M. Didier Migaud - Vous ne lisez pas les journaux ? Une grande partie de la France commence à protester, les agriculteurs, les transporteurs routiers... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Guy Geoffroy - Cela signe l'échec de votre politique !

M. Didier Migaud - Allons, soyez plus modestes, ce n'est pas par la prétention que l'on règle les problèmes !

M. le Président - Veuillez conclure !

M. Didier Migaud - Mais je suis sans cesse interrompu, ce qui m'oblige à répondre...

M. Robert Pandraud - Vous n'avez pas à répondre à vos collègues.

M. Didier Migaud - Par cet amendement, nous souhaitons donc qu'il soit fait droit aux légitimes ambitions du Premier ministre en fonction. Reconnaître ces ambitions n'a rien d'injurieux envers lui et je ne comprends donc pas la réaction de M. Raffarin à la question posée par M. Glavany.

Bien sûr, cet amendement risque de se heurter à l'opposition de M. Poncelet qui, c'est bien normal, souhaite sans doute rester à son poste après 2004...

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Brard - C'est un peu bref.

M. le Garde des Sceaux - Un tel amendement, sur lequel j'ai bien sûr un avis défavorable, ne me paraît pas de nature à donner une image très positive de nos débats, ni de l'Assemblée, et les insinuations qu'il recouvre me semblent insultantes à l'égard du Premier ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Ségolène Royal - Les mots dépassent sans doute votre pensée, Monsieur le Garde des Sceaux, car vous savez bien que notre amendement a surtout pour objectif d'obtenir des explications sur un article qui porte atteinte à la souveraineté populaire incarnée par l'Assemblée nationale. Les députés n'ont pas à se coucher devant ce coup de force institutionnel, cette usurpation de légitimité ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

La France étant un Etat unitaire, l'existence d'une seconde chambre n'y a aucune justification fonctionnelle. Si le Sénat a pu être appelé « grand conseil des communes de France », c'est uniquement pour excuser a posteriori la composition de son collège électoral, laquelle explique que la droite tienne cette deuxième chambre depuis toujours et que l'alternance y soit impossible.

Le Sénat n'est pas davantage, à l'instar de ce que des régimes d'Etats unitaires mais bicaméraux ont pu connaître, une seconde chambre établie à parité de pouvoirs et de légitimité démocratique pour garantir que l'exercice du pouvoir législatif ne soit pas concentré dans les mains d'une assemblée unique et pour que la loi, fruit de discussions itératives dans deux enceintes distinctes, soit plus mûrement réfléchie. Ce système, la France l'a connu sous le Directoire et l'Italie le pratique depuis 1947. Mais le Sénat français n'est pas cette chambre qui assure une élaboration plus sage de la loi. Lorsque la majorité de l'Assemblée nationale est à gauche, elle est la chambre de l'opposition systématique ; lorsque la droite est majoritaire à l'Assemblée nationale, elle fait chorus, trop heureuse, après une cure d'opposition, d'avoir à nouveau l'illusion de faire la loi.

En réalité, le Sénat de la Ve République est l'héritier du Sénat du Consulat, puis de l'Empire, que la Constitution de l'an VIII n'hésitait pas à qualifier de « Sénat conservateur ». Ce Sénat, rebaptisé Chambre des Pairs sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, puis à nouveau Sénat après le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, les monarchistes l'ont à nouveau imposé en 1875, contre le v_u des républicains, qui souhaitaient en revenir à la tradition monocamérale des deux premières Républiques.

M. Jean-Luc Warsmann - Pourquoi ne l'avez-vous pas supprimé ?

Mme Ségolène Royal - Parce qu'il faudrait son accord, vous le savez bien !

M. le Président - Veuillez conclure.

Mme Ségolène Royal - Ils souhaitaient en faire un instrument docile de la restauration monarchique qu'ils préparaient, pensant à la manière dont les Sénats de 1804 et 1852 avaient « proposé » par sénatus-consulte l'établissement, puis le rétablissement, de la dignité impériale. Les républicains, tenus au compromis en raison de leur faiblesse numérique, acceptèrent un pis-aller : on aurait un Sénat, mais élu au suffrage universel direct ; l'amendement voté provoqua la rébellion de la droite et c'est ainsi qu'au terme d'un ultime coup de force des forces conservatrices on en vint à l'élection par un collège où les petites communes auraient une écrasante majorité. C'est cela, le Sénat français: la survivance anachronique de l'ultime concession que les républicains de 1875 ont dû faire aux monarchistes pour sauver l'essentiel : la République.

En resterons-nous pour l'éternité à ce compromis d'un autre âge ? Pourquoi sommes-nous la seule démocratie au monde où une chambre qui ne représente pas le peuple, parce qu'elle en représente toujours la même fraction, fait la moitié du temps de l'obstruction à la volonté du suffrage universel ? Louis-Napoléon Bonaparte disait de son Sénat qu'il devait « remplir dans l'Etat le rôle indépendant, salutaire, conservateur, des anciens parlements » : son propos, dans sa brutalité réactionnaire, est toujours d'actualité.

Monsieur le ministre, nous avons posé hier des questions auxquelles vous n'avez pas répondu. Pourquoi tenez-vous à inscrire dans la Constitution la prééminence du Sénat ? Est-ce une bonne manière que le Premier ministre veut faire à la chambre dont il est issu ? Une réforme constitutionnelle est-elle faite pour assouvir ce type de caprice ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Allez-vous nous annoncer une réforme du Sénat ? On peut envisager une solution du type de celle retenue dans le projet référendaire du général de Gaulle en 1969...

M. le Président - Vous avez dépassé votre temps de parole.

Mme Ségolène Royal - J'en termine. Une autre solution serait l'élection des sénateurs au suffrage universel direct. Le Sénat doit se démocratiser, ou il disparaîtra (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. René Dosière - A propos du droit d'amendement, le président de la commission des finances a écrit des choses très précises aux pages 25 et 26 de son rapport. Puisque M. Warsmann a dit un peu n'importe quoi...

M. Jean-Luc Warsmann - Je ne vous permets pas de me mettre en cause ainsi !

M. René Dosière - ...je souhaiterais que M. Méhaignerie puisse nous exprimer oralement son avis.

Il souligne en particulier que la priorité donnée au Sénat pour les textes concernant les collectivités locales contredit la disposition autorisant chaque mois un groupe parlementaire à déposer une proposition de loi dans une fenêtre parlementaire.

M. Jean-Luc Warsmann - C'est faux ! L'article 3 ne concerne que les projets de loi !

L'amendement 202, mis aux voix, n'est pas adopté.

A la majorité de 33 voix contre 16 sur 49 votants et 49 suffrages exprimés, l'amendement 201 n'est pas adopté.

