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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 94ème jour de séance, 226ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 4 JUIN 2003

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

INITIATIVE ÉCONOMIQUE
(deuxième lecture) - suite - 2

ART. 26 BIS (suite) 2

ART. 26 TER 11

ART. 26 QUATER 13

ART. 27 AA 13

ART. 27 B 13

ART. 27 C 14

ART. 27 D 14

ART. 27 G 15

APRÈS L'ART. 27 15

SECONDE DÉLIBÉRATION 17

ART. 13 B 17

EXPLICATIONS DE VOTE 17

LUTTE CONTRE LA VIOLENCE ROUTIÈRE (deuxième lecture) 19

ART. 2 BIS 28

APRÈS L'ART. 8 31

EXPLICATIONS DE VOTE 32

ORDRE DU JOUR DU JEUDI 5 JUIN 2003 32

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

INITIATIVE ÉCONOMIQUE (deuxième lecture) - suite -

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi pour l'initiative économique.

Mme la Présidente - Cet après-midi, l'Assemblée a commencé la discussion des articles et s'est arrêtée après avoir entendu les orateurs inscrits sur l'article 26 bis.

ART. 26 BIS (suite)

M. Daniel Paul - Notre amendement 39 tend à supprimer cet article, qui accorde une exonération de l'ISF sur les parts ou actions détenues dans une entreprise, sous certaines conditions. On nous explique que l'ISF aurait des effets pervers sur l'initiative économique. Pour notre part, nous continuons de penser non seulement que les biens professionnels ne devraient pas être exonérés, mais que l'assiette de l'ISF devrait être élargie à l'ensemble des actifs financiers.

Comme le souligne l'économiste Thomas Piketty, « Désormais, plus besoin de travailler dans l'entreprise ; il suffit de signer un pacte avec un groupe quelconque d'actionnaires, dont au moins un travaille dans l'entreprise, pour être exonéré. On risque donc d'assister à la multiplication de pactes d'actionnaires purement artificiels, dans l'unique but de bénéficier d'exonérations fiscales ». Là encore, c'est la logique du court terme qui risque de primer : on recherchera l'avantage fiscal immédiat au lieu d'élaborer une stratégie à moyen et long terme.

Faut-il ajouter que, dans la situation économique actuelle, où les plans sociaux se multiplient, la suppression de cet article est aussi une question d'éthique ?

M. Augustin Bonrepaux - Je n'ai pas pu être là tout à l'heure pour défendre nos amendements relatifs à la défiscalisation dans les zones rurales, que le Gouvernement a de nouveau repoussés. Lorsque je les avais présentés en première lecture, on l'avait renvoyé à une loi future. Aussi ai-je déposé une proposition de loi, qui coûterait moins cher que ce qu'on nous propose ce soir ! Avec l'équivalent des réductions que vous opérez sur l'ISF, on pourrait créer cinq cents zones franches rurales...

Il faudra, nous dites-vous, abaisser l'impôt sur la fortune et sur les plus hauts revenus parce que l'attractivité du territoire français serait insuffisante. Pourtant, dans Le Figaro d'hier, l'épouse du ministre de l'agriculture, Mme Clara Gaymard, expliquait au contraire que la France, où la scolarité est gratuite, où les trains arrivent à l'heure, où la distribution d'électricité est fiable, où les infrastructures sont de qualité, est très attractive. Elle expliquait aussi qu'en 2002, les investissements étrangers en France se sont élevés à 49 milliards d'euros.

M. Nicolas Forissier - Ils sont en baisse !

M. Augustin Bonrepaux - De même, le conseil d'analyse économique, rattaché à Matignon, a souligné qu'en France la fiscalité sur les hauts revenus n'était pas particulièrement élevée.

Ce soir, on nous explique qu'il faut réduire l'ISF, mais les Français les plus modestes vont finir par se rendre compte que vous donnez toujours aux mêmes... Vous avez d'ailleurs un peu peur, puisque vous n'osez pas supprimer l'ISF... Vous préférez procéder par réductions successives qui vont le vider de toute sa substance ! Pour notre part, nous proposons par notre amendement 79 de supprimer cet article.

M. Gilles Carrez, rapporteur de la commission spéciale pour les articles fiscaux - Je voudrais répondre tout à la fois aux auteurs de ces amendements, que la commission a rejetés, et aux orateurs qui étaient intervenus sur l'article à la fin de la séance de cet après-midi.

Cet article a pour seul but de limiter la vente de nos entreprises familiales - installées par exemple en milieu rural, Monsieur Bonrepaux - à des grands groupes, notamment étrangers.

A cause des effets pervers de l'ISF, on assiste d'abord au rachat, puis au départ du centre de décision, ensuite à celui des fonctions logistiques, enfin à la délocalisation des activités de production. Pourquoi ? J'avoue que j'ai découvert le problème il y a quelques mois ; je vous en parlerai sans aucune idéologie, mais avec pragmatisme. Il est exclusivement lié à celui des actionnaires minoritaires.

Dans une entreprises familiale, au fur et à mesure des successions l'actionnariat se disperse. Or, pour que les parts de l'entreprise soient considérées comme biens professionnels, il faut en détenir plus de 25 % et exercer une fonction de dirigeant.

La plupart des actionnaires sont donc minoritaires.

Détenteurs de parts, ils vont toucher des dividendes, mais si l'on compare le montant des dividendes perçus à celui de l'ISF à acquitter - sans compter la CSG, la CRDS ou l'IR, même avec l'avoir fiscal - le rapport n'est pas favorable ! Et je ne parle pas des grands groupes internationaux qui ferment des sites dans les vallées reculées de M. Bonrepaux, mais de nos grandes entreprises familiales...

Dès lors que l'on paie plus d'impôts que l'on ne touche de dividendes, la situation n'est plus tenable - il ne s'agit pas de quelques cas isolés. Pour rester compétitives, les entreprises familiales doivent constamment réinvestir dans l'appareil productif. Dès lors, elles ne distribuent que très peu de dividendes. Il n'est pas rare que les impôts représentent 120 % à 150 % du montant total des dividendes distribués.

Au bout d'un certain temps, les actionnaires se lassent. Certains partent à l'étranger - par exemple en Belgique, les élus du nord le savent bien (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP) ; d'autres, la mort dans l'âme, décident de vendre. Je tiens à la disposition de ceux qui le souhaitent nombre d'exemples fameux : les galettes Saint-Michel - qui n'en a pas mangé ? -, les skis Salomon, les laboratoires Biobloc et tant d'autres... L'ISF entraîne la vente ou la délocalisation de nombre de nos plus beaux fleurons. C'est une réalité dont il faut tenir compte avec pragmatisme, plutôt que de lui opposer des symboles, des tabous ou de l'idéologie à bon compte.

Notre obsession, c'est de créer des emplois. Et il faut bien reconnaître, Monsieur le ministre, que votre texte fait souffler sur notre pays un esprit de création d'entreprise aussi revigorant qu'inédit... (« C'est l'effet Dutreil ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Daniel Paul - Les chiffres du chômage l'attestent !

M. le Rapporteur - Au reste, je n'ai pas cherché l'inspiration ailleurs que dans les propositions de Didier Migaud ! Constatant que le poids des droits de succession tendait à nous faire perdre quelques-uns de nos meilleurs groupes - il avait cité ici même l'exemple emblématique du groupe UPSA -, mon prédécesseur ne proposait-il pas, dans un amendement à la loi de finances pour 2000, la création du dispositif du « pacte d'actionnaires » ? Soucieuse de pérenniser le maximum d'emplois, l'opposition d'hier n'a eu aucun scrupule à voter le dispositif Migaud-Gattaz. Et celui que je propose à l'article 26 bis procède de la même inspiration : Migaud l'a rêvé, nous le faisons ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP)

Au reste, je vous renvoie à ses déclarations de l'époque : elles ne s'en tiennent pas aux droits de succession et comportent nombre d'allusions très claires à l'ISF.

Bref, nous proposons un système analogue, fondé sur un pacte d'actionnaires pour une durée de six ans, assorti de seuils de 34 % pour les sociétés non cotées et de 20 % pour les sociétés cotées.

Mieux, les dispositifs sont complémentaires. A ceux qui me demandent si les actionnaires souscrivant un pacte ISF seraient pénalisés au cas où l'un d'entre eux décéderait avant l'expiration du délai de six ans, je dis : « Signez aussi un pacte Migaud ! ».

La démarche est identique et elle vise le même objectif : stopper l'hémorragie d'emplois qui épuise notre pays. Depuis les années 1995-1996, au moins 10 000 emplois ont été perdus à cause des effets pervers de l'ISF. Et je ne fais pas référence à ces années par hasard ! L'idéal serait en effet, sans doute, de revenir sur le plafonnement du plafonnement. Hélas, les esprits ne sont pas mûrs pour rétablir le plafonnement Bérégovoy, supprimé en 1996, bien que certains considèrent que, s'il était toujours en vigueur, cette hémorragie d'emplois aurait pu être évitée.

Combien coûte le dispositif ? Mme Ségolène Royal répète à l'envi que l'ISF a été supprimé (« Désinformation ! » sur les bancs du groupe UMP) - au reste, si tel était le cas, à quoi serviraient tous ces amendements ? - et les chiffres les plus fantaisistes circulent. Clarifions les choses : le produit de l'ISF est de l'ordre de 2,2 milliards d'euros. Le coût cumulé de la mesure que je propose aujourd'hui, et de celle adoptée en première lecture s'élève à environ 100 millions d'euros. 100 millions pour sauver des milliers d'emplois : cela ne vaut pas les envolées lyriques fortement teintées d'idéologie de certains. D'autres sont d'ailleurs plus mesurés, et j'ai apprécié les propos de Mme Lebranchu ou de M. Vergnier, qui n'hésitent pas, contrairement à certains, à aller au-devant des chefs d'entreprise pour tenter de résoudre leurs problèmes. J'ai moi-même rencontré des dizaines d'entrepreneurs. Leurs difficultés sont souvent immenses et j'espère que nous serons nombreux à voter cet article 26bis pour leur témoigner notre compréhension.

Je le redis une dernière fois : notre approche est pragmatique ; notre priorité absolue est de créer le plus d'emplois possible ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation - Je n'ai rien à retrancher à l'excellent exposé de M. Carrez. Comme j'ai eu l'occasion de le dire aux sénateurs, le Gouvernement dispose d'indicateurs inédits et probants sur les délocalisations liées à l'ISF. En valeur absolue, le nombre de contribuables ayant quitté le territoire national pour ne plus avoir à acquitter l'ISF peut sembler modeste - 370 en 1997, 350 en 2001 avec un pic à 383 en 1998.

M. André Gerin - C'est tout ?

M. le Secrétaire d'Etat - Etant donné l'assiette fiscale de chacun d'eux, ce sont tout de même 7 à 8 milliards d'euros de substance économique qui ont quitté notre pays où, n'en déplaise à Mme Royal, l'ISF est toujours en vigueur. En quoi la représentation nationale pourrait-elle se réjouir de cet appauvrissement de notre pays ?

M. André Gerin - C'est du pétainisme industriel ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Secrétaire d'Etat - Ces contribuables - et avec eux la richesse et l'emploi qu'ils sont à même de créer - ont émigré en Belgique, en Suisse, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Voilà ce qu'entraîne une vision trop idéologique - voire punitive - de l'impôt : une perte sèche d'emplois pour notre pays. Expliquez-moi ce qu'il y a de réjouissant dans cette situation !

Nos propositions sont très équilibrées...

M. André Gerin - Elles sont surtout très libérales !

M. le Secrétaire d'Etat - Ce sont autant de contributions à la croissance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Augustin Bonrepaux - La belle affaire ! Ces contribuables migrent donc vers le Royaume-Uni où les trains déraillent, ou aux USA où l'éducation des enfants coûte 10 000 dollars par semestre alors qu'elle est gratuite en France ! Vos arguments ne sont pas sérieux et vos indicateurs pas davantage ! Ne portent-ils pas sur la période 1997-2000, durant laquelle la France a fait reculer le nombre de chômeurs de plus d'un million ? Il ne faut pas raconter n'importe quoi à la représentation nationale ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Michel Fourgous - Et s'approprier la croissance, ce n'est pas raconter n'importe quoi ?

M. Augustin Bonrepaux - Le conseil d'analyse économique - dont vous ne contesterez pas l'objectivité - dresse un état des lieux bien différent. Il estime ainsi que l'imposition des hauts revenus n'est pas plus élevée en France qu'ailleurs. Quant aux investissements, ils se sont maintenus à un niveau élevé en 2001 et 2002. La vérité, c'est que vous n'hésitez pas à raconter n'importe quoi pour tenter de justifier vos cadeaux fiscaux aux plus favorisés (Protestations sur les bancs du groupe UMP). M. Carrez s'abrite derrière les mesures d'allégement des droits de succession proposées par M. Migaud. C'est un peu gros ! Rien ne justifie aujourd'hui d'alléger encore la fiscalité du capital, surtout si cela se fait au détriment du pays !

Si le déficit est aussi élevé aujourd'hui, vous y êtes bien pour quelque chose !

M. Eric Raoult - Merci Jospin !

M. Augustin Bonrepaux - Il suffit de lire le rapport de la Cour des comptes pour savoir que le déficit s'est aggravé parce que vous avez réduit les recettes.

Plusieurs députés UMP - Et les 35 heures ?

M. Augustin Bonrepaux - Et en même temps, vous augmentez les dépenses militaires ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Le rapporteur général estime le coût de votre mesure à 100 millions, mais où a-t-il trouvé ce chiffre ? Nous vérifierons en faisant les comptes, en 2004, et nous nous rendrons compte que l'ISF aura été complètement vidé de sa substance. Pourquoi n'avouez-vous donc pas que vous voulez le supprimer, tout comme les 35 heures ? Vous menez une politique libérale, assumez-la ! Mais ce sont les plus défavorisés qui en paieront les conséquences, car ne nous faites pas croire que cette politique là va créer des emplois !

M. Jean-Michel Fourgous - Parce que le capital, dans les PME, ça ne crée pas d'emplois ? C'est nouveau !

M. Daniel Paul - Vous avez estimé vous-même, Monsieur le ministre, les sommes parties à Jersey ou ailleurs à 7 ou 8 milliards, pour une centaine de contribuables. Il suffit de faire la moyenne pour voir qu'on est bien loin des toutes petites entreprises !

