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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 43ème jour de séance, 114ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 14 JANVIER 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

IRAK 2

DÉBAT PARLEMENTAIRE SUR L'IRAK 3

ACTES ANTISÉMITES 4

IRAK 4

PROFESSIONNELS DE SANTÉ 5

MARÉE NOIRE EN GIRONDE 6

POLITIQUE FINANCIÈRE DU GOUVERNEMENT 6

POLITIQUE DE SÉCURITÉ 8

CÔTE D'IVOIRE 8

AVENIR DES RETRAITES 9

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS LES HÔPITAUX 10

SITUATION DE L'EMPLOI DANS LE BASSIN DE LONGWY 10

SÉCURITÉ INTÉRIEURE 11

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 26

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

M. le Président - Je voudrais d'abord adresser à chacune et chacun d'entre vous mes meilleurs v_ux et adresser au Premier ministre et au Gouvernement les meilleurs v_ux de l'Assemblée nationale pour 2003 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste).

IRAK

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Premier ministre, vous avez aujourd'hui un devoir de vérité. La crise irakienne approche peut-être de son dénouement. Alors que vous ne cessez de dire que la guerre ne doit être que la dernière extrémité, le Président de la République semble s'y résigner en demandant à nos forces armées de se tenir prêtes à faire face à toute éventualité. Comment ne pas y voir une mobilisation qui n'ose pas dire son nom, une préparation des esprits à un engagement militaire de la France ? C'est d'autant plus surprenant que la France préside actuellement le Conseil de sécurité de l'ONU et qu'à ce jour aucune preuve d'un réarmement de l'Irak n'a été apportée. Vos appels réitérés à une décision de l'ONU ne seraient-ils qu'un paravent légal pour un ralliement à l'équipée de M. Bush ?

Insoutenable contradiction, qu'il vous appartient de dissiper. Le pire frappe à la porte. L'armée américaine est massée aux frontières de l'Irak, la nôtre se prépare. Vous devez clarifier vos intentions.

Qu'attendez-vous pour annoncer que la France opposera son veto à tout recours à la force et refusera d'y prêter son concours militaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Vous avez dit, dans une de vos formules inimitables : « Nous restons déterminés à être opposés à la guerre ». J'en demande des preuves : c'est pourquoi nous voulons que le débat parlementaire auquel vous vous êtes engagé se tienne après la remise du rapport des inspecteurs de l'ONU au Conseil de sécurité et que le Gouvernement y engage sa responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Si vous refusez la guerre, la représentation nationale sera tout entière avec vous. Mais si par malheur vous faites la guerre, sachez qu'il n'y aura pas d'union sacrée et qu'une écrasante majorité du pays se détournera de vous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Monsieur le Président, je vous remercie de vos v_ux et je voudrais adresser, au nom du Gouvernement, à chacune et chacun des membres de l'Assemblée des v_ux très sincères pour l'année 2003.

La question posée est très importante et rejoint le souhait du Président de la République qu'un débat se tienne au Parlement sur la crise irakienne, le moment venu (Exclamations et interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Il est important que le Parlement puisse être informé (« Et voter !  sur plusieurs bancs).

Je souhaiterais qu'on traite de ce sujet avec sérénité... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La position de la France n'a pas changé. Nous souhaitons assurer le désarmement de l'Irak par le droit : pour nous, le droit est construit par la communauté internationale au sein du Conseil de sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Donc, s'il doit y avoir une intervention militaire, il faudra une autre délibération que la résolution 1441.

Les inspecteurs de la commission de contrôle de l'ONU conduisent leurs travaux dans des conditions difficiles. Nous avons noté des zones d'ombre importantes dans la déclaration remise par l'Irak le 7 décembre dernier et c'est pourquoi le ministre des affaires étrangères, qui assure la présidence du Conseil de sécurité, a demandé par écrit à tous ses membres de remettre aux inspecteurs toutes les informations capables d'éclairer leur travail.

Nous sommes très attentifs au respect de la résolution 1441, votée par le Conseil de sécurité à l'unanimité. Dès lors qu'une autre délibération lui serait soumise, un débat devrait être organisé.

Notre réponse est claire : nous sommes contre la guerre, qui est la dernière des extrémités. On ne lutte pas contre la guerre avec des slogans et des utopies (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), mais avec une diplomatie efficace, comme celle que nous développons actuellement.

A l'issue de la présidence française, fin janvier, nous disposerons de toutes les informations pour trouver ensemble, Monsieur le président, un date pour le débat que vous souhaitez (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

DÉBAT PARLEMENTAIRE SUR L'IRAK

M. Jacques Barrot - Merci, Monsieur le Premier ministre, de ces informations. Le groupe UMP vous avait sollicité pour organiser un débat solennel (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Depuis le début de la crise irakienne, vous nous avez tenus au courant, mais il est vrai que celle-ci suscite une demande croissante et justifiée d'informations. Vous venez d'assurer que ce débat aura lieu, au moment opportun.

Nous souhaiterions quelques précisions sur les modalités de ce débat, qui devrait permettre à chacun d'entre nous de prendre ses responsabilités, aux côtés du Gouvernement de la France.

Je tiens à souligner combien nous sommes fiers de la manière dont le Gouvernement de la France et le Président de la République ont su, dans cette affaire, prendre une position claire et ferme, appréciée par toute la communauté internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe UDF). L'objectif est clair : éviter la prolifération des armes de destruction massive. Mais cette action doit être encadrée par l'ONU et l'Irak doit y apporter son concours. Aujourd'hui nous recevons des informations contradictoires sur l'attitude des autorités irakiennes. Or nous avons besoin d'informations aussi objectives que possible. Il ne s'agit pas de préjuger du résultat des inspections, mais d'apprécier la coopération ou la résistance des autorités irakiennes.

Votre ministre des affaires étrangères a donné des informations très utiles à la commission des affaires étrangères. Nous souhaiterions aujourd'hui en savoir plus. Pouvez-vous nous confirmer, Monsieur le Premier ministre, que vous ouvrirez ce débat avec la solennité qui s'impose ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je vous le confirme ! (« Ah ! » sur divers bancs) Et j'ajoute même pour vous, cher président, un message supplémentaire : la France entend rester libre de ses décisions et assumera ses responsabilités en son âme et conscience, sans céder à aucune pression.

C'est vrai que les inspecteurs travaillent dans des conditions relativement satisfaisantes, mais une chose est de ne pas leur mettre d'obstacles, une autre est d'obtenir toutes les informations nécessaires. C'est pourquoi Dominique de Villepin a demandé à tous les membres du Conseil de sécurité de rassembler les informations dont ils disposent eux-mêmes pour qu'à la fin de la présidence française nous ayons tous les éléments nécessaires pour éclairer la décision et engager le débat au Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Nos échanges, à l'occasion de ce débat, se feront en toute responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

ACTES ANTISÉMITES

M. Rudy Salles - Monsieur le Premier ministre, permettez-moi d'exprimer mon indignation devant la motion adoptée le 16 décembre dernier par le conseil d'administration de l'université de Paris VI, qui s'est prononcé contre le renouvellement de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël, spécialement en matière de recherche.

Cette motion est un véritable appel au boycott scientifique et économique d'Israël et ne peut qu'encourager l'intolérance et la violence.

Nombre de nos concitoyens ont été choqués de ce que des institutions universitaires préconisent l'arme détestable du boycott quand elles devraient favoriser le développement des échanges intellectuels pour contribuer à la recherche de la paix.

Nous assistons à une montée de l'antisémitisme - allant jusqu'à l'agression de personnalités représentant la communauté juive - et à la volonté de transposer le conflit du Proche-Orient ici-même.

Savez-vous que certains professeurs d'histoire n'osent même plus aborder le problème de la shoah dans leurs cours ?

Quelles actions le Gouvernement entend-il entreprendre pour mettre un terme à ces dérapages ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez raison de vous émouvoir de telles prises de position.

Si nous voulons que cesse cette remontée du racisme et de l'antisémitisme, il appartient d'abord à tous les titulaires de postes de responsabilité de faire en sorte qu'il en soit ainsi - qu'il s'agisse du pouvoir intellectuel, économique, social ou politique. L'ensemble de la société doit se mobiliser pour lutter contre cette montée de l'intolérance, de l'antisémitisme et du racisme.

Le pouvoir politique doit assumer ses responsabilités ; c'est pourquoi vous avez déjà adopté, avec l'accord du Gouvernement, la proposition de loi déposée par M. Pierre Lellouche.

J'ai également rappelé au parquet la nécessité de poursuivre les actes qui participent de l'antisémitisme et du racisme. J'ai demandé, en liaison avec les autorités préfectorales et les différents responsables des communautés concernés, de suivre précisément l'évolution de la situation.

Nous réfléchissons aux moyens permettant d'éviter qu'Internet, par exemple, soit le support de messages inadmissibles à caractère raciste et antisémite (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

IRAK

M. Jacques Brunhes - Les Etats-Unis accélèrent les préparatifs de guerre en Irak, comme en témoigne l'envoi de 120 000 militaires dans la région - qui ne sont pas là, pour reprendre l'expression réaliste de notre Président, ce matin, sur les ondes, « pour cultiver des fraises ».

L'inquiétude grandit alors même que l'opinion publique est hostile à une guerre dont les conséquences seraient incalculables pour l'Irak, déjà exsangue, mais aussi pour la région et le monde. Jusqu'à présent, la France a été active dans la recherche d'une solution conforme au droit international. Or, mardi dernier, lors des v_ux aux armées, le Président de la République a laissé entendre que le conflit serait inévitable et a suggéré que la France pouvait s'y associer. Le ministre des affaires étrangères indiquait ce matin en commission que « le recours à la force peut être utile dans certains cas ».

Il ne suffit pas de retarder la guerre ; il faut l'empêcher.

La mission des inspecteurs se déroule sans entrave ; aucune trace d'armes de destruction massive n'a été trouvée ; elle doit être prolongée comme le préconise M. El-Baradei.

Les Etats-Unis visent non seulement à déloger le dictateur Hussein mais aussi et surtout à contrôler les richesses pétrolières de ce pays. Dans cette logique, tout leur sera prétexte pour intervenir, y compris sous le couvert d'une prétendue légitimité juridique.

Nous demandons que la France dise clairement qu'elle est opposée à la guerre, qu'elle le confirme dans le débat parlementaire qui devrait être conclu par un vote pour ou contre le conflit (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), qu'elle s'engage à user de son droit de veto à l'ONU si les Etats-Unis persistent dans leur volonté de recourir à la force. Y êtes-vous prêt, Monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères - Dans la crise et dans le désordre du monde, trois qualités sont indispensables à la diplomatie : le sang-froid, la détermination, l'action (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La France est engagée dans un combat difficile ; elle inscrit son action dans le cadre de la sécurité collective et a obtenu le vote à l'unanimité de la résolution 1441 ; elle agit selon des principes forts : la légitimité, la responsabilité, l'efficacité dans l'action.

Nous avons fait le choix d'un régime d'inspection renforcé. Ces inspections se déroulent dans de bonnes conditions, avec un objectif simple : obtenir le désarmement de l'Irak.

Il n'y a pas de fatalité. La guerre n'est pas écrite. A nous de l'empêcher.

Nous appelons l'Irak à une coopération active. Nous devons soutenir les inspections de la CCVINU et de l'Agence internationale de l'énergie atomique. C'est pour cela que nous avons saisi le Conseil de sécurité. J'ai reçu hier M. El-Baradei ; nous recevrons vendredi M. Hans Blix.

La France assumera toutes ses responsabilités mais elle gardera sa liberté d'action.

Nous comptons sur l'appui de la représentation nationale et de la nation tout entière (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

PROFESSIONNELS DE SANTÉ

M. Jean-Marie Rolland - Depuis le printemps, Monsieur le ministre de la santé, vous vous êtes efforcé de renouer le dialogue avec les professionnels de santé. Vous avez permis qu'un accord soit trouvé entre les caisses et les médecins généralistes avec, notamment, le passage à la consultation à 20 €.

Depuis huit ans, les médecins spécialistes n'ont pas connu de revalorisation de la consultation. Leur légitime exaspération a été aggravée par l'augmentation récente des primes d'assurance pour les chirurgiens et les gynécologues obstétriciens.

Vous avez déploré l'absence d'accord lors de la négociation conventionnelle le 11 décembre dernier. Un accord récent semble avoir été conclu entre les syndicats médicaux et la CNAM. Quel est votre sentiment ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Il est vrai qu'à l'occasion de l'accord du 5 juin, nous avons renoué le dialogue avec le monde de la santé.

Depuis six mois, de difficiles négociations ont été menées avec un dialogue parfois rugueux.

La semaine dernière, un accord a été conclu, à la satisfaction générale. Je vous rappelle les enjeux : la revalorisation des honoraires - nous sommes tombés d'accord pour une augmentation échelonnée dans le temps - et la réorganisation envisagée à la fois par les caisses et par les médecins.

C'est la première fois que les médecins s'engagent à assortir leur prochaine augmentation d'un contrôle du volume des actes. Nous avons convenu d'une rémunération complémentaire pour les médecins qui assureront la permanence des soins, qui iront s'installer dans des zones difficiles, qui constitueront des cabinets de groupes, qui s'orienteront vers des spécialités plus difficiles. Cet accord règle le problème de la responsabilité médicale pour 2003, en attendant la reconstitution d'un véritable marché concurrentiel de la responsabilité civile médicale.

Des accords de bons usages permettront d'impliquer la responsabilité des patients.

Une ère nouvelle s'ouvre. Nous allons pouvoir reconstruire notre système de santé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

MARÉE NOIRE EN GIRONDE

M. Jean-François Régère - La marée noire, consécutive au naufrage du Prestige, vient de toucher les côtes de la Gironde. La circonscription du Médoc, riche de son environnement et de ses traditions, compte près de 100 kilomètres de côtes sur la façade atlantique, mais aussi un grand nombre de communes de l'estuaire de la Gironde, où les boulettes de pétrole risquent d'arriver.

Les maires du Médoc se sentent démunis face à l'ampleur des conséquences de cette catastrophe écologique, économique et humaine.

Je remercie le Gouvernement d'avoir réagi avec vigueur et détermination, ainsi que le montrent les visites du Premier ministre, du ministre de l'écologie par deux fois et du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Cependant, la gestion de cette crise devra s'inscrire dans le temps. Au-delà des mesures d'urgence et des 50 millions qui ont été débloqués, les acteurs du terrain s'inquiètent des moyens financiers, techniques et humains que compte dégager le Gouvernement.

Le nettoyage semble, de l'avis général, devoir être mécanisé. Il ne faudra pas en faire supporter le coût aux communes et aux contribuables, alors que l'Etat est responsable de son domaine maritime. Comment ferez-vous pour que les appels d'offres ne restent pas à la charge des communes ? Quelle position la France défendra-t-elle devant l'Europe pour mettre fin définitivement à la menace du pétrole ? Nous ne pouvons pas vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - Vous avez raison d'insister sur le caractère inédit de cette pollution. Elle n'est pas massive mais diffuse, et son traitement sera éprouvant et coûteux. C'est pourquoi M. Sarkozy et moi avons demandé aux préfets de la zone de prendre les mesures adaptées.

Ainsi, les préfets devront assurer une coordination financière, propre à réaliser des économies de moyens. Nous privilégions les moyens mécaniques, qui semblent les mieux adaptés, mais nous étudierons la situation au cas par cas et pourrons également faire appel à des moyens manuels. Enfin, si par malheur la pollution devenait plus importante, nous pourrions rapidement déployer 800 intervenants en plus des 1 000 qui sont actuellement sur le terrain. En outre, j'ai dépêché un comptable auprès du préfet de Gironde (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) pour que les factures soient traitées au plus vite.

J'ajoute que la météo permet à nouveau aux moyens en mer d'intervenir et que nous avons repêché 164 tonnes de fuel depuis samedi. Je salue l'action de l'IFREMER, qui a déjà en partie colmaté les brèches du Nautile. Les autorités espagnoles ont fait un appel d'offres auprès d'entreprises off-shore pour stopper la pollution, et nous suivons leurs efforts avec intérêt (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

POLITIQUE FINANCIÈRE DU GOUVERNEMENT

M. Didier Migaud - Avant toute chose, permettez-moi de vous dire que sur la question de l'Irak, nous souhaitons que l'Assemblée non seulement débatte, mais vote ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le Premier ministre, le budget qui a été voté en décembre est dépassé avant même d'avoir été exécuté. Tout le monde en convient, du président du MEDEF à la Commission européenne. Le Conseil constitutionnel lui-même a émis des réserves sur votre sincérité. Le décalage entre vos discours et la réalité est flagrant.

