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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 32ème jour de séance, 84ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 28 NOVEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      PROGRAMMATION MILITAIRE POUR 2003 À 2008 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 15

      DÉCLARATION D'URGENCE 39

La séance est ouverte à quinze heures.

PROGRAMMATION MILITAIRE POUR 2003 À 2008

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Une loi de programmation militaire est toujours un moment important dans la vie du ministère de la défense et dans la vie de la nation. La première responsabilité d'un grand Etat est en effet d'assurer la protection de ses citoyens face à des agressions extérieures. Ce projet de loi vise avant tout à donner à l'Etat les moyens d'assumer cette responsabilité.

Répondant à une analyse approfondie de notre environnement international, prenant en compte les insuffisances de notre outil militaire, il détermine les moyens que la nation doit consacrer à sa défense au cours des six prochaines années, de façon que nos armées puissent remplir l'ensemble de leurs missions.

La France doit mettre en cohérence les moyens de sa défense avec les risques que fait peser la situation internationale et avec ses ambitions sur la scène européenne et mondiale. Notre outil de défense doit d'abord répondre à des risques bien identifiés. Dix ans après la fin de la guerre froide, nous espérions un nouvel ordre mondial fait de stabilité et de paix. Au contraire, les menaces contre la paix se sont accrues, les crises locales se multiplient sur presque tous les continents, le développement de potentiels balistiques et d'armes de destruction massive se poursuit dans plusieurs régions du monde - le dernier exemple en est la Corée du Nord. La défaillance de certains Etats encourage par ailleurs indirectement le développement de la criminalité internationale. Avec les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, ceux de Karachi et de Bali, le terrorisme de grande ampleur est devenue une réalité. Il menace la vie de nos concitoyens et nos intérêts nationaux essentiels. Notre pays, malheureusement, en a été la cible à plusieurs reprises. Le monde est dangereux. La sécurité de la France et des Français doit donc reposer sur une politique de défense résolue.

La loi de programmation militaire qui s'achève a permis de réaliser la professionnalisation de nos forces armées, conformément aux décisions prises par le Président de la République en 1996. Mais le bilan de ces années a été assombri par l'insuffisance du rythme de modernisation et d'entretien de nos équipements. Nos capacités opérationnelles s'en sont trouvées affaiblies. Il nous faut donc à la fois rattraper les retards accumulés et adapter notre outil en fonction de l'évolution de la menace.

Notre politique de sécurité et de défense doit prendre en compte cette évolution dans la définition de ses grandes fonctions stratégiques et dans la constitution de nos systèmes de forces. Grâce à la démarche engagée depuis Saint-Malo et à notre expérience sur les théâtres d'opérations extérieures, nous avons progressé dans la connaissance de nos lacunes et dans la définition de nos priorités opérationnelles.

Nous devrons dans les six prochaines années rétablir nos capacités dans quatre domaines prioritaires. Il nous faut tout d'abord pérenniser la dissuasion nucléaire. Je sais qu'on s'interroge parfois sur son intérêt. Mais elle demeure notre garantie essentielle de sécurité en dernier ressort face à la poursuite de la prolifération constatée dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Ensuite, il nous faut acquérir une autonomie de décision et d'action : nos forces ne sauraient être réduites à un rôle d'exécution d'options définies sans notre consentement. En troisième lieu, il nous faut développer nos capacités de projection et d'action, afin de pouvoir intervenir aux sources géographiques de la menace, comme nous l'a appris la lutte contre le terrorisme en Afghanistan. Enfin, il nous faut renforcer la fonction de protection. La défense a d'abord pour objet d'assurer la sécurité de la France et des Français dans le monde, et les limites entre sécurité intérieure et sécurité extérieure s'estompent avec les menaces asymétriques.

Dans le même temps, notre outil de défense doit être à la mesure de nos ambitions internationales. Affirmer le rôle de la France dans le monde exige que celle-ci puisse peser sur les décisions internationales dans le domaine de la défense et de la sécurité. Cette capacité s'exerce bien sûr au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies, comme nous l'avons vu récemment au sujet de l'Irak, mais elle doit aussi, et peut-être d'abord, s'exercer au niveau européen. La politique européenne de sécurité et de défense est le cadre naturel d'une défense moderne et efficace. La France entend jouer un rôle moteur dans le développement de cette dimension.

M. Yves Fromion - Très bien !

Mme la Ministre - Son poids face à ses partenaires est indissociable, je l'ai constaté, de son aptitude à tenir sa place dans les coalitions internationales. Ce rôle se mesure d'abord par le volume d'engagements. Depuis la professionnalisation, la France déploie de manière presque continue 15 000 à 18 000 militaires à l'étranger, sans compter les forces pré-positionnées dans les DOM-TOM. Ainsi est-elle, après les Etats-Unis, la deuxième puissance occidentale par ses engagements extérieurs.

Pour tenir son rang, la France doit posséder des capacités autonomes d'appréciation de situation, de commandement et de contrôle. Elle doit également être capable de remplir le rôle de nation-cadre dans un certain nombre de domaines.

Ce projet de loi de programmation apporte une réponse adaptée à la fois aux menaces actuelles et à nos ambitions. Il détermine le chemin à parcourir dans les six prochaines années vers le modèle 2015. Il marque une véritable rupture par rapport à l'érosion régulière des années passées. Après prise en compte des moyens prévus par la LOPSI, l'annuité moyenne en crédits de paiement représentera 14,81 milliards d'euros valeur 2003, soit 5,5 milliards d'euros de plus sur la période que ce que prévoyait le projet du gouvernement précédent.

Pour substantiel qu'il soit, cet effort n'est ni excessif, ni démesuré : il répond à une nécessité. Il traduit le passage d'une phase de développement à une phase de fabrication : c'est d'ailleurs pourquoi cette programmation est exprimée en crédits de paiement.

Il s'agit d'abord de restaurer la disponibilité de nos matériels. C'est la moindre des obligations de l'Etat que de donner à nos armées les moyens de remplir leurs missions. Nous allons donc poursuivre la rationalisation des organismes responsables de la maintenance, associée à un contrôle de gestion rigoureux.

Ce projet de loi de programmation a pour second objectif de réunir les capacités prévues dans le modèle 2015. Ce sera pour la France le moyen de contribuer à la consolidation progressive de l'Europe de la défense.

À quels choix stratégiques correspondent nos engagements ?

Tout d'abord, la pérennisation de la dissuasion. Parce que le besoin demeure, face à la montée de nombreux pays, aux gouvernements plus ou moins stables et qui détiennent des armes nucléaires. Pour nous, la dissuasion est l'ultime protection. Elle s'inscrit dans les concepts de non-emploi et de stricte suffisance. Elle repose sur la diversité et la disponibilité des forces nucléaires.

19 % des ressources prévues sont allouées à la dissuasion nucléaire. Elles seront consacrées à l'admission au service du troisième SNLE de nouvelle génération, le Vigilant, à la livraison du troisième lot de missiles M 45, à la poursuite de la construction du quatrième SNLE, le Terrible, et au développement du missile balistique M 51 qui doit l'équiper en 2010. La mise en service du missile aérobie air-sol moyenne portée amélioré, et la rénovation du réseau de transmission sont également programmées, tout comme le développement de la tête nucléaire océanique et la poursuite du programme de simulation Laser mégajoules.

Deuxième choix stratégique : le renforcement de l'autonomie de décision et d'action de la France. Il se traduit par la mise à niveau de nos capacités dans les domaines du renseignement et du commandement. Les ressources qui y sont affectées permettront la réalisation des satellites Hélios de deuxième génération, offrant des images de très haute précision, de jour comme de nuit. La participation à la programmation et à l'exploitation des satellites radar de haute résolution avec nos partenaires européens permettra d'élargir le spectre du renseignement, en apportant des capacités d'observation tout temps.

Au niveau du théâtre, nos capacités seront aussi valorisées : est programmée pour la fin de la période, la mise en service de nouveaux capteurs aériens et de nouveaux drones, qui offriront des possibilités de surveillance quasi-permanente.

Le troisième choix stratégique concerne le commandement. La France doit être à même d'exercer les responsabilités internationales correspondant à son statut de puissance. La chaîne complète de commandement, du niveau stratégique au niveau tactique, sera réalisée. Les opérations dans les Balkans ou en Afghanistan ont confirmé l'importance de cette capacité. Notre pays sera ainsi à même, en 2006, de tenir le rôle de « nation cadre » lors d'une opération dirigée par l'Union européenne, grâce à la réalisation du centre de planification et de conduite des opérations à Paris et d'un état-major de commandement de forces à Creil. Syracuse renouvellera la capacité satellitaire de communications, qui constitue le c_ur des futurs réseaux stratégiques.

Quatrième ligne de force : la projection, c'est-à-dire notre capacité à engager des forces, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Europe.

Nous avons choisi de faire un effort significatif dans ce domaine. Notre aptitude sera renforcée par la réalisation effective du programme A 400M, dont les premiers des cinquante appareils commandés seront livrés à partir de 2009. Comme je vous l'ai indiqué dans le débat sur le projet de loi de finances, nos partenaires ont confirmé leur participation à ce programme.

Notre capacité de transport stratégique sera maintenue à niveau par la mise en service de deux avions de transport à long rayon d'action.

Les quatorze avions ravitailleurs en vol actuellement en service seront rénovés. Deux bâtiments de projection et de commandement seront livrés en 2005 et 2006.

Une attention particulière est portée au transport tactique par hélicoptères. Les premiers NH90 de l'armée de terre seront livrés en 2011. En attendant, 24 Cougar et 45 Puma seront rénovés.

Les capacités d'action dans la profondeur seront renforcées par l'acquisition de dix hélicoptères Cougar destinés aux forces spéciales. La capacité de frappe aérienne conventionnelle sera optimisée avec la mise en service des premières unités de Rafale à partir de 2006. Le développement de missiles de croisière lancés à partir de plates-formes navales permettra de détenir une première capacité maritime à partir de 2011. Enfin, la commande d'un second porte-avions permettra de restaurer la permanence à la mer du groupe aéronaval. Son admission au service actif est prévue en 2014. Nous recherchons pour ce programme majeur une coopération avec les Britanniques.

La protection, donnée essentielle de nos choix stratégiques, fait l'objet de mesures nouvelles qui tiennent compte des menaces liées à la prolifération des armes de destruction massive et à leur utilisation possible pour des actions terroristes.

Le développement d'une composante de défense antimissile de théâtre permettra, à l'horizon 2010, de disposer d'une première capacité de protection d'un élément de forces projeté. Concernant les armes nucléaires et chimiques, le niveau de protection sera maintenu. Un effort particulier sera consacré à la défense biologique.

Enfin, en cohérence avec les priorités définies par la LOPSI, les crédits importants accordés à la gendarmerie vont renforcer ses capacités humaines et matérielles. Sont prévues notamment la livraison de quatorze hélicoptères et la commande de quinze autres, ainsi que le remplacement des véhicules blindés à roues.

Les efforts contenus dans ce projet permettront de préserver les capacités de nos industries ; avec l'arrivée de nombreux programmes en phase de production.

Nous devons nous donner la possibilité de lancer sans délai les programmes qui seront nécessaires pour satisfaire des besoins nouveaux : c'est le sens de l'augmentation des crédits consacrés à la recherche. Il s'agit de maîtriser en 2015 une quarantaine de capacités technologiques. Je citerai à titre d'exemple la numérisation de l'espace de bataille, les munitions intelligentes ou le soutien médical en opération extérieure.

Notre défense repose, au-delà des matériels, sur des hommes et des femmes compétents et dévoués. Ce projet vise à conforter la professionnalisation des armées. La création de plus de 10 000 postes permettra de réaliser le format défini en 1996 pour le modèle d'armée 2015. Ces créations concernent surtout l'armée de terre, la gendarmerie et le service de santé des armées.

Un fonds de consolidation de la professionnalisation est doté de 573 millions d'euros. Il peut en effet permettre aux armées et à la gendarmerie de recruter et de fidéliser les personnels dont elles ont besoin, ce qui suppose d'assurer l'attractivité des carrières.

La réserve opérationnelle constitue un complément indispensable. L'objectif est de porter les effectifs des réservistes de 25 000 à 82 000 en 2008.

L'entraînement et l'activité des forces sont aussi, ne l'oublions jamais, la garantie de leur sécurité. Contrairement à ce qui s'était passé dans la dernière décennie, le montant des crédits de fonctionnement qui y sont consacrés va être préservé : j'ai décidé de mettre en place un mécanisme qui « sanctuarise » les crédits destinés au fonctionnement courant (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) - de l'ordre de 20 % de l'ensemble des crédits du titre III.

La nation fait un effort important en faveur de sa défense. Parallèlement, j'entends que le ministère de la défense fasse à son tour les efforts nécessaires pour utiliser au mieux ses moyens.

L'effort de modernisation du ministère sera poursuivi, de même que l'expérience de partage des prestations de soutien entre les armées. Un portail Internet permettra, dès 2003, de dématérialiser les achats. Le contrôle de gestion et l'amélioration des circuits administratifs sont de vastes chantiers. Je m'engagerai personnellement afin qu'ils aboutissent, notamment dans le cadre de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances.

Les personnels militaires et civils de la défense sont fiers de servir leur pays. Pour que leurs formations correspondent à cette vocation, il est indispensable de recentrer leur activité sur le c_ur des missions dévolues à la défense. Dans cet esprit, des opérations d'externalisation seront conduites avec pragmatisme et sans a priori.

Cette loi de programmation concerne aussi notre place dans l'environnement international. Nous devons renforcer notre capacité d'agir militairement dans les cadres européen, transatlantique ou de coalitions ad hoc.

Nous plaçons d'abord notre effort dans une perspective résolument européenne car nous pensons que cette voie est la meilleure. L'Europe s'est fixé des objectifs militaires ambitieux : disposer à brève échéance d'une force de réaction européenne de 60 000 hommes et pouvoir les maintenir déployés pendant un an. Pour l'essentiel, les capacités humaines sont déjà disponibles. Les systèmes de commandement se mettent en place.

Mais, pour être crédibles, les Européens doivent faire un effort très important dans les domaines budgétaire et capacitaire. C'est l'objet de chacune des discussions entre les ministres de la défense.

La France sera en mesure de remplir l'engagement qu'elle a pris de fournir une contribution militaire d'environ 20 % de l'objectif global des Quinze, jouant ainsi un rôle d'entraînement pour ses partenaires.

Le processus européen ECAP est une initiative commune que nous soutenons très fermement. Nous voulons qu'il devienne la pierre angulaire de coopérations nouvelles sur les thèmes opérationnels, de solutions innovantes dans la mutualisation des capacités, de nouveaux projets communs de programmes d'armement.

Ce projet prévoit la poursuite de la réalisation de nombreux programmes en coopération, comme le Tigre et le NH90, les missiles FSAF et PAAMS, ou encore l'A400M, programme majeur des quinze prochaines années. Il permettra aussi de soutenir des projets nouveaux qui aboutiront en fin de loi ou au cours de la suivante.

Nous nous mobiliserons aussi dans le domaine spatial, avec le développement de capacités protégées pour les communications par les satellites Syracuse III, et avec la future capacité d'observation satellitaire tous temps grâce à une constellation de satellites français, allemands et italiens, qui permettra un partage des images entre nos trois pays. Enfin, la coopération entre nos industries de défense doit s'approfondir, c'est une obligation pour qu'elles continuent à exister face à la concurrence d'outre-Atlantique. Il faut pour cela tirer parti des regroupements industriels transnationaux. L'évolution de l'industrie française y contribuera.

La coopération avec les Etats-Unis est aussi un gage de notre crédibilité militaire car la plupart des grandes opérations militaires seront conduites avec eux, comme elles l'ont été ces dix dernières années.

L'OTAN est le cadre de référence pour définir les conditions d'interopérabilité entre alliés. Cela n'est pas du tout contradictoire avec le développement de l'Europe de la défense. En effet, nous considérons que les capacités militaires européennes peuvent servir les objectifs que nous partageons avec les Américains. Mais nous insistons pour qu'elles puissent, à l'avenir, être mises au service de l'Europe et de ses choix.

Notre objectif est de faire apparaître de plus en plus la capacité propre des Européens à apporter leurs capacités indifféremment dans les deux cadres, européen et atlantique.

Vous le voyez, ce projet, parce qu'il dégage les moyens financiers, humains et capacitaires nécessaires, est à la hauteur de l'ambition de la France, qui entend être un acteur politique et stratégique influent sur la scène internationale. Il est aussi à la hauteur de l'ambition des Français qui, après les chocs du 11 septembre et de Karachi, sont convaincus qu'un effort significatif est indispensable pour assurer leur sécurité dans un monde imprévisible et de plus en plus dangereux. Il vous appartient aujourd'hui de traduire cette volonté dans la loi.

Je veux remercier ici tous ceux qui ont travaillé avec nous et dont les propositions et les critiques ont permis que ce projet soit à la hauteur de nos ambitions. Merci, au nom de toutes celles et de tous ceux qui, dans ce ministère, mettent toutes leurs forces, leurs compétences, leurs qualités au service d'une certaine idée de l'homme, celle de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Guy Teissier, président et rapporteur de la commission de la défense - A peine survenus, au tournant des années 1980-1990, ces événements cruciaux pour l'avenir du continent européen - la chute du mur de Berlin, la réunification de l'Allemagne, la disparition de l'Union soviétique - d'aucuns prédisaient la fin de l'histoire, d'autres les « dividendes de la paix ».

