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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 38ème jour de séance, 101ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 12 DÉCEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      MARCHÉS ÉNERGÉTIQUES (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 28

La séance est ouverte à quinze heures.

MARCHÉS ÉNERGÉTIQUES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi adopté par le Sénat, après déclaration d'urgence, relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Marie-George Buffet - « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la nation ». Gaz de France n'échappe pas à ce principe inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, dans la mesure où il répond aux besoins essentiels de nos concitoyens. Or, la directive européenne que vous nous proposez de transposer menace le marché du gaz, aujourd'hui sur la sellette après les télécoms, et en attendant la Poste.

La logique libérale de Bruxelles ouvre les portes à la loi du profit, dans une offensive brutale contre les services publics et le bien commun. Or, nous avons besoin d'un service public renouvelé, citoyen, étendu pour répondre aux défis économiques et sociaux de notre temps. L'ouverture du marché est un nouveau coup porté à la solidarité nationale.

Il ne suffira pas de plaider la confiance, selon l'habitude de la nouvelle majorité. Si vous sembliez avoir entendu les inquiétudes exprimées par les salariés d'EDF-GDF le 3 octobre dernier, vos actes ne suivent pas. Aux salariés attachés à leur statut et à leur mission de service public, vous répondez marché et concurrence. Vos appels à la confiance manquent de crédit, et l'heure serait plutôt à la méfiance.

La transcription en droit français de la directive de 1998 concerne les règles communes pour le marché intérieur du gaz, que vous étendez à l'ensemble des marchés énergétiques. Vous reculez ainsi sur l'électricité et accélérez la privatisation de Gaz de France pour l'obliger à adopter les normes sociales et économiques de ses hypothétiques concurrents. Mu par un dogme libéral, votre Gouvernement supporte mal que la France soit seule à disposer en Europe d'un secteur public fort.

Garants de l'égalité de traitement des usagers, les services publics, et en particulier EDF et GDF, ont participé à l'aménagement du territoire et à la structuration des droits sociaux en France. Nos concitoyens en sont conscients et leur restent profondément attachés. A ce bilan s'ajoute la particulière efficacité d'EDF-GDF, notamment face à des crises graves telles que la tempête de 1999 ou les récentes inondations. Pourquoi alors livrer ce service public efficace à la concurrence, quand on sait où cela a mené les télécoms ? Votre politique démantèle les structures sociales et paralyse la gestion de nos ressources.

Cette ouverture, dans votre esprit et celui de Bruxelles, sera le premier pas vers la privatisation, qui signifiera une hausse des tarifs pour les particuliers et une baisse pour les grandes entreprises, comme de nombreux exemples, en France et à l'étranger, le laissent prévoir.

M. François-Michel Gonnot, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Et le téléphone ?

Mme Marie-George Buffet - Ainsi, la privatisation de l'électricité en Californie a alourdi la facture de 27 %, et la privatisation de la poste en Suède a entraîné une hausse de 60 % du tarif postal de base. En France même, le prix de l'eau a augmenté de 60 % en dix ans, et les inégalités sont très grandes - de 0,25 à 6 euros le mètre cube.

La privatisation des services publics, c'est bien l'accroissement des inégalités. Alors, vous répondez qu'il restera toujours un tarif préférentiel pour les plus démunis, comme aux Etats-Unis. Piètre exemple ! La revue économique de l'OCDE elle-même dénonce les effets de la privatisation : hausse des prix à court terme, essentiellement au détriment des ménages.

A l'inverse, les profits des actionnaires grossiront et l'émulation tirera vers le bas toutes les normes sociales, écologiques, sanitaires et industrielles. Votre liberté se paye cher, et elle n'a de liberté que le nom. Ne voyez-vous pas que la privatisation du rail anglais a conduit à des retards, à des augmentations de tarifs, à l'insécurité ? Quant à France Télécom, hier florissante, elle est aujourd'hui endettée à hauteur de 75 milliards d'euros, soit le double du déficit de l'Etat.

La Bourse ne se préoccupe que du rendement à court terme, et ignore tout de la solidarité, de l'égalité, du service public ou du développement durable, ce dont ont justement besoin les services publics. L'ouverture du marché est une régression sociale pour les salariés de ces entreprises.

Et que dire de la sécurité des installations ? Pour assurer la régularité et la permanence de l'approvisionnement, GDF tient compte de données climatiques, de l'approvisionnement, du développement des ventes. La conjoncture économique, les besoins en énergie et la concurrence des autres sources d'énergie peuvent exiger des modifications sur les ouvrages du réseau de distribution. Le stockage et le transport des produits gaziers doivent être intégrés dans une politique à long terme. Les relations avec les pays exportateurs nécessitent de planifier des investissements, et de prévoir une autonomie de consommation de plusieurs mois. Après 2015, au vu de la croissance, nous devrons diversifier nos fournisseurs, et il paraît bien risqué de confier ces investissements stratégiques à des entreprises privées. Au regard du seul principe de précaution, votre texte est discutable, tant il s'exonère des simples mesures de sécurité qui doivent entourer un tel marché.

Nous ne pouvons admettre que vous envisagiez un tel recul. Vous faites fi des principes de notre Constitution, et en particulier le Préambule de 1946, selon lequel toute entreprise dont l'exploitation a le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la nation. Nous savions bien qu'en ratifiant le traité de Maastricht, la France rayait d'un trait de plume ce principe constitutionnel. Son article 4 prévoit en effet que la politique économique est conduite conformément aux principes d'une économie de marché ouverte, où la concurrence est libre. Je vous demande toutefois de vous opposer à ce projet de loi parce qu'il porte atteinte au principe de souveraineté nationale.

Le dogmatisme libéral inspire toutes les décisions du conseil des ministres des Quinze. Cette Europe qui n'a de cesse, depuis sa création, de faire place à la main du marché nous entraîne dans la régression sociale. Les populations auraient besoin qu'elle s'inspire du meilleur de la législation sociale de chaque pays, qu'elle ait pour modèle le mieux-être et le mieux-vivre de ses salariés. C'est un tout autre projet qu'elle poursuit actuellement, avec pour seul objectif de rogner les acquis, de choisir les plus petits dénominateurs communs sociaux, d'offrir des cadeaux aux marchés, au patronat et aux actionnaires.

Votre Europe manque de souffle et de générosité. Comment voulez-vous que sa population y adhère ? Mais il est impossible de la reconstruire sans changer complètement les traités qui nous unissent. Maastricht, Amsterdam et Barcelone sont des carcans dont les peuples d'Europe doivent s'extraire. L'élargissement doit être l'occasion de ratifier un nouveau traité, porteur d'un projet audacieux : celui d'une Europe du progrès et de la justice.

Dans cet esprit, les services publics doivent être reconnus au niveau européen. Il est des combats qui valent la peine. Qui aurait parié, il y a quelques années, que la France ferait de l'exception culturelle une règle communautaire ? Il est essentiel de faire la même chose pour les services publics, et notamment pour ceux de l'énergie. Celle-ci n'est en effet pas une marchandise comme les autres. De même que l'eau, elle est vitale. L'Etat ne peut se désengager d'un domaine qui conditionne le bien-être et la sécurité de sa population, ainsi que sa propre indépendance.

Le gaz n'est pas une énergie inépuisable. Nous n'avons pas le droit, vis à vis des générations futures, de le gaspiller. Les contrats que la France passe avec ses fournisseurs ont aussi des incidences en termes de développement durable et de protection de l'environnement. Derrière ces contrats, il y a des nations, des hommes et des femmes pour lesquels le gaz est une ressource naturelle. Ce bien commun à tous les habitants de la planète ne peut être soumis aux aléas boursiers.

On peut faire la guerre, aujourd'hui, pour du pétrole. Il est temps de travailler à une gestion coordonnée, économe et juste de ces biens communs de l'humanité. La régulation internationale de la production et de la distribution d'énergie permettrait d'assurer l'égalité entre ceux qui produisent et ceux qui consomment, alors qu'actuellement certains n'ont pas accès à l'électricité ni au gaz, quand bien même ils ont des gisements dans leur sous-sol. Allons-nous vers une planète solidaire, ou vers un monde où tout se monnaye ?

Madame la ministre, le groupe communiste est décidé à exprimer le choix de la solidarité. Ne nous faites pas croire que votre texte est purement technique. Il porte en lui la logique du libéralisme. Vous voulez déléguer des choix politiques au marché, déposséder le peuple de sa capacité de choisir et ne jouer au mieux qu'un rôle d'arbitre. C'est une vision dépourvue de perspectives et d'audace. La mondialisation capitaliste a déjà bien trop de poids dans les affaires du monde. Elle n'a que trop les mains libres. N'entendez-vous donc pas les citoyens, qui veulent avoir leur mot à dire sur le développement de la planète ? « Laisser-faire » est votre seule réponse, qui ne satisfait personne. Il faut inventer une autre mondialisation, dans laquelle les services publics ont une place importante à prendre. Les biens communs de l'humanité ne doivent pas être exploités au profit de quelques uns, mais revenir à tous.

Parce que votre projet remet en cause l'indépendance énergétique de notre pays ; parce qu'il ouvre une brèche dans le principe d'égalité des citoyens et des territoires ; parce qu'il ne comporte aucune garantie en matière de sécurité industrielle ; parce qu'il fragilise la situation du personnel d'une grande entreprise publique ; parce qu'il risque d'être coûteux pour la collectivité ; parce que la fusion d'EDF et de GDF remplacerait avantageusement la libéralisation du marché ; parce que cette directive remet en cause un principe de notre Constitution ; nous vous demandons de renégocier avec nos partenaires européens.

Mais je crains que votre politique n'ait d'autre ambition que de remettre les clefs des locaux au MEDEF et de laisser les impératifs du marché et la recherche du profit dicter leurs décisions aux citoyens. L'ouverture du marché du gaz pose la question de l'égalité entre les territoires, mais la solidarité nationale importe peu dans votre logique, pas plus que l'égal accès à des services élémentaires. Nous avons trop conscience de nos responsabilités à l'égard de notre pays et de ses salariés pour ne pas les alerter sur la dangerosité de votre projet. Nous nous y opposons donc et demandons à nos collègues de soutenir cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Non, Madame Buffet, l'ouverture du marché n'est pas un mauvais coup. C'est aujourd'hui une condition essentielle du dynamisme de nos entreprises. La période où EDF a préparé l'ouverture à la concurrence a d'ailleurs vu les prix pour les consommateurs baisser.

Non, nous n'avons pas non plus porté atteinte à la notion française de service public. Au contraire, nous en avons assuré la promotion auprès de nos partenaires européens et cette notion est aujourd'hui garantie dans les textes communautaires !

Enfin, il est vrai que nous avons entendu les salariés d'EDF et de GDF. Nous avons également pu leur assurer que leur statut ne serait pas modifié, pas plus que leur régime de retraite, et nous en avons fait la démonstration. Je pense donc que cette question préalable n'est pas justifiée.

M. Jean Launay - Mme Buffet a développé plusieurs arguments de poids. Nous avons été particulièrement sensibles à ce qu'elle a dit des biens qui doivent rester la propriété de la nation, ou de la société à plusieurs vitesses que l'ouverture risque d'entraîner. Il faudra également garder en mémoire ses arguments sur la sécurité des installations et la stabilité des approvisionnements. Ils feront date, car les aléas politiques qui pourraient secouer les pays fournisseurs soulèvent des inquiétudes.

Mme Buffet a rappelé combien l'énergie était vitale et a souligné qu'elle n'était pas inépuisable. Nous savons que le développement durable n'est pas compatible avec les aléas boursiers. Enfin, il est nécessaire de faire entendre la voix de la solidarité. Le dogme du laisser-faire ne peut nous satisfaire.

Mme Buffet a raison de dénoncer une remise des clefs au MEDEF, et l'adhésion de votre gouvernement aux thèses de la Fondation Concorde paraît évidente. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s'associera à la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean Dionis du Séjour - Une question préalable tend à prouver qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Or de toute évidence il le faut, d'abord pour respecter le droit européen. Mais il y a aussi une véritable question politique : celle de la différence entre l'ouverture à la concurrence telle qu'elle est prévue dans le projet européen, et le service public à la française. Parlons-en ! C'est un des débats majeurs de notre époque ! Nous nous opposons donc à cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Jean-Claude Lenoir - Le groupe UMP a peu à ajouter aux propos de la ministre, mais je ne peux me priver d'un petit plaisir. Il s'agit aujourd'hui pour nous de faire le travail que la gauche n'a pas voulu accomplir lorsqu'elle était au pouvoir. La directive remonte au 22 juin 1998. Le gouvernement Jospin a déposé un projet de loi en mai 2000, mais vous n'avez pas été capables de le soumettre au Parlement en plus de deux ans ! Le travail a donc pris beaucoup de retard, et pourtant vous ne regardez pas à multiplier les man_uvres dilatoires. Qui peut y comprendre quelque chose ?

Hier, j'ai dit à M. Bataille qu'il était un sophiste...

M. Christian Bataille - Je vous répondrai !

M. Jean-Claude Lenoir - Mme Buffet, elle se montre constante - et c'est un compliment. Depuis toujours, le groupe communiste s'oppose à cette transposition. C'est même lui qui a empêché le gouvernement précédent de nous soumettre le projet de loi. Le ministre de l'industrie, Christian Pierret, reconnaissait qu'il n'y avait pas de majorité pour cette loi dans l'hémicycle. Comme nous lui offrions nos voix, il a demandé à réfléchir... (Sourires)

M. Fabius, lui, s'est montré plus franc en disant qu'il n'y avait plus de majorité dans la majorité plurielle. Quel sinistre présage, en 2001 !

M. Christian Bataille - La même chose va vous arriver !

M. Jean-Claude Lenoir - Mme Buffet nous demande aujourd'hui de ne pas délibérer. Redevenue parlementaire, elle a recouvré sa liberté de parole, et peut dire enfin tout haut ce qu'elle pensait hier tout bas. Il est amusant de voir aujourd'hui le groupe socialiste et le groupe communiste essayer de se retrouver sur la même ligne, alors que la majorité plurielle était hier si divisée que cela l'a conduite à la déroute électorale. Tout cela n'est pas sérieux. Ce Gouvernement demande à la majorité de prendre ses responsabilités, et celle-ci le fera bien volontiers. Le groupe UMP s'opposera, bien sûr, à la question préalable.

M. Daniel Paul - L'ouverture à la concurrence des marchés de l'énergie puis l'ouverture du capital des entreprises publiques concernées est pour vous une question de dogme.

M. Jean-Claude Lenoir - C'est le gouvernement précédent qui a signé la directive !

M. Daniel Paul - Vous refusez obstinément de tirer les leçons des expériences, pourtant catastrophiques, de pays voisins ou plus éloignés. Mme la ministre invoquait même ce qui s'est passé en Californie pour prétendre mieux combattre un tel risque dans notre pays ! Une fois admise la logique libérale, il n'est pas facile d'empêcher le déferlement de cette vague. Mais vous êtes allée au-devant même des souhaits des ultra-libéraux en acceptant par avance l'ouverture totale du marché du gaz en 2007 - dès lors, le bilan préalable promis en 2006 n'est qu'un paravent. Pour vous, les dés sont jetés, au mépris des caractéristiques mêmes du gaz, produit énergétique particulièrement dangereux à manipuler, et du marché gazier, la France étant totalement dépendante d'importations lointaines à partir de régions du monde où les turbulences ne sont pas rares. C'est par pure idéologie que vous ouvrez cette boîte de Pandore, vous apprêtant à brader le service public du gaz et la belle entreprise publique qu'est GDF. Nous voterons bien entendu la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Pierre Ducout - Ce projet de loi a théoriquement pour objet de transposer en droit français la directive communautaire de 1998 relative au marché intérieur du gaz. Mais la transposition proposée est ultra-libérale. Elle remet en question les acquis obtenus depuis 1946 avec la nationalisation du gaz et la création de GDF, dont le personnel n'a cessé depuis cinquante ans d'_uvrer pour améliorer la qualité du service public du gaz ainsi que pour la sécurité énergétique du pays. Elle prépare en réalité l'ouverture complète du marché du gaz et la privatisation totale de GDF. Ce n'est pas le rajout par le Sénat, dans l'intitulé du projet de loi, de l'expression « service public de l'énergie », qui y changera quoi que ce soit.