M. Georges Tron - Non !

M. Didier Migaud - Vous continuez de tout promettre, en pensant qu'une bonne communication peut tromper les Français. Mais la baisse de l'impôt sur le revenu ne concerne qu'une petite minorité de foyers. Le reste des Français subit une rafale d'augmentations : carburant, fuel domestique, cigarettes, SNCF, RATP, bientôt timbres et électricité, cotisations chômage... (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Georges Tron - 47 % de prélèvements !

M. le Président - Monsieur Tron, veuillez vous taire je vous prie.

M. Didier Migaud - Vous avez pris le risque de briser la consommation, moteur principal de la croissance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jacques Le Guen - L'effet des 35 heures !

M. Didier Migaud - Ces augmentations sont accompagnées d'un recul du service public et de l'Etat. La réalité, c'est aussi la suppression des emplois-jeunes et des deux tiers des contrats emploi solidarité... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) des budgets civils sacrifiés, tels que l'éducation nationale ou la recherche, et la régulation massive que vous préparez nous fait craindre le pire.

Il faut que cesse cette hypocrisie... (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) dont a parlé Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, qui, en d'autres temps, avait parlé de mensonge d'Etat. Le terme s'applique bien ici. Ma question est double (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Laissez parler M. Migaud !

M. Didier Migaud - C'est la vérité qui fait réagir ! Monsieur le Premier ministre, vous qui en parlez beaucoup, quand allez-vous enfin dire la vérité aux Français ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Je vous prie de vous taire. Ne commençons pas l'année comme cela !

M. Didier Migaud - Il ne sert à rien de parler d'héritage, les mesures que vous avez prises ont aggravé la situation (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Soyez un peu tolérants !

M. Didier Migaud - Ensuite, et face à l'envolée des prix du pétrole, quand allez-vous réactiver la TIPP flottante ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées et vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Monsieur Migaud, un excès de critiques tue la critique. Nous avons terminé 2002 avec une augmentation du pouvoir d'achat des Français de 3 % (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). L'année 2003 sera gérée avec prudence et sagesse. Dès le début, nous mettrons en réserve de l'argent qui permettra par exemple à Mme Bachelot d'avoir des ressources supplémentaires pour protéger nos côtes et éventuellement à M. de Villepin d'avoir une capacité d'intervention dans le domaine militaire (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) si, comme nous le craignons, cela ne peut être évité (Vives interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Ecoutez la réponse !

M. le Ministre - Je me permets de vous rappeler que des opérations sont en cours en Côte d'Ivoire et qu'elles doivent être financées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Le Gouvernement compte observer le monde incertain qui nous entoure avant d'agir, avec toute la prudence nécessaire, pour que la loi de finances que vous avez votée soit respectée. Elle le sera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; huées sur les bancs du groupe socialiste).

POLITIQUE DE SÉCURITÉ

M. Ghislain Bray - Pendant de trop longues années, vos prédécesseurs ont traité par le défaitisme et le mépris l'augmentation de la délinquance. Ils nous ont expliqué que la société était par essence violente et que les Français se complaisaient dans leur sentiment d'insécurité. Les résultats que vous commencez à obtenir prouvent que les socialistes avaient tort.

Un député UMP - Comme d'habitude !

M. Ghislain Bray - L'an passé, les crimes et délits n'ont augmenté que de 1,28 %, contre 7,7 % en 2001. Entre janvier et avril, sous la gestion socialiste, la délinquance a augmenté de 4,8 %, et elle a baissé de 0,74 % entre avril et décembre ! Après des résultats aussi encourageants, que comptez-vous faire pour maintenir le cap ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - La première chose est que l'ensemble de la représentation nationale remercie les policiers et les gendarmes pour le travail remarquable qu'ils ont effectué en 2002. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Cela fait longtemps qu'elle ne l'a pas fait !

Ensuite, dans 20 minutes, je vous proposerai au nom de M. Raffarin un projet de loi sur la sécurité intérieure qui nous permettra de rendre les forces de l'ordre plus efficaces. Si j'en juge par le ridicule de la manifestation de samedi, il est temps que nous nous mettions au travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Rien que sur les bancs de cette Assemblée, nous sommes plus nombreux ! Nous en aurons ainsi terminé avec le volet de la répression. Il ne faudra ensuite pas oublier qu'il ne suffit pas de voter des lois, il faut encore les appliquer.

Ensuite, nous engagerons trois actions. Avec M. Perben, nous mènerons une action de prévention qui devra être hiérarchisée. Il faut cesser de parler de prévention sans jamais la définir ! Il faut aussi l'évaluer, car elle est financée par l'argent des contribuables et qu'il est temps de leur rendre des comptes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). L'évaluation n'est pas un gros mot ! L'immigration n'en est pas un non plus, et nous travaillons avec M. de Villepin à ce que la France se dote enfin d'une politique de l'immigration éloignée de tous les extrémismes : celui des professionnels de la générosité, qui conduit à l'irresponsabilité, et celui des professionnels de la fermeture, qui oublient que la France est un pays ouvert et généreux. Enfin, nous travaillons avec M. Fillon sur un dernier mot oublié ces dernières années : l'intégration. Nous le mettons en _uvre notamment avec nos compatriotes musulmans, qui ont bien besoin de notre solidarité en ce moment (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

CÔTE D'IVOIRE

M. Loïc Bouvard - La situation internationale est très tendue et préoccupe les Français. Monsieur le ministre, vous êtes sur tous les fronts et nous sommes fiers de votre action au Moyen-Orient, avec l'Irak, dans le conflit israélo-palestinien et en Asie, avec la Corée du Nord. La guerre civile en Côte d'Ivoire a perturbé tout le continent africain. Vous vous êtes rendu à plusieurs reprises sur place et avez réussi à faire taire les armes pour un temps, appuyé sur un fort contingent de troupes françaises. Le Gouvernement est l'instigateur d'une conférence entre les parties qui doit se tenir demain à Paris. Nous nous félicitons que vous ayez pu faire prévaloir le dialogue sur l'affrontement armé.

Mais qu'en est-il au juste sur le terrain ? Que pouvons-nous attendre d'une telle conférence ? Pouvez-vous nous indiquer comment la France peut promouvoir une solution pacifique dans ce pays qui a longtemps été l'exemple de la paix civile et du développement, au c_ur d'un continent où nous avons légué tant de nous-mêmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères - Depuis quatre mois, la Côte d'Ivoire vit une crise terrible, une crise ouverte. Depuis quatre mois nous sommes mobilisés pour avancer dans la recherche d'une solution politique. Aujourd'hui, les conditions sont réunies pour que nous puissions reprendre l'initiative. Première condition, le cessez-le-feu est observé par tous les partis, au Nord et, depuis hier, à l'Ouest. Dans ce contexte, nous avons pris l'initiative d'une table ronde qui réunira demain, à Paris, l'ensemble des forces politiques ivoiriennes, y compris les mouvements rebelles.

Nous souhaitons, au terme de cette réunion, réunir l'ensemble des chefs d'Etat de la région, afin de garantir le processus.

Notre objectif est clair, même s'il est ambitieux : la paix, la réconciliation et la reconstruction de la Côte d'Ivoire. Pour réussir, il faut s'attaquer aux problèmes qui minent la Côte d'Ivoire depuis la mort du président Houphouët-Boigny : l'ivoirité, l'identité, la loi foncière et le statut des étrangers.

Il faut rassembler l'ensemble des énergies et des forces ivoiriennes, il faut obtenir la garantie des pays voisins et de la communauté internationale, il faut enfin mobiliser les bailleurs de fonds pour que la Côte d'Ivoire redevienne ce qu'elle a été pendant longtemps, au point qu'on parlait de « miracle ivoirien ».

Nous appelons donc toutes les parties à prendre leurs responsabilités, pour la Côte d'Ivoire, qui est un pays meurtri, pour la région, que menace l'instabilité ivoirienne, et pour l'Afrique. Tel est le sens de la nouvelle politique africaine de la France : agir au service des Africains avec l'ensemble des pays concernés, la communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest et de l'ONU (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

AVENIR DES RETRAITES

M. Alain Néri - Je veux d'abord dénoncer les propos bellicistes de M. Mer, qui sont inacceptables ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Posez votre question.

M. Alain Néri - Elle s'adresse justement à M. le ministre des finances (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Malgré le rejet, par les salariés d'EDF-GDF, de l'accord sur le financement des retraites, vous voulez passer en force. Où est la concertation annoncée ?

En quelques semaines, c'est la deuxième fois que le Gouvernement prend une décision unilatérale. Après la suppression du congé de fin d'activité pour les fonctionnaires, il y a maintenant le passage en force à EDF-GDF. Les salariés ont bien compris vos intentions et ils vous ont dit « non ».

Ma question sera claire et simple, elle appelle une réponse claire et simple. Dans le domaine des retraites, n'y a-t-il pas contradiction entre le discours rassurant du Président de la République et la méthode brutale du Gouvernement, qui veut remettre en question la retraite par répartition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP)

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je suis étonné par votre présentation des faits. L'exercice auquel se sont livrés la fédération des industries énergétiques et 150 entreprises, dont EDF-GDF, n'avait qu'un objectif : créer les conditions nécessaires pour que le montant des retraites n'apparaisse plus au bilan de ces 150 entreprises. Pour les salariés et les retraités, il s'agissait de garantir que les retraites continueraient d'être payées.

Les négociations ont eu lieu conformément aux règles françaises. Dès lors que trois syndicats l'ont signé, l'accord est valable (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Il n'a jamais été question de modifier le régime des retraites. Je le redis, puisqu'on tente de faire un amalgame. Grâce à une négociation menée de façon responsable, nous pouvons garantir que les retraites continueront d'être payées, moyennant un acte législatif qui viendra en temps voulu. Je persiste à penser qu'il s'agit d'un très bon accord (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS LES HÔPITAUX

Mme Maryvonne Briot - Monsieur le ministre de la santé, les 35 heures ont été mises en place à l'hôpital de manière irréaliste, sans qu'on ait anticipé leur impact. Cette réforme a eu des conséquences catastrophiques : désorganisation des services, démotivation des équipes, charge de travail alourdie, impossibilité de recruter en raison de la pénurie de personnel et sentiment d'insécurité chez les malades.

Malgré tout cela, les hôpitaux français continuent à fonctionner grâce à la bonne volonté et à la conscience professionnelle de tous. Vous avez signé deux accords avec les organisations syndicales : la semaine dernière avec les représentants de la fonction publique hospitalière et hier avec les praticiens hospitaliers. Dans quelle mesure ces accords permettront-ils de répondre aux attentes des hospitaliers et de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Une pénurie de personnel préoccupante, l'application brutale des 35 heures au 1er janvier 2002 sans anticipation ni accompagnement, l'application au 1er janvier 2003 de la directive européenne incluant le temps de garde dans le temps de travail : tels sont les éléments du problème.

Vous avez eu raison de souligner que malgré cela, le personnel hospitalier reste disponible : c'est grâce à lui que l'hôpital fonctionne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Dès ma prise de fonctions, j'ai demandé à M. Piquemal un rapport sur la réduction du temps de travail. Il m'a été remis à la rentrée et je l'ai immédiatement communiqué aux partenaires sociaux. Dès novembre, les négociations ont commencé et la semaine dernière, six organisations syndicales sur huit ont approuvé un accord sur le compte épargne-temps rénové, les heures supplémentaires et le rachat de jours ciblés. Nous avons ajouté un important volet sur la validation des acquis. Quatre syndicats de praticiens viennent de signer un accord analogue.

Ces accords sont crédibles et responsables, mais leur signature n'est qu'une étape et tout reste à faire. Ce sera l'objet du programme Hôpital 2007. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

SITUATION DE L'EMPLOI DANS LE BASSIN DE LONGWY

M. Édouard Jacque - Monsieur le ministre des affaires sociales, permettez-moi d'appeler votre attention sur les menaces qui pèsent de nouveau sur le bassin de Longwy.

Grâce à l'engagement de Jacques Chirac lorsqu'il était Premier ministre, et avec l'appui de la Datar, le groupe coréen Daewoo s'est implanté dans ce bassin, où il a créé 1 500 emplois en sept ans. Mais ce groupe a été mis en difficulté par l'effondrement du système bancaire coréen. Les démarches de l'Etat français étant restées vaines, les créanciers réclament le dépôt de bilan et la liquidation judiciaire. Les salariés en seraient les premières victimes.

Quelles mesures d'accompagnement social peut-on envisager ? La solidarité nationale doit aider ce territoire si durement touché par les restructurations. Que compte faire le Gouvernement pour aider les familles, de nouveau plongées dans l'incertitude ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Daewoo est frappé par la crise mondiale qui recouvre l'ensemble du secteur électronique. Sur les trois établissements français de ce groupe, l'un est déjà fermé et un autre annonce sa fermeture : le plan social est en cours de négociation. Quant au troisième, celui de Mont-Saint-Martin, il vient de faire l'objet d'une décision de redressement judiciaire et reste en observation jusqu'au 6 février.

Notre priorité est de faire pression sur les responsables du groupe Daewoo pour qu'ils nous fassent connaître leur position quant à l'avenir de ce site car nous ne pouvons pas nous résoudre à sa fermeture. Par ailleurs, nous avons décidé de mettre en place les instruments de la revitalisation du bassin du Pays-Haut : sous l'autorité du préfet de région, une cellule de réindustrialisation vient d'être installée ; et le 17 janvier prochain, une réunion se tiendra à Matignon, sous l'autorité du Premier ministre, pour permettre à l'ensemble des services de l'Etat de mettre en _uvre un plan d'urgence (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15.

SÉCURITÉ INTÉRIEURE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, pour la sécurité intérieure.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Ce projet a été adopté par le Sénat, le 19 novembre dernier, à l'issue de débats souvent passionnés, qui ont montré que tous les élus, sans exception, étaient concernés par les questions de sécurité. Je ne doute pas qu'il en sera de même dans votre assemblée.

Le Gouvernement vient à ce débat avec la volonté d'agir, de réussir et d'associer le plus grand nombre à son action de redressement de la sécurité. Parce que ce dont nous allons parler touche à la vie et à l'intégrité des personnes, nous devons dépasser les postures politiques. L'enjeu est suffisamment important pour que nous prenions le temps de nous écouter, de débattre utilement et, finalement, de prendre les meilleures décisions. Le Gouvernement sait qu'il a le soutien massif des Français sur ce sujet. C'est pourquoi il fera preuve d'ouverture : le refus de la discussion est toujours une marque de faiblesse.

Plusieurs dizaines d'amendements ont été adoptés au Sénat, dont certains émanaient de l'opposition. Ils ont montré, s'il en était besoin, le sérieux avec lequel les élus de terrain abordent ces questions. Ce souci de la réalité, c'est aussi celui du Gouvernement. Et qui dit réalité dit équilibre. Tous ceux qui vivent au plus près des Français le savent. C'est votre cas, car vous les représentez.

Cette réalité est-elle celle de l'insécurité ou du sentiment d'insécurité ? Ce débat, qui resurgit sans cesse, occulte les vrais problèmes. C'est pourquoi il convient de le purger une fois pour toutes, alors que nous connaissons depuis hier les chiffres de la délinquance pour 2002.

Je voudrais pouvoir me réjouir de ce que les faits constatés aient diminué, entre le mois de mai et le mois de décembre, de près de 1 %. Je me réjouis que la délinquance de voie publique ait régressé de 4,55 %. Je me réjouis que les faits élucidés aient progressé de 8,3 % depuis l'arrivée du nouveau Gouvernement. Mais comment pourrais-je me satisfaire que l'année 2002 se termine avec plus de 4 100 000 crimes et délits constatés ? Même si cette progression est le fait des premiers mois de l'année, car nous avons inversé cette tendance depuis huit mois, comment le Gouvernement pourrait-il se résigner à un tel bilan ?

Ces chiffres doivent suffire à clore ce faux débat sur le sentiment d'insécurité. La délinquance existe, hélas, et elle persistera si on ne la combat pas résolument. C'est dans une lutte acharnée, déterminée, pied à pied, que le Gouvernement s'est engagé. Depuis trop d'années on a laissé faire, nous en payons le prix aujourd'hui. L'action du Gouvernement est plus difficile car l'action de l'Etat est tardive. Nous sommes décidés à ne plus rien laisser passer, à reprendre chaque centimètre qui a été abandonné par l'Etat de droit, nous sommes déterminés à faire des victimes, de leur sort et du soutien qu'on leur doit, notre absolue priorité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La question récurrente de la crédibilité des statistiques de la délinquance a été traitée dans le rapport que M. Caresche et M. Pandraud ont remis voici un an. Je vous avais promis d'y réfléchir, et de décider. Je ferai à ce propos trois observations.

Tout d'abord, notre dispositif statistique est certainement le plus précis et le plus perfectionné d'Europe : il repose sur une nomenclature de 107 rubriques ; il permet des comparaisons depuis 1972 ; il comporte non seulement des chiffres correspondant aux infractions qui ont fait l'objet de plaintes, mais aussi des indicateurs d'activité des services de police et de gendarmerie.

