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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 37ème jour de séance, 99ème séance

3ème SÉANCE DU MERCREDI 11 DÉCEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2002 (suite) 2

      ART. 40 (précédemment réservé) 2

      APRÈS L'ART. 40 (amendements précédemment réservés) 3

      EXPLICATIONS DE VOTE 7

      MARCHÉS ÉNERGÉTIQUES 10

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 15

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 12 DÉCEMBRE 2002 26

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.

LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2002 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2002.

ART. 40 (précédemment réservé)

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - L'amendement 31 vise à supprimer le I de cet article, qui porte de 2 à 4 % le prélèvement sur les garanties contre les catastrophes naturelles. En effet, ce prélèvement portant sur une garantie qui peut représenter jusqu'à 12 % du montant des contrats d'assurance, il ne nous paraît pas utile de l'augmenter tant que nous ne disposons pas des informations sur les nouvelles interventions que le fonds de prévention des risques naturels majeurs sera amené à faire dans le cadre de la révision de la loi Barnier que nous examinerons l'an prochain.

En outre, ce fonds dispose de 80 millions de réserves, soit quatre fois le montant de ses ressources annuelles.

De façon générale, la commission des finances souhaite que toute nouvelle imposition soit accompagnée de simulations et de précisions quant à son usage.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - J'éprouve quelque difficulté à m'inscrire contre les principes de bon sens et de bonne gestion que vient de poser le rapporteur général... Il est vrai que le fonds dispose d'une réserve de trésorerie. Nous pensons toutefois qu'il faut lui permettre de faire face aux nouvelles dépenses qui vont lui incomber.

Tout en partageant la préoccupation de M. Carrez, je souhaiterais donc qu'il nous propose une transaction.

M. le Rapporteur général - Jusqu'en 1999, le fonds était alimenté par un prélèvement de 2,5 % qui a été ensuite ramené à 2 % en raison de ses excédents de trésorerie. Puisqu'il devra bientôt prendre en charge la délocalisation des bâtiments construits en zone inondable, et procéder à des acquisitions, je propose de revenir au taux de 2,5 %, en attendant la nouvelle loi.

M. le Ministre délégué - Je vous remercie pour cette proposition. Avis favorable à l'amendement ainsi rectifié.

M. Augustin Bonrepaux - Le rapporteur général propose d'attendre la nouvelle loi, mais les catastrophes n'attendront pas !

L'Etat a besoin de moyens pour apporter aux collectivités locales les conseils qu'elles attendent pour l'élaboration de leurs plans d'exposition aux risques. En outre, quand ces plans montrent que des entreprises et des habitations sont construites en zone dangereuse, mieux vaut procéder aux déménagements nécessaires que procéder à de vains travaux de restauration.

Réduire les crédits de ce fonds me paraît donc relever d'une politique à courte vue dont nous évaluerons les effets, comme pour l'ADEME et le fonds national des adductions d'eau, dès l'année prochaine.

M. le Rapporteur général - C'est le même souci de bonne gestion que celui qui avait poussé le gouvernement précédent à ramener le taux de prélèvement de 2,5 % à 2 % qui a conduit cette année la commission à s'opposer à une forte augmentation. Mais il n'y a aucun risque, surtout avec la rectification à laquelle je viens de procéder, que ce fonds, qui dispose de 80 millions de réserves, soit empêché de prendre en charge les travaux nécessaires jusqu'au vote de la nouvelle loi.

M. le Président - L'amendement 31 rectifié est donc ainsi rédigé : « A la fin du dernier alinéa du I de cet article, substituer au taux de 4 % le taux de 2,5 % ».

L'amendement 31 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. Michel Bouvard - M. Marleix ne pouvant être là ce soir, je défends son amendement 59, qui tend à étendre le champ d'intervention du fonds de prévention des risques naturels majeurs aux activités agricoles. Il y a urgence, notamment dans les régions Languedoc-Roussillon et PACA qui ont été victimes d'inondations.

M. le Rapporteur général - La commission a émis un avis défavorable car les exploitants agricoles pensent déjà faire appel au FEOGA-Garantie - qui a ouvert une enveloppe de 2,3 millions d'euros pour le Languedoc-Roussillon - ainsi qu'au fonds national de garantie des calamités agricoles.

M. le Ministre délégué - Je suis un peu embarrassé... Je comprends votre argumentation, Monsieur le rapporteur général, mais cet amendement correspond à l'engagement pris par le Premier ministre à l'occasion de son déplacement dans le Gard, qu'il me revient évidemment de respecter.

L'amendement 59, mis aux voix, est adopté.

L'article 40 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 40 (amendements précédemment réservés)

M. Michel Bouvard - L'amendement 4 de M. Pinte est défendu.

L'amendement 4, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Les amendements 151, 73 (2e rectification), 167 rectifié et 168 rectifié peuvent être soumis à discussion commune.

M. Augustin Bonrepaux - Plutôt que l'amendement 151, je défendrai mon amendement 168 rectifié. Il reprend, sous une forme améliorée qui tient compte des observations faites à l'époque, celui que nous avions déposé sur le projet de loi de finances pour 2003. Afin que les salariés des petites entreprises puissent véritablement profiter des chèques vacances, il a pour objet d'instituer une procédure simplifiée applicable aux entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de comité d'entreprise. Non seulement cette mesure pourrait bénéficier à de nombreuses familles, mais elle améliorerait les comptes de tourisme de notre pays.

M. Marc Laffineur - L'amendement 73 (2e rectification) de M. Couve est identique.

M. Michel Bouvard - De même que mon amendement 167 rectifié. Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2003, nous avions convenu de retravailler cette question afin de présenter dans le cadre du collectif un amendement mieux rédigé. C'est ce que nous avons fait, en liaison avec les services de l'agence nationale du chèque vacances, ceux du ministère du tourisme et les vôtres, Monsieur le ministre. Nous comptons donc sur votre soutien.

M. le Rapporteur général - La commission n'a pas examiné ces amendements mais elle avait discuté du sujet il y a quelques semaines. La rédaction de l'amendement 151 ne convient pas. Mais je peux donner, à titre personnel, un avis favorable aux trois autres, qui répondent aux observations formulées lors de l'examen des articles non rattachés du projet de loi de finances pour 2003.

M. le Ministre délégué - Je me joins au rapporteur général pour me réjouir du travail effectué depuis la discussion du PLF 2003 et émettre un avis favorable à ces amendements sur lesquels je lève le gage.

L'amendement 151 est retiré.

Les amendements 73 (2e rectification), 167 rectifié et 168 rectifié, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Ministre délégué - L'article 68 de la loi de finances pour 1990 permet au ministre de l'économie de céder ou d'annuler jusqu'à 1,52 milliard d'euros de créances. Les annulations sont effectuées en contrepartie d'un engagement de financement par le pays débiteur de projets utiles au développement ; les conversions en investissements permettent au pays débiteur de racheter par anticipation sa dette. Ces mécanismes favorisent à la fois l'aide aux pays en développement et l'investissement français à l'étranger.

La marge disponible n'étant plus que de 31 millions d'euros, le Gouvernement sollicite, par son amendement 110, un rehaussement du plafond de 300 millions d'euros.

M. le Rapporteur général - Avis favorable.

Avant que nous abordions le dernier amendement, je voudrais remercier le Gouvernement de nous avoir permis d'adopter plusieurs dizaines d'amendements sur lesquels il s'était engagé lors de l'examen du PLF 2003.

Vous nous aviez demandé des délais, sur des sujets comme les chèques vacances ou la garde partagée, mais vous avez tenu parole : nous avons travaillé avec vos services et sommes parvenus à améliorer la rédaction de nos propositions. Je suis heureux que les amendements issus de ce travail se comptent aujourd'hui par dizaines.

M. Charles de Courson - Cela change de M. Fabius ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

L'amendement 110, mis aux voix, est adopté.

M. le Ministre délégué - Je dois partager vos remerciements, Monsieur le rapporteur général, avec les équipes qui travaillent à mes côtés. Je sais que Mmes et MM. les députés ont pu penser, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2003, que trop peu d'amendements avaient été adoptés. J'avais pris l'engagement de les satisfaire dès notre rencontre suivante. La moisson aujourd'hui est importante et la législature commence sous de bons auspices.

Mais j'en arrive à l'amendement 81. La commission des finances m'a fait l'honneur de m'auditionner spécifiquement sur le plan de sauvetage de France Télécom. La situation financière de l'entreprise est marquée par un endettement excessif et par la disparition des fonds propres consolidés au niveau du groupe. Notre plan comporte deux volets : l'entreprise devra réaliser 15 milliards d'économies au cours des trois prochaines années, et une recapitalisation sera effectuée par les actionnaires.

L'Etat, aujourd'hui principal actionnaire, fera son devoir en participant au renforcement substantiel des fonds propres de l'entreprise. Le Gouvernement a confié à l'ERAP, établissement public à caractère industriel et commercial, la mise en _uvre de cet effort. Dans un souci de transparence, l'Etat souhaitait en effet recourir à une structure patrimoniale spécifique. Les statuts de l'ERAP ont donc été modifiés par un décret du 2 décembre afin de lui permettre de détenir des participations dans le secteur des télécommunications. L'Etat lui apportera les titres qu'il détient. Dans un premier temps, l'aide de l'ERAP prendra la forme d'une avance d'actionnaire pour un montant de 9 à 10 milliards. Pour lever les fonds nécessaires, l'ERAP a besoin de la garantie de l'Etat. Tel est l'objet de l'amendement 81.

M. le Rapporteur général - La commission, malgré des délais très courts, a en effet été pleinement informée. Outre le ministre, elle a pu auditionner le nouveau président de France Télécom. Elle a été convaincue du bien-fondé des orientations du plan de sauvetage de l'entreprise.

Si France Télécom est dans la situation actuelle, c'est d'abord en raison d'un alourdissement très rapide de sa dette. La croissance externe de l'entreprise, indispensable dans le monde des télécommunications, n'a pu se faire que par l'endettement. Il n'était pas possible, pour des raisons statutaires, de procéder à des acquisitions par échanges d'actions. L'endettement a donc rapidement atteint un montant astronomique de 70 milliards, mais les acquisitions faites entre 1999 et le début de l'année se chiffrent à 100 milliards.

Cette dette doit être remboursée, et elle est coûteuse en intérêts. Les dépenses à ce simple titre pour 2003 seront de 15 milliards. L'entreprise sera donc confrontée à un problème de liquidités dans les prochains mois, alors même que son compte d'exploitation est bon. L'ERAP l'aidera à traverser cette situation difficile, mais temporaire. La valeur d'une entreprise se mesure en effet à ses résultats, et ceux-ci, en terme de cash flow et de rentabilité, sont bons.

L'ERAP, grâce à la garantie d'emprunt sollicitée ce soir, ayant recueilli les actions détenues par l'Etat, va pouvoir procéder à une avance d'actionnaire de 9 milliards, qui ne sera d'ailleurs pas forcément tirée dans son intégralité. Cette avance a vocation à être transformée en une consolidation en fonds propres, avec la participation des autres actionnaires. La restauration de la liquidité de l'entreprise et le maintien de sa rentabilité permettront de constituer les fonds propres qui font défaut.

