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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 88ème jour de séance, 212ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 21 MAI 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

DÉFENSE DE L'EXCEPTION CULTURELLE 2

SITUATION DES SERVICES URGENTISTES
D'ILE-DE-FRANCE 3

RÉFORME DES RETRAITES 3

ÉDUCATION NATIONALE 4

ENFANTS DISPARUS 5

GRÈVE DES MÉDECINS URGENTISTES 6

RÉFORME DE L'ÉDUCATION NATIONALE 6

MENACES DE BOYCOTT DES PRODUITS FRANÇAIS
AUX ÉTATS-UNIS 7

CANDIDATURE DE PARIS
AUX JEUX OLYMPIQUES DE 2012 8

INDEMNISATION DES VICTIMES
DE LA POLLUTION DU PÉTROLIER
PRESTIGE 8

CLASSES D'INTÉGRATION 9

INDEMNISATION DES POLLUTIONS PÉTROLIÈRES 10

ADAPTATION DE LA JUSTICE AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ 10

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 21

QUESTION PRÉALABLE 28

ERRATUM 37

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

DÉFENSE DE L'EXCEPTION CULTURELLE

M. Pierre-Christophe Baguet - Monsieur le ministre de la culture et de la communication, tandis que notre pays se prépare à des réformes d'envergure, l'Europe poursuit son chemin, et l'UDF appelle l'attention du Gouvernement et de la représentation nationale sur les enjeux culturels de la négociation en cours à Bruxelles. Suite aux travaux de la Convention de l'Europe, vous avez réaffirmé votre volonté de défendre le principe de l'exception culturelle et la règle de l'unanimité en matière de politique commerciale extérieure commune pour les services audiovisuels et culturels, faisant ainsi écho à Jacques Chirac qui a déclaré que la culture ne devait pas plier devant le marché.

L'UDF se félicite de cette position, car elle est profondément attachée à la notion de la diversité culturelle, et à cet acquis européen depuis les négociations du GATT en 1994.

Pour nous, la culture des images n'est pas une marchandise ordinaire. Le passage à la majorité qualifiée, sans débat ni réflexion préalable, serait dangereux et incohérent : règle de l'unanimité à l'intérieur de l'Europe, majorité qualifiée à l'extérieur par le biais de l'OMC. Votre position, Monsieur le ministre, ne semble malheureusement pas faire l'unanimité, notamment à Bercy. Y aurait-il un décalage entre les mots et les actes ? Concrètement, qu'allez-vous faire ?

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - En décembre 2002, le gouvernement français a déposé une contribution à la Convention pour inscrire dans les objectifs de l'Union la défense de la diversité culturelle, dans toutes les politiques de l'Union, ainsi que dans ses relations extérieures.

En février dernier, la France a vivement réagi aux propositions du présidium, qui n'accordait qu'une place résiduelle à la culture, et envisageait le passage à la majorité qualifiée pour les décisions commerciales extérieures dans le domaine des services culturels et audiovisuels. La France est attachée au principe de l'unanimité, seul à même de protéger les intérêts de nos industries culturelles et audiovisuelles.

Aujourd'hui, les pressions commerciales sont fortes, en particulier de la part des Etats-Unis, et certains pays de l'Union y sont sensibles.

Le Président de la République a écrit à M. Giscard d'Estaing pour lui rappeler l'importance de préserver la règle de l'unanimité. De mon côté, j'ai obtenu, la semaine dernière, lors du festival de Cannes, qu'une quinzaine de ministres de la culture de l'Union européenne ou de pays entrants signent une déclaration en faveur de l'unanimité, et celle-ci a été approuvée par Michel Rocard, président de la commission de la culture du Parlement européen, et par Mme Reding, commissaire européenne.

De surcroît, la France a reçu de nombreux soutiens, puisque quarante-sept amendements ont été déposés par divers conventionnels.

Enfin, M. de Villepin, ministre des affaires étrangères, s'est exprimé dans ce sens la semaine dernière, au cours de la séance plénière de la Convention. Il n'y a donc aucune raison d'être pessimiste, nous nous battons pour obtenir gain de cause.

SITUATION DES SERVICES URGENTISTES D'ILE-DE-FRANCE

Mme Jacqueline Fraysse - Monsieur le ministre de la santé, les hôpitaux sont en effervescence, et le personnel inquiet, à juste titre, face au projet gouvernemental sur les retraites, et au problème des effectifs. La situation des services d'urgence d'Ile-de-France est particulièrement préoccupante. Ils sont en grève pour protester contre le manque de moyens, de médecins et de personnel. Les médecins assurent souvent 70 heures hebdomadaires, au lieu des 48 réglementaires. Comment, dans ces conditions, s'occuper correctement de patients qui attendent parfois pendant des heures ? Sans compter les difficultés pour trouver un lit d'hospitalisation du fait des restructurations.

Les médecins urgentistes et les chefs de service évaluent entre 500 et 1 000 le nombre de postes à créer pour la seule Ile-de-France. Réaliste et responsable, l'AMUHF, syndicat d'urgentistes, demande la création immédiate de 150 postes pour la région parisienne, où les problèmes sont les plus criants.

Allez-vous les entendre, ou prendrez-vous le risque de voir la situation se dégrader encore cet été ? Certes, vous avez relevé le numerus clausus des médecins (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), mais nous sommes loin du compte. Il y a urgence à ouvrir plus largement les voies de formation des médecins et de l'ensemble des personnels soignants. Y êtes-vous prêt ?

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Le problème des urgences est d'abord un problème humain : 13 millions de passages par an, 11 millions d'appels vers le SAMU - avec une augmentation régulière de 5 à 6 % par an -, et des conditions de contraintes et de pénibilité qui expliquent les mécontentements et les revendications.

C'est vrai, il y a une pénurie de personnels médicaux et soignants. C'est vrai, il y a un désengagement de la médecine de ville dans la permanence des soins. Mais il est vrai aussi que la réduction du temps de travail n'a pas facilité les choses ! (Approbation sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Rappelons que le protocole signé par le précédent gouvernement le 22 octobre 2001 laissait deux mois pour que le dispositif des 35 heures prenne effet au 1er janvier 2002, et un an pour que la directive européenne intégrant les gardes dans le temps de travail soit opérationnelle au 1er janvier 2003 - soit 20 % de travail en moins en quelques mois ! L'hôpital a été maltraité, et les urgences ont été les premières à en souffrir.

Alors quelles mesures prendre ? J'ai signé un protocole d'accord avec les quatre syndicats de praticiens hospitaliers, en janvier, et l'arrêté garantissant le paiement des gardes et des plages additionnelles a été publié le 30 avril.

Concernant les urgences, je me suis engagé sur la création d'une spécialité d'urgentiste au 1er septembre 2004. En outre, les filières de spécialistes impliquées - réanimateurs, pédiatres, chirurgiens, obstétriciens - seront augmentées.

Enfin, avec les 1 000 postes créés en 2002 et publiés en mars 2003, et les 1 000 postes créés pour 2003 dans la même liste, nous avons tenu notre promesse de créer 2 000 postes, dont 30 % iront aux urgences (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

RÉFORME DES RETRAITES

M. Céleste Lett - Monsieur le ministre de la fonction publique, nous attendons beaucoup de la réforme des retraites. Mais chacun a sa vérité, la rumeur s'insinue et nos concitoyens s'y perdent. Dans la fonction publique, le doute s'installe et suscite incompréhension et angoisse (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Tous le reconnaissent ici : il y a urgence à sauver notre système par répartition, M. Fillon et vous-même vous y employez (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Pourtant, sur le terrain, policiers, enseignants et d'autres craignent de perdre 30 % de leur pension (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et de devoir travailler jusqu'à 70 ans ou plus.

Face à ces rumeurs, qui touchent à la désinformation (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), nourries par les immobilistes d'hier et les donneurs de leçons d'aujourd'hui, l'ensemble de nos concitoyens et la représentation nationale ont besoin d'une explication franche et rassurante.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire - C'est vrai, la grandeur du politique est de débattre des objectifs et des conséquences individuelles de nos choix. Mais je condamne ceux qui répandent de faux arguments pour mieux camoufler la faiblesse de leur démonstration (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Qui peut avoir peur de la vérité ? Notre contrat avec les fonctionnaires est clair : travailler un ou deux ans de plus pour préserver leur pension, voire l'améliorer (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Un gardien de la paix de 50 ans, s'il prend sa retraite à 53 ans, touchera une pension de 1 771 €, portée à 1 893 € s'il travaille deux ans de plus. Un professeur certifié de 57 ans, qui prendrait sa retarite à 60 ans, partirait avec une pension de 2 127 €, portée à 2 206 € s'il travaille deux ans de plus. Dire qu'il va devoir travailler jusqu'à 70 ans est faux !

Plusieurs députés UMP - Alors ! (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Ministre - En outre, vous confondez durée d'assurance et durée de travail. Le rachat d'études... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - Un peu de calme !

M. le Ministre - ...ou la bonification pour enfants permettent de racheter des années de cotisation. Notre contrat est très clair, et la vérité est l'arme des justes. C'est le mensonge qui est l'arme des faibles... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

ÉDUCATION NATIONALE

Mme Françoise Imbert - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, une fois de plus, vous avez pris pour une aimable discussion de salon la négociation que les syndicats enseignants vous demandent (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Les enseignants veulent retrouver les moyens de travailler dans la sérénité. Vous leur répondez restrictions budgétaires, suppressions de postes et abandon du plan annuel de recrutement. En décidant de transférer 110 000 agents aux collectivités locales, vous les traitez comme des pions que vous déplacez au gré de vos objectifs budgétaires (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Nous ne voulons pas de votre décentralisation prétexte. N'utilisez pas les rares excès, que d'ailleurs nous condamnons, pour dresser les Français contre le personnel de l'Education nationale, qui est en train de défendre l'avenir de l'école et celui des enfants.

Plusieurs députés socialistes - Eh oui !

Mme Françoise Imbert - Vous provoqueriez une explosion de colère dont vous porteriez seul la responsabilité. Le Gouvernement oublie les valeurs républicaines. Allez-vous enfin écouter tous ceux qui défendent l'école, organisations syndicales ou parents d'élèves, et retirer votre projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président Je vous demande un peu de calme.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Je voudrais vous expliquer la procédure que nous mettons en place. Xavier Darcos et moi avons reçu les organisations syndicales hier soir et ce matin pour préparer le comité interministériel qui se tiendra le 27 mai sous la présidence du Premier ministre, dès son retour du Canada. Les consultations se déroulent dans une atmosphère constructive. Nous en présenterons les résultats au Premier ministre et il arrêtera lui-même les décisions qui nous permettront de reprendre immédiatement les négociations avec les organisations syndicales. Cela me semble être de bonne pratique dans une situation de conflit social (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Je voudrais toutefois souligner qu'il est totalement inacceptable de prendre les élèves en otages. Nous ne l'accepterons pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Les parents d'élèves peuvent compter sur nous pour cela. Les autorités académiques ont reçu des instructions claires pour assurer le bon déroulement des examens. Je rends hommage aux enseignants qui, même en grève, assument leurs responsabilités. Ils ont compris que l'opinion publique n'accepterait pas qu'on prenne les élèves en otages.

Par ailleurs, si le malaise enseignant est devenu ce qu'il est, c'est bien parce que l'on n'a jamais, durant des années, osé dire les vérités qui dérangent ni eu le courage de faire les réformes qui s'imposaient (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ne pas réformer aujourd'hui ne serait pas une erreur, ce serait une faute. Ne comptez pas sur nous pour la commettre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

ENFANTS DISPARUS

M. Michel Diefenbacher - Personne, en France, n'a oublié la petite Marion, qui a disparu depuis six ans. Malgré la mobilisation des enquêteurs, des médias et des associations, aucun indice n'est apparu. Mais Marion n'est pas seule. L'an dernier, 500 disparitions d'enfants ont été constatées, en plus de 50 000 fugues. Ces chiffres sont en augmentation, de même que les enlèvements parentaux, qui se sont montés à 620 en 2002, contre 469 l'année précédente.

Cette évolution est alarmante. Dimanche prochain, la fête des mères sera aussi la première journée internationale des enfants disparus. Les associations proposeront contre l'oubli un myosotis symbolique. Mais au-delà de la mobilisation des Français, les pouvoirs publics agissent. Qu'envisagez-vous pour inverser les chiffres, secourir les enfants menacés et renforcer la lutte contre ce fléau abominable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je voudrais d'abord adresser une pensée particulière aux familles qui ont vécu de telles situations. Dans la perspective du 25 mai, journée des enfants disparus, Christian Jacob et moi-même avons reçu les associations qui apportent leur soutien aux familles. Elles sont aptes à nous sensibiliser à certains aspects, à nous donner des informations et nous voulons travailler en étroite collaboration avec elles pour mieux définir nos orientations. Je voudrais également rendre hommage aux services d'enquête du ministère de l'intérieur, qui mènent leur action, dans chaque cas, avec le plus grand acharnement.

Le 9 septembre, vous avez, en votant la loi d'orientation sur la justice, permis aux procureurs de la République d'ouvrir des enquêtes même en l'absence d'un soupçon de caractère pénal. Depuis septembre, vingt-quatre enquêtes ont été ouvertes dans ce cadre pour rechercher des enfants disparus. Je vous proposerai deux éléments complémentaires dans le texte dont la discussion commencera tout à l'heure : le renforcement des sanctions contre les réseaux de trafic des êtres humains, et celui des moyens de procédure à la disposition des procureurs et des services d'enquête.

Enfin, nous devons améliorer, texte après texte, l'information des victimes. Par ailleurs, j'ai désigné au sein du ministère de la justice un magistrat chargé de coordonner l'ensemble des enquêtes concernant les mineurs disparus. Christian Jacob et moi mettons également en place un groupe de travail entre nos deux administrations pour réfléchir aussi à la prévention du phénomène de la fugue, qui concerne environ 50 000 mineurs par an - dont la plupart sont heureusement retrouvés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

GRÈVE DES MÉDECINS URGENTISTES

M. Didier Julia - Je voudrais revenir sur la grève qui a affecté les SMUR et les SAMU hier. Vous connaissez le dévouement illimité des médecins urgentistes, qui interviennent de jour comme de nuit, dans les situations les plus difficiles, face à tous les drames humains. S'ils ont décidé de faire grève, c'est que le problème est grave.

Il manque, tout d'abord, 3 000 médecins urgentistes en France. Dans quels délais les effectifs pourraient-ils être complétés ? Par ailleurs, leur statut est souvent précaire. Travaillant souvent à temps partiel, ils risquent de ne pas être repris dans leur service lorsqu'ils ont dû partir en congé maladie. Enfin, si la limitation de leur temps de travail est de 48 heures, la durée effective est souvent bien supérieure. Mais les heures supplémentaires n'ont pas été payées depuis janvier... Quand le seront-elles ?

Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour apporter des réponses claires et précises (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Depuis quinze jours, les urgentistes manifestent leur mécontentement. Je vous assure que j'honorerai à la fois les engagements du précédent gouvernement et les nôtres. Deux mille postes ont été ouverts au mois de mars, dont 35 % pour les seules urgences. Mais je ne suis pas certain que nous disposions des 700 médecins compétents pour les occuper dès le premier appel...

Par ailleurs, l'Ile-de-France connaît un retard anormal dans l'attribution des postes. J'ai reçu lundi, avec l'Assistance publique des hôpitaux de Paris et l'agence régionale, les organisations syndicales. Nous nous sommes mis d'accord sur un calendrier pour pourvoir rapidement les 300 postes créés en Ile-de-France. Pour les situations précaires, une solution au cas par cas sera trouvée avant le 30 juin. Je m'engage également à ce que les temps additionnels soient payés. Enfin, l'Assistance publique et la région Ile-de-France vont organiser ensemble, pour la première fois, les urgences dans tout leur territoire.

Ainsi que vous l'avez dit, le problème est difficile et douloureux. Nous faisons tout notre possible pour le régler dans le respect de chacun, et je suis sûr que nous y parviendrons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

RÉFORME DE L'ÉDUCATION NATIONALE

M. Christophe Caresche - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, vous n'avez pas répondu à Mme Imbert...

Plusieurs députés UMP - Vous êtes sourd !