Ensuite, même si des erreurs ponctuelles sont possibles, ces statistiques sont sincères et transparentes. Elles sont établies par les services avec honnêteté et scrupule.

Enfin, elles ne rendent compte que de ce pourquoi elles ont été conçues, c'est-à-dire « tous les faits présumés crimes ou délits qui sont portés pour le première fois à la connaissance des services de police ou de gendarmerie et consignés dans une procédure transmise à l'autorité judiciaire ». A ce titre, elles ne rendent pas compte de tout ce qui constitue une infraction à la loi. Elles ne rendent compte ni des contraventions, ni des violences routières, ni des infractions fiscales. Elles ne comportent rien non plus sur l'ensemble de la chaîne pénale, qui va du recueil de la plainte jusqu'à la décision judiciaire.

Sensible aux préoccupations de certains d'entre vous, je pense que le temps est venu d'avancer dans ce domaine, en recherchant un large consensus, car le Gouvernement n'a pas l'intention de modifier un instrument fiable pour être accusé ensuite de casser le thermomètre ou de priver les Français d'un instrument qui permet de leur rendre des comptes sur l'action des services.

Parce que cela serait utile à la lutte contre la délinquance, je suis prêt à envisager que les contraventions de 5e classe fassent partie de la statistique mensuelle. Je suis prêt aussi à publier chaque année, en complément de l'état 4001, tout ce qui est connu sur les infractions à la loi dans les divers champs de la réglementation.

Je suis prêt enfin à développer par des enquêtes de victimation une connaissance plus fine de la réalité de la délinquance, comme à mesurer régulièrement l'évolution du sentiment d'insécurité, les attentes de nos concitoyens ou encore le coût de la délinquance et de la lutte contre la délinquance (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Pour ce faire, je propose qu'un observatoire de la délinquance soit créé au sein de l'IHESI, qui va devenir un établissement public. Tous ces travaux seront animés par un conseil scientifique composé de parlementaires, d'universitaires, de chercheurs, de magistrats, de fonctionnaires, d'experts et de personnalités qui apporteront leur compétence, leur sérieux, leur bonne foi et leur honnêteté. J'ai d'ores et déjà demandé au nouveau directeur de l'IHESI de me faire sous trois mois des propositions en ce sens. J'annonce qu'un conseil scientifique provisoire sera créé rapidement pour l'assister (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

L'important, c'est que les Français puissent connaître la vérité sur la délinquance : ainsi il ne sera plus possible de la minimiser ni de la nier. Que de votes en faveur des extrêmes auraient été évités si on avait agi dans le passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Ce qui compte, c'est que, demain, aucun gouvernement ne pourra revenir sur notre décision de publier les chiffres chaque mois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) ; que plus personne ne pourra contester ces chiffres qui émaneront d'un conseil scientifique. Pour une fois, les responsables politiques diront toute la vérité aux Français et leur rendront compte de la réalité qu'ils vivent, non de celle qui est représentée.

Je veux aussi aborder le débat sur la « répression », ce mot qu'on utilise pour faire peur, pour caricaturer, pour immobiliser l'Etat. Une petite camarilla s'en est fait une petite spécialité, un fonds de commerce... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Il y a des victimes mais le débat se porte exclusivement sur la répression et sur l'idée que l'on s'en fait. Trop longtemps tétanisés par ce terrorisme intellectuel, un grand nombre de responsables politiques n'ont pas osé aller de l'avant. Mais, tandis que les élites parlaient aux élites, les Français les plus humbles étaient abandonnés et nul ne cherchait à résoudre leurs problèmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Même si ça gêne, le temps est venu d'abattre les tabous et de dire clairement devant le tribunal de l'opinion publique ce que, les uns et les autres, nous sommes prêts à faire, quelles sont nos convictions et les réponses que nous allons apporter.

La sanction, la répression, la punition, il ne faut pas en avoir peur. C'est le devoir de l'Etat d'en faire usage chaque fois que nécessaire. Et si la reprise en main est si difficile, c'est parce que depuis tant d'années on n'a pas eu le courage d'employer ces mots et de mettre à leur service la volonté d'agir. Moi, je n'ai pas peur de ces idées : la façon dont je conçois mon devoir, c'est de les mettre au service des plus petits, des plus fragiles, de tous ceux qui ne peuvent compter que sur l'Etat pour les défendre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Si vous et nous avons peur, faillissons, n'exerçons pas nos responsabilités, à l'autre bout de la chaîne, ceux qui vivent tous les jours l'inacceptable n'auront plus personne pour les défendre. Ce ne sera pas la peine alors de verser des larmes de crocodile en se demandant à force d'études sociologiques et intellectuelles pourquoi ils votent pour les extrêmes : c'est parce que nous les avons abandonnés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

L'Etat est fort quand il met sa force au service des plus faibles. L'Etat est faible quand il se révèle incapable de défendre ceux qui n'ont que lui pour leur assurer une existence digne, libre et sereine.

Aucune dérive n'est et ne sera tolérée dans l'action des forces de l'ordre. J'ai sanctionné des fonctionnaires du commissariat de Bayonne parce que la sanction était méritée. Mon soutien est acquis pour chaque policier et pour chaque gendarme, mais il n'est pas sans condition. Nous parlons de la police républicaine et de la gendarmerie nationale. Nul ne doit dévier des valeurs de la République ou entacher par son comportement l'image de la France. Mais je rappelle que le danger vient des délinquants, pas des forces de l'ordre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). En entendant certains, je me demande si tous l'ont compris !

Mme Sylvia Bassot - Non !

M. le Ministre - Je n'ai pas davantage d'hésitation à revendiquer un grand changement dans la politique de sécurité de la France depuis huit mois : elle est maintenant - que le message soit clair ! - au service prioritaire des victimes. On a trop parlé des délinquants et pas assez des victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je suis frappé de l'ignorance et de l'indifférence manifestées depuis tant d'années aux victimes. Est-ce par impuissance ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP) Par mauvaise conscience ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP) Par refus de regarder la réalité en face, lorsque celle-ci nous dérange dans le confort de nos certitudes ? J'entends mettre un terme à cette façon de faire. J'ai demandé la mise en place d'un accueil personnalisé et suivi des victimes par les forces de sécurité, car c'est bien le moins qu'on leur doive. Je veux maintenant, pour elles, qu'on puisse donner à la police et à la gendarmerie les moyens normaux d'agir : c'est pour cela que va être mis en place le système SALVAC, qui va enfin permettre les rapprochements entre les crimes commis en série. C'est aussi pour les victimes que ce projet de loi prévoit d'étendre les informations contenues dans les fichiers.

Au nom de quelle idéologie peut-on ignorer le sort des victimes pour ne s'intéresser, encore et toujours, qu'aux délinquants, objets d'études, d'explication, d'excuse sociologique ou sociale et même de compassion ?

Nous voyons se manifester depuis quelques jours, à nouveau, bruyamment, tous ceux, heureusement apparemment peu nombreux, qui se sont spécialisés dans cet exercice et qui ne reculent devant aucune caricature. A nouveau, ils invoquent le fantasme de l'insécurité, sans doute parce qu'ils ont le privilège de ne pas figurer dans les plus de quatre millions de victimes de l'année passée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La caricature est souvent une arme politique. Sur un sujet qui met en jeu tant d'aspects de la vie des personnes, j'ai, pour ma part, du mal à l'accepter.

Autre débat récurrent : celui des racines du mal. On nous dit que nous ne nous attaquerions pas aux racines de la délinquance...

M. André Gerin - C'est exact !

M. le Ministre - Quelles sont-elles, ces racines ? Personne n'ose le dire : on invoque la précarité, la société de consommation, la démission des parents, les erreurs de l'urbanisme, la violence à la télévision, ce qui est le moyen le plus commode d'expliquer qu'on ne peut rien faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ceci nous renvoie encore à un faux débat qui repose sur un amalgame. On nous parle de guerre contre la pauvreté, lorsque nous voulons lutter contre la mendicité agressive, celle qui s'exerce par la menace. Peut-on insinuer que la pauvreté est synonyme de mendicité agressive ? Que c'est la pauvreté qui explique la délinquance ?

Oublie-t-on que la délinquance est le fait des riches comme des pauvres ? Sous-entendre que la pauvreté justifie la délinquance, c'est une injure à l'immense majorité des gens modestes, qui vivent honnêtement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Les victimes - l'oublie-t-on ? - sont en majorité des personnes qui ne sont pas favorisées. Sans doute auraient-elles mieux fait d'être des délinquants puisqu'alors elles auraient eu le soutien moral de tous ceux qui crient de manière scandaleuse à la guerre contre la pauvreté, alors que nous voulons protéger les plus modestes de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Il est temps de dire qu'on ne devient pas délinquant parce que l'on habite dans une HLM. Ou parce que l'on est au chômage. C'est une insulte faite à tous ceux qui, dans des situations sociales extrêmement précaires, vivent dans l'honnêteté et le courage. Mais on peut devenir délinquant lorsque l'on a la conviction qu'on a toutes les chances de ne pas être pris, et que l'on vit dans une société où l'on peut gagner davantage en vendant de la drogue qu'en se levant tôt le matin pour aller au travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Voilà ce qui explique une bonne partie de la délinquance. Il est temps de nous réapproprier ces idées justes qui sont celles de l'immense majorité de nos concitoyens.

Le Gouvernement assume résolument une politique volontariste en matière de sécurité, et ce volontarisme est l'ennemi de tous les extrêmes : la naïveté, comme la brutalité.

Le gouvernement précédent s'en remettait à la croissance économique pour faire reculer la délinquance (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), ce qui était une bien curieuse profession de foi ultra-libérale ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Eh bien, ce n'est pas notre cas. Nous considérons que la croissance ne résoudra pas le drame de la violence, dont les causes sont multiples et touchent à l'identité même de l'être humain. Ce n'est pas au marché que nous faisons confiance pour résoudre cette question qui est profondément sociale, et j'ai plaisir à donner ces leçons à ceux qui ont oublié depuis si longtemps que l'Etat a là un rôle à jouer (Mêmes mouvements). Cette question, nous l'aborderons sous les deux aspects indissociables de la sanction et de la prévention.

La sanction est indispensable car sans répression, il ne peut y avoir de prévention efficace. S'il est plus facile de vendre de la drogue que d'aller à l'école, aucune prévention ne sera suffisante pour enrayer le phénomène.

Mais il serait tout à fait vain de réduire la politique de sécurité au seul volet répressif (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Je veux dire comment le Gouvernement veut construire l'autre volet, celui d'une politique nouvelle de prévention de la délinquance. A la fin de l'année passée, alors que nous avons enregistré un premier recul des crimes et délits, le Premier ministre m'a demandé de définir, en collaboration avec le Garde des Sceaux cette politique ambitieuse qui associera tous les ministre concernés.

Quel est notre objectif ? Mener une politique de sécurité efficace, ce qui implique une prévention active et permanente sur le terrain. La répression est nécessaire pour dissuader de la violence. La prévention est nécessaire pour détourner de la violence.

Quel est le constat ? Des actions de terrain, parfois réussies, toujours méritoires, mais qui doivent être fédérées dans un véritable élan collectif pour devenir réellement efficaces. Car malgré toutes les bonnes intentions, force est de constater que la prévention engagée depuis des années n'a en rien freiné la montée de la délinquance (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP).

La multiplicité des acteurs explique la difficulté à dépasser des stratégies souvent très cloisonnées. On dit « prévention » mais sans jamais y associer d'objectifs précis, de calendrier et d'évaluation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La France dépense beaucoup d'argent pour la prévention, mais nous devons nous demander pourquoi, malgré la bonne volonté extraordinaire des associations, des éducateurs et des opérateurs de terrain, cela n'a pas marché.

L'action de l'Etat doit s'exercer dans deux directions : la première est de mettre en place la coordination, ce qui n'est pas facile, étant donné la différence des cultures entre les forces de sécurité, les élus, les associations, les bailleurs sociaux.

C'est pour cela qu'a été créé, dès l'été 2002, l'outil de terrain indispensable que représente le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Indispensable, car il est présidé par le maire, qui est le mieux à même de connaître les réalités de sa ville (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) et tous les acteurs de la sécurité y sont représentés.

Cette coordination sur le terrain doit permettre d'échapper aux travers anciens de politiques nationales concurrentes, qu'il s'agisse du logement, de la ville, de l'école, de la culture.

Le rôle de l'Etat, c'est de fixer des objectifs, en cessant de confondre politique sociale et politique de prévention. L'action sociale, qui vise à soutenir des compatriotes en situation de détresse, n'est pas de même nature que la prévention de la violence et de la délinquance. Mélanger les deux, c'est se condamner à l'inefficacité. La prévention est suffisamment importante pour être dissociée de la politique sociale dans ses objectifs, ses moyens, ses opérateurs et ses calendriers. Le RMI n'évite pas à certains de sombrer dans la délinquance...

La prévention exige des politiques bien ciblées, telles que celle mise en place en 1995 pour réhabiliter les cités, et d'une dimension adaptée à l'ampleur du problème.

J'en prendrai trois exemples. En matière d'intégration, la volonté d'organiser l'expression du culte musulman en France est tout sauf une ingérence dans les questions religieuses. Cette organisation de la deuxième religion de France doit permettre de dépasser les fanatismes autant que les préjugés ; elle doit être un levier d'intégration, et donc un facteur de prévention, car l'exclusion sociale, bien au-delà de la pauvreté, est une cause objective de violence.

L'Etat ne sortira pas non plus de son rôle en cherchant à rendre l'éducation plus efficace dans la prévention de la délinquance. Je pense à l'éducation dispensée à l'école mais aussi à celle donnée à la maison. Beaucoup de parents, dévalorisés par leur place sociale, parfois déracinés de leur culture, ont du mal à assurer l'autorité parentale, alors que leurs enfants sont mieux insérés qu'eux dans la société et exposés à toutes les facilités de la délinquance. Autant il faut sanctionner une complicité des parents avec des enfants délinquants, autant il faut aider les parents de bonne volonté à retrouver leur rôle naturel d'éducateurs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) : leur rôle est irremplaçable et les enseignants ne peuvent pas se substituer aux parents. Leurs responsabilités sont complémentaires.

Je crois que l'Etat ne sortira pas non plus de son rôle en développant un urbanisme qui favorise la qualité de la vie et en fédérant des initiatives telles que l'embauche de jeunes en difficulté par des entreprises : la prévention n'est pas l'affaire d'un noyau de spécialistes, elle est devenue notre responsabilité collective et doit accompagner toutes les étapes de la vie.

Je ne nie pas les efforts qui ont été conduits ces dernières années, mais j'annonce une volonté nouvelle de faire bouger les choses. J'annoncerai dans les semaines qui viennent des objectifs, des moyens, un calendrier et, par-dessus tout, un système d'évaluation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La violence n'est pas une fatalité. Nous considérons que l'Etat a une responsabilité majeure vis-à-vis de tous ceux qui doivent pouvoir choisir le chemin d'une vie non violente, d'une vie de respect des autres et de soi-même, d'une vie qui ne gâche pas celle des autres. Cela aussi, c'est une liberté.

La commission des lois, sous l'autorité de son président Pascal Clément, et grâce à son rapporteur Christian Estrosi, a effectué un travail particulièrement approfondi, et adopté beaucoup d'amendements très constructifs.

Ce texte est divisé en 57 articles regroupés dans six titres qui forment des blocs cohérents. Chaque titre apporte une réponse à un problème concret.

Premier titre : comment améliorer l'efficacité des services de sécurité intérieure et leur donner les moyens d'agir contre de nouvelles formes de délinquance ?

Deuxième titre : comment éviter que des armes ne soient détenues par des déséquilibrés ?

Troisième titre : comment donner aux polices municipales les pouvoirs correspondant aux compétences des maires ?

Quatrième titre : comment assainir le monde de la sécurité privée ?

Cinquième titre : comment mettre un terme à la progression constante des agressions contre des gendarmes et des policiers ?

Le dernier titre définit les conditions d'application de ce projet de loi à l'outre-mer.

Les premiers articles sont destinés à combler des failles dans l'organisation de notre dispositif.

Police et gendarmerie ayant été rapprochées, il faut qu'il y ait un patron dans les départements pour conduire les opérations ? Ce sera le préfet.

La zone de compétence des officiers de police judiciaire doit être étendue au département et, chaque fois que c'est nécessaire, à la zone de défense. Car les délinquants se moquent de nos subtilités administratives. C'est aussi pourquoi nous avons voulu étendre les pouvoirs des policiers municipaux, qui actuellement dressent des contraventions, mais n'ont pas le droit de consulter le fichier des véhicules volés. Ce projet de loi leur permet d'avoir accès aux informations permettant d'identifier le propriétaire d'un véhicule ou d'ordonner la mise en fourrière d'un véhicule sans mobiliser un fonctionnaire de la police nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Nous voulons améliorer les moyens d'action de la police et de la gendarmerie en leur donnant accès à la modernité.