Mais peu de temps après s'allumait aux marges de l'Europe, dans les Balkans, un conflit d'une rare cruauté qui allait ramener chacun à la réalité. De l'espoir d'une paix rétablie en toutes circonstances par des moyens collectifs de sécurité et le contrôle des armement ; de l'illusion que la géo-économie remplaçait définitivement la géostratégie, entraînant la fin du recours à la force, il ne reste rien aujourd'hui !

La réflexion sur notre défense doit donc se situer résolument dans un autre contexte, caractérisé par l'émergence de menaces non moins redoutables que les précédentes.

C'est dans ces circonstances nouvelles, cruellement mises en lumière par tous les actes de terrorisme commis depuis quatorze mois, que nous sommes amenés à examiner cette loi de programmation militaire. Elle manifeste la volonté de produire un effort indispensable pour mettre un terme à de coupables années de relâchement; elle est sous-tendue par une politique de défense résolue à faire face à ces menaces.

Il nous faut en premier lieu poser le bon diagnostic sur la nature des menaces. Nous nous retrouvons face à une vaste zone incontrôlée et à un ennemi imprévisible. L'arc des crises va de la Bosnie à la Chine, caractérisé par des Etats défaillants, une grande instabilité institutionnelle, des tensions ethniques, un islam extrémiste et des flux de produits illicites. L'ennemi n'est plus désigné comme il l'était durant la guerre froide ; il ne remet pas en cause les intérêts traditionnels et vitaux, mais il peut frapper partout. Néanmoins, il n'est peut-être pas aussi insaisissable qu'il y paraît, comme les arrestations des derniers jours le prouvent. Reste que nous, politiques, sommes amenés à trancher sans connaître ni la réalité des menaces ni la nature des ripostes à conduire. Nous ne savons ni où, ni quand, ni comment, ni pourquoi nos pays peuvent être agressés, ce qui est nouveau et oblige à une grande souplesse dans la définition des concepts stratégiques.

Seule la dissuasion nécessitait une inflexion, qui a été énoncée par le Président Jacques Chirac dans son discours du 8 juin 2001 devant l'IHEDN. Elle reste un fondement essentiel de notre sécurité et un facteur important de la stratégie internationale.

Le Président de la République a voulu que l'effort de modernisation de notre force de dissuasion se poursuive, tout en la maintenant au niveau de juste suffisance, et en respectant l'arrêt des essais nucléaires. Il était donc impérieux de développer les moyens de simulation par le laser mégajoules, dont les essais sont très prometteurs, y compris pour la recherche civile.

Plus de 3,8 milliards d'euros seront consacrés à la recherche dans le domaine de la dissuasion qui, outre le laser mégajoules, inclut le missile M51 et les fonctions de commandement, de communication et de renseignement. Cet effort indispensable a des retombées cruciales en matière d'emploi.

Alors que les Etats-Unis ne cessent d'accroître leurs budgets de recherche, nous devons faire un saut quantitatif et qualitatif pour reprendre une recherche militaire de haut niveau. La France devrait notamment innover dans le domaine des drones, en développant une véritable doctrine d'emploi.

L'Union européenne consacre quatre fois moins de crédits que les Etats-Unis à la recherche militaire. Pourtant les performances des bureaux d'études d'Alcatel ou d'Airbus montrent la capacité des Européens à se situer en pointe dans la recherche, pour autant qu'ils s'en donnent les moyens. Je rappelle à ce sujet la réussite merveilleuse qu'est Ariane 5.

À côté de la dissuasion, le développement du renseignement et des moyens de commandement est un pilier essentiel de notre politique de défense. Ils font l'objet d'un financement adéquat dans cette loi, qu'il s'agisse des moyens de renseignement humains, du trio satellites-avions-drones ou des systèmes de numérisation.

Le relèvement de l'effort de défense constitue un signal fort en direction de nos armées, de nos partenaires et de nos agresseurs potentiels. L'intention est clairement affichée de rendre à la France ses capacités de défense, gravement remises en cause ces dernière années. Cette loi opère donc un rattrapage indispensable, même si tous les retards accumulés ne pourront être comblés pendant la période.

Il s'agit d'abord de relever le niveau de disponibilité des équipements en service. Le récent rapport de Gilbert Meyer a dressé un tableau très noir de la situation des matériels, qui, faute d'entretien vieillissent mal. L'objectif est de faire passer leur taux de disponibilité de 50 à 75 %, tâche fort ardue.

L'effort portera aussi sur le développement de nos capacités de projection, avec notamment le renforcement des forces spéciales, l'arrivée du missile de croisière Scalp-EG, la commande d'un second porte-avions pour le groupe aéronaval, les commandes de frégates, la rénovation d'hélicoptères Puma et Cougar. Les exemples du Kosovo et de l'Afghanistan ont en effet montré l'importance de la composante navale dans les opérations extérieures, même quand les pays concernés n'ont pas de façade maritime.

La commission est préoccupée par les retards pris en ce qui concerne le choix du futur avion européen de transport. La réussite du programme de l'A400 M est vitale pour l'avenir de la construction aéronautique de défense en Europe. Elle dépendra de la contribution financière de nos amis allemands. Je me rends avec une délégation à Berlin les jours prochains pour y rencontrer mon homologue au Bundestag.

Nos préoccupations vont également vers notre industrie d'armement terrestre. La disparition de GIAT-Industries aurait des conséquences graves. Des regroupements sont déjà intervenus dans ce secteur, mais le problème principal réside dans l'insuffisance du plan de charge de l'entreprise. Nous attendons avec intérêt les conclusions du rapport de nos collègues Fromion et Diébold.

Si le contexte semble plus favorable pour la DCN, rien n'est garanti et une exonération de la TVA pour ses contrats avec la marine l'aiderait à devenir concurrentielle. Il est urgent que la DCN devienne une société de droit commun afin de développer ses capacités de maîtrise d'_uvre et de nouer des alliances internationales.

En ce qui concerne la protection du territoire, la défense y contribue avec ses moyens spécifiques, aux côtés de la sécurité civile. Le rôle de la réserve opérationnelle militaire en ce domaine devrait être renforcé et son concept d'emploi clarifié.

Avec un total de 87,85 milliards d'euros de crédits d'équipement pour les six prochaines années, l'effort consenti par notre pays pour sa défense est remarquable, et remarqué par nos partenaires.

Pourtant certains reprochent à cette programmation une approche trop nationale, elle tournerait le dos à la construction de l'Europe de la défense (« Eh oui !» sur les bancs du groupe socialiste).

Mais si une programmation militaire européenne peut paraître nécessaire, le réalisme oblige à reconnaître qu'elle n'est guère envisageable à court terme. Une programmation nationale s'imposait donc, mais avec la volonté de faire des choix n'allant pas à l'encontre de la construction européenne, qui avance lentement. N'oublions pas que quatre pays de l'Union européenne sont attachés à leur neutralité et que seuls quelques Etats membres ont une réelle politique de défense.

L'Europe de la défense ne peut donc se faire que par des coopérations renforcées entre un nombre restreint de partenaires.

Le présent projet y contribue à de nombreux égards, notamment par le renforcement des moyens de prospection et des systèmes d'information et de commandement.

Sur le plan industriel, à l'heure où des restructurations doivent s'opérer pour constituer des entités compétitives face aux Etats-Unis, la programmation offre de belles perspectives de coopération.

L'efficacité de ces moyens matériels serait toutefois gravement compromise s'ils n'étaient servis par des militaires professionnels, en nombre suffisant, et parfaitement entraînés. C'est l'objectif général de consolidation de la professionnalisation. Il s'agit en premier lieu d'accroître de 2 500 le nombre des engagés de l'armée de terre.

Mais la particularité essentielle des ressources prévues en titre III réside dans la constitution du fonds de consolidation de la professionnalisation, que vous avez voulu, Madame la ministre. Doté de 572,58 millions pour les six années qui viennent, il verra ses annuités croître fortement à partir de 2004. Il servira notamment à étoffer le service de santé des armées, dont notre collègue Ménard a souligné les difficultés.

Plutôt que de prévoir des crédits pour l'entraînement, le projet fixe des normes à atteindre en 2008, conformes aux standards internationalement reconnus ; les dotations budgétaires annuelles devront être fixées en conséquence, et elles ne pourront plus servir d'ajustement interne comme ce fut le cas précédemment.

Le projet qui nous est proposé contient aussi des dispositions heureuses pour les réserves ; pour atteindre l'objectif de 100 000 réservistes en 2015, un objectif intermédiaire de 82 000 hommes et femmes est fixé et le volet quantitatif est complété par une norme qualitative. Pour favoriser les recrutements nécessaires, 85,83 millions seront consacrés aux mesures d'attractivité et de formation dans la réserve. L'ensemble du dispositif est toutefois encore en devenir, les enseignements nécessaires devant être progressivement tirés de l'expérience acquise. Je ne conclurai pas sans saluer le rôle important du personnel civil dans le fonctionnement du ministère de la défense. Des mesures seront prises, dès 2003, en vue de leur reconnaissance professionnelle.

Pour garantir les ressources financières que nous allons voter, mais aussi pour faciliter et améliorer la gestion du ministère de la défense, j'ai proposé de développer le contrôle assuré par la commission sur les finances de la défense. Je conçois ce contrôle comme une aide au ministère, en cas de difficultés de consommation des crédits. Il servira aussi à prévenir toute régulation des crédits votés. C'est donc une démarche ambitieuse, que je veux aussi audacieuse et résolue. Elle contribuera à restaurer la confiance parmi les militaires, confiance gravement altérée par le sort qui leur a été réservé depuis plusieurs années. La loi de programmation contient tous les éléments de nature à restaurer l'efficacité de nos armées. Mais sans la confiance et l'adhésion des militaires, rien ne pourrait se réaliser.

Parce que cette loi est ambitieuse et que cette belle ambition est celle de la France, nous serons à vos côtés, Madame la ministre, et aux côtés du Président de la République, chef des armées, pour vous aider, année après année, à faire respecter la programmation militaire qu'exigent la sécurité de notre pays et son rôle en Europe et dans le monde, au service de la paix.

Cette loi, qui constitue l'assurance-risque des Français, doit recueillir notre adhésion. Elle vous est acquise (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Renaud Donnedieu de Vabres, suppléant M. Pierre Lellouche, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères - En l'absence de M Pierre Lellouche, en mission à l'étranger, je présenterai l'avis rendu par la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de programmation militaire, qui est un bon projet. Les objectifs chiffrés avec une enveloppe annuelle moyenne de 14,64 milliards d'équipement, sont ambitieux, dans un contexte budgétaire difficile. Quant à la doctrine sur laquelle le projet se fonde, elle est tout à fait pertinente.

Pourquoi fournir un effort supplémentaire pour notre défense ? Tout d'abord, parce que le contexte géostratégique y oblige, qu'il s'agisse de la persistance de conflits interétatiques, de la prolifération nucléaire, du développement de guerres civiles, souvent d'origine ethnique ou religieuse, ou de l'apparition d'un terrorisme de masse qui a pris la forme d'une véritable guerre contre l'Occident.

Les « dividendes de la paix » étaient bien une utopie, car la panoplie de défense aujourd'hui nécessaire est plus complexe et plus coûteuse que jamais. Quant à la dissuasion, elle reste nécessaire mais elle doit évoluer, et les forces classiques doivent être transformées pour mener des actions de projection. Enfin, la protection du territoire, dont certains ont pu croire qu'elle n'était plus nécessaire avec la fin de la guerre froide, doit être réinventée.

Par ailleurs, il n'y a pas de diplomatie sans défense forte pour défendre nos intérêts dans le monde. La France, membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, revendique des ambitions mondiales : elle ne pourra tenir son rang que si elle dispose de moyens militaires adéquats ; il ne sert à rien de se démarquer des Etats-Unis si l'on ne se donne pas les moyens de peser efficacement sur les affaires du monde.

Enfin, le rattrapage est une condition de la construction d'une défense européenne. Or, après des étapes encourageantes, l'Europe de la défense piétine, qu'il s'agisse des capacités ou de la production industrielle. A cet égard, la domination américaine croissante sur l'industrie européenne d'armement, extrêmement inquiétante, doit nous conduire à réagir. Pourtant, aucun donneur de leçon n'a su, pendant cinq ans, doter notre défense des moyens dont elle avait besoin, (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) si bien que l'appareil de défense de la France est dans un état préoccupant. Les engagements de la loi de programmation 1997-2002 n'ont pas été respectés : entre des lois de finances annuelles insuffisantes, le financement de dépenses non militaires sur le budget de la défense, la régulation budgétaire et le non-financement des opérations extérieures, il manque au bout de six ans l'équivalent d'une annuité d'investissements. Telle est la situation à laquelle le Gouvernement s'est trouvé confronté.

Ces retards se traduisent non seulement par une baisse sensible du moral des troupes, mais aussi par une grave situation s'agissant de l'entretien des matériels, dont la disponibilité ne dépasse guère 60 %, et par des lacunes importantes dans des domaines stratégiques. De ce fait, notre système de défense n'est pas à la hauteur de ses missions, alors même qu'il dispose de personnels remarquables.

Compte tenu de l'état des finances publiques et de la situation économique, il faut saluer le rattrapage qui nous est proposé, et notre collègue Pierre Lellouche a beaucoup insisté sur la nécessité de veiller au respect de ces engagements. Nous serons donc à vos côtés si des arbitrages ultérieurs devaient être décidés.

Il faudra en effet s'assurer que les lois de finances annuelles respectent les objectifs chiffrés, après une première étape franchie avec succès grâce au budget 2003. Il est aussi urgent d'ouvrir un débat sur le retrait des dépenses d'investissement militaire du champ du pacte de stabilité européen. Ces dépenses, qui répondent à un impératif de sécurité, ne doivent donc pas dépendre des aléas de la conjoncture. Par ailleurs, l'équité commande de tenir compte des écarts entre les efforts fournis pour la défense par les différents pays de l'Union.

La réalisation des objectifs fixés supposera aussi de veiller à ce que des régulations budgétaires ne remettent pas en cause les dépenses autorisées par le Parlement. L'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances permettra de mieux assurer le contrôle et l'évaluation de l'exécution du budget. Mais si le périmètre de la loi exclut les fonds accordés à la Polynésie française et la recapitalisation des entreprises publiques, ce qui est une bonne nouvelle, la réponse est moins claire pour le budget civil de recherche et de développement et pour les charges afférentes à la restructuration de la DCN.

La commission des affaires étrangères considère par ailleurs qu'il faut régler une fois pour toute le problème récurrent du financement des opérations extérieures. Il est tout à fait anormal que ces opérations ne fassent l'objet d'aucun financement en loi de finances initiale, ce qui se traduit immanquablement par une ponction sur les dépenses d'investissement.

Le réalisme budgétaire doit devenir la règle, pour que les surcoûts « OPEX » ne soient plus financés par transfert de crédits non dépensés du titre V. A cet égard, nous nous félicitons d'avoir été entendus par le président de la commission de la défense, M. Teissier, qui a déposé, hier, un amendement s'inspirant largement de celui qu'a adopté notre commission.

Sans insister sur les systèmes d'armes bénéficiant de la loi de programmation, j'indiquerai juste que la commission se félicite que les principaux programmes comblent les lacunes de notre outil de défense. Ils permettront de moderniser notre force de dissuasion par la poursuite de la simulation et la mise en service des troisième et quatrième sous-marins nucléaires lanceurs d'engins nouvelle génération en 2004 et 2010.

Dans le domaine de la prévention, le renseignement et la maîtrise des communications sont indispensables et il faut se féliciter que le projet prenne largement en compte cette dimension.

Dans le domaine de la projection et de l'action, le projet est très satisfaisant, qu'il s'agisse de la marine - deuxième porte-avions, renouvellement des frégates -, de l'armée de l'air - avec le Rafale - ou de l'armée de terre - forces spéciales, équipement de l'infanterie, blindés légers...

Un mot des réformes à poursuivre. Le projet prévoit à juste titre une augmentation des dépenses d'investissement. Encore faut-il s'assurer que ces crédits seront mieux dépensés que par le passé : ce qui est en jeu, c'est la modernisation du ministère de la défense et des arsenaux d'Etat. Le rapporteur pour avis a donc souhaité une réforme du système d'acquisition des matériels, qui ne tient pas un assez grand compte de l'avis des utilisateurs eux-mêmes. Pour que les programmes d'équipement correspondent mieux aux besoins réels des armées, il faut revoir l'organisation du ministère de la défense, qui date des années 1960. Il est indispensable de retrouver une logique opérationnelle en donnant plus qu'un rôle de coordination au chef d'état-major des armées. La situation actuelle laisse à la DGA la haute main sur les programmes d'armement. Or sa structure, ses personnels, leur formation, ne permettent pas toujours de tenir compte des besoins.

En effet, l'organisation actuelle du ministère de la défense ne permet pas de distinguer clairement ce qui, dans la politique de l'armement, relève de la stratégie militaire de ce qui relève de la politique industrielle, sociale ou d'aménagement du territoire. Exemple frappant, le GIAT a reçu en dix ans 3,7 milliards d'euros de subventions, ce qui en fait en quelque sorte le principal programme d'armement de la décennie ! (Interruptions sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean-Claude Sandrier - Fallait-il le tuer ?

