Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2002-2003)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 31ème jour de séance, 82ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 27 NOVEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
      DE LA RÉPUBLIQUE (suite) 2

      ART. 7 (suite) 2

      ART. 8 7

      ART. 9 14

      APRÈS L'ART. 9 17

      ARTICLE 10 21

      APRÈS L'ART. 10 22

      ART. 11 22

      APRÈS L'ARTICLE 11 24

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 28 NOVEMBRE 2002 26

La séance est ouverte à vingt et une heures.

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République.

M. le Président - La parole est à Madame la ministre de l'outre-mer.

M. Augustin Bonrepaux - J'avais demandé la parole pour un rappel au Règlement au cours de la séance précédente. La présidence m'a demandé d'attendre, et j'ai attendu. Mais maintenant...

M. le Président - Connaissant votre patience, je sais que vous accepterez d'attendre encore un peu.

M. Augustin Bonrepaux - Mais j'attends depuis 18 heures ! (Rires et protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Encore un peu de patience. Votre intervention n'en sera que plus réfléchie ! (M. Augustin Bonrepaux proteste) Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer - Je vous remercie, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les sénateurs (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Éric Raoult - Cela viendra peut-être, mais nous n'y sommes pas encore... (Sourires)

Mme la Ministre - Je vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, d'excuser ce lapsus dû à la fatigue. Je tiens à remercier les députés d'outre-mer, qui ont fait preuve d'une longue patience et pour lesquels l'article 7 du projet est un grand soulagement. Je remercie aussi les députés métropolitains qui ont participé à cette discussion, témoignant de la part de l'outre-mer dans la République et de sa parfaite intégration dans notre nation.

L'article 7 traduit très fidèlement les engagements pris par le Président de la République lors de ses déplacements à la Martinique et à la Réunion. Il introduit deux nouveautés : l'ancrage constitutionnel très fort des collectivités d'outre-mer dans la République, et de fortes garanties démocratiques dans le cas d'une évolution institutionnelle voulue par l'une de ces collectivités. MM. Victoria, Beaugendre et Grignon, et M. Kamardine par la voix de Mme Vernaudon, ont tous souligné que ces ajouts restaient la réforme historique pour les collectivités d'outre-mer ; je les remercie.

Je m'étonne en revanche que certains aient cru utile d'ironiser sur la mention nominative des dix collectivités considérées...

M. René Dosière - Ce n'était pas de l'ironie !

Mme la Ministre - M. Grignon a pourtant souligné, à juste titre, qu'il n'y avait souvent rien d'évident à faire reconnaître, à l'extérieur, qu'une collectivité d'outre-mer est française. Faut-il rappeler que dans certains programmes électoraux, l'outre-mer était traité au chapitre des relations extérieures ?

M. Victorin Lurel - Pourquoi cette polémique ?

Mme la Ministre - Aussi, même si certaines choses apparaissent évidentes, il est préférable de les dire et, mieux encore, de les écrire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Et que ceux qui ne mesurent pas l'importance de cette mention explicite aillent donc parler avec nos concitoyens de Mayotte, dont le nom est toujours inscrit dans la Constitution des Comores !

M. René Dosière - Est-ce de notre responsabilité ?

Mme la Ministre - Dois-je rappeler qu'en 1975... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. René Dosière - Et pourquoi pas remonter à 1946 ?

Mme la Ministre - ...l'opposition de l'époque avait refusé l'indépendance au motif que le nom de l'île n'apparaissait pas dans la Constitution ?

M. Jean-Louis Idiart - Elle est toujours en campagne électorale !

Mme la Ministre - Je n'entends pas polémiquer. Ainsi, Monsieur Queyranne, je ne conteste pas que la loi d'orientation pour l'outre-mer ait ouvert un débat utile, et je n'ai pas l'intention de jeter aux oubliettes les travaux préparatoires du Congrès. Simplement, notre méthode sera différente de la vôtre. Comme l'a rappelé le Premier ministre aujourd'hui même dans cette enceinte, nous en sommes à l'acte I de la décentralisation...

M. Jean-Jack Queyranne - Au moins à l'acte II !

Mme la Ministre - ...et parce que nous considérons qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les b_ufs,...

M. Jean-Luc Warsmann - C'est sagesse !

Mme la Ministre - ...nous définissons le cadre dans lequel chaque collectivité pourra évoluer si elle le souhaite.

J'ajoute, Monsieur Queyranne, que dans l'interview à laquelle vous avez fait allusion, je ne critiquais pas votre action : je me bornais à constater qu'elle avait suscité affolement et inquiétude au sein des populations concernées...

M. Jean-Jack Queyranne - La déclaration de Basse-Terre !

Mme la Ministre - ...et surtout bien des faux espoirs. Pour notre part, nous avons décidé de rendre obligatoire la consultation de la population considérée en cas de projet d'évolution institutionnelle. Mieux : nous instaurons un droit de veto, comme M. Chassaigne l'a relevé pour s'en féliciter. De ce fait, on ne pourra plus imposer, comme cela a été fait à Saint-Pierre-et-Miquelon, un changement statutaire en ignorant la motion de protestation du conseil général !

Cette nouveauté apporte une garantie démocratique essentielle. S'agissant du processus proprement dit, j'ai entendu quelques critiques et interrogations. La souplesse est indispensable, pour parvenir à l'essentiel : le consensus local. En Guyane, le processus suivi n'est pas le même qu'en Martinique ou en Guadeloupe : dans la délégation guyanaise, les « forces vives » sont associées au débat. Et lorsque, Monsieur Queyranne, vous avez engagé la consultation sur le nouveau statut de Mayotte, les partis politiques étaient signataires mais les deux parlementaires de l'île étaient restés en dehors du consensus. Il ne faut pas rigidifier le système.

Par ailleurs, Monsieur Queyranne, l'énumération de toutes les collectivités vise à constitutionnaliser des espaces géographiques, non des personnes publiques. L'article 72-4 évoque les changements de régime pour « tout ou partie » de ces collectivités ; Saint-Barthélémy pourra donc, si les électeurs le souhaitent, se détacher de la Guadeloupe et devenir une collectivité régie par l'article 74.

M. Jean-Jack Queyranne - La Constitution ne fait pas de la géographie !

Mme la Ministre - Monsieur Grignon, je voudrais vous rassurer totalement. Aujourd'hui, Saint-Pierre-et-Miquelon n'est ni DOM ni TOM, et a un statut hybride, mélangeant l'assimilation législative et la spécialialité législative - que vous avez en matière de fiscalité, d'urbanisme et de logement. L'insécurité juridique a été accrue par la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991, selon laquelle il est interdit aux collectivités qui ne sont pas des TOM de disposer de pouvoirs normatifs dans le domaine de la loi.

Notre révision constitutionnelle remédie à cette situation. Saint-Pierre-et-Miquelon relèvera clairement de l'article 74, puisque l'article 73 concerne les collectivités ayant un régime d'assimilation législative complète. Son statut ne change pas - ce qui n'empêche pas de le faire évoluer selon la procédure prévue - mais, concernant les domaines de spécialité législative, l'insécurité juridique disparaît.

Autre sécurité juridique qui vous est apportée : désormais, seule une loi organique - et non plus une simple loi ordinaire - peut modifier son statut.

Quant à la Nouvelle-Calédonie, il est clair que son statut reste régi par le titre XIII et que cette réforme ne le remet en cause en rien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Je donne maintenant la parole à M. Bonrepaux, pour un rappel au Règlement.

M. Augustin Bonrepaux - Mon rappel est fondé sur les articles 52 et 73, le premier conférant au président de séance la direction des travaux. Mais je rappelle tout d'abord que l'article 58 donne aux rappels au Règlement la priorité sur la question principale. J'aurais donc dû faire en début de séance le rappel au Règlement auquel cet après-midi M. Raoult m'avait demandé de surseoir. Vous n'avez pas appliqué le Règlement, Monsieur le Président !

M. Éric Raoult - Il n'y a pas priorité sur le ministre !

M. Augustin Bonrepaux - Ma deuxième observation concerne les séances d'hier, qui seront évoquées lors de la prochaine Conférence des présidents.

Nous partageons avec la présidence du groupe UMP l'idée qu'il nous faudrait donner l'image d'une démocratie responsable. Il reste que, depuis que ce débat a commencé, le Président de l'Assemblée, M. Daubresse et vous-même, Monsieur le Président, avez accordé largement la parole à la majorité et à l'opposition ; pourquoi n'était-ce plus supportable quand la présidence était assurée par Mme Guinchard-Kunstler ? Est-ce parce que c'est une femme ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Il y a plus grave.Des propos grossiers ont été tenus par M. de Courson à l'égard de Mme Ségolène Royal - je vous renvoie à la page 20 du compte rendu analytique d'hier après-midi.

L'intervention de M. Barrot, qui voulait ramener le calme, a eu l'effet inverse. On a essayé de nous empêcher de parler (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Un membre de l'UMP est allé jusqu'à injurier la présidence.

Je ne vais pas demander l'application de l'article 73 : il appartient au Président de juger. Mais nous n'acceptons pas qu'on remette en cause notre droit d'amendement et qu'on nous empêche de nous exprimer, même si ce que nous disons déplaît à la majorité.

M. le Président - Vous êtes un parlementaire trop averti et conscient de ses responsabilités pour ne pas contribuer à ce que ce débat soit ordonné et précis (« Très bien ! »sur les bancs du groupe UMP) Je vous en prie !

Donner la parole à Mme la ministre, qui répondait aux orateurs sur un article extrêmement important, avant de vous laisser faire votre rappel au Règlement était la moindre des courtoisies républicaines (Mêmes mouvements). Je vous en prie, vous n'avez pas à me dire « Très bien », je fais ce que je dois faire !

Enfin, je vous félicite de venir au secours de Mme Ségolène Royal et de Mme Guinchard-Kunstler. J'avais fait intervenir Mme Royal en fin de séance pour un fait personnel.

Avant d'en venir aux amendements, j'annonce que je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur l'article 7.

M. René-Paul Victoria - « Je ne connais qu'un seul peuple, je ne reconnais qu'une seule nation au sein de la République, le peuple français et la nation française. La richesse de ce peuple, c'est sa diversité, la pluralité de ses cultures, la force de ses identités ». Ainsi s'exprimait le Président Chirac en Martinique le 6 avril 2002.