M. Christophe Caresche - Vous n'avez pas répondu non plus hier aux représentants des organisations syndicales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Alors que l'Education nationale s'enfonce chaque jour davantage dans une crise majeure, vous avez été incapable de renouer le dialogue, de proposer même l'amorce d'une discussion sur la réforme qui inquiète et heurte le monde de l'éducation. Croyez-vous que c'est par la réquisition et la sanction que vous allez dénouer la crise ? En stigmatisant les enseignants et en affichant un peu plus chaque jour votre mépris à leur égard que vous allez les rassurer ?

Ecoutez donc M. Juppé, expert s'il en est en ce domaine, qui vous suggère de retirer le projet de décentralisation des personnels de l'Education nationale. (M. Juppé fait un geste de dénégation) L'heure n'est plus, Monsieur le ministre, aux considérations sur le métier d'enseignant ni aux dissertations sur la pensée de 1968. Par votre comportement, vous prenez le risque de radicaliser un mouvement de personnels qui n'aspirent qu'au respect et au dialogue. Certains se demandent aujourd'hui si vous n'allez pas démissionner... (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe UMP) Je vous demande, moi, quand vous allez enfin assumer vos responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - La parole est à M. Darcos (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Vous ne pouvez sans vous contredire à la fois nous proposer de dialoguer avec les enseignants et nous reprocher de le faire (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste). Luc Ferry et moi-même avons entamé un dialogue avec les fédérations syndicales, lesquelles, au moins aussi habilitées que vous à parler des problèmes des professeurs, l'ont accepté. Ce dialogue se poursuit et mardi prochain lors d'un comité interministériel, nous verrons comment surmonter les points de blocage qui auront été identifiés.

Pour le reste, un quotidien du soir n'est pas le porte-parole de l'UMP. Personne, que je sache n'a pour l'instant évoqué le retrait d'un texte... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), dont nous souhaitons précisément discuter.

Puisse la représentation nationale se montrer aussi digne que les fédérations syndicales qui, elles, ne jettent pas d'huile sur le feu. Comme nous, elles demandent que les élèves ne soient pas pris en otages, que les examens puissent se dérouler normalement et que l'on sorte de cette crise par le dialogue et la négociation. Tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, cherchent au contraire à envenimer la situation font un mauvais calcul, mais surtout ils ne rendent pas service à l'Education nationale, c'est-à-dire à la nation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

MENACES DE BOYCOTT DES PRODUITS FRANÇAIS AUX ÉTATS-UNIS

M. Victor Brial - Monsieur le ministre de l'économie, certaines déclarations intempestives, qui ont suscité l'emballement des médias, laisseraient penser que les relations entre la France et les Etats-Unis sont au plus mal (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Depuis la fin de la guerre en Irak, la rumeur d'un boycott des produits français outre-Atlantique ne cesse de croître. Un appel à bannir les eaux minérales, les vins ou les restaurants français a fait les gros titres de certains journaux américains. Et les French fries servies à la cafétéria du Congrès à Washington ont été rebaptisées ! Ces faits, certes symboliques, n'en sont pas moins inquiétants pour les principaux fournisseurs français des Etats-Unis. L'enjeu est d'importance car la France, cinquième investisseur outre-Atlantique, y exporte chaque année pour 25 milliards d'euros de produits. Cela étant, compte tenu des règles qui régissent les échanges internationaux, il paraît difficile que ces craintes deviennent réalité.

Monsieur le ministre, quel est votre sentiment sur ces rumeurs de sanctions économiques à l'encontre de la France ? Pouvez-vous rassurer nos entrepreneurs qui auraient beaucoup à perdre si elles se révélaient exactes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Pour avoir rencontré samedi dernier à Deauville mon homologue, John Snow, je puis vous assurer qu'il n'a pas, pour sa part, boycotté les produits français, en particulier nos alcools, puisqu'il a même emporté une bouteille de calvados ! (Sourires et applaudissements) Plus sérieusement, nous avons tous deux constaté qu'il n'était pas dans l'intention des Etats-Unis de se lancer dans un tel boycott, ce ne serait d'ailleurs pas possible. Les Etats-Unis, comme tous les pays membres de l'OMC, doivent respecter certaines règles du commerce international et, même s'ils savent parfois les tourner à leur avantage, ils les respectent.

S'il est impossible d'empêcher un boycott émotif de quelques-uns de nos produits par certains consommateurs américains, nos entreprises n'ont rien à craindre de comportements qui seraient délibérément suscités par l'administration américaine. J'en veux pour preuve que le groupe français Areva, alors même qu'il était directement en concurrence avec des entreprises américaines, vient d'obtenir un contrat de retraitement de déchets nucléaires d'un montant de 30 millions de dollars.

Aussi, Monsieur le député, soyez rassuré : le commerce entre la France et les Etats-Unis continuera de se développer. Le sujet du commerce international a d'ailleurs été largement évoqué à Deauville, d'une part dans le cadre des relations Nord-Sud, d'autre part au sein des pays du Nord, entre l'Europe, le Japon et les Etats-Unis. Chacun s'y est accordé à reconnaître l'interdépendance des pays et à souhaiter une meilleure coordination de leurs politiques économiques afin d'améliorer la croissance mondiale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

CANDIDATURE DE PARIS AUX JEUX OLYMPIQUES DE 2012

Mme Françoise de Panafieu - La candidature de Paris pour accueillir les Jeux Olympiques de 2012 a été officiellement annoncée ce matin. Celle-ci recueille l'adhésion de beaucoup de Parisiens, mais, au-delà, de beaucoup de Français, et bien sûr de tous les amateurs de sport. Je suis, pour ma part, particulièrement intéressée en tant que maire du 17e arrondissement de Paris, puisque le village olympique serait probablement installé aux Batignolles.

Il s'agit aujourd'hui d'exploiter au mieux nos atouts pour que notre capitale accueille de nouveau les Jeux, après ceux de 1924. La concurrence sera rude. Il nous faut donc mobiliser tous les moyens, de la Ville de Paris bien sûr - mais seule elle ne pourrait rien -, de toutes les collectivités d'Ile-de-France et surtout de l'Etat. Quels moyens compte mobiliser l'Etat, et qu'entend-il faire pour appuyer cette candidature ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-François Lamour, ministre des sports - La candidature officielle de Paris pour les Jeux Olympiques de 2012 est une chance pour la France et le mouvement sportif français et le Président de la République en avait lui-même formé le souhait il y a quelques mois. Il nous faut maintenant gagner, car cet événement, élément de motivation et de fierté pour nos équipes nationales, sera aussi un remarquable accélérateur en matière d'aménagement du territoire. La concurrence sera rude, vous l'avez dit, et Paris doit, pour emporter la décision du CIO en juillet 2005, avoir le soutien de la région, de l'Etat et de tout le mouvement sportif. L'installation du village olympique aux Batignolles est en effet une possibilité. Mais il nous faudra penser à tous les équipements, veiller à leur qualité, et à leur cohérence, ainsi qu'aux liaisons entre eux. C'est ensemble, et dans le consensus, qu'il nous faudra porter cette candidature. C'est notre seule chance pour que Paris organise les Jeux Olympiques en 2012, ce qui serait une fête pour Paris, pour notre jeunesse, nos sportifs et le pays tout entier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

INDEMNISATION DES VICTIMES DE LA POLLUTION DU PÉTROLIER PRESTIGE

M. Jean-Pierre Dufau - Je sais que le Gouvernement doit en ce moment traiter de nombreux dossiers qui se sont accumulés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Pour autant, les conséquences de la pollution du pétrolier Prestige ne sont pas terminées : des boulettes de fioul continuent d'arriver sur les plages de l'Atlantique, alors que le plan POLMAR piétine et que les victimes se sentent peu à peu abandonnées. Sur le terrain, les dysfonctionnements entre services de l'Etat sont patents. Des hôteliers-restaurateurs attendent depuis février le paiement de certaines factures !

Des crédits supplémentaires doivent être immédiatement dégagés et mandatés. Les acteurs économiques, les élus et la population sont excédés. L'Etat n'a malheureusement pas pris la mesure de la catastrophe, désactivant prématurément le plan POLMAR. L'annonce par le FIPOL d'un taux d'indemnisation de 15 % seulement a ajouté à la colère, et le nouvel accord intervenu à l'OMI pour relever à 950 millions d'euros les crédits de ce fonds ne changera rien pour les victimes de la pollution du Prestige puisque l'accord n'est pas rétroactif.

Trêve de bonnes paroles et d'images-choc surmédiatisées ! Les Français attendent du Gouvernement efficacité et solidarité.

Pouvez-vous assurer à la représentation nationale que l'Etat réglera sans délai toutes les dépenses liées à la dépollution, lesquelles sont de sa responsabilité ? Que le gouvernement français se positionnera sans réserve ni préalable en créancier de second rang, comme l'avait fait le gouvernement de Lionel Jospin lors de la catastrophe de l'Erika , afin que les acteurs économiques et les collectivités puissent être correctement indemnisées ? Qu'il incitera fortement son homologue espagnol à faire de même ? La France d'en bas de l'Hexagone, l'ouest de l'Aquitaine, attend ce geste de solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - Je comprends votre colère, et celle des Aquitains. Toutefois, vous êtes injuste en parlant d'abandon. Les choses sont allées beaucoup plus vite pour le Prestige que pour l'Erika sous le gouvernement précédent. Le préfet d'Aquitaine a reçu des crédits déconcentrés qui lui ont permis de rembourser les communes au jour le jour pour les frais engagés dans la lutte contre la pollution. S'il y a eu des dysfonctionnements dans les remboursements, vous avez raison de les dénoncer : il y sera mis fin. Quant au plan POLMAR, qu'il s'agisse du volet terre ou du volet mer, il s'est parfaitement déroulé, et je veux en remercier tous les services de l'Etat, mais aussi les pêcheurs qui sont allés ramasser les boulettes.

Sur le FIPOL, vous avez raison, et Mme Bachelot, comme Mme Saïfi et M. de Robien, l'ont dit : il est inacceptable qu'il ne verse que 171 millions d'euros aux victimes du Prestige, alors que la dépense est de l'ordre du milliard. Dans la décision du FIPOL il y a cependant un point positif : c'est que nous sommes à 100 % pour l'Erika. Mais, pour le reste, il faut aller plus loin. La décision, obtenue à la demande de l'Europe et de la France, de porter le FIPOL à un milliard nous assure les moyens nécessaires pour les catastrophes futures. Dans l'immédiat, en cas de défaillance du FIPOL sur le Prestige, L'Europe a décidé de créer son propre fonds : nous aurons ainsi les moyens d'indemniser toutes les victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

CLASSES D'INTÉGRATION

M. Jean-Marie Geveaux - Je souhaite vous interpeller, Monsieur le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire, au sujet des classes d'intégration. De plus en plus de jeunes étrangers arrivent en France, non seulement à Paris mais en province. L'Etat français a toujours préconisé la scolarisation de ces jeunes, quel que soit le statut de leurs parents. A mesure de leur arrivée, ils sont envoyés dans des classes d'intégration pour apprendre au plus vite la langue française, et rejoindre ensuite les classes ordinaires. Mais leur nombre croissant pose un problème et inquiète les enseignants, qui doivent, à chaque nouvelle arrivée, repartir à zéro. Dans certains endroits, le système actuel montre ses limites. Quelle est votre analyse à ce sujet, et quelles mesures envisagez-vous pour assurer le mieux possible la scolarisation et l'intégration de ces jeunes étrangers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Je suis heureux de cette question , qui me permet de rappeler le travail quotidien qui se fait dans nos classes, et de rendre hommage à nos professeurs du premier degré et des collèges.

Devant ces élèves qu'accueillent 1 137 classes d'intégration du premier degré et 762 classes d'adaptation des collèges, les professeurs accomplissent une des plus honorables missions de l'école : sans distinction, sans conditions, ils reçoivent ces enfants qui viennent du Kosovo, d'Afrique, ou de tant d'autres régions en proie à la violence. Dans des classes d'une quinzaine d'élèves, on leur apprend notre langue et notre culture, et ils rejoignent peu à peu le système normal. Ce système a un coût, mais l'engagement de la République française envers ces jeunes l'exige.

Il est vrai que leur nombre a connu une augmentation sensible, puisqu'il est passé en un an de 27 500 à quelque 35 000. Cela pose aussi des problèmes de formation des maîtres ; nous les formons de plus en plus en français langue étrangère. Mais il faut souligner que ces jeunes, qui ont connu des situations familiales, sociales ou nationales très difficiles, se rendent compte, en arrivant dans nos écoles, de la chance qu'ont les écoliers français. Ils découvrent nos équipements, la qualité de nos enseignants, tout ce qui se fait en matière éducative, culturelle, sportive. Ils voient dans l'école une chance d'intégration, et sont souvent de très bons élèves, qui offrent un exemple bienvenu et sont presque le sel de la terre dans le premier degré. Nous devons considérer que c'est une chance de les accueillir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

INDEMNISATION DES POLLUTIONS PÉTROLIÈRES

M. Jean-Pierre Giran - Vous avez déjà largement répondu, Monsieur le ministre des transports, à la question que je m'apprêtais à vous poser, en montrant l'engagement de l'Etat face à la défaillance du FIPOL dans l'affaire du Prestige. Mais les prédateurs des mers ne frappent pas seulement dans l'Atlantique, et de récents dégazages ont souillé les côtes méditerranéennes. Au-delà des mesures envisagées pour pallier la carence du FIPOL, quelles solutions pérennes seront-elles mises en _uvre, pour qu'à l'avenir les victimes soient indemnisées avant d'avoir été réduites au désespoir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - J'ai en effet évoqué en réponse à M. Dufau les mesures concernant le FIPOL. Pour ce qui est des mesures pérennes, tout d'abord, conformément au souhait du Président de la République et aux décisions de Malaga et de Copenhague, nous évacuons des côtes européennes les pétroliers à simple coque, et de la proximité de ces côtes tous les navires transportant des matières dangereuses. Nous avons d'autre part porté le taux de surveillance et d'inspection des navires dans les ports à 25 % en moyenne - ce qui signifie qu'il est de 100 % pour les navires dangereux. En Méditerranée, nous allons établir une zone de protection écologique, et mettre en place des moyens de remorquage venant de la Manche et de l'Atlantique, où les moyens en remorqueurs de haute mer ont été renouvelés grâce aux commandes passées par Mme Alliot-Marie. Nous avons ainsi une réponse nationale, une réponse européenne et, comme vous le souhaitez, une réponse méditerranéenne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de M. Baroin.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

ADAPTATION DE LA JUSTICE AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - L'objectif majeur du texte que je vous présente est d'adapter notre justice pénale aux formes nouvelles de criminalité.

L'action politique est commandée par l'écart entre l'idéal et la réalité. Quels sont les critères d'une bonne justice pénale ? J'en vois quatre.

La justice doit être de son temps. De même que certaines incrimination devenues inactuelles ont disparu du code pénal, de même il est parfois nécessaire d'en introduire de nouvelles. Les formes de délinquance évoluent, les métamorphoses du crime étant elles-mêmes liées à celles de la sécurité et de la technologie. La criminalité est imaginative ; la justice doit l'être également.

La justice doit bénéficier de moyens adaptés à ses fins, et la procédure être adaptée aux infractions, notamment dans la phase de poursuite et d'information, pour que l'appareil judiciaire ne soit pas en défaut par rapport aux délinquants et aux criminels. Il faut donner à la justice les moyens de faire jeu égal avec les personnes poursuivies ou mises en examen, pour que la vérité jaillisse ; les peines doivent être proportionnées, et cela est d'autant plus important qu'elles ont une triple fonction : punitive, corrective, dissuasive.

La justice pénale doit être rapide sans être expéditive. Toutes les parties ont le même intérêt : l'une comme l'autre ne peuvent que gagner à un procès raisonnablement rapide. La convention européenne des droits de l'homme en fait d'ailleurs une condition de procès équitable.

La justice pénale doit avoir le souci de la victime. Si le corps social tout entier est blessé par le crime, la victime est évidemment la première à en pâtir.

Voilà la justice pénale que veulent les Français. Mais lorsque nous confrontons l'idéal au réel, nous constatons le développement de formes nouvelles de criminalité, souvent très organisées et recourant à des moyens très sophistiqués, contre lesquelles notre justice pénale est mal armée. Nous constatons que notre justice est trop lente. Nous constatons que la prise en charge des victimes de la délinquance demeure insuffisante.