M. le Président - J'indique d'ores et déjà à l'Assemblée que, sur le vote de l'amendement 11 et de chacun des sous-amendements qui s'y rapportent, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. le Rapporteur - Si l'honnêteté intellectuelle existe dans ces travées, ce dont je ne doute pas un instant, l'amendement 11 mettra fin aux difficultés. En effet il a pour but de limiter la priorité d'examen du Sénat aux projets ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales. Le code général des collectivités territoriales entend par « organisation » le nom et les limites territoriales de la collectivité, ainsi que les règles relatives à ses organes et à ses actes. Pour le reste, le Gouvernement pourrait continuer à donner priorité d'examen à l'Assemblée nationale. Si cet amendement est adopté, l'obstruction n'aura plus lieu d'être, d'autant qu'il est de tradition depuis longtemps de faire examiner d'abord par le Sénat les textes concernant l'organisation des collectivités.

M. le Garde des Sceaux - Cet amendement qui réduit substantiellement la portée de l'article 3, a été longuement délibéré au sein de la commission des lois. Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. René Dosière - Comme membre de la commission des lois, je voudrais dire ma stupéfaction. L'histoire retiendra que c'est le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale qui a proposé un texte réduisant les pouvoirs de l'Assemblée nationale, cela alors même que le Président de l'Assemblée nationale s'appelait Jean-Louis Debré.

J'observe par ailleurs qu'on maintient la disposition selon laquelle la priorité d'examen est également accordée au Sénat pour les projet relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France. Sait-on que c'est un corps électoral de 120 personnes qui élit douze sénateurs, donc quatre tous les trois ans, et qu'il faut donc environ trente voix pour élire un sénateur pour neuf ans ? C'est véritablement scandaleux !

M. Francis Delattre - Cet amendement améliore quelque peu la rédaction initiale mais, Monsieur le Garde des Sceaux, si, dans celle-ci, la Nouvelle-Calédonie par exemple est évidemment concernée, en sera-t-il de même dans la nouvelle version ? Autrement dit, le projet de ratification des accords de Matignon aurait-il dû être soumis en priorité au Sénat si cette disposition constitutionnelle avait été en vigueur à l'époque ?

M. le Garde des Sceaux - La Nouvelle-Calédonie figure dans le titre XIII mais non dans le titre « Des collectivités territoriales ». Dès lors, sous réserve de vérification, je pense que l'article amendé ne s'appliquerait pas à des projets relatifs à ce territoire.

M. Didier Migaud - Quel culot !

M. André Chassaigne - Cet amendement confirme le bien-fondé des arguments que nous avons développés pour nous opposer à ce transfert de pouvoirs, de l'Assemblée au Sénat. Il semble en effet que nous soyons parvenus à ébranler le Gouvernement et la majorité de la commission des lois, de sorte que nous revivons maintenant moins le 18 Brumaire et le 2 décembre que la retraite de Russie ou le voyage à Canossa ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Guy Geoffroy - Pour vous, c'est en effet la Bérézina !

M. André Chassaigne - Cependant, l'amendement conservant l'expression « principal objet », le champ de l'article risque toujours de s'étendre à des projets traitant de sujets très divers, surtout après que nous aurons donné de nouvelles compétences aux collectivités. Le texte demeure donc dangereux et nous ne voterons par conséquent pas l'amendement.

M. Jean-Jack Queyranne - MM. Clément et Méhaignerie déploient des efforts méritoires pour tenter de limiter la portée de cet article mais l'amendement 11 n'empêchera pas que l'interprétation de cet article soit source de contentieux devant le Conseil constitutionnel. Dans son excellent rapport, le président de la commission des lois du Sénat, M. Garrec, ne note-t-il pas qu'une telle disposition « risque de soulever des difficultés dans sa mise en _uvre. Il sera en effet peut-être délicat de définir quels sont les « projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités locales, leurs compétences ou leurs ressources ».

M. le Rapporteur - Nous avons enlevé cela !

M. Jean-Jack Queyranne - Oui, mais il ajoute que, « s'agissant d'une règle de procédure dont la méconnaissance entraînerait la censure du texte, cette incertitude risque d'alimenter un important contentieux et de confier, en définitive, au Conseil constitutionnel le soin de définir cette catégorie de lois. Il s'agira donc, à travers la pratique et la jurisprudence constitutionnelle, de définir cette notion de projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités locales, leurs compétences ou leurs ressources... » Certes, il se référait au texte initial de l'article mais le Gouvernement, même avec la nouvelle version, donnera priorité au Sénat pour ne pas encourir la censure du juge constitutionnel. Le Président Clément ne nous permet donc pas de sortir du piège dans lequel le Gouvernement a voulu enfermer l'Assemblée et le risque de dépossession, même atténué, demeure comme le prouve l'embarras du Garde des Sceaux à propos de la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci figure bien dans le titre XIII mais elle se trouve également, en raison de l'amendement du Sénat, dans le titre relatif aux collectivités territoriales. Lequel de ces titres l'emportera ? Nous ne sommes pas en état d'en décider aujourd'hui et c'est donc le Conseil constitutionnel qui tranchera !

D'autre part, dire « organisation », c'est dire mode de scrutin des assemblées locales et modalités de la coopération intercommunale. Or croyez-vous que le Sénat, saisi d'un texte sur ce dernier sujet, fera le même travail que nous sur les lois de 1992 et de 1999 ? En l'espèce, il aurait désossé ces projets au nom de l'intérêt bien compris des collectivités territoriales, car il n'accepte de progrès en ces matières que s'il est aiguillonné par une Assemblée plus consciente de la nécessité de moderniser la représentation politique.

L'amendement ne fait donc rien avancer : ces dispositions, comme le craint M. Brard, feront du Conseil constitutionnel la troisième assemblée de la République, décidant du sort des collectivités. Ce n'est pas ce que nous voulons !

M. le Rapporteur - Professeur de droit public, vous êtes en mesure de comprendre ce que je dis, mais je vais répéter mon propos, ce qui permettra en outre d'éclairer les juges le cas échéant.

La commission souhaite réduire la priorité du Sénat aux textes relatifs à l'organisation des collectivités. Vous jugez l'amendement flou mais le code général des collectivités est parfaitement clair : l'organisation ne recouvre pas les modes de scrutin, qui figurent d'ailleurs dans le code électoral, mais seulement le nom, les limites territoriales, les organes et les actes des collectivités.

Le Conseil d'Etat, se reportant à nos travaux préparatoires, constatera que nous avons entendu nous fonder sur ce code général des collectivités et il ne pourra donc y avoir de contentieux.