Par ailleurs un coffre de voiture n'est pas un domicile ! Qui a jamais eu l'idée d'habiter à l'intérieur du coffre de sa voiture ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Qui peut penser qu'avoir à ouvrir le coffre de sa voiture est attentatoire aux droits de l'homme ? Faut-il avoir peu de respect pour ces droits et se moquer de ceux qui vivent dans des dictatures pour s'offusquer qu'en France, la police ou la gendarmerie ouvrent le coffrent d'un véhicule alors que les douaniers ont le droit de le faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Quant à nos fichiers, ils sont en partie inopérants ; ce n'est pas acceptable. Une personne qui est interdite de stade, peut malgré tout y retourner puisque même si elle effectue un contrôle, la police ne peut avoir connaissance de la décision qui a été prise ! Pour le prochain match de football PSG-OM, la situation est si scandaleuse que nous devons mobiliser 2 000 fonctionnaires qui seraient utiles ailleurs.

M. Jean-Pierre Brard - Qu'ont fait les ministres de l'intérieur pendant toutes ces années ?

M. le Ministre - Je souhaite que les fichiers puissent être accessibles pour les recherches administratives. Cette ouverture est limitée aux enquêtes les plus sensibles concernant les installations prioritaires de la défense et l'accès aux emplois relevant de la sécurité. Le texte autorise également à consulter ces fichiers avant de délivrer un titre de séjour ou la nationalité française. Il faut quand même savoir si l'on a à faire à des personnes qui ont été - ou non - condamnées et pouvoir, dans ce cas, refuser de leur donner une nationalité qu'elles ne méritent pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Aujourd'hui, nous ne pouvons pas connaître le profil d'un candidat au poste d'agent de sécurité d'une centrale nucléaire. En cas d'acte terroriste, pardonnerait-on à l'Etat ? Je ne le crois pas.

Je vous propose d'étendre les informations contenues dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques pour y inclure les personnes condamnées ou soupçonnées des actes les plus graves, tels que les délits de violence contre les personnes, ou mettant en danger l'ordre public. Ce n'est pas là l'annonce d'un Etat policier, mais la fin d'un Etat aveugle. Le fichier national automatisé des empreintes génétiques est au XXIe siècle ce que le fichier des empreintes digitales était au siècle précédent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Il y a ici des élus de la région picarde, du département de la Somme. Comme nombre d'entre vous, j'ai été bouleversé par la situation des familles des victimes. L'un des présumés auteurs des crimes est sorti de prison après treize années de réclusion, au mois de mai. L'une des victimes de la Somme a été violée, torturée et assassinée au mois de juillet. Cela ne vous pose-t-il pas une terrible question sur notre responsabilité ? Nous avons laissé vivre les victimes aux côtés de monstres dont on sait qu'ils peuvent récidiver. Notre devoir est de prévenir les crimes de demain et d'ignorer les criailleries de ceux qui pensent aujourd'hui que c'est porter atteinte aux droits de l'homme que d'inscrire sur un fichier le nom de personnes condamnées à plus de trois ans d'emprisonnement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Ne pas agir, c'est être faible. Nous devons une réponse à toutes les familles de France. Je ne crois pas que la Grande-Bretagne, berceau de la démocratie parlementaire, soit devenue une dictature depuis qu'elle a inscrit 1 700 000 noms sur un fichier d'empreintes génétiques, qui a été interrogé à 60 000 reprises l'an passé. Quelle image donne la France, avec un fichier d'à peine 1 200 noms ?

Ce fichier permet d'ailleurs d'agir à charge, mais aussi à décharge. Dans l'affaire Dickinson, un innocent a ainsi échappé à une peine très lourde. Réfléchissons avant de prendre des postures irresponsables devant une situation grave (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Le projet de loi veut aussi adapter le droit au développement des nouveaux risques et des nouvelles formes de délinquance.

Le premier risque concerne le terrorisme. Je vous demande de proroger les dispositions présentées par Daniel Vaillant. En second lieu, nous devons trouver le moyen d'éviter l'acquisition d'armes par des personnes dont l'équilibre psychologique n'est pas compatible avec leur détention.

Exiger un certificat médical des détenteurs d'armes est une mesure de bon sens. Aujourd'hui, un tel certificat est exigé, mais il l'est après l'acquisition de l'arme. Seuls les honnêtes gens viennent le présenter. En Espagne, en Grèce, au Portugal et bientôt en Belgique, ce certificat médical est exigé pour toute détention d'armes.

Un ancien ministre socialiste a dit que le projet du Gouvernement comportait un très grave danger : la levée du secret médical au cas où un praticien s'apercevrait que l'un de ses patients qui souffre de troubles psychologiques graves détient une arme. Mais le secret médical n'a pas été fait pour qu'on taise des risques ! Nous faisons prévaloir le bon sens et l'Etat n'a nullement l'intention d'aller fouiller les dossiers médicaux de 60 millions de Français !

Le chantier de la classification des armes sera engagé prochainement.

Savez-vous qu'il existe en France autant d'agents de sécurité privés que de policiers ? C'est un marché libre, en plein essor, qui touche des secteurs sensibles. Aussi le projet de loi définit-il les tâches de ces sociétés et renforce-t-il leur professionnalisation et les conditions d'agrément. Nous ne devons pas attendre un drame pour prendre ce type de mesures.

Enfin, nous comblons une lacune du droit. Rien n'obligeait jusqu'à présent les opérateurs à bloquer les téléphones portables volés. Ils devront désormais le faire, ce qui limitera sans doute l'intérêt des voleurs pour les téléphones portables, et par conséquent le nombre de vols à l'arraché, très traumatisants pour les victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La deuxième partie du projet de loi vise les nouvelles formes de délinquance.

La prostitution n'est pas un sujet de plaisanterie ou de gaudriole. Evitons de dire que c'est « le plus vieux métier du monde ». Ce n'est pas un métier du tout. A moins que vous ne soyez disposés à accepter l'idée qu'il y ait, pour ce « métier », des filières professionnelles, des certificats de capacité professionnelle, des tarifs en fonction de la qualité professionnelle ? Il est inadmissible de parler ainsi de femmes et d'hommes réduits à l'esclavagisme le plus honteux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Le proxénète s'enrichit parce que, depuis trop longtemps, nous nous sommes condamnés à l'immobilisme et parce que nous laissons les prostitués exercer leur activité sans obstacle et sans contrôle.

Depuis dix ans, la prostitution a explosé dans notre pays. Les deux tiers des prostituées sont maintenant étrangères. Elles proviennent des filières de l'Est - Albanie, Bulgarie et Russie - de l'Afrique et, pour les travestis, de l'Amérique du Sud. Sur de tels sujets, cessons d'être hypocrites ! Bien sûr que les prostituées sont des victimes, mais il en existe d'autres : les populations de ces quartiers où la vie est devenue impossible à cause de la présence des proxénètes et de toute la faune qui va avec, à cause de leur attitude et de leurs provocations (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ne les oublions pas !

Mais lorsque ces victimes-là demandent à leur maire de faire en sorte que leurs enfants ne rentrent pas à la maison entre deux rangées de prostituées, de proxénètes et de voyeurs, les maires, qu'ils soient de gauche ou de droite d'ailleurs, ne peuvent rien faire d'autre que de signer un arrêté pour déplacer le problème de quelques mètres, pour l'éloigner des écoles. Mais à ma connaissance, les enfants n'habitent pas à l'école ! Ce n'est pas parce que ces quartiers sont généralement à la périphérie des villes qu'il faut ignorer le cri de détresse de leurs habitants !

Quant aux prostituées, j'espère que notre débat sera utile et serein. Croyez-vous vraiment qu'elles soient plus en danger dans leur ville, près de leur famille, dans le pays dont elles parlent la langue et où elles ont des repères qu'en France, enfermées dans un hôtel, soumises à la violence des proxénètes et jetées sur le trottoir où nous les plaignons vaguement en les croisant, avant de les oublier aussitôt ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Voulez-vous que je continue à les ignorer, pour que dans dix ans leur nombre ait doublé ou triplé ?

Je ne prétends pas proposer la panacée, mais l'immobilisme n'est plus possible. Nous comptons ramener les prostituées étrangères chez elles. Je ne vois pas ce qu'il y a de contraire aux droits de l'homme à ramener un Albanais en Albanie et une Bulgare en Bulgarie ! C'est dans leur pays que ces victimes retrouveront un avenir : nous les confierons à une plate-forme ONG dont nous assurerons le financement. Mais nous ne resterons pas complices en fermant les yeux.

M. Jean-Pierre Brard - Et les proxénètes ?

M. le Ministre - Les prostituées étrangères qui accepteront de nous aider à lutter contre leurs proxénètes recevront des papiers et seront protégées. Il est en effet beaucoup plus difficile qu'on ne le croit de débusquer les proxénètes parce que tant que la prostituée ne l'accuse pas, le proxénétisme n'est pas qualifié. Celles qui nous aideront seront protégées aussi longtemps qu'il le faudra.

M. Jean-Pierre Brard - On les connaît, les proxénètes, dans les Alpes-Maritimes ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Ministre - Enfin, il serait inadmissible de ne pas parler des clients. En premier lieu, je souhaite que le délit d'exhibition soit de nouveau sanctionné par la police. Les habitants ne doivent plus avoir à subir un tel spectacle. Ensuite, les clients des prostituées particulièrement faibles seront traités avec une sévérité particulière. Je pense notamment aux prostituées enceintes ou handicapées - tel réseau utilise des sourdes et muettes - ainsi qu'aux mineurs. Nous ne devons rien tolérer et ce qui se passe sur certaines places de la capitale ne fait honneur à personne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

J'ajoute que si une mobilisation générale contre le sida est nécessaire, elle ne sert à rien si nous fermons les yeux sur ce qui se passe dans le bois de Boulogne ou celui de Vincennes, où l'épidémie fait des ravages. La réalité est terrible et nous n'osons pas la regarder en face. La prudence aurait voulu que je ne parle pas de cela, et il aurait été bien plus facile de ne pas réagir. J'attends donc de ce débat que nous essayions ensemble de progresser. Essayons, au moins, pour soulager des misères ! N'ayons pas la prétention de croire que nous allons tout régler d'un coup, mais faisons tout ce que nous pouvons pour sortir un certain nombre de prostituées de leur situation ! Je vous annonce à ce propos que les effectifs de lutte contre les grands réseaux de proxénétisme vont être doublés. Nous ne devons faire preuve d'aucune faiblesse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

En ce qui concerne les gens du voyage, une polémique a également eu lieu et un certain nombre d'entre eux sont inquiets. Mais comment le Gouvernement pourrait-il ne pas évoquer cette question ? Je tiens à votre disposition les innombrables lettres de maires communistes, socialistes, UMP ou centristes qui m'appellent au secours pour faire dégager des terrains illégalement occupés par des dizaines de caravanes qui, pendant six mois, rendent la vie impossible dans leur ville ! Les maires socialistes sont confrontés aux mêmes difficultés que les maires UMP : leurs électeurs s'étonnent d'avoir une contravention pour cinq minutes de dépassement de stationnement alors que d'autres se branchent pendant des semaines gratuitement sur les réseaux d'eau et d'électricité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Laisser les élus seuls face à cette situation, c'est de la démission de la part des autorités.

Cela dit, nous ne voulons faire à propos des nomades aucun amalgame. Cela serait d'ailleurs scandaleux, car leur mode de vie est une liberté séculaire en Europe, d'autant plus importante que celle-ci va s'élargir à l'Est. Le Gouvernement n'a nullement l'intention de les condamner ou même de les désigner. Il veut seulement remédier à ce qui ne va pas aujourd'hui. Or actuellement, l'occupation illégale relève d'une procédure civile. Ainsi, certains s'installent sur un terrain, le saccagent et en font à leur tête. Le maire, lui, prend un avocat, ce qui n'est pas simple pour les petites communes, fait un référé, obtient une décision, puis une deuxième en appel, puis se tourne vers le préfet pour obtenir le concours des forces de l'ordre. Dans le meilleur des cas, quatre ou cinq semaines ont passé avant que la décision soit applicable. Le campement illégal est parti et la commune demeure avec les dégâts, la facture de la procédure et l'amertume d'une justice à deux vitesses.

Je vous propose de pénaliser l'occupation des terrains. On autorise ainsi la police à mettre en garde à vue et on fait cesser le trouble en quelques heures ou quelques jours plutôt qu'en quelques mois. C'est la seule solution possible. J'ajoute et je revendique cette mesure que lorsque des véhicules de forte valeur seront trouvés dans des campements où personne ne travaille, il devra être possible de demander comment ce véhicule a été payé et, lorsque les justificatifs ne sont pas suffisants, de les confisquer ! La loi est la même pour tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Enfin, je voudrais rendre hommage au socialiste M. Besson, inventeur de la loi qui exige l'installation d'équipements mis à la disposition des nomades. La procédure pénale sera réservée aux collectivités locales qui auront respecté les obligations de la loi. Les autres n'en bénéficieront pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Troisième nouveau délit : l'occupation des halls d'immeuble. J'ai au demeurant du mal à comprendre pourquoi on allie cette question à l'évocation des « jeunes ». Quand on empêche les gens de rentrer chez soi ou de dormir, on n'est pas un jeune, on est, quel que soit son âge, sa couleur de peau ou son apparence, un voyou !

M. Vaillant avait analysé et compris le problème, mais conclu qu'il ne fallait aucune sanction. Je vous propose, moi, de définir un délit. Si l'occupation est une simple contravention, la police ou de la gendarmerie, saisies par un voisin excédé, ne peuvent rien faire d'autre que de dresser un procès-verbal. Etant donné l'attitude de certains contrevenants, on peut supposer qu'ils seront très impressionnés ! La qualification de délit, elle, permet l'interpellation et, si besoin, la garde à vue. Elle est donc la seule à faire cesser le trouble immédiatement.

Au nom de quoi certains de nos compatriotes, qui se lèvent tôt le matin et travaillent durement, devraient-ils baisser la tête pour entrer dans leur immeuble ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Qui peut accepter cela ? Si ce texte n'apportait aucune réponse, il serait bon à rejoindre sur une étagère toutes ces lois qui ont été votées mais n'ont pas été appliquées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Quant aux mendiants, nous n'avons aucunement l'intention de punir ceux qui n'ont d'autre ressource que de tendre la main. Mais nous savons que certains amènent des mendiants mineurs ou handicapés sur la voie publique pour s'approprier la recette de la journée. Au nom de quoi faudrait-il tolérer cela ? Nous les punirons, comme nous sanctionnerons ceux qui pratiquent la mendicité agressive.

Les maires savent ce qui se passe quand des routards en bande, accompagnés de chiens, s'installent dans une rue piétonne. Ce n'est jamais quelqu'un de plus jeune ou de plus costaud qu'on cherche à intimider. Au nom de quoi faudrait-il tolérer la mendicité agressive ? Les patrouilles de police ne resteront plus bras croisés. Elles devront sévir et interpeller, afin de permettre aux gens de se promener tranquillement.

Nous devons redonner un sens aux valeurs de la République. L'une de ces valeurs, fondamentale, est que le respect de la loi ne se négocie pas. La loi se respecte. On ne dialogue pas pour appliquer la loi : on l'applique et ensuite on dialogue.

C'est pourquoi je considère que, quand on est l'hôte d'un pays étranger, le premier devoir est d'en respecter les lois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Sinon, c'est le signe évident qu'on n'a pas l'intention d'en respecter les valeurs. Or il est actuellement impossible d'expulser les personnes étrangères qui ont une carte ou un titre de séjour inférieur à un an pour des faits tels que le racolage, le proxénétisme ou l'exploitation de la mendicité. Le texte complète le droit existant en permettant à l'autorité administrative de mettre un terme au droit au séjour de ces personnes.

Dans le même esprit, nous ne pourrons faire respecter les lois qu'en affichant clairement notre volonté de ne tolérer aucune atteinte à ses représentants.

Ces dix dernières années, les agressions de policiers et de gendarmes ont augmenté de 135 %. Je ne resterai pas passif devant ces faits qui ne sont ni des jeux d'enfants, ni les risques du métier. Ils signifient que des bandes considèrent l'Etat si faible qu'on peut intimider ses représentants.

Le texte du Gouvernement renforce la protection des représentants de l'Etat. Il supprime l'exigence d'une menace « réitérée ou matérialisée » dont la preuve ne pouvait que rarement être apportée. Au-delà il étend cette protection à tous ceux qui exercent une mission de service public : je pense en particulier aux conducteurs d'autobus et de métro.

