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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 91ème jour de séance, 219ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 27 MAI 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

MESSAGE DE SOLIDARITÉ AU PEUPLE ALGÉRIEN 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

RÉFORME DES RETRAITES 2

SOUTIEN AU PEUPLE ALGÉRIEN 3

ÉDUCATION NATIONALE 4

ÉDUCATION NATIONALE 4

LUTTE CONTRE LE TERRORISME INTERNATIONAL 5

RÉFORME DE LA PAC 6

RÉFORME DES RETRAITES ET DIALOGUE SOCIAL 7

ÉQUIPEMENT ET DESSERTE DES VILLES MOYENNES 8

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE 9

POLITIQUE SCOLAIRE 9

ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES 10

AVION DE TRANSPORT MILITAIRE EUROPÉEN 10

SITUATION SCOLAIRE À LA RÉUNION 11

CONSULTATION DES ÉLECTEURS
DE CORSE 12

QUESTION PRÉALABLE 19

EXPLICATIONS DE VOTE 27

La séance est ouverte à quinze heures.

MESSAGE DE SOLIDARITÉ AU PEUPLE ALGÉRIEN

M. le Président - Je voudrais exprimer au peuple algérien ami, et au nom de l'Assemblée nationale toute entière, notre profonde émotion, notre solidarité et notre sympathie dans l'épreuve qu'il traverse (Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent).

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Au nom du Gouvernement, je m'associe à vos propos, Monsieur le Président. Nous sommes engagés aux côtés de nos amis algériens pour les aider à faire face à ce drame. Le Président de la République s'est exprimé, le ministre de l'intérieur s'est rendu sur place, et un plan de travail a été mis au point en concertation avec les autorités algériennes. Le peuple algérien a besoin de l'amitié de la France, et je remercie l'Assemblée nationale de la lui témoigner (Applaudissements).

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

RÉFORME DES RETRAITES

Mme Marie-George Buffet - Permettez-moi, Monsieur le Président, de m'associer à votre message de solidarité avec le peuple algérien.

Monsieur le Premier ministre, votre réforme régressive des retraites et vos projets funestes pour l'éducation nationale ne passent pas (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous ne garantissez ni la retraite à 60 ans, ni le niveau des pensions, ni la pérennité du système par répartition (Mêmes mouvements).

L'ensemble du monde du travail, secteurs public et privé confondus (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), se mobilise aujourd'hui pour défendre les retraites. Vous n'avez le soutien majoritaire ni des syndicats, ni de l'opinion publique (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Des alternatives à votre réforme existent ; les députés communistes et républicains iront les présenter tout à l'heure au ministre des affaires sociales !

Les contrevérités ne vous grandissent pas, mais elles grandissent ce mouvement qui porte l'intérêt général (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Respectez-le, Monsieur le Premier ministre, vous qui avez réduit les négociations à une dizaine d'heures sans rien changer sur le fond, - et qui refusez aujourd'hui de les rouvrir - quel mépris !

Les grandes manifestations qui ont eu lieu sont un appel au dialogue social. Les partenaires sociaux y sont prêts, mais vous persistez à vouloir imposer vos certitudes.

Allez-vous enfin retirer votre projet (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) et ouvrir de véritables négociations, sans lesquelles toute délibération serait illégitime ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Nous attendons avec intérêt, et même impatience, votre projet alternatif (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), car nous respectons tous les Français, dans la diversité de leurs opinions, et parmi eux les agents de la fonction publique, à qui nous demandons certes un effort, mais un effort comparable à celui demandé, depuis plusieurs années, aux autres Français pour assurer l'équilibre des retraites (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Nous sommes déterminés à mettre en _uvre une réforme qui garantit la sécurité de notre système, et en fasse l'un des plus généreux et des plus solidaires de toute l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Ceux qui parlent aujourd'hui de renégociation et de retrait ne sont pas sincères (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). D'abord, parce que les négociations ont eu lieu (Mêmes mouvements) : loin de ne durer que dix heures, elles se sont prolongées trois mois. Pourquoi donc flattez-vous ceux qui ont renoncé à un accord et méprisez-vous ceux qui ont eu le courage d'en conclure un ? (Mêmes mouvements) Ensuite, parce que derrière le mot renégociation se cache la volonté de maintenir le statu quo, au prix d'une augmentation considérable des prélèvements obligatoires qui pèserait sur l'économie et sur l'emploi (Mêmes mouvements). Enfin, parce que derrière le mot retraite, se cache une critique de l'harmonisation des durées de cotisation, alors que l'équité est un principe républicain qui ne saurait souffrir aucune discussion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Il y a eu le temps de la réflexion, puis le temps de la négociation ; voici venu celui du débat au Parlement. Comment pouvez-vous affirmer que ce débat serait illégitime, sous prétexte que la concertation avec les partenaires sociaux n'aurait pas eu lieu ! C'est avec de tels discours qu'on nourrit l'extrémisme, qui est en partie à l'origine de l'agitation d'aujourd'hui ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Bernard Roman - C'est scandaleux !

SOUTIEN AU PEUPLE ALGÉRIEN

M. Richard Cazenave - Permettez-moi de sortir des sujets purement hexagonaux pour exprimer, au nom du groupe UMP, et à la suite du Président et du Premier ministre, notre vive émotion, notre profonde tristesse et notre solidarité à un peuple ami aujourd'hui cruellement frappé par le séisme le plus violent qu'il ait eu à subir depuis plus de vingt ans. 2 200 morts, 9 000 blessés, combien de disparus et de sans-abri ?

La France se devait d'être aux côtés du peuple algérien dans cette épreuve. Elle n'a pas tardé, du reste, à répondre à son appel. Quel est, Monsieur le ministre de la coopération, le bilan de son action ? Quel espoir existe-t-il de retrouver des survivants sous les ruines ? Qu'en est-il des hôpitaux détruits ou surchargés, du manque de nourriture, d'eau potable, d'abris, des risques d'épidémie ? Comment rendre plus efficace encore le grand élan de solidarité qui s'est manifesté dans toute la France ? (Applaudissements)

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Oui, le tremblement de terre qui vient de dévaster une partie de l'Algérie a eu des conséquences tragiques : 2 200 morts identifiés à ce jour, un nombre élevé de disparus, 9 000 à 10 000 blessés, 200 000 sans-abri.

Le Président de la République et le Premier ministre ont exprimé la sympathie et la solidarité du peuple français au peuple algérien. Au-delà, une vaste mobilisation s'est spontanément organisée pour aider ce pays ami.

La France a été la première à envoyer sur place des moyens en personnel et en matériel. Il s'est d'abord agi d'une aide d'urgence, pour extraire les victimes des décombres et les soigner, mais aussi pour assurer la survie de la population. Cette aide a été acheminée par des appareils de l'armée de l'air - envoi de deux détachements de la sécurité civile et d'un hôpital de campagne, ainsi que de tentes, de couvertures et, malheureusement, de sacs mortuaires.

Une aide non gouvernementale importante complète ce dispositif. Je remercie notamment la Croix-Rouge française, ainsi qu'Air France et Air Azur qui ont accepté d'assurer des transports à titre gratuit. Les autorités françaises participent à la coordination de ces différents opérateurs.

Mais au-delà de cette aide d'urgence et immédiate, l'aide à la reconstruction doit être menée en coordination entre l'Etat, les collectivités territoriales, les entreprises et les associations, en fonction des priorités établies par les autorités algériennes (Applaudissements).

ÉDUCATION NATIONALE

Mme Claude Darciaux - Depuis plusieurs semaines, les personnels éducatifs sont en grève (Mouvements divers). L'Education nationale traverse une crise majeure, et le malaise est profond. Réforme des retraites, décentralisation, suppressions de postes, restrictions budgétaires, autonomie des universités sont à l'origine de ces manifestations.

Vous avez totalement négligé le volet négociation, méprisant ainsi les enseignants (Protestations sur les bancs du groupe UMP) dont, aujourd'hui, vous ne pouvez plus ignorer les revendications !

Il est urgent d'adresser un signal fort afin de rétablir la confiance avec le monde enseignant, les parents et les élèves.

Allez-vous retirer votre projet ? (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Allez-vous créer les conditions du dialogue et ouvrir une véritable négociation sur les problèmes spécifiques de l'Education nationale ? Allez-vous faire droit à la demande du président du groupe socialiste d'organiser un grand débat sur l'école ? Allez-vous maintenir le caractère national de l'éducation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Depuis une dizaine de jours, nous avons ouvert, avec Xavier Darcos, une vaste consultation de l'ensemble des partenaires sociaux, qui se déroule, ne vous en déplaise, dans une atmosphère certes conflictuelle, mais constructive (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Cet après-midi se tiendra un comité interministériel, présidé par le Premier ministre, consacré au malaise dans l'Education nationale, malaise dont vous ne sauriez prétendre qu'il date d'hier, tant les raisons en sont connues. Face à l'hétérogénéité des classes, aux violences entre les élèves, aux incivilités, à la baisse du niveau dans certaines disciplines, en particulier la maîtrise de la langue, la logique de l'accroissement des moyens n'est que pure illusion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il faut ouvrir le débat de fond et c'est justement ce que nous proposons !

Une deuxième série de raisons tient au fait que les réformes difficiles à faire - la décentralisation, gage d'amélioration du service public (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), et la réforme des retraites -, vous les avez retardées pendant des années par manque de courage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Il nous revient de les faire, et ce n'est pas facile. Mais, sachez-le, nous ne nous déroberons pas : nous écouterons les enseignants, nous ouvrirons la négociation, mais ces réformes, nous les ferons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

ÉDUCATION NATIONALE

M. François Sauvadet - Monsieur le Premier ministre, le climat social est tendu (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Ne vous en réjouissez pas ! Les manifestations et les grèves s'enchaînent, et des voix s'élèvent à gauche pour vous demander de retirer (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste) votre projet de réforme des retraites.

Au nom du groupe UDF, je vous dis : tenez bon ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C'est l'intérêt même des futurs retraités et, Madame Buffet, celui du pays lui-même (Mêmes mouvements).

Mais le malaise est plus profond encore à l'Education nationale. Le Gouvernement va tenir, dans quelques heures, un comité interministériel sur ce sujet. Je lance donc un double appel. Au Gouvernement, je demande de réaffirmer clairement que l'Education doit être et demeurer nationale et de rechercher, dans cet esprit, le dialogue sur la décentralisation des ATOS, réforme que personne ne souhaitait et qui n'est pas de celles qu'attendaient les Français... (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Aux enseignants, je lance un appel à la responsabilité. Nous sommes à quelques jours du bac : il faut que nos jeunes puissent passer leurs épreuves dans un climat de sérénité retrouvée.

Quel message, Monsieur le Premier ministre, adresserez-vous au pays pour que nous sortions le plus rapidement possible de cette crise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - La logique de la décentralisation n'est en aucun cas une logique de régionalisation. Il s'agit simplement de faire en sorte que le service public fonctionne mieux et soit davantage incarné (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Bref, il s'agit de le renforcer, certainement pas de privatiser l'Education nationale. Il faut tordre le cou - aidez-nous à le faire ! - à cette rumeur absurde selon laquelle on cesserait d'affirmer le caractère national de notre éducation : elle provient d'une circulaire employant la formule générique « le ministre en charge de l'éducation »... (« C'est qui ? » sur les bancs du groupe socialiste) pour éviter de prendre une nouvelle circulaire à chaque changement - et ils sont fréquents - dans l'intitulé de la fonction ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Le Président de la République a été, sur la question de l'exception culturelle, l'un des principaux artisans de la lutte contre la mondialisation sauvage et la privatisation des services. Il en va de même pour l'Education nationale : elle est, a toujours été et restera nationale. Il n'y a aucune inquiétude à avoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

LUTTE CONTRE LE TERRORISME INTERNATIONAL

M. Alain Joyandet - Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez effectué la semaine dernière un déplacement au Maghreb, afin de vous entretenir avec vos homologue marocain, algérien et tunisien, au lendemain des attentats qui ont fait 41 morts - dont trois Français - à Casablanca. Huit personnes viennent d'être interpellées dans la région lyonnaise, dans le cadre de l'enquête sur l'attentat de Djerba.

Voilà qui illustre la nécessité pour les Etats de travailler ensemble pour combattre le terrorisme.