Un de nos collègues, en première lecture, tard le soir, a eu un accès de sincérité. Il a clairement dit qu'étant donné la situation, autant supprimer complètement l'ISF. C'est votre objectif, mais vous avez reculé car le moment est mal choisi. Même avant le dossier des retraites, on connaissait d'autres problèmes, comme Metaleurop par exemple...

M. Jean-Paul Garraud - On dirait que ça vous fait plaisir !

M. Daniel Paul - J'habite dans une zone franche où 43 % de la population en âge de travailler est en difficulté et a besoin d'entreprises d'insertion. Or votre Gouvernement, tout en allégeant l'ISF d'une centaine de millions - je ne discute même pas vos chiffres - réduit de 75 millions les crédits qu'il devait à ces entreprises pour payer les opérations engagées en 2002 ! Cet argent leur était dû, car c'est l'Etat qui avait commandé les programmes qu'elles ont menés. C'est la parole de l'Etat qui est en jeu ! Et les directeurs départementaux du travail ont reçu l'instruction de payer ces sommes sur les crédits normaux du département...

M. Jean-Michel Fourgous - Cela ne vous rappelle pas les 35 heures ?

M. Daniel Paul - Les cadeaux que vous faites à des personnages sur lesquels je ne veux pas porter de jugement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) mettent en péril un millier d'entreprises d'insertion et 30 000 emplois, selon vos propres services ! Vous allez bel et bien supprimer l'ISF par petites touches, en utilisant toutes les possibilités d'amendements et de cavaliers que vous trouverez. Comptez sur nous pour les dénoncer à chaque fois !

M. Nicolas Forissier - Je voudrais rappeler quelques vérités. Je ne suis pas persuadé que la suppression de l'ISF soit économiquement justifiée, car il permet de régénérer le capital. Ce n'est donc pas forcément un mauvais impôt, sous réserve qu'il soit adapté à notre économie. Le rapporteur et le ministre ont fait _uvre de pédagogie. Ils ont montré combien cette mesure était pragmatique et combien faire croire qu'il s'agissait de supprimer l'ISF était de la désinformation. Ils ont su donner des exemples probants. Vous en connaissez certainement, Monsieur Bonrepaux...

M. Augustin Bonrepaux - Bizarrement, je n'en ai jamais rencontré ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Forissier - M. Bonrepaux a évoqué un rapport de la présidente de l'Agence française pour les investissements internationaux, Clara Gaymard, mais en n'y prenant que ce qui lui convenait. Une célèbre étude publiée aux Etats-Unis faisait état de nos taux marginaux d'imposition, les plus élevés du monde en effet, pour nous présenter comme les champions du monde de la « misère fiscale » - c'était le titre du document. Mme Gaymard a souligné à juste titre que cette étude devait être considérée avec la plus grande prudence, et rappelé que notre pays a des atouts dont il peut être fier, mais aussi des défauts qu'il lui faut corriger, notamment en matière fiscale. Dans l'ensemble, les études sur la compétitivité de la France arrivent d'ailleurs à une même conclusion : nous pourrions faire beaucoup mieux. La mesure qui nous est proposée nous y aidera en évitant la délocalisation d'entreprises familiales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gilbert Gantier - Je voudrais faire un rappel au Règlement. J'ai demandé la parole et on ne me la donne pas. J'ai pourtant le droit de répondre à la commission ou au Gouvernement ! Vous avez donné la parole à plusieurs orateurs de l'opposition, mais à un seul de la majorité.

Mme la Présidente - Le Règlement permet l'intervention de trois orateurs pour chaque amendement : un pour répondre à la commission, un au Gouvernement, un contre l'amendement. J'ai donné la parole aux trois orateurs dans l'ordre où ils l'ont demandée, et c'est la seule chose que je puisse faire.

M. Gilbert Gantier - Pardonnez au novice que je suis : je ne suis dans cette maison que depuis trente ans, et c'est la première fois que je vois appliquer le Règlement avec une telle étroitesse !

Mme la Présidente - Il y aura d'autres amendements sur le même thème, et vous pourrez prendre la parole à cette occasion.

M. Augustin Bonrepaux - Je voudrais moi aussi faire un rappel au Règlement, pour faire remarquer que nous avons eu la parole pour défendre notre amendement et pour répondre à la commission, et que nous n'en avons pas abusé !

Les amendements 39 et 79, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme la Présidente - Monsieur Bapt, les amendements 80 à 84 pourraient faire l'objet d'une présentation commune.

M. Gérard Bapt - Vous avez choisi d'appliquer strictement le Règlement au lieu d'épuiser la discussion sur les amendements de suppression. Nous prendrons donc la parole sur chacun de ces amendements.

Le rapporteur général a fait lourdement allusion au dispositif de Didier Migaud, mais il s'agissait de la transmission des entreprises familiales. Le problème de la délocalisation est réel, mais la réponse que vous lui donnez par l'article 26 bis est disproportionnée ! S'il s'agissait uniquement de le régler, pourquoi le dispositif n'est-il pas circonscrit aux entreprises familiales ? Or il s'applique à des actionnaires qui n'ont pas de rapports familiaux entre eux, et qui plus est, depuis le passage du texte au Sénat, de façon illimitée dans le temps...

Cet article est inconstitutionnel à double titre. Il donne d'abord un avantage fiscal disproportionné, les différences de traitement qu'il comporte n'étant pas liées à l'objectif général de la protection des entreprises familiales. En outre, il introduit une rupture caractérisée de l'égalité entre les redevables de l'ISF, selon qu'il s'agit d'une société ou d'une entreprise individuelle ; rien ne justifie cette discrimination.

Didier Migaud avait proposé des pistes de réforme de l'ISF, mais à rendement constant. Il cherchait, dans le cadre d'une réforme d'ensemble, à corriger certains effets pervers réels, sans accorder d'avantages disproportionnés, et sans avoir pour but, comme vous, de démanteler à terme cet impôt. Par nos amendements, et en premier lieu par l'amendement 80, nous essaierons de limiter cet avantage disproportionné en réduisant le pourcentage de parts détenues, mais in fine la question sera tranchée par le juge constitutionnel.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné cet amendement ; à titre personnel j'y suis défavorable. Mais je veux rassurer M. Bapt et éclaircir la question. Le Sénat a principalement modifié le pacte sur un point : il a envisagé une série d'événements extérieurs à la volonté de ceux qui se sont engagés dans le pacte, et qui peuvent faire que les conditions de pourcentage minimum du capital ne sont plus remplies : fusion, scission, augmentation du capital ou liquidation. Quant à la possibilité, pour ceux qui ont souscrit un tel engagement, de se céder des parts entre eux, elle n'est pas nouvelle : elle existe déjà dans le dispositif Migaud sur les droits de succession.

M. Gérard Bapt - Mais dans ce cas, il y a des liens familiaux.

M. le Rapporteur - En revanche, le Sénat n'a pas voulu permettre à quelqu'un qui n'était pas dans le pacte d'y entrer avant l'expiration des six ans.

Nous avons une seule divergence avec le Sénat, et je vous proposerai par l'amendement 30, qu'a adopté la commission, de revenir à notre ancienne rédaction. Si pour une raison qui, cette fois, dépend de la volonté d'un partenaire du pacte, ce dernier est rompu, ou si les conditions de pourcentage cessent d'être remplies, l'ensemble des membres du pacte doit selon nous faire l'objet d'une reprise d'impôt, et ce de façon rétroactive. Mais si c'est pour une cause extérieure à la volonté des membres du pacte, ils ne doivent évidemment pas être pénalisés.

Ce système est parfaitement logique, et fondé sur la confiance. Dès lors que les partenaires s'engagent à conserver une fraction substantielle du capital pour au moins six ans, ils bénéficient d'une exonération de 50 % de l'ISF.

Pour ces raisons j'émets un avis défavorable aux amendements ultérieurs de l'opposition, qui tendent à réduire le seuil.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements. J'ai presque envie de vous proposer, Monsieur Bapt, de venir avec moi rencontrer les entreprises d'un secteur de l'innovation, par exemple le génopole d'Evry. Vous y verriez des entreprises de petite taille, où des équipes de chercheurs cherchent parfois pendant des années sans trouver, et vivent uniquement sur le capital de l'entreprise, sans aucun revenu... Ces entreprises ont besoin de capital, et nous avons besoin de ce type d'entreprises. Or, parmi elles, une sur dix parvient à une valorisation financière importante. Dans les neuf autres, les investisseurs perdent leur argent... Ces entreprises sont l'avenir de notre économie, si nous voulons maîtriser les nouvelles molécules et ne pas dépendre de l'industrie pharmaceutique américaine. Pour que ces entreprises existent, il faut des investisseurs qui prennent des risques. Qui peut prendre des risques à un tel niveau ? Qui peut perdre des millions dans une entreprise ? Des gens qui ont de l'argent !

Nous avons donc besoin d'investisseurs, riches et même très riches. Peut-être que cela vous choque-t-il, mais c'est l'intérêt de notre pays d'avoir des entreprises qui consomment du capital avec un risque très élevé. Si vous allez visiter ces entreprises, rencontrer ces chercheurs qui sont l'espoir de notre industrie de pointe, vous comprendrez que derrière eux il faut un système financier et fiscal attractif. Ce qui me navre c'est de voir ces entreprises rachetées par des investisseurs américains qui ont, eux, un système fiscal si attractif qu'ils peuvent prendre des risques sans être pénalisés sur leur patrimoine personnel.

Nos débats gagneraient à prendre en compte de semblables réalités. Même dans des PME d'un type plus courant prévaut la même logique de risque. A vous entendre, il semble que les capitaux viennent philantropiquement s'investir dans les entreprises à risque élevé ! Tel n'est pas le cas, et nous avons donc besoin de confronter notre système fiscal à celui des autres pays. La France est riche en matière grise : il lui faut aussi le capital qui permet de la transformer en richesse et en emplois.

Ce gouvernement, qui a pour objectif le progrès social, sait qu'il n'y en aura pas si nous n'avons pas les ressources économiques pour le financer. Les stratégies que nous suivons peuvent vous choquer, mais elles correspondent à l'intérêt de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gilbert Gantier - Contre cet amendement et les suivants - ainsi que le précédent, si Mme la présidente m'avait donné la parole... Depuis quelques mois, à mon étonnement, on parle de l'ISF comme d'un dogme sur lequel repose la République. Cela est dommageable pour le pays, pour trois raisons. Tout d'abord, chaque fois qu'une entreprise est vendue à des étrangers, il y a évidemment des pertes d'emplois. En second lieu, participant pour l'Assemblée à une mission en Suisse, j'ai constaté que, loin de faire la chasse aux riches, on y faisait tout pour les attirer (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Pourquoi ? Parce qu'ils investissent, et parce qu'ils consomment. En outre ils paient l'impôt. Chaque riche qu'on envoie en Suisse, en Belgique ou en Angleterre paie l'impôt là-bas, et non plus en France.

Il est fâcheux qu'on n'ait pas davantage suivi naguère les propositions de M. Migaud. Quant à M. Charzat, on ne parle plus de son rapport. N'est-ce pas pourtant un collègue socialiste de MM. Bapt et Bonrepaux ?

Dernière remarque : quand, sous le nom d'ISF, on a rétabli l'ancien IGF, j'étais membre de la commission des finances. J'ai appelé l'attention du rapporteur général socialiste d'alors, M. Alain Richard, sur le risque de faire payer par certains contribuables plus d'impôt qu'ils n'avaient de revenu. C'est ainsi - les archives de la commission des finances peuvent en témoigner - qu'a été retenu le principe du plafonnement, que M. Bérégovoy a accepté, mais en le portant à 70 % au lieu des 60 % que M. Richard et moi proposions. Par la suite je n'ai pas voté la suppression de ce plafonnement, la jugeant contre-productive pour l'économie française. Je pense que le Gouvernement ne doit pas se contenter des mesures très limitées qui sont aujourd'hui proposées, mais aller beaucoup plus loin, et reprendre le dispositif socialiste sur le plafonnement, tel que l'avait proposé Alain Richard : ce serait déjà une bonne chose.

M. Augustin Bonrepaux - M. Gantier vient de nous révéler la suite du feuilleton, ce qui viendra après ces premières mesures : peu à peu vous allez vider l'ISF de sa substance (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Ce que je vous reproche et de ne pas avoir le courage de le dire.

Ne nous faites pas la leçon, Monsieur le ministre ! Vous rencontrez des entrepreneurs ? Nous aussi ! La seule différence entre nous, c'est que je n'en ai pas entendu un seul se plaindre de l'ISF ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Il est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de redevables en Ariège... M. Carrez nous dit : réduisons l'ISF, et ils vont investir. Mais qui ? Et avec quoi ?

N'essayez pas de donner l'impression que nous ne soucions pas des entreprises. Certes, en 1997, trouvant le déficit qu'on sait, le précédent gouvernement a accru les charges des entreprises, mais elles n'en sont pas mortes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Et immédiatement après, nous avons réduit l'impôt sur les sociétés et même la surtaxe Juppé, créée en 1995.

Il n'est pas étonnant que le Conseil d'analyse économique vous recommande aujourd'hui de ramener le taux de l'impôt sur les sociétés au niveau de la moyenne européenne, comme nous le préconisions.

M. Jean-Michel Fourgous - Que ne l'avez-vous fait alors !

M. Augustin Bonrepaux - Mais à votre arrivée au pouvoir, votre première préoccupation n'était pas le sort des entreprises. C'était de diminuer l'impôt sur le revenu pour les plus riches. Vous ne vous intéressez aux entreprises que maintenant que vous pouvez en tirer prétexte pour abaisser l'ISF.

On nous dit que Mme Gaymard défend la France. Mais qui a porté préjudice à la France, si ce n'est vous ? (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - C'est vous !

M. Augustin Bonrepaux - Vous avez si bien monté en épingle des rapports qui apportaient prétendument la preuve du déclin de la France que Mme Gaymard est obligée aujourd'hui de monter au créneau pour expliquer que toutes ces affirmations n'étaient pas fondées et que la France demeure très attractive.