Force est malheureusement de constater que ces propos ne reflètent pas la réalité du droit français. En effet, le Conseil constitutionnel a distingué le peuple français des peuples d'outre-mer ! Dans sa décision du 9 mai 1991, rendue à propos de la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, le Conseil écrit que « la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d'outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ». De l'universalité du peuple français doivent naturellement faire partie les citoyens français résidant dans les collectivités d'outre-mer, auxquels on ne saurait reconnaître la qualité de peuples distincts du peuple français sans danger pour l'unité de la République. Au nom de quoi les habitants de la Réunion, par exemple, feraient-ils moins partie du peuple français que ceux de la Corse, de la Corrèze ou de la Loire ? Peut-on concevoir que les élus d'outre-mer, qui représentent à l'Assemblée et au Sénat la nation tout entière, puissent être les élus d'un peuple qui n'est pas le peuple français ? Il est temps de mettre fin à cette discrimination constitutionnelle entre citoyens français, et ce projet en est l'occasion. Nous proposons donc d'écrire au début de l'article 72-3 de la Constitution que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer »... L'adoption de cet amendement marquera la fin d'une époque liée à la colonisation, et notre ancrage dans la République.

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois - Je m'exprimerai à titre personnel, la commission n'ayant pu examiner ce très bel amendement. Il m'a touché dès que je l'ai lu, et la représentation nationale se grandirait en l'adoptant. Il n'est pas superflu de mentionner la reconnaissance par la République de l'identité propre des populations d'outre-mer, au sein d'un peuple français qui doit dans le même temps conserver sa pleine unicité. Il y a aussi là un enjeu juridique. Comme l'a rappelé M. Victoria, le Conseil constitutionnel a distingué du peuple français les peuples d'outre-mer, s'appuyant notamment sur le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution, qui n'est plus adapté aujourd'hui à la réalité politique et juridique de ces collectivités. L'adoption de l'amendement obligera donc le Conseil à adopter une autre jurisprudence. Il est donc doublement intéressant.

Mme la Ministre - Je partage entièrement le point de vue du président de la commission sur ce très bel amendement. Il était temps d'actualiser notre Constitution sur ce point, et je félicite M. Victoria et ses coauteurs MM. Audifax, Thien Ah Koon, Quentin et Grignon (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). J'émets donc un avis très favorable à cet amendement sans doute historique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Victorin Lurel - Je m'étonne de la façon dont arrive cet amendement. Vendredi dernier, le président Clément, en me répondant sur l'amendement par lequel, à l'article premier de la Constitution, je souhaitais supprimer le mot « race », m'a dit qu'il me donnerait raison, grâce à une proposition reçue de collègues de l'outre-mer, sur une problématique que j'avais soulevée, et qui était précisément celle-ci. Je crois en effet avoir été l'un des seuls parlementaires à aborder la dialectique entre le concept de peuple et celui de population. J'ai abordé ce sujet le 10 septembre devant Mme la ministre, alors qu'il ne faisait l'objet à l'époque d'aucune réflexion.

Qu'implique en effet ce sujet ? Le Préambule de 1946 et celui de 1958 distinguent en somme deux peuples : le peuple français, comprenant l'hexagone, la Corse et les DOM ; et les peuples d'outre-mer, qui ont vocation à la libre détermination. Il y a donc eu à ce sujet un problème jurisprudentiel. A la faveur de la consultation organisée à Mayotte, est parue une décision du 4 mai 2000 qui parlait de « peuples de l'outre-mer », qui ont vocation à la libre détermination. Puis l'affaire a été revue et corrigée par le Conseil, dans un sens heureux, le 7 mai 2000, où l'on parlait des « populations de l'outre-mer », toujours en reconnaissant leur libre détermination.

Il y a donc un problème de cohérence avec des acquis historiques, enregistrés dans le Préambule de 1946 qui parlait de l'union de la France avec ses colonies, et dans celui de 1958, qui parle des peuples des territoires d'outre-mer. Une interprétation géographique a prévalu, englobant dans le concept de l'outre-mer et les DOM, et les TOM. Ce qui me gène, c'est que le président Clément a levé la forclusion pour déposer cet amendement, en le confiant à nos amis de la Réunion. Il eût été de bonne politique - y compris politicienne - de le confier également à Mme Louis-Carabin et à M. Beaugendre. A mon sens on règle le problème de mauvaise manière, en flattant ceux qui ont peur. Je rappelle qu'en Guadeloupe, entre 1980 et 1987, il y a eu des bombes comme en Corse. Le Président François Mitterrand est venu nous dire : « Toi, mon frère guadeloupéen, tu as ta place dans la République ». Et les gens ont accepté de déposer les armes et de discuter, et jusqu'ici le dialogue perdure. Si on ferme la dernière petite fenêtre, pour donner des gages aux amis de la Réunion, on va créer une ambiance délétère et mortifère en Guadeloupe et peut-être en Guyane. Il y a en effet des gens qui affirment sans problème qu'ils appartiennent au peuple français, mais qui prétendra qu'il n'existe pas un peuple amérindien ? Un peuple martiniquais, un peuple guadeloupéen ? Personne ne conteste le concept juridique du peuple français unique et du territoire indivisible. Mais je dis que, pour donner des gages à la Réunion, on introduit en Guadeloupe quelque chose de grave. Si l'on avait écrit que le peuple français reconnaît « la population » corse - ou bretonne, languedocienne, etc, je peux vous assurer qu'aujourd'hui il y aurait de bombes en Corse, et des « nuits bleues ».

On ne légifère pas sur la base de la peur. Vous ne pouvez figer l'histoire, la geler dans le granit de la Constitution : vous aurez des problèmes en Guadeloupe et dans la Caraïbe. On donne des gages à un électorat frileux, on donne des gages à la Réunion parce que la Réunion a peur (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Faut-il rappeler la déclaration de M. Chirac au Caire ? A présent, l'on nous réduit à un agrégat d'atomes individuels. Par un amendement coupable et liberticide, on dissout la notion du peuple guadeloupéen, martiniquais, guyanais, réunionnais. Comme Francis Fukuyame, on veut croire à la fin de l'histoire : c'est prendre une grave responsabilité, pour donner quelques gages à des électeurs frileux. La meilleure preuve de notre appartenance à la nation française, c'est l'affection, le vouloir vivre ensemble, le plébiscite de 350 ans d'histoire, qu'on est en train de supprimer pour donner des gages à des réactionnaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Christiane Taubira - Je veux dire à ceux qui sont terrorisés par certains thèmes que l'autodétermination des peuples est simplement inscrite dans le droit international. Sa reconnaissance n'exige aujourd'hui aucune résolution. Quant à la « population », pour moi, c'est un concept statistique, alors que le « peuple » est un concept historique. Je ne conçois pas qu'on passe par pertes et profits l'histoire de nos territoires et de nos peuples, la construction de nos identités, dans une histoire douloureuse et violente, qui nous décline tous, parce que nous en sommes les descendants. Je ne conçois pas qu'on passe par pertes et profits des générations de résistances, de proclamations d'identité, de construction de syncrétismes religieux, de langues forgées, de savoirs et de savoir-faire inventés et transmis, simplement pour rassurer - pardonnez la brutalité du propos, mais la violence qui est faite par cet amendement la justifie - les plus poltrons d'entre vous (Protestations sur les bancs du groupe UMP), ceux qui sont tétanisés quand on parle de liberté et de responsabilité. Nous n'avons pas le droit, face à l'histoire, face à nos enfants, de laisser inscrire « les populations d'outre-mer », alors que nous savons que sur nos territoires il y a des peuples qui ont construit leur histoire, qui ont forgé leur légitimité et se sont inscrits dans l'humanité et qui vivent le pacte républicain sans que celui-ci soit jamais formulé et soumis à leur consentement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme la Ministre - Je ne peux laisser dire certaines choses. Puisque M. Lurel a fait allusion à la déclaration du Président de la République au Caire, je veux lui préciser que le fondement de cette déclaration est le deuxième alinéa du Préambule, qui reste en vigueur, et qui fait référence à la libre détermination des peuples. Par ailleurs, l'article 53 de la Constitution est toujours là pour répondre aux préoccupations qu'il a exprimées. Ne confondons pas tout (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Victorin Lurel - L'article 53 ne s'applique pas aux DOM.

L'amendement 188, 2e rectification, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 29 a déjà été défendu.

M. le Rapporteur - Cet amendement a été accepté par la commission. Le Sénat a introduit une disposition permettant au Président de la République de consulter les électeurs d'une collectivité d'outre-mer sur l'évolution institutionnelle de celle-ci, sans qu'il soit besoin d'une loi. Cet amendement étend le champ d'application de cette procédure : la consultation pourra ainsi porter sur l'ensemble des éléments constitutifs de l'organisation d'une collectivité territoriale.

Mme la Ministre - Le Gouvernement est très favorable à cette précision qui permettra d'organiser un référendum consultatif portant sur un projet institutionnel global.

M. Victorin Lurel - Nous sommes d'accord avec cet amendement (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP).

Mais je regrette que le Gouvernement n'ait pas compris le sens et l'esprit de nos interventions. Et je rappelle que la LOOM, validée par le Conseil constitutionnel, était autrement plus large que ce texte : elle permettait de consulter les électeurs sur tous les éléments de leur statut, alors que ce projet réduit le périmètre du référendum à trois types de questions.

Je répète que le Président de la République a bien évoqué, au Caire, la possibilité de l'indépendance, j'ai le texte de ses déclarations.

Par ailleurs, la référence à l'article 53 n'est pas appropriée. Nous ne voulons pas le fédéralisme, nous voulons la reconnaissance de notre peuple, de sa culture, de son histoire. Or, vous venez de raturer d'un trait de plume le peuple guadeloupéen (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous venez de prendre une décision liberticide. Le général de Gaulle, quand il est venu chez nous en 1958, avait dit que nous pourrions adapter les lois de la République : plusieurs décennies après, on en est toujours au même point, on répète les mêmes erreurs par sectarisme idéologique ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

On ne fait pas une Constitution pour récompenser ses amis au Sénat ou à la Réunion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

L'amendement 29, mis aux voix, est adopté.

A la majorité de 45 voix contre 14 sur 61 votants et 59 suffrages exprimés, l'article 7 ainsi amendé est adopté.

ART. 8

M. Victorin Lurel - Je tiens à répéter que nous sommes choqués par ce qui vient de se passer.

A propos de l'article 8, je rappelle au Gouvernement que la LOOM n'avait pas que des mauvais côtés. Un congrès a eu lieu à la Guadeloupe, réunissant 75 personnes. Auparavant, il y avait eu la déclaration de Basse-Terre. Les deux résolutions adoptées par le congrès ont été transmises au Gouvernement, ainsi qu'une motion du conseil général : ces textes exprimaient la volonté des représentants du peuple guadeloupéen. Nous avions demandé une assemblée unique et un pouvoir législatif encadré. Le même processus s'est déroulé à la Martinique et en Guyane.

