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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 65ème jour de séance, 163ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 12 MARS 2003

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 7

      QUESTION PRÉALABLE 15

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 13 MARS 2003 28

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant modification de la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie.

M. Jean-Marie Le Guen - Je souhaite, par un rappel au Règlement, protester de façon très solennelle contre l'organisation de nos débats. L'ordre du jour a été bouleversé, ce qui, concernant ce texte, ne nous surprend du reste qu'à moitié, et nous commençons ce soir un débat qui était prévu pour demain. Un certain nombre de nos collègues ne pourront de ce fait y participer, en particulier Mme Guinchard-Kunstler, qui était notre principale oratrice. Ce ne sont pas des façons de travailler convenables pour notre assemblée.

Mme Muguette Jacquaint - Je m'associe à ce rappel au Règlement. Sachant depuis la semaine dernière que ce texte devait être discuté demain, les parlementaires concernés ont organisé leur calendrier de travail en conséquence. Bousculer ainsi l'ordre du jour de l'Assemblée est un singulier manque de respect à l'égard des parlementaires.

M. Denis Jacquat, vice-président de la commission des affaires sociales - La commission s'est inquiétée des raisons de ce changement, et le président Dubernard a précisé qu'il s'était produit à la demande de l'ensemble des présidents de groupes. Il en résulte des bouleversements pour l'opposition comme pour la majorité, mais décidés à l'unanimité.

M. Jean-Marie Le Guen - A la demande des présidents de groupes, ou avec leur accord ?

M. le Président - J'ai pris acte de vos protestations. Je vous rappelle que la Conférence des présidents, qui réunit le président et les vice-présidents de l'Assemblée ainsi que les présidents de groupes, se tient tous les mardis. Des modifications de l'ordre du jour prioritaire peuvent survenir, et celle-ci a fait l'objet d'une communication du Président Debré, mais elle n'a pas suscité de protestation de la part des présidents de groupes.

M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Je voudrais tout d'abord saluer l'excellent travail de votre rapporteur, Georges Colombier, et remercier le président de la commission des affaires culturelles, Jean-Michel Dubernard, ainsi que celui de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, pour leur implication dans ce dossier.

La proposition de loi qui nous réunit aujourd'hui est un texte d'ajustement. Il y avait urgence à agir pour garantir l'équilibre financier de l'allocation personnalisée d'autonomie en 2003.

M. Michel Vergnier - En 2003 ? Bravo !

M. le Secrétaire d'Etat - Ce texte sera suivi d'une seconde étape : fin 2003, comme la loi le prévoit, il s'agira, sur la base des évaluations en cours d'assurer l'avenir de la prestation.

Notre pays compte aujourd'hui 2 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, soit 20 % de la population. Elles seront 17 millions en 2020. Dès 2010, les Français de plus de 60 ans seront plus nombreux que ceux de moins de 20 ans.

Notre société est confrontée à un phénomène nouveau, et d'une grande ampleur : l'allongement de la vie, qui va modifier en profondeur ses besoins économiques et sociaux. Faute d'anticipation, un décalage est apparu entre les besoins de la population et les réponses publiques. Une prise de conscience générale s'impose, et les politiques publiques doivent promouvoir des réponses globales, qui prennent en compte l'ensemble des défis. Nous avons donc fixé quatre grandes orientations.

La première vise à promouvoir une société pour tous les âges, où chacun peut s'investir et participer à la vie politique, économique et sociale. Nous voulons permettre aux seniors d'y conserver une place active, notamment sous la forme du bénévolat ou du volontariat. Dans cette société, les différentes générations conserveront des liens étroits entre elles, et nous veillerons à promouvoir l'échange et la solidarité.

Notre deuxième orientation consiste à permettre à chacun de bien vieillir. Pour cela, il faut savoir anticiper son avancée en âge. Le programme « bien vieillir », que nous avons lancé avec le Premier ministre et le ministre des sports, et auquel une quinzaine de villes sont associées cette année, y aidera chacun.

Le troisième axe vise à développer les droits des personnes âgées. Il s'agit de préserver leur liberté de choix et d'améliorer l'appréciation de leurs besoins. Il s'agit surtout de lutter contre la maltraitance, qui touche près de 15 % des plus de 75 ans. C'est pourquoi nous avons installé, le 19 novembre, un comité national de vigilance, fer de lance de notre plan de lutte. Nous devons préserver la dignité de nos anciens.

Plusieurs députés socialistes - Ce n'est pas ce que vous faites !

M. le Secrétaire d'Etat - C'est ce que vous n'avez pas fait, et que nous allons accomplir. Une société doit protéger ses membres les plus faibles, enfants ou personnes âgées.

Enfin, nous entendons améliorer la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie. Il faut faciliter le maintien à domicile, encourager l'essor d'une offre d'accueil diversifiée et poursuivre l'amélioration de la qualité des établissements. Nous avons ainsi accéléré le rythme des signatures de conventions (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). 1 110 ont été signées en 2002, et 1800 sont prévues pour cette année, contre 330 en 2000-2001, et vous prétendez nous donner des leçons !

M. Michel Vergnier - Combien de temps faut-il pour les préparer ?

M. le Secrétaire d'Etat - Pour les personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer, nous créerons 750 places de séjour temporaire et 1750 places d'accueil de jour en 2003. J'ai par ailleurs mis en place une « instance prospective Alzheimer », composée de gens du terrain, chargée de mieux définir les besoins des malades et de leurs familles.

J'en viens à l'allocation personnalisée d'autonomie : nous sommes réunis ce soir pour un véritable sauvetage. Cela sera difficile, mais aussi indispensable. D'ici 2040, le nombre des personnes âgées de plus de 85 ans aura doublé. Or, la dépendance ne concerne qu'une personne de 80 ans sur dix, mais une sur quatre de 85 ans et une sur trois de 90 ans ! Malgré tous les progrès de la médecine, le nombre des personnes âgées dépendantes augmentera d'environ 25 % d'ici à 2020 et 55 % d'ici à 2040.

L'importance des enjeux - humains, sérieux, économiques, financiers, politiques et même philosophiques - rend plus préoccupante encore la montée en charge précipitée de l'APA, bien plus rapide que ne l'avait prévu nos prédécesseurs, qui l'ont largement sous-estimée (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ainsi, on comptait 642 000 bénéficiaires d'une prestation dépendance fin 2002, et l'on en prévoit 850 000 fin 2003 alors que nos prédécesseurs ont calé leurs perspectives financières sur un nombre de bénéficiaires compris entre 500 000 et 550 000 en 2002 et 2003, et 800 000 en 2005 et 2006.

M. Augustin Bonrepaux - Nos prévisions sont justes !

M. le Secrétaire d'Etat - Oui, à 300 000 personnes près ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux - C'est la rançon du succès.

M. le Secrétaire d'Etat - Cette rapide progression du nombre de bénéficiaires traduit, bien sûr, un réel besoin. Mais elle est aussi la conséquence de conditions d'ouverture des droits insuffisamment maîtrisées (M. Augustin Bonrepaux proteste).

On constate qu'à fin 2002, le plan d'aide moyen s'élève, à domicile, à 516 €, avec une participation moyenne du bénéficiaire de 5 % ; en établissement, le tarif « dépendance » moyen est de 416 euros, pris en charge pour 30 % en moyenne par l'usager.

En 2002, les dépenses pour l'APA se sont élevées, au total, à quelque 1,85 milliard d'euros. Certes, ce montant est globalement inférieur aux 2,5 milliards initialement prévus, mais il est sans doute minoré par l'incidence des demandes en instance.

Pour 2003, les dépenses feront un bond, la prévision étant de 3,7 milliards, montant d'un tiers supérieur à celui initialement prévu.

Il fallait réagir sans attendre et, dans une situation budgétaire particulièrement tendue, faire face à ce besoin de financement considérable. Situation budgétaire particulièrement tendue, j'y insiste, car, alors que vous aviez le vent dans le dos mais que vous avez gaspillé la croissance, nous avons le vent de face, avec le pire taux de croissance enregistré depuis vingt ans (Vives protestations et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Une concertation a donc été engagée, dès l'été, avec l'assemblée des départements de France, et des réunions organisées pour trouver une solution au dérapage financier. A l'issue de cette concertation, le principe d'un effort partagé a été retenu : l'Etat apportera une contribution complémentaire de 400 millions, et les départements seront sollicités pour un montant équivalent. D'autre part, des économies seront réalisées, en liant plus étroitement le versement de la prestation et l'effectivité de l'aide, et en ajustant le barème de participation, sans dénaturer le dispositif, qui conservera son caractère universel.

Le réajustement du barème fait l'objet d'un projet de décret. Il s'agit...

M. Jean-Marie Le Guen - ...de régression sociale !

M. le Secrétaire d'Etat - ..., tout d'abord, de mieux équilibrer l'APA versée à domicile et en établissement, en portant la participation moyenne à domicile à 12 %.

Mais il faut aussi contribuer à restaurer l'équilibre indispensable du plan de financement que nos prédécesseurs avaient sous-évalué (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Si vous pensez, Messieurs, que « faire du social », c'est se limiter à se faire une publicité démagogique six mois avant les élections, vous vous méprenez ! (Mêmes mouvements)

L'effort demandé préserve les revenus les plus faibles, puisque près de 40 % des bénéficiaires dont le revenu mensuel est inférieur à 623 € ne verseront toujours aucune participation et que près de 30 % des bénéficiaires dont le revenu mensuel est compris entre 624 et 900 € verseront une participation variant de 1 à 10 % environ du plan d'aide. Quant à la participation des personnes disposant des revenus les plus élevés, elle passera de 80 à 90 %, ce qui devrait vous satisfaire (M. Le Guen proteste).

M. le Président - Laissez le ministre s'exprimer !

M. le Secrétaire d'Etat - Il ne me gêne pas, j'ai l'habitude des vociférations ! (Rires)

J'ajoute que la base de ressources prise en compte pour le calcul de la participation exclut certains revenus tels que le minimum vieillesse, les revenus de l'épargne, l'allocation logement et les retraites d'ancien combattant ou de veuve de guerre.

Enfin, la participation résultant du nouveau barème restera, dans la majorité des cas, inférieure à celle qui est appliquée de longue date pour l'aide ménagère et aucune mesure ne sera rétroactive.

Les autres mesures de l'accord sont mises en _uvre par la proposition dont nous discutons aujourd'hui, et dont le Gouvernement approuve les objectifs. Le premier est de renforcer le caractère de prestation en nature et affecté de l'APA, tout en préservant le libre choix des personnes. L'APA étant une prestation en nature, elle doit être intégralement utilisée pour couvrir les dépenses prédéfinies dans le plan d'aide. Le versement en espèces permet à la personne âgée de traiter de gré à gré ou de recourir à un service prestataire. Le texte renforce les moyens dont les départements disposent pour garantir l'effectivité de la prestation.

La proposition tend d'autre part à organiser une prise en charge partagée du besoin de financement complémentaire pour 2003, évalué à 1,2 milliard. L'Etat, pour sa part, a fait le choix de l'emprunt.

Enfin, la proposition vise à apporter une aide spécifique aux départements les plus en difficulté du fait du poids de leur population âgée et de la faiblesse de leur potentiel fiscal.

Mme Hélène Mignon - Mais c'est par un emprunt ! Ce n'est que pour un an !

M. le Secrétaire d'Etat - Mais nous rembourserons cet emprunt !

Mme Hélène Mignon - Encore heureux !

M. le Secrétaire d'Etat - Il s'agit donc bien, tant avec ce texte qu'avec le projet de décret sur le nouveau barème, de sauvegarder l'APA. Cela étant, le texte n'a ni la prétention de tout régler, ni celle de garantir définitivement le financement de la prestation. Il répond à une urgence, afin de venir en aide aux collectivités départementales qui assurent aujourd'hui, en moyenne, 57 % du financement de la prestation, et l'urgence est d'autant plus grande que l'efficacité des mesures proposées dépend, pour 2003, de la rapidité de leur mise en _uvre : elles permettront que la participation de quelque quatre-vingts départements tombe à 50 %. Voilà ce dont il s'agit ! Et voilà pourquoi les participants à la concertation ont souhaité privilégier une démarche en deux temps.

Dans un premier temps, il fallait rechercher un financement complémentaire et des aménagements permettant des économies. A cet égard, le Gouvernement s'engage à réaliser un bilan du nouveau dispositif, et à arrêter de nouvelles économies si nécessaire. Il s'engage aussi à tirer les conséquences du groupe de travail sur le GIR 4 et à examiner les modalités de facturation de l'APA en établissement, ainsi que les relations avec l'assurance maladie.