Ce n'est pas pour servir l'emploi que vous diminuez l'ISF mais bien, fidèles à votre ligne, pour diminuer l'impôt payé par les plus riches. Malheureusement, ce sont encore une fois les plus modestes qui en feront les frais (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 80, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gérard Bapt - Un mot tout d'abord à M. le ministre. Nous sommes tout à fait prêts à participer aux groupes de parlementaires qu'il invite à visiter des PME innovantes mais nous ne l'avons pas attendu pour, dans nos circonscriptions, rencontrer des chefs de telles petites entreprises. Dans ma propre commune, trois PME viennent d'intégrer des groupes étrangers, tout en continuant d'ailleurs de se développer sur place, ce dont nous nous réjouissons.

Ce qui manque aujourd'hui au développement des entreprises innovantes, ce ne sont pas les capitaux, mais bien les projets - nous en avons récemment encore fait l'amer constat en Midi-Pyrénées. Les crédits des fonds territorialisés mis à disposition à cet effet par les régions ne sont même pas tous consommés, faute précisément de projets. Le développement de l'innovation tient au moins autant à l'environnement des entreprises, par exemple grâce aux pépinières d'entreprises ou aux passerelles entre recherche fondamentale et recherche appliquée, que Claude Allègre s'était employé à instaurer, qu'à la présence de personnes physiques assez riches pour prendre des risques dans ces secteurs.

Cent cinquante heureux contribuables, dirais-je, puisque assez fortunés pour être assujettis à l'ISF, quitteraient chaque année notre pays. Sans doute certains, bons citoyens, partent-ils en effet pour échapper à l'ISF mais d'autres vraisemblablement pour des raisons personnelles, familiales, que sais-je encore.

M. Nicolas Forissier - Zidane par exemple ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gérard Bapt - Les sportifs de haut niveau, formés et préparés avec l'argent du contribuable français et qui quittent notre pays une fois qu'ils ont réussi pour, paraît-il, payer moins d'impôts ailleurs, ne sont pas un bon exemple à donner à notre jeunesse !

J'en reviens à mon propos. N'oublions pas que des investisseurs et des propriétaires étrangers choisissent aussi de s'installer en France, ils sont par exemple nombreux dans le Sud-Ouest à s'y acquitter de l'ISF. La France se classe au deuxième rang mondial pour les investissements étrangers. Ce ne serait pas le cas si le capital y était aussi maltraité que vous le prétendez.

Mme la Présidente - Vous avez épuisé votre temps de parole.

M. Gérard Bapt - Si nous sommes prêts à étudier le moyen de régler certains problèmes bien spécifiques au regard de l'ISF, comme l'avait excellemment proposé notre collègue Migaud, nous ne saurions suivre votre logique.

Vous l'aurez compris, j'ai défendu notre amendement 81 de repli.

L'amendement 81, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Je considère que les amendements 82, 83 et 84, également de repli, ont été défendus.

Les amendements 82, 83 et 84, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Michel Fourgous - Que nos collègues socialistes nous fassent confiance pour faire savoir à la presse et à l'opinion qu'ils empêchent le renforcement des capitaux propres de nos petites entreprises en difficulté ! Car le projet du Gouvernement vise simplement à permettre que de l'argent qui dort soit mis à disposition des entreprises pour créer de l'emploi et des richesses.

Savez-vous que le vilain chef d'entreprise, le buveur de sang des ouvriers, comme vous dites (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), ne reçoit pour lui-même que quelque 5 % du chiffre d'affaires, le reste passant en taxes, charges, salaires et factures des fournisseurs ? Ni les socialistes allemands ni les socialistes anglais n'osent plus tenir un discours archaïque comme le vôtre ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Vous feriez mieux de vous taire, après le nombre record de dépôts de bilan de PME enregistrés en 2002, et que celles-ci vous doivent, notamment à cause des 35 heures (Mêmes mouvements).

J'en viens à l'amendement 104. Celui-ci prévoit que seules les participations faisant l'objet du pacte d'actionnaires sont contraintes de demeurer inchangées pendant six ans.

M. le Rapporteur - La commission ne l'a pas examiné. A titre personnel, j'y suis défavorable. Le Sénat ayant introduit un niveau d'intermédiation supplémentaire, il convient que les pourcentages de détention ne varient pas selon les niveaux. L'amendement irait à l'encontre de ce principe, qui vise à la stabilité de l'actionnariat.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, qui risquerait en outre d'être inconstitutionnel. Le Conseil constitutionnel veille en effet à ce que les différents aménagements fiscaux soient proportionnés les uns aux autres.

L'amendement 104, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Nicolas Forissier - Je souhaite rappeler, afin de dépassionner le débat, que nous ne traitons ici de l'ISF que de façon partielle et indirecte à travers les pactes d'actionnaires, lesquels ont pour objet de permettre le renforcement et la stabilité des capitaux propres des entreprises. C'est très important pour les PME à un moment où quelque 500 000 départs à la retraite de dirigeants sont prévus dans les années à venir.

Notre amendement 103 donne plus de souplesse au dispositif. Le texte dispose que la présence d'un dirigeant est impérative dans le pacte pour bénéficier de l'exonération. Au cas où celui viendrait à cesser ses fonctions, qu'il démissionne, qu'il soit révoqué ou qu'il décède, il faut prévoir un délai pour que cette condition puisse être à nouveau remplie sans que soit remise en question l'exonération.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas non plus examiné cet amendement auquel je suis, à titre personnel, défavorable. Les pactes ne peuvent être à géométrie variable. Ce serait contraire à l'objectif même de stabilité de l'actionnariat. Le problème que vous soulevez ne se pose pas en cas de décès du dirigeant, puisqu'il suffit de signer simultanément un pacte pour l'ISF et un pour la succession. En cas de révocation ou de démission, il n'y a pas non plus de problème : il suffit de désigner un autre dirigeant parmi les associés - dirigeant dont il n'est nulle part écrit qu'il doive s'agir du PDG.

M. le Secrétaire d'Etat - Avis défavorable. Le Conseil constitutionnel a lui-même jugé, en 1996, que la présence permanente d'un dirigeant était nécessaire. En créant un mécanisme à géométrie variable, nous en affaiblirions la solidité juridique.

M. Gérard Bapt - Les amendements de M. Fourgous sont vraiment la cerise sur le gâteau ! Cela étant, les propos de M. le rapporteur et de M. le ministre sur leur caractère disproportionné vaudraient aussi pour l'ensemble du dispositif.

M. Jean-Michel Fourgous - Ces propos en disent long sur votre compréhension du monde économique ! Si le dirigeant démissionne ou décède, comment obliger les six contractants à rester six ans ensemble ? A ce compte-là, pourquoi ne pas interdire aux couples de divorcer avant six ans ? Allons-nous enfin nous décider à faire confiance au monde économique, qui a fait de notre pays la cinquième puissance marchande mondiale ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

L'amendement 103, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gérard Bapt - L'amendement 85 vise à supprimer le e de l'article 26 bis, ajouté par le Sénat, qui sécurise temporairement l'exonération partielle dans le cas où le pacte est rompu, et accentue encore le caractère de véhicule de défiscalisation donné au « pacte d'actionnaire ». Alors que celui-ci était censé viser le cas d'actionnaires proches qu'il faudrait inciter à conserver collectivement un bien professionnel, il a été revu afin de devenir un simple contrat entre possesseurs de parts qui souhaitent échapper à l'impôt.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, mais je m'en expliquerai en présentant l'amendement suivant.

L'amendement 85, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 30 reprend la rédaction du Sénat, qui fait vivre le pacte pendant six ans, et prévoit le cas des événements extérieurs à la volonté des partenaires du pacte, tels que fusion, scission, augmentation de capital, ou liquidation judiciaire.

Mais les sénateurs sont allés jusqu'à proposer qu'au cas où l'un des associés romprait volontairement le pacte, perdant ainsi le bénéfice de l'exonération de moitié de l'ISF, les autres conserveraient, pour les années passées, le bénéfice de cette exonération. En première lecture, l'Assemblée avait décidé, quant à elle, que la contrepartie de l'exonération de moitié de l'ISF était l'engagement de stabilité dans la durée ; aussi la commission a-t-elle adopté l'amendement 30, qui revient à ce principe et devrait répondre aux préoccupations de M. Bapt.

M. Jean-Michel Fourgous - Cet amendement pénalise l'ensemble des actionnaires au cas où l'un d'entre eux rompt le pacte ou cesse de respecter le seuil minimum. Aussi mon sous-amendement 102 tend-il à laisser à l'actionnaire un délai d'un an pour reconstituer le pacte, avant de perdre le bénéfice de l'exonération.

Alors que le Gouvernement fait généralement confiance aux Français, ainsi que nombre de dispositions de simplification en témoignent, les entrepreneurs seraient-ils considérés comme des citoyens au rabais ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) J'ajoute qu'il y a un risque de voir les actionnaires céder leurs actions pour faire face à la requête d'impôt.

M. le Rapporteur - Cet amendement n'a pas été examiné en commission, mais j'y suis défavorable. Je comprends votre raisonnement, mais l'introduction d'un nouvel entrant ne correspond pas à l'esprit de l'engagement.

M. le Secrétaire d'Etat - Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée sur l'amendement et suis défavorable au sous-amendement, le système actuel étant suffisamment souple. Je souhaite donc que M. Fourgous le retire.

M. Jean-Michel Fourgous - Appartenant à la majorité UMP, je vais le retirer, tout en déplorant qu'il n'y ait pas davantage de compréhension des risques et des besoins du monde économique. On a mieux à faire que de perdre du temps dans de telles discussions ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Le sous-amendement 102 est retiré.

L'amendement 30, mis aux voix, est adopté.

L'article 26 bis ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 26 TER

M. Gérard Bapt - Cet article, qui concerne l'exonération d'ISF pour les capitaux investis dans les PME, a une longue histoire, à telle enseigne qu'il est devenu, au fil de ses modifications successives, totalement disproportionné par rapport à un objectif qu'il ne saurait par ailleurs atteindre.

Il s'agit d'exonérer l'investissement dans des PME, sous la seule condition de localisation de celle-ci dans l'Union européenne. Loin de décourager les délocalisations, cette disposition les favorisera, du fait des disparités fiscales qui existent entre les différents Etats membres. En outre, elle autorise le cumul d'exonérations d'ISF et de réductions d'impôts sur le revenu !

Voici un exemple supplémentaire d'une logique reposant sur la seule baisse de la fiscalité ! Or, le récent rapport du Conseil d'analyse économique - rattaché à Matignon - établit que la compétitivité ne peut se réduire à des considérations de fiscalité et de charges sociales, mais est aussi fonction de l'environnement offert aux entreprises - qualité des services publics, infrastructures, qualité de vie, climat... Elle est liée, de plus, à l'innovation, laquelle dépend de la recherche - dont vous avez drastiquement réduit les crédits !

Mme la Présidente - Je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur les amendements 40 et 86.

M. Daniel Paul - La situation économique est particulièrement dégradée. Le chômage ne cesse de croître, et l'on a aujourd'hui de bonnes raisons de craindre une déflation. Parallèlement, les inégalités sociales, et d'abord les inégalités de revenus, ne cessent de se développer.

Les dispositions fiscales que vous prenez risquent d'aggraver les inégalités patrimoniales. Vous nous expliquez qu'elles visent à orienter l'épargne vers les entreprises, mais jusqu'à présent les cadeaux fiscaux n'ont guère stimulé l'investissement productif... Depuis des années, la recherche de la rentabilité immédiate prime l'élaboration de plans de développement de nos entreprises, la tyrannie des marchés financiers étouffe l'esprit d'entrepreneur.

La reprise économique passe par une répartition plus égalitaire des revenus, propre à relancer la consommation. Vos exonérations fiscales ayant l'effet inverse, nous proposons par notre amendement 40 de supprimer cet article.

M. Augustin Bonrepaux - Notre amendement 86 a le même objet. On nous explique, pour justifier les exonérations d'ISF, que la France n'est pas attractive, alors que, selon le Conseil d'analyse économique, notre pays est au deuxième rang mondial en matière d'investissements étrangers... Notre problème essentiel est l'insuffisance de notre recherche ; or en réduisant la fiscalité, vous réduisez aussi les moyens de la recherche !

Chaque année, dites-vous, trois cents redevables de l'ISF se délocalisent. Soit, mais il n'y a pas d'accélération du phénomène, qui ne touche que 0,1 % des assujettis et ne représente qu'une perte de 0,6 % du produit de cet impôt... D'ailleurs, le nombre des assujettis à l'ISF a progressé de 150 % depuis 1997.

Vous prétendez, par vos exonérations, encourager l'investissement dans les PME. mais à cet article, il est question d'investissement dans un pays de l'Union européenne ; autrement dit, nous allons ce soir réduire l'ISF pour que les entreprises aillent investir au Royaume-Uni - ou bientôt en Pologne ! C'est bien la preuve que votre but n'est pas de soutenir l'emploi en France, mais de faire des cadeaux aux privilégiés...

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces amendements car elle juge cet article excellent. Celui-ci a pour but d'accroître les fonds propres de nos PME qui, comme de nombreux rapports l'ont souligné, en manquent cruellement. En incitant les épargnants à investir en numéraire dans nos PME, nous soutiendrons l'emploi et l'innovation.

M. le Secrétaire d'Etat - Avis défavorable.

M. Gérard Bapt - Certes nos PME manquent de fonds propres, mais une fois de plus votre dispositif n'est pas proportionné à son objectif : là où une exonération partielle d'ISF eût été suffisante, vous accordez une exonération totale.

En outre, pourquoi limiter le dispositif aux seules sociétés ? Vous oubliez les PME constituées sous la forme d'entreprise individuelle, qui ont tout autant besoin d'un apport de capitaux ; c'est une rupture du principe d'égalité.

Enfin, le Sénat a étendu le dispositif aux PME exerçant une activité bancaire ou financière, à l'exclusion des sociétés ayant une activité de gestion, pour leur propre compte, de patrimoine mobilier ou immobilier. Mais comment distinguera-t-on ces deux catégories ?

