Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2002-2003)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 98ème jour de séance, 237ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 11 JUIN 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      RÉFORME DES RETRAITES (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE (suite) 2

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 12 JUIN 2003 33

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

RÉFORME DES RETRAITES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant réforme des retraites.

QUESTION PRÉALABLE (suite)

M. le Président - Cet après-midi, le vote sur la question préalable a été reporté en application de l'article 61-3 du Règlement. Sur ce vote, je suis saisi par le groupe communiste et républicain d'une demande de scrutin public.

A la majorité de 278 voix contre 115 sur 394 votants et 393 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée.

M. Maxime Gremetz - Enfin, une réforme des retraites ! (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Ne vous réjouissez pas trop vite : si nous souhaitons une réforme, en aucun cas nous n'approuvons la vôtre !

Personne ne conteste la nécessité de relever le défi démographique qui aura un impact sur notre système de retraites par répartition : d'ici 2040, le nombre des retraités aura doublé. Les travaux du conseil d'orientation des retraites montrent que le besoin de financement des retraites passera de 12 à 16 %, voire 18 % du PIB. Mais cela ne semble pas insurmontable. En effet, de 1959 à 1990, la part des prestations vieillesse dans le PIB est déjà passée de 5,9 à 12,6 %, sans que cela conduise à remettre en cause la retraite par répartition.

Selon le COR et le rapport Charpin, en 2040 le PIB aura été multiplié par deux pour atteindre 3 000 milliards. La part à consacrer aux retraites sera de 540 milliards, ce qui laissera donc 82 % des ressources pour les actifs et les investissements. Cela permet d'envisager d'autant plus sereinement l'avenir que la charge des départs en retraite s'étale sur 40 ans.

Surtout, le problème de la retraite par répartition n'est pas dans l'augmentation du nombre de retraités, mais dans la faculté des actifs à contribuer au financement des pensions, laquelle dépend du niveau et de la qualité des emplois, ainsi que du niveau des rémunérations soumises à cotisations sociales. Et c'est bien là que la situation est préoccupante en raison de la politique de précarisation de l'emploi menée par le Gouvernement. C'est pourquoi, vous en conviendrez, les propositions des parlementaires communistes sont marquées par la cohérence.

Dès 1993, nous avons bataillé jour et nuit contre les mesures Balladur qui furent à l'origine de cette inégalité entre public et privé que vous mettez aujourd'hui en exergue. Dès 1997, nous avons exigé en vain que ces dispositions soient remises en cause. Nous avons aussi, sans relâche proposé une réforme et un nouveau financement de la protection sociale.

C'est au nom de ce que vous qualifiez d'insupportable inégalité, que vous voulez rogner les droits des différents régimes, niant ainsi leurs origines et leurs spécificités. Il ne vous restera plus ensuite qu'à « croquer » les régimes spéciaux. Mais l'égalité ne signifie ni régression sociale, ni recul de civilisation.

Et l'exemple de nos voisins qui ont déjà fait ces choix douloureux ne mène pas bien loin. Voyez ce qui se passe en Autriche, en Italie, en Allemagne, où l'introduction de fonds de pensions et l'allongement de la durée de cotisation ont considérablement paupérisé les retraités. Monsieur le ministre, le « copier-coller » n'est pas une politique !

Votre projet de loi tourne le dos au progrès de civilisation, au choix de société qu'il convient de faire. Regardez dans la rue : les actifs, tous secteurs confondus, n'en veulent pas ! Ils appellent à l'ouverture de véritables négociations et demandent une autre réforme, dont le contenu novateur répondrait aux aspirations de notre peuple, de notre société. Votre pilonnage médiatique n'y change rien : 66 % des Français soutenaient la journée d'action de mardi dernier.

Personne ne veut de votre réforme qui vise à allonger la durée de cotisation jusqu'à 42 ans alors que les jeunes peinent à trouver un emploi, que la liste noire des licenciements s'allonge tous les jours, que les plus de 50 ans en sont les cibles privilégiées. Personne ne veut de votre réforme qui rogne le niveau des pensions, instaure des décotes et exige toujours plus de sacrifices de la part des actifs et des retraités. Personne ne veut de votre réforme qui ne prend pas en compte la pénibilité du travail, qui rend illusoire le droit à la retraite à 60 ans à taux plein, qui répond épargne retraite individuelle à ceux qui sont attachés à la répartition. Personne ne veut de votre réforme qui fait supporter 91 % du financement aux salariés. Où est l'effort partagé ? Sûrement pas dans les 16,6 milliards d'exonérations de cotisations patronales que vous accordez aux entreprises sans contrepartie véritable en termes d'emploi. Sûrement pas non plus dans vos allégements de l'ISF alors que les 39 plus gros patrons ont une rémunération cumulée de 7,4 millions soit 554 fois le SMIC... Sûrement pas, enfin, dans le passage, ces dernières années de 30 à 40 % de la part des revenus du capital dans la valeur ajoutée.

Vous avez fait le mauvais choix, celui de remodeler en profondeur et durablement les structures de notre société pour mieux l'adapter aux exigences d'une construction européenne inféodée aux règles du capitalisme mondialisé. Seuls les intérêts du Medef sont saufs avec cette réforme. Mais n'est-ce pas là pour vous l'essentiel ?

D'autres solutions existent, auxquelles souscrivent des millions de Français. Ces propositions que nous portons visent à garantir ce qui fonde notre système par répartition mais aussi à assurer un haut niveau de pension, en affirmant le droit à la retraite à taux plein à 60 ans, afin de permettre à chaque retraité de vivre dans la dignité la troisième partie de son existence par l'obtention de pensions au moins à 100 % et non à 85 % pour les quatre millions de salariés au SMIC.

Ces propositions prennent en compte l'évolution du mode de vie, des conditions du passage de la vie active à la retraite, de l'espérance de vie, des besoins et des aspirations des retraités. Elles traduisent la reconnaissance des droits que ces derniers ont acquis par leur contribution passée à la richesse nationale et par leur apport actuel à la société.

Pour mener à bien les réformes nécessaires au financement des retraites, il faut inciter à augmenter la masse des richesses produites et dissuader l'accumulation considérable des profits financiers. Ces réformes sont indissociables d'une politique orientée vers la sécurité d'emploi et la formation.

Le premier axe de ces propositions est la rupture avec la régression du pouvoir d'achat. Le remplacement en 1993 de l'indexation sur les salaires par l'indexation sur les prix a rompu le lien de solidarité intergénérationnelle. Les accords AGIRC-ARRCO de 1993, 1994 et 1996, ont amplifié cette tendance en répercutant une baisse des pensions de 12 %. Les prélèvements sur les retraites, institués à partir de 1980 par le gouvernement Barre puis par le plan Juppé, ont été multipliés par 2,5 entre 1993 et 1997. Il représentent près d'un mois de retraite nette chaque année.

Bien loin d'être des « nantis », les retraités sont parmi les oubliés de la croissance. Il est donc urgent d'inverser la tendance. Pour cela, nous proposons notamment d'indexer les retraites sur l'évolution moyenne des salaires bruts, de garantir une retraite totale au moins égale à 75 % du salaire brut moyen des dix meilleures années dans le secteur privé ou du traitement indiciaire brut des six derniers mois dans le public ; de prendre en compte, pour établir le montant des pensions, la totalité des rémunérations, primes et heures supplémentaires comprises.

Nous voulons aussi augmenter significativement les basses retraites, notamment le minimum contributif qui, à sa création en 1983, représentait 63 % du SMIC brut et qui n'en représente plus aujourd'hui que 45 %, ainsi que la pension de réversion, en modifiant ses règles d'attribution et en portant son taux à 60 %.

Deuxième axe de nos propositions, garantir le droit à la retraite à taux plein à 60 ans. Les mesures Balladur ont fortement réduit le niveau des pensions, d'autant que les carrières incomplètes sont sanctionnées une seconde fois par une décote supplémentaire par trimestre manquant. Des pénalités du même ordre s'appliquent aux retraites complémentaires, l'abattement pouvant atteindre 22 % à 60 ans.

Pour corriger cela, nous proposons d'abroger les dispositions de 1993, mais aussi de garantir le droit de partir à la retraite à taux plein, à 60 ans au plus tard, avec 37,5 annuités. Pour cela, les périodes non travaillées comme les études, les contrats d'insertion, la recherche d'un premier emploi, les périodes de chômage et les fins de droits doivent être validées gratuitement comme de vraies annuités ; quant à la décote, il faut en abandonner le principe même.

Il convient aussi de prendre la mesure des situations particulières. Aussi, les femmes et les hommes ayant exercé des travaux pénibles ou contraignants doivent-ils pouvoir faire valoir leur droit à la retraite à taux plein dès 55 ans. Tout salarié, après 40 ans de cotisation, doit pouvoir immédiatement obtenir sa retraite à taux plein, sans attendre son soixantième anniversaire. C'est ce qu'ont proposé les groupes communistes à l'Assemblée comme au Sénat. Enfin, les personnes ayant ou ayant eu à charge un enfant ou un adulte handicapé ou une personne âgée dépendante ne doivent pas être pénalisées dans leur constitution de carrière.

Telles sont les principales dispositions de justice sociale et d'efficacité économique que nous défendrons devant vous, parmi beaucoup d'autres.