Se posera un jour la question du pourcentage d'actions détenues par l'Etat. La situation de France Télécom pose en effet le problème du degré de présence et des capacités d'intervention financière de l'Etat dans une entreprise publique soumise à la concurrence, et qui doit se livrer à des investissements très importants. Pour l'instant, l'ERAP va permettre à l'entreprise de faire face à ses échéances à court terme. France Télécom est une entreprise saine, qui dispose d'un personnel de grande qualité. Sa rentabilité et son efficacité sont excellentes. C'est un de nos fleurons industriels, et elle doit le rester.

M. François Brottes - Cet amendement est très important. Il permet à l'Etat de prendre sa part dans le renforcement des fonds propres de France Télécom. La stratégie de l'entreprise n'est pas remise en cause et les résultats opérationnels des derniers exercices sont positifs. Faisons remarquer au passage que la contribution de l'opérateur au budget de l'Etat sur ces vingt dernières années est bien supérieure à la dette constatée aujourd'hui...

L'Etat prend aujourd'hui ses responsabilités, après une période marquée par la bulle spéculative, qui a totalement faussé les données, et par l'inconséquence de la Commission européenne, qui n'a pas du tout joué son rôle lors des attributions de licences UMTS. Il faut noter que seule la France, en Europe, s'est montrée responsable dans cette affaire.

Cet amendement mérite un minimum d'explication complémentaire. Quelles seront les conséquences du plan de sauvetage sur l'emploi à France Télécom, qui dispose d'un personnel de grande compétence ? Le Gouvernement veut-il prendre prétexte de la situation pour privatiser l'entreprise ? Va-t-il modifier la loi Fillon de 1996, qui, prétendant réguler le marché des télécommunications, a imposé des contraintes importantes à France Télécom ? Quels sont les actifs que l'opérateur sera autorisé à céder pour alléger la voilure ? Comment accélérerez-vous la mise en _uvre du haut débit et de la téléphonie mobile sur l'ensemble du territoire ? Quel impact le plan aura-t-il enfin sur les missions de service public de France Télécom, dans le cadre du service universel ?

Ce que nous voulons savoir, c'est si le Gouvernement veut aider France Télécom à franchir un cap difficile ou la soutenir aujourd'hui pour mieux s'en débarrasser demain.

M. Charles de Courson - Rappelons tout d'abord que France Télécom va perdre entre 19 et 20 milliards en 2002. Cette situation est sans précédent dans les trente dernières années. Plus grave encore, ses capitaux propres seront négatifs de 7 à 8 milliards à la fin de cette année. Il faut donc que l'Etat assume ses responsabilités d'actionnaire principal et sorte 9 milliards. Mais il faut aussi que la nouvelle direction assume les 15 milliards d'économies qui doivent être réalisés en trois ans.

Il faut également restructurer la dette. Sur 70 milliards, 50 doivent être remboursés en trois ans ! On a financé des investissements à long terme par des emprunts d'une durée moyenne de trois ans !

Monsieur le ministre, l'UDF est consciente que vous faites un effort de transparence. Mais elle n'est pas sûre que vous ayez choisi le meilleur montage budgétaire.

Alors qu'il était parfaitement possible pour l'Etat de s'endetter de neuf milliards d'euros supplémentaires afin de financer la dotation nécessaire à France Télécom, une fois de plus, on a préféré, comme on l'avait fait pour le Crédit lyonnais, recourir à la bonne vieille technique de la direction du trésor, à savoir créer un faux nez. Celui-ci s'endette puis recycle son endettement en capitaux propres, tandis que la dette est remboursée par cessions d'actifs et dotations budgétaires de l'Etat. Contrairement à ce qui a parfois été allégué, la première solution n'aurait rien changé par rapport aux critères d'endettement et de déficit public posés par le traité de Maastricht et aurait eu le mérite de la clarté. C'est celle que nous aurions préférée. Ce Gouvernement n'a pas à avoir peur de la transparence, car ce n'est tout de même pas lui qui est responsable de la situation actuelle de France Télécom !

Cette affaire pose de nouveau le problème de la gouvernance des entreprises publiques. Trop souvent, le conseil d'administration de ces entreprises ne joue pas son rôle, notamment parce qu'il existe des liens entre son président et les ministres de tutelle qui, pour ainsi dire, règlent leurs affaires entre eux. Il peut aussi arriver, on l'a vu, que, sans même l'accord du ministre concerné ni aucun contrôle, des entreprises publiques réalisent des investissements considérables par le biais de leurs filiales étrangères. On peut d'ailleurs s'interroger à cet égard sur le rôle des administrations centrales chargées de la tutelle du secteur.

L'autre question est simple, mais tout aussi fondamentale : faut-il conserver des entreprises concurrentielles dans le secteur public ?

M. Jean-Louis Idiart - Et les missions de service public ?

M. Charles de Courson - Des sociétés privées peuvent parfaitement exercer des missions de service public. C'est le principe même de la concession de service public. La fourniture d'eau, qui est un service public, n'est pas nécessairement assurée par une régie...

M. Jean-Louis Idiart - Parlons-en !

M. François Brottes - Bel exemple !

M. Charles de Courson - Dans 80 % des cas, y compris dans les collectivités que vous gérez, ce service public est concédé.

La position de l'UDF n'a jamais varié à ce sujet : l'Etat doit se recentrer sur ses missions régaliennes, les activités concurrentielles relever du secteur privé et les concessions de service public être étroitement contrôlées. C'est la voie de la sagesse, à laquelle le contribuable n'a d'ailleurs qu'à gagner.

M. Marc Laffineur - Je me félicite de l'amendement gouvernemental qui permettra de sauver l'opérateur de télécommunications le plus endetté du monde. Le plan de sauvetage de l'entreprise est équilibré entre les économies demandées à l'entreprise, le recours au marché obligataire et la recapitalisation.

Mais je souhaite revenir un instant sur les causes des difficultés actuelles de France Télécom. Les licences UMTS, dont le produit devait alimenter le fonds de réserve des retraites
- on sait comment tout cela a fini - étaient si chères qu'aucun opérateur n'en a voulu au prix initial, sauf France Télécom qui, sous la pression du gouvernement précédent, s'y est finalement résolu. Et comme elle n'était pas privatisée, il lui a fallu payer sa licence cash. On en sait les conséquences. Le gouvernement précédent porte donc une très lourde responsabilité. Finissons-en aujourd'hui avec l'idéologie et soyons pragmatiques. France Télécom doit devenir une entreprise privée, ce qui ne l'empêchera nullement de remplir ses missions de service public - il suffit pour cela d'un bon cahier des charges.

M. le Ministre délégué - En écoutant M. Brottes, j'ai eu l'impression qu'il essayait de défendre la politique du gouvernement précédent. Une seule préoccupation doit nous réunir aujourd'hui, celle de redonner à France Télécom toutes ses chances.

M. Marc Laffineur - Tout à fait !

M. le Ministre délégué - C'est en tout cas le seul souci du Gouvernement qui se refuse d'ailleurs à toute polémique sur le sujet, alors qu'il pourrait en avoir la tentation...

M. Jean-Louis Dumont - D'autres s'en chargent à sa place !

M. le Ministre délégué - Si je vous relisais les déclarations du précédent gouvernement concernant la gestion de France Télécom, je ne suis pas certain que vous les reprendriez aujourd'hui à votre compte. Je referme là la polémique ouverte par M. Brottes qui eût mieux fait de dispenser ses conseils au gouvernement qu'il soutenait.

M. Eric Besson - Nous y voilà !

M. le Ministre délégué - Le mieux pour France Télécom, qui demeure une très belle entreprise, malgré ses grandes difficultés actuelles, est aujourd'hui que l'Etat lui donne les moyens de repartir à la conquête du monde.

S'agissant de l'emploi, le Gouvernement fait totale confiance au nouveau président de l'entreprise et n'a pas d'instructions à lui donner...

M. Jean-Louis Idiart - Il pourrait lui fixer des objectifs !

M. le Ministre délégué - Le nouveau président a simplement fait valoir qu'il existait au sein de France Télécom des personnels ayant encore le statut de fonctionnaires et qui pouvaient souhaiter rejoindre la fonction publique. J'ai moi-même indiqué devant la commission que nous ferions tout pour qu'ils y soient accueillis dans les meilleures conditions. Notre fonction publique a tout à gagner de l'expérience différente acquise par ces personnels.

Vous avez soupçonné le Gouvernement de prendre prétexte de la situation actuelle de l'entreprise pour engager sa privatisation. Pensez-vous sérieusement que le Gouvernement puisse avoir des caprices de dix milliards d'euros ? Il n'a pas le choix. Il n'a pas non plus le temps, comme vous le faites, de s'interroger sur l'opportunité pour l'Etat de conserver plus ou moins de 50 % du capital de l'entreprise. La première exigence est de sauver France Télécom et d'en assurer le succès à l'avenir. Ce n'est qu'une fois l'entreprise redressée que nous réfléchirons à la décision la plus appropriée.

Pour ce qui est des obligations de service public, celles-ci résultent d'un cahier des charges. L'Etat veillera à ce qu'il soit scrupuleusement respecté.

En conclusion de votre intervention, Monsieur Brottes, vous vous êtes demandé si l'Etat soutenait vraiment France Télécom. Je prends cela comme un hommage dont je vous remercie.

Monsieur de Courson, vous auriez préféré que la recapitalisation soit budgétisée. Je suis intimement convaincu que la solution retenue est préférable. En effet, ce n'est que si l'on considérait que France Télécom n'a plus aucune valeur que la solution que vous préconisez se justifierait. Nous pensons, pour notre part, que France Télécom, en dépit de ses difficultés actuelles de fonds propres, a encore toutes ses chances et nous ne doutons pas que, le moment venu, sa valeur se sera redressée - un redressement est déjà perceptible - et qu'il sera possible de rembourser là-dessus les prêts souscrits pour sa recapitalisation.

S'agissant de la gouvernance des entreprises publiques et du comportement de l'Etat actionnaire, M. Mer a confié à MM. Rouvillois et Barbier de la Serre un rapport sur le sujet. Ils doivent le remettre début 2003. Il pourrait être utile d'organiser à cette occasion un débat au Parlement.

Je n'ai rien à ajouter à l'intervention de M. Laffineur qui nous a assurés de son soutien.

En conclusion, nous vous demandons un acte de foi en France Télécom, belle entreprise, qui n'est aujourd'hui exsangue que parce qu'elle a dû financer sa croissance externe sans pouvoir émettre d'actions. Aidons-la à surmonter ses difficultés passagères et donnons-lui toutes les chances pour l'avenir. C'est ainsi que les Français retrouveront les espoirs qu'ils avaient placés en elle lors de sa mise sur le marché (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'amendement 81, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Charles de Courson - Le groupe UDF tient à féliciter le Gouvernement pour la qualité du débat sur ce collectif. La sincérité et la transparence de la loi ont permis de poser les vraies questions sur notre situation budgétaire. L'attitude du Gouvernement, ouverte au débat et à la négociation, a été décisive. La majorité comme l'opposition ont pu réfléchir ensemble, comme le souligne l'adoption de quelques amendements de l'opposition. Nous sommes ainsi en mesure de voter un texte cohérent et transparent.