Il faut donc agir. Il y va de la crédibilité de l'institution pénale. Trop de Français ont perdu confiance. Pour les candidats aux crimes et aux délits, moins de crédibilité signifie moindre dissuasion. Pour les honnêtes gens, la perte de crédibilité de l'institution pénale nourrit l'angoisse. L'exaspération des Français face à la justice a certainement compté au nombre des causes du 21 avril.

Par la loi d'orientation et de programmation du 9 septembre, j'ai considérablement accru les moyens financiers consacrés à la justice, ce qui permettra une augmentation des effectifs de 15 % d'ici à 2004.

Je tiens à rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui font la justice au quotidien : avec la même passion, ils remplissent leur mission avec une détermination et un courage admirables. Leur travail, sauf regrettable exception, est au-dessus de toute critique.

Mais le cadre de leur travail doit être réformé. Et je vous propose de modifier la procédure et le contenu de la loi pénale. Sans perdre de vue, naturellement, le respect des libertés fondamentales. Toute réforme doit avoir le souci de ne pas restreindre les droits de la défense.

Les réformes que je vous propose s'inscrivent dans le cadre de la politique de sécurité du Gouvernement, qui repose sur l'action combinée des services de police et de gendarmerie, d'une part, et de l'institution judiciaire, d'autre part. _uvrer pour plus de sécurité tout en respectant les libertés de chacun, la voie est étroite. Redoutable serait le mouvement qui irait de la passivité face à l'insécurité à la répression sans contrôle. Mais je crois possible de combattre les infractions plus efficacement sans porter atteinte aux libertés individuelles. J'ai d'ailleurs travaillé, en concertation avec tous les praticiens de la justice, et je les ai écoutés.

Le titre premier répond aux deux premiers critères d'une bonne justice pénale : il cible un certain nombre de formes modernes de criminalité et veut donner à la justice les moyens d'y répondre efficacement. Le titre II contient des mesures répondant aux deux autres exigences : une justice raisonnablement rapide et soucieuse des victimes.

Je sais qu'une discussion détaillée des aspects les plus techniques viendra par la suite, menée par l'excellent rapporteur M. Warsmann. J'aimerais néanmoins dissiper, à propos de certaines mesures, les malentendus qui se sont manifestés dans le débat public.

Grâce à la loi d'orientation que vous avez adoptée au mois de septembre, nous nous sommes donné les moyens de lutter contre la montée de la petite délinquance. C'est maintenant à la grande criminalité que nous devons nous attaquer, aux formes de criminalité qui sont le fait de bandes organisées. Des individus se regroupent dans le but de vivre d'une activité illégale, avec un seul objectif : faire de l'argent. Toutes les activités illégales sont bonnes : trafic de stupéfiants, proxénétisme ou traite des êtres humains, trafic d'_uvres d'art ou jeu clandestin. Toutes ces activités apportent avec elles leur lot de violence, assassinats, enlèvements et séquestrations, tortures ou actes de barbarie en bande organisée. Les types d'organisations peuvent aller de la PME, de l'association de malfaiteurs, à la holding aux activités diversifiées et à la mafia. Les activités sont souvent transnationales : le crime a de moins en moins de frontières. Loin d'être une lointaine menace, le crime organisé est présent chez nous, et entre 1994 et 2001, le nombre de condamnations au titre de proxénétisme aggravé pour cause de pluralité d'auteurs ou de complices a été multiplié par sept, et le nombre de condamnations pour délits en matière d'armes commis en bande organisée a plus que doublé. Pour l'ensemble des crimes et délits commis avec circonstance aggravante de bande organisée, le nombre de condamnations est passé de 29 en 1994 à 486 en 2001.

Pour combattre ce phénomène, je propose tout d'abord d'introduire la notion de délinquance et de criminalité organisées dans notre droit pénal, afin de donner à la justice les moyens de s'y attaquer efficacement. Nous distinguons deux types d'infractions commises en bande organisée : une première catégorie sera constituée des crimes ou délits commis à l'encontre de personnes - traite des êtres humains, trafic de stupéfiants, proxénétisme ou assassinat en bande organisée ; une seconde regroupera des infractions de moindre gravité aggravées par la circonstance d'avoir été commises en bande organisée - par exemple le vol en bande organisée.

Je propose d'ailleurs d'étendre la liste des infractions pouvant être aggravées par la circonstance de commission en bande organisée, notamment aux délits de corruption de mineurs, dont le nombre a décuplé entre 1996 et 2001, ainsi qu'aux délits de diffusion d'images pornographiques - les condamnations pour corruption de mineurs de plus de 15 ans ayant été multipliées par neuf entre 1994 et 2001.

Pour le traitement des affaires de criminalité organisée les plus complexes, je propose de créer des juridictions spécialisées.

Celles-ci seront interrégionales. En effet, lorsque les activités criminelles s'étendent sur l'ensemble du territoire, on risque d'alourdir les enquêtes en les traitant au niveau de chaque TGI. En 1994, pour l'opération Margarita, qui a permis de démanteler tout un réseau mafieux colombien en France, l'enquête a commencé dans un petit village de la Creuse, puis on a découvert que le réseau était installé à Paris, à Marseille et dans d'autres villes de France, et que ses activités de trafic de cocaïne s'accompagnaient d'opérations complexes de blanchiment.

La création de ces juridictions permettra tout à la fois d'éviter que plusieurs tribunaux se saisissent d'une même affaire sans le savoir, et de concentrer les moyens logistiques et humains requis pour saisir dans toute leur complexité les affaires de criminalité organisée.

Dans la même logique, le fait que le crime se mondialise exige de favoriser l'entraide pénale entre Etats. Le projet améliore donc les dispositions relatives à l'entraide internationale, en particulier en modifiant le code de procédure pénale de manière à simplifier la transmission et l'exécution de commissions rogatoires internationales.

S'agissant de l'Union européenne, nous nous sommes donné avec Eurojust les moyens de faciliter la coordination des enquêtes et de renforcer la coopération judiciaire entre Etats membres. Le projet introduit dans le code de procédure pénale des dispositions nécessaires à la mise en _uvre concrète de cette coopération renforcée. L'Europe de la justice est l'une des priorités de mon action, conformément aux aspirations des Français.

Outre des innovations juridictionnelles, nous proposons des alourdissements de peines et, de façon complémentaire, l'application de règles de procédure spécifiques pour les enquêtes ou les instructions concernant les activités de criminalité organisée.

Les aggravations de peines concernent notamment toutes les infractions pour lesquelles il est prévu de créer la circonstance de commission en bande organisée, mais aussi d'autres infractions qu'il convenait de sanctionner plus lourdement. Ainsi, il vous est proposé de porter de sept à dix ans la peine de prison encourue pour escroquerie en bande organisée.

S'agissant de la procédure, je propose d'étendre certaines règles applicables à la lutte contre les trafics de stupéfiants ou les actes de terrorisme aux faits de criminalité organisée les plus graves, ceux de la première catégorie. Les dispositions proposées concernent essentiellement l'infiltration et les repentis.

La méthode de l'infiltration a déjà fait ses preuves dans notre pays en matière de trafic de stupéfiants : elle a permis en 1994 de démanteler les ramifications françaises du cartel de Cali, lors de l'opération Margarita. Mais infiltrer un réseau implique d'utiliser une identité d'emprunt, de transporter des produits illicites, bref - jusqu'à un certain point - de se comporter en criminel... Le projet offre donc un cadre pour contrôler les activités de l'officier de police judiciaire infiltré, lui accorder certains moyens d'action et veiller à sa sécurité.

La méthode des « repentis » a elle aussi déjà prouvé son efficacité, notamment en Italie, où elle a été utilisée par le juge Falcone pour démanteler Cosa Nostra. De l'expérience italienne, je tire deux enseignements : les témoignages de repentis doivent être encouragés par des modifications de peines ; l'utilisation des témoignages doit être encadrée.

Il vous est donc proposé que toute personne ayant permis d'éviter la réalisation d'une infraction, de faire cesser une infraction, d'éviter un dommage ou d'identifier ses auteurs pourra bénéficier d'une réduction de peine, voire d'une exemption de peine dans le cas où elle aurait simplement tenté de commettre l'infraction avant de coopérer avec les enquêteurs. Ces réductions de peines pour les repentis étaient déjà applicables dans les affaires de fausse monnaie, de trafic de stupéfiants ou d'actes de terrorisme.

Le projet contient aussi des mesures destinées à protéger les personnes repenties et leur famille. Enfin, à la différence de ce qui se passe en Italie - et les avocats sont très attachés à ce point - il est spécifié que les déclarations d'un repenti ne sauraient à elles seules justifier une condamnation.

Toujours en matière de procédure, il vous est également proposé de porter la durée de l'enquête de flagrance de huit à quinze jours ainsi que d'autoriser, à titre exceptionnel, la prolongation de la garde à vue de vingt-quatre heures par deux fois. Enfin, il est prévu que la garde à vue, les perquisitions de nuit et les écoutes téléphoniques puissent être demandées par le procureur de la République et effectuées sur autorisation du juge des libertés et de la détention.

Permettez-moi quelques remarques sur l'ensemble de ces dispositions de procédure. Des dispositions analogues ont déjà été prises dans bon nombre d'autres pays, notamment au sein du G8. L'harmonisation de nos procédures avec celles de nos voisins facilitera la coopération pénale : c'est particulièrement vrai dans le cas de personnes infiltrées dans des réseaux criminels transnationaux.

Des critiques ont été émises à l'encontre des dispositions que je vous propose qui donneraient, selon les uns, les pleins pouvoirs à la police, et selon les autres, des pouvoirs excessifs aux procureurs. La vérité, c'est que la police travaille sous contrôle du parquet, et que tout recours aux moyens que je viens d'évoquer se fera sur autorisation d'un magistrat du siège.

On veut, semblent croire certains, dépouiller le juge d'instruction. C'est absurde : on ne lui ôte aucun moyen d'action, mais on veut recentrer son rôle sur le traitement des affaires qui méritent, en raison de leur complexité, de faire l'objet d'une information. Il sera saisi de dossiers déjà bien constitués, après qu'une vision assez large de l'affaire aura été acquise au cours de l'enquête.

Quant au déroulement de la phase d'information, il est prévu de le simplifier : nous reparlerons de cet aspect très technique dans la suite de la discussion.

Au total donc, le projet donne à la justice les moyens de faire face à la délinquance et à la criminalité organisées. Qu'en est-il maintenant de la défense ?

Les droits de l'accusé seront non seulement sauvegardés, mais renforcés.

Lorsqu'une personne sera placée en garde à vue dans une affaire de criminalité organisée, elle aura évidemment le droit de voir un avocat à la première heure, réserve faite de certains cas où la loi prévoit actuellement une intervention différée de l'avocat - affaires de terrorisme, de trafic de stupéfiants... En cas de prolongation de la garde à vue, la personne pourra à nouveau voir son avocat à la 48e heure et à la 72e heure.

Par ailleurs, une personne qui a été placée en garde à vue et qui n'a pas fait l'objet de poursuites dans un délai de six mois pourra, si elle en fait la demande, être informée par le procureur sur la suite de la procédure.

Si le procureur décide de poursuivre l'enquête, il devra le faire savoir dans un délai de deux mois à la personne, qui pourra alors faire consulter le dossier de la procédure par son avocat.

En outre, dans le cas où un procureur déciderait la comparution immédiate après avoir fait usage, lors de l'enquête, des nouvelles règles d'investigation, l'avocat du prévenu pourra intervenir devant le magistrat du parquet pour le convaincre d'ouvrir une instruction en raison de la complexité des faits. Si le tribunal est saisi selon la procédure de comparution immédiate, l'avocat du prévenu pourra demander un délai de deux mois, et non de deux semaines, pour préparer sa défense.

Le projet de loi aborde aussi d'autres formes de délinquance et de criminalité dont le développement intolérable doit être combattu avec force.

Concernant la délinquance en matière économique et financière et en matière de santé publique, le projet prévoit de développer les pôles spécialisés déjà existants, notamment en améliorant le statut des assistants spécialisés chargés d'aider les magistrats.

En matière de pollution environnementale, le texte augmente les peines encourues pour les rejets polluants de navires, et élargit les compétences des tribunaux spécialisés de Brest, du Havre et de Marseille.

L'Erika en décembre 1999, le Prestige en novembre dernier... Cette série noire est très préoccupante. La justice doit tout faire pour lutter contre ces actes irresponsables et pour accorder réparation aux victimes des catastrophes écologiques. A Brest, mercredi dernier, j'ai rencontré les différents acteurs concernés dans les affaires de pollution pétrolière - armateurs, pétroliers et assureurs - pour évoquer leur rôle respectif dans l'indemnisation des victimes.

Enfin, mon projet comporte des mesures pour lutter contre les actes de racisme et, plus largement, contre les actes de discrimination qui doivent être combattus avec vigueur.

D'abord, la circonstance aggravante de racisme est étendue à de nouvelles infractions. Je propose par ailleurs d'augmenter les peines pour les délits de discrimination et d'instituer une circonstance aggravante lorsque la discrimination est commise dans le cadre de l'exploitation d'un lieu accueillant du public.

Mais il faut aller plus loin. La répression des messages de discrimination, antisémites, racistes ou xénophobes est parfois entravée par la brièveté du délai de prescription de trois mois prévu par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. C'est trop court pour en retrouver les auteurs, surtout quand les infractions ont été commises dans le cyberespace. Aussi ai-je décidé de porter ce délai à un an.

La seconde partie de ce projet a pour objet de fluidifier le traitement des affaires du contentieux pénal.

Si la justice ne doit pas être expéditive, elle ne doit pas non plus traîner en longueur. L'excès de lenteur ne discrédite pas moins la justice que l'excès de rapidité. Le délai moyen de réponse pénale devant les tribunaux correctionnels est de dix mois.

Pour le réduire et le rendre raisonnable, il faut être guidé par deux idées. D'une part, le recours à l'instruction doit être déterminé par un critère qualitatif. Dans certaines affaires déjà élucidées après enquête et en état d'être jugées, le recours à l'instruction ne servirait qu'à encombrer davantage les bureaux des magistrats instructeurs. D'autre part, le procès ne doit pas être la seule réponse possible aux infractions. Il existe déjà une mesure alternative aux poursuites, la procédure de composition pénale, qui permet au ministère public de proposer à l'auteur d'une infraction l'exécution d'une ou plusieurs obligations dites de composition : amende, suspension de permis de conduire, réparation du dommage causé, travail d'intérêt public..., l'exécution de l'obligation ou des obligations pouvant mette fin aux poursuites pénales. Je propose d'étendre le champ d'application de cette procédure à tous les délits punis de cinq ans au plus.

Le projet de loi tend également à diversifier les « mesures de composition » - interdiction de paraître dans le lieu où l'infraction a été commise, le suivi d'un stage ou d'une formation.

Pour les cas où le procureur envisage de poursuivre, il conviendrait de distinguer les affaires dans lesquelles la culpabilité est reconnue de celles où elle est contestée. C'est le sens de la procédure dite de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », qui a fait l'objet de critiques infondées. En effet, elle ne sera applicable qu'aux délits, punis de cinq ans d'emprisonnement au plus ; elle sera exclue pour les mineurs, les délits de presse, les délits d'homicide involontaire et les délits faisant l'objet d'une procédure de poursuite spécifique. Dans les cas où la culpabilité est reconnue, le procureur de la République pourra lui-même proposer une peine à la personne qui reconnaît être auteur du délit. En présence de son avocat, lequel aura eu accès au dossier, la personne mise en cause donnera ou non son consentement, après un délai de réflexion de dix jours.

En cas d'acceptation de la peine proposée, la personne comparaîtra devant le président du tribunal de grande instance. Toujours en présence de l'avocat, le juge du siège s'assurera de la persistance du consentement et décidera d'homologuer ou non la proposition du procureur et la personne poursuivie disposera à nouveau d'un délai de dix jours pour faire appel. Les peines proposées par le procureur de la République devront être inférieures aux peines encourues : des peines plus légères, mais plus rapidement appliquées, seront plus exemplaires que des peines plus lourdes.

Enfin, cette procédure garantit les droits de la victime : informée de la procédure, elle pourra, pour sa demande d'indemnisation, soit comparaître avec le prévenu devant le président du tribunal de grande instance, soit demander la tenue ultérieure d'un procès civil.