Les discussions que vous avez eues vous ont-elles permis de constater une volonté commune de coopérer ? Les Français vous font confiance (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste). Ils apprécient votre détermination, votre juste fermeté, et saluent vos résultats en matière de sécurité intérieure. S'agissant du terrorisme, quels seront les axes de cette coopération internationale renforcée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Peut-être peut-on évoquer le sujet sans polémique ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Nous le devons aux victimes, qu'elles soient ou non françaises et aux Marocains dans leur ensemble, qui ont réagi très dignement à ce qui est pour eux un véritable traumatisme. Jamais, en effet, le Maroc n'avait été le théâtre d'attentats-suicide.

La France a envoyé sur place quatorze fonctionnaires de la police scientifique pour aider les Marocains à identifier les coupables. Selon les premiers éléments de l'enquête, l'attentat de Casablanca rappelle fortement d'autres attentats perpétrés par Al Qaida. Les services marocains nous ont donné tous les renseignements en leur possession et leur collaboration a été totale. A l'extérieur du pays - et nous avions été nombreux à trouver cela injuste -, certains doutaient pourtant de la volonté du Maroc de lutter contre le terrorisme.

Je l'affirme : cette volonté est sans faille. Elle appelle une collaboration avec la France, mais aussi, et c'est nouveau, avec l'Algérie et la Tunisie, en dépit d'un passé souvent difficile. L'objectif est de créer un espace de sécurité en Méditerranée occidentale. Pour cela nous mettons en _uvre une collaboration qui ira au-delà de la seule lutte contre le terrorisme.

Mes homologues ont également évoqué en effet les filières d'immigration clandestine : les pays du Maghreb accueillent désormais une immigration en provenance d'Afrique Noire. Ils ont sollicité une collaboration que nous sommes d'autant plus disposés à leur accorder que nous n'assurerons pas « l'étanchéité » de nos aéroports si celle des aéroports d'Alger, de Tunis ou de Rabat n'est pas assurée dans les mêmes conditions. Nous attendons les meilleurs résultats de cette très utile coopération (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF).

RÉFORME DE LA PAC

M. Jean-Pierre Decool - Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez participé hier, à Bruxelles, au conseil des ministre de l'agriculture de l'Union européenne. Cette réunion devait être l'occasion des derniers pourparlers avant les négociations sur le projet de réforme de la PAC, prévues le 11 juin à Luxembourg.

Près de 20 000 agriculteurs français manifestaient au même moment contre le projet du commissaire Franz Fischler. Découplage total des aides, conditionnement de celles-ci au respect de normes environnementales, dégressivité à compter de 2007 : ce sont autant de propositions inacceptables. Le découplage des aides, via un système de paiement unique calculé sur une période de référence, figerait l'agriculture et l'empêcherait de s'adapter en cas de crise. Les terres agricoles seraient livrées à la spéculation foncière. La Commission européenne doit se prononcer le 11 juin sur le projet Fischler. Son auteur, quant à lui, veut agir rapidement pour défendre une position commune aux négociations sur la libéralisation des échanges, qui auront lieu en septembre dans le cadre de l'OMC.

Ce calendrier ne doit pas devenir un objectif en soi : c'est de la survie de notre agriculture et de nos agriculteurs qu'il s'agit. Quelle sera la position de la France à Luxembourg ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Le conseil des ministres qui s'est tenu hier à Bruxelles n'a pas davantage permis d'avancer que les précédents. Les deux tiers des Etats membres s'opposent toujours aux principales propositions formulées voici dix mois par la Commission : la balle est donc dans le camp de cette dernière. Il n'y a pas de tyrannie du calendrier : en l'absence de lien juridique avec la négociation de l'OMC, il n'y a aucune obligation de conclure avant fin juin. François Loos et Pierre-André Wiltzer peuvent le confirmer, la France a fait d'importantes propositions pour le développement agricole des pays du Sud. Ce cycle de négociations doit privilégier ces pays et non se limiter à être la chambre de compensation des intérêts commerciaux des grandes puissances.

Depuis dix mois nous sommes, selon la formule désormais consacrée, fermes mais pas fermés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Nous sommes opposés au découplage total des aides, à la baisse des prix du blé et du lait, à la dégressivité des aides, mais nous sommes favorables à la simplification de la PAC, au développement rural et à des mécanismes de gestion et de régulation des crises. La France n'est pas isolée sur cette position : les deux tiers des Etats membres la partagent. Mais nous ne sommes pas seuls à décider à Bruxelles (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Notre obsession reste de tracer des perspectives durables pour les agriculteurs de France et d'Europe. Ce n'est pas ce que font les propositions de la Commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

RÉFORME DES RETRAITES ET DIALOGUE SOCIAL

M. Alain Néri - Monsieur le Premier ministre, il y a un an, le programme de M. Chirac n'a reçu l'approbation que de 19 % des Français (« Et celui de Jospin ? » sur les bancs du groupe UMP). Vous et vos amis n'avez pas été élus sur un programme mais par défaut, nos compatriotes se mobilisant pour dire non à l'extrême-droite, non à l'aventure et oui à la République.

Par la manifestation de dimanche, d'une ampleur exceptionnelle, et par leur mobilisation, les Français viennent de vous rappeler durement à la réalité (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ils dénoncent votre politique économique et sociale, qui constitue un véritable abus de confiance (Mêmes mouvements). Votre gouvernement doit revoir sa copie sur les retraites. Il faut engager des réformes, certes, mais dans le cadre d'une vraie négociation avec les partenaires sociaux. Or, en fait de dialogue social, vous pratiquez le monologue de régression sociale ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Votre surdité, votre intransigeance et votre attitude méprisante sont autant de provocations et vous n'avez pas votre pareil, Monsieur le Premier ministre, pour exaspérer les salariés (Mêmes mouvements). Est-il vrai, à ce propos, que vous ayez déclaré à Québec : « C'est lorsque l'on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos que la fatigue sera vaincue » ? Si oui, quelle insulte pour le monde du travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Vous avez voulu opposer le public au privé. Dimanche, à Paris, vous avez même essayé de monter une contre-manifestation, d'ailleurs squelettique. Vous avez voulu diviser pour régner, selon une vieille tradition de la droite, mais vous avez lamentablement échoué ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Respectez les travailleurs, écoutez leurs syndicats et prenez le temps d'une négociation qui garantisse la cohésion sociale, Monsieur le Premier ministre. Quand allez-vous donc retirer votre projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - La majorité de cette assemblée est aussi légitime que celle qui l'a précédée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), et qui réclame aujourd'hui le retrait de notre projet. C'est une position irresponsable - mais qui est cohérente, je le reconnais, avec l'inaction dont elle a fait preuve pendant cinq ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Face à notre projet, les postures de congrès, les slogans et les tracts ne font pas un projet alternatif. Vous suggérez de multiplier les sources de financement, mais la seule source de financement que vous ayez vous-même dégagée pour alimenter le fonds de réserve des retraites, vous l'avez détournée pour financer les 35 heures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous réclamez l'abrogation des dispositions Balladur, avec lesquelles vous avez vécu pendant cinq ans sans gêne apparente. Vous refusez surtout de prendre clairement parti sur la question de l'équité entre secteur public et secteur privé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je ne vous ai jamais entendu dire si vous étiez favorables à ce que l'ensemble des Français cotisent quarante annuités. Il faut aujourd'hui que vous le disiez !

Il n'est jamais trop tard, Monsieur le député, pour analyser avec honnêteté intellectuelle les avancées que nous proposons (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), par exemple sur les petites retraites, qui seront désormais garanties à 85 % du SMIC ; sur l'intégration des primes des fonctionnaires, sujet dont vous avez beaucoup parlé pendant des années mais sur lequel vous n'avez jamais rien fait ; sur la question de la pénibilité, à propos de laquelle nous prenons l'engagement d'accords de branches négociés dans les trois ans ; sur les possibilités de départ anticipé données à ceux qui ont commencé à travailler à quatorze, quinze ou seize ans - on est loin du temps où Mme Guigou refusait une proposition de loi du groupe communiste en ce sens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Au-delà des polémiques, une révolution démographique est en marche, et on ne l'arrêtera pas avec des arguments comme les vôtres. Ainsi que l'écrivent ce soir, dans Le Monde, des économistes à l'avis desquels vous attachiez du prix il y a encore quelque temps, « ceux qui agitent aujourd'hui le chiffon rouge en prétendant défendre les plus modestes prennent en réalité la responsabilité d'engager le développement d'un système infiniment plus inégalitaire » (Mmes et MM. les députés UMP se lèvent et applaudissent ; les députés UDF applaudissent également).

M. Maxime Gremetz - Ça me rappelle Juppé.

ÉQUIPEMENT ET DESSERTE DES VILLES MOYENNES

M. Michel Roumegoux - « S'équiper pour ne pas courir le risque de devenir une région périphérique, voire marginalisée », telle est selon vous « l'ardente obligation » de la France, Monsieur le ministre de l'équipement, pour rester au c_ur d'une Europe élargie. Dans le même esprit, il faut se demander quelle sera demain la place des régions mal desservies au sein du territoire national ?

L'aménagement du territoire, on peut le subir ou décider de l'orienter. Et, chacun le sait, les infrastructures suscitent le développement. A l'heure de la décentralisation, faut-il continuer à accélérer le développement concentrique des métropoles régionales, aujourd'hui véritables aspirateurs des campagnes voisines ? Campagnes qui deviennent alors de grandes banlieues dortoirs, confrontées aux difficultés que l'on connaît : pollution, insécurité, allongement permanent des trajets domicile/travail... Prévoir toujours plus d'infrastructures pour des métropoles déjà bien desservies ne fait qu'aggraver les concentrations d'activités et de population.

La politique des transports ne peut se limiter aux seuls flux à grande vitesse, même si l'attrait des territoires est largement conditionné par la qualité de ces transports. N'est-il donc pas temps d'imaginer une organisation en réseau des échanges entre les métropoles régionales et les villes moyennes ? Contrairement à l'opposition, je n'ai pas l'angélisme de penser que l'on peut financer le développement de tout le « tissu interstitiel », mais n'est-il pas temps de favoriser en priorité le développement des villes moyennes, qui constituent sans doute la dernière chance du monde rural, et qui seraient ainsi les catalyseurs d'un nouvel aménagement du territoire, plus équilibré, plus vivant ?

Le Gouvernement ayant maintes fois préconisé l'expérimentation, êtes-vous prêt à faire bénéficier d'un effort d'équipement en infrastructures quelques villes moyennes-test afin qu'elles atteignent la taille critique nécessaire pour constituer de nouveaux pôles d'équilibre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - La question des liaisons entre les villes moyennes et les métropoles régionales est importante, même si elle a été peu abordée lors du débat que nous avons tenu ici la semaine dernière. Vous avez donc raison de la poser.

Je rappelle les conclusions de ce débat. Premièrement, la France est relativement bien équipé, mais si elle ralentit son effort, elle risque, compte tenu de l'élargissement de l'Europe aux pays de l'Est, de ne plus être au c_ur de l'Europe. Il faut donc continuer de l'équiper.

Deuxièmement, il faut le faire dans l'esprit du développement durable, c'est-à-dire en respectant la qualité des territoires traversés.

Troisièmement, il faut une ressource pérenne, pour éviter les à-coups.

Enfin, il faut trouver des montages financiers adéquats, reposant par exemple sur un partenariat public-privé.

Cela dit, les équipements nationaux et européens ne prennent leur sens que s'ils sont relayés par de bons équipements locaux. Je vous rejoins donc tout à fait quant à l'importance des liaisons entre les métropoles régionales et les villes moyennes - comme Cahors. D'ailleurs l'autoroute A20 et la modernisation du réseau ferré vous aideront à équiper ce tissu « interstitiel ».