Cela ne doit pas nous faire oublier l'état critique de nos finances publiques. Nous frôlons dès 2002 le critère de déficit de Maastricht, et nous risquons d'atteindre le plafond en 2003, si l'on prend en compte une croissance plus faible que prévu et la dérive du budget de la sécurité sociale. Quant au critère relatif à la dette publique, il risque également d'être atteint à cause de France Télécom, qui représente 0,6 % du PIB. Par conséquent, une gestion rigoureuse du budget de l'Etat et des budgets sociaux est indispensable. Elle sera déterminante pour le respect des critères de Maastricht. Mais elle appelle aussi l'accélération des réformes dont notre pays a besoin : réforme des retraites, décentralisation, réforme de l'assurance maladie, sans oublier celle de l'Etat. Tout cela n'ira pas sans de grandes difficultés. L'heure n'est plus au conservatisme. Le conservatisme, c'est la mort du pays. Et son coût social, qui le paie ? Les plus modestes ! Une gestion rigoureuse est donc un élément central de la justice sociale. Nos collègues de l'opposition diront que parler de gestion, c'est annoncer la « rigueur ». N'ayons pas peur de la rigueur : c'est une vertu. Le laxisme de nos prédécesseurs explique le niveau record du chômage en France, qui frappe massivement les moins qualifiés.

Dans le débat, le groupe UDF a souligné quatre points qu'il tient pour essentiels ; je n'y reviens pas. Je rends hommage à l'attitude du Gouvernement face à certaines de nos propositions. Vous vous êtes engagé, Monsieur le ministre, à donner suite à certaines d'entre elles et je vous en remercie. Nous savons en effet que nous pouvons vous faire confiance, car vous avez toujours tenu vos engagements envers notre groupe comme envers l'UMP et même envers l'opposition. Pour toutes ces raisons, l'UDF votera ce collectif (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Augustin Bonrepaux - Ce débat s'est déroulé dans une certaine confusion, et la majorité n'a pas été très attentive aux recommandations faites hier par le président de la commission des finances. Nous espérions finir la nuit dernière ; nous y étions prêts, nous ne nous sommes pas étendus sur les motions, nous avons retiré beaucoup d'amendements - résultat, vous avez prolongé le débat jusqu'à ce soir. C'est qu'il y a un problème au sein de la majorité. Quand il faut plus de deux heures pour qu'elle se mette d'accord sur un amendement du Gouvernement, c'est évidemment une perte de temps.

M. Claude Gaillard - Le débat, c'est la démocratie !

M. Augustin Bonrepaux - Beaucoup de dispositions importantes ont été introduites par voie d'amendement. On le comprend bien dans le cas de France Télécom, mais le reste aurait bien pu figurer dans le projet initial. Et si nous avions eu plus de temps pour travailler en commission, nous n'aurions pas eu à faire ici un travail de commission.

Le collectif est une épreuve de vérité : vous devez assumer la responsabilité de sept mois de gouvernement. Lors des précédentes alternances, quand les gouvernements présentaient des collectifs, une inflexion était perceptible. En 1997, le déficit prévisionnel s'élevait à 3,5 % : en fin d'année, il était inférieur à 3 %. Et le Gouvernement n'a pas dit continuellement, comme vous le faites, que tout était de la faute des autres. Il faudrait pourtant assumer vos responsabilités ! Car enfin c'est vous qui avez réduit les recettes et chargé la barque des dépenses dans le collectif de juillet !

Vous dépassez les prévisions les plus pessimistes de l'audit, et ce dérapage est bien de votre responsabilité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La baisse de l'impôt sur le revenu que vous avez votée, ce sont 2,5 milliards. Or le dépassement du déficit, ce sont 2,5 milliards. N'est-ce pas clair ?

Il est vrai que ce débat nous a apporté quelques satisfactions. Je reconnais que vous êtes attentif, Monsieur le ministre, mais vous êtes corseté par le Gouvernement et ne pouvez faire ce que vous voulez. Nous avons ensemble, et grâce au rapporteur général, fait progresser l'intercommunalité. Vous avez accepté d'améliorer l'amendement sur la garde alternée. Vous avez repris l'amendement de M. Bapt sur AZF. Enfin, nous avons fait progresser le chèque vacances. Nous nous félicitons donc d'avoir pu contribuer à quelques améliorations.

M. le Président - Votre temps est épuisé.

M. Augustin Bonrepaux - Nous n'avons pas abusé ce soir !

Sur France Télécom, nous avons voté le redressement. Mais nos objectifs ne sont pas les mêmes, et l'intention de privatiser qu'a affichée M. Francis Mer nourrit nos inquiétudes pour le service public et l'aménagement du territoire.

Où va notre pays ? M. de Courson l'a dit : vers une politique de rigueur. Ce sont les plus modestes qui en feront les frais (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles de Courson - C'est le contraire !

M. Marc Laffineur - Je veux d'abord remercier M. le ministre pour la façon dont les débats se sont déroulés, dans une convivialité à laquelle il nous a habitués au fil des lois de finances. Il a fait preuve d'ouverture, acceptant de nombreux amendements proposés par les députés. Ce collectif, comme celui de juillet, a permis de financer nombre de mesures décidées au cours des années précédentes mais non financées : on a évoqué l'APA, la CMU, les emplois-jeunes, la vignette... Nous avons même financé trois primes de Noël, celle que le Gouvernement a décidée pour 2002, mais aussi celles de 2001 et de 2000 ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Nous avons également sauvé France Télécom, et répondu aux demandes de la profession agricole en sauvant l'ANDA. Cela a fait l'objet d'un débat, normal, dans la majorité. Il a fallu une suspension. Mais qui ne se rappelle les longues suspensions qu'il fallait à la « majorité plurielle » pour se mettre d'accord sur la taxe Tobin ?

M. Augustin Bonrepaux - Parlez de choses sérieuses !

M. Charles de Courson - La loi sur la chasse...

M. Marc Laffineur - Nous avons également tenu par ce collectif les promesses faites durant la campagne électorale. C'est notamment le cas pour la défense, la sécurité civile, les transports maritimes, la révision des pensions des ressortissants de nos anciennes colonies. Nous avons également, et c'est le rôle de la France, accentué l'effort pour les pays en voie de développement, notamment le Liban, pays ami de la France. L'UMP votera ce budget avec enthousiasme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'ensemble du projet de loi de finances rectificative, mis aux voix, est adopté.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Nous avons consacré à ce collectif seize heures de débat, plus que nous ne le pensions et sans doute que nous ne le souhaitions. Cela dit, la majorité n'a pas été bâillonnée, et l'opposition non plus. Je remercie le Gouvernement d'avoir accepté certains amendements et d'avoir manifesté à l'égard de l'opposition beaucoup de sympathie (Sourires).

Cela dit, je reste persuadé que nous légiférons trop et que les multiples amendements présentés ne sont pas toujours heureux. Nous avons consacré deux heures à l'ANDA, c'était justifié - mais une heure de débat sur les ponts et une autre sur les inondations, c'était beaucoup !

Je remercie le rapporteur général pour la qualité de son travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste), les administrateurs - qui ont su, par exemple, nous expliquer le système de l'éthanol - et aussi le personnel pour sa patiente collaboration (Mêmes mouvements).

M. le Ministre délégué - Je m'associe aux remerciements du président Méhaignerie. C'est le troisième texte budgétaire que je vous présente au nom du Gouvernement et je tiens à vous remercier pour votre cordialité chaleureuse et à vous féliciter pour la qualité de vos travaux.

Sous la Ve République, la norme législative est en grande partie proposée par le Gouvernement. Mais ma conviction profonde, c'est que cette norme, si elle doit être moins dense, doit aussi émaner davantage du Parlement. En conséquence, tout au long de l'année, moi-même et mes collaborateurs resteront à votre disposition pour qu'ensemble nous légiférions mieux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. le Président - La présidence s'associe à ces remerciements et se félicite de la cordialité des débats et de la qualité des travaux.

La séance, suspendue à 22 heures 35, est reprise à 22 heures 45.

MARCHÉS ÉNERGÉTIQUES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Ce projet de loi a pour objet principal de transposer en droit français la directive communautaire de 1998 visant à ouvrir partiellement à la concurrence le transport et la fourniture de gaz.

La transposition est à la fois nécessaire, utile et urgente.

Nécessaire car la France s'y est engagée. Cette directive a été négociée par la France - « avec succès », selon les termes de Christian Pierret - et signée dès 1998. On ne peut que regretter les atermoiements du précédent gouvernement, qui a accepté de signer à Bruxelles ce qu'il a refusé de faire voter à Paris...

Utile car l'ouverture du marché à la concurrence fait partie des réformes structurelles dont notre pays a besoin pour restaurer sa compétitivité. Je le dis avec solennité, ce gouvernement est favorable à la libéralisation des marchés de l'énergie, non par dogmatisme mais par pragmatisme. Cette libéralisation favorisera de meilleures conditions d'achat, une plus grande liberté d'innover et d'entreprendre, une volonté accrue de satisfaire les clients. Elle est souhaitée par l'ensemble de nos entreprises fortes consommatrices d'énergie, qui y voient un gage de réduction de leurs coûts. Mais il n'est de libéralisation efficace que maîtrisée et régulée. Ce projet définit donc une régulation à même d'assurer une coexistence équilibrée entre concurrence et service public.

Cette transposition est urgente car la France aurait dû y procéder depuis deux ans déjà.

M. Claude Gaillard - Eh oui !

Mme la Ministre déléguée - Ce retard est lourd de conséquences pour les intérêts économiques de notre pays. Ainsi, la Cour de justice européenne vient de condamner la France et cette condamnation pourrait être assortie d'astreintes financières si cette loi n'était pas votée.

Plusieurs députés UMP - Eh oui !

Mme la Ministre déléguée - Par ailleurs, ce retard a décrédibilisé l'image de la France en Europe. J'ai ainsi été frappée, lors des derniers conseils énergie, par l'isolement complet de notre pays, voire la suspicion dont il faisait l'objet. Le changement d'attitude politique que je me suis employée à expliquer a permis de rompre cet isolement mais notre capacité à faire entendre nos différences à Bruxelles reste amoindrie par notre attitude passée.

M. François Brottes - C'est l'inverse !

M. Jean Dionis du Séjour - La France est le mauvais élève...

Mme la Ministre déléguée - Enfin, cette absence de transposition handicape considérablement le développement de GDF en Europe. Certains pays lui refusent ainsi de prendre des participations dans leurs entreprises nationales. Or l'Europe bouge. C'est aujourd'hui que le marché se structure, que les groupes de demain se forment. Il est donc impératif que nous donnions à GDF la liberté de mettre en _uvre son projet industriel.

Cette absence de transposition est d'autant plus dommageable que GDF a effectivement ouvert l'accès au transport de gaz depuis août 2000...

M. Pierre Ducout - A la demande du gouvernement d'alors...

Mme la Ministre déléguée - ...pour anticiper sur une ouverture de toute façon inexorable. Le marché français est ainsi effectivement ouvert et seize gros sites industriels, représentant 25 % du volume de consommation des clients éligibles, ont déjà pu changer de fournisseur - trois nouveaux opérateurs étant déjà présents sur le marché.