Dans un second temps, nous nous livrerons à un examen plus approfondi de la loi, conformément au calendrier prévu par celle-ci, avec le recul indispensable, et en fonction des évaluations conduites par les inspections générales. Nous pourrons alors engager, au second semestre 2003, une réflexion sur les modalités d'un financement pérenne de l'APA. Nous nous félicitons donc que la proposition ne bouleverse pas les équilibres actuels.

Pour conclure, je tiens à rappeler les progrès de l'effort consenti par la nation en direction des personnes âgées dépendantes. A la croissance des dépenses publiques, qui seront passées de 1 milliard d'euros en 2001 à 1,9 milliard en 2002 et plus de 3 milliards en 2003, s'ajoute la promotion d'une offre de service de qualité grâce au récent agrément de l'accord salarial de la branche aide à domicile. Celui-ci va permettre à plus de 80 000 personnes d'obtenir en quatre ans une progression salariale de plus de 20 %. L'emploi dans ce secteur se développe grâce à de meilleures formations et à de réelles perspectives de carrière. La profession se voit ainsi reconnue.

Notre ambition est de répondre aux besoins tout en veillant à mieux maîtriser la dépense et en réaffirmant le principe d'une gestion décentralisée.

Parce que nous voulons construire notre politique en faveur des personnes âgées sur des bases solides, nous ne pouvons accepter ni les dérives financières, ni un alourdissement excessif de la fiscalité locale. C'est pourquoi le Gouvernement soutient cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Georges Colombier, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Le principe d'une allocation personnalisée d'autonomie avait été bien accueilli par la représentation nationale, mais l'opposition de l'époque, dont je faisais partie, en avait critiqué le mode de financement indigent. Force est de constater qu'elle avait raison.

Depuis plusieurs mois, on entend parler de la nécessaire réforme de ce financement, le nombre de dossiers déposés et de plans d'aide financés étant très supérieur à ce qui avait été prévu. Nous voilà donc contraints d'assurer la viabilité financière de l'APA pour l'année 2003, dans l'attente d'une solution plus pérenne que nous serons amenés à discuter dès l'automne prochain, à la lumière du rapport prévu par l'article 15 de la loi portant création de l'APA et du rapport du fonds de financement de l'APA.

Au moment de la création de cette prestation, qui constituait une incontestable avancée, deux écueils avaient été évités.

D'abord, le recours sur succession, nécessairement très dissuasif, les personnes âgées se refusant à pénaliser leur famille.

Ensuite, l'exclusion des personnes classées en GIR 4, c'est-à-dire les personnes qui n'assument pas seules leur transfert et qui, une fois levées, peuvent se déplacer à l'intérieur du logement, mais doivent être aidées pour la toilette et l'habillage. Comment imaginer de les laisser livrer à elles-mêmes ?

La représentation nationale doit montrer aujourd'hui que son intention n'est pas de démanteler l'APA, mais de la financer.

M. Jean-Marie Le Guen - Ce sera utile, en effet !

M. le Rapporteur - Nous ne saurions revenir sur ces deux points, ce serait trahir la confiance des personnes âgées dépendantes et de leurs familles.

Dernière remarque préalable : la véritable solution au problème de la dépendance serait la création d'un risque spécifique au sein de la sécurité sociale. Certes, la conjoncture économique ne permet pas de le faire dans l'immédiat, mais je souhaite que le Parlement s'intéresse sérieusement à cette question lorsque le ciel de la croissance s'éclaircira.

J'en viens à l'analyse de cette proposition de loi, qui permet d'assurer le financement de l'APA pour la présente année et corrige quelques injustices.

Le gouvernement précédent avait évalué le nombre des personnes en perte d'autonomie à 800 000 et prévoyait une lente montée en charge du dispositif.

Le coût estimé à 2,29 milliards en 2002 et 2,59 en 2003, pour respectivement 500 000 et 550 000 bénéficiaires.

Or l'APA a été victime de son succès. L'Observatoire national de l'action sociale décentralisée et la direction de l'évaluation et des études statistiques ont donné des estimations du coût de l'APA sur lesquelles cette proposition de loi s'est fondée. Ces chiffres ont été tempérés ce matin par le directeur du fonds de financement de l'APA.

La proposition de loi déposée le 11 février 2003 par M. de Broissia et plusieurs de ses collègues sénateurs représente le second volet d'un accord conclu entre l'Etat et les départements, le premier étant constitué par un décret en cours de rédaction. Présenté au comité des finances sociales le 4 février dernier, ce dernier modifierait l'article 7 du décret du 20 novembre 2001 relatif aux modalités d'attribution de la prestation et au fonds de financement. Il comporterait dans son article premier deux mesures : d'une part, le plafond de ressources pour l'exonération passerait de 949 € à 623 € mensuels, et le plafond au-delà duquel le montant maximal de participation est acquitté, de 3 162 € à 2 483 € ; d'autre part, le montant maximal de la participation passerait de 80 à 90 % du montant du plan d'aide. Par ailleurs, 40 % des bénéficiaires seraient exemptés de participation financière.

Ces adaptations auraient pour effet de porter le taux moyen de participation des personnes vivant à leur domicile de 5 à 12 %. Elles ne mettraient cependant pas un terme à l'inégalité qui existe entre elles et les personnes hébergées en établissement, qui participent en moyenne à hauteur de 30 %. La modification n'aurait pas de caractère rétroactif. La proposition de loi sénatoriale comporte trois points clefs. D'abord, la date d'ouverture des droits à l'APA est fixée non plus à la date de dépôt du dossier complet, mais à celle de la notification de la décision du président du conseil général, la plupart des personnes attendant la notification de l'aide pour recourir à un service.

Il s'agit ensuite d'assurer le contrôle de l'effectivité de l'aide par divers moyens.

Enfin, ce texte permet au fonds de financement de l'APA d'emprunter 400 millions d'euros, afin d'aider les départements à faire face à la montée en charge du dispositif.

D'après M. Lenain, directeur du FFAPA, que la commission a auditionné ce matin, le coût de l'APA s'est élevé à 1 milliard 850 millions d'euros en 2002 et devrait doubler en 2003. Si le financement pour 2002 était assuré, ce que je reconnais, c'est loin d'être le cas pour 2003.

Toujours à propos du FFAPA, je ferai mienne la remarque judicieuse de mon collègue Denis Jacquat qui estime souhaitable que soit revu à terme le statut juridique de ce fonds qui ne figure ni dans la loi de financement de la sécurité sociale, ni dans la loi de finances, ce qui empêche en partie le Parlement de contrôler sa gestion.

Notons encore que la proposition de loi originelle a été enrichie au Sénat d'un article 6 qui fait prendre en charge par le fonds de modernisation de l'aide à domicile des charges supplémentaires pouvant résulter de la réforme de la tarification. Nous ne pouvons que nous réjouir de cet article, qui permet de mettre fin à une injustice puisque certaines personnes dépendantes en établissement voyaient les tarifs augmenter avec la mise en place de l'APA.

Je voudrais toutefois vous interroger, Monsieur le ministre, sur des préoccupations exprimées en commission à propos de l'avenir de la filière professionnelle de l'aide à domicile. Chacun d'entre nous a l'occasion de rencontrer les acteurs de terrain de l'aide à domicile. Leurs demandes de formation et de reconnaissance officielle sont légitimes tant ils accomplissent un travail remarquable.

Soulignons également l'importance des guichets uniques en direction des personnes âgées, sous la forme des comités locaux d'information et de coordination gérontologique. Il serait souhaitable que la représentation nationale soit assurée de la poursuite de ces expériences réussies. Aussi vous demandons-nous de nous rassurer sur ces deux points.

Au total, loin de démanteler l'APA, le texte vise à la sauver des négligences que nous avions dénoncées en matière de financement. Les fondements de l'APA sont donc préservés. Cette allocation restera universelle et sera financée pour l'année en cours.

La commission s'est prononcée pour une adoption conforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91-4 du Règlement.

M. Jean-Marie Le Guen - En défendant l'exception d'irrecevabilité, nous entendons d'abord protester contre votre méthode de gouvernement, illustrée par le caractère expéditif du débat qui s'ouvre, par l'urgence dans laquelle vous nous soumettez ce texte, par votre volonté de tout faire pour obtenir un vote conforme des deux assemblées et hâter ainsi l'adoption de la proposition. Il s'agit pour vous d'éviter la concertation et le débat. Voilà une première raison de s'opposer à votre texte.

En second lieu, nous refusons un texte porteur d'injustices (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) qui frappera les personnes les plus âgées et les plus défavorisées. Enfin, nous ne pouvons pas accepter ce dispositif qui s'inscrit complètement dans votre politique de régression sociale (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Alors que l'APA fut l'une des réformes les plus importantes de la précédente législature, une réforme à laquelle nombre d'entre vous étaient du reste contents d'apporter leur soutien parce qu'elle représentait un espoir considérable pour notre société, vous procédez aujourd'hui à son amputation sans aucun bilan préalable (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Ce texte est un coup de force qui cherche à dissimuler les mauvais coups portés à la solidarité que nous devons aux plus anciens et aux plus fragiles d'entre nous. Nous sommes donc saisis d'une proposition de loi présentée avec la complaisance de vos amis du Sénat, votée dans la discrétion, et avec la volonté de limiter, y compris dans votre propre majorité, l'exercice du droit d'amendement, n'est-ce pas, Monsieur Jacquat, afin d'obtenir un vote conforme.

Ce débat est biaisé. Vous essayez de justifier votre démarche par des arguments tellement faux qu'ils en sont mensongers (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Seule l'absence de véritable débat contradictoire et d'études préalables vous permet d'affirmer des contrevérités au service d'une mauvaise politique. Le Parlement est contourné, car vous agissez par la voie de décrets qui à eux seuls ont beaucoup plus d'importance que les articles de la proposition.

Voilà donc les méthodes et la politique sociale du Gouvernement. Nous sommes bien loin de la transparence et de la solidarité si souvent invoquées. Lorsque votre gouvernement décide, on voit bien dans quel sens il va, ou plutôt recule.

C'est dans votre domaine de compétences que le Gouvernement a décidé de commencer à jeter le masque. Vous mettez concrètement en _uvre le recul de la solidarité, vous procédez à des déremboursements, au détriment des personnes âgées les plus défavorisées. Vous ne vous élevez pas au niveau des défis annoncés par le choc générationnel qui se prépare.

Certes, ce ne sont pas les personnes âgées dépendantes qui viendront manifester aujourd'hui, ni non plus leurs familles, car notre société hésite encore à considérer que ces questions relèvent de l'organisation sociale. Il suffit de mesurer le retard pris dans la lutte contre le handicap. Trop souvent, les familles concernées sont accaparées par les soucis quotidiens, et culpabilisées de faire appel à la solidarité nationale.

Mais cet état d'esprit est en train de changer. Des milliers de familles sont atteintes par votre politique de régression sociale (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Nous devons savoir que la dépendance va devenir l'une des premières questions sociales de notre pays. Ce n'est pas en restreignant les droits que nous avancerons.

Où sommes-nous parvenus dans la prise en charge de la dépendance ? En 1991, le rapport Boulard prônait le financement d'une allocation d'autonomie et de dépendance. Durant dix ans se sont succédé de nombreux textes : projet de Pierre Bérégovoy en 1992, bloqué, déjà, au Sénat ; proposition Teulade et Cathala, fin 1992 ; projet de Mme Codaccionni, abandonné, ou plutôt dissous par la présentation du plan Juppé sur la sécurité sociale. Cette absence de décision confirme le retard dans la prise de conscience de cette grande question sociale, et témoigne aussi de votre peur face à l'effort financier à réaliser.

Chaque fois que se présente une avancée sociale, les mêmes arguments sont utilisés pour s'y opposer : l'effort financier à réaliser, la tentative de culpabiliser les intéressés, la mesquinerie des procédures démocratiques. Nous retrouverons ce comportement tout au long de la discussion sur l'APA (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

En 1997 aboutit la proposition sénatoriale créant au niveau des conseils généraux la PSD, dont nous savions déjà qu'elle constituait en fait un recul (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Ce système plus économe - une obsession chez vous - mettait fin à l'allocation compensatrice pour tierce personne, et instituait le recours sur succession, si populaire dans vos rangs.

Ce fut un véritable raté social, d'autant que la mesure était assortie d'une réduction drastique des budgets correspondants.

Il a donc fallu attendre 2001 pour aboutir à la reconnaissance de la dépendance et à la prise de décisions concrètes. Durant ces années, on ne peut que relever combien le Sénat, et c'est un paradoxe, a retardé la reconnaissance des droits des personnes âgées (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). À nouveau vous avez affirmé, Monsieur le ministre, que l'APA est une bonne mesure, mais que son financement n'avait pas été prévu.

