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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 77ème jour de séance, 189ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 8 AVRIL 2003

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      SIMPLIFICATION ET CODIFICATION DU DROIT 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 5

      QUESTION PRÉALABLE 14

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 9 AVRIL 2003 25

La séance est ouverte à vingt et une heures.

SIMPLIFICATION ET CODIFICATION DU DROIT

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de simplification et de codification du droit.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire - Chacun prend aujourd'hui conscience que la réforme de l'Etat, nécessaire et urgente, répond à une exigence sociale, politique et économique et que notre pays ne doit plus tenter de la différer ou de la fuir mais doit pouvoir compter sur un Etat capable d'anticiper ou d'accompagner ses mutations.

Le texte que nous présentons constitue un élément important de l'édifice de la réforme, que le Gouvernement construit autour de quatre chantiers : décentralisation, réforme budgétaire et de la gestion publique, gestion des ressources humaines de l'administration, simplification des procédures administratives.

Qui n'a jamais pesté contre la complexité, la lenteur ou la lourdeur des procédures ? Qui n'a jamais craint de perdre un temps considérable pour une simple formalité ? Sans doute personne, hélas. Le poids excessif de la réglementation dans notre pays constitue un archaïsme qui désespère les Français et qui bride l'initiative individuelle ou collective, quand il ne la condamne pas. Ce texte, ô combien nécessaire, participe donc de la vaste réforme de l'Etat que chaque ministre conduit, jour après jour depuis un an, sous l'autorité du Premier ministre. Il s'agit de simplifier la vie quotidienne de nos compatriotes, mais aussi de rétablir la règle de droit dans toute sa force, car si nul n'est censé ignorer la loi, encore faut-il que celle-ci reste compréhensible. Or, tous les gouvernements s'appliquent à la compliquer avec constance, comme si c'était là une marque de grandeur. Dans ces conditions, comment nos concitoyens peuvent-ils avoir le sentiment d'être compris et entendus ? Comment peuvent-ils apprécier l'étendue de leurs droits et devoirs ? Comment l'entreprise peut-elle entrevoir de manière éclairée son développement ? Comment enfin les fonctionnaires peuvent-ils se consacrer à l'essentiel de leurs missions ?

Pourtant, nous nous rappellerons peut-être l'année prochaine qu'il y a deux siècles s'écrivait le code civil de 1804, qui reste le fondement de notre droit moderne. Notre pays peut à juste titre se flatter d'une double tradition d'efficacité administrative et de clarté juridique qui fonde l'universalisme de son droit ; mais sur ce dernier point, notre récente pratique ressemble à une lente dérive.

La complexité de notre droit, auquel se superpose le droit européen, et celle des procédures qui y sont attachées freine l'efficacité de l'action publique ; la réglementation enserre la vie des Français dans un carcan qui les fait douter de l'efficacité de l'action publique. Il faut réagir, c'est le sens du présent projet.

Il répond à l'exigence exprimée par le Président de la République, lorsqu'il déclarait que la réforme de l'Etat devait être menée « sous le triple signe de l'efficacité, de la proximité et de la simplicité », et par le Premier ministre qui soulignait dans son discours de politique générale que la première mission de son gouvernement serait de simplifier l'existence des Français.

Ce projet vise aussi à simplifier le travail de ceux qui ont pour mission de défendre l'intérêt général. Les fonctionnaires de la République auront tout à gagner à cette réforme, car ils sont les premières victimes de la complexité de notre droit. Du reste, l'exaspération de nos concitoyens se reporte naturellement sur eux, alors même qu'ils ne font qu'appliquer des mesures parfois incompréhensibles ou pire inapplicables ! Les fonctionnaires ne doivent donc pas avoir peur de la réforme. La défense du service public passe par la simplification des tâches.

J'ajoute que cet exercice de simplification contribuera à la maîtrise de la dépense publique, étant entendu que ce qui est plus simple est moins coûteux et fait gagner du temps.

Que l'on ne me fasse pas de procès : il ne s'agit pas ici de masquer des réductions d'effectifs. On ne simplifie pas pour réduire les effectifs mais bien pour supprimer les pertes de temps, les redondances, les procédures interminables. N'accusons pas les fonctionnaires des lenteurs, ce sont les procédures qui sont en cause. Simplifier ces dernières, c'est rendre les missions des fonctionnaires plus attrayantes.

Par cette démarche, nous voulons aussi répondre aux nouvelles exigences d'une administration moderne. A savoir d'abord la proximité. Tel est le sens de la décentralisation voulue par le Premier ministre. Une exigence ensuite de confiance. Faire confiance, c'est responsabiliser et donc conforter la citoyenneté. Il faut que l'Etat fasse davantage confiance aux Français afin que ceux-ci fassent à nouveau confiance à l'autorité publique. C'est pourquoi nous voulons inverser la charge de la preuve, créer une présomption de nationalité française ou faciliter le vote par procuration.

Autre exigence : la clarification des responsabilités. Le citoyen, l'artisan, l'entrepreneur n'ont pas à subir les effets de la complexité administrative. Enfin, la performance : notre service public est capable des plus extraordinaires prouesses pour sauver des vies humaines, garantir notre sécurité ou construire un ouvrage d'art, mais parfois incapable de répondre à une demande dans des délais normaux, voire d'accueillir convenablement un usager à un guichet.

Il faut donc agir vite. C'est pourquoi le Gouvernement nous demande de l'autoriser à prendre des mesures qui relèvent du domaine de la loi, mais ce pour l'exécution d'un programme précis et dans une durée limitée. Mon souhait est d'ailleurs que la représentation nationale soit associée à l'élaboration des ordonnances.

J'invite ceux qui doutent de l'efficacité de cette méthode à devenir les acteurs de la réforme en vérifiant que le principe de simplification soit bien l'alpha et l'oméga de celle-ci.

J'entends déjà les critiques. Sur le principe même des ordonnances, tout d'abord. On dira qu'elles dénaturent le travail parlementaire et constituent le meilleur moyen pour le pouvoir exécutif d'échapper au contrôle de la représentation nationale. Ensuite, sur l'étendue de l'habilitation. On reprochera au Gouvernement un « texte fourre-tout » rassemblant des sujets complexes et tellement différents les uns des autres que la latitude ainsi laissée au pouvoir exécutif s'apparente à un blanc-seing.

Eh bien non ! Il n'y aura pas de blanc-seing.

Simplement, les Français réclament le changement, et ont placé leur confiance en nous. Nous avons par conséquent une obligation de résultat. Ce projet de loi est un moyen d'y parvenir, non une fin en soi.

J'ai donc demandé à Henri Plagnol de s'entourer, à l'issue de ce débat, d'une commission parlementaire ad hoc, chargée de suivre ordonnance par ordonnance, le bon déroulement de la réforme. L'opposition y aura d'ailleurs toute sa place car la réforme de l'Etat exige que nous dépassions les clivages partisans.

Ce projet de loi délimite le champ et l'objet des mesures de simplification. Les ordonnances devront être prises d'ici au début de l'année 2004.

Un second projet de loi d'habilitation sera présenté à l'automne. Il portera sur des mesures techniques concernant l'agriculture, l'équipement et l'écologie, ainsi que des mesures fiscales et sociales.

Par la suite, la volonté du Gouvernement de maintenir un rythme soutenu de simplification devrait se traduire par le vote chaque année d'au moins une nouvelle loi d'habilitation couvrant de nouveaux thèmes.

Le Gouvernement sollicite en outre l'autorisation de rédiger quatre nouveaux codes selon la technique du droit constant - patrimoine, recherche, tourisme, organisation judiciaire - et quatre autres à droit non constant, c'est-à-dire en intégrant la simplification du fond - codes des propriétés publiques, de l'artisanat, de la défense et révision du code monétaire et financier.

Le premier train d'ordonnances s'articulera autour de cinq axes.

En premier lieu, moderniser les relations entre l'administration et les Français. Ce qui signifie tout à la fois abréger les délais de réponse des administrations ; réduire le nombre de commissions administratives - il y en a actuellement 221 ! - pour qu'elles soient le lieu d'une concertation efficace ; mutualiser les informations entre administrations afin que l'usager n'ait pas à présenter plusieurs fois les mêmes pièces ; faire confiance aux Français, en remplaçant les justificatifs par des déclarations sur l'honneur, en contrepartie de procédures de contrôle a posteriori ; moderniser les règles d'entrée en vigueur des lois.

En deuxième lieu, simplifier les démarches administratives de la vie quotidienne. Ce qui veut dire assouplir le vote par procuration en acceptant la déclaration sur l'honneur ; simplifier le régime des élections professionnelles, notamment prud'homales ; créer une présomption de nationalité française pour nos compatriotes nés à l'étranger ; créer un guichet unique pour le permis de chasser ; unifier le minimum vieillesse.

En troisième lieu, simplifier la vie des entreprises. Autrement dit expérimenter la création d'un titre unique emploi simplifié et d'un guichet unique pour certaines professions ; harmoniser les 36 régimes différents d'exonération de cotisations sociales.

En quatrième lieu, simplifier l'organisation et le fonctionnement du système de santé, en facilitant l'application du plan Hôpital 2007 grâce à une simplification des procédures d'investissement public, à un allégement de la planification hospitalière et à une coopération sanitaire renforcée.

En cinquième lieu, afin de moderniser l'équipement public, nous souhaitons simplifier le code des marchés publics en nous alignant sur les règles européennes, et favoriser le partenariat public-privé, en autorisant notamment la conclusion de contrats globaux - incluant conception, réalisation et maintenance - et le recours au crédit-bail.

Le Gouvernement doit-il limiter son action à la simplification des textes en vigueur ? Ne devons-nous pas tous ensemble envisager d'agir sur les causes de la prolifération normative ou autrement dit nous demander comment mieux légiférer, comment mieux gouverner ?

M. François Sauvadet - Très bien !

M. le Ministre - Le Premier ministre est attaché à l'idée de meilleure régulation et de meilleure gouvernance. Les administrations et les parlementaires doivent, au moment d'élaborer de nouveaux textes, prendre l'habitude de se poser les questions suivantes : la norme proposée est-elle vraiment utile ? Y a-t-il des alternatives ? Son application sera-t-elle rapide et peu coûteuse ?

Il nous faut envisager d'évaluer les textes un an après leur entrée en vigueur, et par ailleurs veiller à ce que les décrets soient publiés dans les plus brefs délais, pour que le Gouvernement ne s'attribue pas une sorte de droit de veto constitutionnel sur les délibérations parlementaires.

La réforme de l'Etat ne doit plus être pour nos concitoyens une notion abstraite. Sensibilisons-les en répondant à leurs attentes, ne négligeons pas la simplification des démarches administratives qui est pour eux l'axe prioritaire.

Je veux remercier tous ceux - citoyens, fonctionnaires, préfets, parlementaires - qui ont apporté leur contribution. Grâce à la mobilisation de tous, la réforme de l'Etat n'est plus un slogan. Je remercie Henri Plagnol et toute son équipe pour le travail qu'ils ont fourni pour écouter, discuter, arbitrer.