M. le Rapporteur pour avis suppléant - Enfin, dans un contexte stratégique particulièrement mouvant, nous ne ferons pas l'économie d'un débat doctrinal sur les objectifs et les missions de notre appareil de défense. Après le 11 septembre, le monde est entré dans une nouvelle ère qui a entraîné des bouleversements géostratégiques majeurs : émergence de « l'hyperterrorisme », rapprochement des Etats-Unis et de la Russie, dénonciation du traité ABM, interrogations sur le rôle de l'Alliance Atlantique, explosion du budget de défense des Etats-Unis, modification de la doctrine militaire américaine... Certes, notre livre blanc sur la défense de 1994 avait bien pris en compte les enseignements de la fin de la guerre froide, en insistant sur des phénomènes alors émergents comme le développement des crises régionales, la prolifération, le terrorisme, mais l'évolution rapide du contexte géostratégique plaide pour une réactualisation des analyses, intégrant une éventuelle réflexion au niveau européen.

Dans le domaine nucléaire, la fin de la guerre froide n'a pas signifié la fin de l'âge nucléaire, mais l'entrée dans un « deuxième âge » du nucléaire, marqué par les caractéristiques suivantes : augmentation du nombre de puissances nucléaires, et risque de prolifération au bénéfice d'acteurs non étatiques ; inefficacité de la dissuasion ; nouvelle doctrine nucléaire américaine, articulée autour de la possibilité d'attaques préventives, même si cette expression est une traduction imparfaite des termes américains, et de la mise au point d'une défense antimissile.

Il n'est évidemment pas question, pour la France, de se calquer sur cette nouvelle doctrine américaine, mais il ne faudrait pas refuser, pour des raisons idéologiques, toute réflexion sur notre dissuasion. Le développement d'une capacité de défense antimissiles de théâtre sera une première étape dans cette voie. Parallèlement, des efforts doivent être faits dans les domaines de la surveillance et de l'alerte. Nous avons besoin d'une veille scientifique et technique dans le domaine de la défense antimissiles, pour conserver une possibilité de dialogue avec les Etats-Unis et une capacité de montée en puissance si nécessaire, dans une décennie. En effet, le programme Missile défence est une réalité qu'il nous faut bien prendre en compte.

Enfin, le rapporteur pour avis a beaucoup insisté sur la nécessité de réinventer la défense du territoire, négligée ces dernières années. Beaucoup reste à faire. La fin de la guerre froide a fait croire, à tort, à la disparition des menaces directes contre notre territoire. Les faits ayant démenti cet espoir, il faut se poser la question de ce qu'il faut faire concrètement en cas d'attaque nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique. Il faut également s'interroger sur l'organisation administrative.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. le Rapporteur pour avis suppléant - Dans un monde de plus en plus dangereux, disposer d'un outil de défense moderne est plus que jamais nécessaire. Il s'agit d'abord d'un enjeu vital pour la protection de notre territoire et de nos populations, mais aussi d'un enjeu de puissance, car une diplomatie qui ne repose pas sur une défense forte ne peut pas faire entendre sa voix sur la scène internationale.

Dans ce but, une étape essentielle sera la remise à niveau budgétaire que ce projet rend possible. La commission des affaires étrangères a donc émis un avis favorable à son adoption (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Il est souhaitable que tous les orateurs, y compris les rapporteurs, respectent leur temps de parole.

M. François d'Aubert, rapporteur pour avis de la commission des finances - Ce projet de loi de programmation a été approuvé par la commission des finances, parce que la défense est une priorité. La France a besoin d'une défense nationale qui assure sa sécurité et qui lui permette de jouer un rôle éminent dans le monde.

Notre débat s'inscrit dans un contexte stratégique qui connaît de profondes évolutions. La situation internationale est marquée par une forte imprévisibilité et par l'apparition de risques nouveaux : la prolifération des armes de destruction massive et des nations dotées de l'arme nucléaire ; les menaces terroristes. Le 24 octobre, ici même, Madame la ministre, vous avez rappelé que notre pays affrontait ce type de menace depuis longtemps déjà, mais le risque a changé d'échelle depuis le 11 septembre.

Je note d'ailleurs un effort significatif en matière de lutte contre le terrorisme, rendue plus efficace par une meilleure articulation de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure.

La fonction de renseignement est renforcée. Nous savons depuis la guerre du Golfe - et les opérations en Afghanistan l'ont confirmé - qu'elle est indispensable pour la capacité d'action des armées, mais aussi pour notre autonomie par rapport à nos partenaires. L'armée française va disposer de dix drones multirécepteurs et de deux stations, alors que ces équipements avaient été refusés par le précédent gouvernement. Les forces d'opérations spéciales vont disposer de dix hélicoptères Cougar. Enfin, la dotation pour 2003 des services de renseignement est en hausse de 5 %, hors rémunérations et charges sociales.

Tout comme le contexte stratégique, le cadre international et européen est en profonde mutation.

J'ai déjà eu l'occasion de déplorer ici les ratés de l'Europe de la défense. Le cas de l'A400M est emblématique. Quelle Europe de la défense pourrons-nous bâtir si nous sommes incapables de mener à bien ce projet ? Nous attendons avec impatience la réponse des Allemands. Ils ont donné un accord de principe, mais un programme de commandes est indispensable.

Les restructurations en cours dans l'industrie européenne d'armement ne vont pas toujours dans le sens de la cohérence.

Nous sommes nombreux à nous inquiéter de la percée réalisée par le projet d'avion américain Joint Strike Fighter. Le JSF séduit non seulement la Grande-Bretagne, qui a l'habitude de coopérer avec les Etats-Unis, mais aussi le Danemark, les Pays-Bas, l'Italie et la Turquie. Or le développement du JSF mobilise les crédits de recherche de ces pays. Depuis 1998, 6 milliards d'euros ont été investis dans le JSF en Europe, dont la moitié par la Grande-Bretagne, plus d'un milliard par l'Italie et 900 millions par les Pays-Bas. Ainsi les crédits européens de recherche et développement indispensables à la construction d'une industrie européenne de l'armement sont astucieusement prélevés au profit de l'industrie américaine.

Ce projet de loi renforce l'autonomie stratégique de notre pays. Celle-ci repose d'abord sur la dissuasion. Elle s'appuie sur une composante aéroportée qui sera renforcée par l'entrée en service des Rafale. Le missile air-sol moyenne portée amélioré qui montera en puissance à partir de 2007 sera adapté au Mirage 2000N et au Rafale. L'autre composante de la dissuasion repose sur les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de la nouvelle génération. Après Le Triomphant en 1997 et Le Téméraire en 1999, le troisième sera mis en service avant la fin 2004. Le quatrième, Le Terrible, dont la construction a débuté à Cherbourg, serait livré en 2010.

L'autonomie stratégique suppose aussi de disposer d'une capacité autonome de commandement et de renseignement. S'agissant de l'observation stratégique de seconde génération, le satellite Helios II sera lancé en 2004 et un second en 2008. Sur le théâtre des opérations, l'enjeu sera désormais de raccourcir au maximum la boucle renseignement-commandement. 23 nacelles de reconnaissance seront mises en service, permettant une transmission en temps réel des informations recueillies. Tous ces éléments font de la France une référence en Europe et lui permettent d'être une nation-cadre incontournable dans les opérations multinationales de l'Union européenne.

Enfin, l'autonomie stratégique de notre pays suppose aussi de conforter notre capacité à mener une action strictement autonome comme actuellement en Côte d'Ivoire et de respecter ses engagements bilatéraux et multilatéraux.

S'agissant de nos capacités de projection et de mobilité, le retard du programme A400M risque d'accroître encore plus le trou capacitaire entre le retrait du service des Transall et la montée en puissance des A400M qui ne pourra pas intervenir avant 2008.

Les transports de chalands de débarquements de type Ouragan seront remplacés par deux bâtiments de projection et de commandement livrés en 2005 et 2006, pouvant porter un plus grand nombre d'hélicoptères. Le NH90, construit en coopération avec les Pays-Bas, l'Italie et le Portugal commenceront à être livrés en 2005 pour la version marine et en 2011 pour la version terrestre. La commande de 34 exemplaires sera passée pendant la durée de la programmation. Afin de combler ce délai, 24 Couguar et 45 Puma seront rénovés.

S'agissant de la « frappe dans la profondeur », le rapport annexé propose de construire un second porte-avions, ce dont nous nous félicitons. La concomitance avec le programme britannique d'acquisition de deux porte-avions de 50 000 tonnes permet d'envisager une coopération avec les Britanniques s'il est possible de concevoir avec eux un navire permettant le catapultage des avions. Il est aussi possible que nous fabriquions ce second porte-avions seuls. Le choix s'offre entre une copie évoluée du Charles-de-Gaulle, donc à propulsion nucléaire, et un bâtiment à propulsion classique. Le débat est ouvert. La propulsion nucléaire est complexe et coûteuse. Notre porte-avions nucléaire s'est pourtant révélé moins rapide que le Foch. Les coûts prévus pour la fabrication du Charles-de-Gaulle ont été dépassés de 17 %, ce qui reste acceptable, compte tenu des retards budgétaires observés et des 5 000 tonnes de blindage qui ont dû être ajoutées pour respecter les nouvelles normes de sûreté.

La marine sera dotée de 60 Rafale, l'armée de l'air de 234. De 2003 à 2008, 125 commandes et 76 livraisons sont prévues. Le missile SCALP-EG équipera les Mirage 2000D à partir de 2003 puis les Rafale air et marine à compter de 2007. 500 missiles seront livrés entre 2003 et 2007.

Le missile de croisière naval, dont la campagne d'Afghanistan a montré l'utilité, devrait être mis en place sur les frégates multi-missions en 2011 et à partir de 2015 sur les SNLE-NG. Huit de ces frégates seront commandées. La première des 17 prévues entrera en service en 2008.

Les deux premières frégates antiaériennes Horizon seront livrées en 2006 et 2008. La troisième sera commandée en 2007. Ces bâtiments permettront aussi d'évacuer des ressortissants menacés.

En ce qui concerne les armements terrestres, les 117 derniers Leclerc seront livrés entre 2003 et 2005. Un consortium unissant Giat-Industries et Renault Véhicules industriels a remporté le contrat de fabrication de 700 véhicules blindés de combat d'infanterie, dont 150 seront destinés au commandement. Les premières livraisons, prévues en 2006, ne devraient pas intervenir avant 2007.

Les difficultés financières et sociales de GIAT, société qui a été très fortement subventionnée par le passé, ne tient pas seulement à des retards dans les commandes mais bien à des erreurs de gestion. Tout cela aura coûté 23 milliards de francs (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

En tant que rapporteur spécial des crédits de la défense, j'ai formulé, dans mon rapport écrit, un certain nombre de remarques sur la définition de l'enveloppe annuelle définie à l'article 2 du projet.

En premier lieu, il faut se féliciter que le périmètre soit désormais défini de manière plus restrictive. Les dotations à la Polynésie, le démantèlement des installations de matières fissiles, la recapitalisation de GIAT ou la capitalisation de DCN ne devraient plus peser sur le montant des crédits d'équipement des armées. Pour autant, cette enveloppe annuelle n'est pas d'une lisibilité parfaite. En effet, il faut lui ajouter les crédits accordés à la gendarmerie au titre de la LOPSI, soit, pour 2003, 94 millions d'euros, mais aussi retrancher 100 millions d'euros de « mesures sans incidences financières ».

Au travers des amendements présentés, nous devrions arriver à une lisibilité parfaite, au million près, de la loi de programmation militaire. C'est dans l'intérêt de tous pour que le Parlement en suive l'exécution, en assurer le respect et que ne puissent avoir lieu les manipulations budgétaires des dernières années.

L'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 entrera en vigueur en 2006. Dès 2005, les crédits de la défense devront donc être présentés sous forme de missions et de programmes. Or, le présent projet fixe une enveloppe de crédits d'équipement jusqu'en 2008, en se référant aux crédits ouverts en lois de finances initiales. Il eût été plus pertinent de faire référence aux crédits réellement disponibles. En effet, compte tenu qu'ils deviendront fongibles à compter de 2006, le respect formel de l'enveloppe prévue en loi de finances initiale ne constituera pas une garantie tout à fait satisfaisante. Une extrême vigilance s'imposera donc. Le rapporteur spécial devra contrôler le respect de la loi de programmation au regard des crédits réellement ouverts et consommés.

Il serait par ailleurs souhaitable que le Parlement puisse se prononcer spécifiquement sur les grands programmes à l'instar du Parlement allemand. Dans le cadre de la nouvelle nomenclature budgétaire, il serait envisageable de mieux identifier les plus gros programmes d'armement. Certes les 34 principaux le sont déjà mais une démarche plus fine permettrait une meilleure information des parlementaires.

L'un des enjeux majeurs de la prochaine programmation est aussi de restaurer la disponibilité technique des matériels. Le bon fonctionnement de notre armée est à ce prix.

L'effort global du ministère de la défense pour la recherche atteindra 7 milliards d'euros - à l'exclusion des crédits du budget civil de recherche et de développement. Mais compte tenu des crédits de l'ONERA et de l'institut franco-allemand de Saint-Louis, ainsi que de la contribution aux grandes écoles d'ingénieurs sous tutelle du ministère et de la poursuite du financement de la recherche nucléaire, le montant des crédits réellement affectés à la recherche et à la technologie sera de 3,8 milliards d'euros sur la période 2003-2008. S'il y avait un domaine à renforcer dans ce projet de loi, ce serait sans doute celui-ci.

M. le Président - Veuillez conclure, je vous prie.

M. François d'Aubert, rapporteur pour avis - Cet effort de recherche doit permettre de consolider ou d'acquérir les technologies nécessaires à la réalisation des armes du futur. C'est une étape vers le modèle 2015. Pour autant, sa reprise ne suffit pas à répondre à toutes les interrogations.

Le ministère de la défense s'est beaucoup modernisé, c'est même sans doute celui qui l'a fait le plus...

M. Yves Fromion - Très juste !

M. François d'Aubert, rapporteur pour avis - ...grâce à la professionnalisation. Il a modernisé ses méthodes de gestion. Des efforts restent néanmoins nécessaires, en particulier concernant le rôle et le fonctionnement de la Délégation générale à l'armement. Il conviendrait sans doute de mieux écouter les utilisateurs.

L'externalisation de certaines tâches sera aussi source d'efficacité. De nouvelles méthodes financières innovantes permettront aussi des progrès - il restera toutefois à régler le problème de la TVA avec Bercy. Enfin, l'anticipation des dispositions prévues dans la loi organique relative aux lois de finances ne peut être qu'une bonne chose.

La commission des finances a bien sûr donné un avis favorable à cette loi de programmation qui permettra à la France de remettre à niveau et de renforcer sa défense - une année de retard avait été prise - pour donner à la France, à la nation, à la République les moyens nécessaires à la sécurité de nos concitoyens.

M. le Président - Monsieur d'Aubert, vous avez doublé votre temps de parole. S'il suit votre exemple, M. Bocquet pourrait ainsi parler trois heures. Vous comprendrez donc que je doive être vigilant quant au respect des temps de parole.

M. Yves Fromion - M. Bocquet pourrait peut-être nous présenter tout de suite sa conclusion...

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d'irrecevabilité.

M. Alain Bocquet - On entend souvent dire qu'il existerait en France un large consensus sur les choix en matière de politique de défense. Il n'en est rien, et je le dis d'emblée : nous rejetons cette loi de programmation... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)...qui constitue, selon nous, un contresens politique. D'où cette motion de procédure.

En France et en Europe, des millions de citoyens, des forces de plus en plus nombreuses de la société civile, soutenus par des partis politiques très divers, s'inquiètent du cours actuel de la mondialisation, du danger nucléaire, de la montée des tensions dans de nombreuses régions du monde, et ont exprimé ces inquiétudes de Porto Alegre à Seattle, de Gênes à Florence.

Aucune politique de sécurité ne peut faire l'impasse sur ces interrogations légitimes.

Nous ne remettons bien sûr pas en question le besoin de sécurité en France et en Europe, non plus que les moyens donnés aux personnels de la défense nationale. Mon collègue et ami Jean-Claude Sandrier rappellera tout à l'heure l'engagement des communistes français en faveur de ces hommes et de ces femmes, qui, dans l'inquiétude de leurs familles pour les risques qu'ils encourent, assurent au nom de la France des missions difficiles. Il montrera également comment notre industrie d'armement est menacée par la généralisation d'armements dictés par la loi d'un marché aveugle, particulièrement destructrice d'emplois.

On ne peut juger d'une politique de défense hors du contexte international général.

Davantage qu'une simple contrainte, il constitue le cadre dans lequel notre pays doit penser sa sécurité.

Je veux souligner l'acuité particulière de deux défis, celui des inégalités et celui de la démocratie.