M. Pierre Ducout - C'est vrai.

Mme la Ministre déléguée - Il y a donc bien urgence à transposer et c'est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité présenter ce projet dans les meilleurs délais.

A cet égard, je voudrais me féliciter du travail exemplaire accompli par le Sénat (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) qui a complété le texte par plusieurs dispositions concernant le marché de l'électricité. J'examinerai dans le même esprit d'ouverture les amendements de votre assemblée.

Je remercie également le président, le rapporteur et les membres de la commission des affaires économiques pour leur diligence et leur efficacité.

Cette loi s'inscrit dans un ensemble plus vaste de réformes dans lesquelles le respect de l'environnement et la maîtrise de nos approvisionnements sont de fortes exigences.

Le protocole de Kyoto et le sommet de Johannesburg, la situation au Proche et au Moyen-Orient, les conséquences des attentats terribles du 11 septembre 2001 exigent la définition d'une politique énergétique nouvelle.

A cet effet, le Gouvernement entend tout d'abord, je l'ai dit, poursuivre et encadrer la libéralisation des marchés de l'énergie en veillant à une coexistence équilibrée entre concurrence et service public. C'est l'objet de la présente loi. C'est également l'objet d'un accord politique équilibré que la France a obtenu de ses collègues européens lors du dernier conseil énergie.

Nous voulons aussi donner aux deux grandes entreprises nationales les moyens de s'adapter à cette libéralisation et de devenir deux grandes entreprises européennes. Cela passe par une ouverture minoritaire de leur capital qui leur permettra de nouer des alliances et de réunir les capitaux nécessaires à leur développement autrement que par un endettement difficile à maîtriser.

Cette évolution ne remettra évidemment pas en cause le statut des agents et nous veillerons à ce que le système spécifique des retraites reçoive les garanties nécessaires. Le Gouvernement a, conformément à sa méthode, privilégié le dialogue social et demandé aux partenaires sociaux de lui remettre des propositions à cet effet. Ils ont abouti ce lundi à un relevé de conclusions commun qui pose les principes d'une refondation du système de financement du régime de retraite. Ce relevé est actuellement soumis à la consultation des personnels. Il reviendra ensuite à l'Etat de prendre les mesures nécessaires.

Le Gouvernement entend enfin doter la France d'une loi d'orientation sur les énergies qui définira, après un grand débat national en début d'année prochaine, nos grandes options énergétiques en matière de nucléaire, d'énergies renouvelables, de maîtrise de la sécurité et d'approvisionnement.

Ce projet est donc la première pierre législative d'une refondation. Il vise à l'ouverture progressive à la concurrence du marché gazier français mais également à la constitution d'un marché européen unique de l'énergie.

Pour le plus grand bénéfice des consommateurs, cette loi permettra aux entreprises françaises d'acheter le gaz dans de meilleures conditions, donc de rester compétitives La constitution d'un marché unique sera pour nos entreprises une occasion unique de conquérir des parts de marché en Europe et de s'ériger ainsi en véritables champions européens.

La crise californienne, la faillite d'Enron, les difficultés de British Energy nous rappellent toutefois qu'il n'est pas de bonne libéralisation sans une régulation adaptée.

Parce que l'énergie n'est pas un bien comme les autres, parce qu'elle est indispensable à la vie moderne, ce projet de loi pose donc deux garde-fous pour encadrer l'ouverture du marché à la concurrence. D'une part, il impose des obligations de service public à tous les acteurs de la filière gazière. D'autre part, il institue une autorité de régulation dotée de pouvoirs étendus.

Dans ces deux domaines, nous avons choisi d'aller au-delà de la directive de 1998 soit en anticipant sur les prochaines directives en cours de négociation, soit en reprenant certaines dispositions de la loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité. Les pouvoirs du régulateur sont ainsi largement identiques à ceux confiés à la commission de régulation de l'électricité.

La première disposition essentielle du projet pose le principe de la libéralisation progressive et maîtrisée du marché de la fourniture de gaz naturel.

Le texte donne ainsi la possibilité de choisir librement son fournisseur de gaz naturel aux clients éligibles, c'est-à-dire aux professionnels. Il s'agit dans un premier temps des entreprises fortement consommatrices de gaz, soit 450 sites industriels. En revanche, il n'est pas prévu de modifier la situation actuelle des ménages dont la fourniture restera assurée par Gaz de France ou les distributeurs non nationalisés. Les Etats se sont accordés, lors du dernier conseil énergie sur une ouverture du marché des ménages le 1er juillet 2007, après l'élaboration d'un rapport d'étape sur la situation des petits professionnels, assez proche de celle des ménages.

M. Claude Gaillard - C'est sage !

Mme la Ministre déléguée - Le Gouvernement se réjouit que cette étape ultime fasse l'objet d'une disposition législative explicite.

Outre les entreprises fortement consommatrices, le Gouvernement a également souhaité rendre éligible l'ensemble des cogénérateurs et les dix-sept distributeurs non nationalisés. Ces distributeurs, encore obligés de s'approvisionner auprès des transporteurs de gaz, doivent disposer des moyens de mieux se préparer aux étapes ultérieures de l'ouverture du marché.

Le projet ouvre l'activité de fourniture à l'ensemble des entreprises européennes qui sont titulaires d'une autorisation délivrée par l'Etat. Cette autorisation peut imposer à son titulaire des obligations de service public particulières en fonction de la nature des clients fournis et de l'activité assurée, notamment en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement.

Enfin, afin de permettre ce lien direct entre nouveaux fournisseurs et clients éligibles, le projet impose aux transporteurs de gaz, dont Gaz de France, de donner accès à leur réseau de transport dans des conditions transparentes et non discriminatoires.

En second lieu, ce projet définit les obligations de service public qui s'imposent à tous les acteurs de la filière gazière et j'ai souhaité à cet égard qu'un titre spécifique leur soit consacré.

Je veux souligner ici l'attachement du Gouvernement au servie public en général, en particulier dans le domaine de l'énergie.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Très bien !

Mme la Ministre déléguée - L'accès à l'énergie est en effet un droit tout aussi fondamental que l'accès au logement tant l'électricité et le gaz sont devenus indispensables à la vie quotidienne.

Le service public est la traduction concrète de ce droit. Il est un élément essentiel du contrat social français, l'outil qui permet de garantir l'égalité entre les citoyens et de mettre en _uvre une véritable solidarité.

C'est donc avec détermination que j'ai défendu, auprès de mes collègues européens, lors de la négociation du deuxième paquet de directives, ce qui fait l'originalité de notre pays : le service public à la française. Nous avons su les convaincre, puisqu'aucun texte communautaire n'était allé aussi loin dans la reconnaissance des missions de service public (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'article 3 de la directive prévoit explicitement que « les Etats peuvent imposer des obligations de service public portant sur la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de l'énergie fournie et la protection de l'environnement ». En particulier, les Etats peuvent mettre en _uvre une planification de long terme et les instruments d'incitation afférents, prendre les mesures appropriées pour protéger les clients finaux, notamment les plus vulnérables, prévoir un fournisseur en dernier ressort ou confier cette mission aux opérateurs de distribution.

Dans cet esprit, le projet poursuit trois objectifs principaux.

Tout d'abord, la sécurité d'approvisionnement, qui est pour l'instant assurée par la diversité des contrats de long terme conclu par GDF. L'ouverture du marché à la concurrence suppose que l'Etat dispose des moyens de vérifier que cette sécurité reste globalement garantie. A cette fin, l'autorisation qui sera délivrée au fournisseur sera assortie de l'obligation de communiquer chaque année un plan prévisionnel d'approvisionnement.

Ensuite, la péréquation tarifaire. Les tarifs de vente de gaz ne sont pas identiques sur tout le territoire mais fortement harmonisés. Il est proposé d'inscrire ce principe dans la loi : les différences de tarif ne pourront ainsi excéder les différences relatives aux coûts de raccordement des distributions au réseau de transport du gaz naturel. Les prix seront donc uniformes, à l'intérieur des vingt-sept zones de desserte, et les différences de prix entre les zones resteront limitées.

Enfin, la solidarité avec les plus démunis. Sont prévus notamment le maintien de l'accès au gaz pour les personnes en difficulté et la possibilité de conventionnement entre les acteurs locaux et les distributeurs pour la réalisation d'actions de diagnostic des installations intérieures.

En troisième lieu, le projet définit les principes d'une régulation destinée à garantir le bon fonctionnement du marché et la coexistence harmonieuse du service public et de la concurrence.

A cet effet, il reprend une grande majorité des dispositions de la loi électrique et élargit les compétences de la commission de régulation de l'électricité au secteur du gaz. Il confie à l'Etat la fixation des tarifs de vente de gaz aux clients non éligibles, après avis de la CRE, et celle des tarifs d'accès au réseau de transport, sur proposition de la CRE. Des dérogations à ces tarifs pourront être accordées aux opérateurs désireux de développer de nouvelles infrastructures.

Le projet impose également aux opérateurs l'obligation de procéder à une séparation comptable des activités de transport, de distribution et de stockage afin de permettre à la CRE de vérifier l'absence de pratique anticoncurrentielle ou de subventions croisées.

En revanche, le Gouvernement ne propose pas de mettre en place pour les opérateurs gaziers l'équivalent du réseau de transport d'électricité. En effet, il existe sur le marché du gaz une véritable concurrence, à la fois avec d'autres énergies et entre différents opérateurs. En outre, la CRE a la capacité de demander aux opérateurs de transports de procéder aux améliorations et aux investissements nécessaires pour permettre le raccordement d'un client.

Au-delà de la transposition de la directive de 1998, le Sénat a souhaité introduire dans le projet des dispositions relatives à l'électricité, afin de remédier aux imperfections de la loi électrique. Le Gouvernement les approuve et juge en particulier opportunes les modifications apportées au fonctionnement du fonds du service public de la production d'électricité ainsi que la suppression du plafonnement de l'activité de négoce d'électricité, qui avait amené les sociétés françaises à créer des filiales à l'étranger, au détriment de l'emploi en France.

Il ne faut pas se tromper de débat. Ce projet ne vise pas à accélérer l'ouverture du marché à la concurrence en anticipant sur la transposition des futures directives européennes, et encore moins à transformer la forme juridique d'EDF et GDF. Je suis disposé à expliquer la position du Gouvernement sur ces deux sujets, mais je souhaite qu'on prête toute l'attention nécessaire à un projet de loi certes technique, mais qui devrait contribuer à démontrer la volonté de la France de participer activement à la construction européenne et de tirer les bénéfices d'une libéralisation maîtrisée, tout en restant fidèle aux principes d'égalité et de solidarité qui fondent le service public (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. François-Michel Gonnot, rapporteur de la commission des affaires économiques - Madame la ministre, vous avez rappelé qu'il y a quinze jours, la France a été condamnée par la Cour de justice des communautés européennes pour ne pas avoir transposé la directive du 22 juin 1998. Gaz de France a été contraint d'appliquer néanmoins certaines dispositions directement applicables depuis le 10 août 2000, tout en étant paralysé dans sa politique commerciale vis-à-vis des pays de l'Union européenne, notamment l'Espagne. Il est temps de mettre fin à cette situation en procédant à une réelle transposition.