Après avoir rappelé le contexte puis l'action du gouvernement de la gauche plurielle pour défendre le service public de l'énergie et les intérêts de notre pays, je présenterai plus en détail les amendements constructifs du groupe socialiste en vue d'améliorer encore le service public - desserte du territoire, péréquation tarifaire, sécurité et sûreté, développement durable et respect de l'environnement -, de conforter la mission de contrôle des collectivités concédantes, de mieux assurer le suivi de l'application de la directive dans tous les pays européens.

Quel est le contexte ? La libéralisation débridée des marchés de l'énergie s'est soldée par des échecs cinglants, dont le scandale Enron est la meilleure illustration. Le plus grand Etat du pays le plus riche du monde, la Californie, n'a pu garantir la fourniture d'électricité, qui est pourtant un bien de première nécessité. La quasi-faillite de British Energy en Grande-Bretagne, due, entre autres, au dumping meurtrier que se sont livrés les producteurs, en dit long également. Les enjeux énergétiques sont pourtant au c_ur de la stratégie des Etats-Unis, première puissance mondiale, qu'il s'agisse de ses relations avec la Russie ou avec les pays du Moyen-Orient, dont l'Irak.

L'augmentation des besoins énergétiques mondiaux, conjuguée aux inquiétudes croissantes de la population concernant l'énergie nucléaire, vont entraîner une consommation accrue de gaz dans le monde, et donc l'augmentation du prix de cette matière première. Or, l'Union européenne, engluée dans son élargissement, n'est pas près de se comporter en Europe-puissance, capable de négocier ses conditions d'approvisionnement en gaz - ou en pétrole d'ailleurs -, avec les pays exportateurs. Même si elles font des économies d'énergie et si on mise davantage sur les énergies renouvelables, sa dépendance énergétique risque de s'accroître, ce qui ne sera pas sans incidences sur ses relations économiques et géo-politiques avec la Russie et le Moyen-Orient. Il est regrettable à cet égard de n'avoir pas mieux exploité les propositions de M. Prodi, tant sur le concept d'Europe-puissance que sur les services publics, pour la défense et le développement desquels il proposait de laisser à chaque Etat une marge de man_uvre plus large.

Enfin, les marchés de capitaux ne sont pas les mieux à même d'assurer le long terme. L'Etat a été un mauvais actionnaire, mais moins mauvais qu'eux, pour préparer l'avenir et soutenir la recherche en particulier.

Qu'avait fait le gouvernement de la gauche plurielle ? Dans un contexte ultra-libéral, il avait réussi à faire prendre en compte le service public dans le considérant 12 de la directive de 1998 et à obtenir que l'ouverture à la concurrence soit limitée aux seuls clients éligibles, et pour un tiers seulement du marché en 2008 - ce qui laissait donc a contrario deux tiers du marché non libéralisés. Après la transposition a minima de la directive électricité, le Gouvernement avait préparé un projet de transposition de la directive gaz visant à moderniser le service public du gaz et à développer nos entreprises gazières. L'article premier de ce texte rappelait en particulier les principes d'une fourniture de qualité au moindre coût, d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, au bénéfice de tous les consommateurs de façon solidaire. Le texte insistait également sur les objectifs d'indépendance énergétique, de sécurité d'approvisionnement et de développement économique du pays.

Dans la mesure où, contrairement à beaucoup d'autres pays, la France avait déjà ouvert son marché pour les clients éligibles consommant plus de 25 millions de mètres cubes par an et par site à compter du 10 août 2000, elle n'avait pas intérêt à transposer la directive dans l'urgence.

Les négociations se poursuivaient et la France n'encourait pas d'amende. Les rétorsions de l'Espagne à l'encontre de GDF, alors que le marché gazier espagnol est en réalité moins ouvert que le marché français, ne prennent la non-transposition que comme prétexte. La France n'est pas le mouton noir de l'Europe, comme voudrait le faire croire le Gouvernement.

Le gouvernement de la gauche plurielle a réussi à obtenir deux acquis très importants au sommet de Barcelone : d'une part, le préalable d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général ; d'autre part, l'absence de toute date pour l'ouverture totale du marché de l'électricité et du gaz. Le Président de la République s'est réjoui alors avec le Premier ministre de l'adoption de ces deux points.

Qu'a fait le gouvernement de la droite depuis ? En reniant ce que le candidat Chirac présentait comme un succès de la politique française en mars 2002, il a décidé l'ouverture complète du marché du gaz en août 2007, sans réel préalable de directive-cadre sur les services d'intérêt général, puis l'ouverture à l'ensemble des clients éligibles en août 2004, soit quatre ans avant ce qui était prévu dans la directive, et cela sans garantie réelle d'un bilan objectif de l'ouverture aux industriels, non plus que de la réalité de l'ouverture dans tous les pays d'Europe.

Il est profondément regrettable que vous ne nous ayez pas adressé la totalité du projet de directive que vous avez approuvé le 25 novembre à Bruxelles. La transparence y aurait gagné.

On peut craindre que le Gouvernement ne prépare la privatisation complète de GDF, visant d'abord une recette financière, comme cela est ressorti de l'audition du président Gadonneix par la commission.

Renforcer le lien avec EDF, trouver des synergies avec Statoil ou Total Fina Elf ne peut être comparé avec la vente au groupe Suez. Cela me rappelle le bradage de Thomson Multimédia pour un franc symbolique proposé par le gouvernement Juppé en 1996 ou la vente aux enchères du Crédit Lyonnais.

Les cessions menées par le gouvernement Jospin dans le domaine de l'espace étaient d'une tout autre nature, puisqu'il s'agissait de constituer un champion européen. Permettez-moi à ce propos, moi qui ai présidé un groupe parlementaire sur l'espace, d'exprimer ma solidarité, après l'échec d'Ariane 5, à tous les Européens qui soutiennent l'Europe spatiale, et de dire néanmoins ma confiance en l'avenir.

La satisfaction exprimée par l'union professionnelle des industries privées du gaz souligne le caractère libéral de la transposition qui nous est proposée. D'ailleurs certains parlementaires de droite s'en inquiètent et demandent dans une proposition de résolution que l'unité des opérateurs nationaux d'électricité et du gaz soit conservée, que la richesse nationale que constituent les stockages gaziers souterrains soit préservée et qu'un bilan régulier des effets sur les consommateurs de la « démonopolisation » soit présenté. Ils rejoignent ainsi les positions que nous, socialistes, défendrons dans nos amendements.

Ces amendements visent en priorité à renforcer le service public du gaz. Nous pensons qu'il faut parler de « missions » de service public, et non d'« obligations ». Nous sommes sur ce point en opposition avec le rapporteur, M. Gonnot, pour qui l'ouverture à la concurrence apportera des gains de productivité qui profiteront d'abord aux consommateurs. C'est en fait rarement le cas, les oligopoles privés cherchant d'abord à satisfaire leurs actionnaires.

Nous insistons dans nos amendements sur le rôle que jouent les services publics en matière d'aménagement du territoire. Il faut assurer la présence en matériel et en personnel dans les zones rurales ainsi que dans les quartiers urbains sensibles, et poursuivre l'effort du précédent gouvernement en faveur de la desserte gazière de nouvelles communes. Celle-ci serait fortement compromise par une ouverture totale à la concurrence.

Nous demandons que l'ouverture n'aille pas plus loin que les seuils fixés par la directive et que les cogénérations bénéficiant des obligations d'achat par EDF ne soient pas rendues éligibles. Dans un souci de transparence, il faut d'ailleurs que le ministre publie la liste des clients éligibles.

Nos préoccupations concernant la sécurité et la sûreté seront exposées par M. Le Déaut, qui a beaucoup travaillé sur ces questions dans le cadre de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Il est indispensable d'assurer la transparence de la sécurité nucléaire, mais aussi la sûreté des installations intérieures de gaz. M. Gaubert défendra des amendements relatifs aux installations des particuliers et M. Habib, député de Lacq, traitera du stockage souterrain de Crétacé 4000.

Nos amendements visent aussi à renforcer la sécurité et la diversité de nos approvisionnements.

S'agissant des réseaux, nous pensons que l'existence d'une entreprise intégrée comme Gaz de France est le meilleur garant d'investissements préparant l'avenir. C'est d'ailleurs ce qu'elle fait depuis des années. Je salue aussi le travail réalisé par GSO dans son secteur.

A ce propos, je voudrais évoquer l'aberration qu'a constitué la mise en place de deux réseaux de fibres optiques de très haut débit, l'un de France Télécom, l'autre de Dreyfus Communication, réseaux qui se croisent sur plusieurs dizaines de kilomètres dans ma circonscription et qui font évidemment doublon, alors que beaucoup de secteurs de notre territoire ne sont pas du tout desservis.

Nous prenons acte des propositions constructives présentées par la commissaire européenne Mme de Palaccio en vue de réaliser des réseaux gaziers d'intérêt européen.

M. Bataille défendra des amendements fidèles à l'esprit de la transposition que nous voulions faire. Ils visent en particulier à mettre en avant les principes d'égalité et de solidarité. De son côté, M. Launay défendra des amendements renforçant les possibilités de contrôle des collectivités concédantes.

Dans cet esprit de solidarité et d'égalité, nous proposerons une péréquation totale des tarifs pour tous les consommateurs domestiques sur tout le territoire desservi.

Nous refusons le dessaisissement de notre Assemblée et le fait que beaucoup de points importants soient renvoyés à des décrets en Conseil d'Etat.

Vous l'avez compris, Madame la ministre, nous voulons rappeler l'excellence de l'action menée depuis plus de cinquante ans par l'entreprise publique Gaz de France, ainsi que la qualité et l'engagement de ses personnels, qui doivent conserver leur statut. Et nous disons que l'ouverture de son capital serait contraire à l'intérêt du pays. Nous plaidons pour un renforcement du service public du gaz et nous suivrons de près le sort réservé à nos amendements. En l'état, nous voterons contre la transposition que vous proposez, car elle est ultra-libérale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Dionis du Séjour - Rendons d'emblée hommage au Gouvernement qui, malgré l'urgence, a fait le choix de soumettre au Parlement la transposition de la première directive gaz. La voie des ordonnances était possible mais eût constitué un mauvais choix, compte tenu de l'importance du sujet.

Faut-il rappeler que cette directive de 1998 aurait dû être transposée avant le 10 août 2000 ? Mais les subtils équilibres de la gauche plurielle ont joué un rôle anesthésiant, de sorte que le dossier n'a pas du tout avancé. D'une manière générale, la gauche était très divisée sur tout ce qui se rapporte à l'énergie - rappelez-vous Superphénix - et il nous manque aujourd'hui M. Cochet ou M. Mamère, qui tiendraient sans doute un discours très différent de celui, entendu hier soir, de M. Bataille.

Quoi qu'il en soit, en ne transposant pas, la France faisait de nouveau figure de mauvais élève européen et s'exposait à une lourde astreinte à partir de janvier 2003.

L'ouverture du marché français du gaz est un impératif juridique, économique et stratégique. Le gaz naturel est, en effet, une ressource d'avenir : en 2020, il représentera un quart de la consommation d'énergie dans le monde. Son abondance, sa rentabilité, son haut pouvoir énergétique seront autant d'atouts pour la compétitivité de notre industrie et pour le bien être de nos concitoyens.

Du point de vue stratégique, l'exemple récent de l'attentat terroriste contre le Limburg montre que nous devons rester extrêmement vigilants sur la diversité de nos approvisionnements, car depuis le déclin de Lacq, la France importe plus de 97 % de sa consommation de gaz naturel, ce qui la rend extrêmement vulnérable aux fluctuations de la conjoncture mondiale. De ce fait, il est d'une importance capitale que notre pays se dote d'une capacité de stockage stratégique équivalente à celle de nos voisins italiens ou allemands.

L'ouverture du marché permettra à Gaz de France de nouer des alliances avec les leaders mondiaux de ce secteur économique et de s'implanter sur des marchés qui lui restaient jusqu'ici fermés. Le problème posé par la transposition est désormais bien connu : comment ouvrir à la concurrence européenne un marché national dominé par un opérateur historique en situation de monopole et assurant des missions de service public ? Et nous sommes tous à la recherche d'un nouveau modèle économique, évitant à la fois l'archaïsme du modèle socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et les excès du libéralisme. Cela devrait nous rendre tous très humbles...

Cette problématique, nous la connaissons déjà pour le secteur des télécommunications, de La Poste, de l'électricité, des transports ferroviaires. Nous avons donc une certaine expérience de ce qu'il faut faire et ne pas faire.

Fidèle à ses convictions à la fois libérales, sociales et européennes, le groupe UDF n'oppose pas concurrence et service public. Au contraire, nous défendons une approche ambitieuse permettant à la fois plus de concurrence et plus de service public.

Il n'est pas d'ouverture à la concurrence réussie sans une instance de régulation forte. C'est particulièrement vrai dans le domaine des réseaux, comme l'a montré la récente ouverture du marché des télécommunications. Faute de moyens, l'ART n'est toujours pas en mesure de jouer son rôle d'arbitre, en particulier vis-à-vis de l'opérateur historique France Télécom, si bien qu'on assiste à une guerre de position commerciale et juridique, qui explique l'échec actuel du dégroupage. De même, le marché de l'énergie ne deviendra pas véritablement commercial sans une autorité de régulation forte et indépendante. En élargissant au gaz les compétences de la CRE, par l'article 6, vous allez dans la bonne direction, mais trop timidement. Le marché ne peut pas se contenter d'une CRE-croupion. La CRE doit garantir l'accès équitable de tous les tiers au réseau, en ayant les moyens de prévenir les tentatives monopolistiques de l'opérateur historique.

Il faut faire la transparence sur la disponibilité des gazoducs, qui doivent devenir publics comme chez beaucoup de nos voisins européens. Enfin, la lourdeur des procédures d'accès au réseau est telle qu'elle décourage les clients éligibles de moindre importance. Seuls les clients éligibles consommant l'équivalent de quatre fois le seuil actuel ont changé de fournisseur. Aussi est-il à craindre que l'abaissement du seuil d'éligibilité ne soit qu'un coup d'épée dans l'eau.

Au total, nous souhaitons que dans un proche avenir la CRE dispose de pouvoirs renforcés. Elle devrait ainsi devenir l'instance décisionnaire en matière de tarifs, et également l'instance d'appel en cas de conflit entre l'opérateur historique, propriétaire du réseau, et un autre distributeur.

Dans la perspective d'un marché du gaz réellement concurrentiel, la décision du 25 novembre relative à la seconde directive gazière, qui évoque l'ouverture totale du marché pour 2007 et la séparation légale des activités de fourniture et de transport, est un signal fort à prendre en compte dès maintenant.

Or, votre projet s'arrête au milieu du gué sur bien des points. La séparation comptable des activités figurant à l'article 6 nous apparaît comme une demi-mesure, qui ne suffira pas à lever tous les obstacles de nature à entraver la libre concurrence dans le secteur gazier.

Aussi est-il nécessaire d'opérer, dans un premier temps, une véritable séparation managériale...

M. Pierre Ducout - Autrement dit un démantèlement !

M. Jean Dionis du Séjour - ... entre les activités de transport et de fourniture, comme pour EDF. C'est à nos yeux le seul moyen de jeter les bases d'un bon équilibre.

Nous avons besoin, en second lieu, de davantage de service public. Le gaz, en effet, n'est pas une marchandise ordinaire ; c'est un bien de première nécessité pour de nombreuses familles françaises. Aussi l'UDF veillera-t-elle à ce que le service public du gaz ne subisse pas de recul.

Or, en ce domaine, le projet se borne à des déclarations de principe, à l'article 11. Comme M. Ducout, nous le regrettons. Dépasser l'incantation, donner au service public un contenu précis, voilà qui est au c_ur du débat politique. Par exemple, si le gaz est une source de bien-être, il peut aussi devenir une menace dès lors que les impératifs de sécurité ne sont pas respectés - chaque année, des dizaines de personnes sont victimes d'explosion. Les sénateurs ont donc introduit des mesures visant à renforcer la sécurité. Mais qui paie ? En effet, si la sécurité n'a pas de prix, elle a un coût. Aussi souhaitons-nous que le secteur gazier soit doté par la loi d'un fonds analogue à celui qui finance les charges de service public dans le secteur de l'électricité.