Bien sûr, vous nous répondrez, Monsieur le ministre, que ces mesures ont un coût. Cela serait malvenu car vous n'assurez pas vous-même le financement de votre réforme.

M. Alain Néri - C'est vrai !

M. Maxime Gremetz - Vous repoussez le traitement de la question du financement à 2008 en prévoyant en tout et pour tout d'augmenter le taux de cotisation vieillesse de 0,2 % au 1er janvier 2006, ce qui rapportera un peu plus de 900 millions, soit 1 % du besoin de financement global des retraites en 2020...

Pariant sur un taux de chômage de 5 %, vous chiffrez le besoin de financement supplémentaire des retraites du régime général à 9,8 milliards, ce qui représente environ trois points de cotisation. Si le taux de chômage restait à son niveau actuel de 9 %, le besoin serait de plus de 13 milliards et il faudrait par conséquent augmenter les cotisations.

Vous estimez pouvoir atteindre un tel taux de chômage grâce à votre politique d'allégement de cotisations patronales, les cotisations chômage excédentaires étant alors affectées au financement des retraites.

Mais c'est un marché de dupes : les exonérations de cotisations patronales n'ont jamais eu d'impact important sur les créations d'emplois.

Alors que vous insistez sur l'urgence de réaliser la réforme avant l'apparition des déficits, vous repoussez la réforme du financement à 2008, au moment même de l'apparition de ces déficits.

L'équilibre financier n'est pas assuré par votre réforme...

M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis de la commission des finances - C'est faux !

M. Maxime Gremetz - ...Il est plus facile d'imposer une nouvelle mise à contribution aux salariés que d'aller chercher l'argent là où il nuit le plus à l'emploi...

Ce besoin de financement pose le problème de la répartition de la richesse nationale. En dix ans, la productivité du travail a progressé de 26 %...

M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Elle a gravement baissé avec les 35 heures !

M. Maxime Gremetz - Il suffirait d'une augmentation moyenne de 2 % par an pour que les retraites soient financées mieux et durablement. Mais pour cela il faudrait inverser la tendance à l'accroissement de la part de la valeur ajoutée revenant au capital au détriment de celle qui revient aux salaires. Elle est passée de 30 % à 40 % en France, soit bien plus que les 33,5 % des Etats-Unis, votre modèle...

Plusieurs députés UMP - Mais non !

M. Maxime Gremetz - ...ou que les 31,5 % de la Grande-Bretagne. Les plus gros capitalistes ne sont pas ceux que l'on croit !

Comment répondre à ce besoin de financement ? Nous avons des propositions, que nous partageons avec les syndicats majoritaires et nombre d'associations.

Pour nous, la réforme des retraites passe par une vraie politique de l'emploi et des salaires. Un million de chômeurs en moins, c'est un point de richesse supplémentaire, soit 20 milliards. Nous proposons de remettre en cause la fuite en avant dans les exonérations de charges sociales patronales - ce qui équivaut à 18 milliards -, par une incitation sélective à investir dans l'emploi et la formation. Nous proposons d'élargir et de moduler l'assiette des cotisations sociales patronales, ce qui représente 23 milliards. Nos propositions coûtent 50 milliards dites-vous. C'est vrai. Mais les voilà ! La réforme des cotisations patronales est la plus importante pour financer les retraites. La modulation serait faite en fonction de la masse salariale par rapport à la valeur ajoutée globale, produits financiers compris.

Enfin, il faudrait étendre les prélèvements sociaux à tous les revenus financiers. Appliquer aux ménages, sur ces revenus, un taux identique à celui de la cotisation acquittée par les salariés sur leur salaire rapporterait 15 milliards chaque année au régime général. Appliquer aux entreprises et institutions financières le taux pesant sur les ménages aisés rapporterait 16,6 milliards. Vous voyez que le financement est assuré !

Ne me répondez pas que les prélèvements sociaux sont déjà trop importants en France : ils représentent 45 % contre 52 % en Suède et 50 % en Norvège.

M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis - Il y a d'autres exemples.

M. Maxime Gremetz - Il ne s'agit pas de partager un gâteau, il s'agit d'en avoir un plus gros, en changeant le contenu de la croissance.

Vous êtes la majorité dans cette assemblée, mais nous sommes la majorité dans le pays (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP). 66 % des Français disent non à la régression sociale que vous proposez, oui au progrès. Puisque vous vous dites partisans du dialogue, acceptez donc notre amendement qui prévoit de soumettre la réforme à référendum... Si la majorité du peuple vous dit non, vous devrez ouvrir de véritables négociations pour prendre en considération les propositions alternatives. Vous êtes au pied du mur. Il vous faut choisir entre le passage en force, avec ses conséquences imprévisibles, et la sagesse de la démocratie. A vous de jouer (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Denis Jacquat - C'est une grande satisfaction pour moi que d'être le porte-parole du groupe UMP sur ce texte véritablement historique, puisqu'il constitue la plus grande réforme des retraites depuis la création de la Sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Brard - On est fier de ce qu'on peut !

M. Denis Jacquat - Historique, il l'est par son ambition, puisqu'il couvre la fonction publique comme le régime général et les régimes alignés, et qu'il met en place un processus de révision continue, au-delà des aléas de la vie politique.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Très bien !

M. Denis Jacquat - Historique, il l'est par la méthode. Le Gouvernement a engagé le dialogue avec les partenaires sociaux en janvier, et il ne s'est jamais interrompu. Je rends hommage à tous les syndicats, y compris ceux qui ont finalement décidé de ne pas approuver la réforme, pour avoir joué le jeu. Historique, il l'est enfin parce qu'il renvoie à une vision de la société que nous défendons.

M. Jean-Pierre Brard - Ça, c'est bien vrai !

M. Denis Jacquat - C'est pourquoi l'opinion y est si sensible. En réaffirmant notre attachement au régime par répartition, c'est la solidarité que nous défendons, la solidarité entre générations bien sûr, mais aussi la solidarité entre les actifs en corrigeant les aléas de carrière dus au chômage, à la maladie, à l'éducation des enfants, en assurant des minima de retraite aux assurés ayant eu de faibles rémunérations, en atténuant les conséquences du travail à temps partiel.

Ce système a fait ses preuves et la pauvreté a fortement reculé. Le nombre d'allocataires du minimum vieillesse a ainsi été divisé par trois en 40 ans. Les Français y sont très attachés. Or, aujourd'hui ils sont inquiets. Ils savent que le système est menacé. Avec davantage de retraités, des retraites de plus en plus longues, de moins en moins d'actifs, l'équilibre n'est plus assuré.

Avec l'arrivée à la retraite des générations du baby boom, le nombre de départs va passer de 500 000 à 800 000 par an ; grâce aux progrès de la médecine, l'espérance de vie à 60 ans, qui est de 20 ans aujourd'hui, passera à 26 ans en 2040. Or dans tous les pays occidentaux, la natalité diminue.

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas vrai en France.

M. Denis Jacquat - S'il y a aujourd'hui deux actifs pour financer une retraite, en 2040 il n'y en aura plus qu'un.

On mesure l'ampleur du défi. Il est d'abord financier. Le régime général sera en déficit dès 2006, il faudra trouver 50 milliards d'ici 2020, 100 milliards d'ici 2040. C'est aussi un défi social, puisque dix actifs financent quatre retraités et que demain ils en financeront sept.

Dès lors, ne rien faire conduirait à cette immense régression sociale que serait une diminution des pensions de moitié. Les perdants seraient bien sûr les plus modestes, qui n'ont pas d'autre forme d'épargne. Et c'est ce scénario inacceptable que défendent ceux qui se présentent comme les plus farouches opposants de la capitalisation. On n'a pas manqué de souligner ce paradoxe : en prétendant défendre les plus modestes, on encourage en fait le développement d'un système bien plus inégalitaire.

Nous refusons ce scénario, car rien ne serait pire que le statu quo.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Denis Jacquat - L'expérience du précédent gouvernement le prouve. Ceux-là même qui aujourd'hui nous donnent des leçons n'ont rien fait pendant cinq ans pour sauvegarder le système de retraite (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) alors que la croissance leur donnait des marges de man_uvre. Ce n'est qu'en fin de législature que le gouvernement Jospin a mis en place le conseil d'orientation des retraites dont les excellents travaux ont servi de base à l'analyse du Gouvernement. Ils montrent qu'avec un peu d'honnêteté, nous pourrions au moins nous accorder sur le diagnostic.

M. le Rapporteur - Bien sûr.

M. Denis Jacquat - Quant au fonds de réserve des retraites, créé en 1999, c'est ce gouvernement qui l'a officiellement installé et a contribué à l'alimenter, alors que le précédent gouvernement n'avait pas hésité à ponctionner ses ressources pour couvrir les déficits de sa politique sociale, qu'il s'agisse des 35 heures ou de l'allocation personnalisée d'autonomie... Les retraites n'étaient pas sa priorité !

M. Pascal Terrasse - Quelle mauvaise foi !

M. Denis Jacquat - Ce fonds de réserve, que j'ai défendu ici même, en tant que rapporteur, n'est pas une solution miracle. Il permettra de prendre en charge une partie du financement des retraites, mais uniquement à partir de 2020. Le problème reste donc entier jusqu'en 2020.