Plusieurs députés UMP - C'est vrai !

M. Jean-Marie Le Guen - Cette allégation, qui sous-tend votre politique de recul social, est purement manipulatoire et dénuée de fondement. Il est de bon ton, après une alternance et quand surgissent les premières difficultés, d'invoquer l'incurie du gouvernement précédent. Le gouvernement de M. Raffarin recourt surabondamment à ce procédé, pour justifier ses propres reculs, et l'APA n'échappe pas à cette critique en règle.

Pourtant, contrairement à vos affirmations, les chiffres réels des dépenses au titre de l'APA sont ceux à partir desquels nous avions travaillé pour créer la nouvelle prestation. Or, si certaines font semblant de découvrir que l'APA, comme toute politique sociale ambitieuse, a un coût, c'est qu'ils rechignent à tout effort financier dans ce domaine (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Oui, toutes les politiques sociales ont un coût, qu'il faut savoir assumer ! Rappelons ce qu'avaient avancé le gouvernement de Lionel Jospin et notre rapporteur Pascal Terrasse.

D'abord la loi créant l'APA avait distingué une première phase de montée en charge, et une deuxième qui comportait un bilan permettant d'asseoir définitivement le financement de la prestation. En 2001, le Gouvernement a précisé que les chiffres valaient pour les deux premières années. Il savait que ses estimations mériteraient d'être affinées en fonction de la montée en puissance du dispositif, à partir d'un bilan réalisé fin juin 2003. La majorité d'alors a eu l'honnêteté de reconnaître qu'elle travaillait à l'intérieur d'une fourchette. Pascal Terrasse, Elisabeth Guigou ou Paulette Guinchard-Kunstler avaient donné toutes ces informations au Parlement, dans la plus grande transparence.

Je cite le rapport de Pascal Terrasse : « En régime de croisière, en 2003, le coût estimatif de l'APA serait de 23 milliards de francs. L'article 13 du présent projet de loi prévoit qu'un bilan financier sera alors réalisé afin d'examiner la cohérence du mode de financement avec la montée en charge de l'allocation. En tout état de cause, et en vertu du principe d'annualité qui s'applique aux finances sociales, il n'est pas possible de prévoir dès aujourd'hui le financement à long terme de l'APA ».

Vous vous appuyez sur un rapport de l'ODAS pour annoncer des chiffres qui dramatisent la situation. Je rappelle que l'ODAS n'a aucun mandat public, et que son étude n'est pas exhaustive. L'ODAS avait écrit que la mise en _uvre de l'APA allait, malgré une compensation d'une partie du surcoût par l'Etat, provoquer une forte évolution des dépenses, et ses prévisions faisaient état d'un coût de 2,2 milliards d'euros pour 2002. Mais dans un rapport de janvier 2003, il constate que l'APA a un impact modéré sur les dépenses nettes d'aide sociale en direction des personnes âgées, la dépense étant compensée par la diminution des autres prestations qu'elle remplace et par l'apport de l'Etat, via le fonds de financement de l'APA. Ce même rapport évalue à 1,5 milliard d'euros le coût de l'APA, au lieu de 2,2 milliards annoncés six mois plus tôt.

Vous jouez également de l'ambiguïté sur le nombre de demandeurs de l'APA, proche de 800 000, dites-vous, et le nombre d'allocations effectivement servies, soit 469 000 à la fin de 2002.

Or, le flux des demandes s'est évidemment réduit après les campagnes intensives menées dans certains départements pour récupérer la nouvelle prestation (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Un certain nombre d'entre vous, qui cumulent les fonctions de député de la nation et de responsable de département, se sont vantés, auprès de leurs électeurs, de la mise en place de l'APA. Ils devraient faire preuve d'un minimum de retenue dans la critique ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Avec la même audace, ceux qui avaient extrapolé la tendance de la fin 2002 pour avancer comme un épouvantail une prévision de 950 000 bénéficiaires en 2003, reviennent à des chiffres plus réalistes. Monsieur le ministre, avez-vous des données provenant de l'ensemble des départements ?

M. le Secrétaire d'Etat - Je vais vous en fournir. Vous ne serez pas déçus.

M. Jean-Marie Le Guen - Merci ! Vous avez annoncé qu'il manque 1,2 milliard d'euros pour financer l'APA. La faute à qui ? Que n'avez-vous inscrit cette somme dans la loi de financement de la sécurité sociale ? Vous n'avez pas manqué, pourtant, de majorer l'ONDAM d'une façon parfois surprenante.

De toute façon, il manque des données objectives : la loi prévoyant un rapport financier pour le 30 juin 2003.

Paulette Guinchard-Kunstler a demandé l'audition du directeur du FFAPA : les montants que nous avions annoncés n'ont pas été dépassés. En 2002, 1,58 milliard d'euros ont été dépensés, soit 12,14 milliards de francs ; c'est moins que les 16,5 milliards annoncés. Pour 2003, le rapport Terrasse annonçait 3,7 milliards d'euros, ce qui correspond exactement au résultat prévisible. Et le FAPA est aujourd'hui en excédent de 75 millions d'euros, qui sont intégrés dans l'enveloppe de 2003.

Cette somme de 1,2 milliard prétendument non financé, c'est ce que vous avez oublié d'inscrire dans le PLFSS.

M. Michel Vergnier - Imparable !

M. Jacques Le Guen - Je cite les déclarations du Premier ministre à l'Assemblée nationale lors du débat sur le projet de loi relatif à la décentralisation : « Troisième principe : l'autonomie financière. Certes, le sujet est difficile, mais il est très important, et nous devons y travailler ensemble. Elle doit permettre aux autorités locales de déterminer elles-mêmes leur politique. Quand on organise la tutelle de l'argent, on organise la tutelle des responsabilités. J'entends parfois dire que cette réforme ne changerait pas grand-chose. Or, voyez l'exemple de l'APA, mesure importante mais qui n'a pas été financée. Dans le cadre de la réforme, nous aurions la possibilité d'organiser ce financement. Je ne souhaite pas une décentralisation mistigri qui transfère seulement les difficultés et les problèmes. Je souhaite une décentralisation équilibrée qui protège les collectivités territoriales de la tentation, pour l'Etat, de leur transférer plus de charges que de responsabilités. »

Le Gouvernement laisse croire que cette loi prévoyait un transfert de compétences de l'Etat vers les départements. Or, ce sont les départements qui ont toujours eu cette responsabilité, d'abord avec l'allocation compensatrice de tierce personne, puis avec la PSD et enfin avec l'APA.

Vous laissez croire encore qu'il n'y a pas eu d'expérimentation. C'est faux ! La prestation dépendance a fait l'objet d'expérimentations dans dix départements et c'est votre majorité qui, à l'époque, n'en avait pas tenu compte.

Il n'y avait donc pas lieu d'effectuer un transfert financier. En revanche, la loi avait prévu un mécanisme de financement pour accompagner l'effort des conseils généraux. Les départements assuraient seuls la charge de la prestation spécifique dépendance et de l'allocation compensatrice pour tierce personne, alors qu'ils sont aidés, aujourd'hui, par le FAPA.

Le législateur, à l'occasion du bilan prévu par la loi, pouvait décider de changer les clés de répartition entre financement départemental et national - et vous pouvez le faire dès aujourd'hui. Ce n'est pas le choix de votre majorité, qui préfère réduire les allocations des personnes âgées... Avant l'APA, les départements étaient les seuls financeurs de l'aide aux personnes âgées. Avec l'APA, tout en les laissant gérer cette aide, il a été décidé de les accompagner financièrement. Par ailleurs, à une époque où la région a le vent en poupe, l'APA a été pour les départements une occasion de prouver leur aptitude à gérer des politiques sociales de proximité.

En revanche, et nous vous en donnons acte, alors même que nous n'avons pas encore de chiffres précis sur les besoins réels de financement, il semble bien qu'il faille revenir sur la péréquation entre départements, et qu'une quinzaine d'entre eux rencontrent de réelles difficultés. C'est pourquoi, au cas où cette exception d'irrecevabilité ne serait pas votée, nous défendrons un amendement à ce sujet.

Face à ces problèmes d'ajustement, vous pouviez, dans la loi de financement pour 2003, et vous pourriez encore, dans celle de 2004, vous donner les marges nécessaires, en affectant à l'APA les déciles de la CSG. Mais vous avez plutôt choisi de réduire les prestations - et en outre de les répartir de manière injuste. Ainsi nous ne pouvons accepter la modification de la date d'ouverture des droits à l'APA que prévoit l'article premier. L'ouverture sera effective, non à la date de dépôt du dossier complet, mais à celle de la notification de la décision du président du conseil général. Cela revient à gagner deux mois sur le dos des personnes âgées, et je ne crois pas que la mesure ait d'autre objet... Cette disposition d'une grande mesquinerie est d'autant plus inadmissible quand il s'agit des personnes âgées en établissement, pour lesquelles on ne peut douter que la dépense soit effective. Là encore les familles devront assumer tous les frais pendant les premiers mois, et ce sera très dur pour les plus défavorisées.

A tous les niveaux du texte, on sent une suspicion envers les bénéficieras de l'APA, comme s'il fallait en réduire le nombre pour faire des économies, sans chercher à prendre la mesure d'une réalité sociale flagrante et y répondre. Les articles 2 et 3 traduisent ainsi clairement votre volonté de rogner l'APA en alourdissant inutilement les procédures de contrôle, alors que la loi comportait déjà des mesures efficaces. Exiger des personnes âgées elles-mêmes une batterie de justificatifs de leur participation financière sera vécu comme une nouvelle marque de suspicion. Il est vrai qu'en matière sociale vous ne reculez pas devant la bureaucratie ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP) Elle vous effraie quand il s'agit de limiter les privilèges, mais en matière sociale il n'y a jamais trop d'alourdissement...

A l'article 4, vous voulez porter de 80 à 90 % la part des recettes du fonds versée au département. Cela ne tient pas compte de l'amélioration de la péréquation entre départements, même si un concours spécifique, et je m'en félicite, est prévu à cette fin pour 2003. Par ailleurs ce fonds se voit attribuer 400 millions d'euros, qui seront financés par un emprunt... Belle politique ! Son remboursement sera bien sûr à la charge de l'APA ; ce qui signifie qu'une fois de plus le Gouvernement ne prendra pas ses responsabilités. Il y a peu de politiques sociales où vous ne commenciez à parler de recourir au déficit ; et comme cela devient aussi l'antienne de votre politique économique, il y a là quelque chose de préoccupant...

M. le Secrétaire d'Etat - Les trente-cinq heures !

M. Jean-Marie Le Guen - Nous parlons ici de la protection sociale, que la gauche avait su équilibrer (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), ce que vous êtes incapables de faire ! A peine revenez-vous que les trous sont béants (Mêmes mouvements). Et vous vous apprêtez à dérembourser tout au long de l'année 2003. Les premières victimes en seront les personnes âgées, qu'il s'agisse de l'assurance maladie ou des retraites (Mêmes mouvements). Vous avez raison de crier ! Vous allez crier toute l'année pour tenter de faire oublier que vous allez multiplier les déremboursements, et bouleverser toutes les règles de la solidarité dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Pourtant le FAPA - c'était du temps de la gauche - avait un excédent de 75 millions d'euros, que vous avez prestement intégré dans le fonds pour 2003. Vous préférez réduire de 36 millions d'euros le fonds de modernisation de l'aide à domicile, plutôt que d'utiliser l'excédent du fonds de financement de l'APA...

Mais j'en viens au décret le plus inique, qui accroît la participation moyenne des familles de 5 à 12 %, et notamment celle des plus pauvres, puisque vous abaissez de 949 à 623 € le seuil déclenchant cette participation. Cette mesure devrait vous faire économiser 73 millions. On ne peut s'empêcher de faire un rapprochement avec votre choix d'élever le plafond de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, qui coûte 74 millions... D'un côté les plus défavorisés payeront 73 millions de plus par la hausse du ticket modérateur, et notamment ceux qui gagnent entre 623 et 949 € ; de l'autre ceux qui paient l'impôt paieront 74 millions de moins. Quand il s'agit de déficits publics, vos approches sont bien sélectives.

Je veux éclairer les effets de vos décisions et montrer comment elles traduisent votre choix de vous tourner vers nos concitoyens très aisés. Je le ferai en citant des cas concrets tirés de l'expérience d'un conseil général. M.G., 84 ans, évalué en GIR3, a un revenu de 995 € par mois. Son plan d'aide comporte une assistance de vie huit heures par semaine, la famille assurant le week-end... Aujourd'hui sa participation, après déduction fiscale, est de 8 €. Après application de votre décret, elle sera de 88 €, soit 80 de plus.