Quelque 1,2 milliard d'individus ont moins d'un dollar par jour pour vivre, 2,8 milliards moins de deux dollars. Sur les 4,6 milliards d'habitants des pays en développement, plus de 850 millions sont analphabètes, près d'un milliard n'ont pas accès à l'eau potable, 325 millions d'enfants ne sont pas scolarisés. La pauvreté n'est pas seulement une réalité du sud : ce qu'on appelle par euphémisme la pauvreté monétaire frappe environ 130 millions de personnes dans les pays de l'OCDE, où sévissent aussi le chômage et l'illettrisme. L'ordre économique libéral a un effet dévastateur ; il produit frustrations et conflits beaucoup plus que croissance et développement. Le libre jeu capitaliste ne s'exerce qu'entre des acteurs profondément inégaux. Si les pays en développement ont accru leurs exportations de produits manufacturés, il n'y a pas eu accroissement correspondant de la valeur ajoutée, ce qui traduit une inégalité structurelle devant les technologies, les formations, la maîtrise des processus de production. La Conférence des Nations unies pour le développement explique parfaitement bien cette réalité, qui dément en elle-même l'idée que l'ultralibéralisme apporterait les conditions du développement, donc du progrès social, et d'une meilleure sécurité globale.

Il faut rappeler aussi le caractère profondément déstabilisateur des plans d'ajustements structurels, dont le Fonds monétaire international et bien des responsables économiques du monde occidental se font les laudateurs zélés.

L'effondrement argentin illustre la nocivité de ces plans dits de rigueur, qui sont des plans de régression sociale imposés à des économies déjà exsangues.

Ces politiques contribuent - voyons les crises meurtrières du continent africain - à déstructurer les sociétés, quand ce ne sont pas les Etats eux-mêmes qui se désintègrent. La violence politique a changé de nature : on assiste à la montée de menaces non militaires, au mûrissement de crises trouvant leur origine dans les conditions de vie - ou plutôt de survie - de la population.

Le deuxième défi, la démocratie, est intimement lié au premier.

Le monde d'aujourd'hui reste l'héritier du siècle dernier, d'une décolonisation qui ne s'est pas faite jusqu'au bout, d'une domination des principales puissances capitalistes, de l'hégémonie du modèle occidental. Au Sud comme au Nord, la mondialisation non seulement aggrave les problèmes économiques et sociaux, mais donne le sentiment que les injustices qui l'accompagnent sont inéluctables, car une majorité d'êtres humains est tenue complètement à l'écart des décisions. Ce déni de démocratie est l'une des causes fondamentales de l'exacerbation des frustrations sociales, de la montée des populismes, de l'intégrisme et du nationalisme.

Le modèle occidental se veut porteur de valeurs universelles, qui sont chaque jour contredites par les politiques conduites : cette hypocrisie provoque colères et ranc_urs, que les adeptes de la politique du pire, cherchent à instrumentaliser à des fins de déstabilisation et de conquête du pouvoir.

Ce qui se passe au Proche-Orient illustre cette réalité dramatique. Le conflit israélo-palestinien n'est pas seulement un conflit régional grave, c'est la matrice d'une grande rupture politique et idéologique. Des millions de citoyens du monde arabo-musulman constatent avec quel cynisme et quelle brutalité le peuple palestinien est traité et humilié quotidiennement. Ils voient aussi l'hyper-puissance américaine, si prompte à énoncer les valeurs morales censées légitimer son action, se mettre, elle aussi, hors du droit, en soutenant Ariel Sharon. Comment s'étonner alors de la montée de sentiments violents et d'un terrorisme épouvantable, nourris par des décennies d'espoirs déçus ? Stanley Hoffmann parle avec raison d'une « partialité coupable » et d'une « pratique machiavélique dissimulée derrière un discours wilsonien ».

Le sentiment populaire de cette partialité coupable s'exacerbe encore lorsqu'au nom du droit international et des mêmes idéaux, on cherche à faire la guerre à l'Irak, pour d'autres motifs que ceux officiellement évoqués. Quelle que soit la nature du régime de Saddam Hussein - il s'agit d'une dictature criminelle -, cette politique soulève une indignation légitime. Elle alimente l'idée d'un monde fatalement injuste, où la menace et l'agressivité seraient les seuls moyens d'existence politique. Si l'on ne trouve pas les moyens de sortir de cette impasse tragique, on donnera raison à la fois à ceux qui ne connaissent que l'exercice de l'hégémonie et à ceux qui nourrissent la thèse catastrophique du choc des civilisations.

C'est finalement la question de la dignité de l'être humain qui est au centre des problématiques qu'il nous faut affronter. L'humiliation, les frustrations sociales, le mépris des droits humains conduisent, dans un contexte de grande pauvreté et d'une absence de perspectives, à l'insécurité.

Une question simple nous est donc posée : la loi de programmation dont nous débattons correspond-elle aux choix que notre pays se doit de faire pour garantir sa sécurité et contribuer à un monde plus juste et plus pacifique ?

Cette loi de programmation répond à deux orientations essentielles : une augmentation des dépenses et une hausse substantielle des programmes d'investissement dans tous les domaines, du nucléaire à la projection de forces en passant par les systèmes antimissiles et les nouvelles armes. Elle s'appuie sur une logique de sécurité et de défense fondée sur le tout-militaire et inspirée de la stratégie qui est celle des Américains depuis la tragique attaque terroriste du 11 septembre 2001

Pour nous, cette loi est complètement inadaptée aux réalités du monde. Elle n'engage en rien l'effort, pourtant si nécessaire, pour que notre pays puisse jouer le rôle autonome et positif qu'on attend de lui, conformément aux principes qui fondent l'esprit de notre République, et aux engagements pris.

Le tout militaire est totalement inadapté à la gravité d'une situation internationale durablement déstabilisée par de profondes fractures économiques, sociales et démocratiques.

Vous auriez dû pourtant vous nourrir de l'expérience des années 1990. Après la guerre du Golfe, après les conflits de l'ex-Yougoslavie, on a dit chaque fois que ni la France, ni l'Europe n'avaient été à la hauteur, qu'il fallait rattraper le retard pris sur les Etats-Unis en matière militaire. Aujourd'hui encore, alors que George Bush multiplie les pressions pour une guerre en Irak, nombreux sont ceux qui plaident pour un rattrapage accéléré. C'est bien là qu'est le contresens politique !

Jusqu'où la France et l'Europe emboîteront-elles le pas à une stratégie américaine qui ne fait qu'exacerber les tensions internationales ? Quand auront-elles enfin l'ambition de jouer un rôle original dans la recherche de réponses plus ouvertes sur l'avenir ?

L'attaque terroriste du 11 septembre n'a pas marqué, comme certains l'avaient affirmé précipitamment, une rupture historique. Mais elle fut, par sa signification et par sa gravité, le signal qu'on ne pouvait plus penser les réponses politiques de la même façon.

La nouvelle administration américaine, à sa façon, ne s'y est pas trompée : la politique de George Bush s'est véritablement révélée avec cette attaque terroriste qui a frappé les c_urs symboliques économique et militaire des Etats-Unis. La lutte contre le terrorisme venait d'un coup apporter à une administration ultra-conservatrice et ultra-sécuritaire la justification morale, l'opportunité politique, la cohérence stratégique qui lui manquaient pour passer à une véritable logique d'hyper-puissance, totalement hégémonique, sans partage, sans rivale, sans complexe. En est ressortie l'idée de guerre préventive et de lutte sans fin et sans frontières, contre « l'axe du mal ».

Est-ce à cette politique que la France s'apprête à emboîter le pas ? Est-ce une orientation faite pour notre pays, digne de nos traditions et de nos ambitions ? Faut-il suivre le militarisme des Etats-Unis ?

Evidemment, nul n'échappe à l'impératif d'un combat sans merci contre le terrorisme. Mais on voit bien, en particulier dans la crise irakienne, comment les dirigeants américains l'instrumentalisent à des fins de domination et de politique intérieure au lieu de relever les vrais défis. Où sont, dans les orientations américaines, les références au développement durable, aux besoins fondamentaux des pays du Sud, à la sécurité par la prévention et par la résolution négociée des conflits ?

Pauvreté massive, crises alimentaires, famines, dette, pandémies : nul ne pourra prétendre que les avertissements des trente dernières années n'ont pas été clairs ! Les racines des crises sont bien là, dans un sous-développement dramatique. Il fallait être aveugle, hier, pour s'étonner aujourd'hui que les réseaux terroristes fassent d'un tel contexte le terreau de leurs crimes.

Pourtant, cette loi commence à engager la France dans un véritable suivisme vis-à-vis de la politique américaine. Je crains que notre pays se mette ainsi dans l'incapacité durable d'assumer une vraie responsabilité dans le monde.

Je me permets d'ajouter, Madame la ministre, une autre inquiétude. Et si la France entraîne ses partenaires dans cette voie, qu'en sera-t-il demain de la politique européenne de sécurité ? Sera-t-elle le pilier secondaire d'une OTAN d'ailleurs dépassée par les enjeux mais que les Etats-Unis, dans leur unilatéralisme forcené, chercheront plus que jamais à utiliser comme instrument de leurs intérêts stratégiques ? N'est-ce pas ce que dessine le dernier sommet de Prague ? Est-ce vraiment le grand dessein que nous voulons pour l'Europe ?

Je sais bien que les quinze membres de l'Union ne font pas tous les mêmes choix ; que l'euro-atlantisme de la Grande-Bretagne la distingue de l'Allemagne et de la France. Mais ne l'oublions pas : en matière de sécurité et de politique internationale, comme dans tout autre domaine, l'Europe sera autonome ou ne sera pas ! Il y a donc là un risque majeur pour la construction européenne.

Nous avons besoin d'une toute autre vision des enjeux de sécurité pour faire face aux défis d'aujourd'hui, donc d'une autre politique de défense, certainement moins dispendieuse, en particulier en ce qui concerne le nucléaire.

Comment faire avant, pour ne pas toujours préparer la guerre d'après ? Telle est la principale question. C'est la prévention, donc la prévision, la précaution, la responsabilité qui devraient guider notre action dans le cadre d'une politique qui s'attaquerait aux causes réelles des problèmes.

Cela n'a rien à voir avec la guerre préventive du Président Bush, expression d'un néo-impérialisme brutal qui s'inscrit dans une vision d'un ordre international militarisé, d'une sorte d'état de guerre permanent que l'administration américaine cherche à justifier avec cynisme par la menace du terrorisme.

Oui, il existe une alternative au monde selon Bush, surtout en cette période où montent les résistances au libéralisme, les mouvements sociaux, qui refusent aussi bien les injustices que la guerre. Les communistes français inscrivent leur action dans cet ensemble.

Il n'y a évidemment pas un modèle de développement et de nouvelles relations internationales « prêt à l'emploi ». Mais, les dégâts et les insécurités permanentes produites par le modèle capitaliste et ultra-libéral sont là pour le rappeler, nous avons besoin d'idées et d'initiatives pour que les choses changent.

Il est urgent de donner un espoir à des millions d'être humains qui vivent dans la misère, qui subissent l'humiliation et qui, par défi, ou plutôt par défaut, nourrissent un anti-américanisme et même des sentiments pro-Ben Laden, même sans être favorables au terrorisme. La France, l'Europe, les Etats-Unis peuvent contribuer à la recherche d'une issue par la sécurité préventive, par le partenariat économique et social pour le développement, par le dialogue des cultures plutôt que par la menace et la diabolisation. Des idées intéressantes ont été exprimées au dernier sommet de la francophonie à Beyrouth. Il reste un long chemin à parcourir pour apercevoir les linéaments d'un monde plus civilisé, pour assécher les marécages de pauvreté et de frustration où naissent les crises et le terrorisme. Utopie ? Pas tout à fait ! La civilisation avance quand la violence politique régresse.

Par conception préventive de la sécurité, j'entends empêcher ou réduire les conflits par l'action collective, par la négociation, par le rétablissement de rapports de confiance, par l'exigence permanente du respect du droit. C'est aussi le rejet de l'unilatéralisme et des politiques de puissance. L'ONU, singulièrement malmenée depuis des années, nous paraît donc essentielle. Nous apprécions que les autorités françaises aient défendu le respect de sa prééminence dans la crise irakienne. Dans cet esprit, nous croyons indispensable de conserver au conseil de sécurité le monopole légitime en matière de sécurité collective, notamment quant aux décisions d'intervention, aux missions de paix et à l'usage de la force au titre du chapitre 7 de la charte.

La valorisation des Nations unies, ce cadre universel du multilatéralisme, passe cependant par des réformes relatives à leur représentativité et par leur démocratisation. Leur rôle ne doit pas diminuer, au contraire, au moment où il faut, plus que jamais, résoudre collectivement les problèmes communs. C'est ainsi seulement que l'on pourra faire échec à la militarisation actuelle des relations internationales.

Le recul des politiques de force, le désarmement concerté, la lutte contre le terrorisme et les réseaux mafieux appellent un engagement multilatéral résolu, dans cet esprit de recherche commune d'une « terre patrie », selon la formule visionnaire d'Edgar Morin. Cette vision ne peut se réaliser que si l'on cherche en même temps la réduction des colossales inégalités qui déchirent notre planète.

En l'an 2000, les chefs d'Etat et de gouvernement, réunis dans le cadre de l'assemblée générale des Nations unies, ont reconnu qu'ils étaient « collectivement tenus de défendre les principes de la dignité humaine, de l'égalité et de l'équité » et ils se sont fixé huit objectifs à atteindre d'ici 2005 : éliminer l'extrême pauvreté et la faim ; assurer une éducation primaire pour tous ; promouvoir l'égalité des sexes ; réduire la mortalité des enfants ; améliorer la santé maternelle ; combattre le sida, le paludisme et les autres maladies ; assurer la durabilité des ressources écologiques ; mettre en place un partenariat pour le développement.

Nous proposons que les autorités françaises prennent l'engagement de se faire les porteuses inlassables de ces huit objectifs en Europe et dans toutes les instances internationales.

Le modèle occidental n'aura pas de légitimité dans le monde sans un effort pour rendre les valeurs universelles d'égalité, de justice, de solidarité vraiment crédibles.

C'est à cette condition que pourrait s'instaurer « un monde où se tisseraient chaque jour un peu plus des amitiés transversales », selon les mots d'Amin Maalouf.

Je veux souligner, là aussi, l'importance décisive du multilatéralisme. Le programme des Nations unies pour le développement a défini un nouveau concept de « développement humain » incluant la démocratie, la justice économique, la santé, l'éducation, la paix et la sécurité.

Les notions de sécurité et de stabilité sont aujourd'hui liées en priorité, non à la puissance militaire, mais à une conception du développement. Nous pouvons y contribuer par l'annulation des dettes, par l'augmentation de l'aide au développement, par la taxation des capitaux spéculatifs. L'éradication de la pauvreté n'est pas une chimère.

Naturellement, pour éviter d'en rester aux pétitions de principe, il faut de puissants moyens. l'Union européenne a là un rôle décisif à jouer. Sa crédibilité politique se joue dans sa capacité à apporter des réponses efficaces et durables aux problèmes du monde d'aujourd'hui. Comment nos pays pourraient-ils mettre en place un partenariat euro-méditerranéen s'ils ne cherchent pas à peser davantage dans la résolution du conflit israélo-palestinien et dans le refus de la guerre en Irak ?

Comment peuvent-ils espérer jouer un rôle majeur dans les relations internationales s'ils ne définissent pas une nouvelle architecture de la sécurité, hors des contraintes d'une OTAN totalement inadaptée ?

Comment l'Europe peut-elle renforcer la sécurité et la stabilité sans une intervention plus déterminée dans les enjeux du développement et des droits de l'homme au sens large ?

L'Europe doit aujourd'hui choisir entre plusieurs options : devenir une vaste zone de libre échange entièrement dépendante des Etats-Unis, ou bien un club occidental cherchant vainement à rattraper la supériorité militaire américaine, ou encore une communauté élargie de nations euro-méditerranéennes, largement ouverte sur le monde et attachée à résoudre les problèmes fondamentaux de notre planète.

La dernière option est certainement la plus exigeante. Elle est antinomique de la vision américaine formulée par Donald Rumsfelds - « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous » - qui ne doit en aucun cas devenir l'horizon européen.

Il n'y aura pas d'avenir plus sûr sans l'affirmation d'un rôle innovant et positif de l'Europe et de la France dans les relations internationales, loin de la fascination d'un interventionnisme militaire néfaste et du surarmement. C'est d'une relance du processus de désarmement dont nous avons besoin.

Et c'est pour cette raison de fond que les députés communistes voteront contre une loi de programmation militaire inadaptée aux attentes et aux besoins qui s'expriment dans un monde qui a changé (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Michel Voisin - J'ai retenu de l'intervention du président Bocquet trois mots : prévision, précaution, responsabilité.

Selon notre Règlement, l'objet d'une exception d'irrecevabilité est de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles.

J'ai recherché les dispositions de notre Constitution relatives à la défense. Article 5 : « le Président de la République est le chef des armées ». Vous n'en avez pas dit mot. Article 21 : « le Premier ministre est responsable de la défense nationale ». Pas un mot là-dessus. Article 34 relatif aux compétences du Parlement : pas un mot.

Vous avez parlé de mondialisation, de lutte des classes, d'inégalités. Vous n'avez fait aucune référence à cette loi de programmation militaire.

Mais je comprends votre gêne. J'ai travaillé en 1989, avec le président de la commission de la défense de l'époque, Jean-Michel Boucheron, sur la loi de programmation 1990-1993.

Après la guerre du Golfe, les dirigeants de l'époque ont voulu en tirer les leçons et en 1992 nous avons travaillé à une réforme de cette loi. Mais elle n'est jamais venue en discussion.

En 1994, le Président de la République et le Premier ministre, M. Balladur, ont écrit un nouveau livre blanc sur la défense nationale et en 1995 nous avons examiné une nouvelle loi de programmation militaire.