Ce projet vous appartient, vous qui avez été si nombreux à soutenir notre démarche. Grâce à vos réflexions, la réforme est en marche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Etienne Blanc, rapporteur de la commission des lois - La simplification de notre droit est une ambition ancienne qui résulte d'un constat : nos règles trop nombreuses, trop complexes donnent du corpus juridique une image brouillée ou brouillonne.

La Revue de Droit Public a publié récemment, sous la signature de M. Etienne Grass, une étude sur le nombre de lois en vigueur, qui est très difficilement appréciable. Ce que l'on peut affirmer avec certitude, c'est que notre pays connaît une inflation législative en nombre et en volume.

Comme l'écrivait Jean Portalis, « la loi gouverne mal lorsqu'elle gouverne trop ».

Les Français demandent une clarification et une simplification du droit. Ils veulent des lois qui posent des principes forts et connus de tous, non des textes se perdant dans les détails. Ils savent qu'une démocratie moderne doit permettre à chacun, quelles que soient sa formation, sa culture ou sa situation sociale, d'appréhender nos règles de droit. Quel sens donner sinon au principe d'égalité devant la loi ?

Ce projet de loi d'habilitation poursuit plusieurs objectifs : obliger les administrations à préciser leurs délais de réponse ; substituer aux régimes d'autorisation des procédures de déclaration, associées à un contrôle a posteriori ; obliger les administrations à mutualiser leurs informations ; supprimer un grand nombre des commissions administratives créées dans chaque département ; simplifier le code des marchés publics et associer les secteurs publics et privés pour relancer la commande publique ; mettre un terme aux formalités humiliantes imposées aux Français nés à l'étranger pour justifier de leur nationalité.

Ce texte aborde par ailleurs une série de points de blocage répertoriés par les ministères. Les mesures techniques de simplification et de clarification toucheront le droit du travail, les prestations sociales, le droit électoral ...

En troisième lieu, ce projet tend à accélérer le processus de codification. En présentant le code civil devant le Conseil d'Etat, Jean Portalis relevait qu'« entre la loi et le peuple pour qui elle est faite, il faut un moyen de communication car il est nécessaire que le peuple sache ou puisse savoir que la loi existe et qu'elle existe comme loi ».

Cette loi amplifie le mouvement de codification. En procédant par ordonnances, le Gouvernement marque sa volonté d'agir rapidement. Les mesures étant essentiellement techniques, le Parlement n'est pas dessaisi de l'examen de sujets de fond. Du reste, il aura à ratifier les ordonnances.

Par son ampleur sans précédent sous la Ve République, par la diversité des sujets abordés, cette loi traduit bien une volonté de réforme pour rapprocher l'État des Français.

La commission a noté avec satisfaction la volonté du Gouvernement de présenter une loi de simplification chaque année. La modification en cours du Règlement de l'Assemblée nous permet de créer, en application de l'article 144-1, une mission d'évaluation et de suivi des ordonnances et des mesures de simplification.

La méthode est bonne, elle répond à une attente profonde chez les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jérôme Lambert - De prime abord, un projet de simplification et de codification ne devrait pas poser de problèmes insurmontables. Mais nous sommes résolument opposés à ce texte. Pourquoi ?

D'abord, en raison de la méthode choisie. Après avoir utilisé l'article 49-3 pour empêcher le Parlement de débattre de la modification de la loi électorale, le Gouvernement entend user de l'article 38 pour agir par ordonnances. En quelque sorte, il va « ordonner » les lois au Parlement plutôt que de les soumettre au débat démocratique. Il démontre une fois de plus le peu de respect qu'il a pour les élus.

Certes, tous les gouvernements ont recouru aux ordonnances.

M. Jean Leonetti - Il est bon de le rappeler.

M. Jérôme Lambert - Mais le précédent gouvernement l'a fait pour des raisons d'urgence, s`agissant de la transposition de directives européennes, ou pour harmoniser des lois existantes et les étendre à l'outre-mer.

Aujourd'hui, il n'y a ni urgence ni nécessité d'harmonisation. Dès lors, pourquoi nous imposer une telle procédure ? Sous couvert de simplification, le Gouvernement veut pouvoir modifier la législation dans des domaines sensibles, sans associer les parlementaires ou les partenaires sociaux à la réflexion ou à la décision. Certaines dispositions, de réelle simplification, pouvaient être acceptées, sous réserve des moyens de contrôle ultérieurs ; mais d'autres appellent notre vigilance, nos critiques ou notre opposition.

Il s'agit de réformer l'Etat, a dit le ministre. Mais le texte porte aussi sur le droit social, celui des sociétés, le droit du travail. Quelle confusion, et quelle tromperie. Aucune de ces mesures ne nécessite de décisions urgente et le Gouvernement se donne d'ailleurs douze à dix-huit mois pour prendre les ordonnances. Dans ce délai, on pouvait parfaitement présenter des lois ordinaires. Nous aurions adopté rapidement et dans un esprit constructif les dispositions qui ne suscitent pas d'opposition. Nous nous opposons donc à ce dessaisissement du Parlement, auquel les ordonnances ne donnent qu'un pouvoir de contrôle a posteriori qui est un leurre. En effet, seule s'impose au Gouvernement l'obligation de déposer un projet de loi de rectification. Une fois celle-ci remplie, sans qu'il soit nécessaire que ce projet soit voté ni même examiné, les ordonnances auront un caractère législatif. Pour nous opposer à des dispositions que le Gouvernement veut imposer en catimini, nous n'avons donc d'autre moyen que de refuser l'habilitation ici et aujourd'hui.

Le Conseil constitutionnel vient de vous censurer et de vous rappeler durement au respect du droit. Contre l'avis de presque tous et avec le seul soutien du parti hégémonique, le Gouvernement voulait imposer des règles électorales injustes qui auraient renforcé des comportements de rejet politique qui, du reste, reviennent en force depuis que tout l'appareil d'Etat est aux mains d'une formation partisane unique. Vous en oubliez le respect des règles démocratiques et des institutions. Cette faute politique motive un rappel sévère du Conseil constitutionnel qui rappelle la nécessité de respecter la pluralité. Alors que vous prônez la tolérance zéro pour tous ceux qui violent ou oublient des règles de droit, vous êtes pris la main dans le sac, en flagrant délit de violation de la démocratie. Et aujourd'hui, vous vous apprêtez à récidiver.

M. Xavier de Roux - Rien que ça !

M. Jérôme Lambert - Utiliser le 49-3 pour bafouer le pluralisme, au profit du parti hégémonique de la majorité, c'était faire preuve d'aveuglement totalitaire. Vous commettez la même faute politique en utilisant l'article 38. Après lui avoir manifesté votre mépris, vous demandez au Parlement de se faire hara-kiri.

Selon le rapporteur, il est justifié de légiférer par ordonnances lorsque les circonstances ou la nature de la matière en cause rendent ce moyen plus adéquat. Mais y a-t-il urgence, comme c'était le cas pour la loi du 3 janvier 2001 habilitant le Gouvernement à transposer par ordonnances des directives européennes en raison de notre retard ? Et si c'est le cas, pourquoi vous donner ce délai de douze à dix-huit mois ? Au pouvoir depuis un an, vous aviez le temps de nous proposer les projets nécessaires. Mais aujourd'hui, vous vous donnez de nouveaux délais ! De plus, vous voulez associer des députés à la réflexion après les avoir dessaisis. Pourquoi ne pas suivre la procédure législative ordinaire ? Vous auriez pu également recourir à la procédure d'urgence pour faire adopter ces textes rapidement, mais après un vrai débat au Parlement. Mais vous préférez présenter cette loi d'habilitation sur des thèmes divers, imprécis, masquant vos véritables intentions.

Selon le rapporteur, le Gouvernement ferait ici le choix de l'efficacité : est-ce à dire que la procédure législative ordinaire serait dépourvue de cette même efficacité ? Dans quelle estime tenez-vous donc le travail du Parlement ? Méprisez-vous donc le concours que nous pourrions vous apporter ? Votre argument ne serait-il pas destiné à masquer une absence de décisions au bout d'un an de réflexion sur la réforme de l'Etat ? Ce prétendu souci d'efficacité vous permet en fait de vous affranchir du débat démocratique pour changer, dans le secret des cabinets ministériels et de la haute administration, certaines lois dont la discussion publique pourrait émouvoir l'opinion. C'est encore le règne de la technocratie et des entourages ministériels que nous ne cessons de dénoncer.

M. Xavier de Roux - Eh bien !

M. Jérôme Lambert - En réalité, il n'y a aucune urgence : vous voulez simplement ordonner tranquillement des lois nouvelles.

Ce projet mentionne certains thèmes sur lesquels nous aurions pu nous accorder dans le cours d'un examen ordinaire, d'autant que nous aurions eu alors toutes les précisions utiles et pu concourir à améliorer vos textes. Mais ce débat, vous le refusez, ne mettant en avant que quelques bonnes idées pour masquer le flou et le caractère inquiétant de nombreuses dispositions. Vous espérez que l'habilitation vous donnera les mains libres pour agir, sans le contrôle d'un Parlement où vous disposez certes d'une majorité écrasante mais où vous devez aussi compter avec une opposition vigilante. Vous usez de tous les subterfuges permis par les textes : hier, c'était l'article 49-3 et nous avons vu ce qu'il en a été. Il en sera de même avec l'usage abusif que vous voulez faire de l'article 38 - abusif, dis-je, car il ne s'agit pas simplement de permettre l'application de lois déjà débattues, comme ce fut le cas par le passé pour l'extension de certaines dispositions à l'outre-mer, mais bien de changer des lois hors de tout contrôle.

C'est en effet un véritable blanc-seing que vous demandez au Parlement : la rédaction de nombreux articles ne dit rien de vos véritables intentions, de sorte que la procédure n'est pas encadrée, contrairement à ce qu'exige le Conseil constitutionnel. Pour ceux qui découvrent la procédure d'habilitation, il n'est sans doute pas inutile de rappeler que, selon celui-ci, le Gouvernement est, dans ce cas, « tenu d'indiquer avec précision au Parlement... quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre ». Or nombreuses sont les dispositions de cette loi pour lesquelles n'est indiquée aucune finalité précise. Ainsi à l'article 5, alinéa 3, il est simplement question de « simplifier les démarches des usagers en allégeant ou supprimant des formalités de déclaration ou de paiement de certains impôts ». Ce texte imprécis autoriserait le Gouvernement à supprimer n'importe quel impôt : voudrait-il donner le coup de grâce à l'ISF ou à l'impôt sur les sociétés qu'il le pourrait ! On peut penser que le Conseil constitutionnel n'admettra pas cette façon d'agir...

A l'alinéa 4 du même article, il est question cette fois de « simplifier et alléger les modalités de recouvrement de l'impôt par l'administration fiscale ». Le vote de cette disposition permettrait de procéder sans aucun débat à une réforme de l'administration fiscale : si telle est votre intention, pourquoi ne pas le dire clairement ? Voulez-vous conforter les inquiétudes des agents face aux réformes en cours à la DGCCRF et aux annonces fracassantes de M. Mer sur le non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite ?