Pour assurer son développement européen, GDF a besoin d'ouvrir son capital et de moderniser son système de retraites. Sait-on que sur 100 € de chiffre d'affaires, 54 sont consacrés aux retraites ? Cette situation est rédhibitoire dans un contexte concurrentiel. L'accord signé lundi marquera sur ce point une prise de conscience collective : le régime de retraites EDF-GDF doit être arrimé au droit commun.

Le Sénat a judicieusement toiletté la loi du 10 février 2000 relative au service public de l'électricité. Il était temps de mettre fin à une situation hypocrite, dans laquelle l'Etat fait financer par EDF les obligations de service public. Nous disposons désormais d'un texte précis sur le contenu du service public, et la discussion parlementaire permettra, j'en suis sûr, d'aboutir à un mode de financement de celui-ci qui soit juste et préserve la compétitivité de notre industrie.

On le voit, 2003 sera une année charnière pour nos deux entreprises nationales. Le pire consisterait à demeurer entre deux eaux. Si nous faisons sans naïveté, mais avec courage, le pari européen, tous les consommateurs français, mais aussi EDF et GDF, en profiteront (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Daniel Paul - Si plus de dix années de négociations furent nécessaires à l'adoption d'un premier texte législatif européen, c'est que la libéralisation du secteur de l'électricité et du gaz n'allait pas de soi. Dans la plupart des pays, l'énergie était considérée comme une industrie stratégique relevant du « monopole national » et nécessitant une « tutelle » politique forte. C'est aussi un secteur économiquement considérable. Ainsi, le chiffre d'affaires annuel de l'électricité dans les Etats membres est estimé à 150 milliards et celui du gaz naturel à 100 milliards. On comprend mieux les convoitises que ce marché suscite.

De plus, l'énergie représente une part significative des dépenses des usagers privés et des industries. Des prix compétitifs sont donc indispensables. Or, au premier semestre 2002, les comptes d'exploitation de GDF révèlent une absence de marge sur les clients éligibles, mais une marge de 30 % sur les petits et moyens consommateurs. C'est le premier effet concret de la libéralisation,.

Pourtant, depuis le début des années 1980, la vague libérale entraîne l'Europe dans son mouvement. Ainsi, l'Europe du gaz est en marche, comme le confirme la directive du 22 juin 1998, négociée par le Conseil des ministres des Quinze et approuvée, contre l'avis de mon groupe, au Parlement européen.

Déjà, dans un collectif budgétaire, le précédent gouvernement avait tenté d'introduire deux amendements sur l'organisation du transport du gaz. Les députés communistes, s'appuyant sur une forte mobilisation des agents concernés, avaient contribué à repousser cette transposition à la sauvette de la directive européenne en exigeant un véritable débat démocratique.

Aujourd'hui, le texte qui nous est soumis dans l'urgence, et qui a été aggravé par le Sénat, va bien au-delà des recommandations de la directive. Il s'agit d'un choix de société idéologique, dont la mise en _uvre s'articule sur un calendrier minutieusement préparé.

Vous avez annoncé un projet de loi d'orientation sur l'énergie, à l'issue d'un grand débat national en début d'année. Nous craignons qu'une nouvelle fois, il s'agisse d'une fausse concertation, comme pour la décentralisation. En effet, le 7 janvier prochain, lors du conseil supérieur de l'électricité et du gaz, sera présenté, sans information préalable, un plan pluriannuel d'investissement.

De même, le projet que nous examinons tend généralement à réduire les pouvoirs de contrôle et d'intervention du Gouvernement et de la représentation nationale au profit d'organismes bureaucratiques. La CRE en est une belle illustration.

En fait, le Gouvernement veut remettre en cause les services publics historiques et par conséquent le statut des agents, avant de porter atteinte à l'ensemble de nos acquis sociaux. Comment séparer votre loi sur le gaz de votre volonté de remettre en cause le régime de retraite des gaziers et électriciens, préalable à une refonte totale du système de retraites dans notre pays ? C'est parce qu'à vos yeux elle conditionne la suite des événements que vous êtes décidée à passer outre, tout en restant attentive aux protestations que provoque votre projet. Voilà pourquoi il nous faut résister à toute régression pour EDF-GDF.

Avec ce projet que vous avez rêvé un temps de faire adopter par voie d'ordonnance, vous voulez accélérer l'ouverture à la concurrence. Dans les sphères dirigeantes de GDF, on murmure que vous auriez déjà renoncé à combattre l'accès des tiers au stockage souterrain en échange d'une possibilité de choix entre un système de tarifs réglementés et un système de tarifs négociés. Je suis persuadé que vous nous éclairerez sur ce point.

M. Jean-Claude Lenoir - C'est déjà fait !

M. Daniel Paul - Votre gouvernement vient de se déclarer favorable à l'ouverture du marché du gaz et de l'électricité au cours du conseil européen consacré à l'examen de la deuxième directive sur l'énergie.

En réalité, vous voulez étendre aux autres types d'énergie le contenu régressif d'un projet qui pose le problème du contrôle de la nation en matière de politique énergétique. D'une manière cavalière - au sens parlementaire du terme - vous profitez de ce texte pour remettre en cause des avancées inscrites dans la loi de février 2000 sur l'électricité. Il est vrai que le retard pris dans la publication des décrets d'application rend votre tâche plus aisée, puisque cette remise en cause ne sera pas immédiatement lisible.

Le présent projet constitue la première étape de la privatisation envisagée d'EDF et GDF, alors qu'aucune règle juridique, sur le plan européen, n'oblige à placer nos services publics sous la coupe des actionnaires. Nous pensons que l'énergie n'est pas un bien de consommation à banaliser. La sécurité de l'approvisionnement de la France, la protection de l'environnement, la continuité de la fourniture sont en jeu. Jusqu'à aujourd'hui, elles faisaient l'objet d'une politique publique. Face à ces impératifs, votre projet de loi est volontairement flou. Les amendements déposés par les parlementaires communistes visent à faire respecter certaines exigences maltraitées par votre projet - l'indépendance nationale, la sûreté de l'installation et de la distribution du gaz, l'équité sociale, l'aménagement du territoire.

Face à ces objectifs, la logique de marché est myope. Plus le marché est concurrentiel, plus son degré de myopie augmente. La transformation du marché énergétique en marché boursier n'est pas une garantie d'efficacité. La régulation et la planification, en matière énergétique, relèvent du pragmatisme, non de l'utopie.

De tous les pays d'Europe, la France est dans la position la plus défavorable pour le gaz naturel. En 1999, 31 % de ses approvisionnements provenaient de la Norvège, 28 % de la Russie, 24 % d'Algérie, 12 % des Pays-Bas et 4 % seulement des ressources nationales.

Pendant des dizaines d'années, tous les gouvernements ont considéré que les contrats d'achat à long terme - « take or pay » - étaient les seuls moyens d'assurer les garanties d'approvisionnement de la France en gaz, grâce au monopole d'importation confié à GDF et à une programmation pluriannuelle des investissements pour les acheminements en gazoducs ou en navires méthaniers.

Ces contrats doivent rester la clé de voûte de nos approvisionnements. Ils garantissent les investissements nécessaires au développement de la production et à l'acheminement du gaz vers les lieux de consommation. Or, vous souhaitez les limiter de façon à laisser le champ libre au marché « spot » à court terme, qui fonctionne comme une bourse.

Votre logique vous conduit à sacrifier une entreprise publique au profit d'un marché financier dont l'objectif sera la rentabilité immédiate des capitaux.

L'Europe sera de plus en plus dépendante - on prévoit le doublement de sa consommation d'ici 2020 - et les réserves mondiales sont de plus en plus éloignées géographiquement - c'est dire quels sont les enjeux géopolitiques de ce secteur.

Dès lors, il faut créer les conditions pour garantir le transit à des prix accessibles pour tous les consommateurs. Au vu de l'importance de ces investissements, estimés à 200 milliards de dollars, et au vu de leur très longue durée d'amortissement, la loi du marché ne peut s'appliquer. L'alimentation en gaz de ces différents clients est soumise à des aléas de plusieurs types, et pour être en mesure d'assurer une continuité de fourniture, GDF a défini des scénarios « dimensionnants », correspondant à des conditions de climat ou d'approvisionnement extrêmes. Rien dans votre projet ne précise ces obligations de service public.

Quelle que soit la puissance des acteurs du libéralisme, on ne peut dépenser l'argent deux fois. Dans un contexte concurrentiel aggravé, l'argent investi dans sa stratégie internationale l'est au détriment des 5 000 communes qui ont demandé leur raccordement, ou au détriment de la sécurisation des installations de transport et de distribution.

De plus, avec la libéralisation du secteur de l'énergie, n'importe quel opérateur doit avoir accès au réseau de transport, en construire ou en exploiter de nouveaux. Or, le gaz est transporté en France à travers plus de 60 sites classés « Seveso », par plus de 4 000 bouches à très haute pression situées à proximité de zones d'habitation et par 38 000 km de canalisations très haute pression enfouies sous nos routes et sous nos voies de chemin de fer.

L'exploitation, la maintenance et l'entretien de ces installations nécessitent l'emploi de personnels qualifiés. Notre collègue Claude Billard avait insisté sur la nécessité de renforcer l'ensemble des normes de sécurité. L'accident survenu récemment à Toulouse rappelle la pertinence de nos préoccupations.

Toutes les procédures de construction et d'exploitation devraient être encadrées par des normes fixant les exigences en matière de sécurisation des réseaux de transport. Les obligations d'entretien et de maintenance comme l'exigence en matière d'effectifs et de qualification des personnels, devraient aussi figurer dans le cahier des charges des opérateurs. Rien, dans votre projet, ne prend en compte de telles préoccupations.

Dans le même esprit, les activités nécessaires à GDF, mais qui ne lui procurent pas d'avantages concurrentiels, sont aujourd'hui remises en cause. Le budget de la direction de la recherche ne cesse de baisser. Il ne représentait plus que 0,56 % du chiffre d'affaires du groupe GDF en 2001, mais le pire reste à venir puisque la direction annonce encore une baisse de 50 % d'ici 2004.

Force est de constater que, pour la recherche et le développement, l'ouverture du marché du gaz a des conséquences désastreuses. L'amélioration continue de l'efficacité énergétique, la réduction des pollutions, la découverte de nouvelles techniques devraient être pourtant des préoccupations permanentes du service public du gaz. Pour cela, la recherche doit être un élément central de l'action de Gaz de France, alors qu'elle est aujourd'hui soumise à des restrictions et que, demain, elle risque fort d'être encore plus compromise.

En fait, dans tous les domaines, votre projet et sa logique libérale s'articulent sur une volonté de liquider le service public et ses fondamentaux. Voilà pourquoi notre groupe le combattra résolument (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Lenoir - Ce débat aurait dû avoir lieu depuis plusieurs années. Nous assumons les responsabilités de l'ex-majorité qui n'avait pas accepté de soutenir l'action réformatrice du Gouvernement, lequel a finalement renoncé à faire valider à Paris ce qu'il avait accepté à Bruxelles.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Eh oui !

M. Jean-Claude Lenoir - Le secteur gazier est essentiel à notre politique énergétique. Nous vivons un moment charnière puisque nous nous apprêtons à donner à GDF les moyens d'affronter les années qui viennent par une réforme indispensable.

Le débat entre Paris et Bruxelles est déjà ancien. Pourtant, M. Jospin déclarait en 1997 : « Nous ne voulons pas de ce jeu de défausse qui a trop souvent consisté à se décharger sur l'Europe de tâches qui auraient dû être assumées dans le cadre national, nous ne voulons pas de ce jeu de défausse qui a consisté à imputer à l'Union européenne des défaillances qui procédaient souvent de nos propres insuffisances ». C'était porter d'avance un jugement cruel sur l'inaction de son gouvernement.

Les engagements contractés par la France en juin 1998 n'ont jamais été tenus bien que votre prédécesseur, Madame la ministre, ait déposé un projet de loi. Je le rappelle à l'opposition : il y avait bien un projet de loi de M. Pierret.

M. Pierre Ducout - Ce n'était pas le même !

M. Jean-Claude Lenoir - Relisez-le ! Vous y auriez trouvé des réponses aux questions que vous posez. Si l'opposition avait été conséquente, elle aurait pu reprendre ce projet sous forme d'amendements. On aurait pu comparer ! Et l'on aurait retrouvé les mesures que vous dénoncez.

M. Pierre Ducout - En aucune manière !

M. Jean-Claude Lenoir - Nous sommes aujourd'hui confrontés à un contentieux. Si nous ne faisons rien, GDF subira les foudres de la Cour de justice européenne.

M. Pierre Ducout - N'exagérez pas !

M. Jean-Claude Lenoir - La crédibilité de la France a été largement entamée auprès de nos partenaires...

M. Pierre Ducout - C'est vous qui le dites !

M. Jean-Claude Lenoir - Comment en sommes-nous arrivés là ? Vous invoquez la défense du service public, mais en vérité, Gaz de France se trouve dans une situation juridique et financière difficile. Aujourd'hui cloisonnée, entravée dans son développement vers des pays proches, notamment l'Espagne - c'est le contentieux Eurogaz -, GDF a donc perdu des clients, du fait de l'application immédiate de certaines dispositions de la directive de 1998. Mme la ministre a souligné avec raison, devant la commission des affaires économiques, que l'électricité et le gaz n'étaient pas des marchandises ordinaires. La France, très dépendante, ne produit que de 4 à 5 % du gaz qu'elle consomme, ce qui justifie pleinement son développement à l'étranger. A cette fin, le secteur gazier a besoin d'une stratégie claire et de perspectives européennes.

La directive acceptée par le précédent gouvernement ainsi que votre projet de loi laissent de larges marges de man_uvre et permettent surtout de concilier notre tradition du service public avec l'ouverture du marché.

Si la loi de 1946 avait nationalisé, dans un contexte particulier, le secteur gazier et électrique, la tradition du service public français demeure la concession et non la nationalisation.

M. Pierre Ducout - Non, les deux !

M. Jean-Claude Lenoir - D'ailleurs, dans les années 1960, les entreprises gazières et électriques ont été confrontées à de graves problèmes de financement de leurs équipements, l'Etat - c'est-à-dire les contribuables - n'étant pas tenu de répondre.

Nous avons devant nous une minorité rétrograde qui, faute d'arguments, entretient la confusion : remettre en cause un monopole ne revient pas à brader le service public !

M. Pierre Ducout - On verra en 2006 !

M. Jean-Claude Lenoir - Rappelons deux dispositions proposées par ce texte. Tout d'abord, l'éligibilité des consommateurs, accompagnée de l'abaissement progressif et maîtrisé des seuils - Gaz de France a d'ailleurs déjà appliqué en partie la directive...

M. Pierre Ducout - Absolument !

M. Jean-Claude Lenoir - ...mais, faute de courage, vous refusez de traduire en droit ce qu'elle a réalisé dans les faits.

M. Pierre Ducout - Pas du tout !

M. Jean-Claude Lenoir - Second élément : les obligations de service public. Nous devons aujourd'hui définir les missions de service public et veiller à leur respect.

Nous sommes aujourd'hui à l'heure du service universel, pour lequel la France a beaucoup fait, et notamment dans le cadre des travaux parlementaires. Il s'agit d'établir un cahier des charges et un régulateur chargé de veiller à son respect, et non plus de maintenir un monopole qui a perdu sa raison d'être.

Quelles sont ces obligations de service public ? Sûreté des installations, sécurité des personnes, continuité dans la fourniture, sécurité de l'approvisionnement, notamment au profit des plus démunis, protection des consommateurs, transparence des conditions commerciales.

Il est vrai que la sécurité de l'approvisionnement était plus simple à surveiller face à un seul opérateur - GDF. Aussi la commission de régulation de l'énergie a-t-elle prévu un dispositif de contrôle et les opérateurs seront amenés à déposer un plan prévisionnel d'approvisionnement.

Pour ce qui est de la transparence des conditions commerciales et de la nécessaire absence de discrimination, il est prévu un système de séparation comptable et un contrôle de celle-ci par la commission de régulation de l'énergie.

Quant à l'aménagement du territoire, les tarifs seront harmonisés. J'ai entendu un orateur de l'opposition demander la péréquation des tarifs du gaz. N'allez pas nous faire croire que vous en seriez capables si vous étiez au pouvoir, d'autant qu'il est prévu une uniformité des tarifs au sein des territoires de chaque opérateur du service public de l'électricité et du gaz. Les disparités régionales seront ainsi évitées, et le rôle des régions renforcé au travers des observatoires régionaux.