A la majorité de 45 voix contre 14 sur 59 votants et 59 suffrages exprimés, les amendements 40 et 86 ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 31 de la commission tend à revenir à la rédaction adoptée par l'Assemblée en première lecture.

M. Augustin Bonrepaux - Notre amendement 87 est identique à celui de la commission spéciale. Pour insatisfaisant qu'il soit à nos yeux, il est préférable d'en revenir au texte adopté en première lecture et de ne pas élargir le dispositif d'exonération de l'ISF pour les apports en nature au capital d'une PME. L'exonération ne peut s'appliquer qu'aux apports en numéraire.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

Les amendements 31 et 87, mis aux voix, sont adoptés.

M. Augustin Bonrepaux - L'amendement 98 exclut du champ de l'exonération les souscriptions au capital des sociétés bancaires, financières et d'assurance. Il tend à éviter le contournement du dispositif à des fins d'optimisation fiscale.

M. le Rapporteur - Défavorable. Les PME dont on cherche par le présent dispositif à développer les fonds propres interviennent dans tous les secteurs d'activité. Il n'y a pas lieu d'exclure les activités de banque ou d'assurance. Attention aux contresens : ce sont bien des activités commerciales qui sont visées et en aucun cas une activité de gestion de son propre patrimoine.

M. le Secrétaire d'Etat - Avis défavorable.

M. Gérard Bapt - Je m'étonne de la position du Gouvernement. Dans le texte initial, tel que l'a adopté le conseil des ministres, les activités de banque et d'assurance étaient bien exclues. C'est un amendement de la commission spéciale qui les a réintroduites.

Le Gouvernement peut-il justifier son revirement ?

L'amendement 98, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 26 ter modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 26 QUATER

M. le Rapporteur - L'amendement 93 est de coordination.

L'amendement 93, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 26 quater ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 27 AA

Mme la Rapporteure - Les amendements 113 corrigé et 114 sont rédactionnels.

Les amendements 113 corrigé et 114, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'article 27 AA modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 27 B

M. Marc Le Fur - Les articles 27 B et 27 C instituent un dispositif efficace de lutte contre les crises agricoles. On ne peut rester les bras ballants devant l'effondrement des cours - et, partant, des revenus agricoles - lié à une crise de surproduction. Il faut agir à l'échelon interprofessionnel, de manière rapide et concertée et, le cas échéant, demander à la puissance publique de généraliser le dispositif anti-crise à l'ensemble de la filière touchée. Les dispositions du présent texte étendent donc le dispositif anti-crise du secteur des fruits et légumes à l'ensemble des productions de viande - animaux vivants et carcasses.

A l'instar des possibilités d'extension d'une convention collective en droit social, la nouvelle rédaction de l'article 27 B permet d'étendre le dispositif anti-crise à l'ensemble de la filière. Il s'agit d'une novation extrêmement attendue qui s'inscrit pleinement dans la logique d'initiative économique qui sous-tend l'ensemble du texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'article 27 B, mis aux voix, est adopté.

ART. 27 C

Mme la Rapporteure - L'amendement 32, 2ème rectification, procède à la codification au sein du code rural des dispositions relatives à l'extension des contrats interprofessionnels en cas de crise conjoncturelle. Par rapport au texte adopté par le Sénat, il apporte une modification de fond : le délai accordé au Conseil de la concurrence pour rendre un avis est porté de huit jours francs à huit jours ouvrables.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement est favorable à cet amendement et, je l'indique par avance, défavorable au sous-amendement 117 de M. Le Fur, lequel ramène le délai de consultation du Conseil de la concurrence de huit jours ouvrables à huit jours francs.

M. Marc Le Fur - Tel est en effet le sens de mon sous-amendement. Lorsqu'il s'agit de dénouer une crise qui affecte durement toute une filière, il faut savoir aller vite. D'accord pour donner un délai raisonnable au Conseil mais huit jours ouvrables un mois de mai, cela peut faire deux semaines ! Pendant ce temps, les agriculteurs souffrent !

Mme la Rapporteure - La commission ne s'est pas prononcée sur ce sous-amendement.

M. le Secrétaire d'Etat - Consulté, le Conseil de la concurrence a fait valoir que le délai de huit jours francs lui semblait peu réaliste pour rendre un avis éclairé. Ne fragilisons pas les décisions que nous prenons en fixant des conditions de mise en _uvre irréalistes. Au reste, le délai de réaction est déjà considérablement resserré par rapport à l'existant.

Lors de la crise agricole de novembre dernier, le Gouvernement s'est engagé à proposer un dispositif efficace de lutte contre les accidents conjoncturels. Sur ce sujet comme sur tous les autres, il tient ses engagements.

M. Marc Le Fur - Je maintiens mon sous-amendement. Le Conseil d'Etat est capable de rendre un avis en quarante-huit heures : le Conseil de la concurrence peut lui aussi se mobiliser lorsque l'avenir de toute une filière en dépend !

M. le Secrétaire d'Etat - Le Conseil d'Etat tranche des contentieux sur pièces. L'instruction demandée au Conseil de la concurrence est sensiblement plus délicate puisqu'il s'agit d'apprécier une situation économique, par nature complexe et évolutive. Pour se forger une opinion, le Conseil doit procéder à de multiples auditions et interroger l'ensemble des acteurs de la filière.

Vous souhaitez que le Conseil de la concurrence juge à bon escient : une décision hâtive n'est jamais une bonne décision. Le délai que nous proposons permet de rendre une justice rapide, mais efficace. Toutes les juridictions semblables fonctionnent selon ce principe, et il faut tenir compte des consultations qui sont indispensables dans ces situations de crise.

Le sous-amendement 117, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 32 deuxième rectification, mis aux voix, est adopté.

L'article 27 C est ainsi rédigé.

ART. 27 D

Mme la Rapporteure - Toujours dans le domaine des crises conjoncturelles, la notion de prix abusivement bas nous semble suffisamment précise. L'amendement 33 propose de supprimer « en tenant compte des coûts de production directs » afin d'éviter de mettre en avant plus que de raison la menace d'une sanction pour les acheteurs.

M. le Secrétaire d'Etat - L'objet de l'article 27 D est d'empêcher la pratique abusive de prix bas, qui mettraient en péril les exploitations agricoles en période de crise. Les opérateurs ne doivent pas profiter de la crise pour pratiquer des prix prédateurs qui ne couvrent pas les coûts de production. Le juge devra déterminer si le prix contesté est bas, puis caractériser l'abus. La formule « en tenant compte des coûts de production directs » permet d'éclairer le juge sur les critères à retenir. Par ailleurs, elle écarte la possibilité d'un dévoiement du dispositif par une entreprise peu performante qui se plaindrait d'une concurrente meilleure qu'elle. Mais elle est précédée du terme « notamment ». Le juge n'est donc pas obligé de tenir compte de cette notion. Il peut s'appuyer sur d'autres éléments, comme l'ampleur et la durée de l'opération par exemple. Les représentants des ministres pourront éclairer le juge, pendant l'audience, sur le contexte économique. Enfin, la sanction n'est pas liée à la notion de coûts de production directs, mais au non-respect du dispositif. L'amendement ne changera donc rien à la menace qui pèse sur les opérateurs qui pratiquent des prix abusivement bas. Le Gouvernement considère que le texte issu du Sénat est satisfaisant, mais il s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.

L'amendement 33, mis aux voix, est adopté.

L'article 27 D, modifié, mis aux voix, est adopté.

Les articles 27 E et 27 F, successivement mis aux voix, sont adoptés.

ART. 27 G

Mme la Rapporteure - L'amendement 34 s'attache aux sous-traitants des constructeurs de maisons individuelles. Le texte adopté par le Sénat est intéressant, mais trop large. Nous proposons de limiter l'extension du champ de la sanction pénale à la seule absence, dans le contrat de sous-traitance, de la justification de l'existence des garanties de paiement.

L'amendement 34, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 27 G est ainsi rédigé.

L'article 27, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 27

M. Augustin Bonrepaux - La nouvelle réglementation envisagée en matière de marchés publics inquiète beaucoup les PME. Personne ne sait comment se feront les dévolutions en dessous d'un certain seuil, qui est d'ailleurs passé de 90 000 à 6 millions d'euros ! Il serait contradictoire de vouloir renforcer l'initiative économique et d'exclure de fait les petites entreprises de la commande publique, ou de les rendre dépendantes des grands groupes. Peut-être cet amendement recevra-t-il une réponse : que se passe-t-il pour les marchés inférieurs à 6 millions ? Ils ne doivent pas être exonérés de toute réglementation, et l'association des maires est du même avis. Je ne pense pas que vous vouliez remettre en cause l'intégralité de la loi de 1993 contre la corruption !

L'amendement 99 vise à assurer l'accès des PME à la commande publique, en évitant notamment des clauses de financement, telles que le paiement différé, qui les excluraient de fait. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs indiqué que l'interdiction de telles clauses était d'ordre public. Une instruction du ministre de l'économie du 28 août 2001 souligne que les marchés avec paiement différé présentent de nombreux inconvénients : endettement indirect de la collectivité locale, coût élevé, opacité dans la répartition du marché, frein à l'accès des PME et réduction de la concurrence. J'espère que nous recevrons toutes les explications nécessaires.

Mme la Rapporteure - La commission ne s'est pas prononcée, mais le Sénat a prévu que le Gouvernement remettrait un rapport à ce sujet chaque année au Parlement.

M. le Secrétaire d'Etat - Avis défavorable. Le prochain projet que je vous présenterai, qui porte sur la modernisation des entreprises, traitera de l'accès aux marchés publics. Nous nous inspirerons des mécanismes qui ont été développés avec succès aux Etats-Unis par la small business administration et qui démontrent leur efficacité depuis près de cinquante ans. Nous évoquerons donc ce sujet de façon beaucoup plus large que ne le fait votre amendement, pour pouvoir traiter la question au fond.

M. Augustin Bonrepaux - Vous comprendrez que je ne puisse être satisfait !

Plusieurs députés UMP - Vous ne l'êtes jamais !

M. Augustin Bonrepaux - Le Sénat se contente d'un rapport tous les ans, mais gouverner, c'est prévoir ! Avant de modifier un dispositif, peut-être faudrait-il savoir comment va fonctionner le nouveau, et ne pas attendre un an pour cela ! Et le dispositif américain que vous évoquez marche-t-il mieux que le nôtre ? Je me demande, comme Le Monde hier, si la corruption est de retour !

Mme Marylise Lebranchu - Je suis allée, comme beaucoup d'entre vous, visiter la small business administration, qui est régulièrement montrée en exemple. Elle parvient notamment à garantir l'attribution d'un certain nombre de marchés aux petites entreprises, mais il faut savoir qu'il s'agit là-bas d'entreprises de moins de 500 salariés ! La situation n'est donc en rien comparable à la nôtre et ce modèle territorial ne peut être importé et imposé à nos chefs de petites entreprises.

L'accès aux marchés n'est aujourd'hui pas garanti. Une entreprises du bâtiment de 56 employés va d'ailleurs bientôt rencontrer les parlementaires et leur dire son inquiétude. Elle est déjà souvent appelée en sous-traitance, avec une déclaration obligatoire et des garanties de paiement. Dorénavant, on pourra aller jusqu'à quatre ou cinq niveaux de sous-traitance ! Ce problème dépasse les clivages politiques. Nous ne pouvons pas, par nature, simplement transposer la structure américaine, même s'il faut en examiner les atouts avec attention.

L'amendement 88 est un amendement de prudence. On n'a pas le droit de passer de notre système actuel à un autre, complètement inconnu, sans au moins une période d'observation. Pendant ce délai, notre amendement assurerait des garanties, qui sont d'ailleurs souhaitées par un certain nombre de chefs d'entreprise. Il ne s'opposerait pas au développement des grandes entreprises mais préserverait le tissu économique tel qu'il est, car il se porte bien (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

L'amendement 99, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Augustin Bonrepaux - J'espère au moins obtenir satisfaction sur l'amendement 88, qui n'a rien d'excessif. Il tend à insérer l'alinéa suivant : « Les marchés passés en vertu du code des marchés publics respectent les principes de liberté d'accès aux marchés publics, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. L'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics sont assurées par la définition préalable des besoins, le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence ainsi que par le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse. » Je crois que c'est le moins qu'on puisse demander s'agissant des marchés publics.

Songez qu'en-dessous de 6 millions d'euros il n'y aura plus de règles, et qu'au-dessus elles seront préjudiciables aux PME. En inscrivant dans la loi ces règles, il s'agit pour nous de garantir que les principes fondateurs de la commande publique seront respectés. Ils doivent demeurer déterminants dans la constatation de l'infraction de l'article L. 432-14 du code pénal relatif au délit d'octroi d'avantage injustifié, anciennement délit de favoritisme. S'il n'y a pas de règle au-dessous de 6 millions d'euros, cela veut dire qu'on pourra faire n'importe quoi ; même le préfet ne pourra être saisi et exercer un contrôle. C'est un retour sur la loi anti-corruption. Est-ce ce que vous voulez ?

Mme la Rapporteure - La commission n'a pas examiné cet amendement.

M. le Secrétaire d'Etat - Les principes que vous rappelez sont essentiels et nous y souscrivons tous. Il va de soi qu'ils seront rappelés dans le cadre de la réforme du code des marchés publics qu'a entreprise le Gouvernement. Mais cet amendement n'a pas sa place dans ce texte.

M. Augustin Bonrepaux - Ce que vous venez de dire engage-t-il le Gouvernement ? Pouvez-vous nous garantir que ces principes figureront dans les nouvelles règles des marchés publics ?

M. le Secrétaire d'Etat - De quels principes s'agit-il ? La liberté d'accès aux marchés publics ; l'égalité de traitement des candidats ; la transparence des procédures ; la contribution au développement durable ; la bonne utilisation des deniers publics...

Evidemment ces principes seront respectés, et le Gouvernement y est attaché, comme chacun.

M. Augustin Bonrepaux - Figureront-ils dans le texte ?

M. le Secrétaire d'Etat - Il s'agit là d'un débat qui aura lieu à un autre moment : nous ne sommes pas en train de réformer le code des marchés publics.

L'amendement 88, mis aux voix, n'est pas adopté.