Alors je m'étonne qu'à une époque où on parle beaucoup de la France d'en bas, toutes les initiatives soient laissées à la France d'en haut. Pour effectuer la moindre réforme, il faudra une loi d'habilitation. Si nous avions plus d'initiative, nous aurions pu, par exemple, proposer un texte pour résoudre les problèmes récents dans les transports.

Une revendication a été formulée par 73 élus guadeloupéens, droite et gauche confondues, et le Gouvernement fait l'impasse ! Il ne répond pas aux demandes de la France d'en bas.

Mme Christiane Taubira - Cet article 8 contient des choses étranges. Il reprend l'esprit du traité d'Amsterdam, mais sans confirmer explicitement le droit permanent à dérogation qui y est inscrit.

Il institue une vraie course d'obstacles pour mettre en _uvre le droit d'adaptation législative.

Il traduit aussi les frayeurs du Sénat qui, après avoir dressé une liste exhaustive des domaines exclus des lois d'habilitation, ajoute qu'une loi organique pourra encore la compléter. Mais cette volonté obsessionnelle de niveler, d'homogénéiser ne tient pas face à la réalité, car qu'est-ce que la République française aujourd'hui ? C'est la Corse, la Bretagne, toutes ces identités régionales magnifiques, ces langues qu'on s'obstine à asphyxier, mais qui renaissent toujours. C'est aussi la Nouvelle-Calédonie avec son statut original de souveraineté partagée. C'est la Polynésie française, qui attend toujours sa fameuse citoyenneté parce que le Président de la République a refusé de convoquer le Congrès, qui devait aussi modifier les dispositions concernant le Conseil supérieur de la magistrature. C'est aussi Wallis-et-Futuna et ses trois rois, Mayotte et sa population musulmane. Pourquoi donc vouloir tout uniformiser, comme si l'outre-mer était un ensemble statistique et non un ensemble de peuples dont la diversité fait la richesse même de la République française ? L'outre-mer, c'est aussi ce qui permet à la France de se faire entendre comme pays résident et non puissance étrangère aux Amériques, dans la Caraïbe, dans l'océan Indien et dans l'océan Pacifique.

Cet article 8 trahit aussi les frayeurs de nos amis de La Réunion qui ont décidé de verrouiller l'avenir pour les générations futures. Il ne fait pas honneur à ses auteurs, qui auraient plutôt dû chercher à renforcer le dialogue entre l'outre-mer et, j'allais dire la mère-patrie, mais le mot serait incongru après ce que nous avons entendu tout à l'heure...

Mme Gabrielle Louis-Carabin - Et dire que vous avez été candidate à la présidence de la République !

Mme Christiane Taubira - J'ai l'impression de subir les effets d'une machine à remonter le temps, et Mme Louis-Carabin me paraît appartenir à des temps révolus (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Madame la ministre, je n'ai pas vos frayeurs, je n'ai pas peur de l'avenir...

Plusieurs députés UMP - Nous non plus !

Mme Christiane Taubira - ...et je reconnais aux générations futures le droit de façonner le leur.

Mme la ministre a essayé de nous expliquer pourquoi les collectivités d'outre-mer étaient inscrites nominativement dans la Constitution. L'un des grands arguments est que Mayotte figurerait toujours dans la Constitution des Comores. Pourquoi cela fait-il peur ? La Guyane figure encore sur certaines cartes d'état-major du Brésil et j'avoue m'endormir tous les soirs sans craindre une invasion brésilienne !

La responsabilité et la dignité nous appellent à ne pas voter cet article 8, fruit de frayeurs irrationnelles et porteur de blocages à l'avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Gabrielle Louis-Carabin - On a voulu faire croire, hier soir et cet après-midi, que certains députés d'outre-mer ne venaient dans l'hémicycle que lorsqu'on y traitait de l'outre-mer. Avec mon collègue Beaugendre, nous sommes souvent là, et sur des sujets très divers. Nous sommes d'abord des députés de la nation française (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Et personnellement, je suis les débats sur ce projet de loi constitutionnelle ambitieux depuis la semaine dernière. C'est un texte homogène qui concerne l'organisation décentralisée aussi bien de la France d'outre-mer que de la France hexagonale. Car, dois-je le rappeler, la France ne s'arrête pas aux frontières de l'hexagone, l'outre-mer faisant au contraire toute sa richesse et sa diversité.

Je me félicite de l'audace et de la détermination du Gouvernement, et ce texte ne me fait pas peur, Madame Taubira. Il fallait ancrer la Constitution dans la modernité en y introduisant les dispositions nécessaires pour favoriser le développement de l'outre-mer.

L'article 8, qui permet d'adapter la législation aux réalités locales de nos collectivités d'outre-mer et assouplit le régime de l'assimilation législative auquel elles sont soumises, leur donne les moyens d'agir efficacement. Je salue la confiance que le Gouvernement accorde aux élus locaux. Elus de terrain, nous sommes parfaitement à même d'évaluer les besoins de nos concitoyens. Appliquer dans nos territoires des lois qui ne prendraient pas en compte leurs particularités serait un non-sens. Je pense notamment à la réglementation des transports en Guadeloupe qui doit être adaptée pour tenir compte des usages. On peut être citoyen français et être soumis à des règles distinctes si celles-ci répondent aux caractéristiques si diverses des régions françaises.

En érigeant en principe constitutionnel la création d'une seule et même collectivité ou l'institution d'une assemblée unique délibérante, vous avez tenu compte des revendications des élus d'outre-mer. Ainsi en finira-t-on avec les lourdeurs administratives et les gaspillages qui entravent le développement même de nos territoires.

L'accord exigé des électeurs pour l'instauration d'une collectivité ou d'une assemblée unique est une garantie démocratique. Les citoyens guadeloupéens seront ainsi associés aux décisions concernant leur avenir.

Je terminerai mon propos en insistant sur la nécessité de responsabiliser les acteurs et de faire évoluer les mentalités.

Les élus de Guadeloupe sont prêts. Ils ne manqueront pas de rappeler que ces grands principes constitutionnels doivent s'inscrire dans la dynamique de développement qu'ils attendent de pouvoir enclencher (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bertho Audifax - Dans la discussion générale, j'ai souligné la particulière sensibilité des Réunionnais aux changements institutionnels. Je n'y reviendrai pas, mais je souhaite éclairer l'Assemblée sur les conséquences de l'amendement déposé au Sénat par M. Jean-Paul Virapoullé et approuvé à une très large majorité par la Haute Assemblée.

Cet amendement, pour lequel le Gouvernement s'en était remis à la sagesse du Sénat, garantit à la Réunion un droit constitutionnel constant. La gauche a voulu faire croire qu'il bloquait l'île dans un intégrisme et un obscurantisme constitutionnels. Il n'en est rien.

Rien n'interdit à l'Etat d'exercer ses pouvoirs réglementaires ou législatifs pour défendre la Réunion contre tous textes préjudiciables aux intérêts de l'île. C'est même de son devoir. C'est d'ailleurs à ce titre qu'ont été prévues des adaptations pour l'outre-mer dans l'article 299-2 du traité d'Amsterdam.

Ce projet de loi reprend l'esprit du 299-2 et élargit le champ de ces adaptations. Cela sera une source de cohérence et d'efficacité. Rien n'interdira demain au conseil général ou au conseil régional de demander des adaptations réglementaires mais celles-ci interviendront seulement dans le champ de leurs compétences et après autorisation législative. Rien n'interdira la voie de l'expérimentation législative qui relève de l'article 37-1 à l'initiative de l'Etat et de l'article 72-4 à l'initiative des collectivités locales.

Il n'y a aucun paradoxe à vouloir une assimilation adaptée dans les domaines relevant des compétences du département ou de la région d'outre-mer et en même temps à refuser l'autodérogation. L'assimilation adaptée tient compte des contraintes et caractéristiques particulières, l'auto-dérogation de « spécificités », notion distincte, prise en compte, elle, dans l'article 74. La position réunionnaise est donc parfaitement cohérente.

Oui, la Réunion refuse l'autonomie, c'est-à-dire la règle que l'on se fixe à soi-même dans les domaines réglementaire et législatif de l'Etat, mais accepte sans réserve le principe de l'adaptation élargie.

L'article 72-4 a suscité de vives réticences chez les Réunionnais, mais les verrous qu'il prévoit paraissent suffisants. Nous resterons toutefois vigilants sur le contenu des lois organiques.

Enfin, sur le plan financier, j'ai entendu à de multiples reprises les élus de gauche redouter que, dans le cadre de l'expérimentation, des inégalités économiques se creusent entre régions aisées et moins aisées. Curieusement, personne sur les mêmes bancs, ne semble craindre qu'à travers les articles 73 et 74, déléguant de larges compétences aux départements, régions et collectivités d'outre-mer, des disparités énormes apparaissent entre régions hexagonales et régions d'outre-mer. Avez-vous, chers collègues, des craintes pour l'égalité des régions hexagonales que vous n'avez pas pour l'outre-mer ? Cela ne m'étonne pas mais avouez que cela contraste singulièrement avec vos envolées dans ce débat. Mais avec vous, il est vrai qu'il y a toujours loin de la coupe aux lèvres.

Je remercie le rapporteur d'avoir tenu compte de la volonté des Réunionnais. La sagesse du Gouvernement confirme les engagements du Président de la République dont nous n'avons jamais douté, nous. Le Président de l'Assemblée nationale a témoigné hier soir encore son attachement aux régions d'outre-mer, mais il est vrai qu'il est tombé dans la marmite quand il était petit (Sourires).

Nos collègues de la majorité qui sont restés hier soir jusqu'au bout à nos côtés nous ont témoigné leur solidarité, et ce témoignage d'amitié restera dans ma mémoire.

M. le Président - Comme c'est moi qui préside ce soir, j'apporte aussi mon témoignage d'amitié aux populations d'outre-mer.

M. René Dosière - Le Sénat a adopté un amendement aux termes duquel la Réunion, et elle seule, pourrait être privée de la possibilité de fixer, à sa demande, ses propres règles dans un certain nombre de domaines. Une telle exclusion risquerait de nuire à ses intérêts mêmes. Au demeurant, figer cette exclusion dans le marbre de la Constitution ne fait qu'introduire une rigidité supplémentaire, une de plus. C'est donc à juste titre que notre commission des lois avait supprimé cet amendement sénatorial. Mais des man_uvres policiennes de la droite réunionnaise l'ont ensuite emporté !

Le 12 novembre, la commission adoptait son amendement de suppression. Le 18 novembre, le président du conseil général de la Réunion tenait une conférence de presse dans laquelle il annonçait que le président de la commission s'était engagé à retirer cet amendement.