Quant à l'article 12, il demande une habilitation pour assouplir les conditions d'exercice du vote par procuration. Fort bien, mais en commission, nous avons notamment débattu de la possibilité d'autoriser les municipalités à délivrer ces procurations et à en contrôler l'usage : c'est une précision, et de taille, qui montre le danger que court la démocratie. Si les élus peuvent délivrer des procurations, ils seront en effet juges et parties !

Que vous le reconnaissiez ou non, par son étendue et par son imprécision, ce projet aboutira à une forme de loi d'exception. Mais vous y mentionnez en outre de nombreux thèmes que nous aurions pu traiter à la faveur de projets dont le Parlement est actuellement saisi. Tiendriez-vous à légiférer en catimini, voire à vous accorder la liberté de rectifier, le cas échéant, des textes déjà votés ?

Qui pourrait être hostile à la simplification ? D'autre part, vous pouvez mettre en avant des exemples de toilettages qui s'imposent, tel celui de la vénérable ordonnance du 26 avril 1816 qui prévoit qu'un huissier de justice doit faire viser son exploit par le maire lorsqu'il constate qu'une saisie-arrêt est formée entre les mains d'un commissaire-priseur. Mais l'arbre pouvant cacher la forêt, nous sommes en droit de nous interroger sur d'autres simplifications : ainsi sur celle de l'accès à la nationalité, prévue à l'article 7. Entendez-vous faciliter cet accès ou, au contraire, l'empêcher ? Nous nous souvenons que, sous les deux précédentes législatures, les projets sur ce sujet ont toujours été jumelés avec une réforme de l'immigration. Aujourd'hui, vous ne nous promettez pas moins de trois lois sur l'immigration et le droit d'asile, mais le droit de la nationalité, intimement lié à ces questions, sera abordé sans demander l'avis du Parlement ! Nous ne saurions l'admettre !

Et pourquoi l'article 22 prévoit-il une habilitation pour modifier les règles applicables aux professions réglementées alors que le projet réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, discuté au Sénat le 2 avril, faisait un support tout à fait adéquat ?

Quant aux règles du nantissement des fonds de commerce, traitées à l'article 21, elles posent des questions trop complexes pour qu'on ne se montre pas prudent : êtes-vous assurés de ménager la protection de l'entrepreneur face aux établissements financiers, en cas de difficultés de remboursement ? Un vrai débat s'imposerait sur ce point, de préférence à ce blanc-seing ! Nous pouvions l'avoir à l'occasion de l'examen du projet sur la sécurité financière.

Ce même projet aurait gagné en loyauté si la question de la protection des petits épargnants n'était pas traitée de façon contradictoire ici et là. Comment croire que les petits porteurs seront protégés lorsque le Gouvernement se propose de légiférer par ordonnance sur la dépénalisation des fautes commises à leur détriment par les dirigeants d'une société ?

Sous couvert de simplifier et d'harmoniser, vous voulez modifier des dispositions en cours de discussion au Parlement : ainsi en ce qui concerne l'évaluation des risques technologiques. Souhaiteriez-vous pouvoir revenir sur ce que nous aurons voté ? Ne voudriez-vous pas également imposer votre position à la majorité qui, au cours de la discussion sur le projet pour l'initiative économique, a adopté contre votre avis deux amendements relatifs au chèque-entreprise et au guichet unique chargé du recouvrement des cotisations sociales ? Ne cherchez-vous pas à avoir les mains libres pour harmoniser les seuils sociaux dans les entreprises, ainsi que leur mode de calcul, et, par exemple, pour revenir sur la prise en compte, dans les effectifs, des salariés précaires travaillant à temps partiel ?

Sous couvert d'harmonisation et de simplification, vous calquez les délais applicables aux procédures individuelles de licenciement sur les délais les plus courts en matière de licenciement économique individuel en cas de liquidation judiciaire d'une entreprise. Ces mesures injustes et brutales ne feront qu'accroître la précarité.

Vous voulez encore harmoniser par le bas les durées de protection contre les licenciements des candidats aux élections professionnelles. Est-ce en affaiblissant certaines protections que l'on rendra la confiance aux Français ? Est-ce là la modernité ? Enfin, vous voulez alléger les contraintes de tenues de registres pesant sur l'employeur. En dehors du registre unique du personnel, les différents registres existant concernent les règles d'hygiène et de sécurité, et les risques technologiques.

Pensez-vous revenir, par voie d'ordonnance, sur le texte actuellement en cours de discussion au Parlement et qui, à la lumière de la catastrophe d'AZF ou de l'explosion de l'usine de Billy-Berclau dans le Pas-de-Calais, va renforcer la législation sur les risques industriels ?

La simplification et l'allégement des procédures en droit du travail peuvent remettre en cause la protection du salarié, et ne sauraient être envisagés sans une consultation sérieuse et équilibrée des partenaires sociaux. Derrière des dispositions de bonne volonté peuvent se cacher des mécanismes dangereux que le Parlement doit contrôler.

Certains pensent que le Parlement aura à débattre des dispositions finalement retenues par le Gouvernement, lors de la future discussion du projet de loi de ratification des ordonnances.

Or, nous savons tous, comme l'a rappelé le président de la commission des lois, Pascal Clément, que le Parlement examine rarement les projets de lois de ratification. Conformément à la Constitution, le projet de ratification sera déposé dans le délai imparti sur le bureau du Parlement, mais ne sera jamais inscrit à notre ordre du jour par le Gouvernement. Or, le seul dépôt du projet de ratification confère aux ordonnances valeur juridique ! Demain, nous ne pourrons donc plus empêcher le Gouvernement de nous imposer sa loi, à moins que le Conseil constitutionnel n'empêche une telle dérive de nos pratiques démocratiques et institutionnelles, dans le souci de préserver les prérogatives du Parlement dans l'élaboration des lois nouvelles.

Ce projet ne s'inscrit, ni dans une nécessité d'urgence, ni dans un cadre précis. Par ailleurs, si certaines dispositions semblent relever d'un bon sentiment en mettant en avant la confiance que nous devons porter à nos concitoyens lors de l'accomplissement de démarches administratives, leur application soulève de nombreuses difficultés.

Ainsi, la substitution à la présentation a priori de justificatifs d'une déclaration susceptible d'un contrôle a posteriori simplifiera-t-elle réellement la procédure ? N'est-il pas plus aisé de vérifier directement un dossier plutôt que de procéder à une convocation ultérieure, surtout en période de réduction des effectifs de la fonction publique ? C'est la porte ouverte à la fraude, et à la rupture de l'égalité entre les citoyens. De surcroît, un administré pourra en toute bonne foi ne pas retrouver les pièces requises, au risque de se voir accusé de fraude ! Vous installez une insécurité juridique qui ne profitera qu'aux véritables fraudeurs.

D'autres dispositions rompent avec les principes européens de libre concurrence. Si nous avons voté, lors de l'examen des lois de programme sur la sécurité et la justice, des dispositions exceptionnelles concernant le code des marchés publics, c'est qu'elles étaient justifiées par l'urgence - construire le plus rapidement possible des équipements immobiliers pour la justice, la police et la gendarmerie. Malgré l'atteinte aux principes de la transparence des marchés et de la libre concurrence, le Conseil constitutionnel avait admis ces dispositions rendues nécessaires par une situation particulière. Or, votre projet de loi permet d'étendre ces mesures exceptionnelles à l'ensemble des marchés publics. Aussi ne puis-je que reprendre à mon compte les craintes dont les organisations socioprofessionnelles ont fait part au Gouvernement sans obtenir les réponses attendues. Ce projet bouleverse les règles d'attribution des marchés publics, notamment en matière de construction publique. Les possibilités de partenariat public-privé, aujourd'hui limitées à la police, à la justice et à la gendarmerie, sont élargies à l'ensemble des bâtiments publics, au prétexte de redynamiser la commande publique et de raccourcir les délais. Actuellement, le dispositif en vigueur permet à la puissance publique de choisir une équipe de maîtrise d'_uvre chargée de concevoir le projet architectural et de diriger sa réalisation, et ensuite de sélectionner une entreprise qui sera chargée, sous la direction des maîtres d'_uvre, d'exécuter les travaux. Ce principe clair, permet au maître d'ouvrage public d'assumer sa responsabilité.

La procédure de conception-réalisation, que le projet de loi permet d'étendre par voie d'ordonnance, sans contrôle du Parlement, fait disparaître l'indépendance et la responsabilité de la maîtrise d'_uvre qui, travaillant au service du groupe privé attributaire du marché, prive le maître d'ouvrage d'un interlocuteur susceptible de défendre ses intérêts en vue de la réalisation d'un bâtiment de qualité.

Les scandales des marchés des lycées d'Ile-de-France témoignent des dérives engendrées par de tels dispositifs.

Du reste, les expériences anglaises et allemandes prouvent que les bâtiments réalisés en conception-réalisation, sont de moins bonne qualité et coûtent plus cher aux finances publiques, donc aux citoyens... !

Le maître d'ouvrage n'a en effet plus les moyens de s'assurer grâce à sa maîtrise d'_uvre que les prestations sont conformes à ses souhaits, et il est évident que le but d'un groupe promoteur-constructeur auquel est confié ce genre de contrat est de faire le maximum de profit en limitant le coût des études : le projet architectural est ainsi limité à l'avant-projet, et il se répète à travers toutes les réalisations, entraînant une uniformisation des bâtiments. La recherche du profit se traduit enfin par des économies sur les prestations et la qualité de mise en _uvre.

En réalité, seuls les quelques majors du BTP sont en mesure d'assumer ces contrats globaux. Ils ont des structures financières, de promotion privée et d'entreprises, ad hoc, qui font redouter le risque d'un véritable partage des marchés, comme cela fut le cas pour la distribution de l'eau.

La concurrence ne pourra pas véritablement s'exercer face à quelques mastodontes... Les architectes, les artisans, les petites et moyennes entreprises du secteur du BTP, rejettent, à juste titre, ces dispositions, car ils auront, dorénavant, pour accéder à la commande publique, l'obligation systématique d'être les sous-traitants des grands groupes attributaires des marchés. Ces petites entreprises, plus qu'aujourd'hui encore, seront à la merci des promoteurs-constructeurs.

Ce projet ne peut donc être accepté en l'état, car il imposera des monopoles et fera courir le risque du retour des pratiques douteuses.

Il est difficile de résumer tous les griefs que nous avons contre ce projet. Mais il porte en lui les germes de nombreuses difficultés, compte tenu de la procédure exceptionnelle choisie par le Gouvernement. Cette procédure en l'espèce, est suspecte, car elle prive le Parlement de tout contrôle sur des sujets qui justifieraient de vrais débats. Le caractère anticonstitutionnel de certaines dispositions du texte semble avéré. Je vous invite donc à voter cette exception d'irrecevabilité. Ainsi, le Gouvernement devra nous présenter un nouveau texte d'habilitation précisant ses intentions pour que nous puissions véritablement juger de l'opportunité de certaines mesures. A moins qu'il ne préfère, après le vote de cette exception d'irrecevabilité qui garantirait les droits du Parlement, légiférer normalement et qu'il ne nous présente, à cette fin, un projet sur toutes ces matières. Ainsi pourrions-nous débattre librement, comme le peuple nous a donné mandat de le faire en son nom ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat - Ni la violence de la charge ni l'outrance du propos ne parviennent à dissimuler l'extrême faiblesse de l'argumentation. Que l'on me traite de « récidiviste » ou de « dictateur en herbe » et que l'on m'accuse de porter atteinte au caractère démocratique du débat n'empêche pas le texte d'être parfaitement fidèle à l'article 38 de la Constitution.