SECONDE DÉLIBÉRATION

Mme la Présidente - En application de l'article 101 du Règlement, le Gouvernement demande une seconde délibération de l'article 13 B du projet de loi. Elle est de droit.

ART. 13 B

M. le Secrétaire d'Etat - L'objet de l'amendement 1 est simplement de lever le gage sur l'article 13 B.

M. le Rapporteur - Nous sommes toujours favorables aux levées de gages... (Sourires)

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

L'article 13 B ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Yannick Favennec - La création d'entreprises en France est au plus bas. Elle a recommencé à décroître après le dégonflement de la bulle internet. Le seuil fatidique des 200 000 créations annuelles n'a pas été atteint. La France, qui voyait naître 204 000 entreprises nouvelles en 1989, n'en a créé que 179 000 en 2002. Le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, a insisté sur la nécessité de maintenir le cap d'un million d'entreprises nouvelles en cinq ans, soit 200 000 par an comme avant les années 1990.

De nombreux freins bureaucratiques, fiscaux et sociaux subsistent. Pourtant, jamais la création d'entreprises n'a été autant plébiscitée : un salarié sur deux s'y déclare disposé. La fièvre entrepreneuriale qui s'est exprimée entre 1999 et 2000 dans les nouvelles technologies a été riche d'enseignements. Ce projet de loi en tire toutes les conséquences, qu'il s'agisse de la domiciliation du siège social dans l'habitation, des couveuses d'entreprises, des formalités de création par internet, etc. Le projet s'inscrit dans le temps entrepreneurial : il ne se focalise plus sur l'acte de création, mais s'intéresse à l'avant et à l'après. Il ne s'intéresse pas au seul entrepreneur, mais à son environnement. Il est complet, et touche aussi bien à la société en formation, à l'entreprise individuelle et aux sociétés commerciales. Il faut souligner l'adéquation des instruments aux problèmes de la jeune entreprise : ainsi le report des cotisations sociales la première année répond aux problèmes de trésorerie qui sont la première source des faillites.

Pour ces raisons, au nom de la France qui crée, de la France qui gagne, le groupe UMP votera ce projet avec enthousiasme et détermination (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Bapt - Au nom, nous aussi, de la France qui gagne... nous voterons bien entendu contre ce projet. La première raison est que ce texte, dédié, à en croire son exposé des motifs, à la création d'entreprise et à la petite entreprise, avec quelques dispositions positives, ignore totalement la très petite entreprise, l'artisanat.

En sont absents tous les éléments concernant l'environnement, la dimension sociale, la formation. En second lieu, dans sa partie fiscale, le texte introduit des éléments que nous croyons inconstitutionnels, par la disproportion entre les avantages consentis et les objectifs poursuivis, ainsi que par de nombreuses ruptures d'égalité devant l'impôt. Enfin, ce texte est choquant sur le plan social. La transformation en avance remboursable de la prime à la création d'entreprise par les allocataires sociaux va dans le même sens que le gel de 70 % des crédits des entreprises d'insertion, qui met en cause la réinsertion sociale de quelque trente mille salariés en difficulté.

Vous négligez la dimension de la cohésion sociale, dans une logique économique qui repose entièrement sur la notion d'attractivité : diminution des charges, des impôts - l'indicateur fiscal est le seul qui vaille à vos yeux. Or, plusieurs rapports récents tordent le cou à cette rengaine, que vous ne cessez de ressasser, sur la perte d'attractivité de la France. Le rapport remis au Premier ministre par le Conseil d'analyse économique réfute l'idée que la gestion socialiste aurait entraîné une perte importante d'attractivité. La France est le deuxième pays au monde pour l'accueil des capitaux étrangers, derrière la Chine certes, mais devant les Etats-Unis ! Parmi les facteurs d'attractivité, les éléments fiscaux ne sont pas les plus importants. C'est ce qu'écrit d'ailleurs dans Le Figaro de l'économie M. Lionel Fontanier, qui n'est pas suspect de partialité. L'innovation, dit-il, est plus importante que la fiscalité.

De même, le rapport du Conseil d'analyse économique estime qu'aujourd'hui les facteurs positifs d'attractivité l'emportent sur les facteurs négatifs. Concernant ces derniers, il suggère de réduire l'IS pour revenir dans la moyenne européenne ; d'instaurer un statut fiscal avantageux pour les impatriés ; d'harmoniser les fiscalités en Europe, notamment sur les stock-options. Surtout, il tord le cou à l'idée que la productivité serait le facteur déterminant. Il préconise la publication annuelle - qui serait bien utile à nos travaux, et à nos concitoyens - d'un tableau de bord de la compétitivité, incluant des indicateurs sur l'éducation, l'innovation, les technologies de l'information et de la communication - afin d'éviter les pièges des indicateurs composites, ou falsifiés. On éviterait ainsi les manipulations politiciennes qui conduisent à des mesures aussi injustes que celles de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles de Courson - Comme je l'ai dit en première lecture, il est si rare d'avoir un ministre aussi ouvert à la discussion et aux amendements - de la majorité, mais aussi de l'opposition - que cela mérite d'être souligné.

M. Migaud a raison sur de nombreux points. Bien sûr, la compétitivité ne se réduit pas à la fiscalité. Elle a des déterminants plus profonds. Mais, Monsieur Bapt, vous ne posez pas la vraie question : sur quels facteurs l'Etat a-t-il une influence ? Il peut agir sur le cadre juridique, sur le cadre fiscal ; il peut encourager l'innovation. Mais au-delà de tout ça, il y a la volonté de créer. On constate qu'elle est inégalement répartie selon les territoires. Il y a des endroits dynamiques et d'autres pas.

M. Gérard Bapt - C'est une appréciation ethnique...

M. Charles de Courson - Non, une appréciation réaliste. Il suffit de regarder la réalité du territoire français, mais aussi bien américain ou allemand : il n'y a aucune homogénéité. Il y a donc d'autres facteurs de la créativité et du dynamisme, des facteurs culturels, religieux - relisez les grands sociologues.

Je souhaiterais maintenant dire à nos collègues socialistes combien leur position sur l'ISF est ringarde. Votre relation à l'argent est perverse (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). Vous pensez encore qu'il faut « tuer les riches » alors que vous devriez vous réjouir que certains entreprennent et réussissent...

Plusieurs députés socialistes - Grotesque !

M. Charles de Courson - Beaucoup de ceux qui créent des entreprises ne sont pas, comme vous le croyez, des riches mais des gens modestes qui commencent par créer de petites structures. La plupart des grands structures dans notre pays sont nées de petites ! D'où vient la richesse ? Vous n'avez jamais su répondre à cette question simple. La richesse naît avant tout d'une capacité d'aller de l'avant et de créer.

Le groupe UDF votera ce texte qui favorisera la création de richesses (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

M. le Secrétaire d'Etat - Je tiens à remercier l'ensemble des députés, de tous les groupes, qui ont participé à ce débat constructif.

La séance, suspendue à minuit, est reprise à 0 heure 10 le jeudi 5 juin.

LUTTE CONTRE LA VIOLENCE ROUTIÈRE (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi renforçant la sécurité routière.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je me félicite avec mon collègue Gilles de Robien, qui ne peut malheureusement participer à nos débats ce soir, de l'état d'avancement du projet de loi relatif à la sécurité routière dont vous voici saisis en deuxième lecture. Moins de six mois après le comité interministériel de la sécurité routière du 18 décembre dernier, il y a tout lieu de penser que ce texte pourra être définitivement adopté avant les grands départs des vacances d'été.

Le travail des deux assemblées est remarquable en tous points. Les améliorations qu'elles ont apportées au texte sont pertinentes, juridiquement opportunes et de nature à en faciliter l'application. Ensuite nos concitoyens ont d'autant mieux compris le message adressé que ce projet a fait l'objet d'un très large consensus au Parlement. Ce message de responsabilité a été entendu, puisque le nombre des tués sur les routes de France a diminué pour le cinquième mois consécutif depuis décembre 2002.

Je remercie tout particulièrement les deux rapporteurs qui ont contribué à améliorer le texte, notamment M. Dell'Agnola. Il fallait une volonté politique forte pour inverser la courbe du nombre des tués sur les routes. Notre objectif à tous est désormais que celui-ci diminue de manière continue.

L'originalité de ce projet de loi réside dans la politique globale de sécurité routière, à la fois éducative et répressive, qu'il met en _uvre.

S'agissant du permis probatoire, nous sommes parvenus à un dispositif équilibré. La réduction du nombre de points affecté au permis de conduire du conducteur novice et l'espoir d'obtenir la totalité de son capital de points au terme de sa période probatoire, inciteront fortement à conduire avec la plus grande prudence. L'obligation de suivi d'un stage de sensibilisation à la sécurité routière à la première infraction entraînant une perte de trois points, contre quatre aujourd'hui, et la possibilité de reconstituer éventuellement grâce à ce stage, la totalité de son capital de points, renforcent le caractère pédagogique du dispositif.

S'agissant du régulateur de vitesse, le Gouvernement partage la volonté du Sénat d'installer sur les véhicules des dispositifs qui responsabilisent le conducteur, notamment en l'aidant à respecter les limitations de vitesse, même s'il souhaite plutôt promouvoir les limiteurs de vitesse, seuls actuellement homologués au niveau européen et qui sont plus sûrs. Le Gouvernement défendra la généralisation de ce type d'équipement sur l'ensemble des véhicules, dans les meilleurs délais. Celle-ci exige cependant au préalable une concertation et une certaine persuasion au niveau européen à laquelle Gilles de Robien s'emploiera dès demain lors du conseil des ministres des transports. Elle exige aussi d'impliquer fortement les constructeurs et les importateurs d'automobiles. Le Gouvernement s'engage à les réunir sur ce sujet.

Concernant l'autre volet du projet, je suis convaincu que le droit pénal et la procédure pénale ont leur place dans le combat contre la violence routière, même s'ils ne sauraient constituer les seules réponses à ce fléau.

Certaines des dispositions pénales de ce projet seront immédiatement applicables. Ainsi, les peines encourues seront significativement aggravées en cas d'accident mortel ou corporel causé par l'imprudence d'un conducteur. Elles le seront notamment lorsque les faits seront commis avec l'une des six circonstances aggravantes retenues.

La suppression de la possibilité, pour les infractions les plus graves, d'aménager la suspension du permis de conduire sera également d'application immédiate. Cette mesure très importante, d'ailleurs votée dans les mêmes termes par les deux assemblées en première lecture, a vocation à susciter un changement radical de comportement des usagers de la route.

Les dispositions renforçant la répression des infractions commises en récidive comme celles créant ou étendant certaines peines complémentaires seront également d'application immédiate.

Dès la publication de la loi, j'adresserai aux procureurs généraux une circulaire d'application pour appeler leur attention sur ces dispositions et leur demanderai de faire preuve de la plus grande fermeté dans leur mise en _uvre.

D'autres dispositions pénales de la loi supposent en revanche la publication de décrets ou d'arrêtés d'application.

Il s'agit principalement de celles visant à renforcer l'efficacité de l'amende forfaitaire, à mettre en place des contrôles automatisés et à organiser la consignation. Il s'agit aussi des peines complémentaires de suivi d'un stage de sensibilisation à la sécurité routière et d'interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur.

Les décrets d'application, sur lesquels mes services travaillent d'ores et déjà, seront publiés aussi rapidement que possible. Ils compléteront celui du 31 mars 2003, qui a anticipé en partie la nouvelle loi en étendant le champ de l'amende forfaitaire, et a constitué le décret d'application de la loi du 3 février 2003 sur l'usage de stupéfiants au volant issue de la proposition de loi de M. Dell'Agnola. La circulaire concernant ces premiers textes doit être adressée aux juridictions dans les prochains jours.

Un groupe de travail interministériel se réunit par ailleurs régulièrement, depuis plusieurs mois, pour régler les différents problèmes liés à l'extension de l'automatisation des contrôles. Il ne devrait y avoir ainsi aucun retard dans l'utilisation des premiers appareils automatiques que le Gouvernement s'est engagé à installer d'ici la fin de cette année.

A peine un an après l'annonce faite par le Président de la République, lors de son allocution du 14 juillet 2002, de faire de la sécurité routière un des trois grands chantiers de son quinquennat, les résultats sont là.

Ce projet de loi répond à une attente forte et légitime des Français, qui ont réalisé l'importance et la gravité de la délinquance routière.

Le Gouvernement est conscient que la lutte contre la violence routière s'inscrira dans le temps et nécessitera, au-delà du vote de cette loi, une mobilisation constante des autorités concernées, et tout spécialement de l'institution judiciaire.

Aussi, le Premier ministre s'est-il engagé à réunir tous les trois mois un comité interministériel de la sécurité routière pour faire le point avec les ministres concernés sur l'état d'avancement des mesures précédemment arrêtées, et fixer de nouveaux objectifs en fonction des résultats obtenus.

Ainsi devrait être prochainement examiné l'état d'avancement du projet d'automatisation du système contrôle sanction.

Ce projet de loi doit maintenant entrer en vigueur, car nous sommes tous d'accord sur la nécessité de conforter les évolutions positives observées ces cinq derniers mois.

C'est pourquoi, je vous demande de l'adopter définitivement, et vous en remercie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Richard Dell'Agnola, rapporteur de la commission des lois - Il y a presque un an, le 14 juillet 2002, le Président de la République plaçait la sécurité routière parmi les trois chantiers prioritaires de son quinquennat. Depuis, le nombre de morts sur les routes n'a cessé de diminuer, 7 250 tués en 2002 contre plus de 8 000 en 2001.

Si les résultats enregistrés depuis cinq mois se confirment, le bilan de l'année 2003 pourrait être de l'ordre de 5 500 morts, soit la plus forte baisse depuis 1975, date des premières mesures prises par le Gouvernement contre la vitesse et l'alcool au volant.

Ces résultats sont le fruit des mesures fortes décidées lors du comité interministériel du 18 décembre 2002, de la publicité qui en a été faite par les médias et des contrôles routiers qui, ont augmenté de 30 % s'agissant de la vitesse et de l'alcool. Toutes les mesures du CISR se retrouvent dans ce projet qui vise à renforcer l'efficacité de la justice pénale dans le traitement du contentieux routier et, à améliorer la prévention des risques d'accident, en responsabilisant davantage les conducteurs novices et les récidivistes.