Il ne sert à rien de parler de la qualité du service public si on laisse les agents se faire insulter et agresser (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Les fonctionnaires savent bien qui les défend. Ils veulent moins de discours et plus d'actes. Quand on a un petit salaire et qu'on fait un métier difficile, le moins qu'on puisse attendre de son employeur, l'Etat, c'est qu'il garantisse votre sécurité. Nous n'avons pas l'intention de laisser les conducteurs de bus ou les enseignants seuls au front, sans personne pour les défendre.

Les délinquants doivent savoir qu'il coûte cher de toucher à un représentant du service public. Quand on est injurié ou blessé au service de l'Etat, c'est à l'Etat de vous défendre. Le laxisme a fait son temps.

L'objectif du Gouvernement n'est pas d'établir un ordre moral, mais de garantir l'ordre public. Nous ne nous laisserons pas détourner de cet objectif.

Rester passif devant les ravages de la délinquance, ce serait persévérer dans une faute à l'égard de la France. Considérer qu'on a réussi simplement parce qu'on a inversé provisoirement une tendance, ce serait aussi une faute. Ce qu'attendent nos concitoyens, c'est de ne plus avoir peur, parce que la peur vous bouffe la vie !

Ne plus avoir peur pour soi et ses enfants, vivre tranquillement : cela nécessite un renversement des valeurs, un retour au réalisme.

Le jour où les délinquants comprendront que leurs agissements seront punis, parce que l'Etat aura enfin la volonté et les moyens de le faire, ce sera à la fois un immense soulagement dans notre pays, un engagement tenu et le triomphe des valeurs républicaines, qui auront permis de lutter contre la peur et contre l'extrémisme, dans le strict respect des droits de l'homme, de tous les droits de l'homme.

Nous aurons réussi lorsque régnera en France un « sentiment de sécurité ». Voilà notre objectif. Merci de lui apporter votre soutien, qui sera déterminant. (Mmes et MM. les membres des groupes UMP et UDF se lèvent et applaudissent)

Mme Guinchard-Kunstler remplace M. Debré au fauteuil présidentiel

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois - C'est avec une profonde satisfaction que beaucoup d'entre nous abordent ce débat, qui fait suite au vote de la loi de programmation et d'orientation sur la sécurité intérieure dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur en juillet dernier.

Ce qui me paraît le plus noble dans l'action publique, c'est le respect des engagements. Que n'avons-nous pas entendu en juillet ? Il ne s'agissait que de « vagues orientations » ; qui ne trouveraient jamais de traduction législative... Or, Monsieur le ministre, il n'aura fallu que quelques mois pour que vous reveniez devant nous avec un texte normatif conforme aux orientations votées en juillet.

De même, le budget pour 2003 s'inscrivait dans le prolongement de la loi de programmation.

Nous achevons avec ce projet la mise en place de la nouvelle architecture institutionnelle et législative de lutte contre l'insécurité voulue par le Président de la République et le Gouvernement. Cette architecture marque une véritable rupture avec les pratiques passées. Trop longtemps, en effet, le précédent gouvernement a hésité entre une justification sociale de la délinquance et la mise en _uvre de mesures timides de lutte contre l'insécurité. L'idée selon laquelle il serait plus opportun de s'attaquer aux causes supposées de la délinquance qu'à ses manifestations a conduit à la résignation et à l'échec.

Ce projet démontre que ces temps sont heureusement révolus. L'heure n'est plus à la recherche d'une explication sociale de la délinquance, mais à l'action.

Sous l'impulsion du ministre de l'intérieur, une politique résolue de rétablissement de l'autorité de l'Etat et du droit de chaque citoyen à vivre en paix a été initiée. Cette politique se caractérise, avant tout, par le souci permanent de l'équilibre entre humanisme et répression. Camus disait : « Si l'homme échoue à concilier justice et liberté, alors il échoue en tout ». La clé de la réussite, c'est bien l'équilibre que nous avons trouvé dans ce texte.

Avec le président de la commission des lois, nous avons souhaité associer l'ensemble de la représentation nationale à l'élaboration de ce rapport, dans un souci de transparence et d'ouverture. Chacun a pu assister aux cinquante auditions auxquelles nous avons procédé. Nous avons reçu les syndicats de policiers, de magistrats, d'avocats, des associations comme la ligue des droits de l'homme, SOS-Racisme ou le MRAP, les représentants des gens du voyage ou des prostituées.

Nous avons rencontré jusqu'à l'abbé Pierre, à qui nous avons rendu visite. Je n'oublie pas les déplacements sur le terrain : au poste de Menton-Vintimille, notre frontière terrestre où les migrations internationales sont les plus importantes, à Roissy, à Ecully où se trouve la sous-direction de la police technique et scientifique.

Nous avons voulu entendre tous les acteurs concernés, qu'ils soient favorables ou défavorables au projet.

Près de 400 amendements ont été déposés. Vous-même, Monsieur le ministre, aviez souhaité devant la commission des lois que ce texte puisse être discuté et que le Parlement apporte sa contribution de la façon la plus large possible.

Avec ce texte, nous sommes loin des clichés. Il aborde avec courage chacun des maux qui minent la cohésion nationale. Il repose sur un fondement simple : chacun doit jouir d'une complète sécurité, qu'il s'agisse de sa personne ou de ses biens.

A l'opposé de ce qui a pu être affirmé ici ou là, ce projet n'entend pas criminaliser la pauvreté. Au contraire, il vise à protéger les plus démunis et à leur offrir la possibilité de vivre en sécurité.

Il n'a pas pour objet de stigmatiser ceux qui vivent dans des quartiers difficiles mais justement ceux qui leur rendent la vie difficile. Vous avez exposé les mesures visant à réprimer l'occupation des halls d'immeuble. Nous avons trouvé la meilleure solution possible. L'institution d'une peine de deux mois d'emprisonnement a d'abord pour objectif de permettre aux policiers d'interpeller les personnes concernées et de les placer en garde à vue. Nous nous félicitons par ailleurs que le Sénat ait introduit un chapitre relatif à la traite des êtres humains.

Le projet ne s'attaque pas aux prostituées, mais à ceux qui les prostituent. Là aussi, la commission a recherché l'équilibre, en ramenant de six à deux mois d'emprisonnement la peine encourue en cas de racolage. Ici encore, les forces de l'ordre auront ainsi les moyens de procéder à des interpellations et placements en garde à vue, et de proposer un titre de séjour et une autorisation de travail en échange d'informations sur les proxénètes, dont les réseaux s'entremêlent avec ceux du blanchiment d'argent de la grande criminalité.

M. Jean-Pierre Brard - Que faites-vous contre ceux qui investissent dans l'arrière-pays niçois ?

M. Lionnel Luca - Et vous, qu'avez-vous fait ?

M. le Rapporteur - Le projet ne s'attaque pas aux mendiants, mais à ceux qui les exploitent : l'exploitation de la mendicité sera passible de trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende, et jusqu'à dix ans d'emprisonnement et 1,5 million d'euros d'amende, s'il s'agit de mendicité agressive en bande organisée.

Ce texte ne s'attaque pas aux squatters, mais à ceux qui profitent de leur misère. En accord avec l'abbé Pierre, la commission vous propose un amendement instituant un délit de mise à disposition d'un tiers d'un bien immobilier appartenant à autrui : le squatter, qui est une victime, se verra proposer une aide dans sa recherche de logement, mais le marchand de sommeil sera sanctionné.

Le projet ne s'attaque pas non plus aux gens du voyage, mais à tous ceux qui occupent illégalement un terrain ne leur appartenant pas. L'article 19 conforte les droits des gens du voyage à disposer d'aires d'accueil, mais leur impose de se conformer aux stipulations des schémas départementaux, sous peine de sanctions pénales. Nos concitoyens ne peuvent plus accepter de voir s'installer sur la propriété d'autrui des gens qui se branchent sur les réseaux d'eau et d'électricité et polluent les nappes phréatiques. Par ailleurs, en cas de saisie du véhicule, la commission vous propose que celui-ci ne puisse être restitué que lorsque les intéressés auront prouvé qu'ils avaient les ressources nécessaires pour l'acquisition.

Pour chacune des infractions, un équilibre a donc été recherché entre prévention et répression.

Les moyens de la police et de la gendarmerie sont renforcés, et les compétences des préfets sont redéfinies pour tenir compte de la nouvelle architecture institutionnelle. S'agissant des contrôles d'identité, la notion de « raisons plausibles de soupçonner » est substituée à celle d'« indices ». Un cadre légal strictement défini est donné à la « visite des véhicules ».

D'autres mesures tendent à mettre à disposition des forces de l'ordre des outils adaptés.

L'Angleterre, pays de l'habeas corpus, établit et conserve depuis 1994 les empreintes génétiques de tous les délinquants susceptibles d'être emprisonnés, soit 1,5 million de personnes. En Hollande, de tels fichiers existent depuis 1994, et en Belgique depuis l'été 1996. En France, les affaires Guy Georges et Dickinson ont démontré les insuffisances de nos moyens. Ne peuvent être conservées dans le fichier national des empreintes génétiques que celles de personnes définitivement condamnées ; en outre, un suspect qui refuse de se soumettre à un prélèvement à des fins de rapprochement avec les données du fichier n'est passible d'aucune sanction.

Le projet tend donc à procéder à un double élargissement. D'une part, les auteurs des délits de violence contre les biens et les personnes ou mettant en danger l'ordre public figureront désormais dans le fichier aux côtés des « délinquants sexuels » et d'auteurs d'infractions particulièrement graves comme les atteintes volontaires à la vie des personnes, les tortures et les actes de barbarie. La commission des lois vous proposera d'inclure la traite des êtres humains, la prostitution des mineurs ou de personnes vulnérables, la mise en péril des mineurs, l'exploitation de la mendicité et la fabrication de fausse monnaie. D'autre part, les suspects des infractions relevant du FNAEG, et non plus les seules personnes définitivement condamnées, figureront dans ce fichier. Par ailleurs, le fait de refuser de se soumettre au prélèvement sera passible d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende.

La commission vous proposera également, concernant le STIC, un renforcement du rôle de la CNIL et des droits des personnes. Concernant le fichier des personnes recherchées, elle souhaite augmenter le nombre des catégories de décisions judiciaires devant donner lieu à une inscription.

La commission vous proposera d'autre part plusieurs amendements destinés à donner aux forces de l'ordre les moyens de faire face aux nouvelles formes de criminalité. Il s'agira tout d'abord d'insérer dans le code de procédure pénale un titre XVIII bis consacré aux livraisons surveillées et aux infiltrations en matière de criminalité organisée. Trois amendements concernent les nouvelles technologies de l'information et de la communication : il vous sera proposé, d'une part, d'autoriser les officiers de police judiciaire à procéder à des perquisitions informatiques et à étendre celles-ci aux données et systèmes accessibles depuis le système initial ; d'autre part, de permettre aux officiers de police, agissant sur réquisition ou autorisation d'un magistrat du siège, d'obtenir dans des délais rapides des informations contenues dans des systèmes informatiques et de prendre toutes dispositions utiles pour la préservation de ces données, ce dispositif étant assorti de garanties.

Ce projet moderne et novateur traduit une modernisation totale des moyens de lutte contre la délinquance.

Les autres dispositions concernent la clarification du régime juridique des armes, l'assainissement des activités de sécurité privées, l'extension des compétences des polices municipales.

Ce texte renforce la protection juridique dont bénéficient les agents publics intervenant dans le domaine de la sécurité intérieure et les membres de leurs familles. Cette disposition est essentielle pour préserver ceux qui, dans l'exercice de leur mission, sont détenteurs d'une partie de l'autorité de l'Etat.

Ce projet apporte aux forces de l'ordre et à tous ceux qui exercent leur mission dans des conditions de sécurité précaires la considération qu'ils méritent. Qu'il me soit permis de leur rendre ici hommage. Restaurer l'autorité de l'Etat impose d'abord que ceux qui sont chargés de la faire respecter soient eux-mêmes protégés.

Respect des engagements de la LOPSI, équilibre entre humanisme et répression, modernisation des moyens de lutte contre la délinquance, protection de tous ceux qui sont chargés de faire appliquer la loi républicaine, telles sont les principales facettes de ce texte qui fera date dans la lutte contre l'insécurité dans la mesure où il s'associe à une détermination totale du Gouvernement et à des moyens budgétaires conséquents.

La majorité des membres de la commission auraient souhaité, comme moi-même, que le projet comporte également un volet destiné à améliorer la procédure pénale, notamment en abrogeant les dispositions les plus contestables du code actuel. Mais nous nous en sommes tenus à la suppression de la notification du droit au silence, véritable humiliation pour les forces de l'ordre et pour les OPJ. Avoir en face de soi le violeur d'un enfant et devoir lui notifier qu'il est en droit de se taire était insupportable pour ceux qui agissent au service de la sécurité publique.

M. Lionnel Luca - C'était une provocation !

M. André Gerin - Démagogues !

Mme Maryse Joissains Masini - Allez le dire à vos électeurs...

M. le Rapporteur - Pour certains articles de la loi relative à la présomption d'innocence, nous avons reçu l'assurance qu'ils seraient traités dans un texte ultérieur concernant la justice. Nous y veillerons car il est essentiel que l'efficacité de la chaîne pénale soit renforcée pour que la politique déterminée du ministre de l'intérieur puisse donner sa pleine mesure.

Les statistiques de la délinquance qui ont été publiées hier marquent, pour la première fois depuis de nombreuses années, l'inversion des courbes de la délinquance. Monsieur le ministre, ce résultat, c'est à vous que nous le devons.

Alors que vous disposiez en 2002 de moyens budgétaires et législatifs constants, vous avez réhabilité la force de la volonté politique au service de l'action. Il appartient aujourd'hui au Parlement de vous donner le cadre législatif qui vous permettra d'accentuer cette tendance. Merci de nous avoir redonné confiance dans la force du pacte républicain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente et rapporteur de la délégation aux droits des femmes - La délégation aux droits des femmes est directement concernée par certaines dispositions de ce projet, notamment celles relatives à la prostitution qui, au-delà des aspects juridiques, traitent de problèmes de société fondamentaux.

La prostitution est une atteinte à l'essence même des relations entre hommes et femmes, car elle bannit toute notion de respect humain. Bien souvent, elle s'organise dans un climat de contrainte et de violence. Prisonnières entre les proxénètes et les clients, les prostituées ont été trop longtemps stigmatisées, alors qu'elles sont avant tout les victimes d'un système qui les exploite.

Ces dernières années, le contexte a été profondément modifié par l'arrivée massive de prostituées étrangères soumises à un véritable esclavage. L'opinion commence à s'en émouvoir et le Parlement le dénonce depuis plusieurs années : au Sénat, par le remarquable rapport de notre regrettée collègue Dinah Derycke, alors présidente de la délégation aux droits des femmes ; à l'Assemblée, par de nombreuses propositions et questions, ainsi que par les travaux de la mission d'information commune sur l'esclavage moderne et par la proposition de loi qu'elle a inspirée.

La saisine de notre délégation était donc amplement justifiée. Au terme de ses travaux, après de nombreuses auditions, elle a formulé un certain nombre de recommandations.

Dans la première, la délégation estime que la lutte contre les réseaux mafieux doit être une priorité absolue. L'arrivée massive de prostituées venues principalement de l'Est de l'Europe et d'Afrique est le fait de réseaux internationaux extrêmement bien organisés et violents. Ces jeunes femmes, souvent mineures, sont recrutées et vendues comme de la marchandise. Elles alimentent un marché très lucratif qui est à l'origine de nombreuses autres activités criminelles, comme le trafic de stupéfiants, voire d'armes.

Sur les 15 à 18 000 prostituées qui seraient en activité en France, les étrangères, dont le nombre est en augmentation constante, représentent près de 60 % de la prostitution de voie publique, et même 70 % à Paris, plus encore à Strasbourg ou à Nice. Ces prostituées étrangères sont souvent maltraitées. Ne disposant que de l'indispensable pour survivre, elles sont surveillées et parfois droguées. Il est donc urgent d'intervenir contre les réseaux.

Aussi la délégation s'est-elle félicitée de l'introduction dans notre code pénal d'une nouvelle incrimination de traite des êtres humains, conformément au protocole additionnel à la convention de Palerme signé par la France. La traite sera passible de lourdes peines, renforcées encore par la confiscation des biens des personnes reconnues coupables de ces infractions.

Pour être efficaces, ces dispositions devront s'accompagner d'une coopération policière et judiciaire accrue avec les pays de l'Union européenne. A cet égard, la convention-cadre de l'Union relative à la lutte contre la traite des êtres humains du 19 juillet 2002 et le projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen, récemment adopté par l'Assemblée, constituent des avancées.