Quant à l'expérimentation, j'y suis, bien entendu favorable, dans le cadre de la décentralisation. L'emploi a tout à gagner à un effort d'équipement en faveur des villes moyennes, qu'il soit industriel comme celui qui a été décidé lors du CIADT d'hier ou qu'il concerne les infrastructures (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

M. Claude Gatignol - Madame la ministre de l'industrie, le débat national sur l'énergie qui a été lancé le 18 mars par le Premier ministre s'est achevé ce samedi 24 mai à la Cité des sciences, en votre présence. Il y a eu, entre temps, cinq journées nationales en régions, avec la participation de différents ministres, mais aussi une multitude de colloques, qui ont facilité l'accès des citoyens à l'information (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Sur un sujet aussi essentiel pour l'avenir de la France, il est utile de dire quels sont les enjeux. La politique énergétique est de première importance pour les citoyens comme pour les entreprises, pour la compétitivité économique comme pour le respect de l'environnement. Nous savons la nécessité d'un bouquet énergétique faisant appel à toutes les sources, qu'il s'agisse de carburants fossiles, des énergies renouvelables ou du nucléaire - que la France maîtrise de façon exemplaire - comme l'a confirmé il y a huit jours le rapport Birraux-Bataille de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

Quelles conclusions tirez-vous, Madame la ministre, de ce débat national, et quel calendrier envisagez-vous pour les suites qui lui seront données, à savoir la loi d'orientation énergétique et la programmation pluriannuelle des grands investissements nécessaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Le débat national lancé en mars dernier vient en effet de s'achever. Destiné à informer les citoyens et à les associer aux grandes orientations que nous allons prendre, il s'est déroulé dans les meilleures conditions et a atteint ses objectifs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il a permis, en effet, non seulement de toucher le grand public mais aussi de dégager un consensus autour de grands principes tels que la compétitivité, l'indépendance nationale et le respect de l'environnement.

D'ici quelques mois, vraisemblablement à l'automne, je donnerai une suite à ce débat, sous forme d'un projet de loi qui sera élaboré avec toutes les organisations concernées. Il tiendra compte de la nécessité de relancer vigoureusement la politique de maintien des énergies, de la gravité du problème de l'effet de serre et de l'importance des engagements internationaux que nous aurons pris à ce sujet, enfin de la nécessité de diversifier notre bouquet énergétique. Toutes les énergies renouvelables devront y trouver leur place, en complément indispensable de l'énergie nucléaire. Ce projet de loi sera soumis au Conseil des ministres, puis à la représentation nationale, et déjà je me félicite que de nombreux élus aient pu prendre part à ce débat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

POLITIQUE SCOLAIRE

Mme Annick Lepetit - Monsieur le Premier ministre, vous n'avez pas répondu à la question de Claude Darciaux. Vous n'avez pas répondu à notre demande d'un grand débat sur l'école à l'Assemblée, comme vous ne répondez pas, depuis six mois, à nos questions sur l'Education nationale. Et vous ne répondez pas non plus au malaise des enseignants, malaise qu'alimentent l'abandon de la priorité politique à l'Education nationale, une évolution budgétaire alarmante, la suppression des plans de recrutement d'enseignants, ainsi que celle des surveillants et des aides-éducateurs. Aujourd'hui, vous annoncez, sans concertation, le transfert aux collectivités territoriales de plus de cent mille agents. Comment voulez-vous que tous ceux qui travaillent dans l'Education nationale ne se sentent pas abandonnés par votre gouvernement ? Oui, il faut ramener la sérénité dans les établissements. Mais cela ne peut se faire que par le retrait du projet de transfert des personnels. Tous ceux qui aiment vraiment l'école attendent votre réponse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Je crois difficile de prétendre que le Gouvernement ne se préoccupe pas des enseignants, alors qu'il se prépare à réunir, cet après-midi même, sous la présidence du Premier ministre, un comité interministériel consacré à leurs préoccupations, après que Luc Ferry et moi-même avons reçu les représentants des organisations syndicales pour préparer cette réunion. Il est par ailleurs inexact de dire que nous recrutons moins que les années précédentes : pour 27 000 départs en retraite, 30 000 recrutements sont prévus.

Il faudrait mettre fin au double langage. J'ai sous les yeux un texte proposant que les départements élaborent la carte scolaire, et que les services médicaux et sociaux des collèges et des lycées leur soient transférés : ceci permettrait, toujours selon ce texte, une meilleure continuité dans la prise en charge des jeunes, et favoriserait une synergie des services sociaux des départements, permettant à ceux-ci de développer des actions de santé communautaires. Ce texte a été adopté le 20 janvier par le Conseil de Paris ! (Applaudissements et huées sur les bancs du groupe UMP) Si vos obligations d'élue nationale vous empêchent de connaître les textes que vous adoptez vous-même par ailleurs, je suis prêt à vous les communiquer !

Enfin, présenter la décentralisation comme une privatisation, c'est faire injure à Gaston Defferre, aux socialistes, et au rapport Mauroy ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Nous continuerons de faire ce que vous n'avez pas fait, parce que c'est l'intérêt général (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES

M. Daniel Garrigue - L'allongement de la durée moyenne de la vie exigera qu'on développe toujours plus les structures d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. La reforme de la tarification de ces établissements s'inscrit dans cette perspective. Elle est liée à la mise en place de conventions intégrant une démarche de qualité, et permettant une meilleure répartition des ressources entre les établissements. Comme beaucoup de mes collègues, je suis préoccupé par la mise en place de ces conventions. Elle se heurte à des contraintes, liées aux problèmes de financement, mais aussi à la réduction du temps de travail. Comment envisagez-vous, Monsieur le secrétaire d'Etat aux personnes âgées, d'accélérer cette réforme et de surmonter ces contraintes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Sur 10 000 établissements accueillant 600 000 personnes âgées dépendantes, 5 % devraient fermer. 20 % des lits sont totalement inadaptés, et 40 000 lits sont à créer. Devant ce constat préoccupant, il faut assurer plus de médicalisation, plus de formation, améliorer la qualité, améliorer l'accueil. Je rappelle que 330 conventions ont été signées en 2000-2001 contre 1 200 en 2002, dont 700 durant le second semestre. Malgré les difficultés, nous tiendrons l'objectif de 1 800 conventions signées en 2003 ; nous avons dégagé pour cela 80 millions d'euros.

Il y a dans notre pays une constante et une nouveauté. La constante : ce sont toujours les mêmes qui sont dans l'illusion et la désinformation. La nouveauté : le Gouvernement tient ses engagements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

AVION DE TRANSPORT MILITAIRE EUROPÉEN

M. René Galy-Dejean - Nous gardons le souvenir, Madame la ministre de la défense, qu'en 1999, lors des événements du Kosovo, les Européens, manquant de moyens de transport, avaient fait appel aux avions américains. Pourtant l'Europe, consciente de ce déficit, réfléchit depuis plusieurs années à un avion de transport militaire, dans le cadre d'une politique de défense commune. D'abord baptisé « avion de transport futur », aujourd'hui A 400 M, ce programme a pris plus de sept ans de retard, certains pays s'étant retirés, d'autres ayant réduit leurs commandes.

Le choix du moteur fut également difficile. Le premier avion militaire européen allait-il recevoir un moteur américain ? Mais l'Europe l'a emporté : le groupement composé de la SNECMA pour la France, de MTU pour l'Allemagne, de Rolls Royce pour la Grande-Bretagne et d'ITP pour l'Espagne a été choisi par le maître d'_uvre EADS.

La semaine dernière, le Bundestag devait approuver la commande de soixante appareils pour l'Allemagne, levant les obstacles à ce projet ô combien ambitieux et emblématique de la défense européenne, dont la France en souhaite ardemment la réalisation. Pouvez-vous nous informer des dernières décisions intervenues, et nous rappeler la portée de ce projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Ce matin même le contrat A 400 M a été signé dans le cadre de l'organisme européen de coopération en matière d'armement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C'est une très bonne nouvelle pour l'Europe de la défense. Comme vous le rappelez, on s'interrogeait il y a quelques mois encore, quand je suis arrivée, sur la réalisation de ce programme. Nous avons dû convaincre certains de nos partenaires, notamment les Allemands, de rester dans le projet malgré leurs difficultés financières, quitte à réduire leur participation. Le Bundestag a approuvé le 21 mai cette décision. Aujourd'hui nous avons donc lancé la fabrication d'un avion de transport entièrement européen. Cela témoigne de la réalité de l'Europe de la défense : sept pays s'engagent en commun à construire cent quatre-vingts avions, et confient à l'agence européenne OCCAR le soin de conduire le plus important programme en coopération jamais mené en Europe. A cette bonne nouvelle s'en ajoute une autre : le déblocage du programme de navigation par satellite Galileo. Voilà, en vingt-quatre heures, deux belles avancées de l'Europe de la défense ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SITUATION SCOLAIRE À LA RÉUNION

Mme Huguette Bello - Je souhaite moi aussi faire entendre, Monsieur le ministre de l'éducation nationale, la voix de la communauté éducative, celle de la Réunion cette fois, qu'inquiètent les réformes annoncées. L'ampleur et la durée des manifestations qui ont lieu depuis plus de trois mois manifestent l'attachement des Réunionnais à l'école républicaine et leur crainte de voir ses fondements remis en cause. Elles trouvent un écho favorable chez une grande partie de la population, comme le montre le nombre de manifestants, souvent supérieur à l'effectif des personnels concernés. Dans une société grièvement blessée par le chômage, où de nouvelles inégalités s'ajoutent à celles de la période coloniale, l'école républicaine est le plus puissant antidote aux déterminismes sociaux, et le principal vecteur de promotion. Les difficultés et les échecs que rencontre l'école, et que vous soulignez, n'échappent à personne ; mais la voie que vous voulez emprunter, loin d'y remédier, les aggrave et risque de renforcer les inégalités.

Il est temps de retrouver la sérénité nécessaire à une véritable concertation avec tous les personnels, y compris les aides-éducateurs. Il y va, à court terme, du bon déroulement des examens à venir, et à long terme de la portée du débat que vous souhaitez organiser sur l'avenir de l'école dans la société. Le Gouvernement ne cesse de répéter que la population ne comprend pas ce qu'il veut lui faire entendre. Êtes-vous sûr d'avoir bien compris ce que veulent vous faire entendre la communauté éducative et l'ensemble de la population ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Il y a en effet à la Réunion, depuis plusieurs semaines, des perturbations importantes, qui malheureusement menacent parfois le bon déroulement des examens - notamment avant-hier, ceux de la voie professionnelle. Dans l'île comme en métropole, il est totalement irresponsable de demander un report global des examens : compte tenu de la complexité de leur calendrier, cela porterait un grave préjudice aux élèves, qui ont besoin de ces examens pour rechercher un emploi ou pour entrer dans des formations supérieures. J'ai donc demandé aux recteurs et aux autorités locales d'assurer la disponibilité des établissements scolaires, et de prévoir au plus vite des épreuves de remplacement pour celles qui auraient été perturbées.

Nul ne songe, je le répète, à mettre en cause le droit de grève et le droit de manifester. Ce qui est en cause, c'est le fait de prendre les élèves en otage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et d'essayer d'obtenir, par un chantage intolérable, ce qu'on n'a pas réussi à obtenir par les urnes ! Cela, nous ne l'accepterons pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 17 heures 40 sous la présidence de Mme Guinchard-Kunstler.

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

CONSULTATION DES ÉLECTEURS DE CORSE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Plus d'un quart de siècle - ce n'est pas rien - s'est écoulé sans que les problèmes de la Corse, surgis brutalement dans une cave viticole à Aleria, aient pu trouver leur solution. Depuis vingt-huit ans, tous les gouvernements sans exception, quels qu'aient été leur couleur politique, leur courage, leur intelligence ou leur bonne volonté, ont échoué à trouver une solution à la question corse. Dire cela, ce n'est accabler personne, c'est regarder la réalité telle qu'elle est : la question corse est pour la République française l'un des défis les plus complexes auxquels elle est confrontée.

Aujourd'hui, le Gouvernement vient vous proposer de consulter les électeurs de Corse sur l'évolution institutionnelle de l'île. Nous n'avons pas la prétention d'apporter une solution clés en main mais l'étape que nous vous proposons est importante. La consultation que propose le Gouvernement est irremplaçable. Elle vaudra tous les tours de table qui ont pu se succéder dans l'histoire récente de la Corse sans jamais aboutir.

La première question que se sont posée tous les gouvernements au sujet du problème corse : avec qui discuter ? Quels sont mes interlocuteurs ?

M. Bernard Roman - C'est vrai !

M. le Ministre - Celui avec qui je parle est-il un interlocuteur fiable ? Représente-t-il le sentiment des Corses ? Tous les gouvernements échouent dès leur recherche des bons interlocuteurs.

Le Gouvernement essaie aujourd'hui de trouver une réponse utile et originale en proposant à la représentation nationale que le « bon interlocuteur », ce soient les 190 000 électeurs de Corse car ceux-là, il n'y a aucune question à se poser sur leur légitimité.