Lors de la discussion en première lecture le 19 mars dernier, l'Assemblée nationale a approuvé le dispositif proposé par le Garde des Sceaux et le ministre de l'équipement et des transports, en y apportant quelques modifications qui ont enrichi le texte. Par la suite, le Sénat l'a quelque peu amendé, sans remettre en question son architecture globale. Permettez-moi de saluer la qualité des travaux réalisés par la Haute assemblée, et notamment par le rapporteur Lucien Lanier.

Le Sénat a adopté vingt-deux articles sans modification sur les quarante issus du texte voté par l'Assemblée nationale. Ont notamment été adoptées conformes la nouvelle infraction d'homicide involontaire à l'occasion de la conduite d'un véhicule, la suppression de la possibilité, pour certaines infractions, d'aménager la peine de suspension du permis de conduire, l'aggravation des peines pour les délits routiers les plus graves - homicides et blessures involontaires -, le permis probatoire pour les conducteurs novices, la sensibilisation aux notions élémentaires de premiers secours, ou encore l'interdiction des matériels de débridage des cyclomoteurs et des détecteurs de radars.

En revanche, les sénateurs ont apporté quelques modifications sur le fond. J'en citerai trois principales.

Tout d'abord, le Sénat a étendu le principe de la responsabilité pécuniaire du propriétaire du véhicule, prévu à l'article 7 du projet de loi, aux contraventions aux règles d'acquittement des péages, afin de permettre le développement du télépéage et de fluidifier le trafic autoroutier. A cette occasion, le Gouvernement a proposé d'étendre ce principe aux titulaires de cartes grises étrangères.

Ensuite, le Sénat a prévu, le principe d'une compensation financière à l'obligation faite aux collectivités locales d'établir des statistiques relatives au réseau routier dont elles assurent la gestion, disposition qui obéit, au principe constitutionnel de compensation des charges pour tout transfert de compétences.

Enfin, les sénateurs ont fixé un délai de cinq ans pour l'application des dispositions relatives à l'encellulement individuel en maison d'arrêt.

M. René Dosière - Très bien ! Nous l'avions réclamé !

M. le Rapporteur - C'est un compromis acceptable par tous. Si l'encellulement individuel doit rester un objectif à atteindre pour des raisons de dignité humaine, une mise en _uvre immédiate est aujourd'hui difficile. Le plan de construction de prisons présenté par Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers, illustre la détermination du Gouvernement en ce domaine.

Par ailleurs, le Sénat a prévu la possibilité de prononcer une peine de stage de sensibilisation à la sécurité routière en matière contraventionnelle, et plus seulement délictuelle. Il a donné une base légale aux sanctions prononcées à l'encontre des chauffeurs de taxi et des titulaires d'autorisations de stationnement. Il a également aggravé, sur proposition du Gouvernement, les sanctions en cas de stationnement sur les places réservées aux personnes handicapées.

De surcroît, les sénateurs ont permis, dans un article 27 nouveau, le renouvellement des membres du conseil de prévention et de lutte contre le dopage, dont le mandat expire en juin.

Par ailleurs, le Sénat a précisé que le produit des amendes perçues lors des contrôles automatisés servirait à financer les investissements des appareils de contrôle automatique.

Enfin, les sénateurs ont supprimé le délit d'interruption involontaire de grossesse, et imposé l'installation d'un régulateur de vitesse sur les véhicules neufs.

En effet, la Haute Assemblée a considéré que la question du délit d'interruption involontaire de grossesse dépassait le cadre de la sécurité routière et devait faire l'objet d'un examen distinct.

Sur proposition de notre collègue Jean-Paul Garraud, la commission des lois a rétabli cette disposition contre l'avis du rapporteur, car cet amendement comble un vide juridique dénoncé par la Cour de cassation, les professionnels du droit et les parents victimes d'accident, sans ouvrir un débat sur la vie et le statut de l'embryon. Il reste que ce projet de loi devrait être adopté dans les meilleurs délais, aussi un vote conforme sur l'ensemble du texte était souhaitable.

M. René Dosière - Très bien !

M. le Rapporteur - Quant au régulateur de vitesse, trois observations : cette disposition revêt un caractère réglementaire ; le terme de « régulateur » n'a pas été précisé juridiquement ; ce dispositif n'est pas prévu par la réglementation européenne. De surcroît, l'absence de sanctions rend cette obligation théorique. Dans ces conditions, et compte tenu de l'urgence à voter ce texte, la commission des lois n'a pas jugé utile de le supprimer.

Ce projet de loi et un texte équilibré et cohérent. Certaines de ses dispositions ont fait l'objet de débats, qui ont débouché sur des compromis satisfaisants, notamment pour l'encellulement individuel.

A côté de ce volet législatif, le Gouvernement a pris des mesures réglementaires. Le décret du 29 mars 2003 sanctionne ainsi l'absence de casque ou de ceinture de sécurité, et l'usage du téléphone mobile au volant, et les cyclomoteurs devront être immatriculés à partir du 1er janvier 2004.

Les premiers résultats de cette politique sont encourageants, et il faut poursuivre l'effort engagé en consolidant les moyens consacrés à la lutte contre la violence routière dans le projet de loi de finances pour 2004.

Le regard de notre société sur la violence routière change, les mentalités évoluent et avec elles notre vocabulaire quotidien : « fatalité », « hasard » fait place à « responsabilité », et « faute ». Pour la première fois, les victimes de la route sont placées au c_ur du dispositif. Il nous appartient d'accompagner ce changement engagé par les associations qui _uvrent depuis longtemps dans ce domaine et auxquelles je rends hommage.

Avec ce texte, nous donnons au Gouvernement les moyens de concrétiser les mesures annoncées pour faire reculer durablement la violence routière. Je vous invite, au nom de la commission des lois, à adopter ce projet en termes conformes et à permettre ainsi une application rapide de ses dispositions.

M. Hervé Mariton - C'est une même conviction qui nous anime et nous rassemble ce soir, sur tous les bancs de l'Assemblée. Espérons que les divergences partisanes, absentes lors des débats de fond, mais malheureusement réapparues finalement, n'empêcheront pas un vote favorable de l'ensemble des groupes.

Conviction partagée sur le fond, car chacun comprend que l'action pour la sécurité routière suppose des initiatives nouvelles en direction des conducteurs, mais aussi en matière de véhicules et d'infrastructures. Si le texte concerne surtout les conducteurs, beaucoup reste à faire quant aux véhicules et aux infrastructures. Les constructeurs automobiles sont encore trop absents du débat d'ensemble, de même que les collectivités publiques. Il y aura bientôt un an que ce débat a pris en France une réelle intensité, et vient le moment où l'évaluation est difficile, car une bonne partie du chemin a déjà été accomplie. Il faut alors s'assurer du réel effort accompli par les pouvoirs publics. Personne ne sous-estime la difficulté des procédures que vous mettez en place, mais elles ne sauraient buter sur des obstacles matériels comme l'accès aux fichiers ou la connaissance précise des points.

Comme le rapporteur l'a indiqué, le Gouvernement a témoigné de la réalité de sa politique en prenant récemment diverses dispositions réglementaires, concernant tant la répression de l'usage du téléphone au volant que l'immatriculation des cyclomoteurs. Au bout d'un an, il conviendra de s'assurer de la cohérence de cette politique car il reste du chemin à parcourir - notamment pour que tous les véhicules soient également concernés ; à cet égard, il est heureux que le Gouvernement ait pris des dispositions réglementaires imposant le port de la ceinture de sécurité dans les poids lourds. Il faudra aussi s'assurer que le dispositif de sanction s'applique, que le conducteur soit français ou étranger.

La logique de répression, normale à ce stade, se double d'une logique de responsabilité qui devra de plus en plus s'imposer.

En première lecture, j'avais soulevé le problème de l'affectation du produit des amendes. Le Sénat a précisé que par dérogation aux dispositions du code général des collectivités territoriales, le produit des amendes perçues par la voie de systèmes automatiques de contrôle sanction serait versé à l'Etat. Il confirme donc implicitement que le principe général est l'affectation aux collectivités territoriales ; or depuis vingt ans, ce principe n'est pas appliqué, ce qui a privé les collectivités territoriales de 10 milliards d'euros. Il faudra mettre fin à cette situation.

Le projet qui nous est présenté est équilibré. Une observation de procédure cependant. Nous avons bien compris que le Gouvernement souhaite un vote conforme de l'Assemblée, afin que ce texte puisse être mis en application rapidement. Néanmoins, cela veut dire - et je pense en particulier à l'amendement de notre collègue Garraud - qu'on donne le dernier mot au Sénat. Sur le plan institutionnel, ce n'est pas idéal... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. René Dosière - Je ne saurais commencer sans souligner le changement de comportement des conducteurs, qui se traduit par une véritable rupture dans les chiffres des tués et des accidentés. La « peur du gendarme » en est sans doute l'une des explications, mais on constate aussi une évolution des mentalités, qui s'est manifestée pendant la campagne électorale par la grande réserve des Français au sujet de l'amnistie, et qui a été accentuée par le fait que le Président de la République et le Gouvernement ont mis la sécurité routière au premier rang de leurs préoccupations. Ce changement est un hommage rendu au travail accompli par les associations qui luttent contre l'insécurité routière. Nous devons faire en sorte qu'il soit durable ; pour cela, il convient tout d'abord que nous adoptions ce texte maintenant, l'été étant toujours particulièrement meurtrier.

L'orateur précédent a regretté qu'en première lecture, le groupe socialiste ait voté contre. S'il s'était agi seulement de lutte contre l'insécurité routière, nous aurions voté pour, mais nous nous sommes opposés à deux dispositions qui constituaient de véritables cavaliers. Sur l'une, qui concernait l'encellulement individuel et qui avait fait l'objet d'une motion d'irrecevabilité défendue par notre collègue Floch, le Sénat a adopté une position de sagesse. S'agissant de l'amendement de M. Garraud, que la commission a malencontreusement adopté à nouveau, j'espère que l'Assemblée suivra le Sénat. Pour le reste, nous étions favorables à ce projet, même si nous aurions préféré que les dispositions répressives fussent équilibrées par davantage de dispositions préventives.

Je regrette que rien ne soit fait pour la normalisation des infrastructures routières. Faut-il voir dans le rejet de l'amendement que j'avais déposé à ce sujet une conséquence du cumul des mandats, les parlementaires qui sont aussi présidents de conseil général répugnant à s'imposer de nouvelles charges ?

S'agissant des amendes, je ne peux que soutenir le point de vue exprimé par l'orateur précédent. Je souligne que le produit des amendes est réparti au prorata du nombre de contraventions ; il ne faudrait pas que les contrôles automatiques perturbent indirectement cette répartition : les nouvelles amendes devront être isolées des autres.

Pour l'avenir, j'émettrai trois souhaits.

Tout d'abord, que la loi soit appliquée rapidement, en particulier en ce qui concerne les contrôles automatiques.

Ensuite, que des campagnes de communication, même si elles sont coûteuses, prennent le relais de la communication « gratuite » qui a eu lieu ces derniers mois par voie de déclarations ministérielles et de presse. Actuellement, la France dépense en ce domaine 20 centimes par conducteur, alors que l'Espagne a dépensé 1 euro par conducteur, avec les résultats très positifs que l'on sait.

Enfin, que l'on réfléchisse à un partage des compétences entre l'Etat et les conseils généraux en matière de sécurité routière. En effet 75 % des accidents de la route se produisent dans le département d'immatriculation, et les conseils généraux sont ou vont être responsables de la quasi-totalité du réseau. Il serait bon qu'ils puissent encadrer les initiatives qui sont prises au niveau local, organisent sur la sécurité routière un débat annuel, qui serait relayé par la presse régionale, et développent l'information et la prévention.

La lutte contre l'insécurité routière exige un changement profond des mentalités. Dans cette lutte, nous serons à vos côtés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilbert Gantier - Sans verser dans un triomphalisme excessif, il nous faut saluer les premiers résultats de la lutte contre la violence routière. Il y aura toujours trop de morts sur la route, mais nous sommes passés de chiffres inacceptables à des chiffres encourageants.

En dépit des améliorations techniques considérables apportées aux véhicules et aux infrastructures, ces chiffres scandaleux faisaient de la France l'un des plus mauvais élèves de l'Europe. Mais lorsque l'on se donne les moyens de s'attaquer à un problème, les résultats ne se font pas attendre. Quelles sont les raisons d'une telle « réussite » - même si ce mot me gêne un peu dans la mesure où nous arrivons à une situation tout juste acceptable ? D'abord, il ne faut pas négliger l'attitude plus responsable de nos concitoyens, lesquels ont pris conscience, notamment grâce aux médias, de la gravité de la situation. Les chiffres répétés inlassablement, les campagnes de publicité fondées sur des images chocs : tout ceci a marqué les esprits. Ensuite, il faut féliciter notre ministre de l'équipement et des transports qui a su prendre des mesures radicales contre le fléau de la mortalité routière. Les efforts engagés ont déjà porté des fruits, et continueront de le faire si nous restons vigilants. Ne nous arrêtons pas en si bon chemin.

Les mesures préconisées par le comité interministériel sur la sécurité routière et la campagne d'images chocs ont eu un effet immédiat. En effet, ces actions n'ont été engagées qu'à la fin de l'année 2002 et les premiers chiffres encourageants nous sont parvenus dès le mois de février.

Par ailleurs, la « peur du gendarme » a joué. Manifestement, les moyens mis en _uvre sur le terrain ont eu sur les chauffards un effet fortement dissuasif. Dans cette optique, vous avez soumis à la représentation nationale un texte visant à renforcer la sécurité routière en adaptant notre législation dans les domaines de la prévention, de la formation et de la répression.