Le projet se borne à faire coïncider le droit et la pratique puisque, déjà, par courtoisie, les gouvernements déposaient déjà cette catégorie de textes d'abord sur le bureau du Sénat. Il est vrai que celui-ci était demandeur d'une telle disposition constitutionnelle mais, prenant en compte cette demande, nous lui donnons une réponse qui ne met pas en péril l'Assemblée issue du suffrage universel direct. Votre allégation selon laquelle nous remettrions en cause la Ve République n'est donc pas crédible. Quant aux deux ou trois objections qui pourraient demeurer, les propositions de la commission des finances permettront de les lever.

M. le Garde des Sceaux - La Constitution a toujours clairement séparé les règles d'organisation et de fonctionnement des collectivités, d'une part, et le régime électoral, d'autre part. C'est notamment le cas s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, compte tenu de la révision constitutionnelle récente. Le terme « organisation » ne recouvre donc pas les régimes électoraux, Monsieur Queyranne.

M. Guy Geoffroy - Très bien !

Mme Ségolène Royal - Nous nous félicitons de l'effort qui est fait pour nous répondre, mais nous ne comprenons toujours pas très bien pourquoi le Gouvernement s'obstine à inscrire cette disposition dans la Constitution alors qu'il est maître de l'ordre du jour des assemblées et peut donc à tout moment choisir de saisir le Sénat en première lecture. Nous ne savons pas non plus ce qu'il adviendrait au cas où le Sénat adopterait une motion d'irrecevabilité : comme celui-ci n'aurait pas examiné le texte, le Conseil constitutionnel devrait-il faire respecter l'esprit et la lettre de la Constitution et demander que le texte soit examiné en première lecture à l'Assemblée ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Méhaignerie, président et rapporteur pour avis de la commission des finances - C'est inconcevable ! Avançons !

Mme Ségolène Royal - Vociférer est toujours signe de faiblesse. Et nous savons que nombre d'entre vous sont scandalisés par cet article...

M. Francis Delattre - En effet !

M. Guy Geoffroy - Un seul l'est !

Mme Ségolène Royal - Nous sommes également désolés que le président de la commission des lois, autorité morale au sein de cette Assemblée, au lieu de défendre le pouvoir législatif de la chambre élue au suffrage direct, défende la prééminence du Sénat. Compte tenu de la gravité du sujet et de l'absence de réponse du Gouvernement à nos questions pourtant très simples, je demande une suspension de séance.

M. Jean-Luc Warsmann - Quelle tristesse de voir un ancien ministre de la République agir ainsi !

M. le Garde des Sceaux - J'ai tout mon week-end, ce n'est pas un problème... Je veux toutefois vous répondre sur un point, Madame, bien que le président Clément l'ait déjà fait. Si un texte déposé au Sénat fait l'objet d'une motion d'irrecevabilité - et le droit parlementaire est clair sur ce point - le Gouvernement transmet le texte à l'Assemblée nationale, et le processus parlementaire n'est absolument pas interrompu. Votre question est très importante, et serait très grave si la réponse n'était pas celle-là. Mais elle est claire, et une telle situation s'est du reste déjà présentée.

M. le Rapporteur pour avis - Depuis quelques heures, j'écoute silencieusement ce débat, et je ne puis cacher une profonde déception, sur la forme et sur le fond. Sur la forme : je veux dénoncer cette obstruction, alors que nous ne parvenons même pas à examiner des amendements qui sont au c_ur du débat. Sur le fond : nous avons travaillé, toutes familles politiques confondues, à l'Institut de la décentralisation et en d'autres lieux, et nous avons dégagé de très larges consensus sur des principes et des orientations qui se retrouvent dans ce projet. Et ici, que constatons-nous ? Des grands mots, de l'emphase, un manque d'humilité, des références historiques qui frisent le ridicule, le rejet systématique de tous les articles... Cela cache mal un immobilisme profond de l'opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je souhaite vraiment, moi qui n'ai jamais pratiqué l'obstruction dans cet hémicycle, que nous revenions à la discussion de fond. D'autant qu'il y a des articles - notamment l'article 6 - qui méritent assurément un vrai débat. Pour l'instant nous sommes dans de faux débats, et nous accordons à cet article 3 une passion qu'il ne mérite pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 10 heures 50 est reprise à 11 heures.

M. le Rapporteur pour avis - La commission des finances a travaillé en étroite collaboration avec la commission des lois. Nous avons présenté trois types d'amendements : l'un concerne le droit d'amendement, l'autre les ressources des collectivités territoriales, le dernier précise la notion de « principal objet ».

L'opposition exagère l'importance de l'article 3 et fait semblant de ne pas comprendre la portée de nos amendements.

Je rappelle quelques éléments : tout d'abord, il n'y a pas de remise en cause de la prééminence de l'Assemblée nationale et donc, des équilibres fondamentaux de la Ve République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). L'Assemblée, en cas de désaccord avec le Sénat, conserve toujours le dernier mot.

M. René Dosière - Personne n'a dit le contraire !

M. le Rapporteur pour avis - Si !

Le rejet d'un texte, en première lecture, par le Sénat, ne bloque pas définitivement son examen. Dans cette hypothèse - peu probable -, le Sénat préfère donner une nouvelle rédaction au texte. L'Assemblée est alors saisie du projet de loi initial et la navette peut se poursuivre dans les conditions fixées à l'article 45 de la Constitution.

L'article 3 n'annihile pas toutes les marges de man_uvre du Gouvernement.

M. Jean-Luc Warsmann - Absolument, contrairement à ce que prétendait M. Migaud.

M. le Rapporteur pour avis - Les propositions de loi relatives aux collectivités territoriales sont possibles, sans limite aucune à l'Assemblée nationale.

M. Jean-Luc Warsmann - Absolument ! Voilà la deuxième réponse à M. Migaud. Deux-zéro !

M. le Rapporteur pour avis - Des difficultés demeurent cependant, qui me semblent aplanies par les amendements et sous-amendements de la commission des lois et de la commission des finances. S'agissant des conséquences sur le droit d'amendement du Gouvernement, le sous-amendement 39 règle la difficulté : il vise à préserver l'intégralité du droit d'amendement, tant du Gouvernement que des députés.

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. le Rapporteur pour avis - Il nous paraît indispensable que la priorité donnée au Sénat n'ait aucune conséquence sur le droit d'amendement de l'Assemblée nationale. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit, lorsqu'il existe un droit de priorité, que des dispositions entièrement nouvelles ne peuvent être introduites devant l'Assemblée saisie en second.

M. Jean-Luc Warsmann - Tout à fait !

M. le Rapporteur pour avis - Plus le champ de ce droit de priorité sera large, plus cette jurisprudence sera susceptible de s'appliquer devant l'Assemblée nationale. A l'inverse des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, il n'y a pas de prohibition spécifique des cavaliers budgétaires ; cette jurisprudence, qui prohibe les dispositions entièrement nouvelles aboutirait à un résultat très restrictif.