Sur le plan des principes, est-il acceptable qu'un élu local obtienne le retrait d'un amendement et l'apprenne avant l'Assemblée ? Il semble que la rigueur juridique imposée par une révision constitutionnelle n'ait pas pesé lourd devant la politique politicienne.

Mais le sens historique peut-il s'effacer devant celui de l'opportunité ? L'amendement du Sénat n'est pas acceptable, d'abord parce qu'il inscrit dans la Constitution une disposition qui ne concerne qu'un département. Pourquoi pas une République morcelée, avec des dispositions expresses pour le Limousin ou la Picardie ? En outre, il s'agit d'un dispositif d'exclusion. Le Parlement va exclure la Réunion des futures avancées de la décentralisation.

La droite réunionnaise a agité un faux débat. Jouant sur les peurs, elle a pris le pari devant l'opinion que ses représentants au Parlement sauveraient la Réunion de l'aventure institutionnelle. En réalité, l'amendement Virapoullé est un amendement intégriste. Il a pour seul mérite de pouvoir être utilisé contre la gauche réunionnaise qui, s'étant exprimée pour l'amendement de la commission des lois, se fait accuser d'autonomisme. Le président Clément, un autonomiste, nous aurons tout vu ! (Rires)

Qui fait la loi : certains élus réunionnais de droite ou la représentation nationale ? Je regrette, Monsieur le président de la commission des lois, que vous vous soyez prêté à une telle comédie dans une révisions constitutionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je suis saisi d'une demande de scrutin public sur l'amendement 83.

M. Victorin Lurel - Ledit amendement a pour objet de préciser les moyens offerts au législateur pour adapter le mieux possible les dispositions législatives aux spécificités des départements et régions d'outre-mer. Il prévoit que le législateur peut adopter des adaptations, mais aussi des mesures spécifiques. Son texte est directement inspiré de l'article 299-2 du traité de Rome. Il donne au Parlement une gamme plus étendue que les adaptations qui ont été « octroyées », comme je l'ai entendu dans la bouche d'un ministre, ce qui m'a rappelé Louis XVIII et la charte de la Restauration. Cet amendement répond ainsi aux demandes formulées par les Français d'en bas.

M. le Rapporteur - Il donne au législateur la faculté de déroger directement au principe d'assimilation. Mais les lois d'orientation qui se sont succédé ont déjà pris des dispositions spécifiques à l'outre-mer. Le véritable enjeu, c'est que chaque DOM puisse adopter les mesures spécifiques requises par sa situation propre ; c'est la prise en compte de la diversité des DOM dans notre édifice juridique au-delà du label unificateur de département ou de région d'outre-mer. Or, qui mieux que les collectivités concernées est à même d'adapter ces mesures ?

Tel est le dispositif retenu dans le projet. Par un principe qui s'apparente à celui de la subsidiarité, chaque collectivité adopte, sur habilitation législative, les mesures dont elle a décidé. La commission a donc repoussé cet amendement.

Mme la Ministre - Avis défavorable. La notion de mesure spécifique se confond parfaitement avec celle d'adaptation. On ne fait pas d'adaptation sans prendre des mesures spécifiques.

Mme Christiane Taubira - Ce refus place la Constitution en deçà du traité d'Amsterdam. L'article 8 prévoit des adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières des collectivités. L'article 299-2 du traité parle de mesures spécifiques « nécessitées » par leur situation. Or cette situation est pérenne ! On ne peut se contenter de penser comme s'il s'agissait de réagir au lendemain d'un cyclone. Cela n'est pas à la hauteur des spécificités de l'outre-mer.

A la majorité de 39 voix contre 16 sur 55 votants et suffrages exprimés, l'amendement 83 n'est pas adopté.

Mme Christiane Taubira - L'amendement 148 est défendu.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Ministre - Il existe désormais deux grands ensembles : les collectivités assujetties au régime de l'assimilation législative et celles qui jouissent d'une spécialité plus ou moins modulée allant jusqu'à l'autonomie. Cet amendement dénature le statut départemental. Si la collectivité désire plus de latitude, elle doit indiquer qu'elle préfère être régie par l'article 74.

Mme Christiane Taubira - C'est dire clairement que les articles 7 et 8 opèrent une fermeture. Ils ne tiennent aucun compte de l'évolution institutionnelle des DOM, et ne comprennent pas que 56 ans après la loi de départementalisation, il y a tout une palette d'options entre la départementalisation à outrance, qui a asphyxié nos économies, et la rupture brutale, qui n'est réclamée par aucune force politique officielle.

La réforme envisage des habilitations et des adaptations pour les départements, mais à des conditions si drastiques qu'ils en seront désespérés. Et même si un référendum local s'avère positif, le Parlement n'est pas tenu de légiférer ! C'est un chantage implicite : soit vous conservez votre statut, sachant que toute modification de votre législation sera comme gravir une montagne de savon, soit vous passez sous le régime de l'article 74. Cela n'est pas à la hauteur des espérances des peuples d'outre-mer.

L'amendement 148, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Victorin Lurel - Ce projet de loi ne laissait que peu de possibilités d'amendement à la représentation nationale.

M. Jean-Luc Warsmann - C'est faux !

M. Victorin Lurel - Mais il ne disait pas un traître mot de la coopération régionale. Or, la loi d'orientation sur l'outre-mer avait ouvert un chapitre intéressant en la matière. Une polémique avait été déclenchée par un élu de la Guadeloupe sur la représentation de la France à l'association des Etats de la Caraïbe, que le droit jusqu'ici n'a pas tranché. Ce que le gouvernement de l'époque désirait, c'est que les départements français d'Amérique jouent un rôle actif dans leur environnement immédiat. Il ne s'agissait en aucun cas de s'approprier des attributs de souveraineté nationale, mais de parler au nom de la France.

Je regrette que ce projet ne comprenne pas quelques lignes sur la coopération régionale. L'amendement 147 veut donc fixer les règles applicables en la matière. L'Etat garde bien sûr le monopole de la souveraineté. Il existe déjà des coopérations dans des domaines tels que la recherche agronomique ou universitaire, le transport aérien ou le tourisme. Il faut lever les restrictions qui existent encore.

M. le Rapporteur - L'amendement ne relève pas de la loi constitutionnelle. Avis défavorable.

Mme la Ministre - Avis défavorable. Je tiens à préciser que si M. Marie-Jeanne n'a pu défendre lui-même l'amendement, c'est qu'il est à Belize, où il dirige la délégation française au sommet de l'association des Etats de la Caraïbe, et où il parlera donc au nom de la France. Le Gouvernement est évidemment très favorable au développement de la coopération dans la Caraïbe, mais c'est à l'Etat, et à lui seul, qu'il revient de fixer les règles selon lesquelles cette coopération doit s'organiser. Cela n'empêche pas, comme vous pouvez le constater aujourd'hui même, que le Gouvernement autorise les élus d'outre-mer à s'exprimer et, éventuellement, à signer des accords de coopération régionale au nom de la France.

Mme Christiane Taubira - C'est le cas depuis fort longtemps et c'est heureux. Mais nous avons besoin de pouvoir réagir plus vite, notamment en matière de pêche, car les conflits de limites de zones sont très fréquents.

Quant à dire, comme l'a fait le rapporteur, que l'amendement n'aurait pas sa place dans ce texte... que faut-il penser, alors, de l'énumération interminable introduite par le Sénat au quatrième alinéa de l'article ?

M. Gérard Bapt - Très bien !

L'amendement 147, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 18 est rédactionnel.

L'amendement 18, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 19, qui devrait être rectifié pour se lire « ou d'un droit constitutionnellement garanti », vise à encadrer les procédures d'habilitation prévues.

L'amendement 19 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Victorin Lurel - L'amendement 84 tend à satisfaire une très forte revendication, en donnant un pouvoir d'initiative législative et réglementaire aux collectivités régies par l'article, dans leur domaine de compétence, sous le contrôle du Parlement, par un dispositif qui s'inspire des règles applicables aux ordonnances. En l'état, le Président de la République reste maître de la décision, alors que celle-ci devrait venir d'« en bas ». Mme Taubira l'a souligné avec justesse : nous devons pouvoir réagir plus vite. Voyez la situation du tourisme : le Gouvernement nous propose une loi-programme, mais les entreprises sont déjà en train de déposer leur bilan ! Nous devons pouvoir réagir à l'urgence, et ce pouvoir de réaction ne remettrait pas en cause l'unité de la République.

M. le Rapporteur - L'amendement a ceci de surprenant qu'il contredit votre amendement précédent. De plus, il aurait pour conséquence de retirer au Parlement sa compétence suprême. Ce n'est pas l'esprit du texte, qui concilie unité et diversité. Avis défavorable.

M. Victorin Lurel - Nous n'avons pas la même lecture.

Mme la Ministre - Outre ce que l'on peut en dire sur le fond, l'amendement n'a pas sa place dans une loi constitutionnelle. Avis défavorable.

L'amendement 84, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Sur l'amendement 85, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Victorin Lurel - Sur l'amendement 85, nous voulons préciser les conditions de création d'une assemblée unique ou d'une collectivité à statut particulier, et dire que l'initiative de la demande doit revenir aux élus de la collectivité concernée et non au Président de la République. N'est-ce pas, d'ailleurs, l'esprit de la LOOM, qui n'est pas abrogé ?

Je sais que Mme la ministre a indiqué, au Sénat, qu'à Mayotte un accord avait été trouvé avec les formations politiques. Cela n'empêche pas que la prééminence doit, dans tous les cas, être laissée aux élus. Actuellement, au motif qu'il ne faudrait pas « rigidifier » la Constitution, les élus ne sont impliqués qu'à la marge dans le processus d'évolution institutionnelle, et ils ne maîtrisent rien, alors même que l'initiative devrait leur revenir.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Mme la Ministre - Avis également défavorable. J'ai déjà répondu à M. Lurel à ce propos, et je m'étonne de l'obstination avec laquelle il souhaite introduire une procédure rigide. Pourtant, le gouvernement précédent, qu'il soutenait, a fait preuve d'une grande souplesse dans le processus d'évolution institutionnelle de Mayotte ! Laissons donc au Président de la République et au Gouvernement la liberté de choisir les moyens les plus favorables.

Mme Christiane Taubira - Tel que l'article est rédigé, nous n'avons aucune garantie que, même au cas où une volonté majoritaire d'évolution institutionnelle s'exprimerait par référendum, elle soit suivie d'effet. Autant dire que le texte ne tient compte ni des processus déjà engagés, ni de revendications vieilles de cinquante ans. Combien de décennies seront donc nécessaires pour que la réflexion aboutisse ? Qu'au moins le Gouvernement s'engage à faire droit à la revendication d'assouplissement des règles !