Alors, pour donner le change, le précédent gouvernement a multiplié les groupes de travail, les rapports plus ou moins complaisants : rapports Charpin et Balligand-Foucault en 1999, rapport Teulade en 2000, rapport Taddéi...

M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis - Quelle avalanche !

M. Denis Jacquat - Mais la réforme a été repoussée. Nous savons ce que cet immobilisme lui a coûté !

Champion de l'inaction pendant cinq ans, le parti socialiste tente aujourd'hui de rattraper son retard : ce qu'il n'a pas réussi à faire au pouvoir, il y parviendrait soudain dans l'opposition ! Malheureusement les effets de manche n'ont jamais tenu lieu de politique (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Comment vous croire lorsque vous proposez aujourd'hui de revenir sur la réforme Balladur, alors que pendant cinq ans vous n'y avez pas touché ?

Comment les Français pourraient-ils être convaincus par votre projet alternatif quand vous dites aujourd'hui le contraire de ce que le chef du Gouvernement que vous souteniez annonçait hier ? Je sais que les crises d'amnésie sont fréquentes en politique (« C'est vrai ! » sur divers bancs), alors permettez-moi de vous rappeler les propos tenus par Lionel Jospin le 21 mars 2000 : l'allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires, disait-il, garantirait le niveau de leurs retraites sans accroître la charge pour la collectivité et rapprocherait leur situation de celle des salariés du privé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Aujourd'hui, j'aimerais que les socialistes disent clairement leur position à ce sujet !

M. Jean-Pierre Brard - A tout péché miséricorde.

M. Denis Jacquat - Le travail de l'opposition ne consiste pas à dire le contraire de ce que l'on pense ! Et comment accepter des leçons de dialogue social de la part de ceux qui ont fait passer en force les 35 heures et mis à mal le paritarisme ?

M. Pascal Terrasse - Trois ans de négociations !

M. Denis Jacquat - Et pourquoi les syndicats qui ont fait le pari de la réforme seraient-ils stigmatisés ?

Faute de contre-projet, vous vous contentez d'anathèmes. Cette hypocrisie ne fait que refléter la faiblesse de votre opposition au projet. Du reste, les déclarations en faveur de notre réforme se sont multipliées au sein de la gauche. Michel Rocard...

M. Jean-Pierre Brard - Un relaps !

M. Denis Jacquat - ...a estimé très dangereuse la demande de retrait du texte et Jacques Attali a pris la même position. Un de vos anciens ministres, Bernard Kouchner, a qualifié les propositions de la gauche de « poudre aux yeux ».

M. Jean-Pierre Brard - Il cherche un maroquin !

M. Denis Jacquat - Et Jacques Delors a déclaré qu'il voterait le projet s'il était député.

M. Jean-Pierre Brard - Il ne l'a jamais été !

M. Denis Jacquat - Bien sûr la réforme suscite des interrogations, des peurs même. Nous y étions préparés. Car si tout le monde comprend, en théorie, la nécessité d'une réforme, il est toujours plus difficile d'en accepter les conséquences individuelles. Le Gouvernement a été sensible à ces inquiétudes : des modifications ont été apportées au texte, un important travail de pédagogie a été entrepris. L'ensemble des parlementaires de l'UMP a mené sur le terrain des actions pour rassurer des citoyens parfois mal informés (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP). Le débat parlementaire doit être l'occasion d'éclaircir les points qui pourraient demeurer ambigus.

Ces inquiétudes, ces manifestations d'hostilité doivent-elles nous contraindre à retirer notre texte ? Certainement pas ! Rien ne serait pire pour les Français que l'absence de réforme. Et reculer, ce serait donner une piètre image, celle d'un pays incapable de dépasser les intérêts catégoriels au profit de l'intérêt général.

Comment expliquer que, de tous les pays européens confrontés à la même situation démographique, la France soit le seul à échapper à la réforme ? Comment, surtout, préserver la compétitivité de notre pays et donc nos emplois si nous cumulons la durée d'activité hebdomadaire et annuelle la plus courte et la durée de vie active la plus faible d'Europe ? Ne nous leurrons pas : si nous ne réformons pas notre système de retraite, c'est toute la machine économique et sociale qui en subira les conséquences.

M. Lucien Degauchy - Tout à fait !

M. Denis Jacquat - Face à ce défi, nous faisons preuve d'humilité.

La réforme ne propose pas de solution miracle ; elle exige, c'est vrai, un effort collectif. Elle ne prétend pas résoudre tout, tout de suite. L'objectif, c'est 2020. Nous posons les bases d'une évolution en douceur, par étapes, pour ne pas pénaliser tous ceux qui sont proches du départ à la retraite et qui ne doivent pas voir les règles du jeu modifiées brutalement. Et c'est une réforme ajustable. Des rendez-vous sont prévus pour tenir compte des évolutions démographiques et économiques.

Mais la réforme repose sur un engagement fort : maintenir un haut niveau de pension et mettre un terme à la dégradation du taux de remplacement induite par les évolutions démographiques.

La meilleure garantie pour assurer ce haut niveau de retraite, sans faire peser sur les actifs une charge excessive, c'est l'allongement de la durée de cotisation. Il concernera, dans un premier temps, uniquement la fonction publique, et ne remet pas en cause la possibilité de liquider sa retraite à 60 ans.

Travailler un peu plus pour recevoir autant, voire plus, voilà ce que propose la réforme : à carrière complète, elle garantit le maintien du niveau des pensions !

M. Jean-Pierre Brard - Mystification !

M. Denis Jacquat - Ce choix, c'est celui qu'ont fait nos voisins européens, par exemple l'Allemagne et la Suède, qui ont fixé à 65 ans l'âge de la retraite. Après la réforme, la France aura encore le régime le plus favorable d'Europe, comme l'a noté M. Chérèque...

M. Jean-Pierre Brard - Vous voulez le plomber définitivement !

M. Denis Jacquat - Pas du tout ! Lui et son père sont des gens très bien - du reste, ils sont Lorrains ! (Sourires)

Nous faisons aussi le choix de préserver notre compétitivité. Une hausse des prélèvements obligatoires aurait des conséquences désastreuses sur l'emploi et la croissance, alors même que nos entreprises vont devoir affronter la concurrence des nouveaux pays européens, dont les coûts du travail sont inférieurs aux nôtres.

Notre choix, enfin, est celui de préserver le pouvoir d'achat. Les socialistes oublient de le rappeler, la hausse des prélèvements aurait un impact important sur le pouvoir d'achat des actifs, et en particulier sur les bas salaires. Quant à l'augmentation de la CSG, elle pénaliserait en plus les retraités.

Quant à faire croire que la solution miracle réside dans la taxation des entreprises, c'est entretenir l'illusion qu'il existerait un trésor caché permettant une réforme indolore. Cette taxation ne permettrait pas de couvrir les besoins de financement. Ils vont augmenter de 4 points de PIB : or, les profits des entreprises n'en représentent que 1 %. En outre, quelle serait la sécurité d'un système de retraites basé sur des recettes aussi fluctuantes que les bénéfices des entreprises ? Enfin, taxer les profits des entreprises, c'est réduire d'autant leur capacité d'investissement.

Mais au-delà de ces arguments, l'allongement de la durée de cotisation répond aussi à une nécessité d'équité. Les Français l'ont bien compris en réclamant, dans leur grande majorité, une égalité de traitement en matière de durée d'assurance.

Bien entendu, cet allongement de la durée de cotisations suscite une certaine inquiétude, en particulier chez les salariés du privé qui, après 50 ans, sont souvent poussés vers la sortie par les entreprises. Le taux d'activité des plus de 50 ans est le plus bas d'Europe. Cette logique n'est plus soutenable à terme, d'autant que les entreprises vont être rapidement confrontées à un problème d'encadrement.

Le Gouvernement a clairement indiqué son engagement : relever ce taux d'activité par le recentrage des préretraites sur les métiers à forte pénibilité et les cas de restructurations ; l'assouplissement des règles de cumul emploi-retraite ; le report à 65 ans de la mise à la retraite par l'employeur. Mais la priorité des priorités, c'est de favoriser l'accès à la formation professionnelle pour qu'un salarié ait toujours la possibilité d'adapter ses compétences. Il faut en finir avec ce paradoxe : à 55 ans on est un salarié âgé et usé, et à 60 ans un jeune retraité dynamique (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

L'allongement de la durée d'activité doit bien entendu s'accompagner de possibilités d'évolution de carrière. Pour encourager les fonctionnaires à travailler plus longtemps, il faut développer les secondes carrières, tout particulièrement pour les enseignants, dont beaucoup éprouvent une certaine lassitude en fin de carrière et aspirent à faire autre chose. Plus de souplesse est donc nécessaire dans le statut de la fonction publique, aujourd'hui trop cloisonnée.

Il faut également mieux prendre en compte la pénibilité, très difficile à évaluer selon des critères objectifs - aucun pays n'a d'ailleurs réussi à conduire une réforme à partir de ce critère. La méthode choisie par le Gouvernement, celle du dialogue social, me semble la plus appropriée pour traiter cette question, de laquelle les Français attendent beaucoup.