Puis le Président de la République a décidé la professionnalisation des armées. En 1996 nous avons élaboré une nouvelle loi de programmation adaptée à ce nouveau format.

Arrive le nouveau Gouvernement, qui demande à la commission de réfléchir à une nouvelle loi de programmation. Elle n'est jamais venue, elle non plus, en discussion. Il a fallu attendre que le Président de la République, notre Premier ministre et notre ministre de la défense reviennent aux affaires pour qu'une nouvelle loi de programmation soit enfin proposée au Parlement et c'est pourquoi je suis d'accord, pour une fois, avec vous, pour retenir ces trois notions, prévision, précaution et responsabilité, mais c'est dans le projet que nous les retrouvons, et certainement pas dans cette exception d'irrecevabilité que bien entendu le groupe UMP ne votera pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Francis Hillmeyer - On comprend bien que le groupe communiste et républicain ne veuille pas se priver d'occuper la tribune pendant une heure, mais cela a pour seule conséquence de retarder nos travaux. La loi de programmation n'a rien d'anticonstitutionnel ! Ce qui l'est, c'est de ne pas la respecter. A cet égard, le groupe communiste n'a aucune leçon à donner. N'a-t-il pas appartenu à une majorité qui, au mépris de l'article 34 de la Constitution, a systématiquement utilisé le budget de la défense comme une variable d'ajustement ? Votre bilan est connu, et il vous accable. Le Gouvernement Jospin n'a-t-il pas été le premier de notre histoire à faire descendre les militaires dans la rue ? (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) Faut-il vous rappeler l'état de délabrement dans lequel vous avez laissé notre défense ?

On s'attendait donc à ce que vous fassiez acte de contrition, mais, bien sûr, il n'en est rien et vous vous attachez, selon une habitude ancienne, à démentir les vérités les plus évidentes.

Le projet traduirait, dites-vous, un contresens politique ? Mais votre intervention est un contresens historique ! Pour que la France puisse tenir un rôle phare dans la défense européenne, il lui faut disposer d'hommes bien entraînés en nombre suffisant et d'équipements en état de marche. Parce que notre défense ne mérite pas le hara-kiri que vous voulez lui imposer, le groupe UDF votera contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jean-Claude Sandrier - C'est un débat inutile que celui qui porte sur les motions de procédures, dont tous les groupes usent au fil des législatures. Et encore nous sommes-nous limités à une seule, fort brève, alors que trois auraient été possibles.

M. Yves Fromion - C'est que vous n'y croyez même pas !

M. Jean-Claude Sandrier - Pas du tout : c'était le temps suffisant pour exposer ce que nous avions à dire.

Il est exact qu'Alain Bocquet n'a pas parlé des pouvoirs du Président de la République. En revanche, il a souligné la persistance de la pauvreté dans le monde, et rappelé que les inégalités se creusent. Et de quoi se nourrit l'intégrisme, sinon de la misère et de l'exclusion ? Tout le monde le sait, mais personne ne le dit, sinon Alain Bocquet, dans une intervention d'une grande hauteur de vues. A quoi sert d'évoquer les menaces terroristes en ignorant leurs causes ? Comment, dans ces conditions, prétendre conduire une politique de sécurité efficace ?

Au cours d'une table ronde récemment consacrée à la défense, un intervenant a souligné la nécessité de redéfinir notre géopolitique, insistant sur le fait que nous disposions, pour cela, de nombreux moyens non militaires. Un autre, dont je ne partage pas entièrement le point de vue, a affirmé qu'« une partie infime de nos armements peut servir pour les conflits de demain ». Peut-on ignorer les avis éclairés des spécialistes ? Arrêtons de nous voiler la face !

Pendant ce temps, le Gouvernement, alors que le feu couve, se borne à refermer le couvercle de la marmite militaire en prétendant régler ainsi tous les problèmes. Et comme le fait-il ? En reprenant les dispositions retenues en 1995 à partir d'un Livre blanc rédigé en 1994 pour mettre au point un « modèle 2015 » comme si, en vingt ans, rien ne se passait ! Comme si, les cris de l'humanité souffrante ne résonnaient pas de plus en plus fort !

Une remise à plat économique, politique et stratégique s'impose. A cet égard, l'absence, dans ce texte, de toute réflexion sur ce que devrait être la stratégie industrielle est révélatrice.

M. Charles Cova - Et que direz-vous aux ouvriers de GIAT ?

M. Jean-Claude Sandrier - Le groupe des députés communistes et républicains votera, évidemment, l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Francis Hillmeyer - Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 prépare la transition vers le modèle d'armée 2015 en garantissant la consolidation du matériel et de la professionnalisation. Il y avait urgence, tant les problèmes sont graves, qu'il s'agisse de l'indisponibilité des équipements, de la baisse du moral des soldats ou de la pénurie de matériel. Toutefois, tout ne peut se régler dans l'urgence, et les difficultés ne sont pas seulement d'ordre quantitatif. Des débats permanents sont nécessaires, tel celui qu'a organisé hier le groupe UDF à propos de l'Irak. Il faut, aussi, une approche volontariste de la construction de l'Europe de la défense. C'est pourquoi l'UDF formulera des propositions constructives de réforme de notre défense pour donner un sens à une loi de programmation qui, à elle seule, n'en a guère, chacun le sait bien. J'en veux pour preuve la loi de programmation 1997-2002, dont l'exécution accuse un écart d'une annuité avec les crédits votés.

L'enveloppe annuelle des crédits d'équipements destinés aux armées est fixée à 14,64 milliards par le Gouvernement, ce qui est considérable. Le groupe UDF salue ce volontarisme, mais différentes questions restent en suspens.

Va-t-on moderniser notre appareil industriel pour que nos productions soient, enfin, compétitives par rapport aux matériels américains ?

Le groupe UDF, qui salue la relance annoncée de l'équipement, met toutefois en garde contre le gaspillage de ressources affectées à fonds perdus à des programmes dispendieux, ou mal utilisées. Certains projets sont de véritables gouffres financiers, on le sait : il en est ainsi du tristement célèbre « Rafale », mais l'on pourrait aussi parler du « Tigre ». La reconversion de certains sites industriels s'impose d'urgence au risque, sinon, d'une catastrophe sociale. Il faut plus de souplesse et de réactivité, sans quoi l'augmentation des crédits ne se traduira pas par l'amélioration de la performance. Nous devons privilégier des programmes moins complexes qui, parce qu'ils seront mieux calibrés, seront plus économiques et plus rentables.

Mais nous devons aussi nous attacher à renforcer la coopération industrielle européenne en matière militaire. A cette fin, les élus UDF au Parlement européen demandent la création d'une agence européenne de l'armement, chargée de coordonner les programmes les plus onéreux tels les porte-avions. Nous avons tout à y gagner, à condition de ne pas empiler les structures - et les erreurs commises dans le secteur aéronautique devraient nous servir de leçon. Là encore, il y a urgence : si l'Europe ne s'accorde pas, tous ses équipements militaires finiront par être américains, et elle n'aura plus de recherche militaire digne de ce nom. Quant à la France, elle n'aura plus de clients pour ses productions militaires !

Le choix de fabriquer des SNLE-NG et des M51 a été justifié par le Président de la République au nom de l'autonomie stratégique de la France. Mais avons-nous changé de doctrine en matière nucléaire ? L'opinion publique doit être informée des nouvelles orientations stratégiques dans un domaine aussi sensible.

Il faut évoquer aussi la dimension européenne de la dissuasion. La France pourra-t-elle faire longtemps l'économie d'une discussion avec ses partenaires ? Le groupe UDF souhaite que la question soit clairement posée par les autorités françaises elles-mêmes, ce qui constituerait une révolution stratégique.

Je veux insister sur la gestion des ressources humaines au sein de l'organisation militaire. Ce sont d'abord des hommes qui assurent notre défense. Dans un monde instable, il faut leur accorder une attention toute particulière. Nous approuvons donc la création, à l'article 4, du fonds de consolidation de la professionnalisation. Vous pouvez compter sur le soutien du groupe UDF dans votre effort en faveur des personnels de la défense et de la gendarmerie. Cependant, nous aurions souhaité que soit confirmé le rôle des réserves dans la défense du territoire. Il faut préparer dès maintenant la défense des grandes conurbations où se concentrent la population, les richesses et le pouvoir, par des unités entraînées à cet effet. Il faut pour cela que les crédits augmentent, ce que ce projet vise à garantir, mais aussi qu'une réforme du code du travail donne aux réservistes un statut analogue à celui des pompiers volontaires. En prévoyant un mécanisme incitatif au profit des employeurs, on pourrait constituer une garde nationale à la française, organisée au sein de groupements de protection régionaux qui seraient le pendant des GIR.

Par ailleurs, en matière de recrutement, a-t-on fait ce qu'il fallait pour attirer les jeunes ? La journée de préparation à la défense a-t-elle le bon format ?

Le groupe UDF se félicite que vous ayez relancé le débat sur une proposition centrale du programme de François Bayrou : la création d'un service volontaire humanitaire. Une telle expérience humaine serait d'un immense bénéfice pour les volontaires, à condition que les acquis soient pris en compte dans le cursus universitaire et professionnel. Nous regrettons que cette idée ne figure pas dans le texte, et vous pouvez compter sur notre soutien pour sa mise en _uvre.

Je terminerai par la défense européenne, un sujet cher à l'ensemble de la population française. Selon un récent sondage, 68 % de nos concitoyens plébiscitent la création d'une défense européenne, contre 25 % qui préfèrent un renforcement de la défense française. Les opinions publiques sont prêtes. Qu'attendent les gouvernements ?

Nous sommes aujourd'hui incapables d'agir de façon autonome. Les européens ont donné un spectacle désastreux en Afghanistan et je ne parlerai pas de l'affaire du rocher du Persil, dénoncée par les Américains. L'Union européenne ne peut prétendre à des responsabilités mondiales, ni même régionales, si elle ne dispose pas d'une certaine capacité militaire. Sa diplomatie doit reposer sur un socle militaire solide. Je veux donc me faire ici l'écho du général Morillon, qui fait tout ce qu'il peut au Parlement européen pour convaincre nos partenaires. Les élus de l'UDF s'efforcent d'ailleurs de plaider en faveur de l'A-400 M auprès de leurs homologues allemands. C'est ce que j'ai fait moi-même au sein de l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Nous devons jouer les VRP pour promouvoir les programmes qui conditionnent l'avenir de la défense européenne.

Alors que nous nous apprêtons à célébrer le quarantième anniversaire du traité de l'Elysée, à Versailles, avec nos partenaires allemands, allons-nous louer des C-17 américains ?

Nous devons aussi revoir la place de la France dans l'OTAN et celle de l'OTAN en Europe. Notre position actuelle est intenable. Notre place dans la chaîne de commandement n'a rien à voir avec notre poids et notre capacité militaire. C'est ainsi qu'au Kosovo, notre commandement a été privé d'informations, ce qui l'a empêché d'agir.

Nous n'avons pas la possibilité de détenir des postes de décision importants. Il faut donc que la France rejoigne le commandement intégré. L'adhésion à l'OTAN des pays d'Europe centrale et orientale et le relatif désintérêt des Etats-Unis, dont l'attention se focalise davantage sur les théâtres asiatiques, vont changer la donne. Nous devons réviser les conclusions du sommet de Petersberg, créer un centre de commandement européen, mettre en place une agence d'armement et favoriser la diffusion d'une culture de défense commune par la création d'une académie militaire européenne et d'un institut des hautes études de défense.

On nous parle de reports de crédits. Comment être pilote en Europe si les crédits de la défense ne sont pas consommés ? La crédibilité de la France est en jeu.

Solidaire de votre effort, le groupe UDF votera ce texte qui suscite beaucoup d'espoirs parmi les acteurs de notre défense. Les décevoir serait grave (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jean-Claude Sandrier - Parce que ce débat concerne la sécurité de nos concitoyens et de notre pays, il appelle une certaine tenue. Cela suppose de laisser de côté des appréciations outrancières visant à dénoncer les uns comme les naufrageurs de notre défense pour valoriser les autres qui en seraient les sauveteurs. Comme s'il y avait dans cette assemblée des élus de la nation pour affaiblir notre sécurité et d'autres qui en seraient les garants !

La loi de programmation militaire qui a été la mieux respectée depuis trente ans est celle exécutée de 1997 à 2002. Et la plus forte baisse du budget de la défense de ces vingt dernières années s'est située entre 1993 et 1997.

Les problèmes touchant au maintien en condition opérationnelle des matériels sont dus à la mise en _uvre quelque peu précipitée de la professionnalisation, qui a obligé à accroître un titre III sous-évalué au détriment du titre V. Les services du matériel de l'armée de terre ont dû se réorganiser en une année en perdant 30 % de leurs effectifs.

Je n'en tire pas comme enseignement que la droite serait un rassemblement de naufrageurs (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : je vois simplement qu'elle n'a pas de leçons à donner et que notre débat doit porter sur le fond. Il doit être à la hauteur des attentes, des inquiétudes mais aussi des aspirations à la paix de nos concitoyens.

La modestie est d'autant plus de mise qu'aucune loi de programmation n'a été respectée depuis quarante ans. En outre, le contexte économique actuel doit vous rendre prudents. En effet, l'OCDE ne vient-elle pas d'évoquer pour la France « une situation budgétaire qui pourrait se dégrader encore davantage si la faiblesse conjoncturelle persiste » ? Elle précise que, « pour assurer la viabilité future des finances publiques, d'importantes économies budgétaires devront être réalisées dans le proche avenir ».

On voit mal comment cette loi de programmation, qui prévoit une augmentation de près de 20 % du budget à l'horizon 2008, passerait à travers les coupes budgétaires. Quant à la « sanctuarisation » des crédits, je suggère qu'on demande à Bercy de quoi il s'agit.

Mais ce projet pose des questions de fond concernant notre sécurité. Après l'excellent exposé de mon ami Alain Bocquet, je me limiterai à quelques points.

Avons-nous une stratégie et une politique de sécurité et de défense adaptées au monde d'aujourd'hui ? Notre réponse est non !

Ce projet identifie des menaces que tout le monde connaît, mais ne dit pratiquement rien sur le « pourquoi » de ces menaces.

Or comment trouver le bon remède si on ne diagnostique pas les causes ? Ainsi est bien évoquée « une situation internationale durablement dégradée, des facteurs d'instabilité qui vont continuer à se manifester pour longtemps encore ».

D'accord, mais pourquoi ? On ne peut s'en tirer en évoquant des « tensions fortes », des « Etats défaillants » ou « le développement d'activités illicites ».

Ecoutons des universitaires, des sociologues, des économistes. Ils sont de tous pays, ils ne sont pas communistes et ils ne sont pas tous de gauche.

Ils nous disent que « le monde est malade ». Un sociologue allemand, Ulrich Beck, écrit après le 11 septembre : « Aider ceux qui sont exclus de la mondialisation n'est donc plus seulement une exigence humanitaire, mais l'intérêt le plus intime de l'occident, la clef de la sécurité intérieure. Pour tarir les sources auxquelles se nourrit la haine de milliards d'êtres humains, et d'où surgirait sans cesse de nouveaux Ben Laden, les risques de la mondialisation doivent être rendus prévisibles et les libertés et les fruits de la mondialisation distribués plus équitablement ».

L'historien britannique Eric Hobsbawn souligne la gravité « de la croissance des inégalités entre les pays et à l'intérieur des pays » et évoque « l'idéologie du laisser-faire total qui a conquis une grande partie des Etats et des institutions internationales avec des résultats totalement funestes, à commencer par le fait d'avoir facilité des activités transnationales, y compris criminelles et terroristes... »

Je citerai enfin le prix Nobel d'économie, Stiglitz, ancien conseiller de Bill Clinton, évoquant une mondialisation guidée par « des intérêts commerciaux et financiers particuliers... » : destruction de l'environnement, crises, chômage de masse, dissolution sociale..., violence urbaine, conflits ethniques en ont été le prix à payer pour de nombreux pays. « Les Etats-Unis, bien sûr, ont été l'un des grands coupables », ajoute-t-il.

L'Europe s'arrime à des concepts stratégiques américains fondés sur une vision militaro-militaire de la résolution des problèmes du monde. « Il s'agit d'empêcher par tous les moyens, déclare l'actuel secrétaire d'Etat adjoint de la défense américaine, toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d'accéder au statut de grande puissance et de décourager les pays industriels avancés de toute tentation visant à défier notre leadership ». L'Europe s'évertue à copier la stratégie américaine.

Il serait pourtant urgent d'imaginer une nouvelle politique de sécurité et de défense orientée autour de quatre axes.

Il conviendrait tout d'abord de remédier aux déséquilibres du monde. Cela suppose de lutter contre les inégalités croissantes. Combien de stratégies dites d'« aides économiques » ont fait sombrer des millions de gens dans la pauvreté et des dizaines de pays dans le chaos social et politique. Le développement et la coopération sont les seuls moyens à moyen et à long terme de sécuriser notre planète. La France et l'Union européenne devraient saisir cette opportunité en adoptant des positions politiques sur le sujet, qu'une grande majorité de pays de la planète pourrait soutenir.