L'exigence d'un droit de priorité peut, en outre, faire peser sur les autres textes une suspicion de détournement de procédure, si, par exemple, des amendements sur une loi électorale ou l'aménagement du territoire, étaient adoptés à l'Assemblée nationale.

Je rappelle, s'agissant des lois de finances, que la jurisprudence du Conseil constitutionnel impose le dépôt d'un projet de loi dans certains cas.

Le droit de priorité définissant une exclusivité, il est nécessaire de préserver le droit d'amendement sur des projets qui, a priori, n'entreraient pas dans le champ de l'article 3. La référence faite par le sous-amendement 39 à l'article 44 de la Constitution a pour objet de préserver, dans tous les cas de figure, le droit d'amendement de l'Assemblée nationale.

Je souhaite que le Gouvernement accepte cet amendement.

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. le Rapporteur - Les deux commissions ont essayé de faire _uvre commune. La commission des finances a été plus loin que celle des lois en préférant une formule plus restrictive. Soit. Nous avons suivi - nous n'y avions ni pensé, ni voulu y penser.

M. Didier Migaud - C'est triste, et dommage.

M. le Rapporteur - En ce qui concerne le sous-amendement, mon interprétation différait de celle de la commission des finances. Je vous rappelle que la limitation du droit d'amendement se fonde sur la décision du Conseil constitutionnel - concernant les lois de finances - qui avait empêché le Gouvernement de déposer un amendement substantiel au Sénat, partant du principe que les lois de finances sont déposées d'abord à l'Assemblée nationale - c'est donc à l'Assemblée nationale que devaient être déposés les amendements substantiels. Le président de la commission des finances a craint une extrapolation de la jurisprudence. Il a sans doute raison de « verrouiller ». La commission des lois s'est rangée à cet avis.

M. Didier Migaud - Très bien !

M. le Rapporteur - Nous sommes à l'écoute du Gouvernement. Je rappelle qu'une navette à laquelle le Gouvernement ne peut pas mettre fin et en l'absence de CMP, doit aboutir à un texte voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Il est donc normal qu'il y ait accord entre elles.

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. le Garde des Sceaux - Le Gouvernement est favorable au sous-amendement 39. S'agissant des propositions de loi, les députés conservent leur droit d'initiative ; le sous-amendement de M. Méhaignerie permet de confirmer la liberté d'amendement des députés sur un texte, même s'il a été présenté préalablement au Sénat.

Je remercie la commission des finances de sa contribution à la rédaction du texte.

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. Francis Delattre - Le Gouvernement a toute liberté de transmettre en priorité un texte au Sénat.

Est-il vraiment utile d'inscrire cette possibilité dans la Constitution ?

Je remercie M. Méhaignerie d'avoir déposé un amendement propre à préserver le droit d'amendement du Gouvernement et des députés, compte tenu des objections que j'avais émises en commission des lois.

Cela dit, je ne comprends pas pourquoi il faudrait introduire cette véritable « usine à gaz » dans la Constitution, au risque d'en altérer le caractère normatif et la cohérence et de susciter de multiples contentieux.

A l'unanimité de 35 suffrages exprimés sur 36 votants, le sous-amendement 39 est adopté.

M. Didier Migaud - L'opposition n'a pu s'exprimer sur ce sous-amendement ?

M. le Président - Elle s'est longuement exprimée et elle aura l'occasion de le faire à nouveau sur les nombreux amendements qu'elle a déposés.

M. Didier Migaud - Je voudrais faire un rappel au Règlement...

Plusieurs députés UMP - Sur quel article ?

M. Didier Migaud - Sur l'article 58, alinéa 1. Vous n'avez pas plus de mémoire pour cela qu'en ce qui concerne l'esprit des institutions !

M. Guy Geoffroy - Pas de leçon !

M. Didier Migaud - Je ne prétends pas en donner ; M. Delattre s'est parfaitement chargé de défendre l'esprit des institutions de la République.

Monsieur le Président, vous n'avez donné la parole qu'à un orateur sur ce sous-amendement.

M. Xavier de Roux - C'est le Règlement !

M. Didier Migaud - Nous n'avons pas eu droit à la parole contre la commission ou contre le Gouvernement.

M. Xavier de Roux - C'est une faculté, pas un droit !

M. Didier Migaud - Ce sous-amendement est très significatif : M. Méhaignerie s'est étonné...

M. Guy Geoffroy - Ce n'est pas un rappel au Règlement !

M. Didier Migaud - Il s'agit du déroulement de la séance. Le fait que M. Méhaignerie ait éprouvé le besoin de présenter des sous-amendements montre combien cet article est dangereux.

M. Guy Geoffroy - Vous vous exprimez au fond !

M. Didier Migaud - Nous sommes stupéfaits que le Gouvernement ait pu rédiger un tel article.

M. Guy Geoffroy - Vous l'avez dit vingt-cinq fois !

M. Didier Migaud - Mais vous n'avez toujours pas compris ! Le président de la commission des lois est une autorité morale, il doit défendre les prérogatives de l'Assemblée nationale, dans le cadre du bicaméralisme organisé par la Constitution (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Monsieur Migaud, il faut en rester à la forme du débat.

M. Didier Migaud - Justement, le président de la commission des lois a la faculté d'intervenir à tout moment dans le débat et nous ne comprenons pas qu'il n'ait pas compris le danger de ce texte !

Le fait que le président de la commission des finances amende ce texte...

M. Jean-Luc Warsmann - Cela n'a rien à voir avec un rappel au Règlement !

M. Didier Migaud - ...n'en amoindrit pas la portée, il la conforte au contraire.

M. le Président - Monsieur Migaud, voulez-vous que j'applique le deuxième alinéa de l'article 58 ?

M. Didier Migaud - Je préfère m'en tenir au premier.

M. le Président - Alors veuillez conclure sur la forme.

M. Didier Migaud - Nous n'avons pas participé au scrutin parce que nous estimons que ce sous-amendement est inacceptable.

M. le Rapporteur pour avis - La commission des lois a restreint le champ des projets de loi faisant l'objet d'un dépôt au Sénat. La commission des finances veut maintenant éviter tout risque juridique lié à la notion de « principal objet », qui nous semble imprécise.

On trouve dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel des éléments relatifs à l'objet d'un projet de loi. Il fait référence au contenu du texte, aux intitulés et même à l'exposé des motifs, de façon très libérale. La notion de « principal objet » n'apparaît toutefois jamais. Par le sous-amendement 40, nous proposons donc que le projet de loi concerné porte « exclusivement » sur l'organisation de collectivités locales.