Si l'allongement de la durée de cotisation est au c_ur du dispositif de sauvetage de notre système de retraites, il est loin de résumer à lui seul un projet qui ne se limite pas à une approche comptable et comporte de nombreuses améliorations. Les salariés sont conscients de ces avancées, aujourd'hui curieusement passées sous silence par la gauche, alors qu'elles figuraient dans le programme du candidat Jospin à la présidentielle.

M. Pascal Terrasse - Vous l'avez donc lu !

M. Denis Jacquat - Vous vous engagiez alors à défendre le sort de ceux qui ont commencé à travailler tôt, à intégrer les primes des fonctionnaires dans le calcul de leur retraite, à fixer une retraite minimale... autant de propositions que l'on retrouve dans cette réforme, ce qui n'est pas sans vous gêner.

Tout d'abord, la garantie d'une retraite minimale égale à 85 % du SMIC à l'horizon 2008, contre 81 % aujourd'hui et seulement 60 % en 2020 si l'on ne faisait rien, pour les salariés ayant effectué une carrière complète au SMIC. Cela sera possible grâce à la revalorisation du minimum contributif. J'avais souligné ici, l'an passé, au nom de l'UMP, l'injustice qui existait en ce domaine. L'UMP a tenu son engagement.

Seconde avancée majeure : la prise en compte des carrières longues. Nous avions eu l'occasion d'en débattre à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi de nos collègues communistes. J'avais indiqué une fois encore, l'an passé, que cette disposition serait intégrée au projet de loi portant réforme des retraites. Là encore, l'UMP a tenu ses promesses. Ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans, pourront partir en retraite à taux plein entre 56 et 59 ans.

M. François Liberti - Pas tous ! C'est faux !

M. Denis Jacquat - Troisième avancée : la suppression des inégalités entre mono-pensionnés et pluri-pensionnés. Ces derniers sont aujourd'hui pénalisés, ce que j'ai toujours dénoncé quand j'étais rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour la branche vieillesse. Les commerçants et les artisans, qui ont souvent exercé auparavant une activité salariée, pourraient ainsi voir leur pension améliorée de 10 à 20 %.

Autre grande avancée, réclamée depuis longtemps par les fonctionnaires : la prise en compte des primes dans le calcul de leur retraite. Un régime de retraite additionnel obligatoire, par répartition, provisionné et à points, prendra en compte les primes dans la limite de 20 % du traitement indiciaire. Des dispositions spécifiques seront par ailleurs prises pour les aides-soignantes.

Autant de mesures qui démentent les fausses informations savamment distillées ces dernières semaines sur cette réforme. Que n'a-t-on entendu en effet ! Certains responsables socialistes n'ont pas hésité à prétendre que nous voulions « humilier les Français ». Assez de caricature ! Toutes les avancées que j'ai rappelées montrent, comme l'avait rappelé François Fillon devant la commission des affaires sociales, que « réforme ne signifie pas régression sociale » et que c'est, à l'inverse, « l'immobilisme qui creuse l'inégalité sociale. » Avec Jean-Paul Delevoye, nous répétons que cette réforme n'est nullement dirigée contre les fonctionnaires. Elle ne vise pas à dresser une catégorie de Français contre une autre mais à sauver les retraites de tous (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Cette réforme permettra aussi aux Français de construire leur retraite de façon plus individualisée. A 60 ans, certains d'entre eux souhaitent continuer de travailler, mais le dispositif actuel ne les y incite pas ; d'autres, en revanche, fatigués, souhaiteraient partir plus tôt mais la décote, très pénalisante, les en dissuade.

M. Georges Colombier - Seule solution : plus de souplesse !

M. Denis Jacquat - La décote dans le privé sera progressivement réduite à 5 % par annuité manquante, contre 10 % aujourd'hui. Dans le même temps, une surcote de 3 % par année supplémentaire encouragera les salariés à rester en activité. Cette avancée contribuera à revaloriser le travail, valeur mise à mal sous le précédent gouvernement et que celui-ci, aidé de sa majorité, a entrepris de réhabiliter (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). En témoignent la revalorisation du SMIC, la création des contrats jeunes en entreprise, la baisse des charges sur les bas salaires, la création prochaine d'un RMA, et la mobilisation voulue demain en faveur de l'emploi des seniors.

Car c'est bien le travail qui est au c_ur de la problématique des retraites.

M. le Rapporteur - Tout à fait !

M. Denis Jacquat - C'est grâce au travail des Français que, depuis cinquante ans, notre système de retraites a pu garantir aux retraités un niveau de vie comparable à celui des actifs. C'est grâce à lui encore que nous pourrons garantir demain les pensions des futurs retraités.

Certains ont contesté la légitimé du Parlement à débattre de cette réforme. C'est au contraire à son honneur que de débattre d'un sujet aussi essentiel que l'avenir des retraites (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

L'examen du texte en commission a montré qu'il était possible de l'améliorer encore, en allant plus loin dans la solidarité et l'équité, dues notamment aux veuves et aux handicapés.

Rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour la branche vieillesse, j'avais défendu l'augmentation du taux des pensions de réversion et le relèvement du plafond de cumul pour les conjoints survivants. La pension de réversion sera désormais attribuée sans condition d'âge. La double condition de ressources et de cumul sera remplacée par un plafond de ressources, disposition à la fois plus lisible et plus équitable. Nous continuerons à travailler avec les associations, en particulier la Favec, au bénéfice de quatre millions de veuves et veufs qui ont besoin, dans leur détresse morale, d'une sécurité financière (Manifestations d'impatience sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pascal Terrasse - Vous avez largement dépassé votre temps de parole ! A ce train-là, on finira en août !

M. le Président - Monsieur Jacquat, il faudrait conclure.

M. Denis Jacquat - Nos collègues socialistes sont énervés car dans le discours de Lionel Jospin que j'ai cité tout à l'heure, et qui avait tout de même duré 43 minutes, il n'y avait pas eu un seul mot pour les conjoints survivants.

M. le Rapporteur - Tout à fait !

M. Denis Jacquat - La retraite des handicapés vieillissants est également une des préoccupations de l'UMP. J'avais, à plusieurs reprises, appelé l'attention de la commission des affaires sociales sur ce point et celle-ci m'a, à l'unanimité, demandé de faire aboutir rapidement la réflexion. En cette année européenne du handicap, le Gouvernement a pris des engagements forts. Nous souhaitons que les amendements adoptés en commission à ce sujet, le soient également à l'occasion de cette réforme ou lors de la prochaine loi relative au handicap. Là encore, nous poursuivons notre travail avec les associations, comme l'ANF, l'UNAPEI ou la FNATH (Manifestations d'impatience croissante sur les bancs du groupe socialiste).

Je l'ai dit en introduction de mon propos...

M. Pascal Terrasse - Voilà une demi-heure ! C'est de l'obstruction !

M. Denis Jacquat - Chacun a conscience de vivre à cet instant un moment fort de sa vie de parlementaire. De la réforme des retraites, le gouvernement précédent avait beaucoup parlé mais c'est ce gouvernement, sous l'impulsion de Jean-Pierre Raffarin et sous la conduite de François Fillon et Jean-Paul Delevoye, qui la mènera à son terme. Cette réforme ne propose rien moins qu'un pacte pour l'avenir des retraites. Elle sera la preuve que notre pays est capable de dépasser les intérêts particuliers quand il y va de l'intérêt de tous les Français.

Messieurs les ministres, vous pouvez compter sur l'appui des députés de l'UMP pour soutenir, à vos côtés, ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Tout comme M. Gremetz, vous avez eu, Monsieur Jacquat, une conception extensive de votre temps de parole.

M. Jean Le Garrec - J'ai l'honneur et la responsabilité de présenter à cet instant le point de vue du groupe socialiste sur le projet de réforme des retraites, ainsi que ses propres propositions.

Plusieurs députés UMP - Il y en a donc ?

M. Jean Le Garrec - Après l'excellente intervention, hier, de Pascal Terrasse (Murmures sur les bancs du groupe UMP), je n'ai pas l'intention de polémiquer avec M. Jacquat. Mais je tiens à dire que je suis très fier d'avoir travaillé avec ce grand Premier ministre qu'a été Lionel Jospin. Il avait compris que si l'on ne partait pas d'une analyse très largement partagée, sauf bien sûr par le Medef qui n'a pas participé aux travaux du COR, le débat sur les retraites ne serait pas possible. Il avait compris également la nécessité de créer d'urgence un fonds de réserve des retraites...

Un député UMP - Mais pas de l'abonder !

M. Jean Le Garrec - Il l'a fait. Il avait enfin compris qu'il fallait redonner confiance au pays, ce qu'il a fait en contribuant à la création de deux millions d'emplois et en faisant reculer le chômage d'un million.

Nous avions toutes raisons de penser que nous aurions la responsabilité de mettre en _uvre la réforme des retraites sous la nouvelle législature. Les Français ne l'ont pas voulu (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Je le regrette, et je pense que les salariés regretteront bientôt de ne pas nous avoir confié cette responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

J'aborde ce débat avec respect. Respect à l'égard de ceux qui manifestent, mais aussi de ceux qui ne manifestent pas parce qu'ils ne le peuvent pas, mais viennent discuter avec nous. Respect à l'égard des jeunes de 40 ans qui s'interrogent sur leur avenir, comme des plus jeunes, qui commencent de manifester, parfois avec violence, leur angoisse. C'est ce qui me pousse à refuser dans ce débat la polémique comme la petite phrase assassine. Ce ne serait pas à la hauteur de l'enjeu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Deux structures organisent notre pacte social républicain. La Sécurité sociale, notamment l'assurance maladie, dont nous aurons l'occasion de reparler à l'automne mais pour laquelle nous avons déjà des inquiétudes. Et d'autre part, les retraites par répartition et les garanties statutaires dans les trois fonctions publiques : nous en parlons en ce moment.