La deuxième recommandation a trait aux nuisances entraînées par l'exercice de la prostitution dans certains quartiers. Notre délégation a recueilli de nombreux témoignages d'élus et de responsables locaux à ce sujet. Des riverains, excédés par le spectacle offert à leurs enfants, par le tapage nocturne et la pollution, ont protesté avec vigueur. Des arrêtés municipaux ont été pris par certaines collectivités locales, mais ils ne font que déplacer le problème. Il était urgent de donner un signal fort, c'est pourquoi des mesures dissuasives à l'encontre du racolage nous sont proposées.

A ce sujet, la délégation a regretté que l'un des moyens envisagés pour lutter contre les réseaux maffieux soit l'emprisonnement des personnes prostituées. Ces peines, ainsi que les amendes prévues, paraissent particulièrement lourdes pour les victimes de ces réseaux. Il n'est pas sûr que la garde à vue permettra à la police d'obtenir les informations qu'elle attend car ces personnes sont souvent rendues muettes par la crainte de représailles sur elles-mêmes ou sur leurs proches.

Par ailleurs, le champ de la nouvelle définition du racolage, à la fois actif et passif, est très large. La délégation a donc souhaité que des précautions soient prises afin d'éviter tout arbitraire. Un cadre déontologique devrait être assigné aux fonctionnaires de police.

La délégation s'est ensuite préoccupée de la situation faite aux personnes prostituées de nationalité étrangère qui acceptent de porter plainte ou de témoigner contre leurs proxénètes, et qui peuvent se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour et une carte de résident lorsque la procédure aboutit. A cet égard, nous soutenons l'amendement de la commission des lois qui permet aux personnes ayant bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour d'exercer une activité professionnelle, dans la perspective d'une réelle insertion.

Il faudra organiser et assurer la protection physique de ces personnes, si l'on veut encourager les dénonciations qui serviront de base au travail d'investigation de la police. Leur sécurité devra être assurée pendant et après la procédure, avec un hébergement sécurisé et adapté, comme en Belgique ou en Italie.

Lorsque la procédure pénale n'a pu aboutir à une condamnation, la possibilité de délivrance d'une carte de résident pourrait être élargie, sous certaines conditions, afin d'éviter un retour risqué dans le pays d'origine.

Quatrième recommandation : les dispositions pénales relatives à la prostitution devront être complétées par des mesures d'accompagnement social. Il est indispensable que l'Etat s'engage réellement dans une politique de prévention, d'accueil et de réinsertion, trop longtemps négligée et confiée aux seules associations qui agissent avec le plus grand dévouement, mais avec peu de moyens. Dans cet esprit, les services fiscaux devraient renoncer à poursuivre les personnes qui abandonnent la prostitution.

Le débat qui s'est ouvert a aussi attiré l'attention des pouvoirs publics sur le client. Des moyens juridiques existent déjà, depuis la loi du 4 mars 2002, de le punir sévèrement en cas de recours à la prostitution d'un mineur. Le projet propose une nouvelle pénalisation du client, de personnes particulièrement vulnérables. Plus que de lourdes pénalités systématiques, qui risquent de ne pas être appliquées, la mise en _uvre rigoureuse des textes existants et des nouvelles dispositions devrait constituer une dissuasion efficace. Tel est l'objet de notre cinquième recommandation.

Notre société demeure mal informée des problèmes de la prostitution. La sixième recommandation insiste donc sur la nécessité de mener des campagnes de sensibilisation du grand public, ainsi qu'une information dans le cadre scolaire sur la réalité de la prostitution et sur l'atteinte ainsi portée aux droits des femmes et des hommes et à leur dignité.

En conclusion, je souhaite que les financements soient rapidement débloqués pour mettre en _uvre les programmes d'assistance et d'accompagnement social visant à la protection, l'accueil et la réinsertion des personnes prostituées. J'aimerais aussi qu'une vaste réflexion soit conduite sur la prostitution en France, sur la place et les droits sociaux de la personne prostituée et sur le soutien indispensable à la sortie de la prostitution, auquel certaines associations travaillent avec beaucoup de courage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité.

M. Bruno Le Roux - Ce projet nous fournit l'occasion de débattre sérieusement d'une question essentielle pour nos concitoyens : leur sécurité. Certes, ce texte est moins ambitieux que cet objectif et ne correspond que très partiellement aux attentes exprimées. Mais le débat permettra de confronter nos points de vue et d'évaluer vos propositions. Nous souhaitons qu'il évite les caricatures et s'ancre dans la réalité. Il ne s'agit pas pour nous de condamner par principe ce texte, mais il convient de le discuter car il aura des répercussions importantes pour tous nos concitoyens et ce ne sont pas forcément celles que vous leur avez annoncées.

Plusieurs députés UMP - Voilà la caricature !

M. Bruno Le Roux - Pour la caricature, j'ai entendu le ministre ... Nous nous interrogeons sur l'utilité de vos mesures, sur leur efficacité et leurs conséquences : la sécurité publique, ce n'est pas le sécuritaire à tout prix.

L'insécurité concerne toutes les catégories et mérite des réponses sérieuses. La sécurité des personnes et des biens est un objectif constitutionnel, un droit fondamental et donc un devoir pour l'Etat, comme l'a affirmé la loi du 15 novembre 2001 dont j'étais le rapporteur. Il est d'autant plus impératif que nos concitoyens sont de plus en plus attentifs au sort réservé aux victimes et que c'est devenu une préoccupation majeure pour les sapeurs-pompiers, les policiers, les convoyeurs de fonds, les agents de surveillance, auxquels je rends hommage.

Nous partageons l'objectif de doter notre pays d'une politique ambitieuse en matière de sécurité et nous débattrons aussi des libertés publiques, qui ne s'opposent pas à la sécurité : sans ces libertés, il n'y a pas de sécurité.

Quelques mots sur le contexte de ce débat : la situation internationale est tendue, le risque d'une guerre en Irak est grand, la position de la France ambiguë. Tout cela peut renforcer la menace terroriste ce qui vous oblige à prendre des mesures de précaution. Mais elle ne doit pas conduire à décalquer en matière de sécurité publique les procédures exceptionnelles mises en place pour la lutte anti-terroriste.

Je tiens à souligner combien cette question de la sécurité est importante pour la gauche. C'est devenu l'une des premières préoccupations des Français. Le développement des actes de violence atteint un niveau insupportable, générant une angoisse collective. Il est porteur de nombreux dangers : ségrégation, repli sur soi, dislocation sociale. Nos concitoyens attendent donc des réponses efficaces.

Mais une première divergence de fond entre nos approches apparaît déjà. Monsieur le ministre, vos déclarations fracassantes ne trompent personne : le tout-répressif, la logique de l'enfermement, le développement des services privés conduisent non seulement à l'échec, mais aussi au développement des inégalités. Les réserves des puissants seront surprotégées alors qu'une partie de la population sera abandonnée à la violence. Cette gestion à court terme aboutira à un ordre social où les uns seront toujours en République et les autres condamnés à l'amalgame insécurité-pauvreté-jeunesse-immigration, etc. Nous ne nous résignons pas à la perspective d'une France coupée en deux. Un combat efficace contre l'insécurité ne se conçoit pas sans être adossé à un projet de transformation sociale et de plein-emploi. La violence résulte de l'augmentation des inégalités, des conséquences de la crise économique, des ravages d'une société de consommation débridée. Pour lutter contre ces phénomènes, il faut une mobilisation générale et une action qui combatte les comportements violents, mais aussi les causes sociales qui constituent le terreau de la délinquance.

Depuis 1997, une politique nouvelle et ambitieuse, fondée sur un bouleversement conceptuel, a été mise en place : vous avez d'ailleurs placé vos premiers pas dans ce sillon (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) - je pense notamment à la réforme de la police nationale...

M. le Ministre - Vous allez voter le projet, puisque je suis dans votre sillon !

M. Bruno Le Roux - Quelques articles, oui.

Cette politique repose sur une approche globale, sur un partenariat entre l'Etat et l'ensemble des acteurs, sur une action au plus près du terrain. Les contrats locaux de sécurité, la police et la justice de proximité ont traduit cette volonté en actes. Nous en avons mesuré les effets, réels, mais aussi les limites.

Aujourd'hui, il faut persévérer dans cette voie. Il ne s'agit pas d'inventer de nouveaux dispositifs, mais de mettre en place les moyens nécessaires : or votre projet ne contribue pas à rendre un sens à la République et au civisme.

Trois principes devraient guider une politique publique ambitieuse : la précocité - réagir dès la première alerte -, l'intensité - mobiliser tous les moyens en même temps - et la continuité - agir dans la durée.

Vous semblez, Monsieur le ministre, partager une autre philosophie. Après une campagne électorale centrée sur la sécurité, quelle est votre mission au sein du Gouvernement ? Certes, vous croyez au discours compréhensible par le plus grand nombre - ce qui semble vous autoriser beaucoup de caricatures et d'approximations. Vous entendez incarner, à vous seul, la politique de sécurité de ce gouvernement et c'est bien le principal problème. Vous présentez la police, la gendarmerie et les sociétés de sécurité comme une réponse globale à l'insécurité, alors que ces hommes et ces femmes ne sont qu'un maillon de la chaîne. Pensez-vous vraiment que l'éducation, la ville, l'emploi, le logement, le sport, la culture, etc. n'ont aucun rôle à jouer pour faire reculer la violence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Vous savez très bien que si, mais vous avez été chargé d'incarner la sécurité au sein d'un gouvernement qui n'a pas fait le choix de lutter contre la violence dans notre société, avec l'espoir que votre activisme fera illusion le plus longtemps possible. Vous-même semblez d'ailleurs vous inquiéter de cette surenchère médiatique qui vous oblige à vous agiter en permanence. Monsieur le ministre, il faut parfois savoir prendre le temps et apporter aux problèmes une réponse globale.

Vous axez tous vos efforts sur la reprise en main de la rue, en éliminant tous ceux qui renvoient une image jugée déplaisante de notre société : prostituées, mendiants, gens du voyage, étrangers délinquants, jeunes dans les halls d'immeuble, vendeurs d'aliments à emporter...

En les sanctionnant, pensez-vous réellement défendre la sécurité et la tranquillité publique dans la durée, alors même que l'inflation des règles menaçant la vie privée suscite l'inquiétude ?

Même quand il n'y a pas d'infraction, la police peut intervenir dès qu'un comportement trouble la tranquillité publique. Pourquoi toute cette agitation, ces nouvelles incriminations, si ce n'est pour brandir à l'opinion une action qui n'aboutira pas ?

Un Etat fort a rarement besoin de montrer sa force et de l'utiliser. Les citoyens comprennent qu'il tire sa légitimité de sa capacité à faire respecter les droits de tous et à établir un juste équilibre entre ces droits et les nécessités de l'ordre. Un Etat fort sait mobiliser toutes les ressources de sa puissance publique pour assurer cet équilibre. Un Etat faible a besoin de moyens nouveaux pour prouver qu'il veut protéger tous les citoyens.

Votre démarche s'accompagne d'une intense médiatisation. Fait-elle illusion ? Peut-être, mais tous les observateurs savent que vos nouvelles mesures ne parviendront pas à rétablir la paix sociale.

Vous évoquez les populations les plus défavorisées. Mais leur véritable protection consiste à tout mettre en _uvre pour que des faits de délinquance quotidienne ne se produisent pas. Ce n'est pas seulement la prévention - si caricaturée -, c'est la politique de la ville, la lutte contre les communautarismes, l'illettrisme, la pauvreté, c'est une politique de l'emploi, une politique de longue haleine ! Votre politique tourne le dos à cette démarche ; elle satisfait les policiers, se veut rassurante envers les victimes défavorisées, mais ne peut avoir d'autres résultats que ceux d'une vaste opération coup de poing. Votre projet constitue une régression par rapport à l'accumulation d'expériences concernant la lutte contre l'insécurité.

Les policiers affirment qu'ils n'ont pas assez de pouvoir ; il y a toujours une opinion publique pour réclamer plus de répression et une partie de la magistrature pour aller dans le même sens. Or, les magistrats savent que la pénalisation outrancière n'a jamais été une solution. Toute l'évolution du droit pénal consiste à diversifier et à civiliser les peines pour éviter l'enfermement.

Augmenter les pouvoirs de la police, c'est rompre le fragile équilibre entre les pouvoirs de la partie poursuivante et les droits de la personne poursuivie, c'est renforcer le pouvoir de l'Etat alors que les textes actuels suffisent pour poursuivre les fauteurs de trouble. Vous préférez changer les droits de la police plutôt que de lui donner des moyens.

Votre projet de loi fait un recours abusif à la force. Vous faites l'amalgame entre la lutte contre le terrorisme, la délinquance et le sentiment réel d'insécurité.

M. le rapporteur - Quel reniement !

M. Bruno Le Roux - Il n'y a aucun reniement de notre part. Je mettrai les vôtres en évidence ! La philosophie de votre projet vise à promouvoir un ordre moral et répressif comme la loi sécurité et liberté de 1980, censurée par le Conseil constitutionnel. Elle ne laisse aucune place à la dimension préventive du traitement de la délinquance. Il s'agit de s'attaquer à ce qui est visible, quitte à négliger les phénomènes souterrains plus dangereux.

Votre méthode est identique à celle de vos prédécesseurs de droite : la présomption de culpabilité, le cumul des interdictions administratives et pénales, la justification des pouvoirs de police. Déjà, le nombre de détentions provisoires s'accroît - de même le nombre de suicides en prison. Vos projets de construction de prisons suffiront-ils après le vote d'une telle loi et les incriminations que vous préparez ?

Des pans entiers des droits de la défense est des libertés individuelles sont remis en cause.

Les articles premier et 2 du titre premier renforcent les pouvoirs des préfets et élargissent la compétence des officiers de police judiciaire. Ils symbolisent la volonté d'exercice des pleins pouvoirs du ministère de l'intérieur ; ils tendent à confisquer, sans contrepartie, le pouvoir de direction de fonctionnaires habilités en matière judiciaire ; ils entraînent une diminution drastique des pouvoirs de direction et de surveillance de la police par l'autorité judiciaire ; ils risquent de favoriser une concurrence stérile, voire de désorganiser les enquêtes en raison de l'assouplissement des zones d'intervention.

Rien, dans votre texte, sur le renforcement des pouvoirs des procureurs généraux et des procureurs de la République. Avec les articles relatifs aux fouilles de véhicules, vous banalisez - en les étendant au vol et au recel - les dispositions limitées aux infractions de terrorisme, au trafic d'armes et à certains trafics de stupéfiants prévus par la loi sur la sécurité quotidienne à titre temporaire. La Commission nationale consultative des droits de l'homme avait naguère estimé que ces mesures, prises pour un temps déterminé, avaient trop perduré - et vous les prolongez, sans que nous ayons été saisis d'un rapport d'évaluation sur le bien-fondé du dispositif.

Le champ d'action des procédures dérogatoires au droit commun doit être circonscrit à la lutte contre le terrorisme.

L'article 6 ne respecte pas l'encadrement exigé par le Conseil constitutionnel ou par la jurisprudence de la chambre criminelle. Rien ne s'oppose à encadrer plus rigoureusement la fouille de véhicules en précisant les modalités qui doivent être respectées afin de garantir les droits de la défense et le secret professionnel, même lorsque l'agent de la sécurité agit en flagrant délit.

L'article 7 prévoit de donner aux officiers de police judiciaire la possibilité de réaliser une visite de véhicule pour prévenir « une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens ». Cette notion se rapproche de l'« atteinte grave à l'ordre public » visée par le code pénal pour définir les actes de terrorisme. Des actes d'investigation et de contrainte deviennent possibles en police administrative dans un cadre dérogatoire pour justifier la visite de véhicules par parallélisme avec les contrôles d'identité. Cette visite de véhicules doit être précisée et encadrée. Il faudra sanctionner par une nullité tout risque de détournement de procédure.

Le projet de loi étend le champ de plusieurs fichiers. Chaque fichier tend à devenir un fichier de police destiné à recevoir de plus en plus de données hétérogènes. Il est nécessaire de réintroduire un contrôle des informations stockées ainsi que des personnes habilitées à accéder aux données. Nous souhaitons une référence à la loi de 1978 dite « Informatique et libertés ».

Votre projet introduit un nouveau déséquilibre qui résulte de la définition dans la loi des conditions d'entrée dans les fichiers mais qui renvoie à un décret pour les conditions dans lesquelles une information nominative en est retirée. S'agissant de la protection des libertés publiques et individuelles, il est nécessaire que la loi traite de l'ensemble du projet. Nous rejoignons l'avis de la commission consultative des droits de l'homme qui demande que la loi soumette au contrôle du juge des libertés et de la détention l'autorisation d'inscription des données fournissant des informations, sans limitation d'âge, sur les personnes à l'encontre desquelles sont réunies des indices ou des éléments graves attestant leur participation à la commission des faits. Un contrôle judiciaire de ce fichier constitue une garantie fondamentale.