En fonction de cela mais aussi des menaces actuelles, il faut réorienter les missions de nos armées. Ce qui devient ou redevient prioritaire, c'est la protection des populations, et en premier lieu la sécurité du territoire national et européen. Ensuite, les actions humanitaires et de paix. Celles-ci ne doivent toutefois pas être détournées de leur objectif en invoquant notamment la défense des valeurs de liberté, de solidarité, de justice quand il s'agit, en réalité, de défendre des intérêts économiques et financiers particuliers, voire privés. Il faut pour cela définir des critères internationaux objectifs justifiant une intervention, et assurer à ces interventions une véritable légitimité internationale qui ne peut être que celle d'une ONU rénovée et démocratisée.

Autre grande mission : assurer la sécurité civile ainsi que les renforts nécessaires lors de catastrophes naturelles en France, en Europe et dans le monde.

Les deux piliers de notre défense sont aujourd'hui la dissuasion nucléaire, laquelle représente plus de 20 % des dépenses de défense, mais est malheureusement inadaptée aux menaces nouvelles et la force de « projection », inspirée de la vision américaine faite de fébrilité militariste et davantage tournée vers la recherche de puissance que de la paix - on le voit dans le conflit israélo-palestinien.

Sans augmentation budgétaire, par simple redéploiement, en mettant le nucléaire « en veille » et en réorientant la « projection » vers un but strictement humanitaire -, il serait possible de remplir les nouvelles missions que j'ai définies.

Cela suppose : de renforcer la protection des approches aériennes et maritimes de la France et de l'Union européenne ; de consacrer davantage de moyens à l'information et au renseignement, humain et par satellite ; de créer un service civil et militaire qui permettrait d'épauler l'armée et les pompiers ; de transformer la force de projection française et européenne en force de prévention, d'interposition et d'action pouvant être mise à disposition de l'ONU sous réserve d'une définition internationale des critères d'intervention ; enfin, de développer une recherche duale et européenne, ce qui en réduirait le coût et en accroîtrait l'efficacité.

Je terminerai en évoquant l'autonomie stratégique revendiquée par le projet de loi. C'est évidemment un noble objectif auquel tous nos concitoyens peuvent souscrire. Mais qu'en est-il vraiment ?

Il est assez significatif que vous ne puissiez pas évoquer notre autonomie sans ajouter immédiatement qu'elle va de pair avec « la solidarité transatlantique ». Mais rien ne dit jusqu'où doit aller cette solidarité ? Il ne s'agit pas là d'anti-américanisme...

M. Michel Voisin - Si, primaire !

M. Jean-Claude Sandrier - Assez d'Américains eux-mêmes contestent les choix de l'administration actuelle pour penser qu'il serait judicieux, pour le moins, de fixer les limites de cette solidarité. Nous aurons peut-être l'occasion d'en juger avec le problème de l'Irak.

Par ailleurs, que veut dire autonomie quand les Etats-Unis gèrent l'OTAN à leur convenance et que le secrétaire général de l'organisation, leur fidèle serviteur, déclare que désormais « l'OTAN coordonnera notre défense contre le terrorisme ». Voilà un scoop ! Le sujet a probablement été débattu quelque part, en tout cas pas à l'Assemblée nationale, tout comme cette idée née à Washington d'une force de réaction de l'OTAN - nouvelle force de projection - , créée pour montrer que l'OTAN sert toujours à quelque chose mais surtout pour soumettre un peu plus les Européens aux choix américains, et contrecarrer la constitution d'une force européenne. Le Président de la République a certes bien émis quelques réserves, c'est le moins qu'il pouvait faire, devant, selon l'expression d'un journaliste non communiste, « ce hold-up américain sur l'OTAN ».

L'autonomie stratégique est une question-clé sauf à ce que l'Union européenne devienne un clone des Etats-Unis.

Une politique européenne de sécurité et de défense n'aura de sens que si elle est autonome. Cela suppose une politique étrangère commune - qui n'existe pas vraiment - et, surtout, une autre vision du règlement des problèmes mondiaux. C'est la seule chance pour la France et l'Europe d'exister ! C'est aussi leur chance d'être reconnues par la communauté internationale pour appliquer une politique respectueuse des peuples, de leur culture et de leurs ressources, à l'inverse des choix américains.

Cette autonomie, déjà si fragile, risque de disparaître totalement si on laisse dériver l'industrie d'armement vers ce penchant naturel de l'économie mondialisée et financiarisée, la recherche du profit à tout prix, sans aucune autre considération que celle du revenu des actionnaires.

Comment développer une véritable politique industrielle française et européenne sous l'empire d'une loi du marché prédatrice, de surcroît dans un secteur stratégique - l'armement n'est en effet pas une marchandise comme une autre.

Ce choix débouche sur une transatlantisation des industries d'armement, à une rapidité inquiétante.

Les Américains ont déjà pris des positions fortes dans tous les domaines de l'industrie de défense européenne, électronique, aéronautique, navale, terrestre. C'est le cas de Raytheon avec Thales, Northrop-Grunman avec EADS, ATK avec Rheinmetall. Plusieurs entreprises américaines s'intéressent à Kraus-Maffei et General Dynamics a déjà aspiré l'Espagnol Santa-Barbara. Sans parler de la prise de contrôle d'actionnaires à majorité américains chez Alcatel et Lagardère ou du rapprochement de la « Navale » allemande avec les Etats-Unis. Si, comme l'a dit un spécialiste du ministère de la défense américain, « les alliés se branchent sur une architecture globalement américaine », les choses peuvent aller vite !

L'offensive récente pour tenter d'imposer d'une manière habile l'avion de transport américain C17 afin de couper les ailes de l'A400M est à cet égard révélatrice.

Il n'y aura pas d'industrie européenne de défense libre et autonome si on laisse se poursuivre cette course effrénée à la marchandisation de l'armement.

Quant à GIAT, que l'on a voulu lancer dans cette folle aventure il y a dix ans...

M. Yves Fromion - C'est vous qui êtes responsable !

M. Jean-Claude Sandrier - ...on sait ce que cela lui a coûté ! On lui reproche aujourd'hui de ne pas être compétitif, par exemple pour les munitions classiques, par rapport à un pays en guerre permanente comme Israël qui se moque des résolutions de l'ONU. Ne parlons pas des Etats-Unis dont les armes qu'ils vendent à l'étranger sont subventionnées pour la moitié de leur coût ! C'est sur la base de cette concurrence biaisée que l'on explique aux salariés de GIAT que leurs sites de production ne sont plus viables. Mais quelle est cette loi sauvage qui aboutit, sans que personne s'en émeuve, à une perte de compétences en France et en Europe ? Si celle-ci conduit à des abandons politiques, économiques et stratégiques, coûte des emplois et des compétences, nous avons le devoir d'y réfléchir à deux fois. Non, Madame la ministre, ce n'est pas une logique industrielle qui prévaut en matière de fabrication d'armement, mais bien une logique purement financière.

GIAT doit être un élément d'un véritable pôle public de l'armement en France, ouvert aux coopérations européennes. Un groupe de travail interministériel devrait se réunir pour envisager la diversification des activités de GIAT vers les transports en commun, l'aéronautique, les matériels de protection civile, le risque industriel et environnemental.

M. Yves Fromion - Que ne l'avez-vous mis en place ?

M. Jean-Claude Sandrier - La DCN, à laquelle on s'apprête à faire subir le même sort qu'à GIAT, doit être intégrée à ce pôle public. L'exemple de MBDA est également éclairant puisqu'ainsi la compétence antichar est abandonnée en France et en Europe.

Il faut donc résolument que l'industrie d'armement échappe à la marchandisation, mais aussi instituer une préférence communautaire.

Au total, ce projet de loi de programmation, fondé sur des orientations datant de huit ans, dans un monde qui a profondément bougé depuis, est inadapté tant aux menaces actuelles qu'aux pratiques politiques et économiques qui seraient nécessaires pour garantir la paix du monde. Il l'est aussi car il soumet nos choix en matière d'armement à la loi des marchés financiers. Nous voterons donc contre, tout en saluant l'abnégation et le courage de nos militaires qui, dans le cadre d'une restructuration menée à marche forcée, ont accompli de nombreuses missions, extérieures et intérieures, dans des conditions souvent dangereuses. Ils ont droit à notre respect. Nous devons penser à leurs familles qui vivent dans l'inquiétude. Nous trouvons légitimes les demandes concernant l'amélioration des conditions de vie et la revalorisation des salaires de nos militaires et personnels civils de la défense. Nous souhaitons qu'ils puissent être entendus et qu'ils aient plus de possibilités encore pour exprimer leurs revendications.

Notre autonomie en matière stratégique, notre liberté d'appréciation et de choix demandent que la France et l'Europe s'orientent vers une nouvelle politique de sécurité et de défense qui corresponde aux aspirations actuelles des peuples à la paix et à la liberté.

M. Yves Fromion - Le Parlement sait d'expérience combien le vote d'une loi de programmation militaire est complexe.

Depuis 1976, les lois de programmation ne s'expriment plus seulement en autorisations de programme mais aussi en crédits de paiement, de sorte que le Gouvernement fait approuver par le Parlement non seulement son programme militaire mais l'ensemble des démarches suivies pour son élaboration.

Notre projet de loi de programmation militaire s'inscrit dans le cadre dessiné à la fois par le modèle d'armée 2015, conçu autour de la professionnalisation, et par l'ébauche progressive de l'Europe de la défense.

Convenons ensemble que, depuis dix ans, la programmation militaire se révèle un exercice particulièrement périlleux, tant les évolutions du contexte géostratégique sont rapides. Certaines analyses énoncées lors du débat sur la programmation 1990-1993 apparaissent avec le recul bien déconcertantes, mais comment pourrait-il en être autrement ? La loi de programmation votée en 1995 fut éphémère, car incompatible avec la décision prise l'année suivante par le Président de la République de professionnaliser nos armées. La nouvelle loi votée en 1997, dont l'exécution s'achève, connaîtra les avatars déjà largement dénoncés mais, grâce à l'engagement personnel du Président de la République, la professionnalisation aura été menée à son terme.

En juillet 2001, le gouvernement en place fit adopter en Conseil des ministres un projet de loi de programmation pour la période 2003-2008, qu'il ne jugea pas opportun de présenter au Parlement. On peut l'en remercier, tant il était insuffisant, mais cela explique que, paradoxalement, nous débattions de cette programmation après avoir voté le projet de loi de finances pour 2003.

Ce bref historique n'a d'autre ambition que d'appeler chacun à la modestie, et surtout de rendre aux personnels de nos armées et de nos industries de défense l'hommage qui leur est dû pour leur capacité à dominer un contexte aussi incertain.

C'est à l'honneur du Président de la République et du gouvernement de M. Raffarin d'avoir décidé de rompre avec la fâcheuse habitude de considérer le budget de la défense nationale comme une variable d'ajustement. Malgré des perspectives de croissance moins bonnes que prévu, le Gouvernement a choisi de faire de la défense une priorité. En effet, s'il est vrai que le contexte économique international est maussade, l'environnement stratégique, marqué par une recrudescence du terrorisme international, la montée de fortes tensions régionales et une intensification des risques de prolifération d'armes de destruction massive, est encore plus inquiétant.

Ce projet de loi de programmation, qui satisfait tant les acteurs opérationnels que les industriels, poursuit trois objectifs : moderniser et renouveler les équipements, améliorer la disponibilité des matériels et consolider la professionnalisation. Mais il répond aussi à d'autres enjeux majeurs : la pérennité de nos industries de défense, le soutien de la recherche-développement et la construction de l'Europe de la défense.

L'effort le plus notable porte sur les titres V et VI.

La modernisation et le renouvellement des équipements concernent l'ensemble des grandes fonctions de nos forces opérationnelles.

La dissuasion voit son rôle de pivot de notre stratégie de défense confirmé, et c'est heureux.

Le système commandement-communications-conduite des opérations-renseignement - C3R - bénéficiera du lancement des satellites d'observation et de télécommunications, ainsi que des commandes de drones. Il est d'une importance cruciale, car la supériorité militaire repose aujourd'hui en grande partie sur l'efficacité des communications et du recueil de renseignements. Les informations sur les opérations d'Afghanistan parvenaient en moins de vingt minutes au commandement central américain situé en Floride. La France consent depuis plusieurs années un effort significatif pour intégrer ces évolutions technologiques ; elle se met ainsi en situation de jouer le rôle de « nation-cadre » dans un conflit sur le théâtre européen, mais cela suppose un effort financier continu.

La projection et la mobilité, la frappe dans la profondeur, la maîtrise des milieux aéroterrestre, aéromaritime et aérospatial bénéficieront d'équipements dont la liste nous a été rappelée.

Second objectif de la loi : la préparation et le maintien en condition opérationnelle de nos forces.

La commission de la défense a mis en évidence dans deux rapports d'information, les carences de notre dispositif en matière de MCO. L'effort consenti permet de porter à 2,4 milliards d'euros l'annuité consacrée à l'entretien des équipements. Il faut insister sur cette mesure car nul ne peut contester que le « mal-être » exprimé ouvertement par nos militaires il y a quelques mois était avant tout une réaction de soldats professionnels privés des moyens d'exercer convenablement leur métier.

Troisième objectif : la consolidation de la professionnalisation, qui s'appuiera sur un fonds doté de 573 millions d'euros. Des mesures substantielles d'amélioration de la condition militaire figurent également dans le projet, ainsi qu'un accroissement des crédits de vie courante des unités.

Nos forces de réserves bénéficieront d'une enveloppe nouvelle de 86 millions d'euros. C'est une disposition heureuse car notre armée professionnelle ne trouvera sa pleine efficacité qu'avec le concours d'une réserve réellement opérationnelle. Qu'il me soit cependant permis de n'exprimer qu'une satisfaction mitigée. Chacun sait que la sécurité du territoire national face aux menaces terroristes est insuffisamment organisée, en dépit des investissements en faveur de la gendarmerie ; l'Assemblée nationale souhaiterait, Madame la ministre, que vous vous engagiez à remettre sur le métier la loi sur les réserves.

Par ailleurs, on ne peut sous-estimer les difficultés qui subsistent pour atteindre dans le temps imparti le modèle d'armée 2015, du fait du retard accumulé lors de la précédente loi de programmation.

C'est ainsi que l'aviation légère de l'armée de terre va se trouver dans l'obligation de faire rénover soixante neuf hélicoptères de transport Puma et Cougar, dans l'attente de l'arrivée de leur remplaçant, le NH90, à partir de 2011 ; le coût de cette rénovation équivaudra à celui de quinze NH90 neufs.

De même, le programme du véhicule blindé de combat d'infanterie ayant pris du retard, l'AMX 10 P devra être rénové ; pour financer cette remise à niveau, va-t-on amputer le programme VBCI ? Enfin, le retard pris par l'avion A400M vise à impliquer le recours à la location d'appareils en substitution de nos propres avions en fin de service ; comment le financement sera-t-il assuré ? Notre Assemblée apprécierait, Madame la ministre, de connaître vos réponses.

Ce projet doit également être examiné, au regard de sa contribution aux enjeux essentiels que sont la pérennité de nos industries de défense, le soutien à la recherche développement et la construction de l'Europe de la défense.

Représentant environ le quart de l'industrie européenne de défense, 80 000 emplois et un chiffre d'affaires de 13 milliards d'euros, dont près du quart réalisé à l'exportation, notre industrie d'armement est pour notre pays un atout essentiel, et l'impasse d'environ 9 milliards d'euros, sur le titre V de la loi de programmation 1997-1992 s'analyse comme un mauvais coup porté à l'économie et à l'emploi. Les dotations figurant dans ce projet mettent nos industries en meilleure posture pour résister à la pression de la concurrence internationale, notamment américaine. On ne saurait nier pour autant les difficultés de nos industries spatiales, les incertitudes concernant l'avenir de DCN ou la nécessité de faire évoluer GIAT-Industries ; mais ce qui importe par dessus tout, c'est que les engagements pris ne soient pas remis en cause par des procédures budgétaires erratiques et des gels de crédits inconsidérés.

A cet égard, Madame la ministre, permettez-moi d'insister sur l'intérêt que le groupe UMP attache à la mise en place du suivi des procédures budgétaires, et sur son souhait qu'il soit accompagné d'un suivi tout aussi régulier de l'état capacitaire de nos forces armées. Le Parlement étant l'âme du lien armées-nation, c'est bien le moins qu'il manifeste aux armées l'attention qu'elles méritent.

Mais la question de la traduction budgétaire de la loi de programmation renvoie également aux exigences du plan de stabilité auxquels les pays de la zone euro ont adhéré. Peut-on admettre qu'il soit un garrot empêchant l'Europe de se doter d'un outil de défense crédible ? Ne faut-il pas envisager que les dépenses engagées pour des programmes clairement identifiés comme relevant de la défense européenne soient exclues des critères de stabilité ?

Pour conclure, je voudrais souligner combien cette loi de programmation a et aura un impact déterminant sur l'Europe de la défense.

La rencontre de Saint-Malo en 1998 avait marqué une incontestable avancée dans le processus d'édification d'une vraie politique de défense européenne, mais, depuis, celui-ci avait l'air de s'enliser. Atermoiements sur les programmes A400M ou Météor, incapacité des Européens à s'entendre pour assurer la relève de l'OTAN en Macédoine, débandade de la solidarité européenne au bénéfice du programme aéronautique JSF-F35 américain, résignation devant la pénétration de notre marché par l'industrie américaine, décroissance inconsidérée des budgets de défense, dont le nôtre : les Européens semblaient démobilisés sur les questions de défense. L'annonce de la création par l'OTAN, sur initiative américaine, d'une force de réaction de 20 000 hommes, directement concurrente du dispositif de 60 000 hommes décidée par les Européens, est apparue a beaucoup comme une sorte de coup de grâce porté aux ambitions européennes.