Ces deux piliers fondamentaux résultent d'une histoire complexe et respectable. C'est pourquoi je m'interdirai tout esprit de polémique.

Que disent nos concitoyens ? Je sais qu'il faut être prudent avec les sondages, mais ils donnent tout de même des indications. Le dernier sondage indique que 47 % des actifs souhaitent une renégociation et 21 % le retrait du projet. Pourquoi ce refus ? Serait-ce le refus de l'effort ? Baliverne ! L'effort de productivité en France est actuellement le premier d'Europe. Notre pays a su, ces vingt dernières années, résoudre de graves problèmes par la création de richesses. Dire que les Français refusent l'effort serait méconnaître la réalité de notre pays.

Mais les Français s'interrogent sur l'emploi, sur la durée des cotisations et sur le futur montant des retraites. S'ajoute à ces préoccupations une interrogation fondamentale : y a-t-il une alternative aux propositions du Gouvernement ?

S'agissant de l'emploi, j'accepte l'hypothèse du conseil d'orientation des retraites : un taux de chômage de 4,5 % en 2020 - vous voyez, je suis plus volontariste que vous, Monsieur le ministre. Mais j'ai une divergence avec M. Accoyer. Il pense que l'inversion des flux démographiques aura un effet mécanique sur l'emploi, ce que je ne crois pas (M. Terrasse approuve). Sur le marché de l'emploi, l'ajustement de l'offre et de la demande ne se fait pas automatiquement. Nous savons que certaines entreprises se délocaliseront, feront appel à des sous-traitants ou bien auront recours au plan social. C'est la loi du comportement managérial. Je l'ai dit et je le répète : les entreprises se recentrent, sous-traitent et externalisent. Les salariés savent bien que, lorsqu'ils seront âgés, usés, leur employeur n'aura qu'une idée, cynique et froide : les pousser dehors ! C'est comme cela que les choses se passeront.

En l'absence d'un ajustement mécanique, il nous faudra une politique volontariste pour accompagner l'inversion des flux démographiques. Le conseil d'orientation des retraites lui-même préconise « une véritable politique de l'emploi, du travail et de la gestion des âges ».

J'ai plusieurs fois regretté, Monsieur le ministre, que votre politique ne soit pas volontariste. Certes, les acteurs économiques détiennent la clé, mais le Gouvernement a l'obligation de les interpeller. Je pense aux moins de 25 ans et aux salariés de plus de 50 ans. Dans la sidérurgie, les licenciements se multiplient. Et la première assurance que donnent les entreprises, c'est de « gérer les préretraites ». Elles font ce que vous avez fait au GIAT. Je ne vous en ferai pas reproche d'ailleurs : la préretraite est la moins mauvaise des solutions dans la pire des situations.

M. Michel Delebarre - Très bien !

M. Jean Le Garrec - Vous dites qu'il faudra réserver les plans sociaux aux situations où la survie de l'entreprise est en jeu. Faites confiance aux employeurs, ils sauront démontrer que c'est chaque fois le cas (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Vous avez commis une erreur en refusant la loi de modernisation sociale, insuffisante sans doute, mais qui ouvrait des pistes. Nous demandons un pacte social pour l'emploi : nous voulons une autre politique économique qui privilégie la demande, elle serait plus efficace que ces baisses d'impôt qui n'ont rien ajouté à la croissance. Si la confiance n'est pas rétablie, aucune réforme ne pourra être acceptée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Les Français refusent en outre l'allongement de la durée de cotisation. Pour 86 % d'entre eux, la limite des quarante années est infranchissable (Mêmes mouvements). Ils ne peuvent pas concevoir d'aller plus loin car ils ressentent la dureté du boulot, le stress. Et ne dites pas que nous sommes inspirés par une philosophie de la fin du travail : ce n'est pas la nôtre et surtout pas la mienne. Ce que nous voulons, c'est une nouvelle réflexion sur l'organisation du travail.

Le cycle de vie induit par la société industrielle se défait peu à peu. Il en va de même dans les services. Cette lente déstructuration est vécue par les salariés, qu'ils manifestent ou non. Ils ne peuvent pas concevoir d'aller au-delà des quarante annuités. C'est la deuxième raison qui explique leur refus de ce texte.

J'ajoute que votre projet, à l'article 5, contient une disposition dangereuse, qui tend à établir un rapport constant entre le nombre des années de cotisation et la durée moyenne de retraite. C'est terrible, d'autant que la moyenne cache d'importantes inégalités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Dans le Nord-Pas-de-Calais, l'espérance de vie est de quatre ans inférieure à la moyenne. La différence est de dix ans dans les bassins miniers !

Au lieu d'un long discours, je vous renvoie à la caricature de Plantu parue il y a quelques jours. On y voit un salarié devant son médecin, qui lui dit : « Bonne nouvelle, vous allez vivre dix ans de plus ». On voit ensuite le même salarié devant le chef d'entreprise, qui lui annonce : « Mauvaise nouvelle, vous allez travailler dix ans de plus » (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission des affaires sociales - C'est indigne de vous !

M. Jean Le Garrec - Une caricature est une caricature. Mais elle révèle parfois de façon très nette la réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Nous commençons à percevoir les effets de la réforme Balladur, que nous n'avions pas bien mesurés, les organisations syndicales et nous.

M. Jean-Pierre Brard - Péché avoué est à moitié pardonné... (Sourires)

M. Jean Le Garrec - Pascal Terrasse a parlé de « double peine ». Mais l'expression est de François Chérèque, qui a été auditionné par mon groupe.

M. Raffarin a déclaré que la retraite est le patrimoine de ceux qui n'en ont plus. Je suis, pour une fois, d'accord avec lui, à condition qu'on n'écorne pas ce patrimoine !

Je ne reviendrai pas sur le tableau brossé par M. Terrasse. Je ne ferai qu'y ajouter la situation des femmes, qui représentent 56 % des retraités. Pour 45 % d'entre elles, la durée de cotisation est inférieure à cent trimestres. Et je sais que, pour la majorité d'entre elles, le rachat d'années n'est pas possible (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Angoisse, dureté du travail, horizon obscur... Selon Mme Liénart, du CNRS, « les salariés veulent le respect de la règle. Il y a un sentiment de rage. Ils ont l'impression d'avoir été floués. N'oublions pas que chaque plan social provoque son lot de suicides ». Cette phrase est à méditer, surtout en ce qui concerne la rage et le respect des règles.

Existe-t-il des solutions alternatives ? La réponse passe par un débat sur le partage des richesses.

M. Patrick Braouezec - C'est vrai.

M. Jean Le Garrec - C'est le fond de notre désaccord. La part de capital dans la valeur ajoutée est en France de 40 %, contre 33,5 aux Etats-Unis et 31,5 % en Grande Bretagne. Une marge existe donc. Entre les années 1960 et 2000, la part des dépenses de vieillesse a d'ailleurs augmenté de sept points du PIB. Entre 2000 et 2040, l'estimation, y compris avec l'arrêt de la réforme Balladur, est de six et demi, sachant qu'en 2040 le PIB aura doublé ! Ces chiffres sont acceptés par toutes les organisations syndicales. Enfin, le fonds de garantie des retraites doit être doté de 150 milliards en 2020. Il représente un point à un point et demi de PIB sur les six que j'ai évoqués.

Nous avons donc les moyens d'une autre solution, souhaitée par de nombreux économistes, la fondation Copernic et des experts indépendants. Cette alternative impliquerait de pérenniser le financement du fonds de garantie, par l'augmentation du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits de placement par exemple. Ou alors, renoncez à des baisses d'impôt qui n'ont aucune conséquence sur l'économie, et transférez la somme correspondante vers les retraites ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Patrick Braouezec - C'est un vrai choix de société !

M. Jean Le Garrec - Cette solution obligerait aussi à engager une négociation sur le niveau des cotisations et sur l'élargissement éventuel de l'assiette.

Plusieurs députés UMP - Il fallait le faire !

M. Jean Le Garrec - Vous avez d'ailleurs, Monsieur le ministre, prévu vous-même 0,2 % d'augmentation des cotisations patronales en 2005 et 3 %, par transfert de l'UNEDIC, en 2008 ! Vous avez bien senti que c'était indispensable ! J'ajoute que cette hausse n'aura pas de conséquences pour l'entreprise si elle est compensée par une baisse des dividendes ou des profits improductifs. Enfin, cette alternative nécessiterait d'engager une négociation propre à chacune des trois fonctions publiques sur le niveau des retraites, la pénibilité, l'évolution des métiers et le retrait de l'article 29.