On nous accuse de vouloir substituer le procureur au juge, alors que le parquet propose, et le juge dispose. Les magistrats du parquet sont du reste des magistrats, dont la mission est de protéger les libertés individuelles.

On a comparé cette procédure au « plaider coupable » et on a parlé d'américanisation de la justice. Or, dans un procès aux Etats-Unis, en cas de reconnaissance de culpabilité, la peine est systématiquement négociée entre la défense et la partie poursuivante, incarnée par l'attorney - lequel n'est guère comparable à notre magistrat du parquet et l'issue de leur négociation lie le juge. Dans le présent projet en revanche, le déclenchement de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est laissé à la discrétion du procureur de la République, et la décision finale appartient au président du tribunal de grande instance.

La même confusion fait dire à certains que le système français glisse vers un système de type accusatoire. Or, je réaffirme solennellement mon attachement, et celui de la France, au système de type inquisitoire, le mieux à même d'assurer l'égalité de traitement de tous les justiciables et le respect des droits de la société, des victimes et de la défense.

Certains ont dit, enfin, que cette procédure allait permettre d'enterrer certaines affaires. C'est faux, puisque la constitution de partie civile impliquera toujours la saisine d'un juge.

Cette nouvelle procédure, loin de favoriser les dérives, permettra de précieux gains de temps dans le traitement des affaires en correctionnelle. Quand on me parle de conception gestionnaire de l'administration de la justice, je réponds : le justiciable est aussi l'usager d'un service public.

La composition pénale et la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité permettront ainsi d'éviter le procès quand il n'est pas nécessaire.

Absence de procès ne signifie pas absence de justice. En revanche, la réponse judiciaire doit être systématique.

Quant aux victimes, si la loi d'orientation et de programmation leur a déjà accordé de nouveaux droits et de nouveaux moyens, ce projet protège encore mieux leurs intérêts. Elles devront être ainsi informées au début de l'enquête de la possibilité de classement sans suite si l'affaire n'est pas élucidée, lequel devra être motivé le cas échéant. Pour les crimes et les délits contre les personnes, le projet permet, au cours de l'instruction, d'accorder des indemnités aux victimes constituées parties civiles. En cas de mise en examen ou de placement sous contrôle judiciaire, la victime devra être informée si la personne poursuivie est soumise à l'interdiction d'entrer en relation avec elle. Enfin, le texte précise que les décisions de mise en liberté ou de libération conditionnelle ne devront pas nuire aux victimes.

Bref, voici un texte de responsabilité - un texte pour les Français, propice à la paix sociale et au renforcement de la cohésion sociale autour d'une bonne justice pénale.

« C'est une injustice, disait Cicéron, que de ne pas protéger de l'injustice ceux qui s'en trouvent menacés ».

Il est juste de prendre les mesures qui redonneront à la justice la fermeté résolue qui doit être opposée à toutes les formes graves de délinquance et de criminalité, d'_uvrer pour que les coupables d'infractions soient punis rapidement, et de faire en sorte que les victimes obtiennent dans les meilleures conditions réparation de leurs préjudices.

Je compte sur votre soutien pour donner à la France une meilleure justice pénale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois - La commission a étudié ce texte pendant plusieurs semaines, procédé à une quarantaine d'auditions, et approuvé environ 300 amendements sur 700 étudiés. Je remercie les députés de la majorité et de l'opposition d'avoir participé à ce travail.

Nombreux ont été les témoignages de soutien à ce projet de loi recueillis lors des auditions. Un magistrat affirmait ainsi : « A une délinquance spécialisée, il faut opposer des magistrats spécialisés ». A défaut, existe un risque de voir des affaires complexes traitées dans des tribunaux encombrés, qui n'auront pas les moyens de mener des enquêtes approfondies. Si les passeurs de drogue seront punis, il peut ne pas en être de même pour ceux qui profitent de l'argent sale.

Des magistrats spécialisés permettront de démanteler des filières entières.

La commission a déterminé cinq axes prioritaires. Le premier est de conforter les outils de lutte contre la délinquance organisée mis en place par le projet. Nous approuvons votre définition des infractions relevant de la délinquance organisée et vous proposerons d'y ajouter les opérations de blanchiment, et le domaine des jeux. Nous soutenons également l'instauration de juridictions interrégionales, dont le périmètre sera cohérent avec celui qui vient d'être défini par le ministère de l'intérieur pour la réorganisation de la police judiciaire. Nous approuvons les moyens supplémentaires d'enquête qui sont prévus. Les policiers et gendarmes qui enquêtent sur la délinquance organisée doivent disposer d'autres moyens que ceux qui enquêtent sur une affaire de vol à la tire ! Vous nous proposez une garde à vue adaptée, qui pourrait être renouvelée jusqu'à quatre jours. Nous y souscrivons, mais en en restant aux trois modes de garde à vue existants. En compliquant encore l'arsenal, nous risquerions des nullités de procédure.

Ensuite, vous nous proposez un dispositif d'infiltration des officiers de police judiciaire dans les réseaux. Ce sera une procédure utile, voire indispensable, pour lutter contre ce genre de délinquance, mais dangereuse. Nous souhaitons donc mieux protéger tant l'agent infiltré que sa famille, et vous proposerons que le dispositif soit davantage contrôlé par des magistrats. La commission souhaite également que le juge d'instruction puisse recourir à la sonorisation. De nombreux acteurs de terrain nous ont en effet expliqué que les dispositifs d'écoute téléphonique sont extrêmement limités. Les puces des téléphones portables sont par exemple changées plusieurs fois par jour. Ce moyen sera réservé à la délinquance organisée et au juge d'instruction. Il nous permettra de mieux collaborer avec les autres pays développés, qui emploient pour la plupart ce moyen. Nos voisins qui sonorisaient les véhicules de trafiquants de drogue ne perdront plus leurs informations dès le passage de la frontière française...

Deuxième objectif : mieux réprimer les nouvelles formes de criminalité. La commission se réjouit, par exemple, que vous renforciez les juridictions économiques et financières ou que vous confortiez les juridictions spécialisées dans le domaine sanitaire. C'est d'autant plus nécessaire que ce type de contentieux risque de se développer. La commission vous proposera d'étendre leur compétence à toutes les affaires de santé-environnement, liées par exemple, au plomb, au mercure ou à l'amiante.

Des juridictions spécialisées dans la lutte contre la pollution maritime vont également se développer. La commission approuve avec enthousiasme l'article 10, qui durcit les sanctions contre les voyous des mers. Mais il faudra aussi que la France reste très active au niveau international. La répression est actuellement entravée par des accords internationaux. Ainsi, douze affaires de dégazage ont été jugées par le tribunal de grande instance de Paris en 2002. Elles ont abouti à une relaxe et onze condamnations à des peines d'amende qui n'ont jamais été exécutées, les capitaines concernés se contentant simplement de ne plus aborder en France pendant un temps... La commission souhaite également poser le principe de la compétence du TGI de Paris pour les marées noires les plus graves : il s'agit en effet d'affaires extrêmement complexes, qui soulèvent des problèmes financiers et juridiques importants, liés à des sociétés-écran et à des paradis fiscaux. La commission a préféré, en son âme et conscience, les confier à des équipes spécialisées.

Troisième point : la commission se réjouit que les articles 17 à 19 posent le principe de la cohérence de l'action pénale sur l'ensemble du territoire.

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. le Rapporteur - La Constitution prévoit que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, et c'est tout aussi vrai en matière pénale. Il était important de définir le rôle du ministre de la justice et nos concitoyens sont attachés à l'égalité d'application de la loi pénale sur l'ensemble du territoire.

Quatrième point : la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est un dispositif intéressant. Dans de nombreux départements, le traitement de la délinquance est freiné par le nombre de places disponibles dans les audiences. Le procureur de la République d'un tribunal qui ne peut traiter que cinquante affaires par semaine ne peut pas se permettre d'en poursuivre cent... Il faut remédier à ce problème, tout en soulignant que vous avez veillé à ce que les droits de la défense soient scrupuleusement respectés tout au long de la procédure, notamment grâce à la présence de l'avocat.

La commission a souhaité préciser le rôle du président du tribunal, qui signe l'ordonnance de sanction : il doit vérifier la réalité des faits et leur qualification juridique. Le « plaider coupable » ne vise pas à copier de mauvaises séries américaines, mais constitue une solution pragmatique et efficace. Nous ne voulons pas qu'une personne puisse s'accuser d'un acte bénin pour protéger le responsable d'un réseau criminel ou pour cacher d'autres actes plus graves. Le texte en l'état est extrêmement clair.

Dernier axe : le régime d'application des peines. La commission veut solennellement réaffirmer que l'obtention d'un jugement condamnant le délinquant n'est absolument pas suffisant. Le travail n'est fini que lorsque le jugement est appliqué. Que les décisions de justice soient mises à exécution en moyenne sept mois après qu'elles ont été rendues est un scandale. Nous proposerons donc des mesures visant à simplifier, à accélérer et à recrédibiliser les sanctions alternatives à la détention. Un certain nombre de sanctions ne sont en effet plus utilisées par les magistrats, qui n'ont plus confiance en leur efficacité et qui préfèrent monter plus haut dans l'échelle des peines. Le prononcé de travaux d'intérêt général a, par exemple, baissé de 25 % en cinq ans. Ces mesures devraient permettre d'appliquer les sanctions alternatives dans les trente jours, en favorisant le travail d'intérêt général et le sursis-mise à l`épreuve.

En ce qui concerne les courtes peines de prison, le système actuel est absurde : il aboutit à faire exécuter six ou huit mois de prison un, deux, voire trois ans après le jugement ! Ce retard nourrit le sentiment d'impunité, d'autant que la peine est diminuée de deux mois à chaque 14 juillet... Par ailleurs, il arrive que des individus ayant été condamnés aient repris une vie normale, travaillent et voient cette vie bouleversée lorsqu'il faut exécuter le jugement... La loi doit donc poser le principe de l'exécution rapide des courtes peines de prison. Mais nous souhaitons aussi supprimer l'équivalence quasi systématique entre courte peine et maison d'arrêt. Il faut diversifier les modalités d'exécution des peines, notamment avec le placement sous surveillance électronique et la semi-liberté. Les condamnés qui ne sont pas dangereux doivent, autant que faire se peut, avoir une activité professionnelle, premier pas vers la réinsertion, qui leur permet par ailleurs d'indemniser les victimes et de rembourser les dégâts commis.

Je voudrais, pour finir, dire combien ce texte porte d'espoirs. Il simplifie la plupart de nos procédures, afin de fluidifier le traitement des affaires judiciaires. Ces mesures étaient très attendues par les professionnels. Il comporte également de grandes avancées en ce qui concerne notre collaboration avec les justices étrangères. Il traduit dans notre droit le principe de la transmission directe aux juridictions des demandes d'entraide judiciaire au sein de l'Union européenne. Il permet la constitution d'équipes d'enquêtes communes, voire d'équipes d'infiltration, ce qui sera particulièrement utile alors que la délinquance organisée vient de plus en plus des pays de l'Est. Ces nouveaux moyens nous permettront d'obtenir des résultats dans les mois à venir, alors que la délinquance méconnaît de plus en plus les frontières.

Le travail qui va s'achever avec ce texte a été particulièrement important. Jamais au cours de la VRépublique un tel travail n'a été accompli en un an.

Plusieurs députés socialistes - Si !

Plusieurs députés UMP - Non !

M. le Rapporteur - Jamais depuis 1958 de tels moyens n'avaient été affectés à la police, à la gendarmerie et à la justice. Jamais l'ensemble de nos procédures n'avaient été si complètement repensées pour être adaptées à l'évolution de la société. En soutenant cette loi, nous serons fidèles au mandat que nous ont donné nos concitoyens et nous pourrons dire que, là encore, nos engagements auront été tenus (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François d'Aubert, rapporteur pour avis de la commission des finances - L'efficacité d'une institution judiciaire se mesure à sa capacité à s'adapter aux évolutions tant internes qu'internationales de la société. C'est pour faire face aux nouvelles formes de la délinquance et de la criminalité organisées que vous nous proposez de moderniser notre justice pénale et de renforcer l'efficacité de notre droit, de nos procédures et de nos moyens d'enquête.

Notre droit devait impérativement être adapté à la nouvelle menace que constituent la criminalité organisée et les réseaux mafieux, comparable, de par sa dangerosité, à celle du terrorisme. Face à des mafias internationales, de plus en plus nombreuses et violentes, faisant preuve de toujours plus d'imagination, l'ouvrage doit sans cesse être remis sur le métier et, selon toute vraisemblance, le dispositif adopté aujourd'hui devra être renforcé à l'avenir.

La commission des finances a souhaité se saisir pour avis de l'article 11 du texte, qui contient d'importantes dispositions relatives aux infractions douanières et renforce le rôle des douanes dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Celle-ci s'est beaucoup accrue ces dernières années mais surtout, sa nature a changé. Elle est devenue polymorphe, des délits spécifiquement économiques étant désormais souvent associés à des délits plus généraux.

En raison des liens qui existent avec la criminalité organisée, le recyclage de l'argent sale et son blanchiment occupent une place, hélas, croissante, tant par leur volume, la sophistication des méthodes utilisées que la mobilisation d'intermédiaires, dans les infractions économiques et financières.

Quels que soient le champ géographique d'action et la « spécialité » d'un réseau criminel, il doit toujours à un moment entrer en relation avec l'économie officielle, pour investir ses profits illicites et décupler son pouvoir ou acheter des biens et services que l'économie souterraine ne peut lui fournir.

Tracfin a estimé qu'en 2001, la criminalité organisée a représenté 40 % des dossiers transmis au parquet. La procédure pénale exceptionnelle prévue par l'article premier du texte doit s'appliquer au blanchiment du produit des infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisées. Je m'associe à l'amendement adopté en ce sens par la commission des lois.

J'en viens au rôle de l'administration des douanes. Celle-ci connaît bien les réseaux de trafic propres à certaines filières comme les tabacs ou les alcools, ainsi que les circuits organisés de fraude à la TVA ou aux règles communautaires. Elle a acquis en matière de détection du blanchiment, de démantèlement du terrorisme et de contrôle de certains produits stratégiques comme les armes, une compétence incontestable qu'il faut mettre au service de la procédure judiciaire.

Les mesures proposées par le Gouvernement, notamment la possibilité donnée aux douaniers de s'infiltrer, vont dans le bon sens. Mais il faut aller plus loin en donnant à la douane judiciaire une compétence propre en matière de trafic d'armes, de vol de biens culturels et de délits de blanchiment. La commission a aussi souhaité que les douaniers puissent s'infiltrer pour constater des délits de contrefaçon de marque et amélioré la procédure de déclaration de soupçon, en l'étendant notamment au financement du terrorisme.

La place des jeux de hasard est également apparue à la commission assez inquiétante pour justifier une adaptation de notre arsenal répressif. La masse des liquidités échangées dans les jeux de hasard, la vitesse de circulation des espèces, le caractère immatériel des prestations et les possibilités de dissimulation de l'identité du détenteur des fonds sont autant d'atouts pour les « blanchisseurs ». Il leur suffit d'engager au jeu des espèces provenant d'un crime ou d'un délit, et de blanchir ensuite les sommes gagnées, qui leur sont réglées par chèque. Les offres de jeux sur Internet, les casinos virtuels permettent aussi aux joueurs de créditer un compte au moyen d'une carte bancaire et de demander que les sommes non jouées ou gagnantes soient reversées par l'organisme de jeu sur un autre compte. Tracfin a également mis au jour une pratique, courante dans le milieu du grand banditisme, de rachat de reçus gagnants. La commission des finances a donc étendu à tous les opérateurs de jeu l'obligation de déclaration de soupçon à laquelle ne sont aujourd'hui soumis que les casinos.

Elle a également renforcé l'arsenal répressif pour les délits de contrefaçon, lesquels concernent sans cesse de nouveaux produits, dans de nouveaux pays, selon de nouveaux procédés. Selon l'OCDE, la contrefaçon procure 250 milliards d'euros de revenus illégaux et représente 5 % à 7 % du commerce mondial. D'une activité artisanale, on est passé à une logique industrielle. Ces trafics menacent le chiffre d'affaires, les parts de marché, la valeur ajoutée et la créativité des entreprises des pays industrialisés, mais aussi la santé et la sécurité des consommateurs, comme on l'a vu avec des contrefaçons de médicaments, de jouets ou de pièces détachées d'avions ou de voitures. Les pertes d'emplois et de recettes fiscales qu'ils entraînent pour les pays victimes sont loin d'être négligeables.