Le Gouvernement a choisi de le faire par la voie d'un projet de loi, donc en associant pleinement le Parlement. Je tiens à l'en remercier à nouveau au nom de l'ensemble des députés.

Je veux aussi saluer le travail du Sénat qui, dans un délai très court, a réussi à améliorer et enrichir ce texte de manière très substantielle.

Le projet, tel qu'il a été modifié par le Sénat, opère en effet une ouverture à la concurrence maîtrisée et réaliste de nos marchés énergétiques - marché du gaz naturel mais aussi marché de l'électricité puisque le Sénat a modifié la loi du 10 février 2000, dont de nombreuses dispositions s'étaient révélées inapplicables.

Je vous proposerai au nom de la commission d'autres modifications. Beaucoup visent à simplifier le texte et à en améliorer la rédaction. D'autres sont plus substantielles.

La commission vous propose tout d'abord un nouvel article de principe rappelant l'objet principal du texte et le rôle des différents intervenants publics dans le secteur du gaz naturel. Cet article étend en outre le champ de la loi aux autres types de gaz susceptibles de circuler dans les réseaux de gaz naturel. Il s'agit d'encourager l'utilisation des gaz issus notamment de la biomasse.

La commission vous propose également de clarifier le régime de l'éligibilité, en conciliant deux préoccupations. La première est de permettre une ouverture du marché réelle et sans discriminations, ce qui suppose par exemple de reconnaître l'éligibilité des fournisseurs.

La seconde est de faire en sorte que les règles d'ouverture du marché ne soient pas utilisées de manière abusive, ce qui nous a conduits par exemple à lier l'éligibilité à la notion de site ou à porter de trois à trente jours le délai au terme duquel devient effective la résiliation des contrats d'un client faisant jouer son éligibilité.

En ce qui concerne les tarifs gaziers, la commission vous propose de reconnaître le rôle des opérateurs et d'adapter la procédure de dérogation.

En matière de dissociation comptable, elle propose de simplifier les dispositions prévues et d'étendre le champ de la dissociation à l'exploitation des installations de GNL.

S'agissant du titre relatif au service public du gaz naturel, la commission a d'abord fait un effort de clarification, visant d'une part à mieux mettre en valeur la liste des obligations de service public qui s'imposent aux opérateurs gaziers, et d'autre part à formuler plus précisément les dispositions en faveur de la sécurité des installations intérieures. Il a été choisi d'en rester au principe de la responsabilité privée, mais avec des compléments pour aider les personnes en situation de précarité. Nous avons ajouté une obligation de diagnostic des installations intérieures de gaz à l'occasion d'une mutation immobilière, sur le modèle de la loi sur les termites.

De plus, la commission a souhaité l'instauration d'un « plan indicatif pluriannuel » visant à vérifier l'adéquation des plans d'investissement des opérateurs avec l'évolution de la demande nationale de gaz naturel. Ce dispositif sans visée contraignante favorisera une concertation régulière entre l'Etat et les opérateurs.

Le cadre informel ainsi créé permettra de traiter les problèmes éventuellement causés par un manque de coordination entre les initiatives privées.

La commission a supprimé les observatoires régionaux de l'électricité et du gaz et recentré les missions de l'observatoire national sur le suivi des activités nationales. Elle a amélioré la rédaction de certains passages relatifs au transport et à la distribution de gaz naturel. La possibilité de déclencher des expertises aux frais des opérateurs est ainsi clairement réservée au ministre de l'énergie ou au représentant de l'Etat dans le département.

Dans le secteur de l'électricité, la commission propose de nombreuses modifications. Elle veut d'abord garantir la pérennité du fonds d'amortissement des charges d'électrification, dont chacun connaît l'utilité. Elle a également mis au point diverses adaptations du dispositif régissant la compensation des charges de service public, qui laissent néanmoins subsister des difficultés importantes. Les charges de service public représentent aujourd'hui 1,5 milliard, ou plutôt, TVA incluse, plus de 1,7 milliard. La future loi sur l'énergie devra donner lieu à une analyse approfondie de chacune de ces charges.

Le présent projet ne concerne, lui, que leur compensation. Celle-ci ne doit pas se traduire par une augmentation insupportable de la facture d'électricité, tant pour les industriels, le prix de l'énergie étant un élément majeur de leur compétitivité, que pour les ménages, dont la consommation est souvent d'autant plus élevée que leurs revenus sont modestes. Un amendement du Gouvernement apporte heureusement une solution pour les industriels électro-intensifs.

La commission ne vous proposera pas d'amendement concernant les ménages. C'est en effet une décision réglementaire qui doit baisser les tarifs à due concurrence de l'augmentation totale, TVA incluse, due à la compensation des charges de service public. Il importe que le Gouvernement nous confirme sa volonté de réaliser une telle baisse.

La commission a également tiré les enseignements des débuts de la loi du 10 février 2000. Elle propose tout d'abord de reconnaître l'éligibilité des distributeurs non nationalisés pour l'approvisionnement de l'ensemble de leurs clients. Cela permet d'aligner les régimes des DNN électriques et gaziers et leur donnera l'occasion de s'adapter progressivement à la concurrence d'ici juillet 2004.

Le Sénat a pris acte du caractère inapplicable de certaines disposition de la loi de 2000. Dans le même esprit, la commission propose de supprimer la durée minimale du contrat de fourniture d'électricité, fixée à trois ans. Dans un marché libre, il appartient en effet aux parties de négocier la durée des contrats qui les lient. Enfin, la commission vous proposera d'organiser l'évolution des tarifs des contrats des clients éligibles n'ayant pas fait jouer leur éligibilité.

Pour finir, la commission a adopté, à l'initiative de son président, un amendement pour concilier l'implantation des éoliennes et la protection de l'environnement. Elle met fin ainsi à une incertitude, voire à un flou juridique, et à l'émotion soulevée par les projets annoncés. Ces dispositions, qui garantissent l'association des populations et le respect des paysages, permettront une implantation sereine des éoliennes.

Les points que je viens d'évoquer améliorent le projet de loi adopté par le Sénat tout en en préservant l'esprit. Ils laissent présager un accord en commission mixte paritaire, pour aboutir à une promulgation qui n'a déjà que trop tardé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité.

M. Christian Bataille - Dans un roman tragique, Chronique d'une mort annoncée, Gabriel Garcia Marquez raconte le meurtre préparé dans les détails de son personnage principal. Tous les habitants de la ville connaissent le projet des assassins, mais personne n'empêchera la mort d'un homme, soit qu'ils l'attendent, soit par indifférence.

Certes l'histoire, devenue banale, en Europe, de la privatisation du gaz et de l'électricité, n'a pas la dimension d'une tragédie, pas plus sud-américaine que grecque. En outre, même si la libéralisation des marchés énergétiques est devenue à court terme inéluctable, la fin de l'histoire n'est écrite nulle part. Le groupe socialiste reste persuadé qu'après bien des errements, bien des concessions à l'air du temps, c'est l'intérêt général qui finira par l'emporter. Nous voudrions pourtant une dernière fois vous exhorter de nous épargner une expérience libérale aussi funeste qu'inutile.

L'histoire récente le démontre, libéralisme et privatisation ne sont que des théories de papier (Sourires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Dans la pratique, ils n'ont jamais fonctionné. Le libéralisme que le parti des exagérés revendique n'est pas la clef d'un avenir radieux. Il n'a jamais marché, mais la majorité continue, comme si elle voulait confirmer par l'absurde l'adage qui veut qu'on ne change pas une tactique qui perd...

M. le Président de la commission  - On a vu ça il y a six mois...

M. Christian Bataille - Le texte que vous nous soumettez annonce la politique que vous allez développer dans les prochaines années. Je vous démontrerai qu'il est contraire à la lettre et à l'esprit de notre Constitution, tant en matière économique et sociale qu'en matière d'indépendance nationale. L'actualité est émaillée de mouvements sociaux et financiers à La Poste, à France Télécom et à Air France, toutes entreprises relevant encore - mais pour combien de temps ? - du service public. Ce texte n'est donc pas économique, mais éminemment politique.

La notion française de service public peine à trouver une traduction européenne. Les exigences du service universel ou du service d'intérêt général n'en sont qu'une version affadie. En France, les services publics sont conçus comme un instrument de justice sociale, au service d'usagers citoyens. Au niveau communautaire, ils sont compris comme le moyen d'offrir des prestations marchandes efficaces à des clients consommateurs. Cette conception explique la soumission croissante des services publics européens à des obligations concurrentielles qui ne reflètent pas leur fonction singulière.

La libéralisation partielle a surtout concerné jusqu'à présent les grands services publics économiques de la poste et des télécommunications, des transports et de l'énergie. Les règles communautaires de concurrence, posées par l'article 86 du traité de l'Union, s'appliquent en principe aux services publics d'intérêt économique général. Ceux-ci ne constituent hélas qu'une catégorie particulière au sein des services d'intérêt général, qui comprennent aussi des services non économiques, comme l'éducation, et des fonctions régaliennes, comme la sécurité ou la justice, pour lesquels une libéralisation partielle n'est malheureusement pas exclue, compte tenu des débats en cours à l'OMC - le pire est toujours à craindre.

Les services publics sont au c_ur de notre modèle de société. Ils concourent à la cohésion nationale. Leur qualité n'a plus à être démontrée, pas plus que l'attachement que leur portent nos concitoyens. Ce constat est aujourd'hui de plus en plus partagé. L'heure de la libéralisation forcenée est passée. Les citoyens, en France, en Europe et dans le monde, demandent de plus en plus que les services économiques soient soucieux de l'intérêt général. Ils ne se satisfont pas de la conception communautaire, qui les organise de façon aussi peu dérogatoire que possible aux règles de la concurrence.

Notre conception des services publics procède d'une philosophie éminemment républicaine. A son c_ur ne se trouve pas le consommateur, mais le citoyen. Celui-ci a des préoccupations plus larges, relatives notamment à la cohésion sociale, à l'indépendance nationale et à l'aménagement du territoire. Il en va ainsi dans bien des domaines autres que l'énergie.

L'actualité récente a porté sur les télécommunications. L'ouverture du capital de France Télécom était considérée par la majorité de droite en 1996 comme source de profit et de développement. Le secteur des télécommunications a été le premier dans lequel la Commission européenne a appliqué le concept de service universel. Cette notion a été largement imposée par la France, qui tenait à préserver les acquis de ses services publics face à des partenaires tous acquis aux thèses libérales, enfermés dans une logique d'harmonisation des prestations et d'ouverture à la concurrence. Face à Bruxelles, qui se contentait d'imposer des formats minima de prestations de service, pour éviter une concurrence déloyale, le concept de service universel pouvait être perçu comme le radeau qui maintiendrait hors de l'eau les besoins élémentaires des populations.

Comme nous l'avions déclaré ici même à l'adresse du gouvernement de M. Juppé lors du débat de mai 1996, le service public à la française, ouvert à tous dans des conditions d'égal accès et de totale transparence, allait se réduire au service universel, c'est-à-dire des prestations minimales.

Alors que notre service public des télécommunications donnait toute satisfaction, l'ouverture du capital de France Télécom a appauvri beaucoup de petits actionnaires...

Un député UDF - La faute à qui ?