M. Victorin Lurel - Madame la ministre, il ne s'agit pas du tout de dessaisir le Président de la République de son pouvoir de décision, mais simplement d'insérer les élus dans le dispositif.

A la majorité de 45 voix contre 17 sur 62 votants et 62 suffrages exprimés, l'amendement 85 n'est pas adopté.

M. le Président - J'informe d'ores et déjà l'Assemblée que je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur l'article 8.

Mme Christiane Taubira - L'amendement 117 corrigé de M. Marie-Jeanne vise à simplifier la rédaction du dernier alinéa car qui dit collectivité unique dit assemblée délibérante unique.

M. le Rapporteur - Avis défavorable car il ne faut pas confondre deux processus distincts : la fusion d'un DOM et d'une ROM en une seule collectivité, ayant évidemment pour corollaire l'institution d'une assemblée unique ; et la décision d'un DOM et d'une ROM, juridiquement maintenus, de confier la gestion de leurs compétences à une assemblée unique.

Mme la Ministre - Défavorable pour les mêmes raisons.

M. le Président - Voulez-vous intervenir sur cet amendement, Monsieur Chassaigne ?

M. André Chassaigne - J'expliquerai mon vote sur l'article 8.

M. le Président - Les explications de vote sur les articles ne sont pas prévues par le Règlement.

M. André Chassaigne - J'en ai déjà vues !

M. le Président - Aujourd'hui, c'est moi qui préside.

L'amendement 117 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Christiane Taubira - L'amendement 204 de M. Marie-Jeanne est défendu. Son exposé des motifs est éclairant.

M. le Rapporteur - Défavorable.

Mme la Ministre - Je vais être un peu plus explicite car visiblement Mme Taubira ne sait pas de quoi il s'agit (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). L'amendement de M. Marie-Jeanne est satisfait car la collectivité qui résultera de la fusion d'un DOM et d'une ROM demeurera régie par l'article 73 tout en ayant un statut particulier au sens de l'article 72, alinéa premier. En conséquence, avis défavorable.

Mme Christiane Taubira - Rappel au Règlement. Je m'étonne d'entendre Mme la ministre, habituellement si courtoise, prétendre que je ne sais pas de quoi je parle. Mes électeurs méritent plus de respect ! Vous n'avez pas, Madame la ministre, à porter de jugement de valeur sur le travail que j'effectue ici (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Ministre - Je suis désolée, Madame Taubira, que vous m'ayez comprise de cette façon. Je voulais simplement expliciter le point de vue de M. Marie-Jeanne, qui m'avait parlé de ce problème, par égard vis-à-vis de lui. Mon propos n'était pas dirigé contre vous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 204, mis aux voix, n'est pas adopté.

A 1a majorité de 51 voix contre 17 sur 68 votants et 68 suffrages exprimés, l'article 8 est adopté.

ART. 9

M. René Dosière - En 1988, la Nouvelle-Calédonie était en guerre civile. Il a fallu toute l'intelligence politique de Michel Rocard pour renouer le dialogue entre les communautés kanak et européenne. La clairvoyance et le courage manifestés tant par Jacques Lafleur que par Jean-Marie Tjibaou aboutirent aux accords de Matignon le 26 juin. Ce texte, approuvé au référendum du 8 novembre 1988 par 80 % des votants - 57 % seulement sur le territoire - a ouvert une période de paix de dix ans, puisqu'un référendum d'autodétermination était prévu pour 1998. Le texte précise que seuls pourront voter les Calédoniens ayant dix ans de résidence. Cette disposition est déjà au c_ur des revendications kanaks. Malgré l'assassinat, un an plus tard, de Jean-Marie Tjibaou et de Yéwéné-Yéwéné, le processus de Matignon tient bon, la stabilité politique favorise le développement économique.

A l'approche de l'échéance de 1998, l'incertitude sur l'avenir inquiète les investisseurs et les responsables politiques. Une nouvelle fois, Jacques Lafleur fait preuve de courage politique en proposant une nouvelle négociation qui va aboutir aux accords de Nouméa, signés le 5 mai 1998. La volonté politique de Lionel Jospin permet de surmonter les obstacles d'ordre minier.

Par ces accords, le scrutin d'autodétermination est repoussé à l'horizon 2013, voire 2018. Dans l'intervalle, un fonctionnement institutionnel tout à fait original et singulier se mettra en place : gouvernement territorial associant, à la proportionnelle, les deux forces politiques signataires des accords ; autonomie de plus en plus poussée grâce à des transferts de compétences et de moyens financiers ; faculté de voter des « lois de pays » soumises non plus à l'Assemblée nationale, mais au Conseil constitutionnel. Ce pouvoir législatif accordé à une assemblée locale constitue une première dans l'histoire de notre république. De plus, la citoyenneté calédonienne vient s'ajouter à la citoyenneté française. Aux élections nationales, le droit de vote est général. Aux élections qui concernent le territoire, le corps électoral est restreint aux électeurs qui ont des attaches profondes avec la Calédonie.

Ces dispositions ont nécessité une révision de la Constitution, qui fut adoptée par 827 voix contre 31. Le 8 novembre suivant, les citoyens calédoniens exprimèrent massivement leur approbation. Une loi organique fut, ensuite, votée à l'unanimité du Parlement.

A cette occasion, le Conseil constitutionnel a émis une réserve interprétative sur le « corps électoral restreint ». Le Parlement fut donc conduit à préciser de nouveau son interprétation, une fois encore à la quasi-unanimité : dans un scrutin public au Sénat, cet article recueillit 306 voix pour, contre 7. Mais ce texte constitutionnel n'a pu aboutir, la réunion du Congrès ayant été annulée à la dernière minute par le Président de la République, pour des raisons étrangères à la Nouvelle-Calédonie.

Voilà donc le contexte dans lequel se pose la question du corps électoral calédonien. Je défendrai un amendement afin de rétablir le texte que nous avons, que vous avez voté deux fois déjà à la quasi-unanimité. Il n'a pas été repris dans la présente révision, alors qu'à l'article 9 vous avez repris les dispositions concernant la Polynésie. Dans la discussion de mon amendement, je montrerai l'importance politique que cet oubli risque d'avoir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Béatrice Vernaudon - Pour l'outre-mer français, ce texte est essentiel, et propre à régénérer sa relation avec la République. Cet ancrage est pour nous un gage de sécurité et de stabilité, mais surtout de reconnaissance et de confiance. En outre, chaque collectivité aura désormais le droit d'évoluer à son rythme, grâce à une procédure équilibrée, dont le consentement de la population sera un maillon indispensable.

Pour la Polynésie française ce texte est doublement fondateur. En effet, la Constitution reconnaît son autonomie et prévoit qu'une loi organique viendra la compléter. Cette loi permettra à l'assemblée polynésienne de sécuriser ses actes juridiques et de prendre des mesures particulières en faveur de sa population, concernant le foncier ou l'emploi. Elle lui permettra de participer, sous le contrôle de l'Etat, à l'exercice de certaines compétences que conserve ce dernier.

Le statut d'autonomie, où certains ont vu à tort du séparatisme ou du nationalisme, nous a été octroyé par l'Etat en 1977. Depuis, à la suite de demandes répétées de nos élus, des lois organiques l'ont élargi à trois reprises, en 1984, 1990 et 1996, à mesure que nous, élus, nous estimions fondés et aptes à exercer de nouvelles responsabilités. De ce statut nous avons fait, je crois, un bon usage, gérant une large part des affaires de notre collectivité qui compte aujourd'hui 240 000 habitants. Après trente années de mutations économiques, sociales et culturelles liées aux essais nucléaires, notre statut d'autonomie nous a permis de faire notre reconversion économique et de réinventer une cohésion sociale.

Depuis 1996, grâce au statut, grâce aussi à la solidarité nationale qui a pleinement joué, nous avons fait de notre territoire un véritable laboratoire d'expérimentation et d'innovation, sans avoir recours au RMI, aux 35 heures ni aux allocations chômage, mais en garantissant depuis 1995 à tous les habitants l'accès aux soins et aux prestations sociales. Nous sommes particulièrement fiers du développement de la perliculture et du tourisme : ils ont accru les ressources d'une partie de la population, mais surtout ils ont permis de retourner dans leurs îles aux nombreuses personnes qui, du temps des essais nucléaires, étaient venues s'entasser à Papeete, dans des conditions parfois très précaires.

Aujourd'hui, avec cette réforme, notre autonomie parvient à sa pleine maturité. Dans les mois qui viennent interviendront d'autres évolutions significatives, notamment la modernisation du statut de nos quarante-huit communes, qui n'a pas évolué depuis leur création en 1972, et prévoit toujours une tutelle a priori. Ces évolutions viendront consolider notre développement, dans un souci de proximité, de démocratie participative et de responsabilisation, et en veillant à impliquer notre jeunesse. Parallèlement au développement économique et au progrès social, nous avons le souci de protéger notre environnement ainsi que nos valeurs culturelles, familiales et communautaires.

Je tiens à vous dire que nos populations sont reconnaissantes envers la solidarité nationale, mais aussi pour la confiance accordée à leurs institutions et à leurs élus à travers le statut d'autonomie. En retour, leur sentiment d'appartenance et leur attachement à la République ont grandi. Nous avons à c_ur d'être en Océanie les témoins des idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité. Je voterai donc l'article 9 avec tranquillité, car pour nous l'article 74 n'a rien d'une rupture : c'est un gage de confiance et de responsabilité, dont nous entendons continuer à être dignes. Avec mon collègue Michel Buillard et notre président Gaston Flosse, nous serons heureux de vous accueillir en Polynésie, pour vous faire découvrir une collectivité d'outre-mer dotée d'autonomie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Vous venez d'inviter un assez grand nombre de députés... (Sourires)

Le groupe socialiste demande un scrutin public sur l'article 9.

M. le Rapporteur - J'ai déposé à titre personnel l'amendement 211, par un souci de symétrie. Selon le texte du projet, le président du territoire peut saisir directement le Conseil constitutionnel, ce qui est peu symétrique par rapport à la saisine telle que la prévoit actuellement notre droit. J'ai pensé qu'il serait bon que les autorités du territoire passent par le Premier ministre, lequel fait partie des autorités susceptibles de saisir le Conseil. Mon amendement permettrait ainsi une harmonisation avec le droit commun de la saisine.