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. le Ministre - Sur cette première question, au moins, nous devons trouver ensemble une position consensuelle : le bon interlocuteur, ce sont les 190 000 électeurs de l'île.

M. Bernard Roman - D'accord là-dessus.

M. le Ministre - Ils pèsent plus lourd que tel groupe clandestin, que telle caste, que tels clans - et l'on sait le mal qu'ils font à la Corse depuis si longtemps , ou que telle minorité.

On me dit « Oh ! le Gouvernement prend des risques : il interroge le peuple ! ». Et alors ? Qu'est-ce que la démocratie sinon se tourner vers le peuple quand il n'y a pas de solution évidente, pas de consensus ? Devons-nous avoir peur du peuple ? Se tourner vers lui pour lui demander ce qu'il pense, pour lui faire trancher un débat qui n'en finit pas d'empoisonner l'île : y a-t-il solution plus démocratique, plus transparente, plus légale, plus utile ? Pour une fois, on ne parlera pas au nom des Corses et on ne les prendra pas en otage. On se tourne vers eux pour leur dire : prenez vos responsabilités. Ce gouvernement vous tend la main, voulez-vous la saisir ? Ils répondront « oui » ou ils répondront « non », mais ce sont eux, les Corses, qui trancheront (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP). Voilà une première originalité du projet que le Gouvernement vous propose, lequel, je le dis aux parlementaires de gauche, ne procède pas d'une inspiration de droite ou de gauche. La question corse n'est pas de droite ou de gauche...

M. René Dosière - Là n'est pas le problème !

M. le Ministre - Depuis vingt-huit ans, donc, aucun gouvernement n'a pu trouver la ou les bonnes solutions.

Deuxième question que doit se poser tout ministre de l'intérieur de bonne volonté : peut-on faire quelque chose ? Elle mérite d'être posée, car nombreux sont ceux qui pensent qu'on ne peut rien faire. La stratégie doit-elle être de s'installer en simple observateur des difficultés corses ? Fallait-il, par exemple, que nous nous retranchions derrière les tout récents accords de Matignon pour mieux en dénoncer les limites ? Ça, formidable ! Les critiques de Matignon sont les champions du monde du dénigrement, pas de la proposition ! Fallait-il critiquer le statut actuel, en dénoncer les insuffisances - elles existent - et se retrancher derrière la fatalité qu'il n'existerait pour la Corse aucune bonne solution ?

M. René Dosière - Très juste !

M. le Ministre - Faut-il dire, comme je l'entends si souvent sur le « continent », comme on dit vu de l'île : « Les Corses sont capables du meilleur comme du pire » ? Une fois qu'on a dit cela, on n'a pas fait beaucoup avancer le problème !

M. Bernard Roman - C'est vrai !

M. le Ministre - Faut-il dire : « La Corse, oui, mais sans les Corses ! » ? Je n'accepte pas cette forme de racisme anti-Corses pour la raison simple que les Corses sont les premières victimes d'une situation qui, depuis vingt-huit ans, les dépasse et les accable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). L'humeur anti-Corse, c'est bon pour qui se contente de parler dans un dîner, non pour celui qui pose la question de la place et du statut définitifs de la Corse dans la République.

Dès lors, que faire ? Accepter de voir la réalité en face. La Corse mérite-t-elle ou non un traitement particulier ? La réponse du Gouvernement est affirmative. D'aucuns prétendent que réserver un traitement particulier à la Corse, c'est préparer sa sortie de la République. Raisonnement absurde !

La Corse souffre de handicaps qu'aucune autre région de France ne connaît : c'est une île éloignée du continent, montagneuse et sous-peuplée. Une population de 260 000 habitants ne suffit pas à créer un marché intérieur. Avec 56 employés, la Manufacture est le deuxième employeur de l'île. La République offre les mêmes droits à tous, mais ceux qui ont plus de problèmes que les autres doivent être davantage aidés. Toutes les îles de la Méditerranée sont du reste dotées d'un statut particulier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe socialiste).

Pourquoi une réforme institutionnelle ? Certains prétendent que ce n'est pas un problème. Je peux comprendre cette position, s'agissant des clandestins, dont la lâcheté ne les conduit à réfléchir qu'à travers le prisme de la violence, mais je ne peux la comprendre de la part des élus et des démocrates. L'institution, c'est un lieu de la République où se prennent les décisions.

Force est de reconnaître que depuis 1975, la Corse n'a pas trouvé un cadre institutionnel qui lui permette de résoudre ses problèmes car, depuis cette date, l'addition de réformes partielles qui s'empilent n'a jamais abouti à une cohérence d'ensemble. La réponse à Aléria, en 1975, fut la création de deux départements. Qui osera dire que la bidépartementalisation a apaisé les tensions ?

M. Emile Zuccarelli - Ce fut le cas.

M. le Ministre - La bidépartementalisation a été ressentie comme un acte de défiance par les Corses.

En 1982 est créée la collectivité territoriale de Corse, en 1991 la Corse est dotée d'une organisation particulière, en 1999 le débat est ouvert sur la création d'une collectivité unique, en 2002 le débat n'est pas tranché car la loi de janvier 2002 concerne la décentralisation et le transfert des compétences, non la modification d'un statut, laquelle est repoussée à 2004.

Bref, depuis 1975, des éléments sont corrigés ou modifiés, mais la question de l'architecture d'ensemble n'est pas posée. Le présent projet le pose pour la première fois, mais peut-être n'était-ce pas possible de le faire avant. Peut-être fallait-il attendre la réforme constitutionnelle pour rendre ce changement possible. Qu'est-ce qui ne va pas en Corse ? Personnellement, je suis frappé par l'énorme besoin de cohérence de la Corse. Personne n'a les moyens d'imaginer une stratégie de développement. Les responsabilités se chevauchent, empêchant quiconque d'exercer une responsabilité d'ensemble. Innombrables sont ceux qui ont suffisamment de pouvoir pour empêcher, contrecarrer, détruire, refuser. Le « non », en Corse, se pratique très facilement et avec conviction. C'est une posture affectionnée. Mais personne n'a assez de pouvoirs pour bâtir, construire, entraîner, faire des propositions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il faut donc un lien de cohérence qui permette de dire : si ça ne va pas, voilà les responsables.

Peut-on mener le chantier institutionnel indépendamment des deux autres que sont le développement économique et le rétablissement de la sécurité ? La difficulté tient précisément à ce que, selon ma conviction profonde, il faut mener les trois opérations simultanément.

S'agissant de la sécurité, imaginer que le problème corse puisse être résolu par le doublement, le triplement, le quintuplement des forces de police et de gendarmerie, c'est méconnaître totalement la réalité, l'identité et la tradition de l'île.

M. Bruno Le Roux - C'est la même chose sur le continent.

M. le Ministre - Les attentats sont inadmissibles. La seule stratégie possible est une action continue, régulière, qualitative et déterminée. Depuis un an, les services de police et de gendarmerie ont procédé à l'arrestation de 56 personnes pour des actes liés au terrorisme et au séparatisme - je me refuse à employer le terme de « politiques », car ce sont des actes de banditisme et de gangstérisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF et sur les bancs du groupe socialiste).

M. René Dosière - Très bien !

M. le Ministre - Mettre une cagoule pour faire sauter ce qui a été payé par les contribuables, y compris corses, n'a rien à voir avec la politique.

Le groupe dit du « FLNC des anonymes », qui a revendiqué vingt et une actions violentes, a été démantelé.

Outre le gangstérisme séparatiste, il faut également compter avec le gangstérisme tout court : racketteurs, escrocs, voleurs, trafiquants de machines à sous. Vingt-trois personnes ont ainsi été récemment écrouées.

Les séparatistes attendent de nous des réactions outrées à un attentat, une condamnation publique violente, de manière à pouvoir légitimer leur prétendue appartenance politique. Quand des braqueurs attaquent un fourgon de la Brink's, nul ne condamne sur un plan politique ce qui relève du gangstérisme.

Les hommes politiques qui, au journal de 20 heures, vont condamner des braqueurs qui font sauter une trésorerie, une banque, la maison d'un continental, ne se rendent pas compte que c'est précisément ce que les poseurs de bombes attendent d'eux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ils doivent recevoir pour seule condamnation, celle de la justice et de la police. Leur attitude ne sert qu'à masquer le vide sidéral de leurs propositions. Nous oublions trop souvent que l'assassinat ignoble du préfet Erignac a été condamné par 40 000 Corses descendus dans la rue pour dire leur humiliation face à un acte si contraire à la tradition de l'île (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF et sur les bancs du groupe socialiste). N'assimilons pas injustement la violence à toute la Corse. Vous savez la tentative de justification qui a été faite de ce lâche attentat. Je me suis contenté de la qualifier d'extrêmement choquante, car, à ce degré d'indignité, surréagir aurait donné du contenu à ce qui n'en a aucun

MM. Paul Giacobbi et Simon Renucci - Très bien !

M. le Ministre - Dans la perspective du procès des assassins du préfet Erignac, on a parlé de décaler la consultation. Réflexion faite je m'y suis opposé : comment un crime de droit commun pourrait-il justifier le report d'une consultation politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Quel crime mériterait l'honneur de voir s'incliner la démocratie ? Vérité et justice seront rendus au préfet et à sa famille le jour où Colonna subira le même sort que ses complices (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). S'il prétend être innocent, qu'il fasse confiance à la justice de son pays !

J'en viens au développement économique. C'est vrai, la Corse a besoin d'aide, aussi avons-nous financé le plan exceptionnel d'investissement prévu par le gouvernement de Lionel Jospin. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a pris tous les décrets d'application de la loi de janvier 2002, sans en modifier aucun, car c'était un bon texte, mais, surtout, il en allait du respect de la parole de l'Etat, dans un domaine où il est essentiel de parler d'une même voix (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Je me suis rendu récemment à Bruxelles pour négocier le statut de l'insularité. La délégation ne comptait pas moins de dix-huit membres, ce qui n'a pas manqué de surprendre Romano Prodi, le président de la Commission, et il a fallu donner la parole à six ou sept membres. La Corse, avec ses 260 000 habitants, plus de 300 communes, deux départements et une collectivité territoriale, n'est pas capable de construire un discours commun. Il n'existe pas d'endroit où se mettre d'accord avant de négocier. Et les autonomistes ne sont pas plus en cause que les autres !

Enfin, s'agissant de la question institutionnelle, j'ai beaucoup douté et mûri sur la décision d'une collectivité unique. De bonne foi, je pensais que six voyages, dont deux avec le Premier ministre, permettraient de déboucher sur un accord. Ce fut un échec complet. S'il est légitime que chacun défende son idée dans une région développée, qui ne connaît pas la violence, cela devient catastrophique en Corse. Deux tendances se dégageaient : les partisans de la collectivité unique, sous toutes ses formes, et ceux du statu quo.

Pourquoi suis-je devenu favorable à la collectivité unique ? D'abord par refus du statu quo. Comment expliquer qu'il ne faudrait rien changer alors que tout va de mal en pis ! Si le non l'emportait, on reviendrait au statu quo, c'est-à-dire que ceux qui dénoncent la situation actuelle feraient qu'elle resterait inchangée demain. Le Gouvernement ne prétend pas que la collectivité unique résoudra tous les problèmes mais elle permettra au moins d'identifier où se trouve le pouvoir en Corse - une seule personnalité juridique, un seul lieu où on lève l'impôt, un seul lieu où l'on emploie du personnel, un seul lieu où l'on pourra prendre des décisions d'ensemble.

Pourquoi n'avons-nous pas offert aux Corses le choix entre la collectivité unique, le statu quo, ou une solution médiane ? C'était prendre le risque de voir un projet adopté par moins de 40 % des suffrages, et dénoncé les atermoiements d'un Gouvernement qui, incapable de prendre une décision, s'en remet aux Corses.

Les deux milliards d'euros prévus sur quinze ans par le plan exceptionnel d'investissement ne méritent-ils pas d'être utilisés selon une stratégie de développement concertée ? Savez-vous que, lorsque la Corse-du-Sud décide de refaire une route, rien n'oblige la Haute-Corse à la prolonger ? Certes, une instance de concertation a été prévue par un texte, mais elle ne s'est jamais réunie. Ce n'est pas un hasard si, de toutes les régions, la Corse est celle où l'intercommunalité est la moins développée. Si ce statut n'était pas adopté, les instances de coordination ne serviraient à rien.