Je conçois toutefois qu'après la modification du champ d'application de l'article, ce sous-amendement puisse être considéré comme modifiant l'esprit de l'article. Nous pourrions donc admettre les termes de « principal objet » si le Gouvernement entourait la nouvelle procédure de toutes les garanties de sécurité juridique. Les critères quantitatifs, par exemple, pourraient être prééminents ; on pourrait se fonder sur les intitulés et la structure du projet et - mieux - le Conseil d'Etat pourrait se prononcer en toute indépendance sur l'objet principal du texte, ainsi qu'il le fait pour déterminer la nature législative ou non des actes communautaires dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution. L'avis du Conseil d'Etat ne constituerait sans doute pas une garantie absolue, mais pourrait rassurer juridiquement tant le Gouvernement que chacune des assemblées.

Je voudrais souligner que si avait été retenue la notion de « principal objet », le projet de loi relatif au développement des responsabilités des collectivités locales, déposé au Sénat et adopté par les deux assemblées, aurait très bien pu être examiné d'abord à l'Assemblée nationale, puisque seuls deux titres sur sept concernaient l'organisation des collectivités locales. On le voit, la peur qu'on veut susciter à propos de l'article 3 n'a aucun fondement !

Plusieurs députés UMP - Très bien !

M. Didier Migaud - Pourquoi, alors, ce sous-amendement ?

M. le Rapporteur pour avis - Je veux apporter une contribution au débat. Le changement de formulation n'est plus essentiel, et l'Assemblée nationale n'est dépossédée d'aucune prérogative (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Garde des Sceaux - Le sous-amendement 40 présente un véritable risque en imposant le terme « exclusif ». Si un gouvernement voulait faire preuve de malice, il lui suffirait d'inclure une phrase anodine sur un autre sujet pour que le texte ne doive pas être déposé d'abord au Sénat ! L'esprit de l'article 3 modifié par la commission des lois est entièrement dévoyé. On ne peut pas introduire une rédaction présentant un tel risque dans la Constitution.

Plusieurs députés socialistes - C'est incroyable !

M. le Garde des Sceaux - M. le président de la commission des finances a bien analysé les critères sur lesquels s'appuie le Conseil constitutionnel. Si la notion d'« objet principal » figure dans la Constitution, je suis convaincu que le Conseil d'Etat donnerait son avis sur l'objet du projet de loi même si le Gouvernement ne le lui demandait pas ! Et je suis convaincu également que les gouvernements poseront systématiquement la question, dans un souci de sécurité juridique. L'avis du Conseil d'Etat deviendra un élément important de l'analyse du juge constitutionnel. Je suis donc défavorable au sous-amendement 40.

M. René Dosière - Toutes ces interventions montrent bien que l'article 3 pose un problème d'interprétation. Une rédaction correcte n'aurait pas nécessité autant de précisions !

Les termes « principal objet » seront source de contentieux. Quels seront les critères : le nombre de lignes, l'importance de chaque article ? Seront-ils qualitatifs ou quantitatifs ? Le Conseil constitutionnel sera forcément amené à intervenir, ce qui poussera les gouvernements à déposer tous les textes approchant ce domaine au Sénat, même s'ils n'y sont pas obligés, pour éviter tout risque de contentieux avec le Conseil.

Utiliser le mot « exclusif » réduira de beaucoup les sources de contentieux. Nous préférerions certes que l'article soit supprimé, mais adopter le sous-amendement de M. Méhaignerie permettra aux députés de rester à genoux alors qu'en adoptant la position du Gouvernement, ils se couchent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Didier Migaud - Je pensais que la proposition de M. Méhaignerie avait fait l'objet de discussions avec le Gouvernement. Nous sommes en train de constater que non et nous apprenons avec stupeur que le Gouvernement refuse ce sous-amendement. Le Conseil d'Etat nous explique pourtant qu'il ne sait pas ce que signifie « principal objet » et la commission des finances nous met, à juste titre, en garde contre le flou dangereux qui entoure ces termes. Parlementaire chevronné, le président de la commission des finances réussit à convaincre le président de la commission des lois, qui donne à son tour un avis favorable au sous-amendement. Et malgré cet accord des deux commissions, le Gouvernement le refuse !

M. Jean-Luc Warsmann - C'est son droit.

M. Didier Migaud - Certes, mais nous attendons avec avidité la décision de la majorité. Va-t-elle entendre la sagesse du Conseil d'Etat, de la commission des lois et de la commission des finances ? Ou va-t-elle suivre le Gouvernement, qui l'invite à aller plus bas qu'une simple génuflexion ?

Bien sûr, le Gouvernement est embarrassé car il pense sans doute devoir quelque chose au Président Poncelet, qui s'est tant engagé dans la campagne présidentielle et envers qui des engagements ont sûrement été pris. Comment le Premier ministre, ancien sénateur, pourrait-il revenir devant le Sénat après avoir reçu une telle gifle si la préséance qu'il veut lui donner était refusée par l'Assemblée.

Je souhaite que l'Assemblée se réveille et se montre fidèle à l'esprit des institutions de la Ve République. Je l'invite donc à refuser de se plier à la volonté du Gouvernement.

M. André Chassaigne - Le Garde des Sceaux nous explique que si le terme « exclusif » était retenu, cela écarterait de nombreux projets de la saisine prioritaire du Sénat. Cela montre clairement qu'il y a derrière cet article 3 bien plus que ce que l'on nous dit. On peut, par exemple, imaginer que des projets concernant des nouvelles compétences confiées aux collectivités territoriales passent d'abord devant le Sénat.

M. Augustin Bonrepaux - Je voudrais faire une explication de vote sur les sous-amendement 40, Monsieur le Président.

A la majorité de 28 voix contre 14, sur 44 votants et 42 suffrages exprimés, le sous-amendement 40 n'est pas adopté.

M. Augustin Bonrepaux - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58. Sur ce sujet aussi important que celui qui nous occupe, Monsieur le président, il aurait été normal que vous me laissiez faire une explication de vote...

Plusieurs députés UMP - Vous ne faites que cela !

M. Augustin Bonrepaux - En refusant le sous-amendement du président de la commission des finances, qui montre bien dans son rapport les dangers de l'article 3, le Gouvernement expose l'Assemblée à de graves difficultés et veut priver les représentants du peuple d'une part de leur droit d'amendement...

M. Jean-Luc Warsmann - C'est faux !

M. Augustin Bonrepaux - Ne continuez pas à nous refuser la parole, Monsieur le président, cela risquerait de rallonger nos débats.