Mme la Ministre - La finalité de la procédure de déclassement des lois qui auraient empiété sur les compétences d'une collectivité d'outre-mer dotée d'autonomie est d'abord la protection des compétences de cette collectivité. Il importe donc que celle-ci puisse saisir le juge compétent si elle estime qu'il y a empiétement. Instituer un filtrage de cette saisine par l'Etat serait donner à celui-ci le droit de s'opposer à la contestation de ses propres compétences : ce serait le faire juge et partie.

Faut-il craindre que le Conseil constitutionnel soit saisi trop souvent ? Je ne le crois pas. Tout d'abord la catégorie des collectivités de l'article 74 dotées d'autonomie semble devoir se réduire pour longtemps à la seule Polynésie : je ne vois se profiler aucune demande d'un statut identique. Ensuite cette procédure ne concernera que les lois promulguées après l'adoption de la loi organique statutaire : les lois votées avant cette date seront déclassées de plein droit par cette loi organique. Enfin la procédure de déclassement par le Conseil constitutionnel n'est pas d'application immédiate : elle entrera en vigueur après l'adoption des dispositions organiques qui en fixeront les modalités. J'ajoute que je fais confiance aux élus concernés pour ne pas abuser de cette procédure. La loi organique disposera par ailleurs que la saisine du Conseil doit être entourée d'une certaine solennité : il y faudra soit une délibération collégiale du gouvernement local, soit un vote de l'assemblée délibérante. Pour ces raisons, je souhaite le retrait de cet amendement.

M. le Rapporteur - Je n'imaginais pas que le Premier ministre, dont la saisine dans mon esprit serait simplement formelle, puisse s'opposer à la vraie saisine, celle des responsables de la collectivité. Mais je ne veux pas avoir raison contre les Polynésiens - pas plus que contre les Réunionnais - et je retire mon amendement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 211 est retiré.

M. le Rapporteur - L'amendement 20 de la commission est de coordination.

Mme la Ministre - Il ne s'agit malheureusement pas de pure coordination. Nous avons certes accepté ce type de formulation à d'autres endroits, mais ici elle est juridiquement inutile. Il va de soi que la participation d'une collectivité autonome à l'exercice des compétences régaliennes de l'Etat doit s'inscrire dans le respect des droits constitutionnels garantis. Je souhaite donc derechef le retrait de cet amendement.

M. le Rapporteur - Avec plaisir...

L'amendement 20 est retiré.

A la majorité de 55 voix contre 16 sur 71 votants et 71 suffrages exprimés, l'article 9 est adopté.

APRÈS L'ART. 9

M. André Chassaigne - L'amendement 185 tend à insérer dans la Constitution une disposition clé de l'accord de Nouméa ayant trait au corps électoral de Nouvelle-Calédonie. Certes cette disposition, approuvée par le Parlement, a été censurée par le Conseil constitutionnel en mars 1999. Mais en juin de la même année, un projet de loi constitutionnelle a été adopté, qui reprend le texte de l'accord. Il n'a malheureusement jamais été soumis au Congrès du Parlement ou au référendum.

Compte tenu de l'enjeu, il est essentiel que nous saisissions l'occasion d'effectuer cette révision. Je rappelle que l'accord de Nouméa, conclu en 1998 entre le RPCR, le FNLKS et l'Etat, a été approuvé par 72 % de la population de Nouvelle-Calédonie. Il consacre le processus d'émancipation du peuple kanak et institue un compromis fragile, qui a évité la guerre civile. Le gel du corps électoral, qui a fait l'objet de difficiles négociations, constitue le point d'équilibre de l'accord et conditionne la réussite du processus de Nouméa.

Si la France ne respecte pas son engagement, comme l'a laissé entendre Mme la ministre en commission, nous allons au devant de graves difficultés.

L'argument que vous invoquez ne nous paraît pas convaincant. En effet, vous prenez prétexte d'un recours intenté devant la Cour européenne des droits de l'homme. Mais ce recours a été introduit dès 1998, alors que la révision constitutionnelle engagée avec, je le rappelle, l'accord du Président de la République, date de 1999. Vous revenez donc bien sur la parole de la France.

Par ailleurs, l'arrêt de la Cour européenne est déclaratoire et ne vaut pas titre exécutoire.

L'opposition à notre amendement ne peut donc se fonder sur un argument juridique, mais bien sur un raisonnement politique.

M. René Dosière - Si je monte à la tribune pour présenter cet amendement, c'est pour en souligner toute la portée.

En tant que rapporteur de la loi organique sur la Nouvelle-Calédonie, je crois devoir vous mettre en garde contre le fait que le Gouvernement n'a pas profité de l'occasion qu'offre cette révision constitutionnelle pour reprendre la disposition que nous avions votée suite à l'accord de Nouméa.

Mon amendement 87 propose de l'inclure dans la Constitution, dans la rédaction votée par l'Assemblée nationale et le Sénat, refusée par le Conseil constitutionnel et à nouveau votée par les deux assemblées.

Les Kanaks, partisans de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, ont accepté un processus lent d'accession à cet objectif, à condition que leur communauté cesse d'être marginalisée par les politiques de peuplement menées par la France depuis qu'elle a pris possession de ce territoire en 1853. Ces politiques ont abouti à une population très mélangée où aucune communauté n'est actuellement majoritaire : les Mélanésiens, partisans de l'indépendance, représentent 44 % de la population, les Européens, majoritairement anti-indépendantistes, 34 %, les Wallisiens 10 %.

Les Kanaks savent que l'accession à l'indépendance nécessite l'adhésion de la majorité du corps électoral et c'est pourquoi ils ont signé cet accord. Les Européens de passage en Nouvelle-Calédonie n'ont pas à décider de l'avenir du territoire. Le corps électoral comprend donc tous ceux, Kanaks ou Européens, qui sont arrivés en Nouvelle-Calédonie avant le 8 novembre 1998 et y compteront au moins dix ans de présence au moment du scrutin sur l'indépendance. Comme l'exprime le journal d'une des composantes du FNLKS, en acceptant la participation des Européens déjà établis, les Kanaks ont fait un geste fort, conforme à la tradition d'accueil de cette région du monde. Mieux, il est prévu que les Européens de passage peuvent participer aux élections municipales.

Je voudrais insister sur l'enjeu de ces amendements identiques. Refuser d'inscrire dans la Constitution un texte voté à l'unanimité par l'Assemblée et par le Sénat serait renier l'accord conclu à Nouméa et qui engage toutes les parties. Or, nul ne peut reprendre la parole donnée.

Soit nous respectons la parole de la France en votant cet amendement, l'accord de Nouméa continuera de s'appliquer et la paix sera préservée ; soit vous refusez l'amendement et les Kanaks, trahis, mettront fin au processus de paix, ce sera la voie ouverte à la violence.

L'enjeu est donc très important, pour la France et pour la Nouvelle-Calédonie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - L'Assemblée connaît bien le problème. Une loi a été votée, le Conseil constitutionnel a formulé une réserve interprétative concernant la composition du corps électoral spécial. Le Gouvernement de M. Jospin est revenu à la charge et, à l'occasion d'une loi constitutionnelle sur la Polynésie, a fait passer un article restreignant à nouveau le corps électoral de Nouvelle-Calédonie. Ce texte n'a jamais été soumis au Congrès.

Un recours a été introduit devant la Cour européenne des droits de l'homme contre cette disposition et la France risque bien de le perdre. C'est à la Cour de juger si le texte est conforme ou non à la convention européenne des droits de l'homme, que nous avons ratifiée. En attendant, il n'est pas possible de l'inscrire dans la Constitution. Avis défavorable aux deux amendements.

Mme la Ministre - J'ai comme l'impression que certains se trompent de débat. Le Gouvernement est fermement déterminé à appliquer l'accord de Nouméa et à veiller à sa bonne application. Mais, comme l'a rappelé le président de la commission des lois, depuis l'adoption du projet de loi constitutionnelle, un recours a été introduit en décembre 2000 devant la Cour européenne des droits de l'homme, et c'est demain même, par un malencontreux télescopage de calendrier, que la France doit produire son mémoire de défense. Il serait extrêmement provocateur à l'égard des juges de la Cour d'adopter ce soir un texte aggravant les dispositions de celui dont elle a été saisie. Ce serait une grave erreur de stratégie que l'on serait d'ailleurs fondé à nous reprocher par la suite. Pour l'heure, nous ne pouvons prendre le risque d'indisposer la Cour et d'être condamnés. En effet, comme vous le savez, la convention européenne des droits de l'homme s'impose à nous en vertu même de nos engagements internationaux.

Je m'inscris donc en faux contre l'interprétation selon laquelle le Gouvernement chercherait à torpiller l'accord de Nouméa. Nous cherchons seulement à éviter un faux pas. Nous reprendrons la question une fois que la Cour se sera prononcée. De toute façon, le problème de corps électoral ne se posera vraiment qu'à partir de novembre 2008. Il n'y a donc pas urgence. Ne nous précipitons donc pas au pire moment !

J'espère, même s'il semble que le sujet ne soit plus maintenant aussi consensuel en Nouvelle-Calédonie, qu'une solution pourra être trouvée avant 2008, à la satisfaction de l'ensemble des partenaires. C'est en tout cas la volonté du Gouvernement.

Seules donc les difficultés nées du recours engagé motivent notre avis défavorable à ces amendements.

M. René Dosière - L'accord de Nouméa prévoit le corps électoral restreint. Le Parlement, saisi de cet accord, l'a explicitement confirmé et cette interprétation a été acceptée par les signataires de l'accord au moment de la loi organique. Il est vrai que le RPCR n'était pas enthousiaste, mais le FLNKS avait lui aussi, sur d'autres points, fait des concessions pour parvenir à un compromis. Le Parlement a reconnu par deux fois, à l'unanimité, que le corps électoral restreint est bien prévu dans l'accord...

Mme la Ministre - Personne ne le nie.

M. René Dosière - Et il n'y a pas de doute là-dessus malgré l'interprétation du Conseil constitutionnel qui a du reste obligé le Parlement à préciser sa position pour lever toute ambiguïté.

Contrairement à ce que vous dites, Madame la ministre, il y a urgence. Tout d'abord, parce qu'on ne réforme pas la Constitution tous les jours et que la présente réforme comporte précisément tout un volet relatif à l'outre-mer. Si nous n'adressons pas un signe fort aux Kanaks sur ce sujet, nous prenons de grands risques. Pour m'être rendu à de nombreuses reprises en Nouvelle-Calédonie et recevoir régulièrement les Kanaks, ici ou chez eux, je connais leur sensibilité sur cette question et leur sentiment.