R.V., 81 ans, évalué en GIR3, perçoit 1 261 € mensuels. Le plan d'aide comporte une assistante de vie deux heures par jour et une infirmière une fois par semaine, la famille assurant le week-end ; il utilise une téléalarme. Sa participation est aujourd'hui de 40 € : après application de votre décret, elle sera de 163 €, soit 123 de plus.

Mme D.R., 83 ans, évalué en GIR 3, perçoit 3 500 € par mois. Le plan d'aide comporte une assistante de vie quatre heures par jour, plus une heure le samedi et le dimanche, et une infirmière cinq fois par semaine, la famille assurant le week-end. Sa participation après déclaration est aujourd'hui de 306 €. Après application de votre décret, elle sera de 336 €, soit seulement 30 de plus.

Les choses sont claires : la personne qui a le revenu le plus élevé est celle qui subira la plus faible hausse de sa participation. Cette politique n'a que peu d'effet global sur la dépense publique : on réduit les dépenses d'un côté, les recettes de l'autre - mais ce ne sont pas les mêmes qui paient et qui perçoivent, et ce sont une fois de plus les plus modestes qui paient. Votre choix est clair : c'est de privilégier les plus aisés, non d'aider les personnes âgées. Certains d'entre vous parlent d'instaurer un cinquième risque, et je ne doute pas de leur sincérité. Mais comment y parviendrait-on, alors que vous reculez sur le reste ? Comment nos rapporteurs peuvent-ils parler du cinquième risque, tout en validant la politique actuelle ? Défendez l'APA telle qu'elle est, avant de songer à la généraliser dans un système de protection sociale ! Nous en serons tous plus crédibles.

Ayant dépeint les effets de votre politique sociale et fiscale, je ne peux m'empêcher de dire un mot de l'ISF. Le Gouvernement fait un cadeau de 500 millions aux plus aisés, dans le même temps où il demande aux personnes âgées dépendantes une participation de 400 millions ... N'avez-vous pas l'impression de faire payer par les personnes âgées ce que vous donnez aux plus favorisés ? Vous me direz sûrement que les 500 millions de l'ISF créent des emplois ? Mais les 400 millions de l'APA n'en créent-ils donc pas ? Ces emplois se trouvent dans nos régions, et ils sont peu qualifiés. Autant dire qu'il s'agit exactement des emplois dont nous avons besoin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Frédéric Soulier - Où sont-ils, ces 400 millions ?

M. Jean-Marie Le Guen - C'est ce que vous supprimez en matière d'intervention sociale. Je vous propose de renoncer à votre réduction de 500 millions de l'ISF, ce qui vous permettra de conserver les sommes allouées à la solidarité, ainsi que tous les emplois qu'elles génèrent directement dans vos circonscriptions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Au vu de ces quelques décisions, on se rend bien compte que ce ne sont pas les contraintes financières qui dictent vos choix : il ne s'agit ici que de décisions politiques.

M. Michel Vergnier - Les réductions d'impôt !

M. Jean-Marie Le Guen - La majorité a souvent recours à cette justification : les familles n'ont qu'à payer, comme elles le faisaient auparavant. Je considère ces propos comme faisant preuve de la plus grande ignorance. Ceux qui les tiennent ont certainement la chance de ne pas avoir la charge de personnes dépendantes. Le développement très rapide de l'APA a permis de découvrir l'étendue des besoins, qu'il s'agisse des personnes âgées ou de leurs familles, souvent isolées et épuisées. L'APA a enfin rendu publiques les difficultés liées à la dépendance.

Il est toujours très difficile de voir ses parents sombrer dans la dépendance, de voir les rôles renversés. Ceux qui veulent rétablir le recours sur succession disent vouloir responsabiliser les familles. Mais n'est-ce pas déjà le cas ? Dans la plupart des cas, et dans chacun de ceux que j'ai cités tout à l'heure, elles ne ménagent ni leur temps, ni leur argent. Si l'APA leur a donné une bouffée d'oxygène, elles ne s'en sont pas pour autant désengagées. Peut-on leur demander plus encore, en s'appuyant sur une sorte de nostalgie des temps passés ?

Quant à affirmer que les personnes âgées emploient les sommes qu'elles reçoivent à gonfler leur bas de laine... Comment serait-ce possible, compte tenu du principe d'individualisation qui régit l'attribution de l'allocation ? Les plans d'aide sont décidés conjointement avec la personne dépendante, sa famille et une équipe médico-sociale. Ce n'est que dans les départements qui ne se sont pas suffisamment investis dans la mise en place des équipes médico-sociales que des risques de dérapage existent. Votre gouvernement a une forte tendance à confondre responsabilité et pénalisation des bénéficiaires.

Vous utilisez les mêmes arguments qu'en 1996, les mêmes qu'à chaque fois qu'une innovation sociale a eu lieu. Prétendre qu'il revient à la solidarité familiale de payer est peu réaliste, peu humain, et cela montre que vous êtes incapables de prendre la mesure des défis qui se posent. Les conservateurs exercent leur méfiance vis-à-vis des bénéficiaires des politiques sociales (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

De surcroît, votre incompréhension de la dynamique économique et sociale engendrée par l'APA nous frappe. Comment ne pas voir que l'APA est une formidable chance d'aménagement du territoire et de création d'emplois ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Comment ne pas voir qu'elle a pour corollaire la professionnalisation de l'ensemble du secteur, ce qui n'est aucunement le cas des déductions fiscales ? Compte tenu de l'évolution des besoins, nous devons absolument créer des réseaux de professionnels, soutenus par une politique sociale moderne et adaptée aux défis de l'avenir. La différence n'est pas mince entre les deux optiques ! Votre politique tourne le dos à l'avenir. Le rapprochement entre les dispositifs sanitaires et médico-sociaux est inéluctable.

L'APA est un levier essentiel de l'emploi. En diminuant son financement, vous diminuez mécaniquement les créations d'emplois là où se trouvent les personnes âgées, et notamment en milieu rural. Notre collègue président du conseil général de la Creuse a su se saisir de cette chance et estime que l'APA pourrait créer 1 000 emplois dans son département. En Franche-Comté, 270 ont déjà été créés. Votre texte, qui vient après la suppression des emplois-jeunes, l'abrogation de la loi sur la réduction du temps de travail et la suspension des dispositions anti-licenciements, aura des effets à la fois sur l'emploi, sur la formation du personnel et sur la reconnaissance de ces professions. Pourtant, nous pouvons tous mesurer les attentes. L'APA est un moyen unique de créer un lien social et de consolider le tissu associatif. Cela nous concerne tous. Il s'agit de notre devoir envers nos aînés, mais aussi envers les familles et les professionnels qui sont confrontés à leur besoin de communication et de dignité.

Vous proposez d'augmenter la participation des plus pauvres à l'APA, mais la meilleure façon de réduire les coûts induits par la dépendance est de la réduire elle-même ! Cela passe par un grand programme de recherche sur la maladie d'Alzheimer et par un plan de prévention contre les maladies chroniques. Dans ces domaines, nous avons encore beaucoup de retard. Là aussi, les réseaux constitués pourraient être mobilisés. Lorsque nous aurons à débattre de la loi sur la santé publique, en juillet, le Gouvernement devra nous dire combien il y consacrera : il est bien beau de tenir de grands discours sur la prévention, mais cela n'est rien sans les moyens appropriés. Or ces moyens font défaut aujourd'hui.

Qu'il faille s'attacher aujourd'hui à définir les besoins est une évidence. La grille AGGIR rend mal compte des besoins évolutifs. Le législateur a fait _uvre intelligente en 2001, en révisant la grille, mais il faut poursuivre. Il faudra à ce propos nous tenir informés des conclusions du comité scientifique d'adaptation des outils d'évaluation de l'autonomie. Le GIR 4 coûte cher : vous voudriez donc, Monsieur le ministre, le scinder. Une moitié des personnes concernées n'aurait plus droit à l'APA. Les malades d'Alzheimer, qui sont majoritairement classés en GIR 4, ont pourtant besoin de l'APA et les familles sont inquiètes. Sachant combien le nombre de malades devrait progresser dans les années qui viennent, nous mesurons le chemin à parcourir pour que nos politiques sociales répondent à la situation.

Les réflexes de régression que vous manifestez à propos de l'APA se retrouveront forcément à l'heure de la réforme des retraites et de l'assurance maladie. Certes, le choc démographique doit être géré et des réformes sont nécessaires. Certes, les moyens sont forcément limités, même si la droite et la gauche ne mettent pas la limite au même endroit. Mais la restriction de la couverture sociale n'est pas la seule réponse possible. Nous devons avoir le courage de réformer nos politiques sociales. Il faut notamment explorer le rapprochement entre prise en charge des soins et prise en charge médico-sociale. Pouvons-nous, face à un tel problème de société, nous contenter de parler ? Cette convergence nous fera accomplir des gains de productivité et d'efficacité des politiques publiques considérables.

De la même façon, dans le cadre de la réforme des retraites, avez-vous bien réfléchi à une gestion d'ensemble des questions touchant aux personnes âgées ? Pourra-t-on traiter du pouvoir d'achat des retraites sans aborder l'avenir de l'assurance maladie et les décisions de déremboursement et de transfert des régimes obligatoires aux régimes complémentaires ? Vous n'êtes pas capables d'élaborer un plan d'ensemble de prise en charge de la dépendance pour les prochaines années.

M. Yves Bur - Que de regrets, dans ces propos !

M. Jean-Marie Le Guen - En mettant l'APA en place, on a fait beaucoup plus pour les personnes âgées que votre réforme des retraites ne fera jamais ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Yves Bur - Il en faut, du culot !

M. Jean-Marie Le Guen - Ce n'est évidemment pas à un renforcement de la solidarité que veut oeuvrer ce texte. C'est pourquoi nous l'estimons irrecevable. Vous tournez le dos à la justice et à l'avenir. Votre action traduit un abandon flagrant des personnes âgées dépendantes. Vous n'avez, Monsieur le ministre, pas su défendre leurs intérêts au sein du Gouvernement.

L'opinion publique est très inquiète, comme le montrent les nombreuses pétitions qui demandent au Gouvernement de ne pas toucher à l'APA. C'est la première fois qu'une mobilisation aussi forte se manifeste sur un tel sujet. Elle montre bien que l'APA correspond à un droit universel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Denis Jacquat - Nos concitoyens sont las de la politique politicienne. Ils attendent de leurs élus qu'ils soient à l'écoute de leurs souhaits. Or, les Français souhaitent que l'APA continue d'exister car c'est une bonne disposition. Il faut donc sauver l'APA, et la sauver dans l'urgence, puisque tous les conseils généraux, de gauche comme de droite, veulent savoir précisément avant de boucler leur budget comment sera assuré le financement de la mesure en 2003. J'ai eu à Metz un professeur, M. Jean Laurain, plus tard député socialiste, qui m'a appris à bien lire les textes.

En l'occurrence, les chiffres sont connus de tous : le gouvernement Jospin avait prévu, pour 2003, un coût de 2,5 milliards ; la DREES a fait connaître ce matin même qu'il s'établirait en fait à 3,7 milliards. Il manque donc 1,2 milliard, c'est indéniable. On observera au passage que, si l'on s'en tient aux déclarations faites par Mme Guinchard-Kunstler lors des travaux en commission, le surcoût serait même de 1,5 milliard !

J'ai par ailleurs entendu que nous nous en prendrions aux personnes âgées dépendantes. Je vous rappelle que nous avons été, dès l'origine, favorables à l'APA, et que nous l'avons proclamé. Lors du vote de la loi, nous nous sommes abstenus, en précisant qu'il s'agissait d'une abstention constructive, motivée par les grandes craintes que nous inspirait le financement, manifestement insuffisant, du dispositif.

Au nom du groupe UMP, je tiens à souligner que nous ne voulons pas démanteler l'APA mais la sauver. C'est pourquoi nous ne voterons pas l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Hélène Mignon - La liberté de choix des personnes âgées doit être préservée, comme doit être préservée la solidarité entre les générations. Cela suppose d'éviter de donner à nos anciens le sentiment qu'ils sont une charge pour les leurs, charge financière d'abord, mais aussi charge pour tous les actes de la vie courante. Les personnes âgées souhaitent, dans la plupart des cas, pouvoir demeurer chez elles le plus longtemps possible ; à cet égard, l'aide à domicile participe des mesures de prévention, et la montée en puissance rapide de l'APA témoigne de l'ampleur des besoins.