Messieurs les ministres, vous avez la majorité dans les deux chambres. Le temps ne vous étant pas compté, vous pourrez faire voter ce texte. Vous aurez aggravé ce sentiment de rage et d'impuissance que j'évoquais. Vous aurez créé une véritable fracture dans notre pays. Je vous parle comme un républicain à d'autres républicains : le moment est d'une extraordinaire gravité. Ainsi que l'a écrit Bertrand Russell, prix Nobel de littérature : « Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l'aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns, la misère pour les autres. En cela, nous nous sommes montrés bien bêtes. Mais y a-t-il une raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment ? » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Luc Préel - L'UDF, partenaire de la majorité, soutient très clairement le projet de réforme des retraites, qui constitue un pas important pour la sauvegarde de notre régime. Une société se juge en partie à la place qu'elle réserve à ses anciens. Nous devons assurer un haut niveau de pensions. Notre régime de retraites est au c_ur du pacte républicain. La solidarité s'exerce entre actifs et retraités, entre une même génération et entre les régimes. Ce système sera confronté au papy-boom à partir de 2005 - 800 000 personnes par an, puis 850 000 arriveront à l'âge de la retraite au lieu de 500 000 - alors que la durée de vie s'accroît d'un trimestre par an. La réforme est donc nécessaire et urgente. Trop de temps a été perdu par les gouvernements précédents, en dehors de celui d'Edouard Balladur. Certains représentants de l'opposition reconnaissent heureusement le bien-fondé de la réforme... mais ils ne semblent pas avoir de projet.

M. Alain Néri - Vous venez de l'entendre !

M. Jean-Luc Préel - Tous les pays européens ont entrepris de telles réformes, et celle-ci sera également l'occasion de corriger des inégalités devenues insupportables. Le Gouvernement, après avoir mené la concertation et obtenu l'accord de plusieurs syndicats, présente son texte au Parlement. L'UDF va défendre tout au long des débats un projet porteur de plus de démocratie et de justice sociale, et qui assure davantage de souplesse au système, tout en garantissant la solidarité de la nation aux plus démunis.

Le projet du Gouvernement tend à rétablir l'égalité, avec l'harmonisation des durées de cotisation, le partage du temps gagné entre temps de travail et temps de retraite, des décotes et surcotes identiques entre le public et le privé et l'indexation pour tous de la retraite sur les prix. Il comprend également nombreuses et diverses améliorations, portant par exemple sur les taux des pensions, la prise en compte des carrières longues et de la pénibilité, les possibilités de rachat, les conjoints survivants ou les retraites complémentaires.

Cependant, il comporte des lacunes. Il ne traite pas des régimes spéciaux, dont le besoin de financement sera de 13 milliards par an en 2020, à la charge de la solidarité nationale. On ne peut expliquer la réforme aux Français, alors qu'elle ne touche pas les retraites les plus favorables, qu'ils doivent eux-mêmes financer ! Et la part des Français qui reste à l'abri de l'effort collectif remercie le Gouvernement en étant en pointe dans les mouvements de grève... L'extinction de ces régimes serait souhaitable. Ensuite, le projet n'atteint pas totalement l'équité. Des taux de cotisations et des âges de départ différents demeurent, le salaire de référence est de six mois pour les uns et de 25 ans pour les autres et la décote ne sera identique qu'en 2020. Beaucoup s'interrogent sur ces questions. Il est étonnant que je sois le seul, au nom de l'UDF, à les poser. Enfin, le texte n'intègre pas la totalité des primes, ne permet pas le départ après 40 ans de cotisation, ne donne pas une réelle autonomie aux partenaires sociaux et n'assure pas une véritable liberté de choix avec une retraite à la carte.

Il a surtout deux défauts majeurs. S'il améliore le financement, il n'assure pas l'équilibre financier, sauf à espérer une très forte croissance économique et une très forte diminution du chômage. Celle-ci toutefois, contrairement à ce que pense M. Le Garrec, sera favorisée par la démographie. Mais il faudra sans doute augmenter les cotisations de 3 % plutôt que du 0,2 % prévu ! Un financement sur la valeur ajoutée, souvent évoqué, est fondé mais nuirait à la compétitivité des entreprises et à l'emploi. Surtout, il casserait le principe même de la retraite par répartition. La retraite deviendrait un système étatique d'aide sociale. Il est étonnant donc qu'il soit proposé par ceux-là mêmes qui insistent sur le caractère solidaire de la répartition ! Ensuite, ce texte ne démontre pas clairement, alors qu'il augmente la durée de cotisation, comment améliorer l'emploi des plus de cinquante ans. Leur taux de chômage, véritable plaie, représente un gâchis personnel, certes, mais aussi pour la société qui ne valorise pas l'expérience. De profonds changements doivent être envisagés, dans les mentalités comme dans les pratiques, et l'engagement des employeurs doit être total.

Ce projet devrait s'accompagner enfin d'une mise en perspective de la politique familiale, essentielle pour l'avenir démographique du pays, donc pour les retraites.

L'UDF, qui souhaite davantage de démocratie et de justice sociale, mais aussi plus de souplesse, avait également proposé une autre méthode. Puisque notre système de retraite est au c_ur du pacte républicain, que celui-ci est en péril, que sa sauvegarde concerne tous les Français, nous aurions voulu que les Français se prononcent (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) mais à l'automne 2002, pas aujourd'hui, par référendum sur les grands principes que sont la répartition, l'équité, l'autonomie de gestion, la retraite à la carte.

Une fois l'accord obtenu, par ce moment fort de démocratie, il aurait été sans doute plus facile de trancher.

J'ai bien entendu le rapporteur expliquer que le référendum aurait remis en cause le rôle des partenaires. Mais, pour nous, il ne s'agissait que de se prononcer sur les grands principes, et nous voulions donner un réel pouvoir aux partenaires sociaux, à qui la gestion des retraites aurait été confiée.

Parce que les partenaires savent se montrer compétents et responsables dans la gestion de l'UNEDIC et des régimes complémentaires, parce que nous voulons plus de démocratie sociale, nous proposons que la caisse du régime général des salariés, qui ne gère aujourd'hui que les fonds sociaux, ait enfin une réelle autonomie et qu'elle puisse décider des cotisations, des prestations et de la valeur du point. Dans le même esprit, nous souhaitons la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires d'Etat gérée paritairement.

Du point de vue de la justice sociale, le texte comporte de réelles avancées, mais nous souhaitons pour les petites retraites, porter la retraite garantie à 90 % du SMIC net, ce qui n'est pas excessif pour un salarié ayant travaillé 40 ans et qui laisse un juste différentiel entre l'actif et le retraité. Nous demandons aussi l'intégration totale des primes, avec cotisation et droit à la retraite ; la possibilité de départ pour tout salarié ayant cotisé 40 ans ; l'obligation de régler d'ici à trois ans par la négociation de branche les problèmes de pénibilité, un projet de loi étant déposé à défaut ; l'extension du rachat, dans la limite de vingt trimestres, au congé parental d'éducation.

Nous sommes aussi partisans d'aller vers une réelle retraite à la carte avec un système par points, comme pour les régimes complémentaires. Ainsi, le conseil d'administration de la caisse, donc les partenaires sociaux, déciderait chaque année de la valeur d'achat et de liquidation du point et serait donc pleinement responsable du niveau des cotisations et du maintien de la retraite à un haut niveau. Cela répondrait à l'argument fallacieux selon lequel le système par points diminuerait le niveau des pensions.

Un tel dispositif permettrait aisément de prévoir une bonification pour les métiers pénibles, pour ceux qui continuent à travailler au-delà de l'âge légal, pour les mères de famille, pour les accidents de la vie. Il offrirait une réelle liberté de choix, chacun prenant sa retraite lorsqu'il estimerait avoir atteint le nombre de points suffisant.

Enfin, parce qu'elle souhaite plus d'équité, l'UDF se prononce également pour l'évolution à terme vers un régime de retraite universel.

Nous déposerons donc un certain nombre d'amendements : les amendements que nous défendrons porteront, d'abord, sur les principes qui nous tiennent à c_ur : autonomie de gestion des caisses, retraite par points, équité avec la mise en extinction des régimes spéciaux, accidents de la vie.

Nous chercherons aussi à améliorer le projet, notamment au bénéfice des conjoints survivants. Nous souhaitons notamment que la pension de réversion soit au moins égale à l'assurance veuvage et que ce droit, acquis au moment du veuvage ne soit pas remis en cause ultérieurement. Nous demandons également la mensualisation des retraites agricoles dès janvier 2004 ; la prise en compte des années d'aide familiale en agriculture et d'apprentissage : la possibilité de racheter cinq années d'études et de congé parental ; l'équité promise depuis longtemps entre les retraites des enseignants ; la mise en _uvre effective d'un complément de retraite type PREFON pour tous.

M. le Rapporteur - Le projet le prévoit déjà...

M. Jean-Luc Préel - Il prévoit une loi ultérieure, nous souhaiterions aller un peu plus vite. Nous espérons donc que vous soutiendrez notre amendement en ce sens.

Ce projet indispensable mérite d'être soutenu. Trop de temps a été perdu, car il est urgent de réformer notre système de retraite par répartition si nous voulons le sauvegarder. Beaucoup se demandent s'il est possible de réformer dans notre pays. Nous espérons que oui. L'Assemblée a la légitimité démocratique pour ce faire.

Ce projet est un pas important, que l'UDF salue. Nous le voterons donc, en espérant que nos amendements seront retenus.