M. le Président - L'article 56, alinéa 3, de notre Règlement donne au président la faculté d'autoriser un orateur à répondre au Gouvernement ou à la commission, ce que j'ai fait en donnant la parole à M. Dosière, à M. Migaud puis à M. Chassaigne. Par ailleurs, l'article 54, alinéa 3, écarte les explications de vote dans les débats limités ; or, l'article 100, alinéa 7, limite la discussion sur les amendements. Par conséquent, il ne peut y avoir d'explication de vote sur cet amendement. J'aimerais que nous appliquions ensemble le Règlement.

Mme Ségolène Royal - Rappel au Règlement. Nous assistons à un spectacle stupéfiant avec ce sous-amendement refusé par le Gouvernement, alors qu'il fait l'objet d'un accord des deux présidents de commissions. Dans quelle République vivons-nous ! Nous passons des heures à débattre d'une réforme constitutionnelle sans queue ni tête et des faveurs qu'il convient de distribuer au Sénat plutôt que des sujets qui concernent la vie quotidienne des Français ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) A quoi sert l'Assemblée dans ces conditions ! A humilier le président de la commission des finances ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) La situation est suffisamment grave pour justifier une réunion du groupe socialiste. Je vous demande donc une suspension de séance, Monsieur le président.

M. Jean-Luc Warsmann - Quel triste spectacle !

M. Guy Geoffroy - C'est de l'obstruction !

M. Didier Migaud - Je voudrais à mon tour m'exprimer sur les conditions dans lesquelles se déroule cette séance. C'est la première fois que je vois se manifester un tel mépris à l'égard des travaux de la commission des finances et de celle des lois.

M. Guy Geoffroy - Affirmation gratuite !

M. Arnaud Montebourg - Si, c'est du mépris !

M. Didier Migaud - Je constate qu'il y a beaucoup de nouveaux députés parmi ceux qui ont pris part au vote précédent. Cela explique peut-être leur sensibilité aux ordres du Gouvernement.

M. Guy Geoffroy - C'est une honte de dire cela !

M. Didier Migaud - La honte devrait être de votre côté. Quand une proposition raisonnable est soutenue par la commission des lois et celle des finances, pourquoi la refuser ? C'est tout de même révélateur d'un certain état d'esprit.

La séance, suspendue à 11 heures 45, est reprise à 11 heures 50.

M. René Dosière - Le sous-amendement 41 qu'avait déposé M. Laffineur vise à supprimer la disposition selon laquelle le Sénat serait saisi en priorité des projets relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France.

Ces Français sont bien entendu représentés par les députés que nous sommes : mon fils et ma belle-fille, établis à Boston, me donnent une procuration pour voter à Laon.

Mais ils sont également représentés au Sénat, dans des conditions un peu particulières. En effet le corps électoral est composé de 120 personnes, qui élisent douze sénateurs, soit quatre tous les trois ans.

M. Arnaud Montebourg - Incroyable ! C'est la Monarchie de Juillet !

M. René Dosière - L'élection se fait à la représentation proportionnelle ; autrement dit, il faut une trentaine de voix pour être élu sénateur des Français de l'étranger pour neuf ans, période pendant laquelle l'intéressé ne manquera pas de rendre visite à ses électeurs pour s'assurer de sa réélection. C'est scandaleux.

M. Arnaud Montebourg - Ubuesque !

M. André Chassaigne - Surréaliste !

M. René Dosière - Dire que ces sénateurs, élus dans ces conditions, vont avoir la priorité d'examen sur les textes qui concernent nos compatriotes expatriés est ahurissant. Nous sommes mieux placés pour examiner tous les problèmes qui les touchent - éducation, législation sociale, travail... - avec le souci de l'intérêt général. Ne pas adopter ce sous-amendement, ce serait accepter que le Parlement fonctionne de manière corporatiste.

M. Guy Geoffroy - L'article 3 ne parle que des projets relatifs aux instances représentatives !

M. le Rapporteur - Alors que les amendements de la commission sont connus depuis une bonne huitaine de jours, le groupe socialiste a fabriqué des sous-amendements, cette nuit, de façon industrielle... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Je fais observer au Gouvernement que l'article 44, alinéa 2, de la Constitution lui permet de s'opposer à leur examen.

M. René Dosière - Vous n'avez pas répondu sur le sous-amendement 41 !

M. le Garde des Sceaux - Ce texte est issu d'un amendement sénatorial, sur lequel le Gouvernement s'en était remis à la sagesse du Sénat. J'adopterai donc la même attitude ici, mais je comprends la préoccupation des sénateurs, et en particulier de ceux qui représentent les Français de l'étranger, qui ont souvent le sentiment qu'on ne s'intéresse pas assez à leurs préoccupations légitimes, et je suis donc plutôt défavorable à ce sous-amendement.

M. Arnaud Montebourg - Le Président de la commission nous met en cause, alors que nous n'avons fait que reprendre le sous-amendement de M. Laffineur.

Nous touchons là à une question lancinante : le conflit d'intérêts. Donner davantage de pouvoirs au Sénat, assemblée bien protégée, puisque les sénateurs peuvent opposer un veto à une modification des conditions d'exercice de leur mandat, et juridiquement irresponsable, les sénateurs n'ayant pas de comptes à rendre devant le suffrage populaire, c'est déjà une provocation considérable ; enlever de surcroît à l'Assemblée le droit à organiser la représentation des Français de l'étranger est vraiment fort de café !

A la majorité de 25 voix contre 14 sur 39 votants et 39 suffrages exprimés, le sous-amendement 41 n'est pas adopté.

M. Augustin Bonrepaux - Le rejet de l'amendement de la commission des finances justifie pleinement les sous-amendements que nous allons défendre. Et comme beaucoup d'entre vous semblent n'avoir pas pris connaissance du rapport de M. Méhaignerie, je vais me permettre de leur donner lecture d'un de ses passages. « Il faut s'interroger, écrivait le rapporteur pour avis page 26, sur le point de savoir à partir de quel degré un projet de loi acquiert un contenu ayant « pour principal objet la libre administration des collectivités locales ». La Constitution ne peut se contenter, en la matière, d'affirmations vagues, alors que le champ des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale est, quant à lui, minutieusement défini par la Constitution puis la loi organique. Le « principal objet » est-il quantifiable ? S'agit-il du nombre d'articles, de leur importance qualitative, d'une définition relevant d'un exposé des motifs, des objectifs poursuivis par le texte... ? » M. Méhaignerie proposait donc de remplacer « principal objet » par « objet exclusif ». Cet amendement ayant été rejeté, il faut maintenant préciser ce qui restera à l'Assemblée, une fois qu'elle aura été dépossédée par vos soins d'une grande partie de ses pouvoirs d'amendement, d'examen et d'initiative ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous êtes-vous demandé, par exemple, ce qu'il adviendra de vos propositions de loi lorsqu'elles auront trait aux collectivités locales ? Elles ne pourront pas être examinées ici... à moins que vous n'adoptiez le sous-amendement 212 qui permettra au moins de soumettre en premier lieu à l'Assemblée les projets « ayant pour objet de déterminer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales ».