Contrairement à ce qui a été affirmé, l'estimation du coût était exacte pour 2002, et le financement prévu était même excédentaire. Il est vrai que l'on a atteint en 2003 les chiffres attendus pour 2004, mais le décalage n'est que d'un an (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). A quoi bon manipuler les chiffres comme vous l'avez fait ? Tout geste de solidarité a un coût. Pour ce qui nous concerne, nous refuserions de cautionner une politique qui prendrait prétexte de ce coût pour engager une marche arrière. Nous voulons sauvegarder l'APA et préserver la dignité des personnes âgées sans revenir sur un dispositif qui répond à des besoins réels et qui a un impact manifeste sur l'emploi tout en garantissant le libre choix des intéressés. C'est pourquoi le groupe socialiste votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Muguette Jacquaint - S'il me fallait qualifier la majorité, je dirai volontiers qu'elle se voit en service d'urgence, tant l'urgence est grande, pour elle, de supprimer les emplois-jeunes et les aides-éducateurs, de modifier l'APA, de remettre en cause les retraites, de satisfaire toutes les exigences du MEDEF... (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Alain Joyandet - Quant à vous, ce serait plutôt en service de réanimation ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

Mme Muguette Jacquaint - ... autant d'orientations contraires à ce qu'attendent les Français. Ne comptez pas sur nous pour vous délivrer le brevet de sauveteurs, ces sauveteurs que vous prétendez être, à tort. S'agissant de l'APA, les personnes âgées jugeront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Yvan Lachaud - Le groupe UDF, considérant qu'il y a urgence à sauver l'APA, ne votera pas l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Secrétaire d'Etat - Les chiffres que j'ai donnés ayant été contestés, je tiens à apporter quelques précisions. En premier lieu, vous le savez fort bien, le financement de l'APA ne s'est pas appliqué en année pleine en 2002, puisque les dossiers n'étaient évidemment pas instruits au 1er janvier. D'autre part, la DREES, dont je suppose que vous ne contesterez pas les calculs, a présenté ce matin le bilan suivant : pour 2002, 1,043 millions de demandes d'APA ont été déposées et 837 000 dossiers sont considérés comme complets. Pour 2003, l'hypothèse minimale est de 870 000 dossiers - j'ai donc été très modéré dans mes estimations ! Enfin, je le répète, vous aviez prévu un coût de 2,5 milliards, alors que le besoin de financement sera, en 2003, de 3,7 milliards.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - Je suis saisi par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste d'une question préalable.

Mme Danièle Hoffman-Rispal - L'APA, chacun en conviendra, représente un grand progrès social pour les personnes âgées dépendantes et pour leurs familles. Pourtant, un an à peine après l'entrée en vigueur de cette loi historique, le Gouvernement et sa majorité veulent revenir sur cet acquis. Pour préparer l'opinion à cette régression, vous répétez sans relâche le même argument : « c'est une bonne mesure, mais elle coûte trop cher » !

Le coût existe, certes, mais c'est que le dispositif répond à un besoin réel. Après l'avoir tant critiqué, la majorité se glorifie d'inscrire au budget les crédits nécessaires à son financement. En fait, cette proposition de loi le prouve, vos intentions sont claires : vous voulez limiter l'effort de solidarité envers nos aînés. Vous prétendez vouloir « sauver » l'APA, mais les mesures de restriction qui figurent dans ce texte ne constituent-elles pas la première étape d'un démantèlement ? Par touches successives, vous pourriez dénaturer un droit universel que vous n'avez pas osé supprimer trop brutalement, du fait de la sensibilité de l'opinion publique.

L'APA coûte trop cher, dites-vous. Demain, vous direz la même chose sur la sécurité sociale... De cette appréciation découle cette proposition de loi, initiative pour le moins précipitée.

Pourtant, la France n'est pas en avance dans la prise en charge de ses aînés. D'autres pays européens en ont fait une priorité depuis longtemps déjà. Quelle société voulons-nous construire ? Quelle vision avons-nous de la solidarité entre générations ? Quelle politique entendons-nous mener pour assurer aux personnes âgées leur dignité ? Ce sont là les questions fondamentales auxquelles il nous faudrait répondre : votre approche exclusivement financière n'est pas à la hauteur de l'enjeu. La remise en cause de l'APA augure d'ailleurs mal de ce que vous nous proposerez en matière de retraite.

Certes, le contenu de cette proposition de loi pourrait presque passer pour anodin. C'est que l'essentiel se trouve dans le décret que prépare le Gouvernement, qui fera passer la participation moyenne des personnes bénéficiant d'une aide à domicile de 5 à 12 %, remontera le plafond de participation de 80 à 90 %, et obligera les personnes qui ont entre 623 et 949 € de ressources mensuelles à mettre désormais la main à la poche. Faire payer les personnes âgées qui perçoivent moins de 6 000 francs par mois, voilà votre réforme !

L'économie globale que vous attendez de ces dispositions pour cette année est de 73 millions d'euros. Or vous avez déclaré rechercher 400 millions d'euros. est-ce à dire que le pire est encore à venir ?

A Paris, la majorité des 15 000 bénéficiaires de l'APA sont des femmes âgées de plus de 85 ans. 83 % d'entre elles ne disposaient auparavant d'aucune aide, et près de la moitié ont des revenus inférieurs à 949 €. Ce sont sur elles que vous faites porter l'effort le plus important... Peut-être seront-elles contraintes de renoncer à l'aide à domicile, qui pourtant n'est pas un luxe, mais une condition pour continuer à vivre dignement.

Plutôt que de faire payer davantage les personnes dépendantes elles-mêmes, vous auriez dû, à travers le budget de l'Etat, faire appel à la solidarité nationale. Mais ce n'est pas dans l'air du temps : on préfère accroître la réduction d'impôt pour l'emploi à domicile, mesure qui profite aux personnes les plus aisées, et accorder une baisse de l'impôt sur le revenu, qui ne concerne que la moitié des contribuables qui l'acquittent effectivement...

Comment ne pas rapprocher cet aménagement de l'APA de l'instauration d'un ticket modérateur pour les bénéficiaires de l'aide médicale, comme de celle d'un délai avant l'ouverture effective des droits des bénéficiaires de la CMU ?

A entendre les discours de la majorité, ses projets seraient placés sous le signe de la solidarité. Quelle ironie, quand on sait que la contribution supplémentaire demandée aux bénéficiaires de l'APA est évalué à 400 millions d'euros, soit un peu moins que la réduction de l'ISF va faire perdre à l'Etat !

Vous auriez pu aborder la question de la dépendance d'une toute autre façon, en partant des besoins qui sont considérables - l'APA est un succès majeur parce qu'elle répond de manière pertinente à un besoin majeur. Mais vous avez choisi de prendre des mesures précipitées qui découlent exclusivement de considérations financières. Vous les présentez comme de simples ajustements techniques, alors qu'elles vont nettement dans le sens d'une remise en cause de la solidarité.

Il ne s'agit pas pour nous de faire du financement de l'APA une question annexe, mais nous ne voulons pas en faire un préalable. Il aurait été indispensable d'attendre de disposer des données précises sur le coût réel de l'APA, plutôt que de modifier tout le dispositif sur la base d'approximations. A la suite de la demande de notre collègue Paulette Guinchard-Kunstler, nous avons pu auditionner ce matin en commission le directeur du fonds de financement de l'APA ; est-ce sérieux de ne pas l'avoir fait plus tôt ? Et pourquoi ne pas avoir attendu le bilan financier de l'application de la loi, prévu par son article 13 avant juin 2003 ?

Les prévisions établies en 2001 par Pascal Terrasse, rapporteur de la loi, ne sous-estimaient par les implications financières de l'APA, contrairement à ce que nous avons entendu.

Estimé à 16,5 milliards de francs, le coût de l'APA n'a pas été sous-évalué par le rapporteur, bien au contraire. Le premier chiffre que nous a indiqué ce matin le directeur du fonds de financement de l'APA serait de 1,850 milliard, un montant sensiblement inférieur aux estimations de départ.

On nous dit ce soir que 2002 n'était pas une année pleine. Il me semble pourtant avoir vu fleurir la publicité sur l'APA dans les départements dès décembre 2001, pour une entrée en application le 1er janvier 2002.

Ce soir, on nous annonce 642 000 bénéficiaires. Ce matin il était question de 550 000. On nous parle de 1 043 000 dossiers déposés. 800 000 était le chiffre de l'enquête HID, étalé sur trois ans. Nous en serions donc à 640 000, et rien sur ce point n'est encore sûr.

Pour 2003, l'évaluation du rapporteur portait le coût de l'APA à 3,5 milliards d'euros. Aujourd'hui, vous parlez de 3,7 milliards, ce qui correspond exactement aux chiffres de Mme Guinchard-Kunstler et de M. Terrasse voilà un an et demi. La différence n'est donc pas de 1,2 milliard, comme on l'a un peu trop répété.

Votre indignation est bruyante, mais je ne suis pas sûre qu'elle repose sur la réalité.

En effet, l'APA a un coût, qui est celui prévu au moment de sa création.

Il convient ensuite de faire des choix budgétaires, lourds de conséquences : soit faire porter l'essentiel de l'effort sur les personnes âgées, soit faire jouer la solidarité nationale en abondant le fonds de financement de l'APA. Nous avons fait des propositions dans ce sens, mais vous avez choisi : l'emprunt pour financer l'effort que l'Etat est supposé réaliser par le biais du fonds. Ainsi, c'est l'ensemble du financement de l'APA qui, au lieu d'être pérennisé, va être fragilisé par l'Etat lui-même. Citons le sénateur Michel Mercier, membre de la majorité : « Les dispositions proposées ne resteront pas dans les annales pour leur grande orthodoxie financière ». On ne saurait mieux dire face à votre audace budgétaire. Vous financez des dépenses de fonctionnement par l'emprunt. je suis curieuse de savoir ce qu'en pensera la Commission européenne.

Votre révision de l'APA ne tend pas à accroître l'efficacité du dispositif ; elle jette la suspicion sur les personnes âgées. Pourquoi en rajouter sur le contrôle ? Croyez-vous vraiment que l'allocation serve majoritairement à autre chose que financer un plan d'aide à domicile ? M. Fillon a cru bon d'opposer la prise en charge de la dépendance en établissement et celle à domicile. D'après lui, les bénéficiaires de l'allocation d'aide à domicile seraient privilégiés. Cette opposition artificielle entre les modes de garde contredit la notion de libre choix que M. Falco vient d'évoquer.

Non, l'aide à domicile n'est pas superflue ni trop coûteuse. Elle est même souvent insuffisante. Elle remplit un rôle de soutien immédiat mais aussi de prévention. Y renoncer signifie généralement pour une personne âgée qu'elle devra aller vivre plus rapidement dans une maison de retraite. Quand on connaît le coût bien supérieur de l'accueil en établissement et que l'on sait que la grande majorité des personnes souhaitent rester chez elles le plus longtemps possible, on mesure le contresens ! L'économie d'aujourd'hui prépare des dépenses accrues pour demain.

Le secteur de l'aide à domicile est fragile, et il me semble que vous le fragilisez davantage encore, en augmentant la participation des bénéficiaires au lieu de solvabiliser la demande, en créant un délai de deux mois entre le dépôt du dossier et l'ouverture des droits. Voilà qui créera de graves difficultés matérielles de prise en charge, pour une économie dérisoire. Enfin, vous réduisez comme peau de chagrin le fonds de modernisation de l'aide à domicile. Ces métiers d'aide à la personne ont pourtant besoin de se voir accorder une vraie formation et une vraie qualification. A un moment où le chômage augmente, ils représentent un formidable gisement d'emplois. Ils rendent un service de proximité devenu partout indispensable.

En prélevant 36 millions, c'est-à-dire les deux tiers de la somme initialement affectée au fonds de modernisation, vous empêchez l'aide à domicile de se hisser au niveau de professionnalisation et de reconnaissance qui doit être le sien. Ces 36 millions sont destinés aux départements pour qui l'APA représente une charge particulièrement lourde. Nous sommes favorables à cette péréquation, car certains départements rencontrent de véritables difficultés pour mettre l'APA en place. Mais vous déshabillez Pierre pour habiller Paul au lieu de faire jouer pleinement la solidarité nationale.

Ce texte est à l'image de votre politique globale à l'égard des personnes âgées. Vous aviez déjà gelé la programmation de création des comités locaux d'information et de coordination gérontologique. Je connais quelques départements ayant subi l'an dernier des gels bloquant les CLIC, qui sont pourtant des structures d'accompagnement indispensables, comme l'a reconnu M. Colombier. Coordonner l'aide autour de la personne âgée et de sa famille est un enjeu prioritaire. Le nombre de CLIC demeure insuffisant. En interrompant la programmation de création de mille nouveaux CLIC, vous mettez un terme à de multiples expériences locales répondant au désarroi des personnes âgées et de leurs familles.