Si j'en avais le temps, je vous lirais les textes de MM. Fabius et Jospin, pour vous mettre face à vos contradictions. Ce débat aura été révélateur du clivage entre pragmatisme et archaïsme, modernité et idéologie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Cette idéologie, en vérité, puissiez-vous ne jamais vous en départir, elle vous préserve de votre retour au pouvoir... (Rires sur les bancs du groupe UMP)

Fort heureusement, aujourd'hui, le bon sens l'emporte. Nous n'aurons de cesse de soutenir le Gouvernement, ainsi que ces historiques opérateurs, GDF et EDF, à qui nous devons tant, qu'il s'agisse de la reconstruction de la France, ou de notre ouverture sur un siècle moderne.

M. Jean Gaubert - Certes, il fallait transcrire cette directive. Mais deux méthodes étaient possibles : la vôtre, excessivement zélée, ou la nôtre, a minima - comme nous l'avions fait pour l'électricité. Courant après le brevet du bon libéral, vous avez choisi d'en faire trop, pour ne pas risquer d'être critiqué en haut lieu. Il n'y aurait plus de nuage à Bruxelles ? Evidemment, si tout le monde y parle le même langage ! Une association qu'on approuve, on la qualifie de citoyenne. Celle qu'on réprouve, c'est un lobby. De la même façon, vous nous accusez de dogmatisme, simplement parce que nous ne concevons pas comme vous les intérêts de la France et des Français.

Regardons les faits. Les réseaux français sont reconnus économiquement fiables, très développés, et à des prix compétitifs.

La concurrence existe déjà entre les énergies, et il a été prouvé qu'elle n'était pas nécessaire à la satisfaction du client. Enfin, on sait allier le court terme - le prix et la quantité disponible - et le long terme - la sécurité de l'approvisionnement.

Sans revenir sur l'exemple de la Grande-Bretagne, véritable caricature, ni sur celui des Etats-Unis, où l'on abandonne la dérégulation - sauf au Texas, évidemment c'est le fief de M. Bush -, force est de constater que l'expérience des pays du nord de l'Europe n'est guère probante. La libéralisation en Norvège, depuis 1992, de la production d'énergie - gaz, pétrole, hydraulique - a entraîné dans un premier temps une baisse des prix, mais ceux-ci, en 2001, sont au niveau de 1992 actualisé. Surtout, la tension du marché de l'énergie est aujourd'hui telle que le ministre responsable appelle ses concitoyens à éteindre leurs lumières, à fermer les radiateurs dans les pièces inhabitées, à utiliser les réchauds, et incite les industries qui le peuvent à utiliser le fioul plutôt que l'électricité. Il évoque de surcroît un rationnement de l'électricité au cours de l'hiver.

Voilà ce que dix ans de système libéral ont fait de la Norvège et de ses ressources extraordinaires. La situation n'est pas meilleure en Finlande, où les producteurs viennent d'annoncer une augmentation des factures de 11 % au premier janvier 2003 et où la construction d'un nouveau réacteur nucléaire vient d'être décidée en urgence. L'approvisionnement en énergie ne peut pas être laissé au libre arbitre du marché.

Le production d'énergie peut être divisée en deux catégories. La première nécessite des investissements importants et des consommables à faible prix : il s'agit du nucléaire, de l'hydraulique, du vent et du soleil. La seconde a besoin d'investissements moins élevés, mais de consommables coûteux : elle concerne le gaz, le pétrole et le charbon. Il est clair que c'est celle que privilégieront les industriels, puisqu'ils n'auront pas de contrats de longue durée ; et bientôt plus de nucléaire, un recours massif aux énergies fossiles plutôt qu'aux énergies renouvelables, l'épuisement des ressources et la pollution de l'atmosphère... Que diront nos enfants ? Comment respecterons-nous les protocoles de réduction des émissions polluantes ? Que fait-on du développement durable ?

La libéralisation implique tension sur les prix et sur les approvisionnements, appauvrissement des ressources naturelles et pollution de la planète, au seul profit de quelques groupes capitalistes. Le texte en contient toutes les perversions. En matière d'aménagement du territoire d'abord, quelle péréquation pourra-t-il assurer ? L'extension des réseaux reste-t-elle une priorité ? En ce qui concerne l'indépendance nationale, comment la sécurité des approvisionnements et des stockages sera-t-elle assurée ? La privatisation guette GDF. L'entreprise le sait, mais elle se fait des illusions sur sa capacité à résister seule. Déjà, on rôde autour et on assure qu'elle est trop petite...

La commission de régulation de l'énergie, instituée en 2000, pénalise l'opérateur historique pour ne pas être elle-même remise en cause. Elle est jalouse de la séparation comptable, mais elle ne se pose pas la question des moyens que les entreprises qui vont arriver emploieront pour organiser le dumping et prendre leurs premiers marchés. On sait que certaines ont des matelas confortables, gagnés sur d'autres services concédés tels que l'eau ou les ordures ménagères.

M. Pierre Ducout - Très bien !

M. Jean Gaubert - La CRE a encouragé la bourse de l'énergie avant même que la loi ne l'y autorise. Vous nous avez dit que nos opérateurs avaient été obligés de créer des bourses ailleurs, mais ils n'étaient aucunement obligés d'embaucher des spéculateurs sur le marché du café ou du cacao pour nous faire subir, à terme, le sort des paysans d'Amérique du sud ! La bourse, c'est la déréglementation totale. Votre texte, c'est la mort des choix citoyens. C'est une page formidable qui est tournée, commencée par le général de Gaulle et poursuivie par MM. Pompidou et Messmer et les gouvernements suivants. Elle l'a été au rythme des besoins, avec les adaptations nécessaires, mais toujours avec le souci de l'avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Nicolas - Enfin, nous y sommes ! L'objectif de la directive que nous devons transposer est de réaliser un marché concurrentiel du gaz, en s'abstenant de toute discrimination et en légitimant le service public. L'ouverture du marché sera progressive. Elle concernera d'abord les gros consommateurs, dits clients éligibles. Cette transposition aurait dû avoir lieu avant le 10 août 2000, mais le gouvernement Jospin, empêtré dans ses contradictions internes et dans son idéologie, obsédé par un souci électoral, a été incapable de respecter ses engagements, tant nationaux, puisque le projet de loi a été déposé le 17 mai 2000, qu'européens. La France a été condamnée le 28 novembre 2002 pour manquement à ses obligations.

Cette carence de l'Etat était préjudiciable à GDF qui, après avoir de fait ouvert son marché national, s'est vu barrer l'accès à certains pays, notamment l'Espagne.

M. Pierre Ducout - Anecdotique !

M. Jean-Pierre Nicolas - Mais réalité ! L'Espagne lui a refusé son réseau de transport en invoquant la clause de réciprocité. Les autorités étrangères ont marqué une hostilité très forte face à toute tentative d'extension des opérateurs français au motif qu'ils bénéficiaient sur leur territoire d'un monopole.

Cette situation était également préjudiciable à la clientèle, qui ne bénéficiait pas des aspects positifs de la libéralisation. Enfin, elle pesait sur la motivation du personnel de GDF, qui s'interrogeait sur la volonté de l'Etat et sur les conséquences qu'aurait réellement la transposition sur leur statut et sur leur métier. Il y avait donc urgence, et je me réjouis que le Gouvernement ait soumis avec célérité ce projet de loi à notre approbation. Je me réjouis également que malgré l'urgence de la situation, il ait renoncé à la procédure de l'ordonnance, marquant ainsi sa volonté de respecter les prérogatives du Parlement.

Permettez-moi de saluer le remarquable travail du Sénat, qui a sensiblement enrichi le texte initial, ainsi que celui de la commission et de son rapporteur, qui ont eu la sagesse de ne pas rechercher à tout prix l'originalité et ont préféré assurer au mieux la poursuite de l'intérêt général. Ainsi devons-nous nous prononcer sur un des volets de la réforme qui permettra à nos opérateurs d'être les champions dans un espace européen qui est désormais le leur, puisqu'au sommet de Barcelone, le Président de la République et le Premier ministre de l'époque s'étaient prononcés en faveur de l'ouverture du marché pour les clients professionnels en 2004-2005.

Il faut donc regretter le retard qu'a pris la transposition, qui restreint la période d'adaptation. Ne polémiquons pas : chaque démocratie doit assumer ses choix, et la France a choisi l'Europe. L'ouverture des marchés énergétique à la concurrence doit être saisie comme une opportunité : les consommateurs bénéficieront des prix les plus bas et des meilleures conditions de service et de sécurité.

Alors que le marché unique du gaz naturel n'en est qu'à ses balbutiements, il faut mettre en place les mécanismes qui permettront au secteur de jouer son rôle économique et social en France. Rappelons que la consommation française a quintuplé en trente ans. Dans le même temps, la production nationale diminuait. Elle ne couvre aujourd'hui plus que 3,7 % de la demande nationale. À l'évidence, les opérateurs doivent rechercher des partenariats et des alliances pour satisfaire leurs 13 millions de clients et prendre toute leur place dans le marché européen, qui pourrait progresser de quelque 60 % en dix ans.

Le secteur de l'énergie est intensif en capital, et le développement de GDF suppose une augmentation des fonds propres que l'Etat ne peut apporter. Il faudra donner de nouvelles capacités de financement à ce grand opérateur.

Indispensable au développement économique des opérateurs nationaux, ce projet de loi ne néglige pas pour autant la défense du service public à la française. Il définit les obligations qui s'imposent pour garantir la solidarité entre territoires et envers les plus démunis ainsi que la sécurité de l'approvisionnement. Ainsi, les fournisseurs pourront être contraints de fournir un plan prévisionnel d'approvisionnement pour prouver qu'ils assurent une diversification suffisante. Par ailleurs, il conviendra de rester attentifs au sort des clients non éligibles. Si les gros clients pourront choisir leur fournisseur, les particuliers resteront des clients captifs jusqu'à la libéralisation totale du marché. Le projet prévoit clairement que le consommateur final bénéficiera d'un tarif réglementé.

Ce projet préserve également la richesse que constitue le stockage gazier. La position de la France à ce sujet est sage et devra être maintenue.

M. Pierre Ducout - Attention, Madame la ministre !

M. Jean-Pierre Nicolas - Ce projet de loi bénéficiera également aux collectivités locales. Le raccordement des clients, tant en électricité qu'en gaz, devra être davantage fondé sur l'application des cahiers des charges de distribution publique. Le toilettage de la loi SRU donnera l'occasion de s'en assurer.

Par ailleurs, le grand débat sur l'énergie qui doit avoir lieu ici même en 2003 définira une stratégie à moyen terme en matière d'approvisionnement énergétique de notre pays. Le nucléaire, le gaz et les énergies renouvelables seront au c_ur du débat. Il conviendra aussi de préciser la place réservée aux systèmes de production décentralisée. Reste à espérer que le nouveau mécanisme de compensation des charges de service public, plus simple que le précédent, sera, de ce fait même, mieux appliqué. Il faut toutefois s'interroger sur les incidences économiques et sociales du nouveau dispositif qui fait supporter ces charges par l'ensemble des consommateurs. Certains clients domestiques risquent d'avoir encore plus de mal à régler leurs factures et certains gros consommateurs industriels risquent de devoir augmenter le prix de leurs produits dans lequel le coût de l'électricité entre pour une part déterminante. Il faudrait peut-être envisager une diminution de ces charges de compensation.

En conclusion, ce projet de loi équilibré, résultat d'une concertation approfondie, conjugue préoccupations économiques, sociales et environnementales. La démarche suivie par le Gouvernement me paraît de bon augure pour continuer à doter notre pays des instruments indispensables à la performance de nos opérateurs énergétiques, au service de l'intérêt général (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Claude Birraux - A cette discussion, on pourrait donner un titre « Pourquoi viens-tu si tard ? » - plus de deux ans après la date-limite fixée pour la transposition de la directive !

Si le Gouvernement doit défendre aujourd'hui ce texte, c'est parce que celui de Lionel Jospin n'en a pas eu le courage. La gauche, traumatisée par son échec électoral, déboussolée, cherche à retrouver une ligne. Pauvre spectacle ! Que ne s'interroge-t-elle sur le Gouvernement qui a négocié en 98 cette directive gaz sans ensuite oser la soumettre au vote et pourquoi ! Tiraillé entre les surenchères contradictoires de la gauche plurielle, prisonnier de son archaïsme et des pesanteurs sociologiques, le Premier ministre Jospin, les yeux fixés sur le deuxième tour des présidentielles, ne voulait surtout rien entreprendre qui pût gêner ses alliés de la gauche plurielle. Pour un plat de lentilles électoral, son gouvernement a sacrifié les intérêts des entreprises françaises.

Vous qui semblez si sûrs aujourd'hui de la façon dont il faut transposer cette directive, que ne l'avez-vous fait quand vous étiez au pouvoir !

J'ai repris le dossier « Vers la future organisation gazière française », édité sous les auspices de M. Fabius et Pierret. J'y ai lu que dans l'avis adopté par le Conseil économique et social, le 27 octobre 1999, M. Fiterman - réactionnaire notoire ! - indiquait en substance dans sa conclusion que « le secteur gazier connaissait des mutations importantes, technologiques, économiques et sociales, et que saisir l'occasion de la transposition de la directive pour procéder aux évolutions nécessaires, constituait une légitime et opportune ambition. « La démarche doit être confiante, poursuivait-il. La France dispose d'opérateurs gaziers efficaces, en premier lieu GDF, d'équipements de qualité, d'un solide potentiel technologique, de personnels motivés et expérimentés. Il ne s'agit ni d'aller à reculons vers un avenir non désiré ni de se lancer à l'aveugle dans une aventure coûteuse. La démarche doit être offensive », concluait-il.

Cet avis-là n'a pas encouragé le Gouvernement Jospin, pas plus que celui de la CFDT sur le rapport Fiterman : « La CFDT considère que toute tentation protectionniste sera inefficace et préjudiciable à l'avenir des entreprises gazières françaises. Il ne faut donc pas ouvrir le marché à reculons ».

M. Pierre Ducout - Lecture partielle !

M. Claude Birraux - Le Conseil supérieur du gaz et de l'électricité dans son avis du 12 octobre 1999, considérait lui aussi le dispositif juridique communautaire comme une donnée et souhaitait majoritairement que l'échéance fixée pour la transposition, soit le 10 août 2000, puisse être respectée. « Un retard prononcé entraînerait en effet un flou préjudiciable aux intérêts des opérateurs nationaux et de leurs clients », concluait-il.

Le gouvernement Jospin ne manquait pas d'avis pertinents pour agir. Mais le regard fixé sur la ligne bleu horizon du deuxième tour des présidentielles, il a préféré sacrifier les intérêts de la France GDF et de ses travailleurs. Le contentieux engagé par l'Union européenne nous désigne comme le plus mauvais élève et risque de nous coûter cher.

Certains évoquent la menace de changement de statut, ainsi que l'ouverture totale prévue par la deuxième directive. Ce n'est pas l'objet de ce texte. Si le calendrier de la libéralisation s'accélère en apparence, c'est à cause du retard pris qui n'est pas imputable au Gouvernement actuel. Faut-il rappeler les engagements pris par Lionel Jospin à Barcelone ?

M. Pierre Ducout - Et ceux de Jacques Chirac ?

M. Claude Birraux - Sur le statut de GDF, il est utile, là encore, de rafraîchir les mémoires.

Le 27 octobre 1999, Mme Nicole Bricq, parlementaire socialiste, rendait un rapport au Premier ministre, où elle écrivait : « pour donner à GDF les moyens de son développement, il semble préférable de transformer l'établissement public en société anonyme et de réaliser l'ouverture du capital, l'actionnaire majoritaire demeurant l'Etat. »

Le gouvernement actuel ne dit pas autre chose ! Mme Bricq ajoutait : « Cette évolution ne correspond ni à une position idéologique, ni à la nécessité de transposition de la directive, mais au principe de réalité. La transposition est l'occasion de préparer l'évolution de GDF dans les meilleures conditions pour l'entreprise et ses salariés, sans être contraint ultérieurement d'agir dans l'urgence».