Mais voici que le 21 novembre dernier à Prague, à l'occasion du sommet de l'OTAN, le Président Chirac et le Chancelier Schröder ont redonné une véritable dynamique au concept de défense européenne. Sans doute la France se rallie-t-elle à l'initiative prise par l'OTAN, mais elle y met les conditions. Le Président de la République a indiqué que cette force devra être développée selon les modalités compatibles avec les engagements pris par certains dans le cadre de l'Union européenne, et que ses éléments constitutifs devront pouvoir être mis à la disposition de l'une ou l'autre organisation sans droit de premier emploi. Et de rajouter : « La France va adopter une loi de programmation militaire ambitieuse pour améliorer sensiblement ses capacités nationales sur la période 2003-2008. Elle apportera ainsi une contribution plus efficace à la politique de sécurité et de défense de l'Union européenne, ainsi qu'à l'OTAN. »

Voilà comment cette loi dont nous débattons pèse déjà sur l'avenir de l'Europe de la défense. Je souhaite d'ailleurs que Madame la ministre nous précise le contenu des propositions qu'à Prague, en marge du sommet de l'OTAN, le Président français et le Chancelier allemand ont avancé ensemble pour donner une nouvelle dynamique à la construction de la défense européenne.

Nous sommes porteurs d'une grande ambition. Comme toujours la France sera au rendez-vous de l'histoire européenne. Il serait bon que nous y soyons tous, mais la majorité, soyez en assurée, Madame la ministre, ne ratera pas ce rendez-vous. Consciente des enjeux elle vous apportera par son vote un soutien responsable et enthousiaste (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Michel Boucheron - A l'heure où nous débattons d'une loi de programmation militaire ne portant que sur les équipements, il me paraît naturel de rendre un hommage, que je sais unanime, aux personnels qui servent notre défense.

M. François Rochebloine - Très bien !

M. Jean-Michel Boucheron - Il faut saluer leur exceptionnelle capacité d'adaptation, signe d'un sens profond du service de l'Etat et de la nation.

Tout a changé ; professionnalisation, fermeture de bases, réorganisation, réduction de format, bouleversement stratégique, révolution technologique, missions complexes en opérations extérieures, attente de nouveaux équipements, nous sommes là au c_ur du sujet.

Le premier déficit de cette loi de programmation est celui du financement.

Ce n'est pas la première fois que l'on nous annonce une loi de programmation dont le respect scrupuleux est garanti par la détermination politique sans faille des plus hautes autorités de l'Etat. Nous ne sommes pas fatalistes, mais nous avons tous vu... Ainsi, la loi Bérégovoy-Joxe, tenue les deux premières années, a décroché brutalement à partir de 1994.

M. Michel Voisin - Une loi non discutée et non tenue !

M. Jean-Michel Boucheron - La loi Balladur-Léotard, fut en apesanteur totale. Le premier budget d'application fut réalisé à 25 % au-dessous de la première annuité de la loi pour plonger à moins 30 % à la fin de la deuxième échéance .

La loi Juppé-Millon, fut réalisée à moins 10 %, la première année comme les suivantes.

Qu'en sera-t-il de la programmation Raffarin-Alliot-Marie, sachant qu'il convient de la mesurer en crédits réellement dépensés et non en loi de finances initiale ?

M. Michel Voisin - Et la loi Jospin-Richard ?

M. Jean-Michel Boucheron - La surestimation de la croissance et des recettes fiscales amène les observateurs les plus sérieux à se demander comment vous allez bien pouvoir faire, y compris dès les prochaines semaines.

Dans le collectif budgétaire de la semaine dernière, la moitié des 700 millions gelés en août ont été annulés. De plus, un plan de régulation est annoncé en janvier. Nous allons pouvoir vérifier la sincérité du Gouvernement et la détermination du Président de la République en répondant à cette question essentielle : la défense sera-t-elle sanctuarisée ? Sinon cela voudrait dire que, deux mois après le vote de la loi, les dérapages habituels commenceraient, confirmant qu'il ne s'agissait que d'un affichage...

Nous comparerons aussi la régulation 2003 avec le projet de loi de finances 2003 et, surtout, avec les crédits reportés en 2002. Les 366 millions d'euros en titre V seront-ils annulés ? Le monde de la défense, nos partenaires étrangers ne manqueront pas de mesurer alors, comme nous, ce que veulent dire les mots « sincérité et détermination ».

En fait, tout cela est entre les mains du Président de la République .

M. Michel Voisin - Il est le chef des armées...

M. Jean-Michel Boucheron - Cette loi de programmation souffre par ailleurs d'un important déficit de volonté européenne alors qu'il faudrait développer les synergies entre les budgets de défense des Quinze.

Force est hélas de constater que de nombreux programmes menés en coopération avancent à la vitesse imposée par le pays le moins motivé. Nous sommes encore loin d'une loi de programmation européenne, pourtant si nécessaire.

M. Michel Voisin - Ça vient !

M. Jean-Michel Boucheron - En dehors du trio France, Allemagne, Grande-Bretagne, de nombreux pays réalisent des efforts de défense inférieurs à 1 % du PIB, ce qui ne les empêche pas d'investir dans le JSF américain, dont ils ne verront pas le moindre résultat avant dix ans...

L'Europe de la défense traverse aussi une passe difficile en raison de la conjoncture financière et de la politique intérieure allemande, qui font peser une menace sur deux programmes majeurs, l'A400M et le Meteor, et du risque d'intervention américaine préventive en Irak qui a mis en évidence la très grande différence d'appréciation entre la Grande-Bretagne et le continent. Cette situation se dégrade car la politique de double track de Tony Blair rencontre ses limites quand l'Europe et les Etats-Unis divergent. De Saint-Malo à Bagdad, la logique britannique est pour le moins variable et, en cas de crise majeure la vieille préférence de Churchill pour l'Atlantique par rapport à la Manche, reste d'actualité...

Ces deux difficultés ne doivent cependant pas nous empêcher de rechercher à coordonner nos efforts et à mutualiser nos moyens. Le processus de l'ECAP n'est-il pas en train de s'enliser faute de l'instrument institutionnel que pourrait proposer la Convention européenne ? Quelle est la position française à ce sujet ?

Dans quel sens voulons-nous réformer les institutions de la PESD ? Sommes-nous prêts à dégager des financements communautaires pour la coopération en matière d'armement dans le cas de coopérations renforcées ? Pourquoi ne pas mutualiser de nombreuses capacités en matière d'affrètement comme de recueil de renseignements ? Pourquoi ne pas mutualiser les senseurs, qu'ils soient spatiaux, aéronautiques ou terrestres ?

Veut-on, oui ou non, d'une Europe puissante, capable d'évaluer elle-même toutes les formes de crises et de gérer des conflits sur son sol ou à l'immédiate périphérie ?

Face aux 355 milliards de dollars du budget des Etats-Unis, à son taux de croissance de 14 %, il ne s'agit pas de concurrencer la puissance américaine ou de souhaiter une contre-puissance, mais doit-on se contenter des missions de Petersberg ?

La capacité de déployer 60 000 hommes pendant un an à partir de 2003 est une initiative fondamentale mais l'Europe doit aussi se doter de capacités de renseignement, de systèmes d'information et de commandement, de transport à longue distance, de ravitailleurs en vol. Elle doit aussi combler son spectaculaire retard technologique sur les Etats-Unis dans un grand nombre de technologies émergentes dont les conséquences civiles, donc commerciales, sont considérables.

Il y a dans cette loi de programmation militaire, une confrontation entre le nouveau monde et l'ancien. Les nouveaux programmes émergent timidement alors que ceux de la guerre froide sont toujours là, coûteux, comme à la recherche nostalgique de l'adversaire disparu. Des choix faits il y a bien longtemps ne trouvent leur concrétisation qu'aujourd'hui, alors que l'univers stratégique a totalement changé.

Les six mois dont vous disposiez auraient dû vous permettre d'affiner les objectifs. Le modèle d'armée 2015, qui privilégie les plates-formes au détriment des équipements, des armes embarquées et, surtout, des systèmes de cohérence pose un véritable problème.

A quoi serviront les frégates multi-missions si elles n'ont pas les missiles qu'elles doivent embarquer ? A quoi serviront les drones s'ils ne sont pas intégrés dans un réseau de communication aéroterrestre ?

Cette loi n'est pas adaptée aux défis du futur. Le 11 septembre ne constitue pas une rupture mais le symbole d'un bouleversement stratégique global. L'unilatéralisme américain, qui refuse les traités de désarmement multilatéraux ; l'affaiblissement du système de sécurité collective de l'ONU ; celui de l'OTAN ; la crise au Proche-Orient entrée dans une logique de destruction mutuelle de deux peuples, face à une communauté internationale impuissante ; l'alignement des Britanniques sur les Américains, interdisant toute politique cohérente de l'Union européenne ; le développement du terrorisme transnational, indépendant des Etats et dépourvu de revendications en terme de souveraineté territoriale ; la crainte de la prolifération des armes de destruction massive qu'elle soit chimique ou bactériologique, à côté de ces bouleversements stratégiques, comment s'extraire d'une conjoncture inquiétante ? Qui mesure aujourd'hui les conséquences d'une guerre en Irak ? Comment la communauté internationale peut-elle faire admettre à l'administration américaine que la lutte contre le terrorisme doit surtout comprendre des mesures politiques ?

M. Yves Fromion - C'est ce que fait que le Président de la République...

M. Jean-Michel Boucheron - L'Irak est-il vraiment le problème principal ? Peut-on tolérer le risque d'un affaiblissement du rôle de l'ONU, seule instance permanente de dialogue ?

MM. Charles Cova et Michel Voisin - Mais que proposez-vous ?

M. Jean-Michel Boucheron - Cette loi risque de se trouver dans très peu de temps en décalage total face à une situation internationale totalement nouvelle.

Quelle signification a aujourd'hui la dissuasion nucléaire face à la menace terroriste ? Les Etats-Unis, tout le monde le sait, ont abandonné la dissuasion ainsi que l'objectif de lutte contre la prolifération ; ils sont dans une logique de banalisation de l'arme nucléaire par sa miniaturisation. Mais avec la miniaturisation de l'arme et la doctrine de frappes préventives, nous sommes entraînés dans un monde où il n'y a plus de tabous, plus de lois, d'équilibre stratégique.

L'emploi en premier d'armes nucléaires de faible puissance révolutionnerait totalement tous les dogmes qui ont fondé l'équilibre, donc la paix au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.

Les énormes financements dont vous dotez notre outil de simulation nucléaire préparent-ils à un changement de doctrine ? Si tel est le cas, un grand débat est nécessaire, pour le moins, au maintien du consensus.

Clausewitz est peut-être mort. En effet, les guerres des siècles précédents étaient caractérisées par la territorialité des conflits. L'invincibilité des armes classiques détenues par l'occident a amené naturellement les plus faibles à trouver d'autres moyens pour s'opposer à cette puissance. Le terrorisme transnational efface les notions de guerre, de frontière, de victoire, d'armistice, de traité de paix.

Les armes, les acteurs changent de nature. Il nous faut maintenant tout savoir et être capables de frapper les centres de pouvoir avec l'extrême précision qu'impose la protection des populations civiles. Mais alors chacun s'interroge : à quoi servent les chars, les sous-marins, les missiles ultra performants et les plates-formes balistiques à très longue portée ?

Nous sommes à un tournant de l'histoire et si cette loi de programmation énumère les matériels qui auraient été nécessaires lors de la période précédente, la politique américaine bouleverse toutes les données stratégiques.

Au-delà des nombreuses interrogations qu'elle suscite - unilatéralisme, attaques préventives, fin des alliances - la question essentielle est de savoir qui a le droit de définir le bien et le mal.

Pourquoi les critères américains s'imposeraient-ils à toute la planète ? L'occident est-il un modèle qui doit s'imposer par la puissance économique et la bonne conscience ? Certes on y applique une forme de liberté, une relative égalité. Mais combien de déviances dans la logique du marché qui réduit les hommes au rôle de clients, et parfois de marchandises ?

Acceptons-nous que d'autres sociétés adhèrent à d'autres critères de développement que ceux de l'occident ? Les foules musulmanes n'approuvent pas le projet de société des Wahabites. il n'en reste pas moins qu'Al Qaida rend malheureusement une fierté à des peuples qui se sentent opprimés économiquement et bafoués culturellement.

Si la lutte contre le terrorisme exige des moyens militaires, la lutte contre la popularité du terrorisme exige que les puissants apprennent la fraternité et se comportent en citoyens du monde. Ce pourrait être le message d'une Europe refusant les logiques hégémoniques.

La course à l'omnipuissance lancée par Georges Bush est pathétique de simplisme et politiquement sans avenir.

Mais si la lutte contre le terrorisme exige des moyens militaires, de quels moyens s'agit-il ? Ce texte ne répond que très partiellement aux impératifs actuels : donner la priorité aux moyens de communication et de commandement...

M. Yves Fromion - On le fait !

M. Jean-Michel Boucheron - ...relever les défis de la recherche, nous protéger contre les attaques chimiques ou biologiques, intégrer les moyens militaires et ceux de la sécurité civile, donner à l'Europe une nouvelle capacité stratégique.

M. Yves Fromion - Ça vient !

M. Jean-Michel Boucheron - Au-delà des incertitudes financières et des énormes inerties technologiques et organisationnelles, c'est l'absence de réponse à ces questions qui nous empêche d'approuver votre loi de programmation militaire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles Cova - Ce n'est pas du Boucheron, cela !

Plusieurs députés UMP - On nous l'a changé ! Ce n'est pas vrai !

M. Gérard Charasse - Le 11 septembre dernier, le porte-parole du Gouvernement assignait à cette loi de programmation deux objectifs : renforcer la sécurité de la France et lui permettre de jouer un rôle moteur dans la construction d'une défense européenne.

Peu de parlementaires seront opposés à un tel projet. Nous sommes arrivés à un tournant comparable à celui opéré après la crise de Suez. Mais si alors la menace était bien identifiée et les choix stratégiques relativement simples, aujourd'hui la menace est diffuse. Dans ce contexte, il est courageux et nécessaire de préserver la force de dissuasion et je salue l'arrivée prochaine du Terrible et la mise en _uvre des missiles M 51 et ASMP-A.

La réflexion sur le format des forces, entamée d'ailleurs par Alain Richard, était également nécessaire, comme l'acquisition de moyens nouveaux en matière de renseignement, de projection, de mobilité, de recherche.

Je suis donc globalement satisfait de ce projet, qui ressemble comme un frère d'armes à celui déposé par le précédent gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Il soulève cependant trois interrogations. Aurez-vous, Madame la ministre, les moyens de vos ambitions ? La majorité actuelle a eu tendance, dans le passé, à faire des crédits de la défense une variable d'ajustement budgétaire, ce qui a conduit d'ailleurs votre ministère à se montrer avare d'informations et documents sur l'utilisation de ces crédits.

Je souhaite donc que vous vous engagiez devant nous à mener à terme et dans des conditions dignes cette loi de programmation.

Ma deuxième interrogation porte sur la défense européenne. L'idée a progressé au fil des réunions européennes. Je m'étonne donc de l'absence de propositions concrètes en ce sens, qu'il s'agisse du groupe aérien européen ou du système opérationnel européen. La France a vocation à le faire.

Ma troisième interrogation porte sur le volet industriel. Il n'y a pas d'indépendance de la défense sans industrie militaire et nous ne créerons pas une industrie européenne de la défense efficace si notre apport est faible.

Madame, vous allez vous prononcer prochainement sur le plan de restructuration du GIAT. Il faut que notre pays continue à disposer d'un appareil industriel efficace. Or en quelques années nous nous sommes transformés en champions du code des marchés, avec mise en concurrence sur les prix, mais pas sur la qualité, de nos propres entreprises avec des industriels étrangers subventionnés par leurs Etats.

Sur ces trois sujets le radical de gauche que je suis attend vos réponses (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Voisin - Je regrette que Jean-Michel Boucheron soit parti. Décidément, on nous l'a changé ! La Tribune écrivait encore, le 26 novembre, en le citant, qu'il était favorable à ce texte, estimant ses orientations semblables à celles définies par le précédent gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Charles Cova - On est dans l'hypocrisie !

M. Michel Voisin - Dans l'hypocrisie totale ! Mais je n'épiloguerai pas.

Parce que le Président de la République et le Gouvernement considèrent vraiment comme prioritaire la protection du territoire national face à une menace majeure, ce projet met l'accent sur la politique de dissuasion.

Voulue par le général de Gaulle, cette politique a permis à la France de garantir son indépendance, sa sécurité et son rôle sur la scène internationale. Ce n'est pas un hasard si notre pays a un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Certes les bouleversements stratégiques des années 1990 ont fait voir aux utopistes de tout poil, qui voulaient « toucher les dividendes de la paix », que notre outil nucléaire était surdimensionné. Une fois revenus au pouvoir, ils n'ont eu de cesse de réduire les crédits consacrés à la dissuasion nucléaire : dans la période couverte par la loi de programmation précédente, ils ont été amputés de 1,6 milliard d'euros.