Il est nécessaire de réintroduire dans votre texte les garanties préconisées par la CNIL - traitement séparé des fonctions policière et statistique, régime distinct des données selon qu'elles concernent ou non des victimes. Pourquoi ne pas limiter ce fichier à certains types d'affaires particulièrement graves ?

Il est nécessaire de reconnaître un droit d'accès et de rectification à toute personne qui désire obtenir des renseignements le concernant, figurant au fichier de police informatisé. L'effacement du nom des personnes mises en cause est nécessaire chaque fois qu'une décision définitive sur le fond est intervenue - exception faite des hypothèses où l'insuffisance de preuves motive un non-lieu ou un classement.

Protégeons l'accès au STIC - système de traitement des informations constatées - avec une sécurisation renforcée des informations. Réservons-le aux officiers de police judiciaire doublement habilités par le procureur.

L'article 13 autorise l'utilisation des fichiers dans le cadre d'enquêtes administratives. Il doit être supprimé car il contredit une recommandation solennelle de la CNIL - refus de la banalisation d'un fichier dont l'existence est justifiée par son utilité en police judiciaire et qui autorise les personnels administratifs à utiliser et croiser des fichiers nominatifs.

Nous vous donnerons en séance beaucoup d'exemples des graves problèmes que pourrait entraîner ce fichier, notamment pour des jeunes qui seront poursuivis toute leur vie par des faits relativement bénins.

Plusieurs députés UMP - On ne sera pas fiché pour des faits bénins !

M. Bruno Le Roux - L'actualité récente n'est pas exempte de bavures (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - Méfiez-vous, Mme Guigou s'est déjà risquée sur ce terrain !

M. Bruno Le Roux - Lorsqu'on met des avocats en détention...

M. le Ministre - De telles accusations ne sont pas admissibles ! Mme Guigou a déjà reçu une leçon (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Bruno Le Roux - Je n'accuse personne. Lorsque quelqu'un est incarcéré pendant plusieurs jours, livré en pâture à l'opinion publique puis innocenté, des questions doivent se poser (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Nos exemples iront à l'encontre de ceux que vous nous avez donnés.

En ce qui concerne le fichier national des empreintes génétiques, il est là aussi nécessaire de préciser votre projet pour tenir compte du caractère intime des éléments conservés. On pourrait s'inspirer des précautions prises pour le fichier informatisé des empreintes digitales en plaçant ce fichier sous l'autorité du ministre de la justice, en s'assurant du contrôle du procureur de la République, en obligeant l'officier de police judiciaire à mentionner les motifs qui justifient le prélèvement, en prévoyant une procédure d'effacement automatique en cas d'erreur, en assortissant les durées de conservation des empreintes aux délais de forclusion de l'action pénale et enfin en limitant le recueil des données aux infractions graves et très graves. Votre liste est trop large et le fichier ferait double emploi avec d'autres, tels que le STIC. Cette limitation permettrait d'ailleurs, dans un premier temps, au fichier d'être opérationnel le plus rapidement possible. L'article 16 autorise par ailleurs les prélèvements externes en vue de vérification. Il faut encadrer cette disposition. La procédure ne peut être la même selon qu'il s'agit d'une flagrance, d'une enquête préliminaire hors flagrance ou d'une commission rogatoire.

J'en viens à la lutte contre la traite des êtes humains. Les dispositions retenues au Sénat reprennent quasi intégralement la proposition de loi Lazerges-Vidalies qui avait été votée à l'unanimité en première lecture le 24 janvier 2002. Nous les voterons donc, car une commission avait travaillé pendant de nombreux mois sur ces problèmes. Ne manque qu'une partie de l'article 2 sur la délivrance des cartes de séjour. Nous souhaitons que cet article 2 soit rétabli dans son intégralité.

On ne protégera pas les victimes de la prostitution en les mettant en prison. La prostitution doit faire l'objet d'une réflexion approfondie dans notre société. L'Assemblée y travaille d'ailleurs déjà et, ayant entendu la présidente de la délégation aux droits des femmes, connaissant l'avancement de ses travaux, je crois qu'il faut attendre leur aboutissement pour élaborer un texte de loi qui puisse réellement lutter contre le proxénétisme. Comment penser que votre projet puisse faire autre chose qu'encourager la clandestinité ?

Je comprends que ceux qui subissent ces problèmes tous les jours dans leur quartier veuillent vous croire, mais je leur assure qu'il vaut mieux, surtout étant donné l'avancement des travaux en cours, que le texte qui sera pris soit bien réfléchi. Le vôtre ne peut que rendre plus difficile le travail de tous ceux, et notamment des associations, qui aident les prostituées au quotidien, alors même qu'ils croient beaucoup à la réflexion qui est en cours.

L'interdiction d'installation sur un espace privé ou public vise presque exclusivement les gens du voyage. Les peines de prison et d'amende peuvent être assorties de la confiscation du véhicule ou du retrait du permis de conduire, ce qui dans les deux cas atteint le mode de vie de ces personnes. Face à cette rigueur, le non-respect par les communes de leurs obligations légales ne semble que légèrement sanctionné. Les communes qui n'ont pas prévu d'aire de stationnement sont nombreuses, alors même que le manque de places est à l'origine des occupations illégales.

Nous pouvons essayer d'avancer ensemble sur ce chapitre. Pourtant, la limitation de votre procédure aux communes qui ont respecté leurs obligations n'a pas soulevé tout à l'heure l'enthousiasme de votre majorité.

M. Guy Geoffroy - Bien sûr que si !

M. Bruno Le Roux - Nous devons travailler à compléter la loi Besson, pour que les communes qui ont rempli leurs obligations ne se voient pas envahies, mais en respectant l'intégrité et les traditions des gens du voyage.

En ce qui concerne les cages d'escalier et le délit d'entrave, la loi sur la sécurité quotidienne avait visé l'efficacité plutôt que l'affichage de la répression. Elle avait donc inséré des dispositions dans le code de la construction et de l'habitat. Elle incitait également les propriétaires à remplir leurs obligations pour l'aménagement et la gestion des immeubles.

La façon dont vous réagissez devant ce problème soulève une question récurrente : doit-on demander à la police d'intervenir à chaque fois qu'une difficulté est créée par la mauvaise gestion de l'espace public ? Au moins pourrions-nous limiter, là aussi, l'application de vos dispositions aux endroits où les bailleurs ont respecté leurs obligations. En se promenant dans les villes, on voit certes des attroupements et parfois des faits plus graves, mais on voit aussi des immeubles laissés à l'abandon, sans personnel et sans gardiens. Nous sommes prêts à travailler sur ces problèmes, mais il n'est pas bon de créer un incrimination aussi générale.

Vous créez un délit d'exploitation de la mendicité. La mendicité a été dépénalisée dans le nouveau code pénal, entré en vigueur en 1994 et qui ne punit plus que l'incitation des mineurs à la mendicité. L'introduction de dispositions relatives à l'exploitation de la mendicité dans le chapitre relatif à l'esclavage moderne rend nécessaire, par cohérence, de supprimer cet article. Nous devrons également supprimer l'infraction lorsque la personne mendie par nécessité. Nul ne peut être poursuivi pour avoir mendié ou cherché un abri.

Voilà les dispositions qui appellent le plus d'observations de notre part. Pour le reste, soit nous réfuterons vos arguments parce qu'ils nous sembleront mauvais, soit nous essayerons d'encadrer votre texte pour qu'il soit moins déséquilibré, soit encore nous demanderons qu'une réflexion plus approfondie soit menée.

Il semble aujourd'hui que votre discours ait évolué. Il y a quelques semaines, vous considériez la police comme le remède à tous les maux de la société.

M. Gérard Léonard - Ce n'est pas vrai !

M. Bruno Le Roux - Le ministre a parlé tout à l'heure de prévention et de lutte contre la violence, mais il n'a encore donné aucun signe concret qui indique cette direction. Nous souhaitons donc formuler des propositions, pour peut-être vous donner quelques idées, qui dépassent le cadre de votre texte.

Commençons par le commencement : l'école. Les instituteurs et les autres professions concernées disent repérer très tôt les troubles et les souffrances qui risquent de se transformer en violence plus tard. Il faut agir dès ce moment.

M. Guy Geoffroy - Que ne l'avez-vous fait !

M. Bruno Le Roux - Nous l'avons fait, mais pas assez. Il faut mettre en place un dépistage systématique des troubles de comportement des enfants et des difficultés familiales et sociales. Des cellules seront, dans chaque école primaire, chargées de repérer les enfants en difficulté et d'assurer leur suivi sur tous les plans : soins médicaux et psychologiques, intervention auprès de la famille... L'école n'est plus seulement la cible de violences venues de l'extérieur. Le vandalisme, les agressions et le racket se produisent entre élèves. Le renforcement de l'encadrement, qui ne semble pas une des priorités du ministre de l'éducation, et les actions de prévention de la violence scolaire ont fait évoluer la prise en compte de la situation.

Il est nécessaire de renforcer ces actions par la mise en place d'internats, par un système de bourses et d'adultes référents, par le suivi scolaire des enfants en difficulté, par la création de classes-relais et par la lutte contre l'échec scolaire et l'absentéisme.

La famille s'est profondément modifiée ces dernières années. Sa taille, son rôle, la place de l'autorité ont évolué et les effets du chômage ont aggravé certaines évolutions. L'enjeu est d'identifier à qui incombent les responsabilités.

Ne montrez pas du doigt les parents défaillants, qui peuvent déjà être sanctionnés : reconnaissez qu'ils peuvent être désemparés et donnez-leur les points d'appui dont ils ont besoin, donnez-leur les moyens de jouer pleinement leur rôle éducatif. Cela implique une nouvelle politique familiale qui aide les associations et les villes à développer des projets de type « école des parents ».

Autre cadre, le quartier. L'initiation commence dans la rue, dans les cages d'escalier, dans les caves où les enfants sont livrés à eux-mêmes. Les jeunes apparaissent de plus en plus souvent comme un nouvel ennemi de l'intérieur. Une société qui a peur de ses enfants est une société qui va mal, Monsieur le ministre. Il faut donner à nos jeunes un autre avenir qu'une condamnation passive au caïdat. Ils ont besoin de la présence d'adultes qui les prennent en considération. Il faut réinventer une politique ambitieuse de la jeunesse, capable de transformer la révolte en une force positive. Nous y parviendrons par le développement de l'éducation populaire et la création de maisons de jeunes du XXIe siècle. Après Malraux, il faut le reconnaître, peu d'initiatives ont été prises pour mobiliser la jeunesse et lui donner des structures qui lui apprennent à affronter son avenir. A l'aube de ce nouveau siècle, il est nécessaire d'y réfléchir.

Une triple ségrégation, territoriale, sociale et quasi ethnique, fait de nos quartiers populaires des ghettos. Des objectifs ambitieux de renouvellement urbain avaient été fixés par le précédent gouvernement. Casser les ghettos doit demeurer une priorité. Il faut aussi continuer à redistribuer la richesse entre les villes.

Je n'ai aucune difficulté à parler de la sanction. Depuis des années, c'est une question centrale pour les différents ministres de l'intérieur. Bien entendu, il faut y réfléchir. S'il n'y a pas de réponse immédiate au délit, le jeune délinquant a le sentiment de pouvoir agir en toute impunité, les victimes sont livrées à elles-mêmes et les parents ne se sentent pas aidés. Il faut donc une réponse proportionnée dès le premier passage à l'acte, ce qui implique la création d'une justice de proximité. Une échelle des sanctions claire et proportionnée doit être définie. Il faut une sanction adaptée à chaque situation : pour les incriminations que vous créez, ce n'est pas le cas.

Il faut aussi veiller à ce que l'auteur de la violence répare le préjudice subi par la victime ou par la collectivité, en créant un service chargé de la réparation dans chaque parquet. Il ne faut pas oublier les mesures d'éloignement, et je ne crains pas de parler de l'enfermement, à condition que le passage en prison retrouve tout son sens et rende possible une reconstruction individuelle.

Grâce, en partie, au travail de notre assemblée, le pays a pris conscience de l'état de délabrement de nos prisons, qui sont aujourd'hui criminogènes. Nous voulons reconstruire un système pénitentiaire digne du pays des droits de l'homme.

Nous étions tous d'accord il y a quelques mois et les prédécesseurs de M. Perben avaient annoncé un programme qui semble aujourd'hui oublié (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Quelques mots sur l'argent de la drogue. Une économie mafieuse gangrène la vie des cités. Autour de ce business, des caïds font la loi, flirtent avec le grand banditisme, tiennent la population sous leur coupe et servent de modèles aux plus jeunes. Il faut se débarrasser de cette économie parallèle qui nourrit la violence et mine l'Etat de droit. Il faut mettre l'accent sur la police judiciaire pour démanteler les trafics et empêcher la naissance d'un nouveau grand banditisme. C'est le contraire du « saute-dessus » et des opérations conjointes police-médias. Les opérations de ces derniers mois n'ont permis que de ramasser quelques armes et des barrettes de shit, alors que le travail de fond de la police judiciaire permet de démanteler des réseaux entiers. Le travail sérieux est plus efficace que les opérations « coup de poing » (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Les fonctionnaires de la police et de la gendarmerie, qui exercent un métier difficile, méritent la considération de l'ensemble de la société. La police de proximité a été une évolution majeure. Nous sommes passés d'une police conçue pour maintenir l'ordre et protéger les institutions à une police au service des citoyens. Ce mouvement de transformation est engagé, mais il reste fragile, en raison des conditions dans lesquelles s'est mise en place la police de proximité : nombreux départs en retraite, absence de rédéploiement des effectifs, absence de déconcentration hiérarchique. La police de proximité n'a pas seulement vocation à faire de l'îlotage, mais à élucider les affaires qui empoisonnent la vie de nos quartiers. Or elle manque de moyens. Nous sommes inquiets de voir que vous semblez vouloir étendre les pouvoirs de la police nationale sans renforcer ses moyens d'action.

S'agissant des victimes, il a été dit qu'on ne parlait jamais d'elles et qu'elles étaient de « grandes oubliées ». Sans vous renvoyer à des interventions déjà anciennes de Robert Badinter, je veux rappeler que c'est sous la précédente législature qu'a été créé le Conseil national d'aide aux victimes qui fait un travail intéressant, quoique peu médiatisé. Les victimes sont au c_ur de la problématique. Derrière les statistiques, il y a ceux qui ont été blessés et qui se sentent doublement victimes lorsque le préjudice subi n'est pas reconnu. L'idée que porter plainte ne sert à rien s'est installée, renforçant la loi du silence. Oui, il faut avoir plus de considération pour les victimes et obtenir la réparation des préjudices, d'autant que les violences subies qui n'ont pas été dites peuvent se transformer en souffrances qui engendrent à leur tour la violence.

La lutte contre la violence ne peut plus être différée. Elle doit être la priorité du Gouvernement.

M. le Ministre - Ah !

M. Bruno Le Roux - Il faut convaincre le Premier ministre qu'une véritable mobilisation nationale est nécessaire. Nous avons souvent l'impression, Monsieur le ministre, que vous êtes là pour conduire un casting. Vous êtes une étoile qui brille dans un Gouvernement bien terne. Je souhaite que vous disiez à vos collègues ministres que seul, vous ne pouvez rien faire, afin que tous les moyens de l'Etat soient mobilisés.

Nous sommes tous attachés à la sécurité de nos concitoyens (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

J'en viens à l'inconstitutionnalité de ce texte (Même mouvement). Sur plusieurs dispositions, elle saute aux yeux. Vous-même, au Sénat, avez semblé convenir de la fragilité de ce texte. Le risque est tel que les deux rapporteurs, au Sénat comme à l'Assemblée, se sont cru obligés de développer toute une argumentation en défense préventive.

Certaines précautions ont été prises, mais ce sont des leurres juridiques. Sur un sujet aussi important que la sécurité, on aurait souhaité un texte mieux conçu, quitte à faire attendre un peu les médias...

Comme le Conseil constitutionnel, nous admettons des aménagements raisonnables aux droits et libertés constitutionnellement garantis - droit à ne pas être arrêté ou détenu arbitrairement, liberté d'aller et venir, droit à disposer librement de son corps, inviolabilité du domicile...-, pour tenir compte d'objectifs à valeur constitutionnelle comme la défense de l'ordre public et le respect de la liberté d'autrui. Mais de ce point de vue, Monsieur le ministre, votre projet n'est pas intelligible (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), alors que l'intelligibilité de la loi est elle-même reconnue comme une nécessité par le Conseil constitutionnel.

Le manque de clarté de votre texte concerne tout d'abord le contrôle de la police judiciaire. Plus les pouvoirs des policiers sont larges, plus les moyens de contrôle dont disposent les procureurs doivent être précisés. Or aucune précision n'est apportée. Le contrôle, constitutionnellement nécessaire, de l'OPJ risque donc de rester théorique.