Je n'ai pas une virgule à changer à ce texte de Mme Bricq, qui relativise largement les arguments de l'opposition d'aujourd'hui.

M. le Rapporteur - Tout à fait !

M. Claude Birraux - Le service public du gaz est particulier dans la mesure où les opérateurs ne peuvent pas s'adresser à tous les citoyens ni toutes les entreprises et où il n'y a pas de péréquation tarifaire. Il n'empêche que les principes généraux doivent s'appliquer et que la transparence pour tous doit demeurer la règle.

La sécurité d'approvisionnement n'est évidemment pas garantie par le marché spot. Elle repose sur une diversification des sources d'approvisionnement, des contrats à long terme et le stockage, mais aussi la construction de nouvelles infrastructures pour éviter les goulets d'étranglement. Je suis pour le moins réservé s'agissant de l'éventuel accès des tiers aux installations de stockage.

MM. Ducout et Le Déaut - Nous aussi !

M. Claude Birraux - Une coordination européenne, voire une régulation, doit préserver la sécurité d'approvisionnement, indispensable à notre indépendance énergétique.

La commission de régulation de l'électricité doit devenir le seul régulateur de l'électricité et du gaz. Il faudra la doter des moyens nécessaires à sa double mission.

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien !

M. Claude Birraux - S'agissant du trading, j'avais dénoncé vigoureusement l'attitude du gouvernement Jospin. Ce dernier, qui osait affirmer que « l'Europe doit devenir le marché d'EDF » s'est ingénié à dresser des lignes Maginot pour rendre la directive inopérante, faisant mine d'oublier que la réciprocité en était le fil conducteur. Alors qu'EDF faisait du trading à l'étranger par le biais de ses filiales, ses concurrents ne pouvaient agir de même en France. La Commission, excédée, a donc déclenché une enquête, dont la suite pourra pénaliser l'entreprise. M. Jospin et sa majorité plurielle ont, là encore, préféré sacrifier les intérêts de la France sur l'autel de leurs intérêts électoraux contradictoires.

Dernier point : les énergies renouvelables. Dans le rapport que nous avons rendu en novembre 2001 pour le compte de l'OPECST sur le sujet, nous sommes partis de constats simples. L'effet de serre commence de se faire sentir, le respect du protocole de Kyoto est donc impératif. La consommation d'énergie est de plus en plus forte dans les logements, le tertiaire et les transports. Les projections de consommation globale en 2010 montrent que nous aurons besoin de toutes les énergies et que l'objectif ambitieux de 21 % d'électricité renouvelable sera difficile à tenir.

L'énergie éolienne, contrairement à une idée qui se répand, ne pourra à elle seule répondre aux objectifs. Il faut donc relancer le solaire et les biocarburants, sans renoncer à l'éolien, bien au contraire. Nous avons même demandé que l'Etat dresse une carte des sites pouvant être équipés.

Si une certaine réglementation s'impose, cela ne veut pas dire qu'il faille dresser des obstacles à l'infini pour empêcher l'implantation d'éoliennes. Certains, qui se prétendent pourtant « environnementalistes » et écologistes ne veulent pas d'éoliennes près de chez eux ! La future loi de programmation devra clarifier durablement les conditions de développement des énergies renouvelables.

Ce texte permettra de mettre la France au diapason de l'Europe, alors que le Gouvernement Jospin et sa majorité plurielle l'avaient reléguée au dernier rang. Enfin, elle ne sera plus montrée du doigt. Mais surtout, ce texte permettra à EDF et à ses salariés de donner toute la mesure de leurs très grandes capacités et ambitions, et de jouer à armes égales avec leurs concurrents sur le marché européen (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean Launay - Je traiterai plus particulièrement du titre 7 du texte et du FACE - fonds d'amortissement des charges d'électrification.

L'article 20A nouveau introduit par le Sénat est le seul qui mentionne le FACE, ce bel outil de péréquation créé par la loi du 31 décembre 1936. Notre amendement 144 complétera utilement le travail commencé par le Sénat pour défendre le FACE. Avant même la nationalisation de l'électricité et à la demande de la fédération nationale des collectivités concédantes et régies, le FACE a été créé afin que la logique d'entreprise des concessionnaires soit équilibrée par la puissance publique. Il constitue un formidable instrument de péréquation des investissements sur les réseaux de distribution et contribue à la cohésion entre les territoires. Il permet l'externalisation de la maîtrise d'ouvrage des investissements réalisés par les collectivités sur les réseaux ruraux, non rentables pour EDF.

Il est alimenté par les prélèvements sur les recettes en basse tension des distributeurs - EDF et régies municipales - à des taux différenciés entre communes de moins et de plus de 2 000 habitants. Pour autant, il ne s'agit en aucun cas de l'argent d'EDF, et le FACE doit, au moment où la libéralisation gagne du terrain, faire l'objet de toute notre attention. A cet égard, les « nouvelles visions » de la Fondation Concorde sur EDF ont de quoi inquiéter. Elles sont malheureusement révélatrices de la volonté de spolier les collectivités locales, pour trouver des solutions aux deux problèmes des retraites et de l'ouverture à la concurrence.

Le constat fait par ce club de réflexion, placé sous le patronage de Jérôme Monod, est erroné à de nombreux égards. Oui, les collectivités locales jouent un rôle important aussi bien dans la construction des lignes que dans le contrôle du concessionnaire. Non, EDF n'a pas la propriété des réseaux de distribution, car elle ne les a ni construits, ni entretenus ; ce sont les Syndicats d'électrification, et les communes qui les composent, qui l'ont fait. Il n'y a donc aucune raison pour que les collectivités concédantes apportent leurs réseaux au capital d'EDF et GDF, si ces établissements étaient demain transformés en sociétés commerciales. La vente de leur réseau serait inacceptable car cela laisserait les collectivités minoritaires dans le capital des entreprises EDF et GDF, et ce sans aucune contrepartie positive pour les citoyens-consommateurs qu'elles représentent. En pratique, aucune recette ne viendrait abonder le budget des communes. Les taxes locales sur l'électricité et bien sûr le système du FACE disparaîtraient. Cela, nous ne le voulons pas. C'est pourquoi, en application du proverbe « mieux vaut prévenir que guérir », j'ai jugé utile de prendre date et d'anticiper sur un débat que la frénésie libérale ambiante nous proposera prochainement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Philip - Enfin et félicitations ! Enfin, d'autres l'ont dit avant moi, tant il est vrai que cette directive gaz aurait dû être transposée depuis longtemps. La France est en effet le pays membre de l'Union à ne pas l'avoir fait. Je ne crois pas que son influence en sorte renforcée et à cet égard, la responsabilité du précédent gouvernement est grande. Félicitations, Madame la ministre, car vous avez voulu rattraper très vite ce retard et vous avez choisi de le faire en toute clarté, par la voie d'un projet déposé devant le Parlement plutôt que par ordonnance. Je vous félicite également pour l'esprit d'ouverture qui a conduit à l'accord du 25 novembre sur la nouvelle directive, qui viendra compléter le texte dont nous traitons aujourd'hui.

Auteur d'un rapport d'information de la délégation pour l'Union européenne sur cette directive gaz, je tiens à réaffirmer que notre pays ne pouvait pas rester l'Etat membre le moins respectueux du droit communautaire. Le retard pris ces dernières années sur plusieurs dossiers est inacceptable. Dois-je rappeler que le Conseil européen de Stockholm avait invité, au printemps 2001, tous les Etats membres à réduire leur déficit de transposition à 1,5 % avant le Conseil européen de Barcelone prévu pour mars 2002 ? Or, en mars 2002, la France en était à 3,8 %, ce qui faisait d'elle le plus mauvais élève de la classe. A cette même date, le nombre de procédures engagées par la Commission à l'encontre de la France, pour des infractions relatives au marché intérieur, s'élevait à 216 ! Au 1er juillet, 116 directives n'étaient toujours pas transposées. Au 1er novembre, nous en sommes à 100.

Je me réjouis donc que le Premier ministre ait fait part, dans sa déclaration de politique générale, de son intention de mettre fin à une telle dérive. Les propositions faites à ce sujet par Mme Lenoir, lors du Conseil des ministres du 6 novembre, sont prometteuses. Je pense en particulier au fait de consacrer une séance de l'Assemblée par mois à la transposition des directives. De son côté, la délégation pour l'Union européenne présentera chaque année, à partir de juin prochain, un rapport sur l'état d'exécution des directives adoptées.

Les raisons invoquées pour ne pas transposer la directive gaz n'étaient pas sérieuses. Si encore celle-ci avait été adoptée contre l'avis de la France, on pourrait à la rigueur comprendre le retard de transposition, mais la France l'avait votée ! De plus, cette directive fait référence, suite justement aux positions défendues par la France, aux obligations de service public et, alors que la plupart des textes communautaires parlent de « services d'intérêt général », emploie explicitement la notion de « service public ». Mme de Palaccio a raison de souligner que ce texte est l'un des actes législatifs de l'Union qui prend le plus en compte cette notion.

Au-delà de cette directive, vous avez raison, Madame la ministre, de mettre fin à une attitude de blocage d'autant moins compréhensible que la France ne récuse pas le principe du marché unique. Cette attitude consistant à dire toujours non et à essayer de temporiser nous a isolés ces dernières années. Avoir une attitude plus positive permet ensuite de se montrer exigeants sur les modalités et les délais, et cela nous réintroduit dans un circuit d'influence. Vous l'avez parfaitement compris. Cette attitude positive qui est désormais la nôtre permettra à la France d'insister pour que certains pays modifient leurs pratiques et fassent disparaître leurs entraves au libre jeu du marché. Il faut qu'existe partout une autorité de régulation, en attendant peut-être que soit un jour instituée une autorité européenne de régulation.

Le fait de transposer la directive et la manière dont vous le faites, Madame la ministre, permettra désormais à la France d'être mieux écoutée et d'influer sur les conditions dans lesquelles le marché unique se met en place (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. David Habib - Elu des Pyrénées Atlantiques, maire de Mourenx, capitale du bassin de Lacq, je suis naturellement attentif au marché du gaz et j'en parlerai, mais je voudrais d'abord exprimer ma gêne face à un texte qui trahit la vision strictement libérale de ce gouvernement.

Certes, il était nécessaire de transcrire la directive gaz, mais l'Europe ne nous imposait en aucune façon ce texte qui va bien au-delà de l'accord communautaire.

La directive 98-30 du Conseil européen du 22 juin 1998 n'abordait pas les question électriques - c'est une nouveauté que l'on doit au Sénat - et fixait en matière de gaz un régime de seuil d'ouverture du marché qui n'est aucunement celui retenu par votre Gouvernement. J'en profite pour rappeler que le droit communautaire ne saurait tenir lieu de prétexte à ceux qui veulent libéraliser à tout prix et déréglementer en tous domaines, car en réalité, comme le souligne le juriste Paul Cassia, non seulement il « n'ignore pas le service public, mais même il enrichit la notion française de service public en ajoutant des missions jusqu'alors inconnues du droit administratif français, telle la qualité du service rendu au public. » Si l'on privatise ou déréglemente, ce n'est donc pas parce que Bruxelles l'exige. Il vous faut, Madame la ministre, assumer vos choix politiques.

Notre rapporteur, M. Gonnot, pense que le présent projet ne modifie en rien notre politique énergétique. Pourtant, ce projet remet bel et bien en cause les rapports entre Gaz de France et les distributeurs non nationalisés, ainsi qu'entre Gaz de France et les deux fournisseurs autonomes que sont la société Gaz du sud-ouest - GSO - et la Compagnie française du méthane - CFM -. Au-delà, vous savez bien que c'est la question de la pérennité de Gaz de France qui est aujourd'hui posée.

Ne sous-estimez pas l'inquiétude, à ce propos, des salariés de GDF et d'EDF, qui vivent ces moments comme une atteinte à la culture de leur entreprise. Comme l'a dit Mme Buffet, il ne suffit pas de les féliciter pour leur disponibilité et leur dévouement, ce qui leur importe, c'est que l'on ne bouleverse pas, au nom d'une frénésie libérale, la politique énergétique patiemment construite en France et qui peut encore servir d'exemple pour nos amis européens. J'ai ici une coupure de presse du 5 décembre, tirée de la revue Enerpresse. On y évoque le modèle nordique et les grandes défaillances en matière de fourniture électrique. Il n'y a pas que la Californie qui procède à des rationnements dans ce domaine, la Norvège l'envisage et la Finlande a annoncé pour le 1er janvier 2003 une hausse des tarifs de 11 % !

Telles sont les raisons majeures qui m'amèneront, comme l'ensemble des élus socialistes, à rejeter ce projet de loi.

Elu du bassin de Lacq, je rappelle que notre pays dispose encore d'un site unique qui constitue pour lui une formidable aubaine.

En 1957, le gisement de gaz représentait 250 milliards de m3. Il arrivera à extinction vers 2010, puisqu'il ne reste plus qu'une quinzaine de milliards de m3 mobilisables. La France a bénéficié de cette richesse sans en restituer au Béarn sa part légitime. Cependant, depuis quelques années, en particulier depuis le CIAT du 18 mai 2000, l'Etat nous accompagne dans la mutation de notre chimie de l'extraction vers une chimie de la molécule. ELF, de son côté, continue de tirer un profit considérable du gisement. L'usine de Lacq lui a rapporté 100 millions d'euros nets en 2001. Or nous voyons aujourd'hui Total-Fina-ELF se désengager de ce site berceau sans en avoir assuré la mutation et après avoir malmené notre environnement. Tous les élus des Pyrénées-Atlantiques, de Michèle Alliot-Marie à François Bayrou, d'André Labarrère à Jean Lassalle, nous avons multiplié les démarches pour que l'entreprise assume ses devoirs régionaux.

Sur ce terrain, Madame la ministre, il peut y avoir accord entre nous, et je n'ai pas de raison de douter de votre volonté d'écoute.

Reste que TFE, qui prétend donner des leçons aux entreprises publiques, offre le pire exemple de l'entreprise soumise aux marchés, y compris dans le domaine de la sécurité.

Le projet traite de trois questions qui, en Béarn sont pressantes ; les stockages souterrains, la sécurité des sites industriels et celle des approvisionnements. Le secteur privé, dit-on, sera capable de fournir autant de gaz que nous le souhaitons. Or, d'ici 2005, l'usine de Lacq ne sera plus en mesure d'alimenter en éthane l'usine d'Ato-Fina-Mont, filiale de TFE, et distante de moins de deux kilomètres, ce qui entraînera la fermeture de l'unité éthylène de l'usine. 250 emplois sont ainsi condamnés, et l'ensemble du bassin de Lacq souffrira de cet affaiblissement industriel.

Nous demandons à TFE d'assurer à l'usine de Mont la fourniture en gaz chargé d'éthane. Ce groupe s'avère incapable de donner des réponses sérieuses.

Imaginons une politique industrielle qui serait aussi fragile que ces réponses ! Eh bien c'est ce que nous prépare votre projet. Le gaz est une richesse sur laquelle notre pays peut construire son développement. C'est pourquoi j'invite à repousser le projet, au profit d'une transcription plus juste et plus équilibrée de la directive européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Brottes - Madame la ministre, voici comment Le Monde commentait votre prestation du 25 novembre à Bruxelles : « Contrairement à ce qu'elle avait fait en mars au sommet de Barcelone, la France ne s'est pas opposée au projet de directive prévoyant l'ouverture totale du marché de l'énergie. » C'est qu'il s'agit, pour la France, de se faire pardonner d'avoir été le plus mauvais élève du libéralisme pendant la période du gouvernement Jospin.

M. Jean-Claude Lenoir - Un gouvernement pas très courageux !

M. François Brottes - Un gouvernement que je suis fier d'avoir défendu, parce qu'il est resté ferme sur les valeurs du service public.

Aujourd'hui le gouvernement Raffarin fait du zèle en faveur du « tout marché ». Face au service public de qualité accessible à tous qui est au c_ur du principe d'égalité, la droite libérale démantèle, dérégule, brade avec la conviction que la seule loi qui compte est celle du plus fort ou du plus riche.

M. Jean Dionis du Séjour - Christian Pierret !

M. François Brottes - Non, le service public n'est pas ringard, lorsqu'il s'agit des besoins vitaux de chacun, lorsqu'il s'agit de lui garantir un accès égal, en toutes circonstances, et dans les mêmes conditions, aux services publics.