M. Emile Zuccarelli - Vous faites du Mérimée, ce n'est pas au niveau de débat !

M. le Ministre - La comparaison me flatte. Mais je parle librement : fort peu associé à tous les échecs des dernières années en Corse, je maintiens qu'une addition de « non » ne fait pas un projet d'avenir ! Une addition de « non », cela donne un immobilisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Cela dit, je vous rend hommage, Monsieur le ministre : vous aviez la même position face à M. Jospin. Moi, je suis de ceux qui disent oui à tous les hommes qui veulent agir. Il y en a d'autres qui disent non dès qu'on veut agir. C'est une stratégie. La mienne, c'est d'essayer d'avancer. Le surplace n'aboutit à rien.

Parlons maintenant des obstacles. La collectivité unique, c'est la suppression des conseils généraux, et c'est là que le bât blesse. Je rends hommage au président Paul Giacobbi qui a su s'élever bien au-dessus de ses intérêts de président du conseil général de Haute-Corse.

Ces conseils généraux présentés comme l'alpha et l'oméga, comme le gage de l'appartenance de la Corse à la République, qui sont-ils ? Cinquante-deux conseillers généraux, une femme ! Respectent-ils vraiment les règles de la République, ces conseils généraux qui symbolisent l'attachement de la Corse à la République ?

M. René Dosière - Il n'y a pas qu'en Corse !

M. le Ministre - Certes, à la différence près que la place des femmes dans la vie politique est un élément majeur pour faire reculer la violence sur l'île. Avec la réforme statutaire, il y aura demain, si les Corses le veulent et si vous le souhaitez, autant de femmes que d'hommes dans la classe politique insulaire, et cela aura des conséquences très positives sur la tradition de la violence (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Quand on me dit que la suppression des départements, c'est la suppression de la République en Corse, je réponds qu'avec la collectivité unique, c'est l'arrivée à parité des femmes dans la vie politique insulaire, et cela, ça compte !

MM. René Dosière et Bernard Roman - Très bien !

M. le Ministre - Pourquoi avoir prévu ces deux conseils territoriaux, un pour la Haute-Corse et un pour la Corse-du-Sud ? Sans personnalité juridique, ils ne lèveront pas l'impôt, n'embaucheront pas le personnel, qui sera mis à disposition par la collectivité territoriale. Ils appliqueront une politique définie par la collectivité unique : cohérence et proximité. Les critères d'attribution du RMI, par exemple, seront définis par la collectivité unique, mais le RMI sera distribué par les conseils territoriaux. Nous proposons que le Parlement définisse le socle minimal de leurs compétences et celles que la collectivité unique ne pourra pas leur déléguer. Entre les deux, nous laissons une souplesse : la collectivité territoriale pourra transférer telle ou telle compétence aux conseils territoriaux.

Les membres de la collectivité unique doivent-ils être membres des conseils territoriaux ? Le Gouvernement est ouvert à la discussion. Dans un premier projet, j'avais répondu par l'affirmative. D'aucuns préfèrent que l'on en discute, discutons-en !

Le mode de scrutin est important, mais pas capital au regard de l'enjeu.

M. Bernard Roman - Si l'on veut des femmes, il est essentiel !

M. le Ministre - Non, cela a été tranché : la parité hommes-femmes n'est pas négociable. La proportionnelle est une tradition dans l'île : il n'y a aucune raison de ne pas la retenir.

Une circonscription, la Corse. Une prime majoritaire : sur le principe, cela ne pose pas de problème. Il reste à concilier deux objectifs. D'abord, quel sens y aurait-il à créer une collectivité unique sans lui donner les moyens d'avoir une majorité ? D'où la prime. Faut-il l'étendre au continent ou la limiter à la Corse ? Deuxième objectif : la représentation des minorités, essentielle à l'avenir de la Corse, où l'on a tant besoin de discuter.

Ce n'est pas un problème mineur. S'il se pose dans toutes nos régions, il se pose avec plus d'acuité encore en Corse, où la violence sévit.

M. Bruno Le Roux - C'est le contraire que vous avez fait il y a trois mois.

M. le Ministre - Restons-en à la Corse. Le sujet est déjà suffisamment complexe !

En toute bonne foi, il faudra arbitrer pour une prime qui permette à des minorités d'être représentées. Je l'ai dit à Camille de Rocca Serra comme à Paul Giacobbi, aucune décision n'a été prise. Le débat est ouvert. Je participe cette semaine aux travaux du conseil en Corse : j'exigerai simplement que les grandes lignes du mode de scrutin soient connues avant la consultation du 6 juillet. C'est une nécessité démocratique.

Dissipons enfin les malentendus : il y aura toujours un préfet à Bastia, l'Etat sera toujours présent en Corse.

A lire certains journaux, il n'y a pas plus sévère avec les Corses que les Corses qui ont quitté la Corse : ils ne résistent pas à l'envie de donner des leçons à leurs compatriotes qui ont fait toute leur vie en Corse et y vivent tous les jours.

Pourquoi ne pas demander aux Corses s'ils veulent rester français ? Parce que pour le Gouvernement, cette question ne se pose pas plus aujourd'hui qu'elle ne se posait hier et qu'elle ne se posera demain. Poser la question, c'est donner une importance considérable à l'infime minorité qui scande toujours les mêmes balivernes ! Mais la Corse est française ! Je n'éprouve pas le besoin de dire que je foule le sol de la France, de la République et de l'Etat de droit quand je vais en Bourgogne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) A trop poser des questions qui ne se posent pas, on donne du crédit à des gens qui n'en ont pas ! Ceux qui posent la question de l'appartenance de la Corse à la République ne rêvent que d'une seule chose : que nous débattions d'une question qui, pour les républicains de gauche comme de droite, ne se pose nullement ! Voilà pourquoi nous ne le faisons pas. La Corse appartient à la France, la Corse est française, les Corses sont français, point final ! Et ce ne sont pas les cagoulés qui nous entraîneront sur ce terrain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Sans doute ai-je été trop long, sans doute me suis-je exprimé avec trop de passion. Mais je voudrais terminer en disant ceci : beaucoup ont cherché à me dissuader de m'engager dans le dossier corse qui a eu raison de tant de ministres. Je ne partage pas cette vision : c'est justement parce que c'est difficile qu'il faut y aller. Si nous ne faisons rien, l'échec est certain, et celui qui héritera du dossier dans six mois, dans un an, sera confronté aux mêmes problèmes. Les problèmes de Jospin hier, je l'avais dit à l'époque, seront les nôtres demain. Mais les problèmes du gouvernement Raffarin seront ceux d'un autre gouvernement demain si nous n'avançons pas.

Je ne suis pas venu vous dire que le projet du Gouvernement est l'alpha et l'oméga, que nous avons la vérité révélée. Mais je suis intimement convaincu que tout vaut mieux que l'immobilisme auquel on condamne depuis trop longtemps la Corse. Donnons le signal de la marche, du rassemblement des forces politiques, de gauche comme de droite, à nos compatriotes de Corse : ils répondront à l'appel de la République, ils choisiront enfin le rassemblement. Au lieu d'attiser les divisions de la Corse, le Gouvernement vous propose le rassemblement de la Corse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Vous avez raison, Monsieur le ministre, la passion était bien là dans votre propos. La Corse le mérite comme les autres îles de la Méditerranée, dont aucune n'échappe à cette règle : avoir chacune la sienne.

De la passion, il y en a eu dans nos débats. Si elle a révélé des lignes de fracture, elle a aussi fait apparaître un point fondamental, sur lequel vous venez d'insister : la profonde et inaliénable volonté de tous les parlementaires français d'affirmer que la Corse est bien la France. Il s'agit moins de savoir s'il faut parler - qu'il y ait ou non statut - d'une Corse en dehors de la France que de permettre à ce territoire français de surmonter ses réelles difficultés.

Ne nous trompons pas de débat : le débat d'aujourd'hui est important, il est le précurseur d'un autre débat essentiel, celui du statut. La tentation a donc été forte d'anticiper sur le projet de loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

Cette confusion, entretenue ou involontaire, a favorisé toutes sortes de discussions, la question étant finalement : ce projet doit-il être précis au point d'engager l'avenir ou doit-il laisser toute leur place aux travaux et réflexions en cours ?

Avec ce projet, Monsieur le ministre, vous nous appelez à parler d'avenir sans nous attarder sur le passé, mais sans rien non plus en ignorer, afin d'éviter de renouveler les mêmes erreurs. Cela dit, les auteurs des différents projets qui se sont succédé depuis 1975 ont tous eu la volonté de faire progresser le territoire de Corse. De fait, il en a besoin car il ne représente toujours que 0,3 % du PIB, son PIB par habitant étant inférieur de 21,5 % à la moyenne nationale et le taux de chômage y atteignant 10,4 %.

Face à cela, vous proposez un projet qui ne règle rien en lui-même mais qui prépare l'avenir dans des conditions tout à fait nouvelles, puisque pour la première fois, les Corses vont avoir la parole. Jusqu'ici, tous ceux qui avaient proposé des statuts l'avaient fait en s'appuyant sur certains partenaires. Là, tous les partenaires locaux ont été écoutés et les Corses vont se prononcer. Cette manière de faire n'avait été qu'espérée en 2002. La révision constitutionnelle à laquelle nous avons procédé l'a rendue possible.

M. Bruno Le Roux - Les Corses participent à toutes les élections ! Ce n'est tout de même pas la première fois qu'on leur donne la parole !

M. le Rapporteur - Née en 1975, la bidépartementalisation n'a pas donné des résultats particulièrement positifs. Ces deux départements coexistent avec 360 communes, une collectivité territoriale à statut particulier, un empilement d'offices dont les tutelles ont été modifiées au fil du temps. Il faut tenter de mettre terme à cette complexité et cette illisibilité dont la Corse est victime, il faut tenter de parvenir à une unicité dé décision qui lui permette de sortir de la crise du développement dans laquelle elle est enfoncée.

Mais envisager une seule assemblée dotée du pouvoir décisionnel, n'est-ce pas courir le risque de voir la décision s'éloigner de ceux qu'elle concerne ? Cette question de la proximité a suscité toute une série de questions en commission des lois, de même que celle du rôle de l'Etat dans la Corse de demain. Ainsi, nous avons eu un débat fort riche et passionné sur le mode de scrutin, certains considérant que le principe de parité - auquel le Conseil constitutionnel nous a rappelés dans sa dernière décision - doit amener à opter - comme pour les élections régionales - pour la proportionnelle, avec une prime majoritaire qui permette cependant de dégager une majorité, d'autres souhaitant un scrutin de type mixte, composé de proportionnelle pour qu'un maximum de composantes politiques du territoire puissent être représentées et de scrutin majoritaire, pour que subsiste le lien entre l'électeur et l'élu. Après en avoir longuement débattu, la commission a préféré se conformer à l'esprit de l'annexe et du projet, à savoir ne rien fermer, et donc en rester au texte transmis par le Sénat. Mais les amendements qui seront présentés en séance permettront au Gouvernement de rappeler ses intentions et de faire le point sur les travaux des groupes mis en place, en particulier celui consacré au mode de scrutin, justement. Il serait bon d'ailleurs que tous ces travaux soient achevés avant la consultation des électeurs corses.

En ce qui concerne la place de l'Etat, nous avons dû dissiper la confusion entretenue par certains. La disparition des départements, ce n'est pas celle de l'Etat, là où il est et tel qu'il fonctionne. Les Corses aspirent en effet à ce que l'Etat reste bien présent, à ce que les services publics continuent d'être un atout pour elle. Et leurs quatre représentants à l'Assemblée nationale sont bien d'accord sur ce point. Nous nous sommes donc demandés en commission s'il ne fallait pas aller plus loin dans la précision, ce qui m'a amené à proposer un amendement, sur lequel le Gouvernement aura, je l'espère, un avis favorable dans la mesure où il ne vise qu'à clarifier ses propositions. Cet amendement tend à ce qu'un préfet de Haute-Corse et l'ensemble des services qu'il dirige puissent à nouveau, demain, à côté du préfet installé au chef-lieu Ajaccio, représenter l'autorité républicaine et la solidarité nationale.

Nos débats en commission ont été riches en émotions et en propositions, marqués par le souci de ne pas insulter l'avenir et de permettre aux électeurs corses de définir leur devenir, le 6 juillet prochain, en connaissance de cause (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Zuccarelli une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Emile Zuccarelli - Vous avez dit, Monsieur le ministre, avec quelle passion vous vous étiez saisi du problème de la Corse. Je ne saurais vous en faire reproche, bien au contraire. Je souhaite que mon expérience et la durée de mes combats en Corse ne rendent pas suspecte la passion qu'à mon tour je vais mettre dans mon intervention.