M. Christian Bataille - ... abusés par la réputation de l'entreprise publique.

Si France Télécom fonctionne toujours bien sur le plan technique car ses salariés ont conservé une culture de service public, elle s'est considérablement endettée pour racheter des entreprises trop coûteuses. Et la péréquation géographique n'est plus que très mal garantie, beaucoup de territoires ruraux n'étant pas desservis par le réseau de téléphonie mobile.

Après l'ouverture du capital, voilà que l'Etat, toujours majoritaire dans le capital de France Télécom, va vendre les actifs qu'ils possède encore. Cela fera assurément plaisir aux doctrinaires libéraux mais surtout cela renflouera les caisses. Pour financer les réductions d'impôts annoncées à grand fracas, on n'hésite pas à vendre l'argenterie du ménage !

Le même scénario va se reproduire pour EDF-GDF : ouverture à la concurrence, puis ouverture du capital et enfin, privatisation.

Voyons ce qui s'est passé pour La Poste. En ne transposant la directive qu'a minima, la France a pu conserver son service public postal. Il est intéressant de relever qu'en ce domaine, il n'a pas paru indispensable de créer une autorité de régulation du marché indépendante. La délivrance des licences, le contrôle du marché, la fixation des prix du service universel continuent de relever du ministère chargé des postes sans que cela ne soulève aucune protestation de la part des opérateurs. On est donc en droit d'espérer que le service universel postal ne sera pas vidé de sa substance par le marché. Cela étant, l'esprit de service public a changé et La Poste a réduit ses moyens, ce qui a plus particulièrement pénalisé les territoires ruraux.

En matière de contrôle aérien, le dogme libéral de la Commission européenne l'avait conduite à proposer une libéralisation progressive du secteur, à l'instar de celui des télécommunications. Mais l'ouverture à la concurrence, a fortiori la privatisation, n'étaient pas acceptables dans un domaine mettant aussi directement en jeu la sécurité des citoyens. La Commission a finalement décidé que le choix des opérateurs demeurerait national et que cette activité pourrait continuer de relever du service public. Les réticences exprimées par la France depuis l'origine et la mobilisation des syndicats ont empêché une évolution fatale.

Après avoir ainsi brossé le contexte général, j'en viens au cas du gaz et de l'électricité.

Plusieurs députés UMP - Enfin !

M. Christian Bataille - L'objet de ce projet de loi devait être de transposer la directive Gaz qui exige l'ouverture à la concurrence du marché du gaz. Celle-ci pouvait parfaitement être transposée a minima. Malheureusement, ce texte dissimule, très mal d'ailleurs, une offensive en règle contre le service public du gaz qui va déstabiliser GDF mais aussi EDF, du fait de dispositions concernant l'électricité introduites par le Sénat.

La libéralisation supposée de l'achat et de la revente de gaz est une imposture. En effet, GDF achète l'essentiel de son gaz auprès de Gasprom en Russie, Sonatrac en Algérie et State Oil en Norvège, autant de fournisseurs qui sont des entreprises d'Etat. Ce n'est donc pas l'achat mais bien la distribution du gaz qui va être libéralisée. Jusqu'à présent, contrairement à ce qui est parfois allégué, GDF avait la taille suffisante pour négocier ses achats de gaz, ce qui lui permettait de le revendre aux industriels comme aux clients domestiques à un prix raisonnable, presque identique sur l'ensemble du territoire. Il est à craindre dorénavant que les industriels, et eux seuls, bénéficient d'importants rabais tarifaires au détriment des clients domestiques et des PME, mais aussi que les tarifs varient fortement selon les régions. Enfin, nous dépendrons davantage du marché « spot », soumis aux à-coups résultant d'une politique d'achats de court terme, alors que les contrats gaz avaient jusqu'à présent créé une coopération de long terme avec les pays producteurs, laquelle leur permettait d'anticiper et de sécuriser leurs investissements.

Les ressources de la mer du Nord risquent de s'épuiser d'ici à une vingtaine d'années. Nous dépendrons alors de sources plus lointaines, d'approvisionnements hasardeux par des entreprises privées alors que l'entreprise publique GDF, adossée à l'Etat, gérait très bien cela. En somme, ce projet de loi livre notre stratégie énergétique de long terme aux calculs boursiers que les entreprises feront sans aucune considération géostratégique.

Cette libéralisation aboutira à la probable remise en cause du statut de 1946 dont bénéficient les salariés. Ce statut, objet de toute l'animosité du Medef, loin de constituer une inégalité à l'intérieur du monde du travail, tire au contraire vers le haut l'ensemble des salariés. Le gaz fourni dépendra toujours du prix mondial mais, en rognant sur les salaires, on accroîtra les marges des actionnaires.

Par ailleurs le projet prévoit que les sites de stockage seront accessibles aux opérateurs concurrents comme s'il ne s'agissait que d'installations accessoires au réseau, dont le propriétaire pourrait être légalement tenu de partager les capacités. La réalité de la distribution gazière est pourtant tout autre. Les sites de stockage sont généralement réalisés au prix d'investissements extrêmement lourds, notamment en France, en raison de la géologie. S'il est exact que la demande de certains clients importants, notamment industriels, fluctue, une distribution modulée est possible et n'exige donc pas nécessairement un stockage de précaution de la part du fournisseur. En conséquence, qu'un opérateur concurrent ait accès au réseau existant ne devrait pas lui donner automatiquement accès aux capacités de stockage.

Par ailleurs, y aura-t-il toujours un service public du gaz partenaire des communes ? Jusqu'à fin 2002, GDF a renforcé, à la satisfaction des communes, son partenariat avec elles. Elle a participé à l'équipement des communes et des usagers, y compris dans les secteurs les plus défavorisés. La recherche nouvelle d'un retour rapide sur investissement risque de conduire à l'abandon de cette politique de cohésion nationale. France Télécom, en voie de privatisation, fournit, hélas, un bien mauvais exemple en laissant désormais à la charge totale des communes les frais d'effacement des réseaux. Il est à craindre que GDF privatisée ou tout autre investisseur privé n'obéisse à la même logique.

Enfin, la sécurité des canalisations et surtout des stockages doit relever d'une politique de long terme. Priorité doit être donnée à la sécurité par rapport au profit. GDF est la mieux placée pour apporter les garanties nécessaires en ce domaine.

Si l'ouverture à la concurrence résulte des engagements européens de notre pays, la privatisation que vous voulez n'est nullement nécessaire. Elle est même dangereuse pour un marché instable.

Le titre même de ce projet de loi révèle toute l'ambiguïté d'un texte qui concerne aussi largement l'électricité que le gaz.

En accord avec la majorité UMP du Sénat, vous avez préféré « saucissonner » les projets : libéralisation du marché du gaz par le Gouvernement, ouverture à grande échelle du marché de l'électricité par le Sénat. Cela ne trompe personne, comme ne trompera personne le titre VII du texte intitulé « Dispositions relatives au service public de l'électricité » alors que dans les dix-sept articles relatifs à l'électricité, vous ne parlez à aucun moment du service public ! Il eût été plus juste de l'intituler : « Dispositions relatives à la privatisation de l'électricité ». Pas plus que nous, les salariés n'ont été abusés et dès le 3 octobre, ils se sont rassemblés massivement pour protester contre la privatisation.

Il est intéressant à cet instant de réexaminer la loi du 10 février 2000 dont j'avais eu l'honneur d'être le rapporteur.

L'électricité a longtemps échappé à la mondialisation et à la libéralisation de l'économie. Pouvoirs publics, producteurs, distributeurs, industriels, ménages, tous ont longtemps considéré que l'énergie, les énergies de réseaux en particulier, ne pouvaient être tenues pour un bien ordinaire. Jusqu'aux années 1970, les acteurs économiques se sont félicités que l'électricité échappe ainsi à la « main invisible » du marché. Mais cette unanimité a peu à peu disparu. Le choc pétrolier de 1973 a abouti, selon les pays, à des évolutions contraires. En France, il a conforté l'Etat, le gouvernement de M. Messmer s'affirmant dans sa mission de pilote de la politique énergétique et lançant le programme électronucléaire. Dans d'autres pays comme les Etats-Unis, ce choc pétrolier a révélé les dysfonctionnements des marchés intérieurs et donné le départ d'une déréglementation qui fini par atteindre la France quelque vingt ans plus tard !

A partir de la fin des années 1970, le libéralisme, parfois le plus radical, progresse tant à Washington qu'à Londres et à Bruxelles, parvenant à banaliser le bien « électricité », puis à enclencher des mécanismes économiques et politiques permettant à la déréglementation de faire tache d'huile et d'ouvrir progressivement la quasi-totalité des marchés.

L'électricité est-elle un bien comme un autre ? Les principaux pays ont été contraints de lui conférer un statut particulier. Elle est devenue rapidement un bien vital pour l'économie et pour les citoyens, un bien de première nécessité. En matière économique, la production de l'énergie structure l'activité, modèle le paysage économique, est le catalyseur du progrès. L'électricité est aussi pour la nation un élément essentiel de son indépendance. Elle a une influence déterminante sur la politique énergétique, puisque toutes les énergies primaires, fossiles, nucléaires, renouvelables, peuvent concourir à sa production. C'est en se fondant sur une conscience aiguë du rôle stratégique de l'électricité qu'ont été lancés en France le programme hydroélectrique dans les années 1930, le programme nucléaire dans les années 1970.

L'électricité et sa production posent des problèmes environnementaux. Les centrales thermiques engendrent des gaz à effet de serre ; le nucléaire pose le problème du stockage et de la gestion des déchets ; les infrastructures de transport du courant et les champs d'éoliennes sont une agression à l'harmonie des paysages. Les citoyens perçoivent l'électricité comme un bien inépuisable et universel, et les esprits sont aujourd'hui perturbés parce qu'elle apparaît comme partie intégrante du service public. Organisée autour d'EDF, l'électricité répond aux grands principes du service public. Le principe de continuité interdit toute rupture dans le fonctionnement ; c'est de lui que procèdent la stabilité des prix, la qualité du service rendu, la rareté des coupures, la conduite du programme électronucléaire garantissant la sécurité de l'approvisionnement. De ce point de vue, notre programme nucléaire peut être considéré comme consubstantiel au service public lui-même. Le principe d'universalité, pour sa part, se traduit notamment par l'obligation de fournir tout usager qui le demande, déjà reconnue dans les cahiers des charges des concessions de 1905. Quant au principe de rentabilité, il exige que le service public s'adapte à la demande et aux circonstances, ce qui implique notamment pour le concessionnaire l'obligation d'assurer les travaux d'extension et de renforcement du réseau. C'est en application de ce principe qu'a été engagé le programme électronucléaire, et abandonné l'éclairage au gaz dans les villes.

Enfin le principe d'égalité s'exprime dans la péréquation des tarifs, mais aussi dans la facilité d'accès au service qu'assurent la modicité de ces tarifs, et les dispositions en faveur des personnes en situation précaire. Aujourd'hui ces tarifs sont fixés par l'autorité de tutelle, mais dès 1905 le législateur avait pris en compte la nécessité de lutter contre les pratiques prohibitives en inscrivant dans les cahiers des charges de concession des clauses de prix maximal.