En deuxième lieu, en violation du principe fondamental de la liberté individuelle, votre projet introduit une confusion quant à la finalité des fichiers de police judiciaire, en permettant leur consultation à des fins administratives, sans possibilité de contrôle effectif de l'usage des renseignements ainsi recueillis.

En troisième lieu, en faisant référence pour justifier le contrôle judiciaire ou la fouille d'un véhicule non plus à des « indices » mais à des « raisons plausibles de soupçonner », ce projet pose un problème de définition du suspect, qui sera source de confusion devant les tribunaux.

Enfin, on peut s'étonner que l'extorsion de fonds soit punie de sept ans de prison sur le fondement des articles 312-1 et suivants du code pénal mais de six mois sur le fondement du nouvel article 312-12-1 du même code.

Non seulement votre projet est imprécis, mais il est déséquilibré.

Le Conseil constitutionnel n'admet de restrictions aux libertés individuelles que pour des raisons précises et exceptionnelles. Le 12 janvier 1977, il a ainsi invalidé les fouilles de véhicules insuffisamment encadrées. Le projet tient compte de cette jurisprudence dans la mesure où il reprend les dispositions de la loi du 15 novembre 2001 prévoyant une autorisation de l'OPJ par le procureur par voie de réquisition écrite ; en revanche, en étendant la liste des infractions pouvant justifier les fouilles de véhicules au vol et au recel, qui sont des infractions moins graves que celles prévues initialement, il procède à un glissement inexpliqué, d'autant plus difficile à admettre qu'est maintenue une validation de la procédure en cas de découverte d'infractions incidentes. Le risque pour les libertés est évidemment excessif par rapport à l'enjeu (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Les dispositions proposées pour éviter la fouille de véhicules qui servent de domicile sont insuffisantes. Comment savoir avant la fouille si le véhicule sert ou non de résidence. Si à la fouille, il apparaît que le véhicule est un domicile, quelles sont les conséquences ?

S'agissant du fichier STIC, il n'est pas admissible qu'on ne puisse précisément connaître l'exploitation faite des données de plus en plus nombreuses qui peuvent y figurer d'autant que la conservation de celles-ci ne fait pas l'objet de limitation.

En ce qui concerne le fichier national automatisé des empreintes génétiques, non seulement les infractions autorisant le relevé d'empreintes sont beaucoup plus nombreuses qu'elles ne l'étaient pour le fichier automatisé des empreintes digitales mais l'assimilation du témoin assisté et du mis en examen porte atteinte à la présomption d'innocence.

En outre, on ne peut que s'étonner qu'un OPJ puisse de sa propre initiative décider de l'inscription d'une personne au FNAEG, lorsque celle-ci est facultative. La moindre des choses serait de confier l'affaire à un magistrat et de mettre l'intéressé en mesure de s'expliquer.

Mais tel n'est pas le cas et le fonctionnement nouveau du FNAEG marque une atteinte grave à la présomption d'innocence et aux droits de la défense. En autorisant la conservation des empreintes génétiques de personnes non condamnées, le projet ouvre une voie d'autant plus dangereuse que la procédure d'effacement est laissée à l'appréciation du procureur dont la décision ne sera pas guidée par les conséquences éventuelles pour la personne présumée innocente mais par la finalité du fichier dont on a déjà évoqué la nature équivoque.

Il faut aussi s'interroger sur la durée de conservation des informations génétiques, apparemment sans autre limite que le bon vouloir du parquet, et quant à la procédure d'effacement. En laissant au Conseil d'Etat le soin de régler une question aussi essentielle, le législateur adopte une attitude particulièrement légère, d'autant qu'aucun encadrement du décret n'est prévu.

S'agissant du racolage, le projet vise à élargir la notion et à correctionnaliser la peine encourue.

Le racolage actuellement punissable suppose soit une tenue vestimentaire soit un geste ou une parole de nature à inciter à des relations sexuelles. Le seul fait d'aller et venir sur le trottoir n'est pas en soi suffisant. Il devrait désormais le devenir. Nous aimerions savoir si cette qualification pourrait aussi viser le client ou si cette incrimination ne vaut, comme l'a laissé entendre le rapporteur, que pour certaines prostituées.

M. le Rapporteur - Je n'ai pas dit cela !

M. Bruno Le Roux - Je l'ai entendu dans un reportage d'une chaîne de télévision cryptée...

Il ne me paraît pas raisonnable d'envisager que la loi ne s'applique qu'à une catégorie de prostituées.

Dès lors qu'une attitude, « même passive », peut être constitutive de racolage et punie d'emprisonnement, il faut s'inquiéter. Les éléments constitutifs de l'infraction souffrent d'une « dangereuse imprécision » et, dès lors que le principe de la légalité des délits et des peines n'est pas respecté, le texte peut être source d'arbitraire.

En ce qui concerne le retrait de la carte de séjour, je rappelle que, dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel indique que « si le législateur peu prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que s'ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l'ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale... »

Il faut dès lors s'interroger sur la validité d'une disposition qui prévoit, d'une part, la possibilité de retirer la carte de séjour à un étranger qui a commis des faits susceptibles de poursuites pénales graves, avant même qu'il ait été poursuivi ou simplement si son comportement a constitué une menace pour l'ordre public, sans autre détail... Le retrait de la carte de séjour temporaire en ce qu'il constitue une sanction ne peut « être infligé qu'à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que les droits de la défense car ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ».

Si cette précaution a été prise pour le retrait du titre de séjour aux personnes qui ont commis des fautes graves, tel n'est pas le cas pour ceux et celles à qui peut être reproché une conduite troublant même un peu seulement l'ordre public, d'où un risque d'arbitraire certain.

Du reste, dans la même décision, sur le problème très proche de la reconduite à la frontière assortie d'une interdiction du territoire, le Conseil a considéré que toute décision prise « sans égard à la gravité du comportement ayant motivé cet arrêté, sans possibilité d'en dispenser l'intéressé ni même d'en faire varier la durée ne répondait pas « aux exigences de l'article 8 de la déclaration de 1789 ».

Nous reviendrons sur ces motifs d'inconstitutionnalité car nous vous proposerons, à chaque article, de faire en sorte que nous n'ayons pas à saisir le juge constitutionnel.

Nos divergences sont profondes et nous le montrerons mais l'objectif poursuivi est le même : améliorer la sécurité de nos concitoyens. Pour nous, lutter contre le délinquance, c'est le contraire d'exclure, de réprimer, de toujours incarcérer. La sanction est indispensable mais elle ne suffit pas, elle doit s'accompagner d'actions susceptibles d'empêcher l'entrée dans la délinquance, d'actions de prévention et d'éducation.

Nous sommes favorables à tout ce qui peut rendre la lutte contre la délinquance plus efficace : renforcement des moyens de la police, de la gendarmerie, mais aussi de la justice, qui doit être rendue plus rapide. En revanche, nous ne pouvons accepter que, sous prétexte de renforcer la sécurité, vous preniez des mesures conduisant à stigmatiser certains plutôt que d'autres, surtout les plus pauvres, surtout ceux qui sont en marge de notre société (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Nos concitoyens expriment une très forte demande de lutte contre l'insécurité, je ne suis pas sûr que ce texte y réponde car vous oubliez que s'ils souhaitent plus de répression, ils veulent aussi plus d'éducation, de formation, d'emploi, de moyens pour restructurer les endroits les plus difficiles (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Les dispositions proposées sont inefficaces et, souvent, anticonstitutionnelles, c'est pourquoi je demande à l'Assemblée de voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Ministre - Si votre objectif était de faire long, vous avez réussi ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Vous ne m'avez pas couvert de compliments, je vous ai néanmoins écouté une heure et demie sans protester, souffrez maintenant que je vous réponde, même si je n'ai pas tout compris de vos arguments sur l'inconstitutionnalité...

Vous n'avez, dans cette intervention, guère hésité à vous contredire.

Après m'avoir accusé de n'être que le pâle copieur de M. Vaillant et de ne proposer que des mesures qui avaient déjà été lancées par le précédent gouvernement, vous m'avez dit ensuite que tout ce que je faisais était dangereux, liberticide et portait atteinte aux valeurs de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Vous n'avez pas hésité d'ailleurs à faire du Conseil constitutionnel, jadis voué aux gémonies par les députés socialistes et même par certains ministres pour avoir osé censurer la taxe sur la pollution, le champion de la défense de ces valeurs (Mêmes mouvements). Pas vous, pas çà !

Autre contradiction : après avoir dit que ce texte vide de sens ne servirait à rien, vous avez annoncé que vous étiez prêts à discuter. Eh bien, je vous prendrai au mot à chaque fois que vous adopterez une attitude constructive.

Mais, si vous êtes prêt à voter les dispositions relatives aux nomades, à la prostitution, aux halls d'immeuble, sous réserve de quelques modifications, l'avez-vous dit à ceux qui ont manifesté avec vous le week-end dernier contre ce texte jugé liberticide ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Si vous conditionnez votre accord à la mesure relative aux halls d'immeuble à la création de salles pour ceux qui ne savent où se retrouver, je suis prêt à vous rejoindre car il s'agit d'une mesure intelligente, inspirée de celle que je propose pour les nomades. N'hésitez pas à le faire savoir aux autres signataires de l'appel à manifester...

Vous m'avez par ailleurs reproché mes déclarations fracassantes. Lesquelles ? En huit mois et demi, ai-je prononcé un seul mot, ai-je eu une seule attitude contraire aux valeurs de la République ? L'ai-je fait en parlant de la double peine ou des sans-papiers, en débattant avec Jean-Marie Le Pen ? Ai-je à un moment donné le sentiment de ne pas maîtriser les responsabilités et les devoirs de ma charge ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Attention, Monsieur Le Roux : nous sommes écoutés et regardés par les policiers et par les gendarmes. Cela fait des semaines, des mois qu'on essaye de m'imputer, avec quelque gourmandise, la première bavure.

A la télévision, devant six millions de téléspectateurs, une ancienne Garde des Sceaux socialiste, qui devrait se montrer plus scrupuleuse des droits de l'homme, a accusé un fonctionnaire de police de 28 ans, du commissariat de Bondy, d'avoir eu un comportement en contradiction avec la déontologie de la police républicaine. Je me suis rendu sur place. L'ensemble des syndicats a stigmatisé l'attitude odieuse de cet ancien ministre.

Vous avez dit qu'il y avait des bavures : je vous demande solennellement de me dire où, quand, comment et je déclencherai des enquêtes. S'il y a une bavure, elle sera sanctionnée. Mais je ne laisserai pas se poursuivre ce petit jeu de la calomnie qui consiste à croire qu'il suffit de crier « bavure ! » pour qu'il y ait bavure.

M. Bruno Le Roux - Puis-je vous répondre ?

M. le Ministre - Non, je viens de vous écouter pendant une heure et demie ! Maintenant écoutez-moi quelques minutes (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste).

L'inspection générale des services est saisie de toutes les affaires et je n'accepterai aucun débordement par rapport à la déontologie. Mais quand l'orateur du groupe socialiste déclare à la tribune que les bavures sont encouragées par la politique du Gouvernement, je ne l'accepte pas : c'est bafouer l'honneur de fonctionnaires qui méritent mieux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Vous affirmez également, Monsieur Le Roux, que la violence est le résultat des inégalités. Dois-je en conclure que si la délinquance a augmenté pendant les cinq années de gouvernement socialiste, c'est parce que rien n'a été fait pour réduire les inégalités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Vous me dites qu'il faut savoir prendre son temps. Moi, je pense que le temps travaille contre les responsables politiques républicains, compte tenu de l'exaspération de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ce temps, vous l'avez eu - et je reconnais que vous avez été l'un des premiers à appeler l'attention des socialistes sur leur sous-estimation de la gravité de l'insécurité - et M. Jospin a reconnu, pendant la campagne électorale, qu'il avait été « naïf », ce qui veut dire qu'il ne s'était pas préoccupé assez de ce problème pendant cinq ans. Voulez-vous que nous fassions la même erreur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Croyez-vous que les Français seront plus indulgents avec nous qu'avec vous ? Si nous perdons du temps et restons immobiles, nous aurons la même sanction que vous : nous serons battus.

Enfin, vous me dites quelque chose d'extraordinaire : vous me reprochez de donner trop de pouvoirs à la police et à la gendarmerie et vous affirmez qu'elles ont plus besoin de moyens financiers que de nouveaux pouvoirs juridiques. Venant d'un parlementaire qui a refusé de voter la loi d'orientation sur la sécurité intérieure il y a quatre mois, c'est invraisemblable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

En revanche, je note un bon point : vous avez reconnu, et c'est courageux, que l'expression « sentiment d'insécurité » avait pu blesser un certain nombre de nos concitoyens et que vous regrettiez collectivement de l'avoir employée. Si j'ai pu vous convaincre de cela, je n'ai pas perdu mon temps.

Les droits de la défense seraient violés ? Qui va se sentir menacé par ces mesures ?

La situation dans les prisons est souvent inhumaine, nous en sommes bien d'accord, une mission parlementaire s'en est d'ailleurs inquiétée. Mais quand vous nous reprochez les suicides dans les prisons et le non-respect des droits des prisonniers, on se demande pourquoi vous n'y avez pas remédié quand vous étiez au pouvoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Huit mois, c'est un peu court pour faire ce que vous n'avez pas fait en cinq ans !

Sur les nomades et sur la prostitution, je serai très attentif à vos propositions, comme à celles des autres groupes. La situation est difficile, toutes les bonnes idées seront les bienvenues.

Vous souhaitez que je donne la priorité au développement de la police judiciaire : je suis bien d'accord. la police de proximité est une bonne idée, à condition qu'elle ne se fasse pas au détriment de la police d'investigation et d'interpellation.

Votre jugement sur les GIR est très sévère. On ne peut pas dire qu'ils ne servent à rien : ils donnent à des services trop cloisonnés l'occasion de travailler enfin ensemble.

En conclusion, vous m'appelez à lutter contre la violence et l'insécurité. Merci de l'encouragement, je ne vous décevrai pas. Mais que vouliez-vous dire quand vous évoquiez le droit à disposer de son corps ? Est-ce une référence à l'école de pensée qui considère la prostitution comme un métier ? Pour ma part, je contesterai de toutes mes forces l'idée que la prostitution puisse être une liberté ou un métier. Ce n'est pas la peine de parler parité et droits des femmes pour condamner certaines à une activité avilissante et sordide.

Je comprends que ce débat soit douloureux pour vous car vous avez le sentiment d'avoir échoué sur ce sujet. Je ne dis pas que je suis certain de réussir, mais ce dont je suis certain, c'est qu'il ne faut pas suivre le même chemin que vous, qui est une impasse ! Nous n'avons pas envie qu'à cause de cette impasse, l'extrémisme et le front national connaissent une nouvelle jeunesse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Bruno Le Roux - Rappel au Règlement sur le déroulement de la séance ! Monsieur le ministre, on ne peut pas multiplier les amalgames. Quand on cite des faits importants et publics, comme ceux que j'ai dénoncés à propos d'un avocat ou d'un bagagiste... (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Présidente - Monsieur Le Roux, vous avez la parole pour un rappel au Règlement !

M. Bruno Le Roux - ...on ne peut pas dire qu'il s'agit de calomnies. J'ai vu, en tant que membre de la commission nationale de déontologie de la sécurité, un certain nombre de dossiers qui posent question. Je défends le travail de la police et de la gendarmerie, mais je dois pouvoir faire état de certaines inquiétudes sans que mes propos soient dévoyés (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - En ce qui concerne l'affaire du bagagiste, je rends hommage aux services de la police et de la justice qui ont permis de découvrir rapidement la vérité dans des circonstances difficiles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Quinze jours de prison pour un innocent, c'est beaucoup trop, mais on ne peut assimiler l'attitude des forces de police à une bavure alors qu'elles ont fait un travail remarquable !

M. Bruno Le Roux - N'importe quoi ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Ministre - Vous hurlez chaque fois que vous êtes pris les doigts dans le pot de confiture ! Je suis toutes ces affaires une par une au jour le jour. Au sujet de l'avocat dont vous avez parlé, j'ai déclenché une enquête. Tant qu'elle n'est pas achevée, je dénie à quiconque le droit de dire qu'il s'agit d'une bavure ou d'un dysfonctionnement. Ce n'est pas sur la base d'un article de journal que l'on doit trancher. Les droits de l'homme, Monsieur Le Roux, valent aussi pour les policiers, qui font un métier difficile et qui ne doivent pas être victimes d'amalgames (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Je ne laisserai rien passer. Ces hommes et ces femmes ont le droit au respect eux aussi ; c'est le devoir de leur ministre de les défendre chaque fois qu'ils sont mis en cause. J'ai estimé qu'ils l'ont été de façon abusive dans vos interventions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 15.

La séance est levée à 19 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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