A ce stade, permettez-moi d'exprimer mon inquiétude quant à la surenchère pénale que votre texte propose. Même si, selon l'adage, « la dissuasion passe par la répression », il ne nous semble pas de bonne méthode d'apporter une réponse pénale systématique à tous les maux qui frappent nos sociétés. L'inflation législative en matière pénale doit être contenue. A chaque problème ne correspond pas nécessairement un nouveau délit. Toute actualisation des textes existants ne doit pas se traduire par une augmentation des peines encourues. Ne succombons pas à la tentation de croire que l'on résoudra tous les problèmes en durcissant les sanctions encourues. La surenchère pénale doit cesser. Il faut envisager les problèmes de manière plus globale. Il y va de la cohérence de notre droit et de la crédibilité de notre système.

La légendaire « peur du gendarme » et les prises de conscience individuelle et collective liées aux campagnes de communication ont de bien meilleurs effets que la seule répression. C'est pourquoi le groupe UDF préconise un renforcement très significatif de l'éducation routière. Il faut réformer sans plus attendre l'apprentissage de la conduite. Il n'est que temps de tester à grande échelle les nouvelles méthodes d'apprentissage de la conduite, incluant des séances de conduite sur circuit et des stages obligatoires de maîtrise du véhicule en situation d'urgence. Parallèlement, la formation des moniteurs d'auto-écoles doit être revue. De même, nous sommes bien entendu favorables au développement de l'éducation routière dès l'école primaire et à l'augmentation considérable du nombre d'heures d'enseignement dispensées dans le cadre scolaire.

Si l'on veut promouvoir une véritable citoyenneté de la route, il faut prendre les choses en main dès le jeune âge. Nos voisins européens l'appliquent avec succès, notamment outre-Rhin. L'instauration du brevet de sécurité routière constitue une étape significative dans ce processus, mais il faut aussi proposer de nouvelles mesures tendant à faire de l'éducation routière le pendant de l'éducation civique. Il convient en effet de développer chez les jeunes Français - catégorie la plus touchée par la mortalité routière - un véritable civisme de la route. L'éducation nationale ne peut porter à elle seule toute la responsabilité de la prévention routière. Il est tout aussi nécessaire de sécuriser nos routes et leurs abords. Compte tenu du manque de respect de certains automobilistes envers les piétons, marcher dans la rue devient parfois plus dangereux que de rouler en automobile ! On ne compte plus les accidents où piétons et cyclistes sont victimes de chauffards ayant confondu les couloirs de bus avec des circuits de vitesse ! Un véritable combat entre l'homme et la machine s'est engagé. En attendant que les mentalités évoluent, il serait bon de développer les infrastructures tendant à protéger les piétons. Bien entendu, le groupe UDF votera ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. André Gerin - Qui ne souhaite l'adoption d'une politique efficace en matière de sécurité routière ? Qui ne souhaite voir diminuer les chiffres des blessés et des tués sur les routes de France ? Cependant, le consensus qui peut se dégager sur l'objectif n'implique pas une adhésion sans condition aux méthodes mises en _uvre pour l'atteindre. Ainsi, la discussion de ce texte a pris un tour radicalement opposé à notre propre conception de la sécurité routière. L'usage du terme de « violence routière » est du reste révélateur de l'orientation privilégiée par le Gouvernement. Il suggère en effet que les conducteurs d'automobiles sont par essence violents et nous avons souvent entendu au cours de ces débats l'expression « assassins de la route ». Bien que la jurisprudence ait estimé que la voiture peut être considérée comme une arme, être un assassin suppose une part de préméditation ou d'intention criminelle, absente, en règle générale, en matière d'accidents de la route.

Bien entendu, nous ne cherchons pas à exonérer de leurs responsabilités les conducteurs qui prennent le volant en état d'ivresse, mais, à nos yeux, « chauffard » et « assassin » ne sont pas synonymes.

La notion de violence routière est elle-même sujette à caution puisque, nous le savons tous, l'écrasante majorité des conducteurs ne s'estiment pas violents. C'est donc sur un autre terrain que celui de l'aggravation de la sanction qu'il faut agir. Si cet intitulé du texte est maintenu, il est fort possible que certains automobilistes ne se sentent pas concernés dans la mesure où il ne leur vient pas à l'idée de se considérer comme violents au volant ! Voilà pourquoi nous préférons mettre l'accent sur la sécurité et sur la prévention. Mieux vaut agir avant et éviter les accidents, qu'après, en sanctionnant les responsables.

Le groupe communiste et républicain ne peut que regretter la vision réductrice de la prévention que défend le Gouvernement à travers ce texte. De même, nous regrettons que la création d'un permis probatoire stigmatise les jeunes conducteurs. Nous déplorons que la démarche de responsabilisation des conducteurs ne s'étende pas tout au long de la vie. Nous aurions souhaité une véritable entreprise de formation et de sensibilisation de tous les conducteurs.

Pourquoi ne pas prévoir une formation routière dès l'école primaire et la poursuivre jusqu'au passage du permis de conduire ? Il faut aussi développer la formation continue à la sécurité routière au sein de l'entreprise, en particulier pour les personnes dont la profession impose l'usage régulier d'un véhicule automobile.

L'idée de faire participer les entreprises à la formation des conducteurs et de les impliquer dans la prévention des accidents de la route est d'autant plus justifiée que la très grande majorité des accidents de la route se produisent à l'occasion des trajets domicile-travail. Il est essentiel de prendre en compte l'état physique des conducteurs en instituant une obligation de contrôle médical tous les dix ans, conditionnant l'octroi puis le maintien du permis de conduire.

L'image de l'automobile véhiculée par les publicitaires reste des plus préoccupantes. Il est temps de rompre avec la vision de la voiture comme vecteur de vitesse, de puissance et d'impunité. A cette fin, nous sommes favorables au bridage des moteurs tel que l'instaure le présent texte. Las, le nouvel article 12 AA, qui dispose que « les engins terrestres à moteur vendus neufs sur le territoire français devront être munis d'un régulateur de vitesse », est inapplicable. Moins parce que ce type de décision doit se prendre au niveau européen - est-il obligatoire d'attendre des décisions européennes lorsqu'il s'agit de sauver des vies ? - mais parce que la majorité n'a pas mené la logique jusqu'à son terme en fixant une date limite d'entrée en vigueur de cette disposition.

Votre frilosité en matière de prévention fait place à de l'audace lorsqu'il s'agit de renforcer les sanctions pénales et même à de la témérité puisque vous entendez créer le nouveau délit d'interruption involontaire de grossesse. Nous regrettons que ce délit ait été créé par amendement en première lecture. Le Sénat avait eu la sagesse de le supprimer, mais vous récidivez par le biais d'un amendement de M. Garraud. Le plus choquant, c'est l'instrumentalisation de cette disposition. En effet, vous justifiez son introduction dans notre droit par le fait qu'elle permettrait enfin de prendre en compte la souffrance des parents victimes d'un tel drame. Cependant, la définition de cette infraction pose de nombreux problèmes juridiques. En l'état, vous faites en effet l'impasse sur la nécessité d'un élément intentionnel pour caractériser l'infraction, l'état de grossesse n'étant pas connu. Par conséquent, la sagesse voudrait que cet amendement soit retiré.

Autre point noir de ce texte, vous remettez en cause dans un article cavalier le principe de l'encellulement individuel en maison d'arrêt, que la loi présomption d'innocence du 15 juin 2000 prévoyait de rendre effectif à compter du 15 juin prochain. En multipliant les possibilités d'y déroger, vous tendez à la suppression pure et simple de cet acquis essentiel. Toutefois, pour paraître ne pas y renoncer définitivement, le Sénat a proposé un report à cinq ans de l'encellulement individuel, tout en acceptant les nouveaux critères extensifs adoptés par notre Assemblée en première lecture. Ces dispositions ne sont pas acceptables. Pour remédier à l'impossibilité de mettre en application immédiatement l'encellulement individuel, le Garde des Sceaux répond qu'une forte augmentation du nombre de places de prison est d'ores et déjà programmée. Malheureusement, ce projet de loi démontre que l'emprisonnement, pour des périodes toujours plus longues, est au c_ur de la politique de sécurité du Gouvernement. A cet égard, le dispositif de sécurité routière n'est pas différent des autres volets de votre action répressive.

Vous vous dites préoccupé par le nombre de personnes incarcérées, mais vous ne proposez comme sanction que des peines de prison très lourdes. Les peines alternatives sont inexistantes, alors qu'elles seraient bien plus efficaces en matière de sécurité routière.

Nous ne voulons pas nous opposer à ce texte. Notre vote sera déterminé par le sort réservé aux principaux amendements que j'ai évoqués. Ce texte est très important car il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la sécurité routière et le comportement des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Robert Lecou - Chacun admet, au nom des victimes de la route, que le fléau des accidents doit être combattu. Des moyens existent. Comment oublier l'image des habitants de Mazamet, qui s'étaient allongés dans les rues dans les années 1970 pour symboliser les 16 445 morts sur les routes de l'année 1970 ? Depuis, le nombre des victimes a été divisé par deux ; la ceinture de sécurité, les limitations de vitesse, les contrôles d'alcoolémie et les progrès des véhicules et des infrastructures y ont contribué. Mais ce résultat n'est toujours pas satisfaisant.

Le Gouvernement a donc eu raison de prendre à bras le corps ce problème, dont le Président de la République a fait une de ses priorités. L'expression d'une volonté politique claire a d'ailleurs donné des résultats immédiats : on a compté 7 242 tués en 2002, contre 8 160 l'année précédente, et 2003 connaîtra, si les résultats des premiers mois se confirment, la plus forte diminution depuis 1975.

Je voudrais exprimer ma satisfaction d'avoir eu l'occasion de légiférer. Nous allons passer de la sécurité passive à la sécurité active en systématisant les contrôles, en rendant les sanctions automatiques et en les alourdissant parfois et en encadrant mieux les conducteurs vulnérables. Ce texte représente donc une avancée utile. Mais il sera complété par des actions dépendant d'une volonté politique. Dans ce cadre, je voudrais énoncer quelques pistes.

La prévention routière passe par l'éducation. Tous les acteurs de la prévention doivent y collaborer. La présence des policiers et des gendarmes dans les écoles mériterait ainsi d'être systématisée. Outre l'apprentissage des règles de sécurité, elle permettrait de mieux faire connaître l'action préventive des forces de l'ordre et d'encourager la connaissance et le respect de chacun. En ce qui concerne la formation, il faudra encourager l'apprentissage de la « conduite juste ». N'oublions pas que rester maître de son véhicule, c'est être capable de s'arrêter dans l'espace libre et visible dont on dispose. Voilà qui mériterait d'être répété, et qui doit être enseigné dans des centres disposant des moyens adéquats. Il est également souhaitable d'encourager les entreprises qui ont intégré ce sujet dans leurs plans de formation.

La prévention routière passe également par la communication. Les campagnes doivent promouvoir une culture de la responsabilisation. C'est le comportement de l'automobiliste qui doit changer. Il me paraît par exemple plus judicieux, pour lutter contre l'alcool au volant, de privilégier la notion de conducteur désigné plutôt que de stigmatiser les alcools. La filière vinicole a mal vécu la dernière campagne où la bouteille de vin semblait la seule responsable de l'alcoolémie meurtrière. Associer cette filière à la prévention est parfaitement réalisable. Enfin, il ne faudra pas éluder l'amélioration des infrastructures. Les transports en communs doivent être de qualité, sûrs et enfin réguliers, et les dramatiques « points noirs » doivent disparaître des infrastructures routières.

Il est donc parfaitement justifié de légiférer aujourd'hui, mais cela ne suffit pas : la responsabilisation des individus doit être primordiale. L'évolution du nombre des accidents depuis juillet montre qu'une prise de conscience s'est opérée. L'absence de ceinture, la vitesse et l'alcool sont désormais perçus comme des comportements irresponsables. Votre loi doit aider les infrastructures et les mentalités à continuer cette évolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je profite de la solennité de la discussion générale pour revenir sur l'article 2 bis nouveau. Cet article crée un délit d'interruption involontaire de grossesse dans le cadre de la circulation routière, mais il commence, et personne ne l'a relevé, en définissant cette infraction de façon générale. L'interruption involontaire de grossesse peut ainsi concerner toutes les situations quotidiennes. On a introduit dans une loi sur la sécurité routière un dispositif qui engage, par exemple, la responsabilité de l'ensemble des professions médicales ! C'est un cavalier qui a des conséquences énormes sur le droit commun.

En second lieu, les fondements juridiques de ce délit sont très aléatoires. Les délits non intentionnels sont des instruments exceptionnels du dispositif pénal dont vous êtes le garant, Monsieur le Garde des Sceaux. L'intention est un élément constitutif de l'infraction. L'article 2 bis porte atteinte à ce principe de façon intolérable. Le code de la route prévoit la responsabilité de quelqu'un qui se trouvait dans l'ignorance de l'état de la femme enceinte, qui pourtant fonde l'infraction. Cela serait inacceptable même dans le cadre d'un délit intentionnel ! Par ailleurs, les tribunaux ont toujours pris en compte les situations d'espèce pour déterminer le préjudice moral et la réparation civile.

Enfin, introduire cet article conduira à considérer qu'on entame le dispositif de l'IVG ! Vous ne serez pas épargnés par cette critique, même si vos intentions étaient fort différentes. Lucien Lanier, rapporteur au Sénat, s'est interrogé sur le fait que le statut même du f_tus était remis en cause par un simple projet de loi sur la sécurité routière. Monsieur le Garde des Sceaux, il vous appartient maintenant de supprimer cet article. Si vous ne le faisiez pas, nous serions dans l'incroyable situation d'avoir appuyé et participé à l'élaboration d'un texte et de ne pas pouvoir l'approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Un député UMP - Chantage !

La discussion générale est close.

Mme la Présidente - J'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées n'ont pu parvenir à un texte identique.

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

ART. 2 BIS

M. Jean-Paul Garraud - Je vous propose un amendement 4 dont je voudrais d'abord vous rappeler le cheminement. Il a tout d'abord été adopté, en première lecture, par la commission puis par l'Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement, avant d'être supprimé par le Sénat. En deuxième lecture, il a été à nouveau adopté par notre commission des lois. Mais il est curieux de constater que les mêmes sénateurs qui l'avaient rejeté ont déposé une proposition de loi qui reprend son texte in extenso !