Lorsque vous invoquez le recours déposé devant la Cour européenne des droits de l'homme, permettez-moi de n'être pas convaincu. Je me demande même s'il ne s'agit pas d'un prétexte pour vous dérober. En effet, si les décisions de la Cour de justice européenne s'imposent à la France en vertu des traités internationaux qu'elle a signés, il n'en va pas de même des recommandations de la Cour européenne des droits de l'homme, que celle-ci n'a aucun moyen d'imposer aux 45 pays membres du Conseil de l'Europe, auquel elle est rattachée. Contrairement à ce que vous prétendez, quand bien même dans le cas présent la Cour reconnaîtrait la validité du recours, la France ne serait aucunement obligée de donner suite à sa recommandation. Personnellement, je considérerais même que des intérêts supérieurs, notamment le respect de la parole donnée, l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, et au-delà, la place de la France dans le Pacifique, lui feraient obligation de n'en pas tenir compte.

Par ailleurs, le comité des droits de l'homme de l'ONU, saisi, a déjà repoussé cette requête, considérant que les critères de définition des corps électoraux restreints permettent « de traiter de manière différente des personnes se trouvant dans une situation objectivement différente au regard de leurs attaches avec la Nouvelle-Calédonie », qu'ils sont raisonnables, ne s'appliquant que pour les scrutins du processus d'autodétermination, et que, de toute façon, dans tout processus de ce type, les limitations du corps électoral sont légitimées par la nécessité de s'assurer d'un ancrage identitaire suffisant. Ces critères ne sont donc pas discriminatoires, conclut le comité. Il faut savoir que la Cour européenne s'appuie souvent dans ses décisions sur celles d'organismes internationaux à vocation identique.

Mais ce n'est pas cela qui est important. Ce qui compte, c'est la parole de la France. Aussi ma question est simple, Madame la ministre : le Gouvernement est-il favorable au corps électoral restreint ? S'appuiera-t-il ou non sur le vote du Parlement ?

Les Kanaks attendent que la parole de la France soit respectée ! Mais la réponse n'apparaît nulle part dans vos longues explications... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Rapporteur - Il est bien évident qui ni Mme le ministre ni moi n'avons abordé le problème de fond, puisque, devant envoyer le mémoire en défense demain, la moindre déclaration du Parlement ou du Gouvernement serait dénoncée comme une provocation de la part de la France.

M. André Chassaigne - C'est du pipeau !

M. le Rapporteur - Votre problème, Monsieur Chassaigne, c'est que ni vous ni M. Dosière n'acceptez l'Etat de droit (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Vous m'évoquez ce député de l'Indre déclarant : « Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaires » ! La loi ne se fait pas qu'à l'Assemblée nationale. Dans un Etat de droit, il existe des principes fondamentaux, des traités et des conventions contre lesquels la loi ne peut pas s'élever.

Vous estimez qu'il suffit de voter à l'Assemblée pour contredire ce que j'estime moi comme plus haut, parce que j'adhère à la philosophie de l'Etat de droit. C'est votre droit le plus strict, et je ne vous insulte pas en le disant. Mais je vous rappelle que lorsqu'il s'agissait de la peine de mort, vous vous appuyiez sur le fait que nous avions ratifié la convention européenne des droits de l'homme et qu'il n'était pas possible de mettre la parole de la France en doute ! Vous utilisez donc les arguments comme cela vous arrange...

Nous ne pouvons donc rien faire avant que l'arrêt soit rendu, sauf à obtenir un résultat inverse à celui que vous recherchez. Ensuite, j'ai cru comprendre que Mme la ministre continuerait dans le sens que vous souhaitez. Ce n'est pas le moment de faire de la polémique, et pour respecter les accords passés, mieux vaudrait que vous retiriez vos amendements.

Mme Christiane Taubira - Tous les juristes ont admis que les accords sur le statut de la Nouvelle-Calédonie avaient fait évoluer le droit interne. L'Etat de droit n'est pas figé, parce que le droit est une matière vivante. Il correspond à l'évolution des règles communes. Arguer du fait que la Cour européenne des droits de l'homme va examiner un recours pour s'abstenir de légiférer relève de l'autocensure, que vous pratiquez depuis le début de ce texte. En commission des lois, j'ai très souvent entendu notre président refuser nos amendements parce que le Gouvernement ne « souhaitait pas », « préférait » ou « voulait » quelque chose...

M. le Rapporteur - Cela ne figure pas dans les compte rendus !

Mme Christiane Taubira - Je n'ai pas d'hallucinations. Vous nous avez même dit à plusieurs reprises que nous serions peut-être satisfaits en séance publique, mais que pour l'instant le Gouvernement ne souhaitait pas accéder à notre demande.

Les textes législatifs ne sont que pour 20 % d'origine parlementaire.

M. Michel Bouvard - Moins que ça !

Mme Christiane Taubira - Notre ambition est-elle de renoncer totalement à la mission législative qui nous est confiée par le suffrage universel ?

Je vous rappelle que l'arrêt Sarran du Conseil d'Etat n'a pas empêché les négociations de se poursuivre, et qu'il a montré une primauté du droit interne sur le droit international. Mais il ne s'agit même pas de cela. Il y a quelques jours, on nous pressait de donner une préséance au Sénat pour l'examen des textes sur les collectivités locales, comme s'il y avait une urgence mondiale ! Mais aujourd'hui, on atermoie pour des accords qui sont déjà signés... Et qu'on ne nous dise pas qu'une des parties signataires a changé d'avis. Comment la parole de l'Etat pourrait-elle garder du poids s'il se met à considérer des projets de parjure éventuel ?

Il faut choisir : soit vous légiférez dans le respect des accords de Nouméa, soit vous y renoncez clairement. Quand on prend un engagement politique au nom de l'Etat, on l'assume en tant que tel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Chassaigne - Il ne s'agit pas de polémique : l'affaire est trop grave pour cela. M. Dosière a bien expliqué ses conséquences pour la Nouvelle-Calédonie, pour la France et tout simplement pour la paix. On nous a gratifiés de longues explications, mais qui répétaient en fait plusieurs fois la même chose.

M. le Rapporteur - Vous êtes un spécialiste !

M. André Chassaigne - Vous semblez avoir la faculté de faire trois baignoires de mousse avec un gramme de savon ! (Sourires) Mais vos artifices n'ont pas pu esquiver le problème de fond. La question n'est pas juridique, mais politique.

Mme la ministre, dans ses explications embarrassées, a eu un mot malheureux : actuellement, il n'y aurait plus de consensus en Nouvelle-Calédonie. Votre refus pourrait bien en soulever un ! Il s'agit d'une décision politique, dont les conséquences seront extrêmement graves. Vous devez les mesurer.

M. le Président - Chacun a pu largement s'exprimer et la représentation nationale est éclairée sur la nature des enjeux.

L'amendement 185, mis aux voix, n'est pas adopté.

A la majorité de 49 voix contre 18 sur 68 votants et 67 suffrages exprimés, l'amendement 87 n'est pas adopté.

ARTICLE 10

M. Victorin Lurel - L'article 10 habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur l'outre-mer. En tant qu'élu de l'outre-mer et que citoyen de l'ultrapériphéricité, je comprends ce souci d'adapter au plus vite le droit à nos spécificités, mais en tant que député, je ne peux que m'élever contre le dessaisissement du Parlement que cela implique. D'autres gouvernements, y compris celui que je soutenais, ont légiféré par ordonnances, mais en l'inscrivant dans la Constitution, le Parlement n'aurait même plus à se prononcer au début de la procédure et à autoriser le Gouvernement à faire la loi.

M. Jean-Luc Warsmann - C'est inexact.

M. Victorin Lurel - L'article 16 de la déclaration des droits de l'homme affirme que toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. Si je comprends l'objectif, je ne peux donc approuver le moyen. Je ne me rappelle que trop qu'un gouvernement, par le fameux article 22 d'une loi d'amnistie, a refusé de ratifier un plan de modernisation du secteur des transports dans les départements français d'Amérique. On espère aujourd'hui que la révision constitutionnelle permettra aux départements de prendre des mesures, mais en attendant, le problème perdure.

Mme la ministre nous a dit que l'on pourrait déroger à la loi Sapin. Mais il s'agit tout de même de principes fondamentaux, qui permettent de lutter contre la corruption ! On veut aujourd'hui privatiser des services publics, et cela m'inquiète au plus haut point.

Je constate, d'autre part, que Mme la ministre n'a pas répondu aux questions posées par notre collègue Queyranne, si bien que nul ne sait précisément quel sera l'avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélémy, de Saint-Martin ou de Mayotte.

M. le Président - Je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur l'article 10.

M. André Chassaigne - L'amendement 186 est de suppression. Comment accepter de donner au Gouvernement le droit permanent de légiférer par ordonnances ? Cette pratique antidémocratique prive le Parlement d'une de ses prérogatives essentielles, et il n'y a aucune raison qu'il soit privé du droit de délibérer de textes concernant l'outre-mer.

M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois - A titre personnel, je suis défavorable à l'amendement que la commission n'a pas examiné. En effet, dans le dispositif proposé dans le projet, le Parlement intervient toujours en amont et en aval du processus : en amont parce qu'il s'agit d'adapter à l'outre-mer des dispositions législatives déjà votées ; en aval, parce que le Sénat a obtenu du Gouvernement que les ordonnances soient ratifiées par le Parlement dans un délai de dix-huit mois. L'article traduit le souci de hâter les délais d'extension aux collectivités d'outre-mer des dispositions législatives en vigueur en métropole tout en préservant le rôle du Parlement.

Mme la Ministre - Avis défavorable sur un amendement qui traduit peut-être une incompréhension. La procédure instituée tend à mettre un terme aux conséquences dommageables des retards pris dans l'extension aux collectivités d'outre-mer des dispositions législatives en vigueur en métropole. Pourquoi vouloir la supprimer ? Veut-on laisser perdurer une législation à deux vitesses ? L'amendement ne se justifie pas puisque, comme l'a indiqué M. Warsmann, le Parlement n'est pas dessaisi. Il s'agit d'aller plus vite.

M. René Dosière - Nous voterons l'amendement de suppression, car, avec l'article 10, c'est un pan supplémentaire de ses pouvoirs que l'on retire au Parlement.

M. Michel Bouvard - Et la transposition des directives ?

M. René Dosière - La rédaction de l'article 3 était déjà très grave. Pourtant, nos collègues de l'opposition l'ont adopté, pensant, semble-t-il - pour certains du moins - que le sous-amendement de M. Méhaignerie avait été adopté. Qu'ils se détrompent ! Il ne l'a pas été, à la demande pressante du Gouvernement.

Les pouvoirs de l'Assemblée ont donc été abaissés constitutionnellement...

Un député UMP - Fantasme ! Caricature !