L'électricité est un bien soumis à des contraintes techniques et économiques particulières. Sa nature de bien social par excellence aurait pu inciter les pouvoirs publics à la soustraire au jeu du marché. Mais leur attention a été attirée par la puissance montante des grands groupes capitalistes, favorisant la concentration et la formation de monopoles.

L'électricité ne peut se stocker, ce qui implique une adaptation permanente de l'offre à la demande, laquelle peut fluctuer énormément. Les compagnies sont donc obligées de détenir un éventail d'équipements répondant tant à la demande de base qu'aux périodes de pointe, équipements qui fonctionnent rarement en même temps. C'est dire le danger que représenterait une part trop grande accordée au marché « spot », car les équipements de production d'électricité nécessitent un apport capitalistique important.

Dans tous les pays industrialisés, le développement du secteur électrique a suivi une évolution analogue. A l'origine, l'électricité était laissée au secteur privé. L'explosion de la demande, la rationalisation de la production, l'accroissement de la taille des centrales ont conduit à un mouvement de concentration dès les années 1930. Le désir des pouvoirs publics de contrôler le secteur électrique, ajouté aux nécessités de la reconstruction, a favorisé la prise de contrôle par l'Etat. Le Plan et son « ardente obligation » exprimèrent cette ambition. Ce modèle néo-colbertiste s'est trouvé renforcé par les prodigieux efforts qu'exigea l'équipement hydroélectrique et nucléaire. Pour toutes ces raisons, l'électricité est longtemps apparue comme ce que certains appellent une « zone d'échec au marché ».

A l'inverse, l'approche européenne a banalisé l'électricité, qui n'entre que très peu à l'origine dans le droit européen. Ce laconisme est confirmé par l'Acte unique en 1985 et par la décision d'ouverture du marché intérieur en 1993. Le traité de Maastricht lui-même n'en parle que d'une manière vague et secondaire. Ces silences traduisaient, on le voit aujourd'hui, le refus d'une véritable politique énergétique commune, et le présupposé que les biens énergétiques, dont l'électricité, ne doivent pas faire l'objet d'un traitement spécifique. Le gaz et l'électricité ont été considérés comme des marchandises relevant du droit à la concurrence. Pour Bruxelles, l'ouverture des marchés est une obligation qui n'a pas pour corollaire la définition d'une politique commune de l'énergie. On ne peut que le regretter.

Cette approche a conduit à une banalisation juridique du courant électrique, n'excluant toutefois pas la reconnaissance de la spécificité du secteur de l'électricité par la Cour de Luxembourg. Elle a également conduit à une banalisation économique de l'électricité, l'inscrivant dans la mondialisation de l'économie. C'est ainsi qu'EDF, anticipant dès 1990 sur une hypothétique ouverture à la concurrence, a procédé à de considérables investissements à l'étranger. Ce qui a ensuite servi d'argument à ceux qui demandaient à la France d'ouvrir son marché à la concurrence. Il faut souligner, ces dernières années, les importants efforts d'interconnexion des réseaux du vieux continent et la progression des échanges d'électricité.

Dans le même temps, les clients industriels n'admettent plus de ne pas pouvoir faire jouer la concurrence sur la fourniture de courant électrique. Pour certaines activités fortement consommatrices - métallurgie, sidérurgie, industrie papetière -, la notion de client captif tend à devenir intolérable. Ce n'est pas la demande des consommateurs domestiques, mais bien la pression des industriels, aux Etats-Unis et en Europe, qui a agi en faveur de la déréglementation. L'avenir proche, j'en suis persuadé, démontrera en France, comme on l'a vu aux Etats-Unis, que la volonté de faire baisser les coûts est illusoire et risque de conduire à un marasme total sur le marché de l'électricité. Si nous marchons vers la libéralisation, c'est donc parce que l'Europe considère l'électricité comme un bien ordinaire.

Après une phase de consensus jusqu'en 1989, la politique européenne de l'électricité a connu bien des aléas. On se souvient de la tentative de passage en force de la Commission en 1991 sous la houlette de Léon Brittan, commissaire à la concurrence. Cette tentative s'est conclue par une marche arrière de la Commission et par une réhabilitation des obligations de service public à l'initiative du Parlement européen. La nouvelle mouture du projet de directive présentée en février 1994 reconnaissait que le secteur électrique peut, en raison de ses missions d'intérêt économique général, échapper partiellement au droit commun de la concurrence. Le débat s'est concentré sur la définition de ces missions, et sur les impératifs liés à la sécurité d'approvisionnement. La prise en compte de la proposition française d'acheteur unique, en alternative au système ATR, suscita l'espoir de sauvegarder le système français. Hélas, le 22 mars 1995, la Commission assortit la mise en _uvre d'un marché de l'électricité de conditions qui vidaient de son sens la proposition française. Toutefois, la Commission a retenu la notion de planification et même l'expression « service public ». Le conseil des ministres de l'énergie de juin 1996 fut décisif pour l'adoption de la directive électricité, qui aboutit le 19 décembre 1996, et fut transcrite en France, par la loi du 10 février 2000. Cette directive ne nous impose à ce jour que 30 % d'ouverture du marché à la concurrence, ce qui ne concerne que les clients éligibles, c'est-à-dire les plus gros consommateurs. Elle retient la notion d'obligation de service public, admet le principe de subsidiarité, mais limite la marge de man_uvre des Etats membres.

L'échange entre la majorité de droite du Sénat et la majorité de gauche de l'Assemblée avait révélé des points de clivage intéressants sur la sécurité d'approvisionnement et l'indépendance énergétique, et sur la péréquation tarifaire. La loi avait précisé le rôle de la commission de régulation de l'électricité, qui est, pour l'essentiel, de réguler l'accès à l'usage des réseaux. Encore aujourd'hui, nous affirmons que la définition de la politique énergétique appartient au pouvoir politique, expression du suffrage universel, et non pas à une autorité dite indépendante qui deviendrait un ministère bis de l'énergie.

Il faut continuer à s'interroger sur cette conception anglo-saxonne, qui consiste à confier à un collège extérieur la détermination de choix politiques qui relèvent de l'exécutif. La mise en _uvre de cette loi, malgré la possibilité d'un accès pour les concurrents d'EDF à 30 % du marché, a d'ailleurs montré la solidité de notre service public, puisque celui-ci n'a cédé à la concurrence que 5 % de son marché. Que l'on compare cette situation avec le cas de l'Allemagne, qui malgré 100 % d'ouverture théorique, n'a cédé à la concurrence que 2 % de son marché.

Deux enjeux politiques nous semblent essentiels, et les socialistes seront particulièrement vigilants à leur sujet : la desserte de tout le territoire, sans discrimination, et la péréquation des tarifs. Ces principes sont incontournables et je crains de les voir sacrifiés par la libéralisation.

L'aménagement du territoire en matière d'électricité est un fait acquis ; il est l'expression de la volonté de développer les territoires quels que soit leur densité de peuplement et leur situation géographique. Une politique qui laisserait au marché les secteurs les plus rentables aggraverait le risque d'instaurer une France à deux vitesses.

La péréquation des tarifs est l'expression de la solidarité entre tous les Français et toutes les catégories de consommateurs. Elle ne peut se pratiquer que sur une large échelle : le découpage par fonctions et la séparation en régions vont la mettre en péril. Chaque Français paie son courant au même tarif, voilà un symbole fort !

On ne peut imaginer non plus que la sécurité nucléaire et la gestion des déchets soient soumis à la loi du profit, qui conduit inéluctablement à rogner sur la sécurité pour augmenter les marges. L'accès à la technologie nucléaire doit continuer à être contrôlé par les Etats. On voit en ce moment même, sur les côtes espagnoles, où peut conduire la recherche du profit maximal au détriment de la sécurité et de l'environnement ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean Dionis du Séjour - Amalgame !

M. Christian Bataille - A la loterie des directives, l'Europe du ciel ou de la poste aura finalement eu plus de chance que l'électricité ou le gaz. Mais si le libéralisme gagne le combat sur ces terrains, je crains que ce ne soit une amère victoire pour vous : le choix que vous voulez nous imposer - l'Europe ou le service public - risque de déboucher sur une perte de confiance durable dans la construction européenne. Ce serait une catastrophe car sans la confiance des peuples, l'Europe n'a pas d'avenir.

Pourquoi sommes-nous aussi opposés à votre texte en ce qui concerne l'électricité ? Parce que vous y avez introduit des dispositions qui vont modifier ce marché bien plus que celui du gaz. Rien ne vous obligeait à l'ouvrir au-delà d'un tiers : pourtant vous anticipez sur les directives européennes en doublant cette proportion. Comment l'expliquer autrement que par votre hâte à créer les conditions d'une privatisation dont tout le monde parle, mais que personne ne veut avouer ?

La comparaison avec l'expérience d'autres pays est instructive. La France est un cas particulier : la cohésion d'EDF fait sa force. L'Allemagne, elle, a réclamé et obtenu une libéralisation de son marché : est-il pour autant ouvert à la concurrence étrangère ? Non, car les opérateurs, qui sont souvent des collectivités territoriales, veulent conserver la maîtrise des entreprises de production et de distribution et les concurrents étrangers n'ont pas accès à des appels d'offres plus apparents que réels. L'Etat fédéral a des difficultés à définir une politique énergétique et son action se limite à légiférer sur la durée de fonctionnement des centrales nucléaires et à subventionner les charbonnages. Dans ces conditions, on peut se demander comment l'Allemagne va pouvoir réduire l'effet de serre...

La Grande-Bretagne est l'exemple même de l'échec des théories libérales. Leon Brittan, le commissaire britannique qui a, le premier, voulu libéraliser le marché de l'énergie, aurait mieux fait de réfléchir aux difficultés spectaculaires des secteurs privatisés dans son propre pays. Les libéraux n'aiment pas qu'on leur rappelle le naufrage de la privatisation de British Railways : trains en retard et qui déraillent, déficit considérable, plan de sauvetage pour transformer l'opérateur Rail Track en société à but non lucratif... Ces derniers temps, c'est British Energy, compagnie privée d'énergie nucléaire, qui illustre l'échec du modèle libéral : le Gouvernement britannique a dû la renflouer de 1,5 milliard d'euros !

Comme l'indiquait Le Monde du 30 novembre, ce dernier cas souligne le fiasco des dernières privatisations de l'ère Thatcher-Major et il est aussi le contrecoup du processus de libéralisation du marché engagé par le gouvernement Blair. La guerre des prix que se livrent les producteurs se traduit par des difficultés pour tous.

Regardons maintenant de l'autre côté de l'Atlantique, le cas du Québec et celui des Etats-Unis.

M. Jean Dionis du Séjour - Et la Russie ?

M. Christian Bataille - Hydro-Québec offre le parfait exemple d'une entreprise publique qui fonctionne bien, offrant à ses 4 millions de clients une électricité abondante à un prix raisonnable. Elle effectue des investissements à long terme. Aucun gouvernement ne courrait le risque de la privatiser.