Si nous ne délimitons pas le champ de cette disposition, lorsqu'il s'agira de débattre d'élections qui vous concernent presque tous, l'initiative reviendra aux sénateurs. Il paraît au contraire normal que les représentants du peuple se prononcent les premiers ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Guy Geoffroy - Nous continuerons d'avoir le dernier mot !

M. Augustin Bonrepaux - Quoi que vous fassiez pour abaisser cette Assemblée, c'est elle qui représente le peuple ! D'où la nécessité de ce sous-amendement. Quant à vous, mon cher collègue, je vous renvoie à la page 26 du rapport pour avis : la lecture n'en est ni longue ni difficile et elle peut être instructive...

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné ce sous-amendement, auquel je suis personnellement défavorable. Ce n'est là qu'une nouvelle tentative d'obstruction.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer - Le Gouvernement est bien évidemment défavorable à cette proposition. Le groupe socialiste tente d'élever un contre-feu afin que le Sénat ne bénéficie pas d'une priorité d'examen et il multiplie les sous-amendements reconnaissant cette priorité à l'Assemblée. Un tel comportement est puéril : l'article proposé a sa cohérence et préserve l'équilibre de notre bicaméralisme, alors que cette rafale de sous-amendements ne repose sur aucune logique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Arnaud Montebourg - Le mot « contre-feu » est quelque peu excessif quand cette priorité reconnue au Sénat risque de faire tache d'huile ! Nous voulons empêcher la contagion et ces propositions de repli sont tout à fait légitimes après la défaite que vous venez d'infliger à deux présidents de commission de votre majorité ! Il importe pour l'avenir de faire apparaître qu'il n'existe aucun accord sur ces dispositions, y compris parmi vous. Lorsque le Conseil constitutionnel, peuplé de certains personnages aux ordres de la majorité actuelle... (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Luc Warsmann - C'est scandaleux !

M. Arnaud Montebourg - ...au point d'être remerciés par un poste ministériel... (Mêmes mouvements)

M. le Président - Abstenez-vous de provocations !

M. Arnaud Montebourg - La parole est libre ! Le Conseil constitutionnel est devenu un endroit non où l'on termine sa carrière, mais où on la commence ! C'est sans exemple dans les autres pays européens ! (Mêmes mouvements) Le dire n'est pas de la provocation, mais relève de la libre critique, dans une assemblée libre !

M. Guy Geoffroy - Vous dites n'importe quoi !

M. Arnaud Montebourg - Non : la triste vérité, sur des institutions dans lesquelles nous avons de plus en plus de mal à nous reconnaître !

Nous tenons à ce qu'il apparaisse clairement dans nos travaux préparatoires que nous sommes en désaccord radical sur ce droit de priorité, qui risque de s'étendre par l'effet de la jurisprudence et des habitudes au-delà de ce que vous aurez imposé par la force.

M. Guy Geoffroy - Par le vote !

M. Arnaud Montebourg - Le sous-amendement vise à réduire le danger. Le refusant, vous ne sèmerez que le trouble, compromettant un équilibre difficile et suscitant une querelle qui se retournera un jour contre vous !

A la majorité de 28 voix contre 13 sur 42 votants et 41 suffrages exprimés, le sous-amendement 212 n'est pas adopté.

M. le Président - Monsieur Dosière, ne pourriez-vous présenter ensemble les sous-amendements suivants ?

M. René Dosière - J'aurais voulu vous être agréable mais, s'il est possible de regrouper les deux suivants, le sous-amendement 216 exige des explications spécifiques en raison de la spécificité du statut de la Nouvelle-Calédonie.

Il dispose que les projets concernant les collectivités à statut particulier seront soumis en premier lieu à l'Assemblée, et la précision n'a rien de superfétatoire puisque nous avons entendu tout à l'heure le Garde des Sceaux répondre à M. Delattre en faisant état d'une position peu assurée à propos de la Nouvelle-Calédonie. Le rapport de la commission des lois ne nous tire pas davantage de l'expectative. On y lit simplement, en effet que « le Sénat a introduit un nouvel alinéa dans l'article 72 pour faire référence à la Nouvelle Calédonie. Celle-ci figurera ainsi à nouveau, désormais nominativement, dans le titre XII relatif aux collectivités territoriales de la République, alors que la révision constitutionnelle du 22 juillet 1998 aurait eu pour effet de l'en faire sortir puisqu'elle avait cessé d'être un territoire d'outre-mer. Tout en précisant que le statut de la Nouvelle Calédonie demeure régi par le titre XIII, les sénateurs ont voulu affirmer son caractère de collectivité territoriale de la République qu'aucun texte ne consacre plus actuellement. Si l'article 3 de la loi organique du 19 mars 1999 déclare que les provinces et les communes de ce territoire sont des collectivités territoriales de la République, il ne reconnaît pas cette qualité à la Nouvelle-Calédonie elle-même. Comme le souligne le professeur François Luchaire, le statut de la Nouvelle Calédonie est difficilement définissable, il s'agit « d'un territoire français susceptible de devenir un État souverain ». En citant nommément la Nouvelle-Calédonie dans le titre XII, les sénateurs ont également souhaité « ne pas l'exclure du bénéfice des dispositions du présent projet de loi constitutionnelle, en ce qui concerne notamment le droit à l'expérimentation, le référendum local et le droit de pétition ».

Autrement dit, nous ignorons si le présent article s'appliquera ou non à la Nouvelle-Calédonie ! En votant le sous-amendement 216, nous lèverons l'incertitude en évitant que le Conseil constitutionnel s'érige en juge suprême dans cette affaire - ce qui serait d'autant plus fâcheux qu'il est explicitement, et scandaleusement, revenu sur ce qu'avaient voté les deux assemblées !

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - L'amendement 11 a été déposé le 13 novembre ; le 19, la commission s'est réunie en vertu de l'article 88. Or tous ces sous-amendements sont datés du 21 ou du 22 : il va de soi que la commission n'a pu les examiner !

Mme la Ministre - Avis défavorable.