Il est de fait que vous n'êtes plus dans la majorité, et qu'à la nouvelle majorité, les Français ont donné mandat de simplifier le droit. Cela, le Gouvernement peut évidemment le faire par ordonnances, si la majorité en décide ainsi.

S'agissant du terme lui-même, il est piquant d'entendre un orateur socialiste exposer qu'il pleure l'Ancien régime ! Dois-je vraiment rappeler les grandes heures des ordonnances - à la Libération ? Dois-je vraiment rappeler que le gouvernement Jospin ne s'est pas privé de légiférer ainsi ? Les seules obligations du Gouvernement en cette matière, tiennent d'une part à la limitation du délai, qui est prévue et que, de manière paradoxale, vous avez estimé trop long et, d'autre part, à la nécessité de préciser les objectifs de l'habilitation. Nulle part, il n'est question d'urgence, et jamais le Gouvernement ne l'a évoquée...

M. Jérôme Lambert - Le rapporteur, si !

M. le Secrétaire d'Etat - J'y viens, pour souligner en premier lieu l'excellence du rapport, et pour dire ensuite que l'urgence à laquelle il a fait allusion, c'est celle que suscite l'impatience des Français, d'autant plus excédés par la complexité administrative qu'ils subissent que le gouvernement précédent n'a rien fait pour l'alléger, ni pour réformer l'Etat (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Là est l'urgence, mais elle ne se confond pas avec la procédure d'urgence, comme vous avez feint de le croire.

Vous expliquez ensuite que les finalités du Gouvernement sont insuffisamment précisées. Je vous rappelle que le débat qui s'engage, et dont je ne doute pas qu'il sera fructueux, permettra au Parlement de préciser ce qui doit l'être.

Vous vous êtes encore livré à un amalgame contestable, au moyen de citations inexactes. Ainsi avez-vous prétendu que nous nous servirions de ce texte pour supprimer les impôts, ce qui est évidemment faux, puisque ce dont il s'agit est de supprimer diverses formalités liées à l'acquittement de l'impôt, pour faciliter la vie de nos concitoyens, et certes pas de porter atteinte à la souveraineté du Parlement.

M. Jérôme Lambert - Relisez le texte !

M. le Secrétaire d'Etat - De même, vous vous offusquez des dispositions envisagées pour faciliter le vote par procuration. Libre à vous de préférer que perdure ce scandale qui fait que la complexité procédurale prive tant de nos concitoyens de l'exercice de leur droit de vote ! Ce choix n'est pas celui du Gouvernement, et c'est faire injure aux employés municipaux que de considérer, comme vous l'avez fait, qu'ils ne seront pas en mesure de remplir les tâches que l'on attend d'eux.

M. Jérôme Lambert - C'est un député UMP qui a exprimé cette crainte en commission !

M. le Secrétaire d'Etat - Vous avez aussi entretenu une confusion délibérée à propos des professions réglementées en faisant allusion aux conseillers juridiques alors que le texte fait référence aux VRP, aux coiffeurs ou encore aux artisans taxis ce qui, vous en conviendrez, n'a que peu à voir.

Enfin, vous avez développé une argumentation spécieuse sur la vie des entreprises et le droit social, en prétendant que le Gouvernement avancerait masqué pour modifier en catimini des pans entiers de la législation sociale. Evidemment, il n'en est rien, et vous faites bien peu de cas de tous ces entrepreneurs dont le v_u le plus cher est de se consacrer à leur métier et à la marche de leur affaire plutôt qu'à la paperasserie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Braouezec - Derrière la paperasse, il y a souvent des hommes !

M. le Secrétaire d'Etat - S'agissant du titre emploi simplifié et du guichet unique, c'est précisément parce que nous voulons agir vite que nous souhaitons procéder par ordonnances ! Dans ce cadre, nous aurons toute latitude de consulter les partenaires sociaux et de les associer aux réformes ; mais vous avez une bien curieuse conception du dialogue social qui, pour vous, se limite à cette enceinte.

On le voit, aucun de vos arguments ne fragilise le texte. Ce qui transparaît clairement dans cette motion, en revanche, c'est que vous ne voulez pas de la simplification, et que vous ne l'acceptez que si elle est cosmétique (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Il faut dire que la simplification est un vrai choix de société : c'est celui de la confiance et de la responsabilisation. Autant vous dire que j'ai été stupéfait de vous entendre justifier les files d'attente des mairies, au motif que se contenter de déclarations sur l'honneur conduirait à multiplier les contrôles ultérieurs. Qui peut nier, pourtant, que le guichet est ressenti comme un obstacle ?

L'objectif du projet, c'est aussi de réduire les dépenses inutiles, les frais généraux de la nation, la technostructure qui nous empêche d'investir là où il le faut. C'est encore de favoriser l'initiative, l'esprit d'entreprise, l'innovation. Comment prétendre que les Français ne le voudraient pas ? Leur message a pourtant été assez clair !

Vous ne croyez pas au partenariat public-privé. C'est votre droit, mais ne caricaturez pas ce qui a été fait ailleurs, et notamment au Royaume-Uni et en Allemagne dont les gouvernements sont pourtant socialistes, autant qu'on le sache ! A vous entendre, on subodore des débats houleux au sein de l'Internationale socialiste !

Le Gouvernement n'est pas, lui, habité par l'idéologie ; il ne souhaite pas opposer les énergies publiques et les énergies privées mais les réveiller, avec un objectif unique : que notre pays gagne des batailles sur le marché mondial.

Nous n'avons pas non plus la même idée de la loi. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », disait Montesquieu.

Mme Muguette Jacquaint - Quelles sont les lois utiles ?

M. le Secrétaire d'Etat - Nous voulons quant à nous redonner ses lettres de noblesse à la loi. Il y a aujourd'hui trop de lois et trop de règlements. Or, trop de loi tue la loi...

M. Patrick Braouezec - Mais trop d'ordonnance tue le Parlement !

M. le Secrétaire d'Etat - ...et nos concitoyens ne s'y retrouvent plus.

Quoi de plus conforme, donc, au mandat que nous ont confié les Français et à la vocation d'un Parlement moderne que le Parlement décide lui-même de soustraire du domaine législatif ce qui n'y a plus sa place et habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de nature à simplifier la vie des Français ?

Tel est l'objet de ce projet de loi, qui est tout à fait conforme à la Constitution. C'est en effet l'esprit même de la Ve République que d'assigner à la loi le rôle de définir les principes fondamentaux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Rapporteur - Le champ des ordonnances serait trop large, nous dit-on, et à ce titre non conforme à la tradition de la Ve République. Permettez-moi donc de rappeler que les dix-huit ordonnances prises en janvier 1982 - dont seulement sept furent ratifiées - traitaient de sujets aussi vastes et divers que les congés, le temps partiel, les contrats de solidarité des collectivités locales, la durée hebdomadaire du travail, les CDD, l'âge de la retraite, la qualification professionnelle, les pensions de retraite, les chèques-vacances...

MM. Jérôme Lambert et André Vallini - Quel beau bilan ! Merci de cet hommage !

M. le Rapporteur - Et par les ordonnances de 1983, vous avez institué une contribution sur le revenu des personnes physiques destiné au financement du régime de la sécurité sociale et modifié la TIPP !

Autre reproche formulé par l'opposition : le blanc-seing qui serait donné au Gouvernement et qui déposséderait le Parlement. Je rappelle que l'article 38 encadre parfaitement la procédure des ordonnances et qu'il n'y a dans mon rapport aucune référence à l'urgence pour ce qui est du présent projet - même si dans le passé, certaines ordonnances ont été prises sous le signe de l'urgence, notamment face aux événements d'Algérie. Je rappelle également que la ratification permettra un contrôle très sévère. Vous craignez qu'il n'y ait pas de ratification. Il est vrai que sous la législature précédente, cinquante ordonnances seulement ont été ratifiées sur les quelque cent qui ont été prises. Mais, de grâce, ne nous attribuez pas à l'avance les mêmes turpitudes, alors que le président de la commission des lois nous a assurés qu'une mission de suivi pourrait être créée, en application de l'article 144 de notre Règlement.

Enfin, un détournement de pouvoir n'est pas possible, dès lors que le Conseil d'Etat doit viser les ordonnances et vérifier qu'elles sont parfaitement conformes à la loi d'habilitation. Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable à l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Marc Le Fur - En entendant M. Lambert, j'avais l'impression que nous ne fréquentions pas, lui et moi, les mêmes Français.

M. Patrick Braouezec - C'est possible.

M. Marc Le Fur - Nous, nous voyons des gens qui en ont assez de la paperasse et qui réclament un peu plus de liberté. Pour l'anecdote, permettez-moi de vous citer le cas de ces habitants des Côtes-d'Armor, qui élèvent chez eux, pour leur plaisir, des serins, des mésanges, des canaris, des perruches...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Comme c'est charmant !

M. Marc Le Fur - ... et qui viennent de recevoir un document de la DSV leur réclamant dans un délai d'un mois un état précis de leurs effectifs par espèces !

Le chantier qui s'ouvre est gigantesque. Raison de plus pour ne pas tarder. L'ampleur de la tâche et sa variété impliquent de procéder par ordonnances.

Les causes de la complexité administrative sont multiples et ne tiennent pas aux fonctionnaires, qui en sont au contraire les premières victimes et qui en ont assez, eux aussi. Non, la première cause c'est le centralisme. Ce texte n'est donc pas un épiphénomène, mais participe de la même logique que celle qui conduit à décentraliser. Dans les deux cas, il s'agit de redonner des espaces de liberté à nos concitoyens.

Autre cause : cette tentation prométhéenne qui fait que l'Etat veut tout traiter, tout résoudre, tout envisager. Il en résulte un nombre excessif de textes. La méfiance envers l'usager et le contribuable est aussi une source de complexité, de même d'ailleurs que la méfiance envers le fonctionnaire qui amène par exemple à opérer une distinction entre l'ordonnateur et le comptable - ce qui a pour effet de multiplier les tâches par deux. La complexité naît parfois aussi de bonnes intentions, par exemple celles qui conduisent le CNIL à interdire l'utilisation du référent unique INSEE et la connexion des fichiers. Résultat, chaque administration a son propre fichier et ses propres références, ce qui oblige l'usager à remplir de multiples formulaires.

L'Etat et le législateur sont coupables, mais aussi Bruxelles - à quand un commissaire à la simplification ? -, les organisations professionnelles, les fédérations sportives... Il faudrait que ceux qui élaborent la norme et l'imposent aux autres soient aussi désormais ceux qui paient la note !