Ferme partisan de notre démocratie représentative, je n'en suis pas moins à l'aise pour dire que, sur les grands projets qui représentent pour lui un enjeu majeur, la consultation directe du peuple est souhaitable et à l'occasion indispensable. La France a souffert d'un déficit évident de démocratie directe et la Corse, comme les autres régions, bien sûr. J'avais, par exemple, regretté que les Corses n'aient pu s'exprimer sur l'avenir qu'ils souhaitaient dans le cadre de ce que l'on a appelé le « processus de Matignon », qui a pu apparaître confisqué par quelques élus. J'étais réservé sur la réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement Raffarin, mais je me suis réjoui qu'elle ouvre la possibilité de consultations locales sur diverses questions, même institutionnelles. Grâce à cette réforme, pour la première fois, les électeurs de Corse pourront s'exprimer sur l'organisation de leur région.

Mais être favorable à une consultation locale ne signifie pas accepter que n'importe quelle question soit posée au peuple, et à n'importe quel moment. D'où cette question préalable : j'estime que notre assemblée n'a pas, en l'état, à délibérer du projet qui nous est soumis par le Gouvernement et ce pour au moins quatre raisons majeures.

La première est que cette consultation est précipitée. Cette précipitation, Monsieur le ministre, est le trait dominant de votre démarche. Vous nous demandez d'examiner, en urgence, un projet de loi organisant la consultation des électeurs de Corse sur une modification des institutions de l'île. Mais vous avez déjà annoncé la date de la consultation, le 6 juillet, ainsi que la durée de la campagne officielle, deux semaines, et, pour tout dire, vous êtes déjà en campagne - j'y reviendrai.

A croire qu'il n'y a rien de plus urgent pour la Corse que de modifier son organisation administrative.

M. le Ministre - C'est vrai !

M. Emile Zuccarelli - Face aux attentats, aux violences en tous genres, au sous-développement, la réponse du Gouvernement, c'est la suppression des départements ! Est-ce bien la priorité ? Sont-ils, à eux seuls, les malheureux responsables des maux que subissent les Corses ? Sérieusement, qui le croit ? Personne. Même ceux qui appuient votre démarche ne le font pas parce qu'ils croient aux vertus du système proposé, mais parce qu'ils lui supposent un effet calmant sur les violents. Ils se trompent d'ailleurs, abusés qu'ils sont par la pression exercée par les indépendantistes. Ceux-ci veulent faire disparaître une collectivité territoriale où ils n'ont pas de représentants, et qui constitue un obstacle majeur dans leur conquête du pouvoir. Si les conseils généraux étaient, comme l'assemblée de Corse, élus à la proportionnelle, si, de ce fait, ils disposaient d'élus capables de faire et défaire à l'occasion des majorités, alors ils n'auraient peut-être pas soulevé ce débat dans les mêmes conditions, et nous n'aurions pas aujourd'hui à examiner ce projet. J'ai d'autre part eu l'occasion de suggérer, même si c'est plus anecdotique, qu'ils étaient peut-être agacés par la nature républicaine des départements, structures créées par la Révolution...

Un projet précipité donc, alors qu'aucun cadre global n'a encore été fixé pour la mise en _uvre de cet aspect de la réforme constitutionnelle de mars dernier, et que vous commencez à peine à soumettre au Parlement les lois organiques qui la déclinent, comme celle que vous venez de transmettre au Sénat pour l'organisation des référendums locaux. N'aurions-nous pu attendre quelques semaines que le Parlement ait examiné un texte d'ensemble, applicable à tout le territoire et fixant le cadre général de l'organisation des consultations prévues à l'article 72 de la Constitution pour, ensuite, délibérer sur l'opportunité de consulter les Corses et sur la question à leur poser ?

Cette précipitation affecte aussi le débat parlementaire. J'en veux pour preuve les conditions dans lesquelles le Gouvernement nous impose de délibérer aujourd'hui. Alors que nos travaux sur ce texte devaient durer deux jours, vous n'avez pas hésité à en inscrire la seconde lecture au Sénat dès sa première séance de demain. Manifestement, vous voulez que ce texte soit adopté définitivement avant votre déplacement en Corse, prévu ce vendredi, fallût-il pour cela nous faire délibérer toute la nuit. Sur un texte d'une telle importance, la sérénité des travaux de notre assemblée n'est pas assurée.

D'autre part, la consultation prévue est biaisée et ne respecte pas vos propres engagements pris à Ajaccio en octobre dernier. Vous indiquiez alors qu'à défaut de consensus entre les élus, vous donneriez aux Corses le choix entre les différents projets en débat : d'un côté, le projet de collectivité unique que vous défendez désormais ; de l'autre, le maintien des départements avec une clarification de leurs compétences respectives et de celles de la collectivité territoriale de Corse et une amélioration de leur coordination, projet qu'avec d'autres élus je vous ai soumis il y a plusieurs mois, et sur lequel je reviendrai.

Au lieu de cela, vous avez tranché et choisi de ne pas laisser les Corses choisir. Rétrospectivement, il apparaît bien que votre décision était prise avant même le simulacre de débat que vous avez offert aux élus. J'ai dit alors combien il apparaissait comme un simulacre, et combien certains exercices en forme d'état des lieux apparaissaient un peu sommaires. En ce moment même en Corse, une inspection générale est en train de faire un audit, mais les décisions seront prises sans attendre ses conclusions... Vous faites campagne pour le oui, et utilisez pour cela les moyens publics à votre disposition, rompant avec la nécessaire équité qui devrait régner entre les partisans du oui et ceux du non. Vous multipliez les promesses - la plupart sans rapport avec le projet de collectivité unique, comme le règlement du dossier de la dette agricole. Je n'ai rien à objecter, mais s'il s'agit de convaincre les électeurs de voter votre texte, on est en droit de se demander, si le non l'emportait, si l'ardeur du Gouvernement serait la même.

Vous me rappelez Henri Ford et sa manière, au début du siècle dernier, de vendre sa toute nouvelle Ford T. Il expliquait à ses clients potentiels que sur cette voiture ils pouvaient tout choisir, même la couleur... à condition que ce soit le noir ! Pour vous, les électeurs corses peuvent choisir librement entre le oui et le non... à condition que ce soit oui !

Une seconde considération me conduit à défendre cette question préalable : c'est le caractère dangereux pour la Corse du projet que vous entendez mettre aux voix. Il s'agit, selon vous, d'approfondir la décentralisation. Mais celle-ci réside dans la volonté de rapprocher du citoyen les lieux de décision. C'est bien dans cet esprit que le Premier ministre a voulu inscrire dans la Constitution le principe de subsidiarité. C'est dans cet esprit qu'il a déclaré à Rouen : « On n'administre bien que de près ». C'est dans cet esprit enfin que le Gouvernement entend désigner les départements comme le maillon irremplaçable de cette proximité. Il prépare donc des textes qui accroîtront de façon considérable leurs compétences en matière d'aides aux communes, de gestion des réseaux routiers ou d'adduction, ou d'action sociale.

Alors quoi ? Ce qui est bon partout ailleurs en France, ne le serait pas en Corse ? Et pourquoi ? Parce que la densité de population serait inférieure en Corse à ce qu'elle est dans d'autres régions, on aurait moins besoin de proximité ? Étrange logique qui voudrait que plus on est isolé, moins on a besoin de se rapprocher des centres de décision ! J'ose dire qu'en Corse, au moins autant qu'ailleurs, on a besoin de collectivités de proximité. Nos zones rurales, nos villages ont besoin d'interlocuteurs proches d'eux et de leurs préoccupations.

On a prétendu aussi que la faible superficie de la Corse justifierait la suppression des départements. C'est un raisonnement un peu court. D'abord la Corse n'est pas si petite : avec 8 700 km2, c'est le tiers de la Belgique. Ensuite, une préfecture de département comme Bastia est à deux heures et demie de la préfecture de région. Qui dit mieux ? Il faudrait, plutôt que les distances, considérer les temps de parcours. Au demeurant, est-ce bien la question ? La décantation volontariste des compétences qui caractérise l'esprit de la décentralisation s'analyse-t-elle avec une chaîne d'arpenteur ?

La vérité, c'est que votre projet est l'inverse de la décentralisation. Loin de rapprocher les lieux de décision du citoyen, on les en éloigne. C'est une véritable politique de recentralisation régionale visant à créer une collectivité unique hypertrophiée.

Écoutez-moi bien : c'est important, car jamais on n'a vu dans notre pays tant de compétences exercées au même endroit et par les mêmes personnes. Vous voulez réunir en un seul lieu, dans les mains d'un petit groupe d'hommes, les compétences considérables dévolues à la collectivité territoriale de Corse par le statut Joxe et la loi de janvier 2002, plus celles que détiennent actuellement les conseils généraux, plus encore celles que le Premier ministre, dans le cadre d'une nouvelle étape de la décentralisation, entend conférer aux régions et aux départements. On assisterait alors, je le répète, à une incroyable concentration du pouvoir, sans exemple dans notre histoire. Je vois mal comment la collectivité territoriale qui n'a pas encore, douze ans après, totalement digéré les compétences de la vague 1991 dite Joxe, et qui a affleuré à peine la vague 2002, s'emparerait élégamment du train 2004 sans parler des suivants... On voudrait freiner le travail en Corse qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

Permettez que j'y insiste. On nous adresse constamment le reproche de ne rien vouloir changer, et il était sous-jacent à tout votre propos, Monsieur le ministre. Mais ce que je rejette, c'est le parti pris permanent d'agir en Corse par l'institution. On ne pense qu'à l'institution, c'est une véritable tarte à la crème ! Tous les cinq ans on met la Corse en demeure de changer ses institutions. Qu'en résulte-t-il ? D'abord deux ans de parlotes pour préparer le changement ; puis deux ans de maux de tête parce qu'il faut, la décision politique une fois prise, mettre les textes en accord avec elle. Résultat : sur un cycle de cinq ans, on travaille un an ! Si, en vingt-cinq ans, on n'a pu valablement travailler que pendant cinq ans, ne nous étonnons pas que la Corse accuse aujourd'hui un certain retard de développement !

Vous expliquez aussi que la création d'une collectivité unique permettra de conduire une politique d'aménagement cohérente, sur le mode du « donnez-nous tous les pouvoirs et ça ira mieux ! ».

Entre nous, si dans ma vie professionnelle antérieure un responsable dont le service ne marchait pas bien était venu m'expliquer qu'en lui annexant le service voisin tout irait mieux, je lui aurais objecté qu'il risquait de perdre les deux !

En quoi, par exemple, les départements peuvent-ils être tenus pour responsables de la non-définition d'un véritable schéma d'aménagement de la Corse, alors que cette mission avait été confiée à l'assemblée de Corse par la loi Defferre, puis renouvelée par le statut Joxe en 1991 ? Vingt ans après, nous en sommes toujours là !

En quoi encore les départements sont-ils responsables de la non-réalisation de la route structurante de la plaine orientale prévue depuis plus de dix ans par la collectivité territoriale de Corse et dont le premier kilomètre n'a toujours pas été engagé ?

M. le Ministre - Ça prouve que ça marche bien !

M. Emile Zuccarelli - Non, ça prouve que vous vous trompez de cible !

Alors, veut-on d'une Corse qui travaille sur de vrais projets de développement, portés à bout de bras malgré les difficultés ou s'abriter une nouvelle fois derrière des alibis faciles, et à nouveau se défausser ?

Ce projet est dangereux pour la Corse à bien des égards.

D'abord parce qu'il tend à renforcer les déséquilibres territoriaux entre les micro-régions. Dans une île à la géographie tourmentée, où la préfecture de Haute-Corse est à plus de deux heures et demie de route de la préfecture de région - et le cas est unique en France - sauf, peut-être, si l'on retient la liaison Pau-Bordeaux mais certains jours seulement - et où certains cantons se situent à plus de quatre heures de route d'Ajaccio, on voudrait donc concentrer tout le pouvoir. Cela n'est pas réaliste et il faut une grande méconnaissance du dossier pour contester que la bidépartementalisation de 1976 a constitué une chance pour la Corse ou pour suggérer qu'elle a été « donnée » en réponse à Aleria.