Qu'en est-il de votre politique d'accueil en établissement ? Allez-vous là aussi bloquer la signature de 1 800 conventions tripartites inscrites dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 ?

M. le Secrétaire d'Etat - Je viens de vous en parler !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Très bien ! Mais que sont devenus les 183 millions prévus pour moderniser les maisons de retraite ? Nombre de professionnels du secteur s'inquiètent. Il serait inconséquent de geler ces crédits alors que vous-même déclarez que 200 000 lits en établissements sont dans un état indigne de nos aînés. Il convient donc de signer les conventions tripartites.

Comme pour l'aide à domicile, comme pour les CLIC, le Gouvernement a donné un coup d'arrêt à une politique qui consistait à améliorer la qualité de la prise en charge de nos aînés. Le texte d'aujourd'hui doit être examiné à la lumière de cette remise en cause globale.

Malgré tout, la majorité s'évertue à faire passer ses initiatives par des ajustements technico-financiers destinés à préserver l'APA. Or, ils constituent un recul par rapport à la loi de 2001.

Tous les professionnels de ce secteur, toutes les associations familiales, toutes les organisations syndicales sont attachés au progrès qu'a représenté l'APA. Leur inquiétude est légitime.

Jusqu'où irez-vous dans le détricotage de la loi de 2001 ? Le recours sur succession a été rejeté au Sénat, mais cette idée est assez défendue par certains membres de la majorité puisque nous la considérions comme définitivement écartée. Nous y sommes opposés, car elle enlèverait à l'APA son caractère de droit universel. Nous en reviendrions alors à la PSD que beaucoup de personnes âgées renonçaient à demander du fait du recours sur succession. Cette tentation se confirmera-t-elle avec la suppression de l'allocation versée aux personnes âgées classées - quel terme ! - en GIR 4 ?

Le recours à l'aide à domicile joue un rôle de prévention très important pour les personnes qui, en particulier, développent un début de maladie d'Alzheimer. Y renoncer les conduirait à un niveau de dépendance plus important. La révision de la grille des GIR pourrait vous conduire à aller dans ce sens.

Nous aurions préféré que la représentation nationale soit saisie de la globalité des intentions du Gouvernement concernant l'APA. Or, vous peinez à assumer vos choix.

M. Michel Vergnier - N'avouez jamais ! (Sourires)

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Ainsi, ces mesures passent-elles par le biais d'un décret et d'une proposition de loi qui s'inscrit dans les coupes budgétaires auxquelles vous devez procéder pour boucler votre budget et tenter de tenir vos promesses de baisses d'impôt - sinon, vous auriez attendu les quelques mois qui nous séparent du délai fixé par la loi pour évaluer le dispositif actuel.

Il faut faire vite : une seule lecture devant le Parlement, un avis conforme à la commission des affaires sociales sans aucun amendement adopté. Ce débat se déroule en catimini (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La loi de 2001 portait une vision d'avenir ; cette proposition de loi témoigne d'une vision étroite négligeant les évolutions de notre société.

Nous aurions pu prendre la peine de travailler ensemble pour améliorer la loi actuelle. Plutôt que de tuer l'APA, vous auriez pu la faire vivre.

Vous entamez aujourd'hui le démantèlement d'un acquis social certes récent mais auxquels les Français sont plus attachés que vous ne le pensez (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Secrétaire d'Etat - Je vous remercie pour le ton que vous avez employé.

Vous évoquez l'évaluation du précédent gouvernement en citant le chiffre de 23 milliards de francs, soit 3,5 milliards d'euros. Vous concluez qu'il est proche des 3,7 milliards d'euros engagés pour 2003.

Vous oubliez de rappeler que le chiffre de 23 milliards portait sur le moyen terme, soit à l'horizon de 2005-2006. Comme M. Le Guen, vous avez trois ans de retard.

M. Augustin Bonrepaux - Trois ans d'avance !

M. le Secrétaire d'Etat - Trois ans et 300 000 dossiers de retard.

En ce qui concerne les CLIC, les crédits inscrits en base de mon budget ont été préservés - 272 CLIC étaient en place à la fin de 2002. La date du 31 mars a été demandée par les présidents des conseils généraux. Ces évaluations nous permettront de participer à hauteur de 50 %. La loi que vous avez votée prévoyait un financement de deux tiers pour les départements et d'un tiers pour l'Etat (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Bur - Nous sommes tous d'accord pour dire que le vieillissement de notre population constitue un événement démographique, dont on doit se réjouir même s'il est porteur de défis redoutables.

Notre souci n'est pas de revenir sur l'APA, dont les contours sont bons, nous avons été nombreux à le dire - Denis Jacquat, Georges Colombier, moi-même. Mais si moins de deux ans après avoir voté l'APA nous sommes obligés de revenir sur ce sujet, c'est parce que dès 2001 vous aviez prévu de rediscuter les conditions de son financement. Vous avez toujours été très évasifs sur les coûts réels de vos promesses. Nous n'avons eu de cesse d'exiger plus de clarté dans le débat, et vous avez toujours éludé la question.

Notre collègue Paulette Guinchard-Kunstler entendait apporter une réponse au problème de la dépendance de nos aînés, mais la montée en puissance de l'APA a été beaucoup plus rapide que vous ne l'estimiez. Vous ne m'empêcherez pas de penser que vous aviez des arrière-pensées électorales.

Comment expliquer autrement une campagne de publicité - unique dans les annales - pour promouvoir ce progrès social, même s'il l'a été à crédit ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Cette publicité a d'ailleurs pris de court l'ensemble des conseils généraux, qui n'ont pas pu prendre des dispositions pour appliquer l'APA dans de bonnes conditions.

Une fois de plus, vous avez eu recours, pour le financement, à la création de fonds et, comme d'habitude, ils n'étaient pas financés.

M. Yves Bur - Le fonds de réserve pour les retraites compte 13 milliards d'euros. Au rythme où vous l'avez abondé, nous devrions attendre 2040 pour atteindre les 1 000 milliards de francs que vous avez prévus.

M. Jacques Le Guen - Vous n'avez rien versé en 2002 !

M. Yves Bur - Nous serons confrontés à un surcoût que Mme Guinchard-Kunstler estime, pour l'année prochaine, à 1,5 milliard d'euros. Cette année, nous l'estimons à 1,2 milliard d'euros.

Face à l'urgence, nous mobilisons les usagers, les conseils généraux et le FAPA. Nous entendons sauver l'APA.

M. Augustin Bonrepaux - Vous l'enterrez !

M. Yves Bur - Nous la sauvons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Catherine Génisson - Nous aurions pu nous retrouver pour améliorer les conditions d'application de l'APA, dont nous reconnaissons tous le bien-fondé comme expression de notre solidarité naturelle envers nos aînés. Mais nous devons combattre ce qui est au c_ur de votre projet : le manque de soutien budgétaire. Force nous est ce soir d'avoir - que cette profession m'excuse - un débat de maquignons. Nous n'avons entendu que des arguments financiers... Vous reconnaissez l'acquis social de l'APA et son humanité, mais vous refusez le coût de la solidarité. Quand vous oubliez tous les emplois créés par l'APA, quand vous préférez réduire l'ISF, nous ne pouvons pas vous suivre. Nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Yvan Lachaud - Notre souci d'équité et d'humanisme doit s'exprimer aujourd'hui : il y va de notre système de solidarité nationale. L'UDF est fière de contribuer au sauvetage de l'APA. Le Gouvernement a le courage de sortir les bouées de sauvetage : il était temps ! Même les présidents de conseils généraux de l'opposition, en aparté, nous demandent de prendre ces mesures... Nous entendons ce soir un double langage. L'UDF ne votera pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint - On croit rêver, quand on entend dire qu'autour de l'APA on a fait trop de publicité... Chacun a reconnu que c'était une bonne loi pour les personnes âgées, mais ensuite on déplore un excès de publicité. A quoi bon voter des lois dans ce cas ? Ou faut-il en voter de mauvaises ? C'est d'ailleurs ce qu'on va faire ce soir... Trop de publicité ? Qui vous empêche d'aller faire la vôtre sur la baisse de l'APA que vous vous apprêtez à voter ? Nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

La question préalable, mis aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Au moment d'engager la discussion générale, je souhaite recadrer le débat, en me tenant à l'écart des excès de langage qu'on a pu entendre. Cette réforme était consensuelle et l'est toujours sur le fond - sur la forme, c'est un peu différent, et M. Le Guen a forcé le trait... Dès l'adoption de cette loi, comme l'a rappelé M. Bur, nous avions douté de la pérennité de son financement. Le temps nous a malheureusement donné raison, et l'évidence s'impose du caractère totalement irréaliste des prévisions faites à l'époque sur la montée en charge de l'APA, qui fut nettement plus rapide qu'on ne l'avait annoncé. Le précédent gouvernement prévoyait 800 000 bénéficiaires en régime de croisière à l'horizon 2005-2006. Or l'estimation actuelle du ministère est de 870 000 dossiers fin 2003. Quant au coût, la prévision était de 2,5 milliards fin 2003 : l'estimation actuelle est de 3,7 milliards. L'erreur de prévision atteint donc 1,2 milliard d'euros.

Ainsi l'APA, présentée comme la quatrième grande loi sociale du gouvernement socialiste, a été, comme d'autres, financée à crédit. Elle a déséquilibré le fonds vieillesse, qui est aujourd'hui déficitaire. D'autre part, le rapport de l'assemblée des départements de France attribue à l'APA une hausse de 4 % de la fiscalité locale, qui était en baisse depuis 1996. Quinze jours plus tard, Dexia-Crédit local indiquait que du fait de l'APA les départements avaient augmenté nettement leur fiscalité en 2002, et la moyenne cache d'importantes disparités : la hausse pour la Savoie ou la Haute-Garonne est de 25 à 30 % (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Et Mme Jacquaint nous a donné l'exemple de la Seine-Saint-Denis : alors que le coût de la PSD y était de 10 millions d'euros par an, celui de l'APA a été de 33 millions en 2002 et sera de 60 millions en 2003... C'est un exemple des dérapages liés à un manque de prévision qui n'était peut être pas sans arrière-pensées électorales.

Dès son arrivée, le nouveau gouvernement a engagé une réflexion sur les moyens de financer ces surcoûts et d'aider les départements les plus fragiles sans remettre en cause l'APA.

Il faut saluer l'effort de M. Falco, qui a pris le problème à bras-le-corps, avec pour souci premier de sauver l'APA, de préserver sa dimension universelle et sociale. Des rencontres entre les conseils généraux et l'Etat ont permis d'aboutir à un partage du surcoût entre les départements, l'Etat et les bénéficiaires les plus aisés. Ce réaménagement sera mis en place par décret. La proposition de loi de M. de Broissia s'articule à ce dispositif.

Les principaux apports du texte sénatorial sont au nombre de trois. C'est d'abord l'allongement du délai d'obtention de l'allocation : elle interviendra désormais après l'agrément médico-social et l'agrément du conseil général, et non dès réception de la demande. C'est ensuite le renforcement des moyens d'investigation des conseils généraux, pour s'assurer que l'APA ne sert pas à financer quoi que ce soit d'autre qu'un plan d'aide pour une personne âgée dépendante. Enfin le texte modifie les conditions dans lesquelles le FAPA aide les départements, et autorise ce fonds à emprunter à cette fin 400 millions d'euros. Par ailleurs, le Gouvernement a souhaité permettre aux conseils généraux de verser directement l'APA aux associations prestataires de services auprès des personnes dépendantes. Et il a donné un support législatif au financement, par le fonds de modernisation de l'aide à domicile, d'une participation forfaitaire destinée à contribuer à la compensation des charges supplémentaires pouvant résulter de la réforme de la tarification.

On a écarté la suppression de l'élargissement du service de la prestation aux personnes en GIR 4 : pour beaucoup le besoin d'aide est réel. On a également écarté l'idée de rétablir le recours sur succession. Celui-ci était dissuasif dans le cadre de la PSD, et son absence est un des fondements du succès de l'APA.