En tout cas, il est urgent d'agir et j'espère que le partenariat public-privé permettra d'accélérer les choses. Nous veillerons quant à nous à ce que l'ensemble du Gouvernement fasse sienne la démarche de simplification, y compris dans les domaines - par exemple agriculture, environnement et urbanisme - qui ne font pas partie du premier train de mesures (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint - Le ministre nous explique que le Gouvernement a le droit de légiférer par ordonnance. Sans doute a-t-il tous les droits, mais on peut aussi estimer qu'il dispose d'une majorité assez écrasante pour ne pas chercher à escamoter le débat au Parlement !

On nous parle de simplification administrative, mais nous avons déjà un aperçu, hélas, de la façon dont ce Gouvernement comprend la simplification. Pour lui, simplifier, c'est par exemple autoriser les licenciements et les plans sociaux ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Le Gouvernement demande au Parlement un chèque en blanc pour prendre toutes sortes de mesures antidémocratiques et antisociales ! C'est pourquoi le groupe communistes et républicains votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jérôme Lambert - Je maintiens, Monsieur le secrétaire d'Etat, que le troisième alinéa de l'article 5 parle bien de supprimer des formalités de déclaration ou de paiement de certains impôts. « Formalités », et non pas formulaires !

Au sujet du vote par procuration, je n'ai fait que reprendre un argument fort judicieux qu'avait développé en commission un député de l'UMP. S'agissant du dialogue social, nous n'en avons effectivement pas la même conception. Sur quoi portera-t-il une fois que l'habilitation aura été cadrée par le Parlement comme l'impose la Constitution ?

Si tous les gouvernements ont légiféré par ordonnances, chaque loi d'habilitation ne portait que sur une matière ; ce projet fourre-tout encourt l'inconstitutionnalité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Patrick Braouezec - Le Gouvernement nous propose de déroger au principe selon lequel la loi est votée par le Parlement. Il ne s'étonnera pas que nous refusions de nous dessaisir nous-mêmes de nos prérogatives et de faire de ce lieu un théâtre d'ombres.

M. Delevoye a d'ores et déjà annoncé qu'un deuxième projet de loi d'habilitation serait présenté à l'automne. Et l'entreprise de dessaisissement ne s'arrêtera pas là : un projet de loi d'habilitation devrait être déposé chaque année, sur la base des propositions de simplification faites par chaque ministre.

A quoi sert donc le Parlement ? On pourrait le dissoudre... Après neuf mois de Gouvernement Raffarin, il semble déjà être devenu une simple chambre d'enregistrement, la majorité parlementaire, en accord avec les dirigeants de l'UMP et ceux du MEDEF, votent le plus souvent les textes sans les modifier. La procédure des ordonnances permettra de passer à la vitesse supérieure !

L'examen des projets de loi de ratification ne permettra en aucun cas de revenir sur le contenu des ordonnances. Vous introduisez d'ailleurs dans ce projet de loi d'habilitation diverses ratifications d'ordonnances, ce qui est un procédé pour le moins surprenant... Au demeurant, si le dépôt d'un projet de loi de ratification sur le bureau de l'une des deux assemblées est obligatoire, son inscription à l'ordre du jour ne l'est pas !

Vous nous dites que ces ordonnances seront prises dans un souci de sécurité juridique, que leur but sera de rendre notre droit plus cohérent et plus accessible. Mais où sera la sécurité juridique puisque les ordonnances publiées mais non ratifiées par une loi n'ont qu'une valeur réglementaire, et peuvent donc faire l'objet de contentieux ?

En outre, comme l'a lui-même souligné le président Clément, l'habilitation demandée par le Gouvernement est d'une ampleur sans précédent. Alors qu'il est d'usage de présenter des projets de loi d'habilitation comportant quatre ou cinq articles au maximum et portant sur un sujet précis, celui-ci compte vingt-neuf articles. A combien d'ordonnances risque-t-il de donner lieu ?

Ce texte est un véritable fourre-tout. Vous prétendez que l'objectif est de simplifier les relations entre les administrations et les usagers, mais peu d'articles portent sur ce thème.

Les autres articles concernent pour la plupart des intérêts catégoriels. Dans ces domaines, l'intervention des parlementaires est plus légitime que celle de groupes d'experts. On voit donc toute la considération que vous portez à notre travail. Ce recours aux ordonnances, que vous-mêmes avez souvent dénoncé dans l'opposition, n'a d'autre justification que d'empêcher le Parlement d'exercer ses prérogatives. C'est une man_uvre politique que nous dénonçons vivement.

Vous invoquez l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées. Pourtant, il faudra bien trouver une place dans le calendrier pour les lois de ratification. Le Gouvernement, par ailleurs, est maître de l'ordre du jour prioritaire, donc responsable de l'encombrement que vous constatez. Si la simplification du droit est si importante pour vous, donnez-lui toute sa place dans nos travaux.

Ce que vous souhaitez surtout, c'est aller vite pour modifier les dispositions relatives aux marchés publics, aux impôts - mais lesquelles ? - aux opérations électorales ou aux élections professionnelles, à la réorganisation dans le domaine sanitaire et social, au droit du travail. Vous confondez rapidité et efficacité.

Selon l'exposé des motifs, le Gouvernement souhaite traiter de questions techniques par ordonnances pour permettre au Parlement de se consacrer aux véritables enjeux politiques. Dès son discours de politique générale, le Premier ministre annonçait ce recours aux ordonnances pour procéder à des simplifications dans des domaines « ne touchant pas aux équilibres fondamentaux de la République ». Est-ce à dire que les dispositions relatives aux formalités que doivent accomplir les partis politiques, aux élections professionnelles ou à l'organisation du système de santé sont purement techniques et ne touchent à aucun équilibre fondamental ? Le recours même à l'article 38 bouleverse déjà un équilibre fondamental en touchant à la séparation entre exécutif et législatif.

Nous ne pouvons vous donner un tel blanc-seing, car tout recours aux ordonnances discrédite le Parlement. Les abstentions massives montrent qu'il est urgent, au contraire, de réconcilier les citoyens et la démocratie représentative. A force de se dessaisir de leurs prérogatives, les députés paraissent éloignés des préoccupations des gens. Or ce projet de loi d'habilitation les écarte de problèmes quotidiens, qui ne concernent pas seulement les relations avec l'administration.

En raison de son ampleur, il est de même nature que l'utilisation de l'article 49-3 pour museler les parlementaires. Il vous accorde les pleins pouvoirs dans de nombreux domaines de façon inadmissible. Certes, il faut poursuivre l'effort de simplification administrative entrepris depuis une quinzaine d'années, mais en consultant le Parlement comme ce fut le cas pour la loi du 11 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations et, de manière générale, pour de nombreuses mesures du même ordre.

Nous ne pouvons que critiquer la méthode employée. Vous-mêmes, en 1999, à propos d'un projet relatif à la codification par ordonnances, aviez déposé une exception d'irrecevabilité, jugeant l'initiative du Gouvernement « politiquement contestable et juridiquement critiquable ». Vous parliez alors d'une atteinte aux prérogatives essentielles du Parlement.

Mme Muguette Jacquaint - Parfaitement !

M. Patrick Braouezec - Or vous nous présentez aujourd'hui un projet de loi permettant l'adoption de quatre nouveaux codes...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - A droit constant !

M. Patrick Braouezec - ... En vous appuyant sur cette loi de 1999 que vous avez critiquée !

Par le champ qu'il couvre, ce projet participe d'un programme de politique générale. Vous pourrez ainsi légiférer dans un grand nombre de domaines sans passer devant le Parlement. Pourtant avec la majorité dont vous disposez, vous n'y auriez guère rencontré d'obstacle et les plus consciencieux d'entre nous auraient pu faire leur travail de législateur.

J'en viens au projet lui-même, dont le contenu est épars et imprécis.

Le chapitre premier concerne des mesures de portée générale pour simplifier des règles administratives non contentieuses et introduire plus de transparence dans les relations entre l'administration et le public. Qui pourrait y être défavorable ? Mais en fait, l'imprécision règne, en particulier sur les moyens. Réduire les démarches des usagers, modifier les formulaires, organiser la transmission de documents entres administrations, réduire les délais d'instruction, tout cela ne se fera pas sans modernisation des équipements ni sans personnels. Mais de ces coûts vous ne dites pas un mot.

Vous dites aussi vouloir adopter des mesures qui toucheront directement la vie des Français. Mais leurs élus ne pourraient pas en débattre : étrange conception de la démocratie !

Vous voulez ensuite réduire le nombre des commissions administratives : ne pourrions-nous connaître celles qui sont visées ? Il en est d'utiles, et ce serait rendre un mauvais service aux Français que de les supprimer.

A l'article 4, il est simplement écrit qu'il s'agira d'« aménager le régime juridique des contrats existants ». Visiblement, vous souhaitez modifier des dispositions relatives aux marchés publics. Certes, le code des marchés publics est complexe, mais nous l'avons déjà modifié en 2001 et, ne serait-ce qu'en raison de l'actualité - je pense à certaine affaire qui vient d'éclater dans le sud de la France -, il revenait au Parlement d'exercer un contrôle sur toute nouvelle disposition. D'autre part, est-on encore dans le domaine de la simplification administrative lorsqu'on se propose de créer de « nouvelles formes de contrats conclus par des personnes publiques ou des personnes privées chargées d'une mission de service public ,... notamment pour la conception... ou l'exploitation d'équipements publics » ? Ce ne serait ni plus ni moins qu'un retour aux marchés d'entreprise de travaux publics : dès lors, ne peut-on s'inquiéter de ce que seront ces contrats, définis à la va-vite, et leurs règles de passation ? Comment les collectivités pourront-elles exercer leur contrôle et éviter tout vice de procédure ?

Nous rejetons avec une égale force le recours aux ordonnances s'agissant de l'article 5, qui vous habiliterait à modifier le code général des impôts et le livre des procédures fiscales pour abroger les dispositions devenues sans objet et adapter celles qui sont obsolètes, pour assouplir les modalités d'option en faveur de tel ou tel régime et pour alléger ou supprimer certaines formalités de déclaration ou de paiement. Nos questions sont en effet identiques : de quelles dispositions ou formalités, de quels régimes ou impôts s'agit-il ?

Pourquoi ne pas confier ces tâches délicates, mais nécessaires aux parlementaires ? Et puisque dans le « vingtième rapport sur les relations entre les contribuables et l'administration fiscale » de 2002, auquel le rapporteur fait référence, le conseil des impôts considère que les contribuables ne sont pas suffisamment associés à la réflexion sur la norme fiscale, n'aurait-il pas été logique d'essayer de connaître les attentes des citoyens en ce qui concerne la simplification de cette norme ? Votre refus en dit long sur la volonté que vous affichez de rapprocher les citoyens des élus, et des hommes politiques en général.

Le conseil des impôts, dans son rapport, appelle aussi à renforcer la sécurité juridique en matière fiscale. Le recours aux ordonnances est loin d'offrir des garanties suffisantes de ce point de vue, comme du point de vue de l'intelligibilité de la loi. En effet, les ordonnances passeront inaperçues, et plus encore les lois de ratification, s'il y en a. Comment les citoyens en seraient-ils informés, puisqu'il n'y aura aucun débat public ?