Il nous reste à convaincre la majorité de nos partenaires européens du lien nécessaire à nos yeux entre les entreprises publiques, qui doivent conserver une partie de leur activité sous monopole. Encore faut-il que votre gouvernement soit décidé à mener ce contrat, comme nous avons agi sous notre présidence en faveur de l'adoption d'une charte reconnaissant aux Européens la nécessité de bénéficier de services d'intérêt général. Cet acquis devrait être inscrit dans une directive européenne, avant que tout soit régulé et libéralisé. Or, en faisant sauter la digue érigée à Barcelone, votre gouvernement vient de franchir le Rubicond. En effet, la différence est immense entre ouvrir une partie du marché à la concurrence et soumettre la totalité des familles et des territoires aux lois impitoyables du marché pour l'accès aux services publics. Dans le premier cas, il peut s'ensuivre une émulation positive (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) ; dans le second, on choisit l'exclusion pour des millions de gens et l'abandon pour beaucoup de territoires.

Nos entreprises de services publics doivent conserver un lien fort avec l'Etat, qui seul garantit le principe d'égalité. Leurs personnels ont acquis des compétences reconnues. Alors, ne bradons pas l'outil, ne cassons pas la motivation de personnes qui ont montré que, si elles avaient acquis des droits, elles avaient un sens aigu de leurs devoirs.

Votre gouvernement vient de céder sur l'essentiel, ce qui laisse penser que pour lui le débat sur le statut de telle ou telle entreprise publique est une formalité libérale réglée d'avance. Nous avons tenu à rappeler quelques principes essentiels car, de révision constitutionnelle en renoncement, le gouvernement Raffarin est en train d'inventer une République aux pieds d'argile.

Votre projet participe d'une pratique zélée du libéralisme en Europe. Pourtant, sur la pêche maritime, la France paraît vouloir faire entendre une voix singulière. Comme quoi, au sein d'un même gouvernement, que l'on soit pêcheur ou dérégulateur, les jugements de nos concitoyens vous rendront blanc ou noir, et ce sera de triste mémoire pour le service public (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Guillet - Comme vous, Madame, nous souhaitons soustraire la discussion aux réflexes idéologiques, au profit d'une démarche pragmatique. Chaque année, à la tête de mon établissement public, je fais procéder à une enquête dont il ressort que les Français désirent à la fois des services publics de qualité et une ouverture à la concurrence. De fait, ces deux objectifs ne sont nullement inconciliables.

Aujourd'hui, les échéances d'ouverture du marché gazier nous pressent : 2004, c'est demain, et 2007, après-demain.

Il faut conforter nos deux grandes entreprises d'énergie. Gaz de France avait anticipé l'application de la directive gaz, pour éviter d'être bloqué dans son développement sur le marché européen. Cette anticipation n'a d'ailleurs pas suffi. L'absence de cadre juridique national de transposition a constitué, en particulier pour l'Espagne, un prétexte facile.

M. Pierre Ducout - C'est vrai !

M. Jean-Jacques Guillet - Chaque pays de l'Union a tendance à profiter de la période actuelle pour conforter des champions nationaux, et donc à n'ouvrir que théoriquement leur marché, comme le prouve le cas de l'Allemagne.

Nous nous trouvons donc dans la situation paradoxale d'apparaître comme les moins ouverts alors que dans la réalité, nous le sommes au moins autant que les autres.

Mais il serait tout aussi paradoxal que, disposant, avec GDF et EDF de champions nationaux déjà existants, nous ne leur donnions pas les moyens d'être des acteurs majeurs du marché. Aussi l'ouverture du capital devient-elle une nécessité. Le possible rapprochement entre GDF et Suez d'une part, EDF et Vivendi-Environnement d'autre part, donc avec des entreprises elles-mêmes délégataires de missions de service public laisse présager l'existence de deux champions nationaux particulièrement solides.

Les échéances des 1er juillet 2004 et 2007, je l'ai dit, sont proches et il nous faut répondre à cette urgence. C'est ce que vous faites avec ce projet. Le Sénat a fait _uvre utile en lui ajoutant des dispositions d'adaptation de la loi de 2000 sur l'électricité, mais surtout en l'inscrivant clairement dans le contexte du service public.

Car ouverture des marchés et service public ne sont en rien incompatibles. L'origine de la production et de la distribution de l'électricité et du gaz le démontre amplement.

Les règles de l'économie concessionnaire fixées dès 1906 s'appliquent toujours. Dans une certaine mesure, l'existence de monopoles publics depuis 1946 y a un peu contrevenu en occultant le pouvoir concédant des collectivités locales.

La notion de régulation est au c_ur du dispositif de la gestion déléguée qui laisse aux opérateurs le risque économique - donc la liberté d'action - tout en donnant à la puissance publique un pouvoir de contrôle et de sanction. Nous retrouvons ainsi une logique de développement durable qui est d'actualité.

Troisième observation : il faut protéger le consommateur et assurer la qualité des réseaux. Le marché des grandes entreprises consommatrices et celui du petit consommateur sont de nature différente - je sais bien que le projet de loi n'aborde pas le problème des ménages, mais les choses vont vite.

Il faut poser le problème de la relation fournisseur-consommateur. Ce n'est pas lorsque tous les consommateurs pourront choisir leur fournisseur que la situation deviendra parfaite, du seul fait de la suppression du risque de subventions croisées.

M. Pierre Ducout - Très bien !

M. Jean-Jacques Guillet - Dans un marché oligopolistique, le pouvoir de négociation du petit consommateur placé devant un nombre restreint de fournisseurs sera inexistant. Ce sont les services à la clientèle qui feront la différence.

Les expériences allemande - opacité totale - et britannique - libéralisation un peu débridée - ne condamnent pas le marché, mais permettent de prendre conscience de la nécessaire protection du consommateur domestique grâce à une régulation adaptée à l'électricité et au gaz, en prenant en considération chaque tradition nationale.

La fourniture d'électricité et de gaz peut rester dans le cadre du service public...

M. Pierre Ducout - Nous verrons.

M. Jean-Jacques Guillet - ...même si elle est gérée par des entreprises privées, même si elle est en concurrence. Il faut souligner que, pour la fourniture, le service public n'est nullement une conséquence du monopole mais relève du cahier des charges des concessions. Le service public, ce n'est pas la trilogie entreprise d'Etat-monopole-statut protégé du personnel. Ce sont des critères de continuité, d'égalité, d'aide sociale, de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire qui doivent être réhabilités.

Deuxième problème : la qualité des réseaux.

S'agissant du transport, on peut penser que les pressions exercées afin de faire exister le marché pousseront à l'investissement - qui sera en effet rentable pour les opérateurs.

En revanche, pour la distribution, je suis inquiet si rien n'est organisé rapidement. Les investissements destinés à lutter contre les congestions ou ayant pour objet de remplacer les canalisations anciennes par d'autres seront de moins en moins rentables pour les opérateurs. Dans un premier temps, certaines banlieues et les zones rurales en souffriront. C'est ensuite sur l'ensemble des réseaux que l'on observera des anomalies. Sur le territoire de ma concession, en Ile-de-France, qui n'est pas particulièrement défavorisé, on l'observe déjà.

Le risque provient de ce que, en vue d'un marché crédible, la baisse des prix sera jugée opportune. Or, il n'est pas sûr que l'ouverture à la concurrence fasse baisser les prix de la fourniture.

M. Pierre Ducout - C'est vrai.

M. Jean-Jacques Guillet - Il faudra donc se rabattre sur le prix de l'acheminement par les réseaux, dont le tarif restera administré. La tendance naturelle consistera ainsi à baisser le plus possible le tarif d'utilisation des réseaux.

La solution à ce problème consiste à fixer par décret une norme nationale de qualité qui s'imposera aux distributeurs sous peine de sanctions financières. Le respect en sera vérifié dans le cadre du contrôle déjà actuellement exercé par les collectivités concédantes, propriétaires des réseaux de distribution. Ce décret devra prévoir des objectifs quantifiés étalés dans le temps, dans le but d'une modernisation progressive de nos réseaux de distribution.

Il convient que les normes techniques et environnementales des réseaux soient fixées par décret et que les coûts correspondants s'imposent de manière réglementaire dans le calcul des tarifs d'utilisation des réseaux. Un contrôle public, décentralisé et démocratique, exercé par les élus, est là aussi nécessaire. Si ces normes ne sont pas respectées, des sanctions doivent être appliquées.

La protection du consommateur est essentielle, comme la qualité des réseaux de distribution, et je sais, Madame la ministre, que vous vous en préoccupez.

En ce qui concerne la protection du consommateur, l'expérience de l'ouverture partielle de 2004 - 60 % du marché - nous sera précieuse.

Pour ce qui est de la qualité des réseaux, nous n'avons plus le temps, car dès maintenant les entreprises vont faire des choix. Les obligations du service public doivent apparaître clairement aux futurs actionnaires.

C'est pourquoi nous devons renforcer le pouvoir des autorités concédantes que sont les collectivités locales. Cela va dans le sens de la décentralisation, du développement durable et du service de proximité.

Je suis très réticent à l'égard des projets, correspondant à certaines situations étrangères, qui placeraient les collectivités locales en situation d'actionnaires des gestionnaires des réseaux, par apport de ces derniers au capital.

Je crois que la gestion déléguée de l'économie concessionnaire a un grand avenir pour préserver la qualité du service public (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Pierre Ducout - Pas mal !

M. Pierre Micaux - Nous sommes saisis d'un projet de loi dont le propos, initialement limité au gaz, a été élargi au domaine de l'électricité. Il faut penser à ce qui est fondamental pour la préservation des intérêts des consommateurs d'électricité et de gaz que nous sommes, à savoir la décentralisation.

La distribution d'électricité et de gaz est conçue comme un service public de proximité, puisqu'elle constitue une compétence des communes, qui l'ont transférée le plus souvent à des établissements publics de coopération.

Cette compétence, confiée aux collectivités locales, garantit que les orientations fondamentales refléteront les préoccupations émises par les citoyens auprès de leurs élus. Je constate que, depuis soixante-cinq ans, les syndicats ont fait leur preuve.

Cette décentralisation de la distribution d'énergie se décline sur deux niveaux : le contrôle de proximité exercé sur la façon dont les contrats de concession sont exécutés par EDF, Gaz de France ou les distributeurs non nationalisés ; la maîtrise d'ouvrage des collectivités concédantes d'une partie importante des travaux réalisés sur les réseaux électriques avec l'aide du fonds d'amortissement des charges d'électrification.

Le contrôle de proximité exercé par les collectivités concédantes est et sera de plus en plus déterminant pour la qualité de l'énergie livrée aux petits et moyens consommateurs.

Dans le contexte de la dissymétrie de situation entre ces consommateurs et les grands opérateurs, il est à craindre que, sans la vigilance de l'autorité concédante, des rentes de monopole ou d'oligopole soient prélevées à l'encontre des consommateurs de petite taille sous forme de détérioration du rapport qualité/prix du produit énergie ou des services associés.

M. Pierre Ducout - Nous le craignons...

M. Pierre Micaux - Il faut donc donner aux agents de contrôle des collectivités locales concédantes tous les moyens d'accomplir leurs missions dans de bonnes conditions, ce qui implique qu'ils puissent accéder à l'ensemble des informations nécessaires.

Une autre attribution essentielle des collectivités concédantes concerne la maîtrise d'ouvrage de travaux d'extension, de renforcement et d'enfouissement des réseaux de distribution d'électricité.

Cette mission est accomplie avec l'aide du Fonds d'amortissement des charges d'électrification - le FACE -, qui a permis d'apporter aux territoires ruraux une qualité d'électricité comparable à celle proposée aux citadins. N'oublions pas qu'avec la diffusion de l'informatique et de l'électronique, la plupart des activités sont aujourd'hui dépendantes de la régularité de l'électricité fournie.

Il est nécessaire d'adapter le mode de financement du FACE à l'évolution de l'acheminement et de la fourniture d'électricité, de façon à ce qu'il puisse continuer à garantir la capacité à apporter en tout lieu une électricité de qualité.

C'est parce que la mise en cohérence de l'ouverture à la concurrence des systèmes électriques et gaziers passe par la décentralisation que je vous soumettrai quelques propositions destinées à la conforter davantage encore.

Pour autant, l'intervention publique doit demeurer économe des moyens de la collectivité, et proportionnée à ce qui est nécessaire pour neutraliser les dysfonctionnements du marché.

Nous devrons demeurer attentifs à la justification des efforts demandés à la nation pour le développement de certaines sources d'énergie renouvelables. En effet, alors même que la France est particulièrement performante en ce qui concerne la minimisation des rejets de gaz à effet de serre, il est permis de s'interroger sur la pertinence du rachat de l'électricité d'origine éolienne à des tarifs extrêmement élevés. Nous devons être d'autant plus circonspects que cette énergie, par définition aléatoire, ne permet pas de s'affranchir des capacités de production d'électricité nucléaire, qui demeurent nécessaires pour garantir en permanence la puissance nécessaire au pays. J'interroge les Français : quand nos industries nucléaires ont-elles connu de graves accidents ? J'attends la réponse. Le développement de l'éolien ne peut donc que se traduire par de substantiels surcoûts d'investissement.

L'impératif économique plaide pour que nous privilégions les investissements réellement alternatifs. Je pense à la valorisation de la biomasse ou à l'amélioration de l'efficacité énergétique, grâce à la cogénération.

L'économie passe également par une utilisation parcimonieuse des moyens de la collectivité dans la gestion du développement à l'international de nos entreprises publiques.

Les stratégies de partenariats devenues nécessaires pour assurer la pérennité et la solidité d'EDF et de Gaz de France ne peuvent justifier des prises de participations trop risquées, consommatrices de financements qui pourraient être consacrés plus utilement par exemple au renouvellement régulier des réseaux dont ces entreprises ont la charge. EDF et GDF ont besoin d'équipes capables de les diriger. Sur la rive droite de la Seine, l'on est parfois fort éloigné de la réalité.

Concilier la concurrence et le service public, le marché et l'intérêt général, tels sont les défis que doit relever le projet de rénovation de notre système gazier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

La séance, suspendue à 18 heures, est reprise à 18 heures 10.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Je remercie l'ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions qui ont enrichi la réflexion commune. Au-delà des divergences politiques, chacun de nous a conscience de l'enjeu : la participation de la France à la constitution d'un grand marché européen de l'énergie qui tiendrait compte des spécificités françaises.

Je tiens à féliciter pour son excellent travail la commission et le rapporteur François-Michel Gonnot, dont les amendements, s'ils sont adoptés, amélioreront sensiblement le projet de loi. C'est le cas de la proposition d'article liminaire qui conforte la reconnaissance et la compatibilité de deux grands principes politiques : l'ouverture du marché et le service public.

De même, à l'article 11, M. Gonnot propose d'instituer un plan indicatif de développement du réseau gazier. Pour ce qui est de l'électricité, je partage le souci du rapporteur d'assurer la pérennité du fonds d'amortissement des charges d'électrification et de permettre aux distributeurs non nationalisés de bénéficier d'une éligibilité totale, à l'instar de ce qui est prévu par le gaz.

Je remercie les orateurs qui ont bien voulu me manifester leur soutien. J'avais abordé dans mon intervention liminaire nombre des remarques qu'ils ont soulevées, et nous y reviendrons lors de la discussion des amendements. Aux orateurs socialistes en revanche, je voudrais dire ma perplexité. A plusieurs reprises, ils nous ont expliqué qu'ils voulaient transposer cette directive, mais a minima. Que ne l'ont-ils fait ? Pourquoi ont-ils bloqué le texte de M. Pierret ? Pourquoi n'ont-ils pas épargné à la France l'humiliation d'une condamnation par la Cour de justice ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Bataille - C'est très excessif !

Mme la Ministre déléguée - M. Paul, et je regrette qu'il ne soit plus là, m'a interrogée sur le stockage de gaz. L'accord du 25 novembre prévoit l'accès des tiers. Il laisse aux Etats le choix entre un accès négocié ou régulé. La France a préféré le premier, car le stockage est indispensable au bon approvisionnement des ménages. Une preuve de plus de notre souci de respecter les missions de service public du secteur...