Cette réforme demande du courage politique car elle n'est avantageuse pour personne. Il est demandé un effort à chacun, mais ce n'est qu'à ce prix que nous sauvegarderons l'intérêt de tous. Ne désespérons pas. Ne laissons pas ceux qui n'ont rien fait lorsqu'ils le pouvaient nous donner des leçons. Ne laissons pas les conservateurs triompher, arc-boutés sur les avantages acquis. L'intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers. Courage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

La séance, suspendue à 23 heures 20, est reprise à 23 heures 35.

Mme Muguette Jacquaint - Arrêtons-nous au sort fait aux femmes dans ce projet. Nous mesurerons mieux encore à quel point il est inacceptable. Le système des retraites fut bâti, selon le terme de l'ordonnance de 1945 pour « le travailleur et sa famille », c'est-à-dire pour un homme travaillant à temps plein sans interruption de carrière. Il a évolué, mais pas assez pour assurer aux femmes une retraite suffisante.

Or elles seront les plus pénalisées par l'allongement de la durée de cotisation comme par la réduction du niveau des pensions amorcée par la réforme Balladur en 1993, et par le fait que vous avez bouleversé le système des avantages familiaux.

En premier lieu, la retraite des femmes reflète leur situation sur le marché du travail, marquée par le temps partiel imposé, la précarité, les interruptions de carrière, des salaires inférieurs de 20 % à 25 % à ceux des hommes. 57 % des femmes ne font pas une carrière complète, 11 % n'ont pas de carrière du tout. Une retraitée touche en moyenne 848 € par mois, soit 42 % de moins qu'un retraité. La pension des femmes fonctionnaires est inférieure de 21 % à celle de leurs collègues hommes. 80 % des femmes vivent avec une pension inférieure au SMIC. Chez les plus de 65 ans, 83 %des titulaires du minimum vieillesse sont des femmes. Être femme, seule et âgée, c'est être pauvre. Et en 2015, 52 % des femmes seront retraitées. Or elles réunissent rarement plus de 32 ans de cotisations et plus des deux tiers n'ont pas une carrière complète. De ce fait, elles prennent leur retraite deux ans plus tard en moyenne que les hommes, pour essayer d'avoir une meilleure pension.

Monsieur le ministre, vous dites vouloir vous attaquer aux inégalités. Une de ces inégalités, c'est que le travail à temps partiel ne donne pas une retraite suffisante pour vivre. Et tout ce que vous proposez aux femmes, c'est de continuer à travailler plus longtemps. Prévoir une durée de cotisation de 42 ans en 2020 est un non-sens : aujourd'hui, avant de partir à la retraite, 19 % des femmes sont en inactivité et 18 % au chômage. Comment cotiseraient-elles dix ans de plus ?

Votre projet prévoit également une baisse du niveau des pensions, notamment pour les fonctionnaires, et la possibilité de cumuler un emploi avec la retraite. Nul doute que ce sont les femmes qui devront y recourir le plus pour compléter leurs revenus.

En second lieu, sous prétexte d'appliquer le principe communautaire d'égalité de rémunération entre hommes et femmes, vous remplacez la bonification d'un an par enfant accordée aux femmes fonctionnaires par une validation des périodes d'interruption ou de réduction d'activité pour l'éducation d'un enfant ou les soins donnés à un enfant malade, cet avantage, qui peut atteindre trois ans par enfant, étant également ouvert aux hommes. Ce faisant, vous renforcez les rôles traditionnels dans la famille. En étendant cette disposition aux hommes, au nom d'une égalité qui n'existe pas dans les faits, vous remettez en cause la philosophie des lois de 1970, à savoir qu'un tel avantage était une compensation pour les inégalités professionnelles. Dans ce domaine il reste beaucoup à faire ! Les représentants du Medef auditionnés par la délégation aux droits des femmes l'ont dit : ils ne veulent pas connaître la loi et ne veulent pas l'appliquer (Murmures sur quelques bancs du groupe UMP). Mais c'est bien la réalité. D'ailleurs, vous-même, Monsieur le ministre, avez regretté les ponctions que subit votre budget s'agissant de l'action pour l'égalité professionnelle comme vous l'avez fait savoir dans une lettre que vous avez adressée, avec M. Mattei, au Premier ministre.

Aujourd'hui on fait comme si ces inégalités avaient disparu, alors qu'elles demeurent une réalité. Malgré vos prévisions optimistes, uniquement fondées sur l'élévation du taux d'activité des femmes, nous savons combien la marche vers l'égalité professionnelle est lente ! Mais ce n'est pas un chantier prioritaire de ce gouvernement, bien au contraire.

Par cette majoration, vous voulez inciter les femmes à se retirer du marché du travail, c'est bien aussi votre objectif quand vous annoncez que l'allocation parentale d'éducation va être versée dès le premier enfant.

Il ne s'agit plus d'une logique de compensation, mais plutôt d'une logique d'incitation à prendre les congés parentaux. Or, après trois ans d'inactivité il est très difficile pour une femme de retrouver du travail. Les femmes qui interrompent leur carrière professionnelle n'ont souvent pas d'autre choix, parce qu'elles ont une famille nombreuse, ou des enfants handicapés et que les structures d'accueil pour les tout petits sont insuffisantes.

Six femmes au foyer sur dix souhaitent avoir un emploi. Ce potentiel d'1,8 million de femmes actives supplémentaires, est très significatif pour le financement des retraites ! Il représente 7 % de la population active même pour 2020 et permettrait de sauver la retraite par répartition.

Surtout, l'activité professionnelle reste la condition de l'autonomie financière de l'émancipation des femmes.

Le Président de la République a évoqué les femmes victimes de violences : mais comment peuvent-elles sortir de cette situation quand elles n'ont pas de travail ?

Avec votre modèle de retraite, c'est donc l'ensemble de la protection sociale, de la conception de la solidarité et des rapports entre les hommes et les femmes que vous souhaitez modifier.

Les droits des femmes sont déjà en régression et avec ce projet injuste et néfaste, c'est finalement toute une conception de leur place dans la société future que vous dévoilez (Applaudissements bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Georges Tron - Après des années d'immobilisme - M. Le Garrec nous a prodigué ses conseils, mais n'a guère évoqué ses souvenirs ! - le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a décidé d'engager une réforme qui, partout ailleurs, a été lancée depuis longtemps. Dans les pays comparables à la France, les responsables politiques, majorité et opposition souvent confondues, ont en effet pris la mesure des menaces que l'évolution démographique fait peser sur le système des retraites par répartition. La Suède a limité les droits acquis en dessous de quarante cinq ans de cotisation, l'Italie va abaisser le taux de remplacement à 56 % en 2020 et en Allemagne, il va passer de 69 % à 64 %, après quarante cinq ans de cotisations.

Les réformes engagées chez nos voisins vont beaucoup plus loin que ce projet et François Chérèque a eu raison de déclarer que la France restera le seul pays européen à cumuler quatre garanties : un régime obligatoire basé sur la seule répartition, le droit de partir en retraite à 60 ans, la durée de cotisation la plus basse d'Europe et la possibilité pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes de partir dès avant 60 ans.

Ce constat ne peut que nous renforcer dans les choix opérés, d'autant que de nombreuses personnalités, à gauche, se désolent de la démagogie du parti socialiste, comme il ressort de l'article du Monde cité par Denis Jacquat : le travail de l'opposition, déclarent-elles, ne consiste pas à dire le contraire de ce que l'on fera, voire de ce que l'on pense !

Ce qu'aurait fait pour la fonction publique l'ancienne majorité, son Premier ministre l'avait annoncé en mars 2000. Et notre projet reprend, pour une large part, les mesures préconisées dans le livre blanc de Michel Rocard dix ans auparavant.

Ne pas les assumer aujourd'hui est incohérent, surtout quand on connaît la situation des régimes des fonctionnaires. A ceux qui reprochent à la réforme d'être brutale, je rappellerai que c'est le retard pris pour l'engager qui la rend aujourd'hui urgente. Si elle avait été accomplie dix ans plus tôt, comme dans le secteur privé, elle aurait pu être plus progressive.

Les appels à sauver la répartition qu'on entend scander dans des cortèges composés en grande majorité de fonctionnaires semblent oublier que la répartition consiste à partager entre les pensionnés du moment le produit des cotisations des actifs du moment : logiquement, les fonctionnaires de l'Etat, qui ne sont pas soumis à ce régime, devraient nous demander de corriger cette anomalie.

Sans aller jusque là, l'article 21 de la LOLF, qui prévoit un compte d'affectation spécial, permettra une évaluation plus précise des charges de pension.

Surtout, l'augmentation importante des départs en retraite de fonctionnaires dans les prochaines années impose une évolution de leur régime.

En tant que rapporteur spécial du budget de la fonction publique, je rappellerai que dans la fonction publique d'Etat, le nombre des pensionnés va passer de 1,9 million aujourd'hui à 3,2 millions en 2040 et que la masse des pensions va tripler.

En 2001, l'augmentation des dépenses de la fonction publique a été due à 70 % à celle des charges de pensions - dépenses payées par les contribuables.