Comme le blanchiment, la contrefaçon est devenue une forme de criminalité organisée dont les mafias d'Extrême-Orient et d'ex-pays de l'Est se sont emparée. Dans un rapport de 1998, la commission économique de l'OTAN a ainsi dénoncé l'implication de plusieurs groupes criminels dans cette activité. Un plan en faveur de la propriété industrielle qui contient plusieurs mesures destinées à lutter contre « ce soutien majeur à la grande criminalité », pour reprendre vos propres termes, Monsieur le Garde des Sceaux, est en préparation. Dans le même esprit, la commission des finances a souhaité aggraver les peines et traiter de manière différenciée les délits commis par des particuliers et ceux commis par des réseaux industriels.

Au total, la commission, qui a voté l'article 11, approuve ce projet de loi qui, incontestablement, permettra de faire face à la montée de la criminalité organisée en France, en Europe et dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Il y a une dizaine d'années, ceux qui avaient les yeux de Chimène pour la procédure pénale suivie outre-Atlantique dénonçaient l'archaïsme du système français. Dois-je leur indiquer que les Etats-Unis comptent aujourd'hui plus de deux millions de détenus et qu'avec le même ratio, les prisons françaises devraient en accueillir quelque deux cent mille ? D'autres croyaient possible de suivre l'exemple italien où un parquet indépendant est désormais chargé des enquêtes sous le contrôle d'un magistrat du siège. A ceux-ci dois-je apprendre que la justice transalpine est actuellement asphyxiée, les procédures durant en moyenne dix ans ?

Preuve, s'il était besoin, qu'en matière de procédure pénale, l'enfer peut être pavé de bonnes intentions, d'autant plus facilement détournées que le jeu des corporatismes divers exacerbe les positions. Les défenseurs de ces intérêts corporatistes savent parfaitement user de concepts juridiques abstraits, mais lourds de sens, pour s'attirer les faveurs de l'opinion, qui connaît souvent très mal le système judiciaire. Ainsi a-t-on substitué la notion de mise en examen à celle d'inculpation : l'échec de cette substitution n'en a pas moins été patent... De même, on oppose abusivement le système inquisitoire à la française au système accusatoire à l'anglo-saxonne. Nul ne sait ce dont il s'agit mais le terme même « d'inquisitoire » porte des relents d'Ancien Régime et d'atteinte aux droits de la défense... Pourtant, ceux-ci sont aujourd'hui parfaitement garantis dans notre pays et notre procédure contradictoire est parfaitement transparente.

En matière de procédure pénale, il faut avant tout se garder de vouloir copier les systèmes étrangers et de manier avec des arrière-pensées des idées floues. Il faut au contraire tenir compte de nos spécificités historiques et culturelles, et chercher, avec pragmatisme, à les adapter aux nouvelles formes de la délinquance. Le législateur doit donc être prudent, faire abstraction de ses présupposés et de ses craintes, pour élaborer des règles de nature à concilier la nécessaire répression des infractions avec un haut niveau d'exercice des droits de la défense.

J'en appelle donc à notre sens de la responsabilité, à tous, pour ne pas dénaturer le projet de loi équilibré du Garde des Sceaux, visant à adapter notre procédure sans en bouleverser les équilibres fondamentaux ni remettre en question les droits des personnes poursuivies.

N'oublions jamais que la justice est une vertu et qu'elle n'est faite ni pour les avocats, ni pour les juges, ni pour ceux qui auraient intérêt à la voir affaiblie. Ceux qui l'exercent peuvent n'être pas exempts de reproches. Ce n'est pas une raison pour la déstabiliser. Gardons-nous de renforcer par trop l'arsenal répressif, notamment en créant des incriminations superflues ou en aggravant systématiquement les peines prévues pour certaines infractions. Conscients en revanche du développement de la criminalité organisée et de l'insuffisance des outils, matériels et procéduraux, actuels destinés à la contrer, sachons les adapter. C'est dans cet esprit que le texte prévoit la mise en place de juridictions spécialisées interrégionales, de procédures spécifiques et de certaines règles dérogatoires, hélas, indispensables.

Ce texte permet aussi à la France de mieux lutter contre la criminalité organisée dans sa dimension internationale. Il prévoit notamment la mise en _uvre de la convention d'entraide judiciaire européenne en matière pénale, signée le 29 mai 2000, la création d'équipes d'enquête communes à plusieurs pays, et la possibilité pour des enquêteurs étrangers infiltrés d'opérer sur notre territoire.

Mais la justice pénale quotidienne n'est pas oubliée, puisque le texte comporte de nombreuses dispositions de simplification et d'amélioration du traitement des procédures. Citons le renforcement de l'obligation de réponse imposée au parquet lorsque l'auteur d'une infraction aura été identifié, l'extension du champ de la composition pénale, et la création d'un mandat de recherche. Surtout une innovation majeure du projet consiste à créer une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, inspirée du plea bargaining anglo-saxon. Ce nouveau mécanisme devrait permettre de désengorger les juridictions de jugement. Telle que le projet la prévoit, la procédure de « plaider coupable » permettra de tester la pertinence de cette modalité de réponse pénale. En cas de succès, une réforme future pourra en étendre éventuellement le champ d'application.

Je veux rendre hommage au travail du rapporteur Jean-Luc Warsmann, qui, après avoir auditionné pendant une cinquantaine d'heures, a su améliorer le projet. Il a notamment complété le champ des infractions relevant de la criminalité organisée, légalisé les procédés de sonorisation, gommé certaines imperfections des règles des procédures d'infiltration, simplifié les régimes de garde à vue, étendu le champ de l'ordonnance pénale, et procuré une base légale à la période de rétention qui peut exister entre la fin d'une garde à vue et la présentation devant un magistrat. Cette dernière proposition permettra de légaliser enfin la pratique inévitable du dépôt, qui n'a aujourd'hui qu'une légitimité jurisprudentielle fragile au regard de la position attendue de la Cour européenne des droits de l'homme.

Certains esprits chagrins jugeront que ce texte ne va pas assez loin. Je les invite à méditer les erreurs passées, par lesquelles les « chamboule-tout » successifs ont plongé la France dans une insécurité sans précédent, avec les conséquences électorales que l'on connaît. In medio stat virtus : le projet s'inscrit dans le droit fil de cette maxime de sagesse. Je souhaite seulement que M. le Garde des Sceaux reste attentif à la capacité de notre justice à appliquer certaines des règles nouvelles contenues dans le projet ; je pense particulièrement à l'obligation faite au parquet de donner une réponse à toutes les procédures où l'auteur sera identifié. J'espère que nos débats éviteront le syndrome de la boîte de Pandore, qui a souvent marqué nos précédents travaux sur la procédure pénale. Il ne s'agit pas de protéger tel ou tel intérêt, mais de dégager des règles adaptées aux nouvelles formes de criminalité, selon le mandat qui nous a été donné par les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Vallini - Votre projet, Monsieur le Garde des Sceaux, poursuit deux objectifs : adapter la justice aux évolutions de la criminalité, renforcer l'efficacité et la cohérence du droit pénal tout en simplifiant les règles de procédure. Si nous souscrivons évidemment à ces objectifs, les moyens que vous proposez pour les atteindre nous laissent sceptiques quant au premier et inquiets quant au second. En outre, et c'est le sens de cette exception d'irrecevabilité, plusieurs dispositions de votre texte posent des problèmes de conformité à la Constitution et, plus généralement, au « bloc de constitutionnalité ».

Tout d'abord, concernant la lutte contre les formes nouvelles de délinquance et de criminalité, votre projet instaure un nouveau régime d'exception pour des infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisées. Or le Conseil constitutionnel requiert, en matière pénale, une définition claire et précise des infractions et de leur auteur : la détermination de l'infraction doit être certaine, celle des éléments constitutifs de l'infraction doit être claire et précise. Votre article premier est critiquable au regard de ces exigences. N'étant pas juridiquement définie, la notion de « criminalité organisée » relève d'une approche criminologique ou sociologique plus que d'une définition juridique. Si ce concept s'appuie sur la gravité des faits, la référence à des critères subjectifs revient à instaurer des infractions à géométrie variable : cela serait contraire au principe de légalité des délits et des peines qu'établit l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme, et constituerait un facteur d'insécurité juridique.

Il en va de même pour la notion de « délit en bande organisée » : faute d'une définition juridique précise, c'est en fait une nouvelle procédure de droit commun que vous créez. Il ressort en effet du futur article 706-99 que cette procédure, prétendument exceptionnelle, s'appliquera en fait chaque fois qu'il y aura apparence de bande organisée. Plus grave : la nullité de la procédure pour mauvaise qualification est expressément exclue par votre texte, ce qui est inacceptable. Il est donc indispensable de mieux définir la bande organisée, qui doit être notamment distinguée des qualifications de réunion, d'association de malfaiteurs et de complicité, déjà visées par le code pénal.

En second lieu, le traitement de ces nouvelles incriminations sera confié à des pôles spécialisés dont la compétence sera déterminée par le degré de complexité de l'affaire. Ce critère de « grande complexité » des affaires doit, lui aussi, être plus précisément défini, car il introduit à nouveau un élément subjectif. En outre, vous ne précisez pas les conditions dans lesquelles s'appliquera la compétence territoriale de ces nouvelles juridictions, renvoyant pour cela à un décret d'application.

Votre réforme aboutira, en fait, à l'éclatement des procédures selon l'appréciation de la nature de l'infraction. Et le rôle de la police dans le déclenchement de la procédure exceptionnelle affaiblira les pouvoirs du juge, ce qui est d'autant plus grave que, par ce biais, une grande partie du contentieux pénal de droit commun pourra se fondre dans ce nouveau système dérogatoire. On risque donc une légalisation des détournements de procédure, avec un parquet maître du jeu, libre de choisir juges et procédures, et cela sans risque de sanction puisque, je le répète, il n'y aura pas d'annulation de la procédure pour mauvaise qualification.

Notre procédure pénale va devenir plus complexe et moins lisible, à l'opposé donc des objectifs que vous affichez. En outre, cette complexité multipliera les risques de vices de procédure dont pourront bénéficier les « nouveaux mafieux », ce qui va à l'encontre de votre objectif d'efficacité du droit pénal. Votre réforme risque ainsi de se révéler contre-productive. Il eût sans doute été plus pertinent d'unifier les régimes dérogatoires existants pour le trafic de stupéfiants et les actes de terrorisme, plutôt que d'en créer un troisième. Le seul nouveau problème que posent vraiment la délinquance et la criminalité organisées, c'est leur internationalisation : de ce point de vue, le chapitre 2 du titre premier du projet aurait sans doute été suffisant.

J'en viens aux règles de procédure spécifiques que crée ce projet. Il instaure un arsenal de nouveaux moyens, dessinant un régime tout à fait inquiétant, avec l'extension des possibilités d'infiltration des réseaux de délinquants, de surveillance des personnes et des biens, de placement sur écoutes téléphoniques, de perquisitions et visites domiciliaires, enfin de saisies de pièces à conviction sans l'assentiment de la personne chez laquelle elles ont lieu.

Pour ce qui est de l'infiltration tout d'abord, sa généralisation à un grand nombre de situations, même si elle peut être utile à la police, est dangereuse, car sa banalisation expose à un risque majeur de corruption morale, à une perte de repères, et à un contentieux sans fin sur la valeur des preuves rassemblées par ce moyen.

En second lieu, d'après le texte, les policiers pourront, après information du procureur de la République, procéder à la surveillance de personnes qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner d'avoir commis une infraction relevant de la délinquance ou de la criminalité organisées. Cette disposition pose un problème d'inconstitutionnalité, car elle méconnaît le rôle de l'autorité judiciaire comme garante de la liberté individuelle. Le Conseil constitutionnel exige en effet que le magistrat soit à même d'exercer un contrôle réel sur ce type d'opération : c'est ce qui ressort d'une décision du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration, ainsi que d'une décision du 16 juillet 1996 sur la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme, et d'une autre toute récente, du 13 mars 2003, relative à la loi pour la sécurité intérieure. Or, en l'espèce, il n'est prévu qu'une information préalable du procureur de la République, ce qui est insuffisant au regard des exigences posées par le juge constitutionnel. Votre disposition méconnaît également le principe de la légalité des peines puisque, intervenant dans le cadre d'une procédure particulière, sa mise en _uvre devrait faire l'objet d'une motivation spéciale de l'autorité judiciaire au regard de la gravité de l'infraction : cela ressort de la décision précitée du 13 août 1993.

Pour ce qui concerne les perquisitions et les visites domiciliaires, votre projet pose à nouveau un problème d'inconstitutionnalité, car il ne prévoit aucune limitation dans le temps de l'accès aux locaux. Or, dans sa décision du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel considère que « la possibilité de telles visites, perquisitions et saisies de nuit, pendant une période qui n'est pas déterminée par la loi (...) est de nature à entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle et doit par conséquent être jugée contraire à la Constitution ».

Vous créez par ailleurs un quatrième régime de garde à vue dont la durée maximale est portée à 96 heures. C'est pratiquement transformer la garde à vue en prédétention provisoire, alors que, de surcroît, la seconde visite de l'avocat ne sera autorisée qu'à la 24e heure au lieu de la 20e. Or les motifs qui justifient cette prolongation de la garde à vue encourent aussi la critique constitutionnelle, puisque la jurisprudence constitutionnelle exige des motifs exceptionnels et de très graves menaces pour l'ordre public. Or, le projet parle des « nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 », de « prolongation à titre exceptionnel » sans autre précision. C'est un peu court et le Conseil ne saurait laisser passer des formulations aussi vagues et dangereuses pour les libertés.

Face à une police et à un parquet ainsi devenus tout-puissants, le contrôle par le juge des libertés et de la détention sera purement formel, puisqu'il n'aura pas suivi l'enquête et ne connaîtra pas le dossier. En outre, de réforme en réforme, ce juge se voit chargé de nouvelles missions, qu'il ne pourra remplir sans accroissement parallèle des moyens, ce qui est loin d'être acquis. Quant à la défense, face à ce parquet et à cette police surpuissants, elle n'aura que le droit de présenter des observations au procureur de la République quand ce dernier décidera des suites à donner à l'enquête, et, en cas de comparution immédiate, d'essayer de convaincre le parquet d'ouvrir une instruction en raison de la complexité des faits. Là encore, c'est un peu court...

Si l'on considère maintenant les dispositions relatives à la répression de la délinquance et de la criminalité organisées, l'aggravation des peines prévue par l'article 2 pose aussi un problème d'inconstitutionnalité, à la lumière de la jurisprudence du Conseil qui fixe le principe de la conception objective de la peine fondée sur la gravité de l'acte et celui de l'opposition aux sanctions automatiques.

Votre projet étend d'autre part aux infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisées, le mécanisme du « repenti », actuellement prévu pour le trafic de stupéfiants et les actes de terrorisme. Ce procédé, peu appliqué, consiste à accorder une exemption ou une réduction de peine à la personne qui dénonce ses complices ou coauteurs et permet d'éviter la réalisation de l'infraction ou de faire cesser les agissements incriminés. Il s'apparente à une sorte de prime à la délation, et est donc choquant en lui-même. Il soulève en outre le problème de la protection efficace, durable, donc coûteuse pour les contribuables, des repentis.

Nous avons eu l'occasion d'en parler en commission. En Italie, l'opinion publique se retourne contre ce mécanisme, même si les premiers procès contre la mafia - vous avez parlé du juge Falcone - ont été montés grâce à des repentis. Mais le système a dérapé. Certains « collaborateurs de justice » se sont mis à dénoncer n'importe qui et n'importe quoi. Il pourrait aboutir à dispenser de toute enquête réelle, au risque d'asseoir des condamnations sur la foi de déclarations sujettes à caution.

La précision selon laquelle aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement des déclarations d'un repenti, outre qu'elle contredit le principe de la libre appréciation des preuves par le juge, constitue une garantie bien insuffisante.

L'efficacité de ce procédé reste à démontrer, d'autant qu'il pourrait augmenter les risques d'erreur judiciaire suite à des dénonciations sous pression ou à des enquêtes « allégées ».