Aux Etats-Unis, on a trop peu relevé les problèmes créés par la privatisation des entreprises d'électricité : recherchant un profit à court terme, celles-ci n'ont pas modernisé leur système de production et elles ont conduit une compétition dangereuse aboutissant, dans certains Etats, à des pannes d'électricité ou au rationnement de la consommation. En Californie, le courant électrique est ainsi devenu une denrée rare et chère, les compagnies ayant voulu diminuer l'offre pour faire monter les prix. Et on ne peut manquer d'évoquer la faillite d'Enron, le licenciement de ses salariés et la ruine des retraités qui avaient investi dans les fonds de pension : ces fonds de pension sont un errement que la France et EDF doivent éviter.

Ces exemples invitent à la réflexion. Pourquoi abandonner un système qui marche pour lui substituer un système qui n'a pas fonctionné dans d'autres pays ?

Si la France veut rester un grand pays, elle doit veiller à l'indépendance de ses approvisionnements et donc continuer à privilégier les investissements à long terme : nous bénéficions aujourd'hui des investissements réalisés il y a plus de 50 ans pour l'hydroélectricité et depuis 30 ans pour l'électricité nucléaire. La recherche du profit immédiat, l'aventure libérale conduiraient à un changement complet de politique. Notre pays devrait alors s'approvisionner sur les marchés internationaux en énergies primaires polluantes. Le renouvellement du parc de centrales nucléaires suppose des investissements à long terme que l'Etat peut seul mener. Actuellement aucun approvisionnement hors de l'Union européenne ne peut être considéré comme sûr.

Notre pays couvre lui-même la moitié de ses besoins en énergie, il faut au moins maintenir cette proportion. A quoi bon investir des sommes considérables dans la politique de défense si, dans le même temps, on renonce à une indépendance énergétique tout aussi vitale pour notre pays ?

Ce texte de loi heurte plusieurs principes de valeur constitutionnelle. Le premier c'est l'indépendance nationale. Il y a plus de seize ans que le Conseil constitutionnel a, à propos de la loi autorisant le Gouvernement à privatiser par simple ordonnance, fait de son respect un impératif incontournable et un préalable à tout transfert de propriété du secteur public vers le secteur privé. Or on peut s'inquiéter des risques que fait peser ce projet sur le respect de l'indépendance nationale en matière énergétique : la libéralisation du marché de l'énergie paraît difficilement compatible avec la sécurité d'approvisionnement, donc avec la continuité du service public.

Par ailleurs, le Conseil a, à plusieurs reprises, souligné que l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme, qui consacre le droit de propriété, ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à titre égal, la propriété de l'Etat et des autres personnes publiques. Ceci empêche le Gouvernement et le Parlement de dilapider le bien public et le service public pour des intérêts à court terme. On pourrait même considérer qu'une atteinte à la propriété publique n'est imaginable, comme pour la propriété privée, que pour des motifs d'intérêt général. Tel n'est pas du tout le cas !

Il faut enfin souligner toute la portée du neuvième alinéa du préambule de 1946 pour le secteur de l'énergie : « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Cet alinéa était justifié par la nécessité de l'indépendance nationale et par la volonté d'empêcher la domination des trusts sur la vie économique et sociale. Il a justifié, a posteriori, la nationalisation de l'électricité et du gaz. Cependant, la loi du 8 avril 1946, comme l'a souligné Paul Ramadier, rapporteur du projet...

M. Jean Dionis du Séjour - Ça nous rajeunit !

M. Christian Bataille - ...n'avait pas pour objet de tout nationaliser mais seulement ce qui était nécessaire au fonctionnement du service public.

Cette approche aboutit à la prise en charge par les services publics des grandes fonctions collectives. Il s'agit d'un élément fondamental à la fois pour le développement économique du pays mais aussi pour le renforcement du lien social, gage de cohésion, de solidarité et d'égalité. Toutes ces notions vont à l'opposé de la recherche du profit à court terme chère aux tenants du libéralisme.

J'ai cherché à vous montrer en quoi ce projet conduit, de manière inévitable, à la privatisation des services publics. Pour toutes ces raisons, je vous demande de voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme la Ministre déléguée - De toute évidence, nous ne lisons pas le texte avec les mêmes lunettes. Le prisme déformant des vôtres vous conduit même à me reprocher de consacrer un chapitre à la défense du service public...

Votre plaidoyer contre la libéralisation est archaïque. Heureusement, vos convictions ne sont pas partagées : « les ambitions de ce projet sont fortes. Il s'agit tout d'abord d'introduire, de façon contrôlée et progressive, une concurrence dans le système gazier français, qui sera utile à sa dynamisation et permettra aux opérateurs nationaux de participer au marché intérieur européen ». Ce n'est pas moi qui parle mais Christian Pierret (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), secrétaire d'Etat à l'industrie du gouvernement socialiste, le 29 mars 2001, devant le Sénat où il tentait de faire passer un projet de transposition que vous avez contribué à bloquer.

Les débats montreront que l'Etat conserve bien la maîtrise de la politique énergétique, dans le domaine de l'électricité grâce aux mécanismes de la loi de 2000, pour le gaz, avec la procédure d'autorisation que nous instituons.

La péréquation tarifaire n'est nullement remise en cause, au contraire : pour la première fois, elle sera inscrite dans la loi. Le caractère intégré des entreprises n'est entamé ni par ce texte, ni par les directives européennes. L'accès des tiers au stockage de gaz n'est pas prévu.

Pour toutes ces raisons, je considère que ce projet marque un juste équilibre entre concurrence et service public. Aucun de vos arguments n'est fondé ni ne constitue une cause d'irrecevabilité.

La détermination de votre gouvernement sera totale. Si la représentation nationale approuve ce projet, nous conduirons résolument notre pays sur la voie du dynamisme économique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Claude Lenoir - Je tiens tout d'abord à faire part de l'émotion de l'Assemblée à l'annonce de l'échec du lancement d'Ariane V. Notre sympathie et notre confiance vont ce soir au personnel des organismes et de l'industrie spatiaux.

J'en viens à cette exception d'irrecevabilité par laquelle M. Bataille s'oppose - quel paradoxe ! - à la transposition d'une directive signée par le précédent gouvernement. Car c'est à l'UMP et à l'UDF qu'il revient désormais de faire ce que la majorité précédente n'a pas pu ou pas voulu faire...

M. Jean-Louis Idiart - Ce n'est pas la même transposition !

M. Jean-Claude Lenoir - ...à propos d'une directive adoptée il y a quatre ans et pour laquelle un projet avait déjà été déposé en mai 2000. On se demande donc pourquoi M. Bataille pare de tant de défauts la démarche courageuse du gouvernement Raffarin.

En fait, il aime plaider un jour dans un sens et le lendemain dans un autre, avec les mêmes arguments : c'est un parfait sophiste !

Ne s'attachant que dans sa conclusion à tenter de prouver l'inconstitutionnalité du projet, il a consacré plus d'une heure à parler du gaz - un peu - et de l'électricité - beaucoup. Je comprends d'ailleurs mal comment il peut fustiger la directive gaz après avoir accepté que l'on transpose la directive électricité...

M. Pierre Ducout - C'est une autre transposition !

M. Jean-Claude Lenoir - Il suffirait de reprendre les déclarations des membres du gouvernement et de la majorité précédents pour trouver motif à rejeter cette motion... Mais je ne résiste pas au plaisir de citer M. Bataille lui-même, le 24 avril 2001 : « C'est parce que, dans un passé récent, on n'a pas examiné la directive gaz qu'il faut aujourd'hui faire face aux effets de ce refus. Il ne faudrait pas que l'industrie française en soit pénalisée ».

C'est hélas déjà le cas à cause des retards que vous avez accumulés. N'y ajoutons pas des man_uvres de retardement. Repoussons cette exception d'irrecevabilité ; regardons avec confiance l'avenir d'un service public réaffirmé car modernisé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Daniel Paul - Les communistes ne sont pas des défenseurs aveugles des entreprises et des services publics : ils voient leurs insuffisances. Comment ne pas s'étonner, par exemple, que la rentabilité de GDF soit assurée par ses clients domestiques et non par les entreprises ?

M. Pierre Ducout - Dumping !

M. Daniel Paul - Mais ce n'est pas une raison pour liquider l'entreprise, bien au contraire ! Il faut penser aux enjeux de la sécurité de l'approvisionnement et des installations, toutes classées Seveso. Les 30 000 kilomètres de canalisation sous nos routes, nos voies de chemin de fer, sont des lieux dangereux. L'accident mortel qui a eu lieu ces derniers jours à Toulouse a été provoqué par l'insuffisance d'entretien d'une canalisation qui conduisait à un faible nombre de clients... Comment la recherche de la rentabilité financière inciterait-elle les entreprises auxquelles vous voulez ouvrir le marché à investir dans le stockage, les contrats à long terme ou l'entretien des réseaux ?

Peut-être soucieux d'être les bons élèves de l'Europe, vous allez même au-delà de la directive, en intégrant dans ce texte des amendements à la loi électricité, afin d'en retirer ce que les députés communistes avaient contribué à y introduire. Comme pour la loi de modernisation sociale ou les 35 heures, vous ne cassez pas tout, mais suffisamment pour qu'on ne voit plus le sens de l'ensemble.

Hier, les députés communistes avaient réclamé un grand débat national sur la directive. On ne remet pas en cause une entreprise comme GDF sans consulter ses agents et l'ensemble des Français, et sans faire le bilan des dégâts causés par le libéralisme dans d'autres secteurs et d'autres pays. Parce que nos refusons le bradage de nos entreprises publiques, nous voterons l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean Dionis du Séjour - Le groupe UDF est particulièrement attaché à la construction européenne. Pour lui, c'est le non-respect des traités européens qui est inconstitutionnel. La gauche plurielle, pour des raisons d'équilibre interne, a fait de la France le mauvais élève de l'Europe. Notre pays l'a payé très cher, diplomatiquement et économiquement. Il est temps de respecter notre parole. Mon groupe votera donc contre l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean Gaubert - Permettez-moi tout d'abord d'associer le groupe socialiste à l'hommage rendu par notre collègue Lenoir à nos chercheurs et techniciens, terriblement déçus par l'échec du lancement d'Ariane, mais qui doivent être assurés de notre admiration et de notre soutien.

Christian Bataille a souligné le caractère inconstitutionnel d'un acte qui dessaisît l'Etat de ses prérogatives, qu'il s'agisse de la garantie de l'approvisionnement, de la péréquation ou de la régulation. C'est peut-être parce que notre pays faisait tout cela avec succès qu'il est devenu le mauvais élève aux yeux des eurocrates libéraux. Sous prétexte de concurrence, on va organiser la pénurie. Personne n'était opposé à la transposition de la directive, mais la différence, c'est que nous voulons la réaliser a minima, alors que vous, vous voulez vous montrer zélés.

On a traité M. Bataille de sophiste. Et s'il était tout simplement un sage ? C'est à cette sagesse que j'appelle l'Assemblée, en l'invitant, à l'instar du groupe socialiste, à voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à une prochaine séance.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 12 décembre, à 9 heures.

La séance est levée à 0 heure 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2002

A NEUF HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de loi (n° 317) de M. Yves BUR et plusieurs de ses collègues visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence gratuite ou de pornographie.

M. Yves BUR, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

(Rapport n° 401)

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n° 326), relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie.

M. François-Michel GONNOT, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

(Rapport n° 400)

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


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