Bastia et la Haute-Corse ont attendu pendant plus de cent cinquante ans une reconnaissance institutionnelle. Durant toute cette période, elles ont accumulé des handicaps que nous ne remontons qu'au prix de grands efforts depuis la bidépartementalisation. Et l'on voudrait nous renvoyer près de trente ans en arrière !

Au reste, vous avez bien conscience de l'effet d'affichage désastreux de votre projet puisque vous avez jugé bon de créer, aux côtés de la collectivité unique, des « conseils territoriaux » dont le périmètre géographique serait calqué sur celui des départements actuels.

Mais c'est un artifice, un véritable mirage de proximité ! Ces entités, baptisées par certains de vos partisans « commissions de la collectivité unique », n'auraient pas de personnalité juridique, pas de personnel propre, pas de ressources, et j'en passe ! A quoi de pareils ectoplasmes pourraient être utiles ? Et parler de compétences à leurs propos a-t-il encore un sens ?

Cela n'empêche pas les tenants de ce dispositif de s'entre-déchirer, entre les partisans de compétences attribuées par la loi, ceux qui veulent au contraire que la loi ne leur définisse aucune compétence propre et ceux, enfin, qui voudraient même que la loi interdise à l'assemblée de Corse de leur déléguer telle ou telle compétence ! Gageons que vous ne ferez rien là pour abréger le combat ! Vous déployez en effet des efforts admirables pour persuader ceux qui disent : « nous ne voulons pas que les départements, chassés par la porte, rentrent par la fenêtre » - pour parler clair, les nationalistes - qu'ils auront gain de cause et, dans le même temps, pour rassurer les tenants de la proximité. Aux premiers vous dites : « Faites-nous confiance, les départements sont bien morts » ; aux autres : « Regardez ce bel et compétent appareil de proximité ».

M. le Ministre - Ce n'est pas vrai !

M. Emile Zuccarelli - J'ai mon idée sur qui sera trompé ! Quoi qu'il en soit, le Gouvernement gagne du temps en renvoyant ce débat vers un groupe de travail local. C'est connu, on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment : vous cherchez logiquement à en sortir le plus tard possible !

Plus généralement, le flou semble être le maître mot du projet mal ficelé que vous nous soumettez : flou dans la répartition des compétences entre la collectivité unique et ses conseils territoriaux, flou aussi quant au mode de scrutin pour les élections territoriales. Au reste, je maintiens que ce problème n'est pas essentiel au vu des autres enjeux de la réforme. J'ai donc trouvé un peu choquant que d'aucuns, parmi les partisans de votre projet, conditionnent leur soutien final non au fond des évolutions proposées mais aux modalités électorales qui leur permettront de conserver ou d'obtenir plus ou moins d'élus dans la future assemblée de Corse, en définitive, de sauver un plus ou moins grand nombre de leurs amis ! Mais puisque le débat a été lancé, les citoyens doivent se prononcer en connaissance de cause.

Si le Conseil constitutionnel - confortant en cela les arguments développés au Sénat par notre collègue Nicolas Alfonsi dans le cadre du débat sur la réforme des modes de scrutin régionaux et européens - vous a imposé l'application de la stricte alternance homme-femme aux élections territoriales en Corse, comme aux régionales dans les autres régions françaises - qu'il y ait ou non d'ailleurs collectivité unique -, il est apparu clairement que sur les autres questions vous restiez délibérément imprécis sans doute pour laisser croire aux uns et aux autres qu'ils pourraient s'y retrouver.

Evoquer la question de la parité - si importante pour la Corse - me donne l'occasion de dénoncer la manie de la spécificité statutaire mais force est de constater que si l'on ne dérogeait pas à la loi commune, la Corse échapperait - pour son plus grand malheur - à l'indispensable effort de parité.

Quant aux seuils électoraux, il y aurait quelque paradoxe à retenir pour la plus petite collectivité les seuils les plus faibles en pourcentage du corps électoral !

Je veux à présent prendre un exemple emblématique de l'imprécision de votre texte, dont les conséquences risquent d'être bien plus dommageables. Il tient, notre rapporteur l'a fort justement évoqué, à l'organisation des services de l'Etat en Corse qu'engendrerait la mise en _uvre d'une collectivité unique. M. Geoffroy a considéré que la rédaction devait être amendée.

M. le Rapporteur - Pour satisfaisante qu'elle soit, la rédaction peut toujours être améliorée !

M. Emile Zuccarelli - Jusqu'à présent, vous vous étiez employé à nous persuader que la réforme ne modifierait pas l'organisation des services. Las, lors de la réunion de la commission des lois de mercredi dernier - et je parle sous le contrôle de son président -, c'est le contraire qui nous a été démontré ! Il a été dit, en effet, que l'organisation administrative de la Corse serait adaptée à la situation nouvelle et que les circonscriptions administratives, qui emprunteraient demain les limites actuelles de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud, ne seraient plus des départements au sens administratif...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - C'est l'inverse qui a été dit !

M. Emile Zuccarelli - ...avec les conséquences que l'on imagine sur les services publics, la structure administrative et les emplois. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'annexe au projet de loi que vous défendez est tellement floue que plusieurs lectures peuvent en être faites en toute bonne foi. Et l'amendement que s'apprête à défendre notre rapporteur ne réglera rien !

Votre texte est avant tout un projet politique. Néfaste pour les équilibres territoriaux, il tend à concentrer tous les pouvoirs dans une région déjà placée en permanence sous la pression de la violence et du racket. Au moins les mafieux n'auront-ils à se préoccuper que d'un seul lieu de pouvoir !

Au reste, nombre de représentants de votre majorité émettent en privé de fortes réserves sur la pertinence de ce projet. On peut dès lors s'interroger sur les raisons qui vous conduisent à vouloir l'imposer à toute force et à vous impliquer personnellement pour son adoption. Sans doute, comme nombre de vos prédécesseurs, vous êtes-vous laissé convaincre de la nécessité d'apporter une réponse institutionnelle à la violence. Entendons-nous bien, je vous sais assez déterminé pour conduire fermement la traque des criminels qui défigurent la Corse. Mais un ministre de l'intérieur ne se cantonne pas volontiers à un rôle répressif et vous avez voulu, selon vos propres termes, apporter des réponses « politiques ». Mais des réponses à quelles questions ? C'est bien la question. Et il n'y a pas de réponse. Ce qui est certain, c'est que votre démarche, si elle aboutissait, apparaîtrait comme un succès des nationalistes, que l'on prétend désarmer en donnant satisfaction à une de leurs revendications très constantes !

A ceux qui, lors de la première lecture de ce texte au Sénat, ont soulevé des questions sur cet aspect essentiel de votre démarche, vous n'avez opposé que colère, mépris et mise en cause personnelle. Au point de choquer nos collègues de la Haute Assemblée bien au-delà des bancs des groupes concernés (M. le ministre proteste). Pourtant, dès janvier 2001 - et je vous reconnais une certaine constance -, vous écriviez dans votre ouvrage Libre : « Il n'y a pas d'autre voie possible que celle du règlement politique » et plus loin - voyez comme j'ai de saines lectures - comparant la situation en Corse, sous certains aspects, à celles de l'Irlande du Nord ou de la Palestine, vous ajoutiez : « C'est toujours avec les ennemis d'hier qu'on fait la paix ». Or dans une démocratie, de qui donc le ministre de l'intérieur peut-il se sentir l'ennemi, sinon des poseurs de bombes et des assassins ?

La démarche que vous engagez ne vise donc pas quoi que vous en disiez, à rationaliser la situation administrative de la Corse : c'est d'abord une démarche politique en direction des nationalistes. Et vous allez plus loin dans cette voie que vos prédécesseurs. Ainsi le processus de Matignon prévoyait deux conditions pour la mise en _uvre à partir de 2004 de la phase des réformes institutionnelles : l'accord des pouvoirs publics en fonction à cette date et le retour durable à la paix civile.

Sans même attendre cette échéance, vous avez décidé de vous engager dans la voie de la réforme institutionnelle en renonçant au préalable à l'arrêt de la violence. Vous avez expliqué que vous n'entendiez pas conditionner votre action au dernier fou qui, dans le plus petit village, continuerait à faire sauter un pain de plastic. Cette argumentation, un peu simpliste, ne vous ressemble pas. Vous savez fort bien que ce n'est pas de cette violence-là que nous parlons. C'est de la violence structurée, organisée, du terrorisme, de la dérive mafieuse, du racket systématique, de ces organisations capables de réunir en plein jour une conférence de presse en cagoules et en armes pour revendiquer des attentats.

Vous ne respectez même pas le critère minimal que vous aviez fixé en janvier 2001 dans votre livre : « Il me semble nécessaire d'exiger de ceux avec lesquels on discute qu'ils se désolidarisent des actes de violence ». Je retrouve là des propos que j'avais tenus en d'autres temps, à d'autres gouvernement.

Que je sache, vous n'avez pas posé cette condition minimale à MM. Talamoni et Quastana que vous avez reçus il y a quelques semaines au ministère de l'intérieur.

Vous avez, au Sénat, comparé les chiffres des attentats de 1982, 1995 et 2002 pour tenter de démontrer une décroissance des actes de violence sur les vingt dernières années. Vous avez occulté les années de rechute et 2003 est bien partie pour être de celles-là avec plus de cent vingt attentats en quatre mois.

Vous avez aussi expliqué que cette quatrième réforme institutionnelle mettrait un terme aux évolutions dans ce domaine. Ceux qui vous soutiennent ont surenchéri en affirmant qu'il n'y aurait plus de réforme d'ici vingt-cinq ans pour les uns, trente ans pour les autres.

Là encore, ceux qui réclament depuis longtemps la suppression des conseils généraux, rempart contre leur tentative de conquête de pouvoirs, vous ont répondu. Une fois n'est pas coutume, je cite Indipendenza : « Nous tenons à répondre à Nicolas Sarkozy qui a avancé qu'à la suite du référendum la question institutionnelle serait réglée pour vingt ans. Personne ne pourra empêcher le peuple corse et le mouvement national en particulier de revendiquer une nouvelle avancée institutionnelle. En ce qui nous concerne, nous le disons clairement afin qu'il n'y ait aucune mauvaise surprise le moment venu : dès le lendemain du référendum nous poursuivrons nos efforts pour convaincre un nombre toujours croissant de nous rejoindre dans la lutte pour la souveraineté pleine et entière, l'indépendance nationale ». Fermez le ban.

M. le Ministre - C'est donc qu'il n'y a pas d'accord !

M. Emile Zuccarelli - On sait ce que cela signifie comme surenchères de violences.

L'expérience de vos prédécesseurs aurait dû vous montrer que l'on ne résout pas les problèmes de la Corse par les évolutions institutionnelles.

Vous expliquez que toutes les îles de la Méditerranée ont un statut particulier et qu'il n'y a pas de raison pour qu'il en aille différemment de la Corse. C'est une idée qui a la vie dure... Outre que nous avons déjà un statut particulier, pourquoi faudrait-il toujours chercher un statut plus particulier que celui de la veille ? Je me souviens d'une conversation avec François Mitterrand à qui je disais : « Quelle île de la Méditerranée qui a un statut particulier me donnez-vous à envier ? La Sicile mafioïsée, les Baléares baléarisés ? » J'espère que l'on ne nous donne pas pour modèles ces îles-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Dans un récent sondage réalisé dans l'île et qui donnait encore le oui majoritaire, une grande majorité des personnes interrogées considérait la question comme étant mal posée et complexe : qu'est-ce qu'une collectivité unique déconcentrée ? Même l'annexe à laquelle vous renvoyez reste imprécise.

Au point où nous en sommes, la seule consultation qui vaille c'est celle qui porterait sur la volonté ou non des Corses de rester français. Vous vous êtes évertué à montrer l'extrême particularité de la Corse. Souffrez donc que l'on prenne des précautions supplémentaires et même, à l'occasion, que l'on enfonce des portes ouvertes.

Je suis un républicain qui se bat depuis longtemps pour que la Corse reste dans la République et j'ai lutté contre le fameux article qui prônait la reconnaissance du « peuple corse ». Aux Corses, voici la question à poser : « Voulez-vous être pour toujours dans la République indivisible, et condamnez-vous tout usage de la violence à des fins politiques ? » Le résultat aurait sans doute été de 85 % à 90 % en faveur du oui mais surtout, vous auriez réuni les républicains et isolé les poseurs de bombes.