J'en viens à la procédure pénale. Vous envisagez d'introduire, dans le deuxième volet de votre texte, le principe de la réponse judiciaire systématique, qui viendrait « préciser le principe traditionnel de l'opportunité des poursuites ». Or, il nous semble annoncer l'abandon du principe d'opportunité dans son acception actuelle, au profit du principe de légalité des poursuites, à l'opposé de notre tradition juridique et au risque d'engorgement accru des parquets et des tribunaux.

Ensuite, vous prévoyez d'étendre la composition pénale aux délits passibles de cinq ans de prison, ce qui est beaucoup, et d'ajouter aux mesures pouvant être proposées des interdictions telles que celle de paraître dans le lieu dans lequel l'infraction a été commise, de quitter le territoire national, ou d'entrer en relation avec les coauteurs ou complices éventuels ou la victime de l'infraction. Ces modifications lourdes vont conférer à la composition pénale le caractère d'une mesure de sûreté rendant nécessaire l'intervention obligatoire d'un avocat.

Quant à la réforme du mandat de recherche en vue de faciliter les placements en garde à vue par l'OPJ du lieu d'arrestation, elle est sujette à caution. Et pour ce qui est de l'allongement à quinze jours de la durée de l'enquête de flagrance, il est contraire à la notion même de flagrance.

Par ailleurs, vous étendez le droit des enquêteurs de délivrer les réquisitions judiciaires, permettant à un OPJ d'accéder à tous documents ou informations intéressant l'enquête, sans que le secret professionnel ne puisse lui être opposé. Le champ d'application de cette disposition, pratiquement illimité, permettra la levée de tous les secrets protégés par la loi - à l'exception du secret défense - détenus par toute personne, physique ou morale, publique ou privée y compris, et quoi que vous en disiez, par les avocats.

M. le Garde des Sceaux - C'est faux ! Je ne peux laisser dire un mensonge. Je vous renvoie au texte même. Ce n'est pas parce que certains lecteurs se trompent qu'il faut les croire. Je tenais à le dire au moment même où vous vous exprimez.

M. André Vallini - J'ai vu, la semaine dernière, le conseil national des barreaux, qui s'étonne que vous n'ayez pas suivi ses préconisations. Il s'inquiète des dispositions relatives au secret professionnel, je le maintiens.

M. le Garde des Sceaux - Pas du tout !

M. André Vallini - Outre les avocats, les notaires, les médecins et professions paramédicales, les banquiers, le Trésor public ne pourront plus protéger le secret professionnel dont ils sont dépositaires. Votre texte vise même les informations figurant dans les fichiers nominatifs visés par la loi « informatique et libertés ».

Le secret professionnel n'est pas tant destiné à protéger les professionnels que leurs clients pour lesquels il s'agit d'un droit absolu, même s'il n'a pas, pour l'heure, valeur constitutionnelle. Obliger ceux qui en sont dépositaires à révéler les secrets et/ou les confidences de leurs clients implique que toute atteinte à l'ordre public conjoncturellement qualifiée de grave et donc nécessairement variable, justifierait une atteinte à un droit fondamental. Nous ne pouvons l'accepter.

Quant au mandat de recherche, délivré par le juge d'instruction, que vous instituez, il n'aura d'autre but que de permettre le placement automatique en garde à vue. C'est inacceptable.

Et que dire de la possibilité donnée au juge d'instruction de se déplacer pour diriger et contrôler l'exécution de la commission rogatoire - sans être assisté de son greffier, ni devoir dresser procès-verbal - et d'ordonner à cette occasion la prolongation des gardes à vue. Or, la présence du greffier est indispensable pour garantir la régularité de cette procédure, malgré l'arrêt récent de la Cour de cassation.

Votre texte permettrait en outre aux experts d'ouvrir et de reconstituer des scellés. Outre son caractère choquant, cette disposition est contraire à l'article 97 du code de procédure pénale qui impose une ouverture contradictoire des scellés, en présence de la personne mise en examen assistée de son avocat.

Autre disposition critiquable : en cas d'empêchement, le juge des libertés et de la détention est remplacé par un magistrat du siège désigné par le président du TGI. Compte tenu des pouvoirs de ce juge, il est indispensable qu'il soit expérimenté. Il conviendrait donc que le magistrat remplaçant soit au moins du même grade, ou à défaut, qu'il justifie d'un minimum d'ancienneté.

Nous nous félicitons, en revanche, du renforcement des droits de la victime et des témoins assistés qui s'inscrivent dans la continuité de la loi de juin 2000 sur la présomption d'innocence.

Si les dispositions relatives à la comparution immédiate et à la convocation par procès-verbal paraissent porteuses de progrès, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité nous laisse perplexes.

Le « plaider coupable » est fait pour désengorger les tribunaux. Il n'est pas illogique de vouloir traiter différemment ceux qui reconnaissent leur culpabilité et ceux qui la nient, même si ce raisonnement interroge sur le rapport à la loi puisqu'il revient à admettre qu'il est possible de la violer, puis de négocier la sanction.

Pour que cette procédure soit acceptable, il faudrait en exclure les peines privatives de liberté. C'est d'ailleurs du reste le seul moyen de rendre le « plaider coupable » conforme à la Constitution.

Mais, telle que vous la prévoyez, cette procédure heurte des dispositions de valeur constitutionnelle. Elle implique que la personne reconnaissant les faits renonce au principe de la présomption d'innocence. Or, elle ne peut le faire que dans le cadre d'un processus contradictoire. En effet, aux termes de l'article 9, de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, seule une juridiction a le pouvoir de le déclarer coupable. Il est donc douteux que la loi puisse prévoir la possibilité de renoncer à un procès lorsque une peine privatise de liberté est en jeu.

D'autre part, cette procédure n'instaure-t-elle pas une présomption de culpabilité contraire à ce même article 9 ? Le Conseil constitutionnel a précisé qu'il résulte des articles 8 et 9 de la déclaration des droits de l'homme un principe « selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ». Or, le « plaider coupable » peut conduire une personne à être punie pour des faits qu'elle n'a pas commis.

En effet, ce mécanisme risque de favoriser des pressions. Il suffit de voir ce qui se passe aux Etats-Unis pour imaginer tous les marchandages et tous les chantages auxquels le « plaider coupable » peut conduire.

Enfin, votre texte reste très en deçà des exigences constitutionnelles relatives au pouvoir de contrôle du juge puisque le président du TGI devrait statuer « le jour même » et donc sans avoir eu accès au dossier.

Cette procédure réunirait les pouvoirs d'accusation, d'investigation et de jugement entre les mains d'une seule et même personne, le procureur, qui sera chargé d'accuser, d'enquêter et de sanctionner, le juge n'étant là que pour homologuer. Le juge d'instruction sera remisé au magasin des accessoires. Certes, il a longtemps été critiqué. Je ne sais plus qui de Napoléon ou de Clemenceau disait que « le juge d'instruction est l'homme le plus puissant de France dans son ressort ».

Pendant longtemps ses pouvoirs ont paru exorbitants mais la loi Guigou y a remédié en instituant le juge des libertés et de la détention. Le rôle du juge d'instruction est d'instruire - 7 % des affaires pénales seulement, d'ailleurs. Si on lui reproche d'être plus un enquêteur à charge qu'à décharge, l'affaire de l'assassinat de la petite Caroline Dickinson a montré toute son utilité puisque ses investigations ont mis hors de cause l'homme qui avait avoué le crime à l'issue de 45 heures de garde à vue ! L'exemple du bagagiste de Roissy est tout aussi éclairant.

Vous dites vouloir conserver le juge d'instruction mais vous le « désactivez ». Certains pays, dont l'Italie, ont franchi le pas en supprimant le juge d'instruction, mais cette réforme s'est accompagnée de la reconnaissance de l'indépendance totale du parquet.

Telle n'est pas votre intention. Je me souviens vous avoir vu au Journal de France 3, Monsieur le Garde des Sceaux ; vous disiez vouloir rétablir les instructions individuelles que le gouvernement de Lionel Jospin avait supprimées. La loi n'a pu aller jusqu'au bout puisque le Président de la République a annulé la convocation du Congrès qui devait permettre la révision de la Constitution sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Bref, vous supprimez le juge d'instruction, mais loin de rendre les procureurs indépendants, vous les reprenez en mains !

J'ajoute qu'avec l'article 17 de ce projet, le Garde des Sceaux va faire son entrée officielle dans le code de procédure pénale : c'est une première qui ne laisse pas de nous inquiéter.

M. Gérard Léonard - Quelle vision de la République !

M. André Vallini - Je suis aussi républicain que vous, et je suis tout à fait d'accord pour que le ministre de la justice donne des directives de politique pénale à ses procureurs. Mais c'est autre chose que de donner dans les dossiers individuels des instructions de nature à dévier le cours de la justice !

M. Gérard Léonard - Ce n'est pas du tout l'esprit du projet !

M. André Vallini - Finalement, Monsieur le ministre, votre projet va réussir le tour de force de combiner les défauts du système accusatoire, en particulier l'inégalité des armes, et ceux du système inquisitoire, notamment la religion de l'aveu : vous marginalisez le juge d'instruction au profit du procureur sous le contrôle - très léger - du JLD face à une défense bien démunie et, parallèlement, vous renforcez l'obsession de l'aveu avec, notamment, l'allongement de la garde à vue et, bien sûr, le « plaider coupable ». En introduisant ainsi des éléments du système accusatoire, vous allez paradoxalement aggraver les travers du système inquisitoire. La loi Guigou réformait notre système inquisitoire par le haut, notamment s'agissant des droits de l'homme et de la défense ; vous vous apprêtez à modifier la procédure pénale par le bas, c'est-à-dire par le répressif.

La procédure pénale a fait l'objet de plus de treize modifications depuis 1981. Il est temps de choisir une fois pour toutes un équilibre et de s'y tenir.

La vraie solution est à rechercher dans une meilleure intégration des droits nationaux afin de créer un espace judiciaire européen. Certes votre texte va, de ce point de vue, dans le bon sens, mais il faut aller plus loin. Il est possible de construire une procédure nouvelle - par exemple en s'inspirant du TPI - qui ne soit pas la copie de l'un ou l'autre des systèmes nationaux.

Non seulement votre réforme rate sa cible, mais elle marque un recul grave des libertés individuelles. Telle était déjà la caractéristique de la loi d'orientation et de programmation pour la justice adoptée l'été dernier, avec tout d'abord l'élargissement de la comparution immédiate, applicable aux délits punis de six mois à dix ans d'emprisonnement, voire vingt ans en cas de récidive - notion qui est elle-même élargie : rendez-vous compte, chers collègues de la majorité, que depuis votre vote on peut « prendre vingt ans » en comparution immédiate !

M. Gérard Léonard - Caricature !

M. André Vallini - Non, c'est un fait juridique ! Et cela peut arriver à l'un de vos proches.

Autres dispositions régressives de la loi d'orientation : la réduction des droits du gardé à vue ; l'obligation pour le juge de motiver le refus du placement en détention - la liberté ne se présume plus - et l'instauration du référé-détention qui oblige le juge à maintenir en détention « sur ordre » du procureur ; l'abaissement du seuil de cinq à trois ans pour la détention provisoire, laquelle explique la surpopulation carcérale - à raison de 1 000 détentions de plus par mois, nos prisons comptent aujourd'hui 60 000 détenus pour 47 000 places ! Le risque d'« explosion carcérale » est grand si vous ne votez pas l'amendement Warsmann et même peut-être si vous le votez !

Monsieur le ministre, votre rôle n'est pas d'accompagner systématiquement les réformes de votre collègue de l'intérieur. Face à son obsession sécuritaire, à ses excès et à ses outrances, en un mot, à sa démagogie, vous devriez vous poser en homme de sagesse et de mesure. Face à ses réformes inspirées par une vision uniquement répressive, vous devriez marquer les vôtres d'une vision sereine et équilibrée. Or votre projet est, au sens littéral du mot, d'inspiration policière. Cette réforme a été lancée, élaborée, voulue par la hiérarchie policière qui entoure M. Sarkozy. C'est la première fois dans l'histoire républicaine que l'on voit ainsi le ministère de l'intérieur dicter sa loi en matière de procédure pénale.

La justice n'a pas vocation à emboîter le pas à la police. Sans retomber dans une opposition stérile entre ces deux grands ministères régaliens, il convient d'éviter la confusion des genres : chacun dans son rôle, chacun à sa place. Il est inacceptable que la place Vendôme se transforme en annexe de la place Beauvau ! La justice doit protéger la société, certes, mais elle doit aussi en protéger chacun de ses membres, et la défense des libertés n'est pas moins essentielle que celle de l'ordre.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - Je voudrais corriger un certain nombre d'inexactitudes.

En ce qui concerne les « repentis », il est précisé expressément qu'aucun jugement ne pourra être prononcé sur le seul fondement de ce que dit un repenti.

Les infiltrations sont et demeureront des actions très ponctuelles et réalisées par des services spécialisés - ne serait-ce qu'en raison du risque pris par un OPJ infiltré dans un réseau de criminalité organisée -, sous le contrôle d'un juge. Nous proposons d'ailleurs par amendement de préciser que celui-ci doit s'exercer jusqu'au dernier moment.

L'information préalable du parquet existe déjà à divers endroits du code de procédure pénale, par exemple à l'article 54 concernant la perquisition dans le cadre de l'enquête de flagrance.

La garde à vue : il n'est absolument pas question de la prolonger systématiquement, mais seulement lorsque cela sera nécessaire. Pour la première prolongation, il faut obtenir l'autorisation d'un magistrat du Parquet ; ensuite, l'autorisation d'un magistrat du siège.

Le secret professionnel n'est en rien touché. C'est très clair, même si vous prétendez le contraire.

Au sujet du plaider coupable, M. Vallini semble oublier que le projet impose la présence de l'avocat dès le début. Il craint la condamnation de personnes innocentes : c'est oublier aussi qu'une ordonnance d'homologation de la sanction doit être prise par un juge du siège, lequel n'aura pas un rôle d'enregistrement mais devra vérifier la réalité des faits.

En matière de perquisition, le Conseil constitutionnel a réaffirmé le pouvoir de décision du juge du siège. M. Vallini prétendait à l'instant que le procureur de la République allait mener l'enquête et sanctionner, alors qu'il ne fera que proposer ; si le prévenu accepte, la décision appartiendra au juge du siège.

Enfin, je tiens à saluer l'hommage rendu par M. Vallini au renforcement des droits de la victime.

Pour toutes ces raisons, je vous demande le rejet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Léonard - M. Vallini a respecté scrupuleusement une pratique devenue rituelle, déjà mise en _uvre lors de la discussion de la loi de programmation et d'orientation relative à la sécurité intérieure, de la loi d'orientation et de programmation sur la justice, plus récemment du projet de loi de sécurité intérieure. On exprime son scepticisme sur l'efficacité, et son inquiétude quant aux libertés - critique de bonne guerre, à condition de n'être ni outrancière ni caricaturale (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Vous nous menacez des foudres du Conseil constitutionnel qui, pourtant saisi sur les trois textes précités, n'y a pas trouvé les périls que vous dénonciez. Aussi, au nom de l'UMP, je demande le rejet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vaxès - Monsieur le ministre, je partage vos objectifs : adapter l'organisation de la justice à celle du crime, raccourcir les délais de procédure, tout en veillant à ce que la justice ne devienne pas expéditive, respecter les droits de la défense, éviter de transformer le procureur en juge.

Cependant, M. Vallini a souligné les risques d'une mauvaise interprétation de nombreux points, du fait de leur imprécision juridique. Vous-même avez dû intervenir pour rectifier le sens du texte.

Compte tenu du bien-fondé de vos objectifs, il serait sage de ne pas risquer la censure du Conseil constitutionnel. Aussi voterons-nous l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 18 heures 20, est reprise à 18 heures 40.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Lorsque la justice est tenue en échec, lorsqu'elle n'est plus l'institution qui protège les libertés, rétablit chacun dans ses droits, applique la règle et sanctionne les manquements, tout en cherchant la réhabilitation, c'est le contrat social qui se voit altéré et la cohésion sociale qui est menacée. Socle de notre vie collective, la justice est au centre des conflits de pensée et d'intérêts ; elle est l'espace du débat, puis de la décision qui s'impose à tous ; elle est celui de la solution, de l'espoir et donc de la déception ; elle embrasse toutes les certitudes et tous les doutes. Cela est d'autant plus vrai dans le domaine pénal.