Ce texte apparaît comme une solution transitoire. La solution de l'emprunt ne saurait être indéfiniment reconduite. Il faut engager une réflexion plus large. D'ici là nous devons aider les conseils généraux et désamorcer la bombe à retardement issue du texte initial. Il s'agit moins de durcir l'APA que de la sauver. Le précédent gouvernement a fait commerce d'illusions : à nous d'agir dans un esprit de responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Une société se juge à l'attention qu'elle accorde à sa jeunesse et à ses aînés. Or ce sont les premières victimes des choix du Gouvernement : suppression des emplois-jeunes et réduction des efforts en faveur de l'éducation nationale d'un côté, démantèlement de l'APA de l'autre. Il est vain de vouloir esquiver le fait que notre débat sur l'APA est largement lié à la décision du Gouvernement de réduire l'ISF et l'impôt sur le revenu - deux cadeaux aux plus aisés de nos concitoyens, qui ont conduit à amputer cette dépense sociale pourtant indispensable, comme le prouve le nombre de demandes. Sans ce manque à gagner budgétaire, la question du financement de l'APA, certes, se poserait, tant la demande est importante, ce qui montre l'ampleur du besoin. Mais les engagements pris par nos prédécesseurs auraient pu être tenus et cette mesure de solidarité être instaurée sans heurt. Votre projet a un seul but : faire des économies au détriment des personnes âgées dépendantes et fragiles.

A l'évidence, avec votre gouvernement, mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et dépendant !

Vous permettrez à l'élue départementale que je suis d'affirmer que vos propositions ne sont rien d'autre que de la cavalerie. Financer une dépense pérenne par un emprunt est la marque d'une curieuse orthodoxie financière, à laquelle aucun élu local n'oserait se risquer ! Le subterfuge vous permettra certes de passer le cap de 2003, mais vous n'échapperez pas ensuite à un financement par l'impôt. Le Président de la République, alors candidat, n'avait-il pas au demeurant déclaré, en avril 2002, que l'Etat ne saurait reporter sur d'autres que lui le financement de sa politique sociale, et que l'urgence serait de procurer à l'aide aux personnes âgées des financements stables ?

Parallèlement, vous allez contraindre les conseils généraux à augmenter fortement la fiscalité locale, aggravant les disparités entre eux. Curieuse manière d'engager la décentralisation ! Certes, une dotation de solidarité spécifique de 20 % est prévue, pour les départements les moins favorisés. On ne peut que saluer de tels efforts de péréquation, mais si le financement est assuré par l'emprunt, ils ne seront pas renouvelables !

Par ailleurs, Monsieur le ministre, l'APA a déjà donné lieu à la création de très nombreux emplois. Cela n'est pas si fréquent, en matière d'allocations sociales. La Haute-Vienne a, par exemple, déjà créé 750 postes pour 350 000 habitants. Outre l'effet néfaste qu'elles auront pour nos aînés, vos propositions sont donc anti-économiques ! Ce retour en arrière est non seulement une erreur, mais une faute.

Un aspect de l'APA méritait à l'évidence d'être revu : si ses bienfaits étaient incontestables pour la prise en charge à domicile, ils ont été largement gommés, en ce qui concerne l'hébergement en établissement, par la réforme de la tarification et la réduction du temps de travail. Nous aurions dû améliorer ce point. Malheureusement, votre seule proposition en la matière est la suppression de 183 millions de crédits de l'assurance maladie en 2003, qui remet en cause les conventions tripartites pour l'amélioration des soins !

Vous avez à plusieurs reprises, Monsieur le ministre, reconnu que l'APA était une bonne mesure, qui répondait à une demande sociale forte. Je salue votre honnêteté intellectuelle. Ne soyez donc pas celui qui, pour tenir les promesses fiscales du Président de la République, ira prendre dans les poches des plus fragiles pour donner aux plus aisés. Revenez sur ce texte de régression, qu'à l'évidence nous ne voterons pas car la faculté pour tous nos aînés de vivre dans la dignité est le moins que nous leur devons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Yvan Lachaud - Le vieillissement de la population s'accompagne de l'augmentation du nombre de personnes qui ne peuvent plus être autonomes dans leur vie quotidienne. Chaque gouvernement est confronté, l'évolution des liens familiaux aidant, à cette question de solidarité nationale et la dépendance est un enjeu majeur pour les années à venir.

En instituant l'allocation personnalisée d'autonomie, l'intention du législateur était de venir en aide aux 800 000 personnes âgées de plus de 60 ans. Il répondait ainsi aux défaillances de la prestation précédente, la PSD, dont les critères étaient par trop restrictifs. Lors du vote, le groupe UDF avait soutenu l'APA, pour répondre à nombre de situations douloureuses. Nous avions cependant mis en garde le gouvernement de l'époque sur le besoin d'un plan de financement crédible. La catastrophe financière est malheureusement en passe de se réaliser. Les prévisions fixaient en effet le nombre des bénéficiaires à 650 000 pour 2002, et 785 000 pour 2003. Mais déjà plus de 770 000 personnes ont perçu l'APA en 2002 ! Les conseils généraux ont très vite fait part de leurs difficultés de financement. Les inquiétudes que nous avions exprimées ont largement été confirmées, et ni la contribution de la CSG, ni celle des régimes de retraite ne permettent d'y faire face.

Les conseils généraux ont dû assumer la charge de cette imprévoyance et mobiliser toutes leurs ressources. Ils y ont consacré 1,5 milliards en 2002, et la somme pourrait aller jusqu'à 3,7 milliards cette année. Je salue donc la proposition de loi qui nous est soumise, et qui vise à trouver un financement. L'APA est un dispositif absolument indispensable. Ce débat est l'occasion de rappeler notre attachement à cette avancée sociale, qui permet à chacun de vivre dans la dignité. Elle offre toute souplesse en ce qui concerne le mode d'hébergement et permet de faire jouer pleinement la solidarité nationale, dans un souci d'équité et d'humanisme.

Les mesures proposées constituent une étape décisive dans le financement des 1200 millions qui manquent au dispositif. La formule de l'emprunt n'est certes pas des plus satisfaisantes, mais il y a urgence et, hors loi de finances, c'est la seule solution envisageable. Je souhaite également apporter mon soutien aux mesures qui donneront aux départements les moyens de contrôler l'utilisation de l'argent public. Le contrôle de l'effectivité de l'aide, notamment à domicile, sera très bénéfique, mais la procédure ne doit pas être trop lourde et elle doit tenir compte de l'état de dépendance des personnes concernées.

Il ne faut pas se voiler la face : la question du financement de l'APA se reposera en 2004, et il faudra trouver une solution pérenne. Le rapport prévu dans la loi de 2001 sur le bilan de l'aide devra être l'occasion d'y réfléchir. Notre objectif est de maintenir l'avancée sociale que constitue l'APA. C'est pour cette raison que le groupe UDF votera le texte qui lui est proposé (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Michel Vaxès - La proposition d'origine sénatoriale que nous examinons vise à organiser un montage financier pour financer l'APA. Il s'agit d'une nouvelle étape dans le démantèlement des avancées sociales de la dernière législature.

L'APA serait-elle victime de son succès ? Elle a surtout permis de mettre en lumière des situations jusqu'alors cachées. Elle a libéré les familles du poids redoutable de la souffrance qu'elles devaient affronter seules. Cette grande avancée sociale a permis à de nombreuses personnes de se voir enfin reconnaître des droits personnalisés et objectifs. Elle offre un véritable choix entre placement en hébergement et maintien à domicile. Surtout, elle n'emporte plus d'effets pervers, comme le recours sur succession de la PSD.

L'écart entre le nombre des bénéficiaires de la PSD et celui de l'APA montre à quel point la nouvelle disposition était indispensable. En 2002, 878 000 demandes ont été recensées. En septembre, 542 000 dossiers avaient été examinés, qui avaient reçu un avis favorable dans 84 % des cas. En tout, 490 000 personnes ont bénéficié de cette aide, ce qui est proche des prévisions du précédent gouvernement. Toutefois, pour 2003, ce nombre est supérieur et le surcoût est estimé à 1,2 milliard.

La proposition de loi veut répondre à cette difficulté financière. Elle appose une rustine budgétaire, mais contient également des dispositions qui priveront l'APA de sa portée originelle. Des restrictions drastiques sont imposées. Les mesures techniques qui seront prises par décret, ajoutées aux effets de la proposition, modifieront à la fois l'esprit et la forme du dispositif. Vote volonté est claire : réduire purement et simplement et l'allocation, et le nombre de ses bénéficiaires.

Votre équation est simple : il manquerait 1,2 milliard, 400 millions seront donc récupérés sur les familles, 400 seront mis à la charge des départements et 400 à celle de l'Etat.

Ce choix, nous le contestons, car il existe d'autres solutions.

Ce texte, s'il en était besoin, rappelle que le Gouvernement substitue aux objectifs sociaux des objectifs comptables, au nom d'une logique qui n'est pas recevable. Vous ne pouvez justifier la remise en cause de l'APA au seul motif que sa montée en charge a été plus rapide que prévue !

Il est proprement scandaleux que vous mettiez les familles à l'épreuve. En renforçant les contrôles, qui existent déjà, en restreignant l'attribution de l'APA, vous espérez une économie de 400 millions. Et les familles devront se plier à de nouvelles exigences pour bénéficier d'une aide qui s'impose pourtant dans des situations d'extrême détresse, cependant que, dans le même temps, vous multipliez les aides publiques aux entreprises, et les exonérations, sans exiger le moindre contrôle quant à leur utilisation ! Il y a vraiment deux poids et deux mesures, selon que l'on est puissant ou misérable !

Vous allez donc plonger, à nouveau, de nombreuses familles dans un terrible désarroi.

S'agissant de l'emprunt que vous autorisez pour les FFAPA, vous ne précisez pas les modalités de répartition des dotations supplémentaires, et vous ignorez les réalités économiques et sociales de chaque département.

Ainsi, vous prenez le problème par le petit bout de la lorgnette. D'une part, vous hypothéquez le débat de fond que nous aurions dû avoir à l'occasion de la parution du rapport d'évaluation prévu par la loi de juillet 2001. D'autre part, vous ignorez la question, pourtant cruciale, du vieillissement. Et tout cela, sans même assurer l'indispensable pérennité du dispositif, reproduisant ce que vous nous reprochez !

C'est pourquoi les membres du groupe communiste et républicain, comme ils l'avaient fait lors de l'élaboration de la loi de juillet 2001, continuent de militer en faveur de la prise en charge de la perte d'autonomie par la sécurité sociale.

Le risque de dépendance ira croissant : il convient donc d'assurer le financement pérenne de la couverture de ce risque, plutôt que de se limiter à une solution conjoncturelle. Nous continuons de penser qu'il faut viser la couverture universelle de la perte d'autonomie des personnes âgées, et se préoccuper du sort des personnes handicapées vieillissantes et de celles qui sont atteintes avant l'âge de soixante ans de maladies dégénératives. Nous avons déposé un amendement en ce sens. Ce « cinquième risque » pourrait être rattaché à la branche maladie, et son financement devrait être assis sur une cotisation sociale.

Nous savons tous que part salariale et part patronale ne sont plus du tout à parité dans la richesse produite. C'est pourquoi nous proposons une cotisation « perte d'autonomie » modulée en fonction de la masse salariale dans la valeur ajoutée et non, comme certains l'envisagent, une augmentation de la CSG, impôt touchant principalement les revenus du travail.

Vous ne pourrez pas éluder bien longtemps cette exigence fondamentale. Toutefois, et compte tenu de votre revirement, nous proposerons d'autres modes de financement qui évitent aux familles une contribution toujours plus forte. Nous avons déposé plusieurs amendements visant à financer le déficit de l'APA au nom de la solidarité nationale. Il s'agit de supprimer la baisse de l'impôt sur le revenu pour les deux tranches les plus hautes du barème fiscal, ce qui rapporterait 1,2 milliard - le trou à combler. Il s'agit aussi de supprimer l'allégement sur l'ISF, ce qui rapporterait 500 millions, un peu plus que ce que vous espérez économiser sur le dos des familles. Car, de fait, vous voulez faire payer aux personnes âgées ce que vous concédez aux plus riches et au MEDEF. Bel exemple de solidarité nationale !

Vous l'aurez compris, nous dénonçons le caractère injuste de cette proposition qui tend à remettre en cause une avancée sociale qui concerne 800 000 personnes dépendantes et leurs familles.

Les solution proposées par le Gouvernement et sa majorité ne sont pas acceptables. Restreindre l'accès à ce droit et faire des économies au détriment de familles en détresse est profondément choquant, d'autant que, dans le même temps, le Gouvernement, sans sourciller, allège l'ISF et multiplie les cadeaux aux grands groupes qui licencient.

L'APA n'est ni trop, ni pas assez généreuse, elle est juste et doit devenir une prestation de sécurité sociale. C'est ce développement que vous freinez. Moins d'APA, c'est moins de prévention de la dépendance, moins d'emplois d'aide à la perte d'autonomie et davantage de dépenses de santé à venir, notamment hospitalières.

Avec cette loi, l'allocation personnalisée autonomie sera moins généreuse et moins juste. Elle sera fragilisée, puisque aucun financement pérenne n'assure son avenir.