Le deuxième chapitre, vise à simplifier les démarches des particuliers et, notamment de préciser les conditions d'établissement de la possession d'état de Français, afin de permettre aux Français nés hors du territoire national de faire le preuve de leur nationalité. Il est exact que les Français nés à l'étranger ont parfois la plus grande peine du monde à prouver leur nationalité mais fallait-il se contenter d'écrire que, grâce à cette simplification, la possession d'état de Français pourra être établie plus facilement, notamment par la production de certains documents émanant d'autorités françaises ? Les explications ne manquent pourtant pas dans le rapport présenté par notre collègue Etienne Blanc quant à la complexité de faire cette preuve lorsque la personne est dans une situation inhabituelle. Pour satisfaire notre curiosité, tout au plus nous dit-on que l'ordonnance pourrait fixer pour règle que la soumission à un régime spécifique aux Français, tel que le service national ou une carrière de fonctionnaire, permettra de présumer la nationalité française. Le simple fait d'employer le conditionnel laisse attendre bien des variations que nous aurions pu éviter s'il nous avait été permis d'en débattre.

C'est pourquoi, même si certaines de ces mesures sont positives sur le fond, nous ne pouvons admettre de ne pas y être associés. De plus, ce chapitre comprend des dispositions très disparates et que ne concernent en fait que certaines catégories de particuliers.

Enfin certaines n'ont rien à faire dans ce projet, telles les règles relatives aux associations syndicales de propriétaires et à la procédure de validation annuelle du permis de chasse, pour lesquelles on ne peut invoquer aucune urgence ni aucune circonstance exceptionnelle.

N'ont pas non plus leur place dans ce texte les mesures de simplification des procédures électorales contenues dans le troisième chapitre. Ainsi, à l'article 13, vous demandez une habilitation pour simplifier les démarches que doivent accomplir les partis et groupements politiques pour participer à la campagne radiotélévisée des élections législatives ou pour harmoniser la procédure de dépôt des candidatures. Est-il concevable de modifier les règles applicables à l'élection des députés sans que ceux-ci aient à en discuter ? Décidément, vous nous portez bien peu de considération !

Mais cette habilitation est moins acceptable encore quand il s'agit d'aménager les modalités de contrôle des comptes de campagne. Qu'entendez-vous d'ailleurs par « aménager » ?

Quant au reste, vous envisagez ni plus ni moins que de simplifier les modalités d'organisation et de contrôle des élections aux chambres de commerce, aux tribunaux de commerce et aux tribunaux paritaires des baux ruraux, aux élections prud'homales et aux élections à la MSA. Comment accepter une habilitation aussi vaste ? Comment accepter un embryon de réforme des tribunaux de commerce et des prud'hommes dont le Parlement n'aurait pas à débattre ?

Il y a plus grave encore : le Gouvernement souhaite alléger les formalités imposées par la législation relative au travail et à la formation professionnelle et, en particulier, harmoniser les seuils d'effectifs qui déterminent l'application de certaines dispositions, ainsi que le mode de calcul de ces effectifs. Pourraient ainsi être revus les seuils à partir desquels les salariés ont droit à disposer de représentants du personnel ou d'un comité d'entreprise et, pourquoi pas - mais je ne veux pas vous donner de mauvaises idées ! - les délais applicables aux procédures individuelles de licenciement ainsi que la durée de la période pendant laquelle les candidats aux élections professionnelles et les anciens représentants du personnel sont protégés contre le licenciement ! Vous faites une fois de plus la preuve de votre détermination à démanteler les acquis sociaux et nous avons donc déposé un amendement visant à supprimer cet article.

La suite du projet est tout aussi contestable. En effet, dans le chapitre VI, nous avons la surprise de découvrir que... seront ratifiées des ordonnances précédemment adoptées.

Autant dire que nous avons peu de chances de voir des projets de loi de ratification déposés en temps et en heure, non plus que de débattre de ces nombreuses et diverses dispositions. Le débat parlementaire ne semble décidément pas être votre priorité !

Enfin, le paradoxe est à son comble lorsque vous nous demandez une habilitation afin de créer quatre nouveaux codes par ordonnances. Oubliez-vous vos protestations lorsque le gouvernement précédent avait créé de même neuf codes par ordonnances. Par cette procédure, le Parlement est conduit à déléguer au Gouvernement un pouvoir essentiel de formation du droit, sans pouvoir exercer un contrôle sur le contenu de ce droit. Ce dessaisissement consenti pour de prétendues raisons d'efficacité s'apparente, à nos yeux, à un renoncement à l'exercice du pouvoir législatif, ce qui est tout simplement inacceptable. Nous continuerons donc de militer en faveur d'une participation du Parlement au travail de codification qui soit aussi complète que possible, le législateur ayant pour mission de rendre la loi cohérente et accessible à tous.

Derrière ce projet, le Gouvernement cache bien son jeu. Il déclare que la simplification administrative est devenue une de ses priorités mais, dans le même temps, il met à mal la fonction publique, prévoyant la suppression de 1 089 postes, alors que l'Etat emploie 2,3 millions d'agents et que 54 000 d'entre eux doivent partir à la retraite cette année et 59 800 l'an prochain. Son objectif est de ne remplacer qu'un agent sur deux. La simplification administrative ne se fera pourtant pas sans des personnels formés à de nouvelles méthodes de travail.

De manière générale, il n'y a pas lieu de discuter de ce texte qui vous accorderait les pleins pouvoirs. Si votre propos était celui que vous dites, vous n'auriez pas hésité en effet à nous soumettre un texte simplifiant réellement la vie de nos concitoyens, leurs préoccupations ne pouvant que nous toucher de près et notre souci comme le leur étant que la démocratie s'exerce de la manière la plus directe et la plus transparente possible. En revanche, donner un blanc-seing au Gouvernement ne figure pas au nombre de leurs attentes et nous ne pouvons donc décemment accepter de nous dessaisir de notre pouvoir législatif dans des domaines aussi vastes et divers.

C'est pourquoi, chers collègues de gauche comme de droite, si vous avez conscience de votre rôle, vous accepterez de voter cette question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Mme Muguette Jacquaint - Un vent de démocratie flotte dans cette volière ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Ce propos est désobligeant pour tous vos collègues.

M. le Secrétaire d'Etat - Votre défense de la question préalable, Monsieur Braouezec, montre que la mutation du parti communiste, dont nous avons vu les effets lors du dernier congrès, est achevée : vous avez brillamment défendu les droits formels, si longtemps décriés comme étant l'apanage de la démocratie bourgeoise, incapable de faire progresser les droits réels du prolétariat. Je me réjouis de cette conversion à la défense des droits du Parlement...

Plus sérieusement (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), une question préalable a pour objet de démontrer qu'il n'y a pas lieu de légiférer. Or, vous n'avez cessé de démontrer avec vigueur que notre projet de loi opérait une simplification sans précédent, touchant à une trentaine de lois et à une quinzaine de codes. Au-delà, nous n'avons pas la même conception du Parlement.

Mme Muguette Jacquaint et M. Patrick Braouezec - C'est certain !

M. le Secrétaire d'Etat - Vous nous avez accusés de faire du Parlement un théâtre d'ombres. Or, je reste persuadé que le Parlement consacre beaucoup de son temps à des jeux que comprend mal l'opinion publique. Nous avons reçu des Français mandat de simplifier, et nous le faisons. Ce projet est une première étape, qui sera suivie d'autres. Là est la vocation de la loi d'habilitation. Le Parlement peut habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour la réalisation de son programme, et la simplification est justement au c_ur de ce programme. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », dit l'adage. Ce projet a pour ambition de revenir à l'esprit et à la lettre de la VRépublique, qui définit limitativement, par l'article 34 de la Constitution, les matières d'ordre législatif.

Pour toutes ces raisons, la question préalable est sans objet.

M. le Président de la commission - Cette loi d'habilitation a le mérite, par le simplification juridique qu'elle opère, d'_uvrer à une sécurité juridique, d'autant plus importante que tous se plaignent, juristes ou non, de la surabondance de textes, parfois contradictoires.

L'administration est au service des Français et a pour but, pour citer Bossuet, de rendre les peuples heureux. On en est loin, si l'on en croit ce que disent, lorsqu'on les interroge, nos concitoyens sur leur administration et sur le maquis des lois et règlements.

Par ailleurs, la simplification rapproche les Français de la loi. S'ils se plaignent de son abondance, ils sont les premiers à en réclamer une nouvelle dès qu'un problème se pose. Trop de textes législatifs sont dès lors des lois de circonstances, sans autre but que de répondre à des questions ponctuelles, sans obéir à une vision globale.

Quant à la codification, pourtant indispensable à tous ceux qui veulent connaître l'étendue de leurs droits, je suis ahuri de voir à quel point le Parlement est lent ! Autoriser le Gouvernement à codifier par voie d'ordonnance n'enlève rien aux prérogatives du Parlement, qui s'est contenté jusqu'à présent face à tant de complexité, d'entériner ce qu'on lui proposait.

Quant aux autres points, l'ordonnance est rendue nécessaire par la diversité des sujets abordés. Si j'ai une recommandation à vous dire, Messieurs les ministres, c'est celle-ci : de l'audace ! (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Car l'administration n'appréciera pas qu'on la dessaisisse de certains de ses pouvoirs. Mais de la prudence aussi : pour prendre l'exemple du vote par correspondance, délégué au maire, il est indispensable d'agir en toute transparence pour garantir la sécurité juridique. Enfin, je profite de la présence du Président de l'Assemblée nationale dans l'hémicycle pour suggérer que soit expérimentée son idée de constituer une mission d'information en vue du débat de ratification, débat qui devra impérativement avoir lieu, compte tenu de l'ampleur du champ qui sera couvert par les ordonnances.

Rappelons, enfin, que tous les gouvernements ont eu recours à l'article 38 de la Constitution : en 2001, le gouvernement précédent a ainsi demandé l'habilitation du Parlement pour transposer une cinquantaine de directives européennes.

M. Patrick Braouezec - Et vous avez protesté !

M. le Président de la commission- Oui, mais contre la lenteur de notre pays à transposer ! La France est d'ailleurs toujours en retard sur les autres pays et j'invite le Gouvernement à ne plus perdre de temps, sous peine de devoir encore transcrire des directives par voie d'ordonnance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Leonetti - La question préalable nous invite à nous demander s'il y a bien lieu de légiférer. Or, M. Braouezec a démontré combien cela était nécessaire, tant l'incompréhension des Français est profonde face à la complexité de l'administration complexe et à la multiplicité des textes. En bon communiste...

M. Patrick Braouezec - Comment savez-vous si je suis un bon communiste ? (Rires)

M. Jean Leonetti - ...vous commencez par un appel à la démocratie, et vous terminez par un discours conservateur, assorti de nombreuses leçons à tout le monde ! Vous dénoncez la situation actuelle, mais en refusant toute évolution. Vous pratiquez la participation sans soutien, et votez systématiquement contre tous les recours à l'article 38.

L'article 38 ne vous plaît pas ? Mais il ne plaît à aucun d'entre nous de nous dessaisir du pouvoir législatif, et nous ne devons le faire que d'une main tremblante, et en exerçant des contrôles a posteriori efficaces. Aussi bien le rapporteur que le président de la commission nous ont rassurés sur ce point.