Le titre de ce projet de loi affiche un objectif auquel on ne peut que souscrire : adapter la justice aux évolutions de la criminalité est une exigence évidente. C'est même une des responsabilités fondamentales du législateur, si lourde qu'il se doit de l'assumer dans la concertation avec ceux qui , quotidiennement, en sont les serviteurs compétents et dévoués, inspirés de l'idéal républicain et de ses valeurs. Pour cela, vous prétendez développer les moyens de la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées : vous créez dans le code de procédure pénale une procédure spécifique pour les infractions qui y sont relatives et vous apportez des modifications générales à différentes phases de la procédure pénale en prétendant renforcer ainsi la cohérence des règles applicables. Nous estimons que ces deux dispositifs seront inefficaces, mais aussi dangereux.

Vous affirmez avoir écouté les acteurs du monde judiciaire, mais vous ne les avez pas entendus (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste). Ils sont nombreux à dire que ce projet, en l'état, mène la justice sur des chemins hasardeux.

Le titre premier porte sur la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées. L'article premier énumère les crimes et délits auxquels doit s'appliquer une procédure dérogatoire du droit commun lorsqu'ils sont commis en « bande organisée ». Mais il existe déjà dans le code pénal de multiples incriminations concernant les infractions commises en réunion ! Certaines sont collectives par nature, telles que le complot ou l'insurrection. Pour les autres, le terme générique utilisé jusqu'à présent était la bande organisée.

Le délit d'association de malfaiteurs, prévu par l'article 450-1 du code pénal, permet de lutter contre la délinquance et la criminalité organisées. Le code pénal de 1992 a en outre généralisé la circonstance aggravante de bande organisée -laquelle n'existait jusqu'alors qu'en matière de vol ou de destruction par explosifs- à toute une série d'infractions et délits limitativement énumérés : trafic de stupéfiants, enlèvement et séquestration, proxénétisme, extorsion de fonds, recel, blanchiment, fausse monnaie et escroquerie. Chacune de ces infractions, commise en bande organisée, est plus sévèrement sanctionnée, la durée des peines d'emprisonnement pouvant être triplée. Dans la même logique, la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2002 a aggravé la répression de la traite des êtres humains et l'exploitation de la mendicité si celles-ci sont le fait de bandes organisées.

Dès lors, était-il vraiment utile de créer de nouvelles incriminations, une nouvelle procédure et une nouvelle juridiction ? L'usage de cette circonstance aggravante ne suffisait-il pas ? La complexité de votre dispositif nuira à son efficacité même. Nous ne sommes pas loin du moment où pour chaque infraction seront prévues une procédure et une juridiction particulières ! Encore une fois, l'exception tend à devenir la règle.

A cette interrogation sur l'opportunité même de votre dispositif, s'ajoutent des inquiétudes.

Premier motif d'inquiétude : l'insuffisance de la définition que vous donnez de la bande organisée, de surcroît identique à celle de l'association de malfaiteurs figurant à l'article 450-1 du code pénal. Cette imprécision et cette identité de définition pouvaient se comprendre tant que la bande organisée ne constituait qu'une circonstance aggravante, laissée à l'appréciation de la juridiction. Elles le sont beaucoup moins dès lors que cette notion est présentée comme l'objet d'un projet de loi et deviennent franchement inacceptables lorsqu'elle justifie le recours à une procédure dérogatoire au droit commun tant au niveau de l'enquête que de la poursuite, de l'instruction et du jugement.

Un texte de loi n'est pas un article de presse. Il ne suffit pas pour nous éclairer sur la notion de bande organisée de proclamer comme dans votre étude d'impact, que « le Gouvernement souhaite s'attaquer aux formes de criminalité organisée qui portent atteinte aux intérêts sociaux les plus importants » ni d'invoquer comme dans un récent communiqué de presse, les « réseaux criminels internationaux » ou « les réseaux mafieux particulièrement violents et dangereux ». En l'état, la définition retenue est si vague qu'elle pourra être utilisée dans un très grand nombre de situations, y compris des actions syndicales, ce que, j'en suis sûr, Monsieur le Garde des Sceaux, vous ne souhaiteriez pas. Avocats, magistrats, policiers, tous vous ont alerté sur les dangers d'un tel flou juridique et sur la violation du principe constitutionnel de la légalité des peines. Nous proposerons donc à l'Assemblée d'adopter une définition précise de la « bande organisée ». En effet, seule une organisation structurée, pérenne et sciemment établie doit justifier la mobilisation exceptionnelle des policiers et des magistrats de plusieurs cours d'appel et la mise en _uvre de procédures exceptionnelles.

Deuxième motif d'inquiétude : le risque de généralisation du recours à une procédure dérogatoire prévue, à l'origine, pour rester exceptionnelle. Il ne suffit pas, en effet, de restreindre le champ de la « bande organisée » pour en limiter l'usage. Le projet prévoit que les changements de qualification sont sans incidence sur la régularité de la procédure antérieure. Dans ces conditions, il sera difficile à l'action publique de résister à l'intérêt d'utiliser la procédure dérogatoire au droit commun. « Normaliser » cette procédure exceptionnelle serait dévoyer la justice. Autant l'on peut admettre que des moyens particuliers soient utilisés contre les délinquants et les criminels les plus dangereux, autant l'on peut redouter que leur utilisation contre de simples prévenus ne conduise à des erreurs judiciaires. Ainsi, la prolongation de la garde à vue est un moyen de pression susceptible de provoquer des aveux incertains. De même, les droits et libertés du citoyen sont entamés par des dispositifs exceptionnels comme la perquisition sans l'assentiment de la personne concernée, ou la nuit, ou bien encore le placement sur écoute téléphonique. Que dire enfin de l'utilisation de cette procédure lorsqu'elle conduit à une relaxe ? Nous proposerons donc un amendement visant à annuler les actes accomplis dans le cadre dérogatoire.

Dernière et principale inquiétude : les mesures proposées seront inefficaces pour combattre, comme vous le prétendez, les réseaux mafieux internationaux qui menacent le développement économique, social et politique de nos démocraties.

L'article 3 institue la possibilité d'une exemption ou d'une réduction de peine pour toute personne ayant, avant toute poursuite, averti les autorités et ainsi permis d'éviter la réalisation d'une infraction ou d'identifier les autres coupables. C'est le fameux recours aux repentis. Non seulement cette mesure alourdira la charge de travail des juridictions, mais cette prime à la délation relève, selon les termes mêmes de la CNCDH, d'une « conception dégradante de la justice pénale ». Cette disposition aura de surcroît un coût financier - allocations mensuelles, logement, protection policière - que l'Etat ne sera pas en mesure de supporter et que l'opinion publique risque de ne pas admettre. Enfin, elle sera très difficile à mettre en _uvre. Intégrée dans la loi pour faciliter la lutte contre les trafics de stupéfiants, elle est demeurée sans application en France.

Par ailleurs, là où il est utilisé, le recours au repenti a montré ses limites. En Italie, référence en ce domaine, les premiers succès ont été suivis de graves dérives à l'origine de nombreuses erreurs judiciaires intervenues sur la base de dénonciations calomnieuses de la part d'une mafia ayant compris l'intérêt qu'elle pouvait en retirer. Pourtant, le dispositif italien prévoit des garde-fous qui n'existent pas dans votre projet de loi. En effet, il ne s'applique qu'au profit de personnes déjà condamnées. Cela écarte toute repentance destinée à se préserver d'une décision pénale. Le statut de repenti n'est en outre conféré qu'après décision d'une commission. La seule précaution retenue dans votre texte est qu'il n'y aura pas de condamnation sur la seule base d'une déclaration d'un repenti. Cette garantie, insuffisante, se heurte à la liberté d'appréciation du juge.

L'inefficacité des mesures prévues tient également à la dispersion des juridictions qui auront à connaître de faits relevant d'une même entreprise mafieuse. Dans la future juridiction spécialisée, les pôles créés en matière de bande organisée et de délinquance douanière sont distincts de ceux qui existent déjà pour la délinquance économique et financière ainsi que pour le trafic de stupéfiants. Qui niera la connexité entre ces phénomènes ? Pourquoi n'avoir pas plutôt élargi l'action du pôle économique et financier aux infractions que vous visez ? Vous auriez évité les problèmes qui naîtront de la concurrence entre compétences et entre services. Cette fragmentation affaiblira en outre l'efficacité et la cohérence des poursuites. Outre cette nécessité de regroupement, nous nous interrogeons aussi sur les conséquences qu'aura l'absence de moyens supplémentaires, s'ajoutant à ceux, déjà insuffisants, des juridictions existantes.

Une erreur fondamentale de perspective entache votre démarche. Tout le dispositif du chapitre premier est - pardonnez l'expression - « à côté de la plaque ». Car ce qui fait prospérer les réseaux mafieux internationaux, c'est l'hétérogénéité des systèmes judiciaires, la discontinuité des enquêtes et des poursuites ! Un délit préparé dans un pays est commis dans un autre, son produit est reçu dans un troisième et blanchi dans un quatrième. Ce mode opératoire est général, qu'il s'agisse de prostitution, de trafic de voitures, d'armes ou de cigarettes. Il n'est d'efficace qu'un traitement international des problèmes, avec une prise en compte dans les législations internes du caractère international du phénomène. Vous ne le faites pas en créant une procédure dérogatoire et des juridictions spéciales. Vous le faites trop modestement dans le dispositif d'amélioration de l'entraide judiciaire internationale. En vous contentant de transcrire en droit interne les accords passés par vos prédécesseurs, vous manquez d'ambition - ce qui rejoint votre prudence excessive face à la désignation d'un procureur européen. Il fallait amplifier la démarche du précédent gouvernement : il avait pris la mesure du problème, notamment lorsque, exerçant la présidence de l'Union, il avait engagé la démarche de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, qui a imposé la création du mandat d'arrêt européen. C'est dans cette voie qu'il fallait poursuivre. Seule cette partie de votre dispositif touche au c_ur de la criminalité organisée.

Votre texte, il est vrai, n'entend pas seulement lutter contre la criminalité organisée. Vous proposez de multiples modifications de la procédure pénale de droit commun pour, dites-vous, « renforcer la cohérence et l'effectivité des règles applicables ». A cette fin, vous partez du principe qu'en accroissant le rôle du procureur, la rapidité et l'efficacité de la justice seront améliorées.

A nos yeux, vos dispositions seront tout d'abord inutiles. L'origine des problèmes quotidiens de la justice pénale est ailleurs. A nouveau, vous croyez pouvoir pallier des insuffisances budgétaires, par une réforme du code de procédure pénale. Certes, prolongeant l'effort constant du précédent gouvernement, vous avez encore pu, en octobre 2002, obtenir une augmentation de votre budget. C'était la seule voie ! Il aurait fallu poursuivre. La justice souffre essentiellement d'un manque de moyens.

Chiffre effrayant : la France ne compte pas plus de magistrats qu'en 1910, alors que le contentieux a été multiplié par dix ! Dès lors il est vain de se demander longuement si telle ou telle modification de la procédure pénale permettra de désengorger les tribunaux. Il suffit d'avoir le courage de reconnaître que la justice a un coût - et que ce coût, il faut l'assumer, si l'on veut qu'elle agisse efficacement et dans le respect des principes démocratiques.

Seulement, depuis octobre 2002, le volontarisme budgétaire de votre Premier ministre s'est effondré, dans ce domaine comme dans les autres. On nous prévient que dans la loi de finances pour 2004, les dépenses connaîtront une croissance zéro, et chaque ministère est prié d'inventer des rustines pour colmater les brèches.

Saluons l'imagination de la place Beauvau et de la place Vendôme ! En moins d'un an, elles ont produit huit réformes pénales : loi d'orientation et de programmation pour la sécurité, loi d'orientation et de programmation pour la justice, loi sur les juges de proximité, loi sur la sécurité intérieure, projet de loi sur la violence routière, projet de loi sur le droit d'asile, projet de loi sur l'immigration et enfin le présent projet... Cela peut être efficace en termes de communication, mais très provisoirement. L'opinion publique, d'abord abusée par cette accumulation de réformes artificiellement fragmentées, découvrira bien vite d'amères réalités.

De même, pour la qualité de la justice, votre démarche est radicalement contre-productive. Sous couvert d'efficacité, vous allez au contraire compliquer la procédure et accroître les tâches des magistrats et des personnels, des tribunaux déjà soumis à une logique de « productivité » - oui, il arrive que ce mot soit employé... Qui pis est, les cas de nullité des procédures se multiplieront pour le grand bonheur des délinquants avertis, et les questions d'application de la loi dans le temps et d'exécution des peines deviendront inextricables. Enfin, quand les illusions nées de la communication céderont devant la réalité, l'opinion publique condamnera, d'un seul geste, les professionnels de la justice et les responsables politiques. On sait à quelles tragiques conclusions peut aboutir une telle désapprobation... On peut donc déjà le prévoir : cette réforme de la procédure pénale en annonce une autre, qui prétendra derechef « renforcer la cohérence et l'effectivité des règles applicables », antienne de tous les exposés des motifs de toutes les lois réformant le code de procédure pénale.

Mais les modifications que vous apportez à la procédure pénale ne sont pas seulement vouées à l'échec : elles sont dangereuses, car elles bouleversent le sens, donc l'équilibre de notre justice pénale.

Au c_ur de cette justice, vous placez le parquet. Dans la phase d'enquête, son rôle était déjà déterminant. Il est amplifié, notamment dans le dispositif dérogatoire relatif à la criminalité organisée. Dès lors que vous placez au c_ur de la démarche pénale l'action publique, c'est-à-dire la police et le parquet, ceux-ci marqueront d'une empreinte indélébile la décision judiciaire.

Cette empreinte sera encore accentuée, dans la phase de jugement, par la création de la comparution sur déclaration préalable de culpabilité, qui laisse planer en outre de grandes interrogations sur le respect du droit à un procès équitable. Cette procédure est actionnée par le procureur qui détient un véritable pouvoir d'appréciation sur la nature et le quantum de la sanction, renvoyant le juge du siège à une simple compétence d'homologation. Comment s'instaurera le débat entre le prévenu et le procureur, qui détient la faculté de décider d'autres procédures plus lourdes et pouvant apparaître plus aléatoires pour la personne concernée ? Les allusions aux risques d'une procédure plus lourde, d'une peine maximale, d'une potentialité d'incarcération imprégneront jusqu'à la sincérité des aveux et de l'accord !

Encore avez-vous donné à ce « plaider coupable » l'homologation d'un juge. Sur sa nature, il faudra d'ailleurs que le débat nous éclaire. Mais que dire de l'extension de la composition pénale, qui, du début à la fin, est conduite par le parquet ? Nombre de dossiers échapperont de la sorte aux décisions des juges du siège. Il s'agit de tous les délits pour lesquels la peine initiale encourue est l'emprisonnement pour une durée inférieure ou égale à cinq ans : nous sommes donc déjà dans une délinquance substantielle ! Or, là encore le procureur, avant l'engagement de l'action publique, pourra initier et conclure une démarche tendant à sanctionner une infraction pénale. Ce qui est d'autant plus critiquable que le procureur pourra prononcer de nouvelles mesures, comparables au contrôle judiciaire, et constituant de véritables mesures de sûreté.

Cette prééminence du parquet dans la phase de jugement, induit des effets pernicieux sur les fondements et l'organisation de la justice pénale. Chacun sait que les conditions actuelles de fonctionnement des parquets ne leur permettent pas de remplir toutes leurs missions. En ajouter de nouvelles, et d'aussi importantes, les conduira à l'asphyxie. Nous l'avons entendu dans les auditions. Mais surtout toutes ces techniques procédurales qui donnent la prééminence au procureur, au-delà de ses fonctions de responsable de l'action publique, mettent en cause les principes fondateurs de la justice pénale. Celle-ci, je le rappelle, s'articulait autour de principes simples : l'action publique était menée par le parquet ; l'instruction était conduite, à charge et à décharge, par un juge indépendant ; enfin le jugement était rendu collégialement, par les magistrats du siège. Mais aujourd'hui il faut aller vite, cela devient la seule règle... Dans ce but, vous remettez en cause cette répartition des compétences et des responsabilités au profit du parquet. En limitant l'intervention des juges d'instruction et les jugements collégiaux, vous allez dégrader les fondements de la procédure pénale.