L'autre jour, sur une radio locale, vous disiez : « M. Zuccarelli ne veut rien changer. Il trouve sans doute que tout va bien ».

M. le Ministre - C'est vrai !

M. Emile Zuccarelli - Loin de moi l'idée que tout va bien. J'affronte quotidiennement les problèmes subis par la Corse. Mais votre remède est sans rapport avec le mal. Vous avez tendance à oublier le travail, l'innovation et même quelques résultats tangibles sous un méprisant statu quo dès lors qu'on sort du sempiternel problème institutionnel.

Lors d'un entretien place Beauvau avec les parlementaires et les conseillers généraux, vous avez rendu hommage aux conseils généraux pour le travail fait et ajouté que « l'assemblée de Corse ne fonctionnait pas ». Et c'est en cette assemblée que vous mettez vos espoirs pour l'avenir au détriment des départements qui, eux, fonctionnent et travaillent ! C'est l'inverse qu'il faut faire. C'est pourquoi je vous ai soumis, avec d'autres élus, un projet de clarification des compétences des collectivités concernées - départements et région - et d'amélioration de la coordination des politiques publiques. Vous n'en avez même pas accusé réception.

Votre choix était déjà fait, et depuis longtemps. Vos multiples voyages en Corse n'étaient que pour la galerie et vous êtes tombé du côté où vous vouliez tomber.

La Corse a besoin de développement économique, de renforcement de ses infrastructures, d'épanouissement culturel. Ce sont les mesures prévues dans la loi de janvier 2002, adoptée sous la précédente législature. La mise hors d'état de nuire des poseurs de bombes, des racketteurs et mafieux, des assassins, à commencer par celui du préfet Erignac qui court toujours, voilà ce qu'il faut faire !

Pour résumer et je pèse les mots : « La Corse a besoin de bien autre chose que d'un rafistolage institutionnel. La Corse a besoin de respect. La Corse a besoin de sérénité. La Corse a besoin d'offrir un avenir à ses jeunes. Et pour cela, en premier lieu, la Corse et les Corses ont besoin que soit mis définitivement un terme à la violence qui sape les fondements mêmes de la paix sociale sur l'île, qui empêche tout investissement privé, qui éc_ure les bonnes volontés et exacerbe les autres ».

Vous demandez quelle politique alternative je propose à la Corse. En voilà une, formulée par une personnalité éminente puisque je viens de citer l'actuel Président de la République, dans son discours de candidat à Ajaccio, le 16 avril 2002 !

A relire ces lignes, nombre d'électeurs corses, qui s'étaient laissés séduire par ces paroles fortes, se sentent aujourd'hui trompés.

Monsieur le ministre, on présente souvent les opposants à votre projet comme le « front du refus ». Mais si « front du refus » il y a, c'est celui du refus de la violence, du refus du chantage et du racket, du refus de la soumission, du refus des changements institutionnels permanents imposés par une minorité. C'est le « front du refus » des braves gens qui travaillent au développement de leur région et qui ne veulent pas voir leurs efforts condamnés par quelques activistes et autres affairistes à qui, au détour d'une hypothétique réforme institutionnelle, on ouvrirait un peu plus les portes du pouvoir insulaire. Ce « front du refus » s'élargit chaque jour.

Il est encore temps pour vous, Monsieur le ministre, de revenir à la table du dialogue républicain. En votant cette question préalable, l'Assemblée nationale a l'occasion de vous offrir une issue à l'impasse dans laquelle vous vous êtes engagé.

Dans le cas contraire, il ne restera plus aux Corses qu'à voter « non » dans un sursaut de dignité. Aux grands moments de leur histoire, qui se confond avec celle de la République, ils ont amplement démontré qu'ils savaient se mobiliser pour l'essentiel (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre - Monsieur Zuccarelli, merci de soutenir, dès votre première phrase, la consultation des Corses. Malheureusement, à la seconde phrase, vous dénoncez ma précipitation. Comprenne qui pourra ! Je sais que pour certains, la maturation est longue, mais le ridicule risque de tuer. Faut-il un an pour décider d'accorder ou non la parole aux Corses ? Vous me reprochez d'être en campagne et de faire de la politique. C'est en effet curieux de la part d'un homme politique ! Que proposez-vous pour sortir la Corse de cette situation, si ce n'est une solution politique ? Envoyer l'armée ? Déclarer l'état d'urgence ? Supprimer les institutions ?

Permettez-moi une question : pourquoi placer les indépendantistes au c_ur de tous vos discours ? On finirait par croire que vous avez besoin d'eux pour exister ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Vous m'avez reproché de ne pas me soucier de l'agriculture. Outre que cette question ne concerne pas le référendum, les institutions de la Ve République n'ont-elles pas _uvré au développement de la France des années 1960 ? Pourquoi en irait-il autrement de la Corse ? Au terme de votre exposé, vous avez découvert que j'étais pour le oui. Je savais déjà que vous étiez pour le non ! Vous avez toujours été contre tout alors que j'ai, de mon côté, soutenu ceux qui, de bonne foi, tentaient de résoudre le problème corse, en particulier lors des accords de Matignon - vous avez le tropisme du non, j'ai celui du oui.

Trop de compétences déléguées à la collectivité unique, dites-vous ? Manqueriez-vous de confiance dans la classe politique insulaire ?

Vous mettez les problèmes de la Corse sur le compte des réformes institutionnelles et dénoncez ainsi les coupables : Defferre, Joxe, Jospin et aujourd'hui moi !

M. René Dosière - Au moins êtes-vous en bonne compagnie !

M. le Ministre - De remise en question de la classe politique insulaire, d'autocritique, il n'en est point question.

Mes propos seraient ambigus, dites-vous. Au contraire, je défie quiconque de relever une contradiction dans mes discours.

Cela étant, n'ayant pas discuté avec les nationalistes, je n'ai rien à exiger d'eux. Là est toute la différence avec les accords de Matignon qui échouèrent par l'absence de quelques interlocuteurs. Je me suis rendu en Corse à six reprises et les nationalistes ont manqué trois rendez-vous, sans que mon voyage n'en pâtisse.

Vous me reprochez d'avoir reçu M. Talamoni et Quastana, mais ce sont des élus ! Reconnus dignes par la République de se présenter aux élections, ne le seraient-ils pas assez pour que je les reçoive ? De même, j'ai reçu M. Le Pen lors de la réforme des modes de scrutin. Auriez-vous préféré que je refuse de les entendre, au risque d'en faire des victimes et d'entrer dans leur jeu ?

Vous avez cité François Mitterrand. Je ne sais ce qu'il vous a dit au juste sur la Sicile ou les Baléares, mais en la matière le mépris ne me paraît pas de mise.

La Sicile ne connaît plus, depuis des années, de règlements de comptes mafieux. Notre amie l'Italie démocratique a payé cher le développement de la Sicile. Je ne pense pas que nous soyons en mesure de donner des leçons. Quant aux Baléares, l'extraordinaire réussite de leur tourisme ne peut se comparer à celle de la Corse.

Enfin, une référence manquait, celle de M. Chevènement, qui avait su choisir un préfet en mesure de rabaisser l'idée de la République en Corse. Mais enfin, tournons-nous vers l'avenir, car nous devrons travailler ensemble.

Prétendre être le défenseur de la République, en appelant ses concitoyens de Corse à voter contre le gouvernement de la République, cela manque de cohérence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Emile Zuccarelli - Je souhaiterai répondre à une question que m'a posée le ministre.

Mme la Présidente - Je vous suggère de vous inscrire sur l'article premier.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Rudy Salles - Y a-t-il lieu de débattre ? Oui, M. Zuccarelli le montre lui-même, par les questions qu'il pose.

Il y a lieu aussi de trouver des solutions politiques au problème de l'île. C'est vrai, Monsieur Zuccarelli, nous avons besoin d'un débat sur le fonctionnement de nos institutions territoriales, en Corse et sur le continent. Nous avons débattu en commission du fonctionnement des institutions corses, de leur lisibilité, de l'enchevêtrement des compétences, mais le même problème ne se pose-t-il pas ailleurs ?

La question institutionnelle ne réglera certes pas tous les problèmes de l'île, mais elle en réglera un certain nombre. 242 000 habitants, trois collectivités, il est vrai que le système n'est pas satisfaisant. Nous sommes précisément là pour en débattre. Nos points de vue ne concordent pas toujours mais nous sommes là pour obtenir du Gouvernement les réponses que les Corses attendent. Le groupe UDF ne votera donc pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Michel Vaxès - Avec tout le respect que je dois à votre fonction, Monsieur le ministre, je regrette que votre réponse à notre collègue Zuccarelli ait adopté le ton de la dérision et de la véhémence (« Mais non ! » sur les bancs du groupe UMP). C'est mon opinion, vous n'êtes pas obligés de la partager. Ce ton n'est pas digne de cette assemblée.

Les questions qu'a soulevées M. Zuccarelli ne méritent pas cette présentation schématique. Vous vous êtes félicité du soutien de notre collègue à la proposition de consultation. Tout le monde sait ici que nous avons été les premiers à souhaiter la consultation des Corses : la consultation, pas l'enfermement dans une réponse binaire sur une révision institutionnelle, mais une vraie consultation. J'avais d'ailleurs déposé une proposition de loi visant à faire enfin entrer dans nos m_urs la démocratie participative. Une consultation qui ouvre la voie à un grand débat public pour définir les priorités. Ce que dit notre collègue, c'est précisément que ce projet de loi ne répond pas aux priorités des Corses. Ils veulent réfléchir à des projets concrets ! Jamais ils n'ont revendiqué une nouvelle réforme institutionnelle. Celle-ci conduira à une concentration des pouvoirs qui rendra plus difficile la résistance aux dérives de la violence. Notre collègue a raison de dire qu'elle satisfera d'abord ceux qui ont dit publiquement qu'ils en avaient besoin pour exiger ensuite une nouvelle étape. Il n'est pas honnête de dire que nous ne voulons rien changer : c'est précisément parce que nous voulons beaucoup changer dans la vie des Corses que nous refusons un projet qui est un obstacle au changement.

Si je vous suis bien, Monsieur Salles, il faut débattre de cette question à l'échelle nationale. Je crains que la Corse ne serve une fois de plus de laboratoire. Pour toutes ces raisons, le groupe communiste et républicain votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Camille de Rocca Serra - On peut mettre la République à toutes les sauces. Mais en tant que citoyen français de Corse élu au Parlement de la République, je voudrais vous dire avec toute ma conviction, Monsieur le ministre, que vous avez raison : il est temps d'agir. Je regrette qu'Emile Zuccarelli, qui cosignait le 10 mars 2000 une motion réclamant la simplification de la carte administrative et envisageant dans ce cadre « la réunion de l'échelon départemental et territorial, comme il adviendra peut-être dans les autres régions » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), n'ait pas été cohérent. Pour ma part, je suis fidèle à mon engagement. Vous assurez, Monsieur le ministre, la continuité de l'Etat républicain qui a si longtemps fait défaut à la Corse. C'est votre honneur, c'est pour cela que je demande au groupe UMP de vous aider à déverrouiller ces portes fermées à double tour qui résistent à toute ouverture, pour que la Corse retrouve enfin l'espoir et que la République y soit, plus qu'hier, présente. Nous vous faisons confiance. Il y a donc lieu de débattre, et sans attendre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bruno Le Roux - Certes, il faut, sur ce sujet, beaucoup d'humilité et de retenue, et aussi de la passion, car il est passionnant. Je crois que nous avons tout intérêt à poursuivre la mise en mouvement politique de la société corse, de manière à créer les conditions d'un renouvellement. Il n'y aurait rien de pire aujourd'hui que l'immobilisme.

Restent évidemment, je le dirai tout à l'heure, des conditions à remplir et des points à améliorer. Sans doute faudrait-il prendre le temps d'un véritable débat politique. Allant régulièrement en Corse, j'y ai rencontré des citoyens très attachés au débat politique, et désireux de s'exprimer pour peu qu'on leur offre un cadre. Celui que vous leur proposez, je crains qu'il n'engendre, vu la date fixée, des frustrations. Pour autant, nous avons choisi une attitude semblable à celle qui fut la vôtre, il y a quelques mois : amender, essayer d'infléchir le projet. C'est ainsi que je défendrai tout à l'heure une motion de renvoi en commission, mais le groupe socialiste ne votera pas la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 55.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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