Pour être moi-même issu de la fonction publique hospitalière, je peux témoigner de ce que les lourdeurs administratives ont fini par détourner les soignants de l'hôpital, et je sais que l'allégement des contraintes les y réorientera. Plus généralement, l'anniversaire du 21 avril devrait nous inciter à réfléchir, une nouvelle fois, à ce que les Français ont exprimé de lassitude par leur abstention ou par leur vote extrémiste. C'est notre inefficacité collective qu'ils nous ont reprochée, et cet empilement ininterrompu de lois, dont le nombre même empêche qu'elles soient connues et, parfois, appliquées.

D'évidence, la question préalable n'a de légitimité ni de forme, ni de fond. Elle doit donc être repoussée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Lambert - Vous avez, Monsieur le ministre, levé le voile sur votre conception de la simplification, qui consiste, notamment, à supprimer le débat au Parlement (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Nous ne pouvons évidemment partager ce point de vue, et nous avons d'ailleurs entendu le président de la commission faire siennes certaines des critiques formulées tant par mon collègue Braouezec que par moi-même, notamment sur la portée sans précédent du projet d'habilitation, qui autorisera le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur de multiples sujets sans que le Parlement ne puisse réellement, en l'état actuel, contrôler par la suite la manière dont auront été exercées les prérogatives dont il est dessaisi.

Le groupe socialiste considère, comme M Braouezec, que certaines des dispositions du projet sont dangereuses. Il votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Patrick Braouezec - Le groupe communiste a, sur certains points, la même analyse que le rapporteur et le ministre...

M. Bernard Accoyer - Là n'est pas la question !

M. le Président - Laissez s'exprimer M. Braouezec, qui est libre d'expliquer comme il l'entend le vote du groupe communiste.

M. Patrick Braouezec - Personne ne conteste en effet la nécessité de simplifications administratives (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Ce que nous constestons, c'est le moyen choisi, qui ne permet pas le débat et qui ne permet pas, surtout, de prendre la mesure exacte des dispositions décidées par ordonnances. Il a beaucoup été question de « lourdeurs administratives ». Une fois encore, il apparaît que nous ne rencontrons pas les mêmes gens. Ceux auxquels j'ai affaire se plaignent de « lourdeurs », certes, mais il s'agit de tout autre chose : de difficultés pour trouver un logement, un emploi...

M. Bernard Accoyer - Que fait le maire ?

M. Patrick Braouezec - Pour l'emploi, que puis-je faire ? S'agissant du logement, je peux, si vous le souhaitez, engager immédiatement un débat bienvenu sur ce que devrait être le logement social en France - mais le voulez-vous vraiment ?

Vous prétendez que nous voudrions que rien ne change. C'est faux. Ce que nous voulons, c'est que les changements se fassent en concertation avec tous les intéressés, y compris les administrations considérées. Il est en effet illusoire de penser que les réformes pourront être menées à bien sans qu'un débat ait eu lieu sur les moyens et les personnels.

Enfin, vous nous avez affirmé que les sujets abordés dans le projet reviendraient devant le Bureau, puis devant le Parlement. Dans ce cas, pourquoi ne pas aborder ce train de mesures dans un projet librement débattu ? Et puis, il est vrai que souvent des lois sont adoptées qui sont conjoncturelles. Mais ces textes ne sont-ils pas, pour 95 %, d'origine gouvernementale ? Un débat aurait dû avoir lieu sur les conditions de la pérennité et de l'application du corpus législatif. Parce que cela nous est refusé, la question préalable doit être adoptée (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Sauvadet - Je comprends mal le sens de l'intervention de notre collègue Braouezec. Il faut tirer les enseignements du choc du 21 avril, de cette élection qui a fait apparaître la montée des frustrations, liées au fait qu'en dépit des alternances, les choses ne changent pas. Nous devons écouter nos concitoyens, et simplifier ce qui doit l'être, comme ils le souhaitent. Cela vaut pour les artisans, dont la vie quotidienne doit être allégée du poids de l'administration, au bénéfice de l'emploi. Cela vaut aussi pour le vote par procuration, car nul ne peut nier qu'en faciliter l'exercice sera utile à la démocratie française.

Le groupe UDF soutient donc le Gouvernement dans sa volonté clairement affichée de simplification administrative, d'autant que, contrairement à ce que vous affirmez, le débat aura lieu sur le fond, c'est-à-dire sur la mission que nous confions au Gouvernement pour parvenir à l'objectif auquel nous souscrivons.

Nous savons que la volonté de simplifier peut se heurter à la résistance au changement dans les administrations, le président de la commission l'a souligné à juste titre. Notre rôle est donc de faire en sorte que la volonté de changement trouve un prolongement effectif. C'est dire l'importance du rôle de la MEC. Un effort collectif s'impose pour débroussailler le maquis des lois. Engageons-nous donc dans cette voie et, puisque le Gouvernement manifeste une volonté politique certaine, ne boudons pas notre plaisir, et simplifions la vie des Français, comme ils attendent que nous le fassions.

Cela étant, le groupe UDF considère, comme le président de la commission, que nous devons modifier notre manière de légiférer, en réalisant des études d'impact préalables à toute présentation de nouveaux textes et en spécifiant systématiquement à quels textes se substitue chaque nouvelle loi. Tous les gouvernements doivent s'astreindre à de sérieux efforts en ce sens, car il n'est satisfaisant pour personne que des lois votées ne soient pas appliquées. Nous devons donc progresser ensemble et, pour cela, nous engager dans le débat en repoussant une question préalable, dont je ne veux pas croire qu'elle a été déposée avec l'espoir que rien ne change (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean Leonetti - Le projet qui nous est présenté est vaste et ambitieux car il a à la fois pour but de simplifier la vie de nos concitoyens et de réformer l'Etat.

Le citoyen rencontre tous les jours des difficultés face à des règles mal établies ou mal appliquées, souvent complexes et quelquefois contradictoires. Il voit ses initiatives contrariées par un droit hésitant, souvent incompréhensible, même pour des spécialistes. Il constate que les réponses administratives à ses interrogations sont tardives, éloignées de la réalité, indifférentes à ses problèmes.

Pourquoi le droit est-il si complexe ? Pourquoi la confusion des règlements s'est-elle substituée à la clarté de la norme ? On peut y voir plusieurs raisons.

La première, c'est la tendance du législateur à faire une loi bavarde, qui s'affiche plus qu'elle ne dit le droit. La seconde réside dans l'incapacité de notre culture administrative, conservatrice, de supprimer une règle, une instance ou un organisme, même s'ils apparaissent inutiles ou obsolètes et pourraient être avantageusement remplacés. La troisième tient au besoin excessif de recueillir les avis d'experts et d'organismes divers. En quatrième lieu, nos concitoyens réclament plus d'équité, plus de sécurité, plus de social, plus de justice, et demandent à la loi de s'adapter à chaque situation particulière. Or, la loi qui s'adresse à chacun ne s'applique plus à tous. Enfin, le droit européen et la mondialisation sont venus ajouter à cette complexité celles d'un nouvel espace de décision.

Cette situation si souvent dénoncée est-elle irréversible ? Les tracasseries administratives constituent-elles un mal français incurable ? Nous ne le pensons pas, et c'est la raison pour laquelle nous approuvons le présent texte.

Certes, il peut sembler paradoxal que les députés se dessaisissent d'une partie de leur pouvoir législatif. Mais quand on doit simplifier, il faut aller vite, ce que le calendrier parlementaire normal ne permettrait pas. J'ajoute que les problèmes à traiter sont essentiellement techniques. D'autre part, le Gouvernement a marqué sa volonté de concertation avec les parlementaires et avec les citoyens, tant en amont des ordonnances qu'en aval.

Ce texte d'habilitation nous fait entrer dans une culture de l'efficacité. Par exemple lorsqu'il propose d'abréger les délais de réponse des administrations ou lorsqu'il leur demande de mettre en commun les informations dont elles disposent afin d'éviter qu'un usager ait à les transmettre à chacune d'elles. Efficacité encore lorsqu'on supprime des commissions qui ne se réunissent que rarement ou que pour la forme, et qui alourdissent la vie administrative sans pour autant faire vivre la démocratie. Souvent d'ailleurs, le quorum n'y est même pas atteint...

La simplification n'est pas l'absence de démocratie, elle remplace au contraire des instances passives par des forces de proposition, en nombre plus limité mais qui apportent plus à la démocratie.

La simplification n'est pas non plus l'affaiblissement de la loi, elle en est au contraire la réhabilitation et restitue de l'autorité à ceux qui sont chargés de l'appliquer. Nous sommes par exemple favorables à une intervention plus directe du préfet sur les administrations publiques en vue d'un surcroît d'efficacité.

A travers cette loi, nous devons entrer dans une société de confiance.

Dans cette société, le citoyen pourra voter par procuration après une simple déclaration sur l'honneur. Dans le même état d'esprit, nos compatriotes nés hors de l'Hexagone ne subiront plus l'humiliation d'avoir chaque fois à prouver leur appartenance à la nation française. Je pense en particulier aux rapatriés d'Algérie et aux harkis.

M. François Sauvadet - Très bien !

M. Jean Leonetti - Dans cette société, le contribuable n'aura plus à fournir a priori les pièces justificatives nécessaires à l'établissement de sa déclaration d'impôts. On sortira ainsi de cette présomption de fraude vis-à-vis du fisc pour retourner dans le droit commun de la présomption d'innocence.

Ce projet nous fait aussi entrer dans une société de plus grande liberté. La mise en place d'un guichet unique de recouvrement des cotisations et contributions sociales pour les artisans et commerçants et d'un titre emploi simplifié libérera les énergies nécessaires à la compétition et la production de richesses. La liberté, c'est aussi celle d'agir dans le cadre d'un partenariat public-privé élargi et transparent afin de moderniser au plus vite, mieux et moins cher nos équipements hospitaliers.

C'est également une loi faisant appel à la responsabilité, celle de l'administration qui s'engage à être plus efficace en adaptant ses structures aux objectifs et en acceptant une culture d'évaluation, et celle du citoyen qui, mieux informé d'une loi rendue plus lisible et plus accessible par la codification, déclarera sur l'honneur certains éléments requis par l'administration.

Les bons élus, il y a peu de temps encore, étaient ceux qui attachaient leur nom à une loi ou qui obtenaient une augmentation budgétaire. Aujourd'hui, il nous faut entamer une révolution culturelle pour allier dans une démarche d'efficacité le pragmatisme et l'idéal de liberté et de responsabilité. C'est à ce prix que nos concitoyens retrouveront la confiance dans la chose publique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. René Dosière - Légiférer par ordonnances, c'est enlever au Parlement une grande partie de ses prérogatives. Chaque fois qu'un tel dessaisissement nous est proposé, je suis particulièrement mal à l'aise car je considère que c'est attenter à la démocratie (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La procédure parlementaire se déroule, elle, en public et de façon transparente, elle permet le débat et la contradiction.

On me dira que la Constitution prévoit cette possibilité de légiférer par ordonnance. Certes, mais on sait bien que la Constitution de la Ve République affiche clairement son intention d'affaiblir le Parlement au bénéfice de l'exécutif. J'étais donc et je reste en désaccord avec cet esprit - et même cette lettre - de la Constitution.