Juger une personne qui a commis une infraction, en effet, ce n'est pas marchander sa peine ! C'est prendre en compte aussi bien les circonstances de l'acte que la personnalité du sujet impliquée, et aussi - point dont votre texte ne dit mot - les finalités de la peine : sanction, exemplarité, réparation du dommage, réinsertion... Comment ces finalités seront-elles préservées dans votre procédure ? Ces responsabilités doivent rester celles des juges du siège. Dans le plaider coupable, comme dans la composition pénale élargie, le procureur ne pourra intégrer pleinement ces éléments. Ou s'il le fait, ce sera dans le cadre d'un marchandage aussi attentatoire à la sacralité des droits individuels qu'à celle de la sanction.

Le procureur qui représente la société ne doit pas juger. Sa responsabilité dans l'action publique sera entamée dès qu'il devra se demander s'il doit ou non envisager un « plaider coupable ».

Le système judiciaire pénal peut-il se passer des juges, même dans les dossiers les plus simples ? C'est la question qui se pose.

Votre projet ne consacre pas seulement la prééminence du parquet sur la magistrature du siège, il bouleverse l'équilibre entre l'accusation et la défense.

La marginalisation du juge d'instruction est un mauvais coup porté à la défense. Alors que le procureur de la République regroupe les preuves incriminant le prévenu, le juge d'instruction instruit chacun de ses dossiers à charge et à décharge. Lorsque ces principes étaient critiqués, ils ouvraient le champ du débat contradictoire et de la saisine de la juridiction d'appel. Dans une affaire célèbre, un innocent aurait pu être condamné pour le meurtre d'une fillette, sur la base des aveux recueillis par le procureur, s'il ne s'était pas trouvé un juge d'instruction pour révéler son innocence.

L'abaissement du statut du juge des libertés et de la détention est déplorable. Lorsque ce magistrat a été institué, nous savions que pèseraient sur lui de hautes et belles responsabilités. Le mode de recrutement était placé au plus haut de la juridiction. Ce magistrat va devenir le « juge à tout faire » de la procédure pénale. Il sera prélevé sur l'effectif judiciaire, à n'importe quel niveau de la hiérarchie, en fonction des besoins.

Ce magistrat, cantonné dans un rôle de figuration, n'assurera plus la mission que le texte fondateur lui destinait.

Bien plus graves encore sont les atteintes portées contre les droits de l'avocat.

En face du procureur, ses droits ni ses moyens matériels ne sont réévalués alors que l'on s'engage dans un système à finalité accusatoire.

Il y aura un déséquilibre important entre les éléments connus, les moyens mis en _uvre par le parquet et ceux dont le prévenu, avec son avocat, pourra bénéficier.

Il n'y a, par ailleurs, aucune amélioration du statut du mis en cause.

Alors que l'essentiel de la procédure se déroule lors de l'enquête, l'avocat reste à l'écart ne pouvant, ni consulter le dossier, ni solliciter des mesures d'investigation.

Pire, certaines présences de l'avocat, en garde à vue, sont supprimées. La commission nationale consultative des droits de l'homme vous a alerté sur l'importance de la visite, à la trente-sixième heure, moment particulièrement éprouvant pour le gardé à vue.

Il n'y a pas de jugement sans avocat. C'est un principe républicain qui date de deux cents ans. Cette situation bénéficie à tout citoyen quel qu'il soit, du plus haut de la hiérarchie institutionnelle jusqu'au plus humble de nos concitoyens.

M. René Dosière - Il ne faut pas quand même remonter trop haut ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - D'autres petits reculs des droits de la défense sont insidieusement opérés. Ainsi de la réduction du délai, de six à quatre mois, pour soulever la nullité des actes accomplis avant la première comparution.

C'est peu connaître les conditions de saisine, notamment des avocats commis d'office, que de penser qu'ils ont les moyens de se positionner dans l'examen de l'intégralité des pièces surtout quand sept à huit mois sont parfois nécessaires pour avoir la copie des pièces pénales dans les TGI. Il ne faut pas porter atteinte aux principes mais régler les questions d'intendance.

Il en va de même de l'absence de caractère contradictoire pour l'ouverture des scellés par les experts, en contradiction avec l'article 97 du code de procédure pénale.

Enfin, pour respecter l'égalité des armes, il est indispensable que le droit commun soit reconnu au procureur de la République d'assister aux interrogatoires soit étendu aux avocats des parties.

L'idée que la justice est un instrument essentiel dans la prise en compte des problématiques de société est légitime, mais la justice peut-elle tout régler ? Ne sommes-nous pas en train de tout lui demander et de renier ainsi les fondements séculaires de notre droit pénal, conquête sur l'absolutisme et les privilèges ?

Telles sont les interrogations qui motivent cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Deux questions se posent : a-t-on des problèmes avec la criminalité organisée ? Doit-on améliorer les dispositifs pour lutter contre elle ?

En 2002, grâce à l'action du Gouvernement, la délinquance a baissé. Pourtant, une augmentation sensible de certaines catégories d'infractions est notable : 30 % en 2002 pour le proxénétisme, 11 % en 2002 après 15 % en 2001 et 13 % en 2000 pour les prises d'otages et les séquestrations, 43 % pour la fausse monnaie, 15 % pour les faux documents d'identité. Nous avons besoin d'adapter notre droit à l'évolution de la délinquance.

Je ne comprends pas très bien l'argumentation de l'opposition. Il y a quelques semaines, nous avons discuté de la loi sur la sécurité intérieure. L'opposition nous reprochait de ne prendre en considération que les petits délits de la vie quotidienne. Elle demandait que l'on s'attaque aux délits importants, à l'argent sale. Nous y sommes ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Mais elle nous demande aujourd'hui de ne pas débattre de ce projet.

Je demande le rejet de cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Michel Vaxès - La lutte contre les formes actuelles de délinquance ou de criminalité organisées doit être renforcée et le démantèlement des réseaux souvent mafieux doit être une priorité. Cet objectif, nous le partageons.

Nous sommes convaincus de la nécessité d'une réforme de notre droit pour adapter cette lutte aux nouvelles réalités de la criminalité.

Cependant votre texte est extrêmement complexe. Le non-juriste - j'en suis un - a eu le plus grand mal à saisir ce qui ressemble à une véritable « usine à gaz ». Je prédis la plus grande difficulté à quiconque souhaitera comprendre notre système procédural... Pourtant un procès équitable suppose une procédure fondée sur des principes clairs et reconnus.

Deuxième constat : le nouvel article 706-73, qui tend à définir la notion de « délinquance et criminalité organisées », ne répond pas aux exigences de sécurité juridique. Nombreux sont en effet les articles de doctrine témoignant de la difficulté que pose la qualification de la circonstance aggravante de « bande organisée », difficile à distinguer de notions voisines comme la coaction, la complicité ou la réunion. Comment ne pas s'inquiéter qu'on fasse recours à une procédure exceptionnelle et à des juridictions spécialisées sur une qualification juridiquement délicate, qui en outre sera donnée par les premiers enquêteurs ?

Or - troisième constat - l'accroissement des prérogatives policières dans ce nouveau cadre procédural est considérable. Il est certes nécessaire d'améliorer les moyens de nos policiers dans la recherche des preuves, mais il faut donner en contrepartie un réel pouvoir de contrôle aux magistrats. Le juge des libertés, n'ayant pas la connaissance du dossier, se cantonnera le plus souvent à un rôle formel de validation.

La garde à vue pourra être prolongée deux fois de 24 heures ; ce régime dérogatoire vient s'ajouter à ceux qui existent déjà : cinq régimes différents de garde à vue vont donc coexister, ce qui risque de conduire à des erreurs de procédure et recours en nullité multiples. Et on ouvre cette possibilité de faire durer la garde à vue quatre jours et quatre nuits alors même - le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitement inhumains ou dégradants le constate dans son rapport de l'année 2000 - que les conditions de détention des personnes gardées à vue dans les locaux de la police française sont indignes !

Enfin, à l'instar de la Commission nationale consultative des droits de l'homme nous nous inquiétons de la multiplication des juridictions spécialisées. Notre système procédural doit être cohérent et garantir aux personnes se trouvant dans des conditions semblables d'être poursuivies et jugées selon les mêmes règles. Or, le nouvel article 706-75 du code de procédure pénale fonde la compétence des juridictions spécialisées sur la notion très imprécise « d'affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité ». Il serait bien plus efficace de transférer les compétences relatives aux affaires visées aux pôles économiques et financiers. Au demeurant, nous regrettons que les infractions financières, qui sont également à ranger dans la grande criminalité, ne soient pas au centre du dispositif proposé.

Concernant le titre II, je crains, malgré vos dénégations, que les dispositions proposées tendent à nous faire basculer vers un système de type accusatoire sans l'accompagner des dispositions propres à garantir les intérêts des justiciables.

Le parquet acquiert une sorte de toute-puissance face à la juridiction du siège.

Ainsi, l'article 23 étend la procédure de la composition pénale à tous les délits punis de cinq ans d'emprisonnement au plus et à toutes les contraventions de cinquième classe, c'est-à-dire à la majorité des affaires pendantes devant les tribunaux. Pourtant, elle ne permet pas de prendre en compte les intérêts de la défense. Selon nous, toute personne doit être jugée par des magistrat du siège.

De même, nous nous opposons fermement à l'article 61, qui introduit la procédure dite de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, inspirée de la procédure anglo-saxonne du « plaider coupable ».

Elle permettra au procureur de la République, devant qui sera déférée une personne reconnaissant avoir commis un délit puni d'au plus cinq ans d'emprisonnement, de lui proposer une peine de six mois d'emprisonnement au maximum, et de la moitié de l'amende encourue. C'est donc dans le secret du cabinet du procureur que se fera la transaction, avec une homologation a posteriori, bien formelle, par un juge du siège.

Que devient la victime dans cette procédure ? La justice est un lieu de confrontation, qui doit d'abord permettre la reconnaissance publique de sa qualité de victime.

Avec ces mesures, n'assistons-nous pas à un commencement de déclin de la fonction arbitrale du procès, et au profit d'une logique administrative ? Personne n'est gagnant quand la préoccupation du coût de l'action publique prend le pas sur celle de sa qualité. Nous restons convaincus que le rituel est essentiel à la justice pour qu'elle remplisse pleinement son rôle. Lorsqu'il est affaibli, le droit des gens est en péril.

Pour l'ensemble de ces raisons, ce texte ne peut nous satisfaire. Si nous reconnaissons la nécessité de repenser notre système pénal pour combattre les nouvelles formes de la criminalité, nous ne pouvons, Monsieur le ministre, vous suivre sur le chemin que vous nous proposez d'emprunter. Si ces amendements ne sont pas adoptés, le groupe des députés communistes et républicains votera contre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Léonard - Ce projet constitue une nouvelle et très importante étape dans la mise en _uvre d'une vaste politique de lutte contre la criminalité et la délinquance, engagée depuis un an par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, conformément aux engagements pris par Jacques Chirac devant les Français.

Une politique qui se caractérise par sa détermination, sa clarté, son ampleur et sa cohérence, tranche avec les atermoiements, la confusion, la timidité et les contradictions de la politique menée par le précédent gouvernement en ce domaine. Les actions désordonnées et inefficaces se sont traduites par une explosion de la criminalité et de la délinquance en France - plus de 16 % en cinq ans - signant ainsi une intolérable dérive.

Avec courage et ténacité, vous avez, Monsieur le Garde des Sceaux, en partenariat avec le ministère de l'intérieur, mis en place les moyens humains et matériels, ainsi que les articles juridiques indispensables à votre nouvelle politique.

Dès l'été dernier, nous avons adopté deux lois d'orientation et de programmation, l'une pour la sécurité intérieure, l'autre pour la justice, prévoyant un effort de cinq ans d'une ampleur sans précédent : 9 250 millions d'euros supplémentaires seront mobilisés sur cette période et 23 600 emplois créés.

Dès le budget 2003, une part importante de ces engagements a été financée.

Cet hiver, nous avons adopté le projet de loi sur la sécurité intérieure, qui mettait en _uvre les orientations de la LOPSI, créant en particulier de nouvelles incriminations, et donnant aux policiers et gendarmes des moyens juridiques et techniques de remplir leur mission - renforcement de l'exploitation du traitement automatisé des informations et extension du fichier des empreintes génétiques.

Sur tous ces textes, l'attitude de l'opposition a été constante, c'est-à-dire désolante, incapable de tirer les leçons de son échec, intentant au gouvernement actuel des procès vains, caricaturaux et contradictoires (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Les projets de loi furent condamnés sans appel, pour leur inefficacité, et leur dangerosité liberticide. On connaît la suite. Dans les faits, la dérive insécuritaire est enrayée et la délinquance recule, même s'il reste beaucoup à faire.

Le Conseil constitutionnel a fait justice des accusations péremptoires de viol des principes fondamentaux de notre droit. Aujourd'hui, le scénario est le même, avec la même assurance et la même vanité.

Le texte obéit à deux impératifs, efficacité de l'action publique et respect des libertés individuelles. Il est équilibré.

L'efficacité repose sur la lucidité : loin des discours incantatoires sur les misères de la mondialisation, le Garde des Sceaux reconnaît que des pans entiers de la criminalité échappent à la sanction. C'est le cas de la criminalité organisée, dont les moyens sont toujours plus sophistiqués, et la mobilité internationale affirmée. Ce projet a le mérite d'en appréhender les nouvelles formes, et d'organiser une répression efficace.

Il renforce de surcroît la lutte contre la pollution des eaux maritimes par les rejets des navires. Il donne de nouveaux moyens à la justice pour réprimer les infractions commises en matière économique et financière, à la fois sources et fruits de la criminalité mafieuse internationale. Il faut à cet égard, souligner l'excellent travail accompli par Jean-Luc Warsmann (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui a su proposer nombre d'amendements judicieux. Saluons également la présidence bienveillante et efficace de Pascal Clément, qui a permis un débat ouvert et constructif. Grâce à eux et aux commissaires présents, guidés par un souci de simplification et d'amélioration, nous avons fait du bon travail.

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du dispositif, finement commenté par notre rapporteur, mais je relèverai quelques mesures. Tout d'abord, la création de juridictions spécialisées, couvrant plusieurs cours d'appel, pour une meilleure utilisation des ressources humaines et logistiques face à une criminalité organisée d'une grande complexité. Il serait du reste judicieux de créer une telle juridiction à Nancy, au c_ur de la région du grand-Est.

Ensuite, l'adoption de règles de procédure spécifiques, comme l'infiltration, la prolongation de la garde à vue, les perquisitions de nuit, les écoutes téléphoniques, mesures qui seront menées sous l'autorité et le contrôle des magistrats.

J'ajouterai le renforcement de l'action internationale, notamment européenne, indispensable compte tenu de la dimension transfrontalière des crimes. Enfin, la meilleure prise en compte du sort des victimes.

Voici un texte qui, par son ampleur, deviendra une des grandes lois pénales de la Ve République. Son contenu et l'esprit qui l'anime justifient notre pleine adhésion.

Pour conclure, permettez-moi quelques réflexions sur les réactions que ce texte a suscitées en amont, alors que ses grandes lignes n'étaient pas encore connues. D'un côté, impatience de ceux pour qui la place Beauvau n'était pas aussi rapide que la place Vendôme. De l'autre, inquiétude face à une prétendue absence de dialogue, ou une soi-disant dérive remettant en cause la philosophie même de notre procédure pénale.

Votre méthode et le fruit de votre travail devraient faire taire ces impatiences et apaiser ces craintes. Vous avez laissé du temps au temps pour faciliter l'adhésion du plus grand nombre. Je tiens à vous féliciter publiquement, et vous dire la satisfaction du groupe UMP, face au travail accompli en un an au service de la sécurité de tous les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Prochaine séance, ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 55.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

ERRATUM

au compte rendu analytique de la 3ème séance du mardi 20 mai 2003

Page 41, 3ème paragraphe, lire :

« M. le Président - Monsieur Saddier, je vous indique que l'ordre des intervenants de chaque groupe est fixé par les groupes eux-mêmes. »

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

    www.assemblee-nationale.fr


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