J'ai vécu, en tant que magistrat, des cas particulièrement douloureux de vide juridique. Les femmes enceintes qui perdent leur enfant dans un accident de la circulation ne sont pas rares. Un collectif existe même, qui a pris contact avec moi après que j'ai déposé cet amendement. Or le drame que vivent ces parents n'est pas pris en considération. Que les blessures provoquent la perte de l'enfant ou pas ne fait absolument aucune différence. Nous sommes en face d'un délit non intentionnel. Quand on percute une voiture, on ne sait pas qui est dedans, et on n'a pas l'intention d'infliger des blessures. On n'en a pas moins percuté la voiture, et la peine encourue est fonction du résultat, de la gravité des blessures ; elle est plus grave encore si l'on commet un homicide volontaire. Ici, il s'agit de femmes enceintes qui perdent l'enfant qu'elles voulaient garder, et ce n'est pas pris en compte ! Il est bien difficile dès lors, pour une famille frappée par un tel drame, de faire le travail de deuil.

Je vais peut-être surprendre l'opposition, mais le premier à avoir inscrit dans la loi l'interruption de grossesse non souhaitée est Robert Badinter. En 1992, il a introduit dans le nouveau code pénal l'article 223-10 qui permit l'interruption de grossesse sans le consentement de l'intéressée. Ma logique est la même, à ceci près que lui visait un acte volontaire et moi un acte involontaire. Le cas le plus fréquent est celui de l'accident de la route, mais ce n'est pas le seul. On peut envisager qu'une femme enceinte perde son enfant pour avoir manipulé des produits toxiques, parce qu'une entreprise n'aurait pas appliqué les règlements de sécurité. Il faut être cohérent : on ne peut pas incriminé la perte de l'enfant à naître dans un cas et non dans un autre. Dans tous les cas, elle résulte de la faute d'un tiers, qu'il faut réprimer.

Ceci n'a du reste rien à voir avec l'IVG, malgré le lapsus de M. Gerin qui a parlé d'IVG là où il faudrait dire « IIG », interruption involontaire... Dans l'IVG, une femme décide, dans le cadre légal, de mettre fin à sa grossesse. Ici la fin de la grossesse n'est aucunement voulue : cela n'a rien à voir ! En fait, derrière vos faux prétextes, il y a une position idéologique.

Ce qui vous fait peur, c'est la question du statut de l'embryon. Mais ou vous êtes mal informés, ou vous ne voulez pas comprendre. Ce statut, il n'est pas question d'y toucher. C'est une question qui se posera dans le cadre des lois bioéthiques. Ce que je défends, c'est la liberté de la femme de mener à terme sa grossesse. L'atteinte qui lui est portée doit être sanctionnée. Il faut bien sûr un lien de causalité certain entre la faute, l'accident et le résultat : il n'est pas question de mettre en cause à tout bout de champ la responsabilité. L'article 121-3 du code pénal limite d'ailleurs cette mise en cause. Enfin, si l'enfant naît handicapé à la suite d'un accident de la circulation, on pourra se retourner contre les auteurs, mais s'il est tué dans le ventre de sa mère, il ne se passe rien : c'est un paradoxe insupportable.

Je suis conscient de l'importance de ce texte sur la sécurité routière, et je sais que le Président de la République et le Gouvernement, comme nous tous, souhaitent qu'il soit appliqué au plus tôt. D'un autre côté, il y a là un vrai problème pour beaucoup de nos concitoyens. Je souhaite donc connaître le sentiment du Garde des Sceaux sur ce sujet (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - Il va de soi que le Gouvernement s'exprime sur l'amendement.

M. le Garde des Sceaux - La chronologie des événements est bien celle qu'a rappelée M. Garraud. L'amendement étant déposé, j'ai émis un avis favorable : il y a là en effet un vrai problème juridique, et je ne voyais pas d'inconvénient à le régler à l'occasion de ce texte. Le Sénat en a ensuite débattu, et sa position me semble devoir être prise en compte. Il n'a pas jugé que la proposition de M. Garraud n'était pas bonne : il a estimé qu'elle concernait - comme M. Garraud lui-même vient de nous le dire - un problème plus large que celui de la circulation routière, et qu'il n'était pas utile de l'inscrire dans ce texte.

Le Sénat a donc, d'une part, fait disparaître du texte cet amendement, et d'autre part, quelques jours plus tard, déposé une proposition de loi qui reprend cette disposition. Je crois que la démarche du Sénat est bonne, et le Gouvernement serait heureux que l'Assemblée adopte une attitude semblable. Je souhaite donc que cet amendement soit retiré, après quoi M. Garraud, et d'autres députés, pourraient déposer une proposition traitant le sujet dans sa globalité.

Mme Catherine Génisson - M. Garraud évoque le drame de ces femmes qui perdent leur enfant à naître. Il invoque son expérience professionnelle : la mienne m'a aussi conduite à accompagner dans leur détresse ces futures mères, et ces futurs pères. Pour autant, avant de définir une récrimination spécifique, vous êtes obligé d'en définir une plus générale ; et dès lors, quoi qu'on fasse, il faut se poser la question du statut du f_tus ou de l'embryon. Or le législateur, y compris lors de la première lecture des lois bioéthiques, n'a pas voulu définir le statut de l'embryon.

M. Jean-Paul Garraud - Ce n'est pas le sujet !

Mme Catherine Génisson - Je ne dis pas que nous n'aurons pas ce débat, mais ce sera à propos des lois bioéthiques. Cette problématique est incongrue dans un texte sur la sécurité routière ; aussi le groupe socialiste est-il opposé à cet amendement.

M. Hervé Mariton - Le groupe UMP prend acte de ce qu'a dit le ministre, et souhaite que puisse aboutir une proposition de loi de même esprit que l'amendement.

M. René Dosière - M. Garraud en a déposé une.

Mme Muguette Jacquaint - Je souhaite à mon tour que cet amendent soit retiré, faute de quoi nous nous y opposerions pour plusieurs raisons. L'une d'elles a été formulée par Mme Génisson : qu'on le veuille ou non, la question du statut juridique de l'embryon est en jeu. Mais ce sera l'objet de notre débat bioéthique. J'ai rencontré cet après-midi des associations de femmes avec Jacqueline Fraysse : cet amendement les inquiète, car elles redoutent une mise en cause sous-jacente de l'IVG.

M. Hervé Mariton - Cela n'a rien à voir !

Mme Muguette Jacquaint - C'est vous qui le dites ! Je préfère, pour ma part, que nous ayons une discussion plus large sur le sujet lors de la révision des lois de bioéthique. Nous ne pouvons pas accepter une disposition aussi porteuse de dangers, au détour d'un texte relatif à la sécurité routière.

M. Noël Mamère - Je soutiens les arguments développés par mes collègues de gauche et demande à la majorité de soutenir la position du Garde des sceaux qui, dans sa grande sagesse, a invité M. Garraud à retirer son amendement.

Sur le plan juridique, il est étonnant que M. Garraud, ancien magistrat, formule une telle proposition, contraire aux principes généraux mêmes du droit, notamment en matière de délit intentionnel. Les dispositions introduites par M. Badinter en 1992, que vous avez invoquées tout à l'heure, ressortissaient du droit commun. Cela n'a rien à voir avec votre cavalier.

Sur le plan de l'éthique, en dépit de vos dénégations et de celles de vos amis, il est évident que cet amendement traduit votre conception idéologique du statut de l'embryon (MM. Garraud et Mariton s'exclament). C'est lors de la révision des lois de bioéthique, que nous attendons avec impatience, que nous pourrons aborder cette question, parmi d'autres, comme celles du sort des embryons surnuméraires ou des manipulations embryonnaires. Le présent texte, qui traite de la violence routière, forme de délinquance aujourd'hui sous-pénalisée, n'est pas le lieu où discuter de cet amendement qui inquiète à juste titre les femmes... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Je rappelle que c'est une femme issue de vos rangs, Mme Veil, qui a fait voter ici la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, après un combat très long des femmes pour pouvoir disposer librement de leur corps.

M. Hervé Mariton - Quel est le rapport ?

M. Noël Mamère - Vous ne pouvez pas au détour de cet amendement remettre en question la loi de 1975.

Monsieur Garraud, ne prenez pas les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Votre amendement idéologique pourrait ouvrir la voie à une régression pour les femmes.

M. Jean-Paul Garraud - Je m'aperçois, sans m'en étonner, que mes collègues de l'opposition se refusent à comprendre ce que je dis. Ce sont eux qui ont une position idéologique.

Quand M. Badinter, alors Garde des sceaux, a fait adopter l'article 223-10 du code pénal qui réprime toute personne ayant intentionnellement causé la perte de son f_tus pour une femme, a-t-il ou non remis en question le statut de l'embryon ? Bien évidemment, non (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Or, que l'acte soit intentionnel ou non, le résultat est le même : la mort du f_tus.

De plus, le fait de causer, fût-ce involontairement, la mort d'un animal domestique fait l'objet d'une contravention de troisième classe dans notre droit pénal. Est-il normal que le fait d'avoir causé la mort d'un caniche dans la voiture que vous percutez soit réprimé, mais non celle de l'enfant à naître de la conductrice ?

Monsieur le Garde des sceaux, je comprends la nécessité qu'il y a de faire appliquer rapidement ce texte relatif à la sécurité routière. Mais je souhaiterais savoir si vous soutiendrez la proposition de loi que je déposerai sur le sujet.

M. le Garde des Sceaux - Je regrette la tournure prise par ce débat. Les propos de M. Mamère ont été excessifs. Quant à vous, Monsieur Garraud, je vous ai clairement répondu oui tout à l'heure.

M. Hervé Mariton - Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 1 h 40, est reprise à 1 h 45.

M. Hervé Mariton - Je laisse à M. Garraud le soin d'annoncer ce qu'il va faire. Pour ma part, je tiens à réaffirmer le soutien du groupe UMP à la proposition qu'il a formulée ce soir, laquelle vise seulement à réparer le préjudice que représente la mort d'un f_tus. Il y a une lacune dans le droit qui devra être comblée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Paul Garraud - Compte tenu du soutien du Garde des Sceaux, et du porte-parole de l'UMP, et assuré de la mise en place d'une niche parlementaire, je retire l'amendement 4.

M. le Rapporteur - J'accepte le retrait.

L'amendement 4 est retiré.

Mme la Présidente - L'article 2 bis demeure donc supprimé.

Les articles 3, 4 et 6, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'article 6 bis est adopté.

Les articles 6 ter, 7, 7 bis A et 8, successivement mis aux voix, sont adoptés.

APRÈS L'ART. 8

M. Hervé Mariton - L'amendement 8 tend à responsabiliser les conducteurs, en leur permettant de bénéficier d'un avantage financier dans le calcul de leurs primes d'assurance automobile, en fonction de la qualité de leur conduite. La prise en compte par l'assureur des infractions devra se faire en toute transparence dans le cadre d'un engagement contractuel entre l'assuré et l'assureur, sur la base des informations communiquées sur l'honneur par le conducteur. Il serait d'ailleurs possible d'envisager des dispositions plus contraignantes, comme il en existe au Canada.

M. le Rapporteur - Nous avons déjà débattu de cette question en première lecture, et M. Mariton avait d'ailleurs retiré son amendement. A nouveau, avis défavorable, car, même si la démarche est intéressante, la détention par des compagnies d'assurance de données personnelles, surtout en matière pénale, est une menace pour les libertés individuelles. De surcroît se pose le problème du droit d'accès et de contestation des personnes concernées. Il faudrait prévoir la consultation de la CNIL.

M. le Garde des Sceaux - Cet amendement soulève deux problèmes. Tout d'abord, il n'est pas envisageable d'ouvrir à des entreprises privées des fichiers à caractère pénal, ce que M. Mariton aura du reste compris puisque son dispositif repose sur le consentement des assurés.

Cependant, de quels moyens de contrôle disposeront les assurances ? Si l'idée est bonne et pédagogique, elle n'est guère praticable. Mieux vaut chercher des solutions en partenariat avec les compagnies d'assurance, indépendamment du système des bonus-malus, qui pose d'ailleurs problème au niveau européen. Je suis donc défavorable à cet amendement que M. Mariton acceptera peut-être de retirer.

M. Hervé Mariton - S'il est vrai que ce type de dispositif doit respecter les libertés publiques, est-il pour autant nécessaire de saisir la CNIL, qui n'est pas une autorité supralégislative ! Pour ce qui est de l'accès aux fichiers, il me semble que, pour rendre opératoire le système de contrôle-sanction automatique, l'Etat peut, en cas de doute sur la qualité de ses fichiers, recourir à ceux des compagnies d'assurance, ce qui montre que la question de la circulation des fichiers des compagnies d'assurance et de ceux de l'administration sur la conduite automobile se pose !

Quant aux moyens de contrôle, la bonne foi du déclarant peut être contrôlée au moment d'un accident, et, le cas échéant, sanctionnée.

Cela étant, je suis prêt à reporter cette discussion, et à retirer mon amendement.

L'amendement 8 est retiré.

L'article 9 bis, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 12 AA.

L'article 14, mis aux voix, est adopté.

L'article 16, mis aux voix, est adopté.

L'article 18, mis aux voix, est adopté, de même que les articles 19 bis, 20 A, 20, 20 bis, 21 quinquies, 21 sexies, 22 bis, 23, 24, 25, 25 bis A et 27.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. René Dosière - Compte tenu de l'attitude du Gouvernement qui a obtenu le retrait de l'amendement de M. Garraud, le groupe socialiste votera pour.

M. Hervé Mariton - Le groupe UMP votera pour ce texte, en rappelant son souci d'équilibre, de répression et de pédagogie, ainsi que du souhait de voir l'amendement de M. Garraud repris à une prochaine occasion.

M. André Gerin - Les députés communistes et républicains s'abstiendront.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance, ce matin, à 10 heures.

La séance est levée à 2 heures.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 5 JUIN 2003

A DIX HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion du projet de loi (n° 810) modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

M. Jean LEONETTI, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

(Rapport n° 883)

M. Eric RAOULT, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères.

(Avis n° 872).

2. Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n° 881), de programme pour l'outre-mer.

M. Philippe AUBERGER, rapporteur au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

(Rapport n° 891)

M. Joël BEAUGENDRE, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

(Avis n° 887)

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance


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