Nous entendons donc nous opposer à ces dispositions cyniques, et nous continuerons de militer pour imposer un nouveau droit de la dépendance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Denis Jacquat - Lorsque notre assemblée a examiné, au printemps 2001, le projet relatif à la création de l'APA, nous avons, dans un bel élan collectif, salué cette initiative.

Nous étions, en effet, unanimement convaincus que cette réforme de grande envergure mettrait un terme aux insatisfactions existantes et répondrait aux attentes légitimes qu'avait suscitées la prestation spécifique dépendance, échec retentissant.

Indéniablement, la création de l'APA a conduit à des avancées significatives, grâce, en particulier, à la suppression du recours sur succession, qui avait un effet dissuasif sur certains bénéficiaires potentiels de la prestation spécifique dépendance.

De même, l'extension de la prestation aux personnes classées GIR 4 était une heureuse initiative.

Nous avions donc largement approuvé ces dispositions et nous persistons à penser qu'il serait totalement inopportun de les remettre en cause.

Cependant, en dépit de ces progrès un grand nombre de députés de l'opposition a choisi de s'abstenir lors du vote. Comme je l'ai souligné à l'époque, cette abstention se voulait constructive, mais nous pressentions que les mesures en voie d'adoption ne pouvaient, à elles seules, assurer le succès de la nouvelle prestation.

Il nous semblait évident que la pérennité même de l'APA serait menacée si aucune amélioration n'était apportée au financement, clé de voûte du dispositif, qui avait manifestement été sous-estimé.

Malheureusement, nos craintes se sont rapidement avérées, puisque, dès les premiers mois d'entrée en vigueur de la prestation, les départements ont croulé sous un afflux de demandes nettement plus élevé que prévu, qui a entraîné un surcoût particulièrement important.

Certains départements ont dû procéder à une très forte augmentation de la fiscalité afin de pouvoir atténuer la déstabilisation de leurs finances tout en continuant à faire face aux besoins des personnes en perte d'autonomie.

J'avais pourtant indiqué, au cours de l'examen du texte, que cette situation était parfaitement prévisible, car les chiffres disponibles à cette époque, et notamment ceux de la DREES, attestaient de l'ampleur du nombre de personnes susceptibles de bénéficier de la prestation.

Aujourd'hui, il nous appartient, comme nous y invite la proposition, de prendre de toute urgence les mesures qui s'imposent afin de remédier au déséquilibre du financement de l'APA.

Il s'agit certes d'un texte de transition mais cette transition est indispensable car, en adoptant ce texte, nous accorderons à l'APA un répit salutaire.

Laisser perdurer la situation actuelle mettrait en péril la survie d'un dispositif dont on sait qu'il correspond à un besoin réel pour plusieurs centaines de milliers de personnes.

A plus long terme, à la lumière du bilan qui nous sera présenté prochainement, il faut absolument s'orienter vers un montage financier stable, étant entendu qu'on ne pourra pas indéfiniment augmenter la pression fiscale locale. Il faudra réfléchir à la place que nous entendons conférer à la CSG dans ce dispositif.

A titre personnel, j'ai toujours milité en faveur de la création d'un cinquième risque au sein de la sécurité sociale. Je suis persuadé que c'est le seul gage de pérennisation de l'APA et le seul moyen efficace de faire jouer la solidarité nationale.

Soyons bien conscients que le vieillissement de la population entraînera inéluctablement une augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, sans oublier que le milieu associatif souhaite ardemment que la notion de perte d'autonomie soit étendue à toutes les catégories d'âge.

Il serait également souhaitable que le statut juridique du fonds de financement de l'APA soit revu car, comme notre collègue Yves Bur l'a fort justement rappelé, ce fonds ne figure ni dans la loi de financement de la sécurité sociale ni dans la loi de finances, ce qui obère fortement les possibilités de contrôle du Parlement sur sa gestion.

De même, il conviendra de poursuivre la réflexion en vue de remédier aux distorsions existant entre les personnes à domicile et les personnes hébergées en établissement.

Pour en revenir au texte de ce jour, il nous est proposé, outre des mesures destinées à financer l'APA en 2003, une modification de la date d'ouverture des droits des bénéficiaires. Nous approuvons cette disposition, qui vise à simplifier et donc à améliorer la gestion de la prestation.

S'agissant du principe d'un « concours de solidarité » au bénéfice des départements dont le rapport des dépenses d'APA sur le potentiel fiscal est le plus fort, il nous semble essentiel d'introduire un mécanisme de péréquation.

En conclusion l'UMP adhère pleinement à ce texte, grâce auquel nous parviendrons à sauver l'allocation personnalisée d'autonomie, en attendant une refonte plus globale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vergnier - Y avait-il urgence à réformer l'APA ? Ne valait-il pas mieux attendre de savoir où nous en étions ? L'un de nos collègues sénateurs a dit qu'il y avait le feu à la maison. Pas du tout : il y a simplement à faire des choix budgétaires pour répondre à un besoin social que personne ici ne conteste. Rendons hommage à ceux qui ont élaboré la loi de 2001 et à ceux qui l'ont votée !

Comment ne pas craindre que cette proposition de loi ne soit qu'un début ? Une nouvelle fois, ce gouvernement remet en cause un acquis social. La loi que nous avions adoptée, plébiscitée par les Français, égalitaire et universelle, est ébranlée dans ses fondements, bafouée dans son esprit. Il y avait d'autres façons de financer que d'augmenter la participation des familles, qu'ainsi on va faire payer deux fois puisqu'elles seront également mises à contribution à travers la hausse de la fiscalité locale ! Certes je salue l'effort qui est fait en faveur de certains départements, notamment la Creuse, mais le compte n'y est pas : dans la Creuse, la fiscalité augmentera encore de 18 ou 19 %.

M. le Secrétaire d'Etat - Et les 35 heures ?

M. Michel Vergnier - Vous ne cessez d'évoquer les responsabilité de l'ancien gouvernement ! Quand allez-vous prendre les vôtres ?

Mme Muriel Marland-Militello - C'est ce que nous faisons !

M. Michel Vergnier - Sauf que vous ne faites pas payer l'Etat ! On diminue l'ISF au motif de créer des emplois ; pourquoi ne pas faire un effort équivalent pour financer l'APA, dont on connaît les effets en termes de création d'emplois ? Dans la Creuse, elle a permis d'en créer plus de 400.

Réformer l'APA en restreignant son champ d'application est un mauvais choix. Ce qu'il faut, c'est rechercher des financements pour lui conserver son caractère universel. Permettez-nous de ne pas vous suivre et de défendre nos convictions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Derosier - Décidément, la droite est indécrottable... Elle n'a de cesse, quand elle revient au pouvoir, de démanteler la politique sociale. Après les emplois-jeunes, après les 35 heures, voici le tour de l'APA, avant sans doute celui de la protection sociale et de la CMU...

Je pensais, Monsieur le ministre, que vous auriez un comportement plus responsable. Pendant des mois, vous avez tergiversé, incapable d'apporter une réponse cohérente aux responsables des départements qui ne vous posaient qu'une seule question : quand l'Etat va-t-il respecter ses engagements ? Vous avez fui vos responsabilités, vous retranchant derrière un argument aussi simpliste que fallacieux : le gouvernement Jospin n'aurait pas prévu le financement de l'APA.

Certes, le nombre de demandeurs a été dès la première année supérieur aux prévisions. Cela signifie-t-il que les prévisionnistes d'hier étaient moins fiables que ceux d'aujourd'hui - en réalité les mêmes -, lesquels vous permettent d'avancer des chiffres qui ne font que confirmer le succès de l'APA ?

Ce succès, reconnu par tous, aurait justifié de la part du Gouvernement une autre attitude. Là encore, il a fui ses responsabilités en s'abritant derrière une initiative parlementaire.

Certes, un problème de financement se pose mais des engagements avaient été pris par le gouvernement précédent afin d'assurer la pérennité du dispositif.

En octobre 2001, à Rodez, devant les présidents des conseils généraux, M. Daniel Vaillant, alors ministre de l'intérieur, avait prix acte, au nom du Gouvernement, des préoccupations des élus départementaux. Il s'était engagé à ce qu'un premier bilan soit établi à la fin de l'année 2002. Par ailleurs, à l'occasion du débat parlementaire et dans la loi elle-même, un pacte financier avait été établi : la répartition du surcoût de dépense occasionnée par l'APA devait faire l'objet d'un partage égal entre l'Etat et les départements. Ni l'un ni l'autre de ces engagements n'a été respecté. Le Gouvernement a délibérément abandonné le principe de parité financière. Il décide aujourd'hui de faire payer les bénéficiaires et les départements et remet en cause les fondements de l'APA.

Vous déclariez vous-même le 17 août 2002 que « l'APA était une bonne mesure que nous ne remettrons pas en cause ».

M. le Secrétaire d'Etat - C'est vrai !

M. Bernard Derosier - Vous ajoutiez : « Il n'est pas pensable que les conseils généraux assurent, en cas de nécessité, le milliard d'euros manquant ».

Pourtant le couperet est tombé. N'est-ce pas scandaleux ?

Par cette proposition de loi, la majorité conforte la position du Gouvernement et continue à mettre à mal un dispositif dont la preuve de la nécessité n'est plus à faire. Il s'agit pour vous d'économiser de 250 à 400 millions sur le dos des bénéficiaires.

L'article premier modifie la date d'ouverture des droits à l'APA. Elle ne sera plus fixée au moment du dépôt du dossier mais à celui de la notification de la décision par le conseil général, ce qui fera perdre au moins deux mois d'allocations aux bénéficiaires, les personnes en établissement devant régler l'intégralité du tarif dépendance durant cette période.

La tentation sera forte, par souci d'économie, de laisser courir davantage encore le délai.

Les articles 2 et 3 sont redondants. La loi du 20 juillet 2001 instaure déjà un contrôle de la mise en _uvre du plan d'aide. Ces articles jettent ainsi une certaine suspicion sur les bénéficiaires de l'APA, preuve supplémentaire du peu de considération de la droite pour les publics en difficulté.

Enfin l'article 4 constitue une grande innovation en matière de finances publiques. Il fait passer la part du fonds versée aux départements de 80 % à 90 % et prévoit la souscription d'un emprunt par le fonds de financement de l'APA à hauteur de 400 millions. Un emprunt pour du fonctionnement !

Un élu local qui prendrait une telle initiative, Monsieur le maire de Toulon, serait passible des tribunaux. De plus, le remboursement de cet emprunt sera à la charge du fonds et donc, indirectement, à celle des départements.

Une fois de plus, le Gouvernement fuit ses responsabilités. Les départements vont devoir se substituer à l'Etat et donc augmenter leur fiscalité locale, alors même que le Gouvernement affiche une baisse des impôts ségrégative.

Ainsi, pour répondre à des objectifs purement comptables, la majorité et le Gouvernement font fi des objectifs sociaux et remettent gravement en cause la prise en charge de la dépendance. Ils reviennent progressivement vers une PSD qui a fait la preuve de sa totale inefficacité en même temps que de son caractère inégalitaire.

Cette mise à mal n'est pas terminée puisqu'il semblerait que le Gouvernement ne soit pas disposé à financer les conventions tripartites, ce qui suscite une vive émotion parmi les associations de retraités et les gestionnaires d'établissements.

Si cette mesure était confirmée, c'est toute la politique de prise en charge de la dépendance telle que la gauche l'avait instaurée qui serait remise en cause.

La proposition qui nous est soumise contribue à remettre en question une réforme sociale essentielle pour les personnes âgées dépendantes et garante d'un véritable élan de solidarité nationale et locale.

Voilà qui est lourd de conséquences, injuste et inacceptable. La majorité et le Gouvernement portent une lourde responsabilité. Nous en prenons à témoins les centaines de milliers de bénéficiaires de l'APA et leurs familles, qui avaient enfin trouvé une réponse à un vrai problème de solidarité entre les générations.

Ainsi, elles mesurent combien est profond la différence entre la gauche et la droite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Secrétaire d'Etat - C'est bien pourquoi les Français ont tranché !

Prochaine séance ce jeudi 13 mars, à 9 heures 15.

La séance est levée à 1 heure 20.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 13 MARS 2003

A NEUF HEURES QUINZE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de loi (n° 623) de M. Michel VAXÈS et plusieurs de ses collègues tendant à la suppression du mot « race » de notre législation.

M. Michel VAXÈS, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

(Rapport n° 670).

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat (n° 642), portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie.

M. Georges COLOMBIER, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

(Rapport n° 685).

2. Discussion de la proposition de résolution (n° 446) de MM. René ANDRÉ et Jacques FLOCH sur la création d'un procureur européen.

M. Guy GEOFFROY, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

(Rapport n° 565).

A VINGT ET UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


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