On me dira aussi que tous les gouvernements ont parfois procédé ainsi. Notre rapporteur faisait notamment référence aux ordonnances de 1982 et de 1983, mais on pouvait aussi citer celles de 1996 et de 2002. Quoi qu'il en soit, c'est une curieuse attitude que celle qui consiste à justifier ses turpitudes par celles des autres !

Le jour où tous ceux qui disent vouloir revaloriser le Parlement renonceront à l'abaisser dans la pratique, et où les discours des opposants resteront inchangés après leur passage dans la majorité, ce jour-là nos concitoyens reprendront peut-être confiance dans leurs représentants nationaux. Ce n'est pas rêver que d'y songer, car l'expérience a montré que des progrès en ce domaine étaient possibles. Ainsi, Lionel Jospin avait promis de ne pas utiliser l'article 49-3, cet article qui constitue la forme la plus parfaite de dessaisissement de l'Assemblée nationale puisqu'il lui interdit toute discussion. Eh bien, en cinq ans de législature, il a tenu parole !

M. Jean Leonetti - Nous n'avons jamais déposé 10 000 amendements !

M. René Dosière - Nous verrons combien de fois il y sera fait recours sous cette législature...

Le texte qui nous est présenté aujourd'hui est unique par son ampleur et par sa complexité. MM. Lambert et Braouezec l'ont suffisamment démontré, je n'y reviens pas et m'en tiendrai seulement à deux aspects.

Les procédures électorales, d'abord. Faciliter le vote par procuration, pourquoi pas ? Mais si ce sont les mairies qui délivrent les procurations, ce sera la porte ouverte à la fraude électorale (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Leonetti - Pourquoi ? Les maires sont-ils tous des corrompus ?

M. René Dosière - La fraude existe déjà : chacun a en tête des exemples fameux, pas très loin d'ici... (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe UMP)

Harmoniser les modalités de démission d'office des conseillers généraux ne pose en revanche aucun problème.

Modifier les modalités du financement des campagnes électorales est beaucoup plus dangereux. La possibilité qui est envisagée de recevoir des dons après la clôture du scrutin risque d'entraîner des dérives : on imagine ce qui pourra se passer une fois que le vainqueur sera connu... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Avec l'article 4, le Gouvernement souhaite remettre en cause les règles de construction des bâtiments et équipements publics, auxquels il envisage d'étendre les procédures dérogatoires à la loi sur la maîtrise d'ouvrage publique et au code des marchés publics, en confiant à des entreprises privées la conception, la réalisation, la gestion et l'exploitation.

S'il est vrai que les délais des opérations sont parfois excessifs et les coûts mal maîtrisés, la solution n'est pas dans une procédure qui fera disparaître l'indépendance et la responsabilité de la maîtrise d'_uvre, et qui nous fera revenir à des méthodes à l'origine de scandales politico-financiers comme celui des marchés des lycées d'Ile-de-France.

En outre, seuls quelques groupes, en nombre très limité, disposeront des structures nécessaires pour se voir confier ce type de contrats ; les artisans et les PME ne pourront être que leurs sous-traitants. Or la réforme de 2001 visait précisément à encadrer les marchés d'entreprises de travaux publics, en exigeant que les contrats soient découpés en lots séparant conception, réalisation et maintenance, afin de permettre aux PME d'accéder plus facilement aux appels d'offres. Les nouvelles dispositions risquent d'aboutir à une déstructuration du tissu régional des PME du bâtiment, avec de lourdes conséquences pour l'emploi. L'autre risque est celui d'ententes entre les grands groupes. On comprend que les artisans et les architectes soient particulièrement inquiets...

Pour l'ensemble de ces raisons, je ne peux qu'être hostile à ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Sauvadet - Ce texte affiche une ambition que nous ne pouvons que partager, puisqu'il s'agit de simplifier la vie des Français. On en parle depuis tant d'années qu'il est urgent de le faire...

Certes la technique des ordonnances ne nous enchante pas, mais elle permet sans doute de gagner du temps. Le débat aura quand même lieu puisque nous allons discuter d'une centaine d'amendements pour définir le champ de l'habilitation.

Paradoxalement, c'est compliqué de simplifier. Il est de bonne méthode d'associer à cette tâche l'ensemble des acteurs concernés, comme vous l'avez fait, Monsieur le ministre. Il vous faudra néanmoins du courage et de la détermination ; nous avions par exemple proposé, dans le cadre du texte sur l'initiative économique, un guichet unique, ce qui a provoqué des réactions d'incompréhension de la part des professionnels... Nous présenterons à ce sujet un amendement pour donner aux différentes catégories de travailleurs non salariés non agricoles la possibilité de choisir l'organisme qui sera chargé de créer ce guichet unique ; simplification ne veut en effet pas dire uniformisation.

Je me réjouis de la mise en place d'un guichet unique pour les chasseurs ainsi que d'un titre emploi simplifié pour les secteurs de l'hôtellerie-restauration et du bâtiment.

Quant à la simplification du vote par procuration, s'il peut contribuer à faire que des électeurs reviennent vers les urnes, je suis pour, et le groupe UDF l'est avec moi...

S'agissant des entreprises, nous avons bien sûr des propositions de simplification des formalités, ainsi que des bulletins de paie, qui sont chez nous particulièrement compliqués...

Un sujet nous tient spécialement à c_ur : l'impôt à la source. Les Français le veulent, l'Europe l'a fait... Nous déposerons un amendement à ce sujet.

Permettez-moi enfin de vous dire que la meilleure façon de simplifier est de ne pas complexifier... Nous légiférons trop, nous empilons les textes, certains d'entre eux n'ont pas de caractère véritablement normatif mais relèvent plutôt d'une déclaration d'intention. Le groupe UDF souhaite que chaque projet de loi soit précédé d'une véritable étude d'impact ; il aimerait aussi que l'on s'assure que les lois votées sont applicables et appliquées. Il est indispensable de renforcer notre contrôle de la bonne exécution de la loi.

En matière d'évaluation, nous avons des outils que nous n'utilisons pas. Un office d'évaluation de la législation a été créé en 1996 ; j'en suis membre, mais il ne s'est pas réuni...

Nous avions dit dans un rapport sur « l'insoutenable application de la loi » combien de lois n'étaient pas appliquées. Il ne suffit pas pour le Parlement de débattre, il faut aussi qu'il assure sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement !

Permettez-moi, pour conclure, d'évoquer quelques pistes. D'abord, les lois devraient faire l'objet d'un suivi en commission ou par un autre moyen, et nous devrions être informés de la parution des décrets d'application - dans un délai raisonnable, qui pourrait être de six mois. Il faudrait mieux programmer le travail législatif pour laisser aux commissions le temps de travailler.

Il faudrait aussi poursuivre le travail de codification pour mettre fin au sentiment d'insécurité juridique ressenti par les professionnels eux-mêmes. Les orientations que vous avez évoquées à cet égard doivent être poursuivies.

Simplifier le droit est une _uvre de longue haleine. Mais c'est la réforme de l'Etat qui est en jeu. Nous vous accompagnerons, en évaluant votre action. C'est dans cet esprit de confiance vigilante que nous voterons le texte et que nous en débattrons pour l'enrichir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint - À qui ferez-vous croire que le Gouvernement n'a pour but que de simplifier la vie de nos concitoyens, alors que les plans de licenciement se multiplient, que le droit à la retraite est remis en cause, que les dépenses de protection sociale diminuent ? Vous nous demandez un chèque en blanc pour légiférer à votre convenance, et annoncez même le dépôt d'autres projets d'habilitation à l'automne, puis chaque année ! La droite dispose pourtant de tous les pouvoirs, mais son appétit est insatiable.

Le souci de simplification fait certes l'unanimité. Mais cet allégement, cette mise en cohérence du droit relève des missions du Parlement et non de techniciens ministériels. Le Parlement n'est d'ailleurs pas responsable de l'inflation de textes, puisque 95 % des lois sont d'origine gouvernementale. Votre gouvernement pense-t-il avoir simplifié la vie des Français en imposant l'immatriculation des scooters et en renforçant le contrôle des attestations d'accueil des étrangers ? La simplification est à géométrie variable. Jusqu'ici vous avez surtout simplifié les licenciements en abrogeant les modestes garde-fous que comportait la loi de modernisation sociale, et vous êtes revenus sur le contrôle de l'utilisation des fonds publics par les entreprises.

Les domaines concernés sont d'une diversité sans précédent. Au-delà de la simplification des rapports avec l'administration, on touche à la passation des marchés publics, à la validation des permis de chasse, au chèque emploi-service, aux procédures électorales, à la réorganisation du système de santé, au droit du travail. Il est également prévu de créer quatre nouveaux codes. Nous ne pouvons admettre une telle délégation de pouvoir au Gouvernement dans des domaines aussi variés et aussi sensibles. Selon le président de la commission des lois lui-même, c'est un dessaisissement du Parlement sans précédent par son ampleur. D'ailleurs la diversité des dispositions aurait nécessité la saisine d'autres commissions.

L'objectif n'est donc pas de simplifier la vie des gens, mais plutôt de simplifier celle du Gouvernement en l'affranchissant du contrôle démocratique.

L'article 4 est particulièrement inquiétant, puisqu'il autoriserait le Gouvernement à créer une nouvelle forme de contrat entre les personnes publiques et les personnes privées pour une mission globale de conception, réalisation, exploitation et éventuellement financement d'ouvrages publics. De telles missions n'étant accessibles qu'aux entreprises générales et grands groupes du BTP, les entreprises artisanales en seraient écartées, de même que les entreprises de second _uvre et les architectes, qui demandent l'abrogation de cette disposition.

L'expérience des contrats globaux est très négative. De nombreuses affaires, comme celle des lycées d'Ile-de-France en 1991 ont montré qu'ils donnent lieu à des dérives graves, voire à des faits de corruption. Ils sont également coûteux pour la collectivité. La division par lots facilite la concertation et la réalisation sur mesure par des entreprises artisanales, au bénéfice de la qualité et de l'emploi. Les entreprises générales, en revanche, réalisent des projets standardisés, font appel à la sous-traitance en cascade, ce qui augmente le contentieux, donc les pertes de temps et d'argent. Nous demanderons la suppression de cet article 4.

Le recours aux ordonnances est également inacceptable dans le domaine social, où discussion publique et contrôle parlementaire doivent suivre la concertation avec les partenaires sociaux. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs imposé la suppression, à l'article 20, d'un « notamment » qui laissait le champ libre au Gouvernement pour abroger toute disposition du code du travail jugée obsolète. Sous couvert de simplification, il s'agissait là encore de diminuer les droits des salariés.

Pour simplifier la vie quotidienne, mieux aurait valu confier le travail aux élus, qui en connaissent les difficultés. En demandant à procéder par ordonnances vous voulez avoir les mains libres pour réglementer à votre guise sur des sujets comme les marchés publics ou le droit du travail. Nous voterons donc contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, mercredi 9 avril, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 9 AVRIL 2003

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 710) portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de simplification et de codification du droit.

M. Etienne BLANC, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

(Rapport n° 752).

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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