M. Paul me permettra de remettre quelques pendules à l'heure. Il ne peut pas ignorer que la proposition de directive débattue à Bruxelles le 25 novembre relevait d'un vote à la majorité qualifiée. Si la France avait maintenu sa position, elle aurait été mise en minorité sans rien obtenir. Elle était en effet totalement isolée. Aucun de ses 14 partenaires n'était opposé à une ouverture du marché pour les ménages dès 2005.

M. Christian Bataille - On peut négocier !

Mme la Ministre déléguée - Ils la demandaient plutôt.

M. Christian Bataille - Parce qu'ils n'ont pas de services publics !

Mme la Ministre déléguée - Ils étaient tous favorables à la séparation juridique des gestionnaires des réseaux de la distribution, à la seule exception de l'Allemagne.

M. Pierre Ducout - La France et l'Allemagne, rien que ça !

Mme la Ministre déléguée - Or j'ai obtenu que l'ouverture soit reculée à juillet 2007, après un bilan d'évaluation préalable en 2006, qui conduira à l'adoption de mesures correctrices en cas de besoin. J'ai obtenu la dispense de séparation juridique dans la distribution si nous démontrons que notre marché a été correctement ouvert. Enfin, des garanties de service public sans précédent dans un texte communautaire, particulièrement détaillées, ont été adoptées.

Sincèrement, je ne crois pas que nous ayons à rougir de ce bilan. En conduisant cette libéralisation progressive et maîtrisée, nous avons sorti la France de son isolement et restauré sa crédibilité auprès de nos partenaires. Sa voix n'en sera que plus forte dans la suite de la construction européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Jean-Yves Le Déaut - Ce texte pourrait n'être considéré que comme la simple transposition d'une directive qui s'imposait en tout état de cause. Je regrette donc qu'un tiers de nos débats aient été jusqu'à présent consacrés à dire qu'on aurait pu aller plus vite ! Mais si nous avons pris du temps, c'est que le sujet est d'importance. Au-delà des aspects techniques se posent des questions de modernisation du service public. Mes collègues font d'ailleurs quelque peu preuve d'amnésie : Alain Juppé, lorsqu'il était Premier ministre, n'avait pas montré beaucoup d'enthousiasme à transposer la directive sur l'ouverture du marché de l'électricité, échaudé qu'il était par les mouvements sociaux de l'automne 1995. La transcription dans notre droit n'a eu lieu que le 20 février 2000, sous le gouvernement Jospin ! N'oublions donc pas le passé.

Un député UMP - Le passif !

M. Jean-Yves Le Déaut - Des dizaines de directives attendent d'être transposées.

Le texte qui nous est soumis renvoie à des décrets qui seront pris en Conseil d'Etat. Vous nous demandez de vous faire confiance, mais vous ouvrez une brèche dans le service public et fragilisez notre indépendance énergétique ! Ensuite, la politique européenne relative au gaz ne répond pas aux enjeux. La filière a un bel avenir devant elle, mais à condition seulement que des investissements colossaux soient réalisés, qui dépassent les capacités du marché. Par ailleurs, l'Union conduit une politique de libéralisation à marche forcée. La France, qui soutenait une position équilibrée, a battu en retraite. C'est à la fois un contresens économique et un marché de dupes. Enfin, avant d'examiner le texte qui nous est soumis, il faudrait connaître la politique énergétique que le Gouvernement compte appliquer. C'est pour toutes ces raisons que nous vous demandons un renvoi en commission.

La première mention que l'on connaît d'un gaz combustible, des « feux éternels » sortant de la terre, remonte à Plutarque. Le boom économique du gaz est aujourd'hui essentiellement dû à l'industrie, qui s'en sert pour produire de la chaleur et de l'électricité. L'OCDE estime que la demande de gaz croîtra de 2,7 % par an en moyenne entre 2000 et 2020, et que sa part de marché dans l'approvisionnement énergétique de la planète passera de 22 à 26 %.

Les nouvelles centrales à cycle combiné au gaz produisent une électricité très compétitive. Elles devraient se multiplier dans de nombreux pays industrialisés. A titre d'exemple, GDF a commandé, à la mi 2002, une de ces centrales à Alstom. Cette usine originale se situera à Dunkerque, non loin de l'aboutissement du gazoduc qui achemine le gaz norvégien vers la France. Elle comprendra deux turbines, fonctionnant au gaz naturel et complétées par une chaudière alimentée par le gaz récupéré à l'aciérie voisine de Sollac Atlantique. Ce type de réalisation devrait intéresser les pays en développement.

Les centrales à gaz sont beaucoup moins polluantes que les centrales thermiques à charbon. Elles nécessitent par ailleurs des investissements moindres. Elles pourraient permettre aux pays en développement d'utiliser de l'électricité de façon plus massive sans augmenter la pollution atmosphérique. Leurs rejets contiennent du gaz carbonique, mais leur rendement énergétique est plus élevé que celui des centrales à charbon.

Le charbon a pour lui abondance, faiblesse des coûts d'extraction et stabilité des prix internationaux. A supposer que le gaz naturel devienne plus attractif, il faudrait des investissements pharaoniques en matière de production et de capacités de transport pour couvrir les besoins, que les seuls opérateurs privés ne pourront assumer.

La dérégulation, idéologie de l'Union, promet des lendemains qui déchantent.

Un député socialiste - Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut - Les investissements dans le passé ont toujours été accomplis par les Etats. Les marchés n'y suffisent pas. Un déséquilibre existe entre production et consommation. Les réserves de gaz naturel sont mieux réparties, sur le plan géographique, que celles de pétrole. On pourrait donc penser que l'augmentation de la consommation de gaz ne s'accompagnera pas d'une dépendance telle que nous en connaissons vis à vis du Moyen-Orient pour le pétrole. Mais toutes les conditions sont réunies pour que des dépendances importantes se créent tout de même. Un autre inconvénient est que les gisements de gaz sont éloignés des centres de consommation. L'exploitation et le transport exigent des investissements lourds.

La dépendance de l'Europe pour le gaz naturel va être croissante. Certes, la production en Mer du Nord a augmenté dans les années récentes, mais elle ne suffit pas à couvrir des besoins qui sont eux-mêmes en croissance. L'Union européenne a importé 70 % du gaz qu'elle a consommé en 1999. Elle creuse année après année sa dépendance vis-à-vis de ses principaux fournisseurs, qui sont la Russie et l'Algérie. Concentrées à 80 % en Norvège, laquelle compte sur le gaz pour compenser la baisse de sa production pétrolière, les réserves européennes de gaz naturel s'élèvent à 17 milliards de mètres cubes. Les gisements néerlandais ont devant eux plus de vingt années de production. Le Royaume-Uni, lui, prévoit une diminution rapide de sa production à partir de 2005.

Ces chiffres sont à rapprocher de plusieurs faits. Ainsi, l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud se livrent à une concurrence marquée dans le domaine du gaz. Des réserves considérables existent en Russie, mais elles souffrent d'une fragilité géostratégique. Il en va de même pour les réserves du Moyen-Orient, elles aussi importantes, mais qui sont très peu utilisées faute d'usine de liquéfaction et de gazoducs pour exporter la production. Les ressources sont importantes en Asie, mais celle-ci est loin des centres de production. Dans ces conditions, si le développement du gaz naturel présente des perspectives favorables compte tenu des ressources qui existent, le taux élevé de croissance prévu par l'OCDE par exemple pourrait ne pas être atteint en raison de l'importance des investissements à réaliser. L'effort d'investissement serait d'ailleurs encore plus difficile à soutenir si les prix du gaz devenaient aussi volatiles que ceux du pétrole et si la concurrence entre les grands groupes aboutissait à ce qu'ils recherchent davantage à augmenter leurs profits qu'à préparer l'avenir.

La volatilité des prix constitue en effet une menace pour les approvisionnements. Les prix du pétrole ont très fortement varié ces dernières années, passant de 10 dollars début 1999 à plus de 38 dollars en 2000, avant de décroître puis de se stabiliser aux environs de 25 dollars en novembre 2002. Si des tensions continuent de se faire sentir sur les prix du pétrole d'ici à 2020, il en ira de même sur les prix du gaz, lesquels devraient également augmenter, à partir de 2005, du fait de la croissance de la demande. Cette volatilité croissante des prix du gaz naturel constitue une rupture majeure avec le passé où prédominaient les contrats à long terme et où les marchés « spot » n'avaient que peu d'importance.

Des investissements colossaux seront nécessaires partout dans le monde. En effet, le transport de gaz par méthaniers exige une liquéfaction préalable du produit dans des usines très coûteuses et consommatrices d'énergie, des navires spécialisés, une regazéification du produit, ensuite stocké dans des installations, elles aussi très sophistiquées. Le transport par gazoducs exige des canalisations et des stations de compression. On le voit, la chaîne gazière, terrestre ou maritime, est complexe et coûteuse. La construction de nouveaux gazoducs et d'unités de liquéfaction sera pourtant indispensable pour transporter vers ses lieux de consommation le gaz extrait en Alaska, dans l'Arctique ou au large de Terre-Neuve. La Chine, qui a misé sur le gaz naturel, devra construire plusieurs terminaux pour méthaniers, ainsi que des gazoducs longue distance la reliant d'une part au Bangladesh, d'autre part, à l'Iran, au Qatar ou à l'Asie centrale via le Pakistan. Or, seuls des contrats à long terme ont permis par le passé de financer de telles infrastructures.

J'en viens à la situation de la France. La loi de 1946 a confié à GDF la distribution nationale du gaz, tout en reconnaissant le droit à des distributeurs locaux non nationalisés d'assurer eux aussi une distribution - l'existence de ces distributeurs locaux a d'ailleurs été confortée par l'article 88 de la loi de février 1992 relative à l'administration territoriale de la République. Un plan national de desserte gazière, prévu par la loi du 2 juillet 1998, a enfin été arrêté le 3 avril 2000. Afin de répondre aux demandes des communes non encore desservies par un réseau public de gaz, il leur a été permis de recourir à l'opérateur de leur choix, sous réserve de son agrément par le ministère chargé de l'énergie, ce qui n'interdit d'ailleurs pas à GDF ou aux distributeurs non nationalisés historiques d'intervenir.

La question est de savoir si le développement, nécessaire, de la desserte gazière pourra s'effectuer dans les conditions créées par la directive. Le groupe socialiste proposera un amendement qui prévoit expressément la mise en _uvre d'un plan national de desserte et la compensation des charges résultant des missions de service public assignées aux opérateurs grâce à un prélèvement additionnel au tarif d'utilisation du réseau, dû par chacun de ses utilisateurs.

En conclusion de cette première partie de mon propos, je dirai que la libéralisation à marche forcée qui nous est imposée aujourd'hui n'est pas adaptée aux enjeux. Il est profondément regrettable que le modèle prôné par l'Union européenne se fonde sur le seul critère de concurrence, alors que dans le domaine énergétique, les investissements doivent être planifiés à long terme.

Cette libéralisation accélérée est un contresens économique et un marché de dupes. Le gaz, comme l'électricité, est un bien de première nécessité, dont la fourniture exige des investissements très lourds, qui ne sont pas nécessairement à la portée d'entreprises privées opérant sur un marché totalement dérégulé.

Je prendrai l'exemple, très instructif, de l'électricité. La production d'électricité en masse exige des centrales de forte puissance dont la construction prend au moins deux ans pour les centrales au gaz et cinq à dix ans pour les centrales nucléaires. Elle exige aussi un réseau national de transport à haute capacité et un réseau de distribution irriguant tout le territoire. Sur le plan européen, une interconnexion entre les réseaux des différents pays a par ailleurs toujours été la règle pour faire face aux pics de consommation momentanés ou compenser un déficit durable de production.

Le Conseil européen de Barcelone a décidé que les capacités d'interconnexion entre Etats membres devraient représenter 10 % de leur production nationale. Peut-on sérieusement considérer que les investissements correspondants pourront être supportés par des entreprises privées ?

Le taux d'indépendance énergétique de la France était de 24 % seulement en 1973, avec une production d'énergie primaire de 43 millions de tonnes équivalent-pétrole. Grâce, entre autres, à l'ambitieux programme de construction de centrales nucléaires lancé au début des années 1970, il est passé à 50 % en 2001, avec une production atteignant 134 millions de tonnes équivalent-pétrole. L'investissement consenti par EDF depuis lors représente 45 milliards d'euros courants, remarquablement rentables, comparés à l'endettement catastrophique que certaines entreprises ont contracté dans les années récentes pour un résultat presque nul. Des entreprises privées auraient-elles pu soutenir le même effort d'équipement que l'entreprise publique EDF ?

M. Christian Bataille - Bien sûr que non !

M. Jean-Yves Le Déaut - Des investissements tout aussi considérables seront nécessaires pour le gaz. Je ne reviens pas sur le coût des divers éléments de la chaîne gazière que j'ai détaillés tout à l'heure. La construction d'un gazoduc à haute pression coûte en Europe un million d'euros au kilomètre - en France, il a fallu y consacrer 34 milliards d'euros - et un centre de stockage d'un milliard de mètres cubes coûte près de 500 millions d'euros.

70 % du chiffre d'affaires de GDF correspond aujourd'hui au secteur du transport. En banalisant le transport, comme veut le faire la Commission européenne, au motif, avoué ou non, que les investissements ont déjà été réalisés, et en ouvrant la distribution à la concurrence, le risque est bien de stopper net les investissements lourds dans le secteur gazier. Qui aura, demain, sans plus de contrats à long terme, la surface financière nécessaire pour étendre le réseau de transport de gaz aux clients qui n'y ont pas accès aujourd'hui, entretenir le réseau actuel, assurer la sûreté des installations, et développer la recherche ?

L'actuelle déréglementation des marchés du gaz et de l'électricité doit être remise en perspective avec les nationalisations opérées après-guerre. La loi de nationalisation, adoptée en 1946 sur la base d'un large consensus, avait eu pour effet de remplacer un millier de sociétés de production, de transport et de distribution par deux établissements publics seuls capables, avec les régies, la CNR et quelques producteurs comme les Houillères et la SNCF, de fournir l'effort requis de reconstruction.

Les investissements dans le domaine de l'énergie, sont tels, en montant et en durée, qu'ils sont hors de portée des marchés. Le principal frein aujourd'hui au redémarrage d'un programme d'équipement nucléaire aux Etats-Unis n'y est ni le souvenir de la catastrophe de Three Mile Island, ni une réglementation trop tatillonne, ni même la faiblesse des réseaux de transport - encore que l'interconnexion des réseaux entre Etats soit un véritable problème dans ce pays -, mais bien le montant et la durée de l'investissement qui serait nécessaire.

Attendre cinq ans un retour sur investissement - étant entendu que le coût d'une centrale nucléaire de 1500 MW avoisine trois milliards d'euros - est en effet insupportable pour une entreprise cotée à Wall Street qui doit justifier de ses résultats tous les trimestres. En France, certes, l'effort principal d'équipement a déjà été réalisé pour ce qui est de l'électricité et du gaz. Mais lorsque les centrales nucléaires arriveront au terme de leur durée de vie, le problème se posera. Quant aux infrastructures gazières, il faudra les entretenir, les renouveler et en accroître les capacités. Les entreprises privées ne me semblent pas adaptées à de tels efforts à long terme.

Entre 1995 et 2002, la France a eu une approche prudente et équilibrée de la politique énergétique, qui n'est pas, rappelons-le, une compétence européenne stricto sensu mais qui demeure largement une prérogative nationale. Les gouvernements de gauche ont toujours défendu le service public et le droit à l'énergie. Celui de Lionel Jospin a longuement négocié avec nos partenaires européens et obtenu que les exigences de la France soient satisfaites, après quoi une large concertation a été lancée - le Conseil économique et social a été saisi et Mme Bricq a été chargée d'un rapport sur la transposition. De ces consultations a émergé un projet qui transposait la directive a minima. En parallèle, le gouvernement Jospin négociait au niveau européen le préalable d'une directive cadre sur les services d'intérêt général. Préalable qui fut réaffirmé au Sommet de Barcelone, où la France a obtenu qu'aucune date ne soit fixée pour l'ouverture totale du marché de l'électricité et du gaz. Qu'est devenu ce projet de directive-cadre ? Personne n'en entend plus parler, malheureusement...