M. Paul Giacobbi - Je sais gré à mes collègues d'avoir présenté ce sous-amendement. Je suis loin de penser du mal du Sénat ou de le qualifier de conservateur, mais je m'inquiète un peu de le voir s'intéresser de très près aux collectivités à statut particulier, et tout à l'heure, à propos de l'article 4, je demanderai des précisions sur la portée de son intervention. Aussi bien ne suis-je pas naïf ; timeo Danaos et dona ferentes... Concernant les collectivités à statut particulier - qui risquent d'ailleurs de se multiplier du fait même de cette loi, à la faveur notamment des fusions et regroupements - je serais plus rassuré, dans les cas de Paris, de l'outre-mer ou de la Corse notamment, si les projets étaient examinés d'abord par l'Assemblée.

M. René Dosière - Je m'étonne de la brièveté de la réponse du Gouvernement, qui trahit sa gêne sur ce texte.

A la majorité de 23 voix contre 17 sur 40 votants et 40 suffrages exprimés, le sous-amendement 216 n'est pas adopté.

M. le Président - Nous en venons au sous-amendement 218.

Mme la Ministre - En application de l'article 44, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement s'oppose à l'examen des sous-amendements à l'amendement 11 qui restent à discuter.

M. le Président - Je consulte la commission pour savoir si ces sous-amendements lui ont été soumis.

M. le Rapporteur - Ils ne l'ont pas été.

M. le Président - Les sous-amendements n'ayant pas été soumis à la commission, la présidence, en application de l'article 100, alinéa 3, du Règlement, constate qu'il n'y a pas lieu d'en délibérer.

Mme Ségolène Royal - Compte tenu de cette intervention du Gouvernement, je souhaite réunir le groupe socialiste. Je demande une suspension pour réfléchir à l'organisation de la suite du débat.

M. Arnaud Montebourg - Le Gouvernement choisit de faire monter la colère ! Il utilise l'artillerie lourde !

La séance, suspendue à 12 heures 20 est reprise à 12 heures 30.

M. René Dosière - Rappel au Règlement.

Avant la suspension de séance, le Gouvernement a demandé que nos sous-amendements ne soient pas discutés.

Quant au fond, le Gouvernement ne veut pas que priorité puisse être accordée à l'Assemblée nationale sur des textes importants - alors que nous discutons d'un texte à l'interprétation floue qui tend à accorder la priorité au Sénat sur d'autres projets. Cette attitude est grave, quand le Conseil constitutionnel - qui devra interpréter ce qu'il faut entendre comme « objet principal » - constatera que le Gouvernement lui-même a refusé que l'on évoque la priorité de l'Assemblée nationale sur un certain nombre de projets, la position selon laquelle revient bien au Sénat de discuter l'ensemble de ces textes en sera confortée.

Sur la forme, l'article 44-2 de la Constitution, dont le Gouvernement a demandé l'application, dispose qu' « après l'ouverture du débat, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission ». Cet alinéa concerne les amendements, non les sous-amendements (« Spécieux ! » sur les bancs du groupe UMP).

Or, l'amendement 11 a bien été soumis à la commission ; les sous-amendements peuvent donc être examinés. Monsieur le Président, vous ne pouvez donner satisfaction à cette demande du Gouvernement. S'il y a un doute, il appartient au Bureau de notre Assemblée de se réunir et de statuer. Je pense que ce débat doit être poursuivi.

M. le Président - Je vous signale qu'il a été fait application trois fois de l'article 44 alinéa 2 de la Constitution au cours de la dernière législature, et dans chaque cas, à l'encontre de sous-amendements : le 10 décembre 1997 pour sept sous-amendements, le 14 décembre 1997 pour un sous-amendement, le 2 décembre 1998 pour dix-sept sous-amendements. Nous pouvons donc continuer notre séance.

M. Arnaud Montebourg - Rappel au Règlement.

Nous discutons de l'application de l'article 100 de notre Règlement, qui fait état des amendements. Nous ne contestons pas que la pratique dans le passé ait été celle que vous dites, mais nous examinons aujourd'hui un projet de loi constitutionnelle qui emportera contrat pour la totalité des Français. La solennité attachée à son interprétation...

M. Jean-Luc Warsmann - Interdit de déposer des sous-amendements d'obstruction comme vous l'avez fait !

M. Arnaud Montebourg - ...nécessite un tel débat. L'Assemblée nationale ayant seule en charge l'intérêt général et le Sénat dépendant des intérêts sectoriels, des contradictions se font parfois jour entre les deux chambres. Il nous faut prendre une décision. Or, Madame la ministre des DOM-TOM...

Mme la Ministre - Ministre de l'outre-mer.

M. Arnaud Montebourg - Madame la ministre de l'outre-mer - je vous prie de m'excuser - sort l'arsenal qui sert à bâillonner l'opposition. Pourquoi ? Sans doute est-elle elle-même gênée : elle lit, sans pouvoir s'en détacher, les réponses préparées par son cabinet (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Mais ce sont surtout les divergences profondes de sa propre majorité sur le droit de priorité qu'elle peut craindre !

M. Jean-Luc Warsmann - Ce n'est pas un rappel au Règlement !

M. Arnaud Montebourg - Deux présidents de commissions de votre majorité ont fait montre de sérieuses réticences. Vous nous sortez les misérables artifices de l'article 44-2 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), réservés à l'urgence de certaines procédures législatives et inopportunes quand, ainsi que l'a dit à cette tribune M. Raffarin, on a besoin de construire un consensus politique.

M. Jean-Luc Warsmann - Vous parlez de la Constitution de la République !

M. Arnaud Montebourg - Ce consensus, non seulement nous n'êtes pas capables de le construire, mais vous craignez les failles de votre propre majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. André Chassaigne - Compte tenu de l'importance du débat et puisqu'il est impossible de discuter les sous-amendements, je dois consulter les membres de mon groupe et notamment mon président. Je demande donc une suspension de séance.

M. le Président - La répétition de suspensions pouvant mettre en échec les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement en matière d'ordre du jour prioritaire et les décisions de la Conférence des présidents sur la tenue des séances publiques, le président de séance, en vertu des pouvoirs généraux que lui donne l'article 52 du Règlement, peut être amené à réduire la durée ou à différer les suspensions, voire à s'opposer aux demandes elles-mêmes. Je m'oppose donc à votre demande de suspension.

M. André Chassaigne - C'est scandaleux ! J'ai obtenu deux minutes de suspension dans la nuit ! Je formulais aujourd'hui ma deuxième demande !

M. le Président - Je mets aux voix l'amendement 11 modifié par le sous-amendement 39...

M. Augustin Bonrepaux - Peut-on savoir sur quoi l'on vote ? Peut-on savoir sur quoi l'on vote !

M. le Président - Je viens de le dire : sur l'amendement 11 modifié par le sous-amendement 39.

A la majorité de 28 voix contre 12 sur 40 votants et 40 suffrages exprimés, l'amendement 11 sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

L'article 3 est ainsi rédigé.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 40.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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