Pourtant cette loi de programmation 1997-2002 tirait les conséquences de l'évolution géostratégique, avec la disparition de l'affrontement est-ouest et l'émergence de nouvelles menaces.

Le modèle d'armée 2015 était également cohérent et d'ailleurs, le gouvernement de gauche n'a pas proposé d'alternative : mais budget après budget, il a réduit les moyens nécessaires à l'adaptation de nos instruments de dissuasion.

Il a fallu toute l'ingéniosité de l'état-major des armées et du CEA pour maintenir à niveau nos capacités, tout en poursuivant la recherche. Il nous revient aujourd'hui de relayer leur action.

Le Président de la République a rappelé avec force que la dissuasion reste un fondement essentiel de notre sécurité. Encore faut-il la maintenir à un niveau suffisant. Personne n'ignore que les stocks d'armes demeurent importants, personne ne peut sous-estimer les dangers de la prolifération, qui justifient les inquiétudes américaines.

Etre responsable, c'est savoir anticiper et préparer l'improbable.

Madame la ministre, votre projet a ce mérite.

En réaffirmant les objectifs du modèle d'armée 2015, il affiche clairement la tradition d'indépendance nationale si chère au général de Gaulle. En particulier, les crédits consacrés à la force océanique stratégique lui permettront de demeurer le principal instrument de notre dissuasion, cependant que la modernisation de la composante aérienne sera renforcée. On se félicitera, d'autre part, de l'importance accordée aux programmes de validation des armes.

Il est dommage, en revanche, que la direction des applications militaires du CEA ne soit pas spécifiquement mentionnée dans le texte, car la question du maintien de ses compétences se pose.

Enfin, je voudrais insister sur le fait que, contrairement à ce que pourraient penser les antinucléaires et les antimilitaristes, le Gouvernement garde à l'esprit les contraintes de sécurité et d'environnement. En effet, la loi de programmation prévoit plus de quarante millions pour achever le démantèlement de l'usine de Pierrelatte et engager celui de Marcoule.

En conclusion, Madame la ministre, je souligne la satisfaction que m'inspirent les crédits consacrés à la dissuasion nucléaire. Je suis persuadé qu'en accord avec le Président de la République vous mettrez tout en _uvre pour que l'exécution de cette loi de programmation ne connaisse pas le sort de celle qui l'a précédée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Louis Idiart - Nous en reparlerons dans un an !

Mme Patricia Adam - Ce projet de loi de programmation militaire contient des dispositions susceptibles de recueillir une large adhésion, d'autant que l'on constate une convergence entre certaines de vos orientations et celles de votre prédécesseur. Cependant, des zones d'ombre subsistent, qu'il s'agisse de la sincérité de vos engagements budgétaires à long terme ou de l'avenir de nos industries de défense, au moment où la France doit réviser sa stratégie globale de défense.

Vous affichez l'intention louable de rétablir la force opérationnelle de nos armées et la disponibilité de ses matériels, puisque 5,5 milliards supplémentaires seraient destinés à la commande de nouveaux équipements. Mais les perspectives économiques et les choix de votre Gouvernement poussent davantage au doute qu'à l'optimisme quant à la réalisation de ces engagements.

La loi de programmation constitue également le cadre supposé favoriser la meilleure compréhension des programmes des industries de défense.

Malheureusement, celle-ci fait défaut et alors même que notre industrie navale s'apprête à vivre une profonde transformation, avec le changement de statut de DCN le 1er janvier 2003, les personnels n'ont aucune information sur le plan d'entreprise qui doit accompagner cette mutation. Les doutes sur l'avenir de notre industrie navale auraient dû être levés à l'occasion de ce débat. Je déplore qu'il n'en soit rien.

Concernant le second porte-avions, des interrogations persistent sur la coopération avec la Grande-Bretagne, toujours présentée comme déterminante. Pourtant, les Britanniques ont choisi des appareils à décollage court et à atterrissage vertical, et il est acquis que la Grande-Bretagne ne choisira pas non plus le mode de propulsion nucléaire, qui est pourtant au c_ur de notre savoir-faire et qui constitue, avec le Charles-de-Gaulle, la fierté de notre marine. Le choix que fera la Grande-Bretagne de BAE ou de Thalès sera fondamental. La Brestoise que je suis ose espérer que nos industries de défense, et en particulier la DCN, n'en feront pas les frais.

Vos annonces concernant les crédits d'équipements suscitent aussi l'espoir dans les bassins d'emplois où les activités de défense occupent toujours une place prépondérante. Néanmoins, vous ne dites rien des questions liées aux conséquences économiques de la modernisation de l'outil de défense, décidée en 1996, alors que les restructurations continueront à produire leurs effets. Je déplore cette impasse et j'observe que le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire du précédent gouvernement consacrait une attention particulière à ces questions. Un contresens majeur serait de confondre l'amélioration conjoncturelle des activités de défense et l'achèvement de la mutation structurelle des sites, qui ne peut être assumée par l'Etat ou les collectivités locales qu'à long terme.

Reste aussi en suspens l'avenir du FRED, dont il n'est dit nulle part si, conformément à l'engagement pris par vos prédécesseurs, vous maintiendrez son niveau de consommation sur toute la période. Etablirez-vous un bilan de son action ? En Bretagne, comme dans d'autres régions, le FRED s'inscrit dans le cadre défini jusqu'en 2006 par les contrats Etat-régions. Les élus attendent donc des réponses claires à ce sujet.

Vos engagements pourraient apparaître prometteurs si ces zones d'ombre n'existaient pas et si leur réalisation n'était pas étroitement liée à une conjoncture incertaine et à des choix budgétaires ultérieurs. Sans garantie de long terme, ils ne peuvent valablement convaincre, et leur insincérité ne manquera pas d'apparaître lors du premier revirement budgétaire de votre gouvernement, dont nul ne doute plus aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Rochebloine - En donnant priorité à la défense, le Gouvernement a voulu rompre avec la politique précédente, et nous nous en réjouissons. Cependant, l'expérience doit nous inciter à la lucidité, car chacun de nous sait qu'aucune loi de programmation militaire n'a été totalement respectée. Le précédent Gouvernement, pour ne parler que de celui-là, ne s'est pas privé de jouer dangereusement avec notre défense, en réduisant de 14 % en cinq ans les crédits des titres V et VI.

Notre rapporteur a eu raison de condamner ces dérives qui peuvent tenter toute majorité, avec des résultats désastreux. Nous prenons acte, Madame la ministre, de votre intention de rompre avec des pratiques anciennes, et notre vigilance sera entière lors de l'examen des lois de finances de la période.

Je me félicite de l'insistance mise sur le maintien en condition opérationnelle des matériels mais je m'interroge sur ses modalités. Nos industries de la défense ont de larges compétences qu'elles doivent conserver. Il faut donc définir une démarche commerciale cohérente en faisant porter l'effort sur la fiabilité et les délais, sans déstabiliser les entreprises. Qu'en sera-t-il ?

Quel sera, par ailleurs, l'impact industriel et social précis des choix qui fondent le projet ? À la lecture du rapport de M. Teissier, on a le sentiment que les arbitrages sont déjà engagés, dans le prolongement de décisions anciennes, et que des démonstrations comptables servent à conforter des discours connus.

D'autres problèmes structurels subsistent. Il faut évoquer la responsabilité de l'Etat, à la fois client et actionnaire. Une répartition des compétences entre la DGA et les autres directions du ministère s'impose. De nombreux programmes sont en retard à cause de tergiversations éternelles.

N'est-il pas paradoxal de dénoncer l'incapacité de GIAT Industries à redresser ses comptes alors qu'une succession de plans de licenciements lui a fait perdre des compétences et l'a obligé à recourir davantage à la sous-traitance ?

M. Pierre Forgues - Très bien !

M. François Rochebloine - Faute d'avoir pu se diversifier et nouer des alliances industrielles, GIAT Industries n'est plus qu'au cinquième rang mondial. Le groupe est passé de 18 000 salariés en 1970 à 6 500 cette année.

La recapitalisation de GIAT Industries serait-elle étrangère à notre débat ? Il serait dangereux d'éluder les aspects sociaux et territoriaux des restructurations. Certes, l'examen de la loi de programmation n'est pas le meilleur moment pour évoquer ces questions, mais les élus seront vigilants. Il ne faut pas sacrifier des pans entiers de notre industrie alors que l'Europe de l'armement est encore balbutiante.

S'agissant de l'Europe de la défense, ce n'est pas chez moi que vous trouverez de la frilosité. L'absence de l'Europe, sur le scène internationale, nuit à sa crédibilité. Aussi permettez-moi de regretter que la loi de programmation ne traduise pas la volonté d'aller plus loin. Nous devons encourager la coopération en matière d'armement et vous pouvez compter sur le groupe UDF pour avancer dans ce domaine.

Mais doit-on pour cela démanteler notre outil industriel et perdre encore du savoir-faire ? À qui fera-t-on croire que le marché répondra seul aux besoins ? L'Etat, comme tous les Etats, sera toujours interventionniste dans ce domaine.

N'allons donc pas trop loin. Les augmentations de crédits ne permettent pas de régler tous les problèmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Pierre Forgues - Cette nouvelle loi de programmation est dépassée avant même d'avoir été votée. Elle s'appuie sur le livre blanc de 1994, qui est déjà ancien, et elle ne s'inscrit pas dans la perspective d'une Europe de la défense. Or la France ne peut affronter seule toutes les menaces. C'est au niveau de l'Union européenne qu'il faut définir une stratégie de défense, ce qui obligerait la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne à définir ensemble leurs capacité industrielles d'armement, dans le cadre d'une coopération réelle ou bien d'une répartition équilibrée. Aujourd'hui, les industries européennes se livrent à une concurrence mortelle.

Est-il judicieux que la France se lance seule dans la construction d'un deuxième porte-avions ? Est-il bon que de nombreux équipements en Europe dépendent de la technologie américaine ? Est-il judicieux qu'il existe un char allemand, un char britannique, un char français ?

Ce serait une faute politique grave de laisser disparaître la capacité industrielle de GIAT Industries au moment où se construit l'Europe de la défense. Au contraire, ce groupe peut permettre à la France de jouer un rôle moteur. L'Etat doit lui ouvrir des perspectives. Les réductions d'effectifs ne peuvent tenir lieu de stratégie industrielle. Trois plans de licenciements ont déjà fait passer le groupe de 17 000 à moins de 6 500 salariés.

Le chiffres d'affaires est tombé de 1,3 milliard d'euros à moins de 800 millions en 2002.

Or la loi de programmation ne donne pas à GIAT Industries la possibilité de devenir un pôle d'excellence et d'entraînement. Elle ne lui ouvre pas de perspectives, puisqu'elle ne fait que confirmer les programmes en cours. Quel est le montant des commandes de l'Etat ? C'est important, au moment où faiblissent les marchés à l'exportation.

Madame la ministre, l'Etat a des devoirs. Il est actionnaire unique et client principal, même si GIAT Industries a été structuré en société de droit privé.

A l'évidence, l'Etat client ne fait pas confiance à l'Etat actionnaire. Il met GIAT Industries en concurrence, d'une façon qui n'est pas toujours judicieuse. La DGA achète sur étagère à l'étranger.

Le groupe devrait avoir une activité de maintenance : le maintien des équipements en condition opérationnelle pourrait assurer sa survie.

Les conséquences de la chute du mur de Berlin, pour un groupe comme GIAT Industries, étaient prévisibles, mais les gouvernements successifs n'ont apporté que des solutions sociales, comme si les responsables du groupe étaient incapables d'imaginer autre chose que des réductions d'effectifs. On a administré un traitement palliatif sans avoir tenté de traitement curatif. Il faut rompre avec cette vision fataliste. GIAT Industries est nécessaire à l'armée française comme à l'Europe de la défense.

A Tarbes, l'établissement du GIAT est un pôle essentiel de l'économie locale. L'Etat a des devoirs envers le groupe, mais aussi envers la population, au titre de l'aménagement du territoire. Chantal Robin-Rodrigo, Jean Glavany et moi, nous resterons vigilants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Deflesselles - Bien que cela ait déjà été dit avec force, je veux rappeler que la défense est une priorité de la nouvelle majorité. Ce projet traduit notre volonté de rendre aux armées la capacité de remplir leurs missions, que ce soit sous commandement national, en synergie avec nos alliés ou sous l'égide des Nations unies.

La gauche a pratiqué la politique de l'autruche. Pour des raisons dogmatiques, elle a refusé de moderniser notre outil de défense. Les « dividendes de la paix », selon l'expression de M. Fabius, ont été distribués à fonds perdus.

Il nous appartient de restaurer la mission régalienne de défense, conformément à la grande ambition du Président de la République.

Ce projet est d'abord une loi d'investissement qui permettra de financer les grands programmes trop longtemps différés. Il n'est pas certain d'ailleurs que tous les besoins puissent être satisfaits. Je pense en particulier au transport stratégique, pour l'armée de l'air.

Ce projet répond aussi aux attentes de nos concitoyens en matière de sécurité. Il va renforcer la lutte contre la délinquance sur le territoire national grâce à un engagement sans précédent en faveur de la gendarmerie.

C'est aussi une première réponse à la multiplication des menaces asymétriques. Je salue à cet égard l'effort consenti en faveur de ce que les spécialistes appellent « la guerre non conventionnelle ».

Ce texte marque la réussite de la professionnalisation des armées. Il comporte un réel effort pour améliorer la condition militaire.

Une seule incertitude subsiste : l'objectif des cent mille réservistes sera-t-il atteint ?

Ce projet montre aussi notre volonté de participer à la création d'un espace de sécurité européen. La défense, question de souveraineté, n'est pas de la compétence des autorités européennes. Mais la chute du mur de Berlin et l'élargissement de l'Europe nous imposent de revoir une organisation héritée de l'histoire. Les armées européennes ont des missions communes à remplir, que ce soit aux marches de l'Union ou dans le reste du monde. M. Barnier préside un groupe de travail sur cette question.

A défaut d'une défense commune, l'Union européenne s'est dotée d'un cadre juridique pour mener à bien des opérations militaires combinées : missions dites de Pétersberg liées au rétablissement ou au maintien de la paix, traité d'Amsterdam qui donne à la politique européenne de sécurité et de défense les instruments institutionnels dont elle a besoin, accords d'Helsinki en 1999, de Bruxelles en 2000 puis de Laeken en 2001.

La France doit fournir 20 % des effectifs de la force européenne de réaction rapide de 60 000 combattants, dont les conditions de déploiement sont dépendantes de moyens de projection aériens et maritimes - ceux-ci devraient être renforcés.

Les pays de l'Union doivent s'engager résolument dans les programmes multilatéraux d'armement. Si jusqu'à présent, malgré un effort budgétaire les capacités de C 3R sont honorables, la question de la projection des forces demeure entière. Les lourdes incertitudes qui pèsent sur l'A400M en témoignent. Par cette loi de programmation, la France réalise l'effort budgétaire attendu. L'Allemagne, malheureusement, pour des raisons de politique intérieure et de stratégie industrielle, ne cesse d'en repousser le lancement.

En revanche, la contribution franco-allemande sur la politique de sécurité et de défense, déposée ces jours-ci à la convention sur l'avenir de l'Europe, marque un pas positif puisqu'il est envisageable de créer un marché européen de l'armement, voire une agence européenne de l'armement, sur la base de coopérations renforcées.

Au-delà de ces programmes militaires, l'Europe de la défense est confrontée à un double défi, technologique et financier. Les Quinze ne consacrent que 180 milliards d'euros à sa défense quand les Etats-Unis y consacrent le double. Certes, l'Europe est, depuis plus de cinquante ans, confortablement protégée par le « parapluie » américain. Mais le même déséquilibre se retrouve au sein des Quinze où seules la France et la Grande-Bretagne consacrent et consacreront à l'horizon 2008 une part significative de leur PIB à leur défense - respectivement 2,1 % et 2,8 %. Nos autres partenaires se contentent d'un effort d'environ 1 %. Tout cela explique le fossé croissant qui se creuse avec les Etats-Unis, lesquels définissent seuls les standards technologiques. Si nous n'y prenons garde, nous risquons d'être enfermés dans un rôle secondaire. Les réponses à ces défis dépassent largement le cadre national.

Il y a près d'un demi-siècle, le général de Gaulle reconstruisait notre défense en l'adaptant aux stratégies de l'ère atomique. Il appartient aujourd'hui à la France et à ses alliés européens de consentir l'effort de défense commun et de le financer. La proposition française de prendre la relève de l'OTAN en Macédoine où les troupes engagées sont à 80 % européennes est à cet égard intéressante. L'objectif n'est pas hors de notre portée.

Notre commission de la défense pourrait aussi se rapprocher de ses homologues des autres parlements européens, ainsi que des pays candidats à l'adhésion. Ce travail commun, sans empiéter sur les prérogatives des Etats, ferait avancer l'idée de défense européenne. La mise à niveau des capacités opérationnelles pourrait être l'un des premiers chantiers.

Nous partageons tout à fait l'esprit et les propositions de ce projet de loi que vous avez porté, Madame la ministre, avec ambition, pugnacité et sérénité à la fois. Nous le voterons avec enthousiasme et détermination (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La suite débat est renvoyée à la prochaine séance.

DÉCLARATION D'URGENCE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi relatif à la négociation collective sur les restructurations.

Acte est donné de cette communication.

Prochaine séance, ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 35.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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