Ce gouvernement accepte, lui, une libéralisation à marche forcée et je regrette, Madame la ministre, que telle la chèvre de M. Seguin, vous ayez capitulé à Bruxelles. La presse ne s'y est d'ailleurs pas trompée : « rompant avec ses prédécesseurs, le gouvernement Raffarin a levé les réserves françaises », « la France ne dispose d'aucun joker lui permettant de bloquer en dernière minute l'ouverture totale du marché », pour ne citer que quelques analyses d'alors. Cela signifie que dès 2007, le service public de l'énergie sera à ranger au rayon des accessoires, car comment pourrez-vous imposer à des opérateurs uniquement soucieux de rentabilité financière la péréquation des prix et la desserte équilibrée du territoire ? Il faut rappeler qu'actuellement seulement 8 200 communes sont desservies par le gaz... Les consommateurs risquent d'être les premières victimes de la libéralisation.

Nous aimerions, Madame la ministre, que vous nous disiez quel calendrier vous envisagez pour l'ouverture des marchés ; comment vous comptez faire jouer la clause de révision ; comment vous avez négocié la séparation des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution ; quelle est votre position sur le service universel, sur l'étiquetage énergétique et sur l'accès aux installations de stockage de gaz. Sur tous ces points, nous craignons en effet que la France ait passé un marché de dupes. Pourquoi ? Parce qu'en réalité le marché européen est faussement ouvert.

Prenons l'exemple de l'électricité et du marché allemand. En théorie, le marché allemand de l'électricité est ouvert à 100 %. Mais, dans les faits, cette ouverture se heurte à de nombreux obstacles pratiques et à un système réglementaire assez opaque. En effet, il existe un péage sur le transport d'électricité ; plusieurs opérateurs de réseaux de transport coexistent dans les Länder, ce qui complique la négociation pour une demande de transit devant traverser plusieurs régions ; enfin, l'Allemagne se caractérise par l'absence d'un régulateur indépendant. Tout cela explique que les clients ayant changé de fournisseurs aient en général opté pour d'autres opérateurs allemands. Bref, le marché est ouvert, mais uniquement pour les opérateurs allemands !

A l'inverse, 30 % du marché français est ouvert à la concurrence et les clients consommant plus de 16 millions de kW heure par an et par site peuvent choisir leur fournisseur d'électricité. Et la France a une Commission de régulation de l'électricité indépendante. C'est cela qu'il aurait fallu dire à Bruxelles, Madame la ministre ! C'est vrai que nous avons tardé à transposer, mais notre marché est dans les faits plus ouvert à la concurrence que celui d'autres pays - j'aurais pu aussi parler de l'Italie et de l'Espagne - qui n'ont réalisé que des ouvertures en trompe-l'_il.

Mais revenons-en au gaz. Le recours au gaz est amené à s'amplifier dans les années à venir, tant au niveau français qu'au niveau européen. En France, sa consommation croît de plus de 3 % par an. D'une manière générale, la demande devrait être dopée sous l'effet de plusieurs facteurs tels la lutte contre l'effet de serre et le fait qu'il serve de plus en plus pour la production d'électricité ainsi que dans les transports. Il est, par exemple, évident que le développement des éoliennes va s'accompagner de la création de centrales à gaz, car l'énergie fournie par les éoliennes est par nature intermittente et appelle donc une énergie de substitution pour les périodes où les éoliennes sont à l'arrêt.

Or, la concurrence exacerbée, la flexibilité et la libéralisation du marché ne sont pas les meilleurs garants d'une sécurité de nos approvisionnements. Ceux-ci dépendront en outre de plus en plus de zones géopolitiquement instables, la Russie par exemple. Quand on ajoute à cette incertitude géopolitique la dérégulation totale, on met en place les ingrédients qui peuvent provoquer de graves crises énergétiques. L'équation de Californie aurait dû, Madame la ministre, vous donner matière à réflexion : P+E= PE, autrement dit privatisations plus éoliennes égalent pénurie d'électricité.

Qui paiera les pots cassés en cas d'augmentation brutale du prix du gaz ou lorsqu'une crise politique grave surviendra dans un pays producteur ?

Le plus grave est sans doute que, dans un contexte totalement dérégulé - après l'ouverture du capital qui ne manquera pas de suivre l'ouverture du marché - une guerre sans merci opposera les tenants de la production électrique à partir du gaz naturel à ceux de l'énergie nucléaire. Toutes les énergies ont des avantages et des inconvénients, mais c'est à l'Etat d'arbitrer pour déterminer le meilleur équilibre possible entre les différentes sources d'énergie, pas au marché.

Cette marche béate vers une transposition sans imagination ouvre une première brèche dans le concept de service public. En effet l'électricité et le gaz ne sont pas des marchandises comme les autres. Les ruptures d'alimentation en Californie, la faillite d'Enron et le récent scandale de World-Com, l'effondrement provisoire, j'espère, de France Télécom prouvent que la Bourse et le marché ne se prêtent pas à la prévision à long terme. L'accès à l'énergie ne peut, à notre sens, être régi par les seules forces du marché.

La directive a explicitement reconnu la possibilité d'imposer des obligations de service public pouvant porter sur la sécurité, la régularité, la qualité et le prix des fournitures et la protection de l'environnement.

Mme la Ministre déléguée - Tout à fait !

M. Jean-Yves Le Déaut - Certes, le titre III confère aux pouvoirs publics le droit d'imposer des obligations de service public à l'ensemble des opérateurs gaziers.

Ces obligations varient selon les différentes catégories d'opérateurs dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Le Parlement que nous sommes est donc « squeezé », dans la mesure où il ne décide pas des obligations de service public.

Enfin, une disposition spécifique permet au ministre en charge de l'énergie de prendre les mesures « strictement » nécessaires en cas de menace pour la sécurité d'approvisionnement. Le cas échéant, un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application de cet article. Regrettons à nouveau que ce texte s'appuie sur des décrets dont nous ne pouvons pas mesurer la portée. Voilà des raisons supplémentaires pour demander le renvoi en commission de l'examen du texte.

Regrettons aussi que le projet ne consacre qu'une portion congrue au service public et que les références à l'égalité, à la continuité, à l'adaptabilité, à la sécurité, à la qualité et aux meilleurs prix ne soient destinés qu'à masquer la volonté de libéralisation totale du marché. Votre avant-projet de loi, n'y faisait même pas référence. On y parle d' « obligations », ce qui signifie que le service public est, pour la Commission européenne, une contrainte infligée au marché.

A l'inverse, le texte préparé par Christian Pierret avait pour titre « moderniser les services publics du gaz naturel et développer les entreprises gazières »...

M. Jean-Claude Lenoir - Il fallait le faire examiner par le Parlement !

M. Jean-Yves Le Déaut - Un article de principe définissait le service public et ses différentes missions, que l'on peut résumer ainsi : continuité du service et aménagement du territoire, protection de l'environnement et cohésion sociale. S'y ajoutaient deux points oubliés dans le projet, cher Claude Birraux : la recherche et le progrès technologique.

L'ouverture à la concurrence dans le secteur électrique et gazier conduira à la suppression de nombreux emplois et à une dégradation des garanties acquises aux salariés, et la course au profit au moins-disant social et à la dégradation de la sûreté industrielle, je le dis en tant que rapporteur de la commission d'enquête sur les risques industriels, diligentée après l'accident de l'usine AZF à Toulouse.

Le transport du gaz en France représente près de 60 sites classés Seveso, 120 000 km de canalisations sous pression de 3 à 6 bars dans les zones urbaines, 30 000 km de canalisations à très haute pression, jusqu'à 100 bars, enterrées sous un mètre, souvent à proximité de lieux et d'équipements publics, 4 000 postes de gaz à très haute pression, 14 stockages souterrains. L'incendie sur le circuit torchage au terminal méthanier de Montois en Bretagne en septembre 1997 s'est traduit par des flammes de 40 mètres de haut. Une explosion à Dijon a fait onze morts.

80 % des accidents industriels dans le monde sont dus à un facteur humain. Il est donc urgent de réhabiliter la place de la dimension sociale et humaine dans l'analyse des risques. Or le plus souvent les opérateurs demeurent sourds, faisant même du facteur humain une variable d'ajustement. Nous avons pu le vérifier lors de la visite du centre de stockage de Cerville en Meurthe-et-Moselle en janvier 2002. Aujourd'hui, il est bien vu par les actionnaires de supprimer des emplois, alors que la sécurité à l'extérieur dépend avant tout de la vigilance et de la compétence à l'intérieur de l'établissement. Selon l'expression d'un salarié de Toulouse, tout employé d'un établissement industriel doit être un « guetteur de dérive ». Il faut donc mieux associer les personnels à la sûreté des sites, lutter contre le développement de l'emploi précaire, et ne pas s'engager dans une politique d'externalisation de certains travaux relatifs à la sûreté industrielle. Les DRIRE devraient en tenir compte.

La baisse des effectifs organiques à GDF ou à TFE, dont a parlé M. Habib, ramenés à un niveau minimum suffisant pour un fonctionnement normal, devient inadaptée pour faire face à une situation de crise. Les DRIRE devraient considérer ces évolutions comme un facteur aggravant du risque.

Aujourd'hui, la conception de la sûreté semble considérée comme une compétence managériale, exercée sans partage par l'équipe de direction et à l'exclusion des agents.

Nous avons dénoncé unanimement la sous-traitance en cascade et plaidé pour que la rentabilité ne soit pas recherchée au détriment de la sûreté. Nous demandons que dans les établissements classés SEVESO, les CHSCT puissent créer une commission de sûreté industrielle, qu'on inclue dans le bilan social les incidents et quasi-accidents et que les CHSCT soient destinataires de ce document, qu'on élargisse le droit d'alerte, pour rendre obligatoire la réunion du CHSCT lorsqu'un membre du personnel signale un risque d'accident majeur. Enfin, il nous paraît indispensable qu'une personne qualifiée puisse intervenir en moins de vingt minutes pour parer à toute difficulté rencontrée sur le réseau. Je ne suis pas persuadé que la libéralisation et l'ouverture à la concurrence améliorent la sûreté industrielle et le climat social.

Quel sera le rôle assigné à GDF ? Comme des moutons de Panurge, le Gouvernement et la majorité pensent qu'en se jetant le plus vide possible à l'eau, la France sera mieux armée pour défendre ses positions dans la négociation de la deuxième directive, que la situation de GDF s'en trouvera renforcée, et que cette société nationale pourra mener à bien des projets d'expansion à l'étranger.

C'est malheureusement l'inverse qui risque de se passer. GDF n'a pas les moyens de jouer seule sur le marché international et risque, lors de l'ouverture du capital souhaitée par le gouvernement Raffarin...

M. Jean-Claude Lenoir - ...et celui de Lionel Jospin !

M. Jean-Yves Le Déaut - ...de devenir une proie facile pour plus puissants que lui.

L'Etat actionnaire, via les gouvernements successifs, a laissé passer la chance historique de regrouper EDF et GDF pour en faire un acteur de dimension internationale.

M. Pierre Ducout - C'est vrai !

M. Jean-Yves Le Déaut - De ce fait nos deux entreprises nationales seront demain contraintes à des alliances avec des pétroliers ou avec des entreprises de services.

M. Christian Bataille - Suez, Vivendi-Environnement !

M. Jean-Yves Le Déaut - La recherche du profit par les grands opérateurs et la concurrence sans merci à laquelle ils vont se livrer dans un système totalement libéralisé n'est pas compatible avec la définition d'une stratégie énergétique indépendante.

Le groupe socialiste a une position claire : oui, il faut moderniser le service public du gaz. Mais débattons d'abord des grandes orientations de notre politique énergétique nationale, de la place pour le gaz naturel dans notre pays. Améliorons la sûreté de nos infrastructures gazières, avant de mettre le doigt dans l'engrenage de la dérégulation.

Nous pourrons ensuite transposer la directive du 22 juin 1998. Il n'y a aucune urgence, puisque notre marché est déjà plus ouvert que le marché allemand ou espagnol.

La collectivité nationale ne peut pas prendre le risque de voir le résultat d'efforts réalisés par l'intermédiaire de son entreprise publique Gaz de France être démantelé sous la pression de la Commission européenne.

C'est un leurre de croire que l'on peut proposer les prix les plus bas au consommateur, assurer à nos compatriotes les meilleures conditions de sécurité, tout en préservant le service public ; même si la Commission européenne le prétend, personne n'y croit...

Nous pourrions, avant de prendre une décision, réfléchir à la meilleure manière de moderniser le service public du gaz en préservant notre indépendance énergétique, notre sécurité d'approvisionnement, la continuité de fourniture du gaz, la protection de l'environnement, le développement équilibré du territoire et l'accès de tous nos concitoyens à l'utilisation de l'énergie.

M. François Brottes - Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut - C'est pourquoi nous vous demandons de voter le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - Je remercie chacun des orateurs d'avoir fait l'effort de respecter son temps de parole.

M. Daniel Paul - Merci, Madame la ministre, d'avoir confirmé ce que je craignais. En fait, vous avez capitulé ! Vous reconnaissez que des tiers pourront accéder aux stockages de façon négociée ; autant dire que cela se fera ! Comment imaginer que, dans la situation où nous nous trouverons dans quelques mois, GDF ne devienne pas une vache à lait pour les requins désireux de profiter des installations de stockage que l'entreprise a construites depuis plusieurs dizaines d'années avec de l'argent public ?

Qui fera les investissements requis par le stockage et la distribution du gaz, dans le cadre de la directive, dès lors que ces efforts seront mis en balance avec la rentabilité exigée par les actionnaires ? Or il y va de la sécurité des approvisionnements et des installations, qui prime toute autre considération. Il est encore temps de réexaminer le texte. C'est pourquoi je voterai la motion de renvoi en commission proposée par le groupe socialiste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean Dionis du Séjour - J'ai déjà évoqué l'importance du projet européen pour le groupe UDF. J'ai dit également combien il importait de respecter la parole donnée par la France.

Le groupe UDF, pour cette raison, s'opposera au renvoi en commission. Il le fera également parce qu'après les longues démonstrations auxquelles nous avons eu droit, nous ne voyons pas très bien quelle est la vision alternative du groupe socialiste. Quelle est-elle, sachant qu'il y aura une deuxième directive ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Ducout - Eh voilà !

M. Jean Dionis du Séjour - Ne soyez pas hypocrites ! Nous devons aller de l'avant et donner toutes leurs chances aux entreprises nationales (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jean-Claude Lenoir - Le groupe UMP votera également contre cette motion de renvoi en commission, pour des raisons de fond qui ont été évoquées pendant le débat.

Nous voulons, sans tarder, discuter de ce projet de loi. Nous n'avons que trop attendu !

En outre, la commission a fait un excellent travail (Rires sur les bancs du groupe socialiste), sous l'autorité de son président et grâce aux éclairages apportés par notre ami François-Michel Gonnot. Les amendements ont été examinés un à un ; nous avons entendu les explications fournies par l'opposition. En quoi une réunion supplémentaire permettrait-elle de modifier les positions des uns et des autres ? Nous nous opposons à cette nouvelle manoeuvre de retardement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. François Brottes - Je remercie Jean-Yves Le Déaut pour la force, la clarté, le sérieux de son argumentation. A l'inverse des propos politiciens tenus par la majorité, à l'inverse de la distance - c'est un euphémisme - de Mme la ministre, qui n'a pas jugé utile de répondre aux orateurs socialistes...

Mme la Ministre déléguée - J'ai répondu !

M. François Brottes - ...Jean-Yves Le Déaut a eu le souci du détail relativement à l'aspect technique, à l'aménagement du territoire, à l'indépendance énergétique, aux garanties en matière de sécurité. Il a lancé un appel à la raison ; il a fait des propositions constructives. Il vous aura convaincus, je l'espère, de renvoyer ce texte en commission (Rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) pour que nous puissions rectifier le tir pendant qu'il est encore temps.

Il n'est pas supportable de mettre la recherche et les investissements en péril, de les sacrifier sur l'autel d'une armée de concurrents intéressés par le seul profit à court terme.

De plus, ce texte fait fi de l'accord que le Gouvernement a signé le 25 novembre dernier à Bruxelles. Nous refusons de voter un texte à l'aveugle, nous refusons une politique gouvernementale qui exclut le Parlement du droit d'élaborer lui-même les dispositions qui garantissent le service public de l'énergie à tous nos concitoyens. Nous refusons la formule : « par décret, ou de force » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 20.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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