M. René Dosière - ...alors que le Gouvernement a déjà la liberté de choisir à laquelle des deux chambres il veut faire examiner un texte en premier lieu. Comment s'étonner que le Président de notre assemblée se soit opposé à cette constitutionnalisation ?

Et comme si cela ne suffisait pas, vous voulez aussi constitutionnaliser la possibilité de légiférer, de façon permanente, par ordonnances...

M. Jean-Luc Warsmann - Cette possibilité existe déjà.

M. René Dosière - ...Cette volonté manifeste d'abaissement de l'Assemblée est indéfendable et vous en porterez seuls la responsabilité devant l'histoire. En attendant, je vous invite, Madame la ministre, à mesurer la portée de vos propos : il est certain, en effet, que si l'on supprimait le Parlement, tout irait encore beaucoup plus vite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Déjà, tout est fait pour que le Sénat puisse voter le texte conforme, si bien que rien ne dit que ce projet reviendra en deuxième lecture devant notre assemblée. Voilà qui présage mal de l'avenir. Nous n'acceptons pas l'abaissement de l'Assemblée nationale, seule dépositaire de la souveraineté populaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

L'amendement 186, mis aux voix, n'est pas adopté.

A la majorité de 28 voix contre 22 sur 51 votants et 50 suffrages exprimés, l'article 10 est adopté.

APRÈS L'ART. 10

M. Bertho Audifax - L'article 75 pose plusieurs questions juridiques relatives aux modalités d'une éventuelle renonciation au statut personnel applicable dans les collectivités d'outre-mer, et à l'articulation de ce statut avec la convention européenne des droits de l'homme.

L'amendement 118 a donc pour objet de renvoyer le règlement de ces questions à une loi organique.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé l'amendement, car les problèmes évoqués, réels, doivent trouver une solution dans une loi ordinaire.

Mme la Ministre - Les règles du statut personnel sont en effet de portée incertaine mais résoudre ce problème au moyen d'une loi organique ne serait pas le meilleur moyen, car il ne serait plus possible, ensuite, de les réformer par ordonnance. Une loi ordinaire y pourvoira. Je vous demande donc de bien vouloir retirer l'amendement.

M. Bertho Audifax - L'amendement est retiré.

ART. 11

M. Victorin Lurel - Je me félicite que l'article traduise une marque - tardive - de respect envers les électeurs d'outre-mer en modifiant l'organisation des élections présidentielles dans ces collectivités pour tenir compte du décalage chronologique. Mais il faut faire davantage pour corriger une inégalité que le Conseil constitutionnel a régulièrement dénoncée la jugeant « particulièrement regrettable ». Il y a donc lieu d'étendre au premier tour de l'élection présidentielle - le projet ne vise que le deuxième -, aux référendums, aux élections européennes et aux élections législatives les dispositions prévues, afin de supprimer tout risque que la sincérité de ces scrutins ne soit faussée par la connaissance du résultat des scrutins en métropole. J'ai déposé un amendement en ce sens.

Mme Christiane Taubira - Nos amendements 119 et 120 visent à assurer l'égalité des citoyens dans l'exercice du suffrage universel. En effet, actuellement, les électeurs des départements d'outre-mer situés à l'ouest peuvent connaître les résultats des élections présidentielles prématurément, jusqu'à six heures avant la fermeture des bureaux de vote. Le Conseil constitutionnel lui-même, bien qu'il considère en général que les recours en contestation d'opérations électorales qui lui sont adressées ne sont pas recevables, reconnaît que la situation n'est pas acceptable.

Or ni le texte du Gouvernement ni la modification introduite par le Sénat ne nous rassurent concernant le premier tour de l'élection présidentielle. Le rapporteur indique bien, d'ailleurs, à la page 134 de son rapport, qu'il s'agit d'organiser le deuxième tour. Pour ma part, je propose de faire voter l'outre-mer la veille, aussi bien pour le premier tour que pour le deuxième.

M. le Rapporteur - Mme Taubira a satisfaction. Je laisse Mme la ministre le lui démontrer...

Mme la Ministre - Cet amendement est inutile puisque nous réglons le problème en supprimant le mot « dimanche » et en renvoyant à la loi organique le soin de fixer le jour du scrutin, tout en maintenant un délai incompressible de quinze jours entre les deux tours.

En outre, Madame Taubira, votre amendement est quelque peu déficient puisqu'il concerne l'ensemble des départements d'outre-mer, alors que le problème du décalage horaire ne se pose pas à la Réunion, et, en revanche, ne se préoccupe pas de la Polynésie française, de Saint-Pierre-et-Miquelon et des Français de l'étranger qui votent sur le continent américain.

A l'inverse, le projet règle l'ensemble de ces problèmes.

Mme Christiane Taubira - Mme la ministre devient vraiment déplaisante. Inutilité, déficience : renvoyez-moi donc chez moi !

M. le Président - Personne ne songe à être déplaisant à votre égard. Venez-en au fond.

Mme Christiane Taubira - Sur le fond, je demande des explications complémentaires. Pourquoi ne pas dire explicitement qu'au premier tour, l'élection aura lieu un jour avant ?

Mme la Ministre - Le projet de loi constitutionnelle renvoie à la loi organique pour fixer le jour du scrutin présidentiel. Une loi organique fixera donc au samedi le jour du vote dans toutes les collectivités où les électeurs se prononcent actuellement après ceux de la métropole.

Mme Christiane Taubira - C'est clair.

M. le Président - Maintenez-vous vos deux amendements ? (Mme Taubira hésite ; mouvements divers)

M. le Rapporteur - Y'en a marre !

M. le Président - Nous passons au vote.

L'amendement 119, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 120.

M. Alain Néri - Rappel au Règlement !

M. le Président - Soyez bref...

M. Alain Néri - Mme Taubira a pris le temps de réfléchir, mais elle était sur le point de retirer ses amendements. Il n'est pas acceptable que le rapporteur n'ait pas pu se contenir. Nous lui demandons de retirer ses propos !

M. le Rapporteur - Je les retire volontiers, mais en vous informant qu'avant la séance de ce soir, nous avons débattu pendant 43 heures 30 et avons passé 5 heures 30 en rappels au Règlement et suspensions...

M. le Président - Voulez-vous bien reconnaître que ce soir, il n'y a eu que deux rappels au Règlement ?

M. le Rapporteur - Je remercie la présidence.

M. Victorin Lurel - Je maintiens mon amendement 86 car je n'ai pas obtenu de Mme la ministre les explications que je souhaitais.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement. Son intention est louable, mais il relève de la loi, non de la Constitution. L'article 11 du projet permettra de résoudre le problème du décalage horaire uniquement pour l'élection présidentielle. Le législateur devra à l'avenir assouplir et harmoniser les délais prévus pour tous les scrutins nationaux, et préserver la conservation du secret des résultats.

L'amendement 86 est retiré.

L'article 11, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE 11

Mme Gabrielle Louis-Carabin - Je retire l'amendement 145, Mme la ministre nous ayant répondu.

L'amendement 145 est retiré.

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 206 de M. Beaugendre est défendu.

M. le Rapporteur - La commission ne l'a pas examiné. Avis défavorable à titre personnel. Cet amendement tend à inscrire dans la Constitution que « la République reconnaît les spécificités des régions ultra-périphériques françaises ». Nos DOM ont ce statut dans l'Union européenne. Nous avons réussi à faire reconnaître leurs spécificités au plan communautaire en suscitant la création de ce statut. Notre Constitution a consacré la spécificité des départements d'outre-mer bien avant les traités européens.

Mme la Ministre - La préoccupation qu'exprime cet amendement est désormais couverte par notre texte, puisque l'article 73 reprend la terminologie de l'article 299-2 du traité de Rome, modifié par celui d'Amsterdam, sur les caractéristiques et contraintes particulières que fondent des mesures d'adaptation spécifiques pour les régions ultra-périphériques. Le droit national est ainsi mis en conformité avec le droit communautaire, mettant fin à ce paradoxe qui faisait que le second était plus ouvert que le premier à l'adaptation aux réalités locales. Le projet répond donc aux préoccupations de M. Beaugendre, et je ne suis pas favorable à l'amendement.

L'amendement 206, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Didier Migaud - Rappel au Règlement, fondé sur le premier alinéa de l'article 101. Je demande une deuxième délibération sur l'article 3, ainsi que sur l'amendement 11 du président de la commission des lois, et le sous-amendement 39 de M. Méhaignerie.

Quand on discute avec un certain nombre de nos collègues, on constate qu'ils croient que ce sous-amendement a été adopté par l'Assemblée. Ce n'est malheureusement pas le cas. Or il s'agit là d'un recul des droits de l'Assemblée, qui peut être lourd de conséquences. Cet article choque non seulement le Président de l'Assemblée, mais nombre d'entre vous, comme nous le constatons quand nous parlons avec vous. Je souhaite que l'Assemblée puisse se saisir une deuxième fois de cet article, de cet amendement et de ce sous-amendement.

M. le Président - Le deuxième alinéa de l'article 101 dispose que la seconde délibération est de droit à la demande du Gouvernement ou de la commission saisie au fond, ou si celle-ci l'accepte. Je consulte donc M. le président de la commission des lois.

M. le Rapporteur - Je salue tout d'abord l'obstruction sans précédent du groupe socialiste. J'ai quelque expérience du Parlement, mais je ne me souviens pas d'avoir vu utiliser ainsi l'article 101 : je salue la performance ! C'en est une autre que d'avoir fait cinq heures cinquante de rappels au Règlement sur quarante-trois heures de débat : bravo ! Pour le reste, je crois que l'Assemblée est largement informée sur tous les articles, y compris l'article 3, et qu'une seconde délibération serait superfétatoire.

M. le Président - Je consulte maintenant le Gouvernement.

Mme la Ministre - Avis défavorable.

M. le Président - Il me reste à consulter l'Assemblée.

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas procéder à une seconde délibération.

M. le Président - La Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle auraient lieu mercredi 4 décembre après les questions au Gouvernement.

Prochaine séance ce matin, jeudi 28 novembre, à 9 heures.

La séance est levée à 0 heure 40.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 28 NOVEMBRE 2002

A NEUF HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de loi (n° 380) de M. Jean-Marc AYRAULT et plusieurs de ses collègues visant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire.

M. Christophe CARESCHE, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 395).

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Discussion du projet de loi (n° 187) relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008.

M. Guy TEISSIER, rapporteur au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées. (Rapport n° 383)

M. Pierre LELLOUCHE, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères. (Avis n° 384)

M. François d'AUBERT, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan. (Avis n° 385)

A VINGT-ET-UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


© Assemblée nationale