Dans la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière, le nombre des pensionnés va passer de 660 000 en 2001 à 1,9 million en 2040 et le montant total des pensions de 8,5 milliards à 41 milliards d'euros. Dès 2009, il sera supérieur au produit des cotisations, ce qui obligera à revoir tout le système des compensations payées actuellement par la CNRACL.

Voilà quelle est la réalité.

Le titre III du projet est la réponse à ce problème de financement, mais aussi à la crise plus générale de la fonction publique, sclérosée par des années d'immobilisme.

L'allongement de la durée de cotisation, l'indexation des pensions sur les prix et le régime de retraite complémentaire visent, certes, à combler une partie des besoins de financement. Notons au passage que certaines inégalités de traitement jouant en défaveur des fonctionnaires, comme la non-inclusion des primes dans l'assiette de la retraite, sont ainsi corrigées. On le voit, l'équité ne joue pas à sens unique contre les fonctionnaires.

Plusieurs dispositions du texte donnent enfin à la fonction publique la souplesse qui lui fait tant défaut et l'ont conduite, malgré la qualité de l'immense majorité de ceux qui la servent et qu'attestent les concours qu'ils ont réussis, à la crise qu'elle traverse actuellement.

Ainsi le travail à temps partiel ne sera plus pénalisant pour le calcul de la retraite, ce qui permettra de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. Il sera possible désormais de poursuivre son activité au-delà de la limite d'âge en continuant d'acquérir des droits à pension. La surcote appliquée au-delà de 60 ans et de la durée d'assurance requise permettra de choisir librement entre retraite plus précoce ou retraite plus élevée. Enfin, l'institution d'une durée d'assurance tous régimes confondus évitera à ceux qui ont eu des carrières dans plusieurs régimes d'être pénalisés. Cela donnera de nouvelles perspectives à des fonctionnaires que tenteraient d'autres expériences et renforcera simultanément l'attrait de la fonction publique.

Ce projet va donc dans le bon sens. Il faut toutefois profiter des pistes qu'il ouvre pour engager, dans sa logique, une véritable réforme de la fonction publique. L'allongement de la durée de cotisation exige parallèlement de trouver des réponses adaptées à la lassitude qu'éprouvent les fonctionnaires en général, les enseignants en particulier, aux deux tiers de leur carrière.

Une étude du ministère de l'Education nationale révèle que 64 % des enseignants du second degré ne réunissent pas à 60 ans les conditions requises pour l'obtention d'une pension à taux plein mais que 90 % d'entre eux préfèrent tout de même partir à 60 ans. Il faudrait d'ailleurs réfléchir aux raisons qui, en quelques années, ont rendu si difficile le métier d'enseignant. Je pense, pour ma part, que le contact quotidien avec des élèves de plus en plus durs y est pour beaucoup. Depuis une trentaine d'années, trente-cinq ans pour être précis, l'enseignement de certaines valeurs et du respect a paru désuet. On en voit le résultat aujourd'hui ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Quoi qu'il en soit, il faudra trouver des réponses appropriées. Les négociations qui vont s'engager sur la pénibilité y contribueront. Je salue à cet égard les bonifications prévues à l'article 54 du texte pour les personnels hospitaliers car s'il est bien une catégorie de fonctionnaires qui méritent un effort tout particulier, c'est bien eux. Il faudra tenir compte des conditions de travail propres à chaque métier en se gardant d'un égalitarisme facile.

Au-delà, il faudra que les secondes carrières puissent devenir réalité. La fonction publique fait la part belle aux concours internes par rapport aux examens professionnels et aux listes d'aptitude pour les promotions. Ce sont pourtant les seconds que les agents, à juste titre, considèrent comme leur offrant une réelle chance de progression, surtout à partir d'un certain âge où les contraintes de la vie familiale sont plus grandes. Il faudrait y avoir plus largement recours pour pourvoir les postes de catégorie A et B. Une telle politique permettrait aux agents d'accéder, vers 40-45 ans, à de nouvelles fonctions dans un corps supérieur. Elle devrait bien entendu aller de pair avec une politique active de formation continue.

Enfin, une mobilité accrue au sein de chaque fonction publique et entre les trois fonctions publiques serait de nature à lutter contre la démotivation des agents. Le projet de loi l'organise pour les enseignants à l'article 53, ce dont nous nous félicitons. Mais il conviendrait d'élargir ces dispositions à tous les cadres et corps d'emplois, et sans doute de l'assortir d'une incitation financière, voire de la possibilité de franchir les échelons et les grades du nouveau métier plus rapidement.

A terme, il ne faudrait plus recourir à des arrêtés interministériels pour fixer annuellement les contingents d'emplois, mais laisser jouer la fluidité, régulée par la liberté de décision des employeurs.

Comme toutes les réformes ambitieuses, celle-ci est examinée dans un climat passionnel, lequel tranche singulièrement avec l'atonie qui prévalait depuis longtemps dans la fonction publique.

Au-delà de ses aspects financiers, la réforme des retraites doit donner à nos concitoyens l'occasion de ressentir l'équité avec laquelle ils sont traités face aux grands défis qu'ils doivent relever ensemble, et offrir aux fonctionnaires de nouvelles perspectives que vous ne manquerez pas, Monsieur le ministre, d'évoquer lors des discussions avec les syndicats concernant les ressources humaines.

L'UMP soutiendra avec conviction cette réforme indispensable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Derosier - Je dirai en quelques mots ce qui rend à nos yeux votre projet inacceptable.

Tout d'abord, sur la méthode. Vous n'avez de cesse, Monsieur le ministre des affaires sociales, de vanter les mérites du dialogue social mais force est de constater, en l'espèce, que vous avez plutôt pratiqué le monologue du diktat, puisque votre réforme est « à prendre ou à laisser ».

Quant à vous, Monsieur le ministre de la fonction publique, je vous ai pris hier en flagrant délit de mensonge quand vous avez déclaré que « cette réforme était le fruit de discussions approfondies avec les syndicats de fonctionnaires qui ont pu en débattre au sein des trois Conseils supérieurs, lesquels l'ont approuvée. » Or, au Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière, la CGT, FO, l'UNSA, la CFTC et SUD ont voté contre, la CFDT et la CGC s'abstenant. Au Conseil supérieur de la fonction publique d'Etat, la CGT, FO, la FSU, l'UNSA ont également voté contre, la CGC et la CFTC se sont abstenues, seule la CFDT votant pour. Quant au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, il a demandé par 15 voix contre 14 un retrait du texte. Comme vous êtes passé outre cette décision, pourtant démocratiquement prise, 12 membres de ce Conseil sont partis. Les amendements déposés par ceux qui sont restés ont tous été rejetés et votre texte n'a finalement été adopté que par 11 voix, ce qui signifie qu'il aurait été rejeté si tous étaient restés.

Pendant des décennies, notamment depuis la Libération, les gouvernements et les partenaires sociaux se sont employés à transposer les avantages de la fonction publique au secteur privé. Or, votre projet, nivelant par le bas, va entraîner une véritable régression sociale. Qui plus est, vous stigmatisez les fonctionnaires en essayant de monter l'opinion publique contre eux, en laissant croire qu'ils bénéficieraient d'avantages indus, de privilèges. Tout est fait pour qu'ils soient, une fois de plus, mis à l'index.

M. Georges Tron - Faux !

M. Bernard Derosier - Pendant des décennies, les conditions de départ en retraite des agents du public et des salariés du privé ont été différentes, sans parler des régimes spéciaux qui permettent par exemple à un conducteur de la SNCF de partir à 50 ans et à un instituteur à 55 ans. Cela prouve que la collectivité avait su prendre en compte la pénibilité des tâches. Aujourd'hui, sous prétexte d'équité, vous imposez, sans aucune concertation, une régression brutale - sauf pour les infirmières, je vous le concède. Mais il faudrait négocier pour tous les métiers. Convenez qu'un éboueur de la fonction publique territoriale exerce un métier plus difficile qu'un agent de l'état civil.

L'allongement de la durée des carrières dans la fonction publique bloquera le renouvellement des effectifs et nuira à l'attrait du secteur.

M. Georges Tron - Sauf si l'on prévoit davantage de mobilité !

M. Bernard Derosier - Alors qu'il aurait fallu une réforme progressive, équitable, négociée, vous vous y êtes refusés.

Tout en martelant votre hostilité à la réduction du temps de travail, vous n'avez pas supprimé les 35 heures, dont vous faites pourtant le bouc émissaire de toutes les difficultés. Après vous être opposés en son temps à l'abaissement par la gauche de l'âge de la retraite à 60 ans, et ne pas l'avoir remis en question en 1986, 1988, 1993 et 1995, vous en sonnez aujourd'hui le glas.

Vous avez la possibilité aujourd'hui de ne pas décevoir encore davantage ceux qui manifestent ou font grève. Il est encore temps d'éviter le pire : retirez votre projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Charles de Courson - Notre collègue Jean-Luc Préel a excellemment exposé les positions du groupe UDF sur ce projet que nous soutenons et qui appellera des évolutions ultérieures. Nous souhaitons ainsi davantage de démocratie sociale, davantage d'égalité entre les salariés et davantage de liberté de choix en matière d'âge de départ à la retraite.

Je me contenterai d'évoquer ici trois points : la réforme des régimes de retraite des parlementaires, l'amélioration nécessaire du régime de retraite des exploitants agricoles et le développement, tout aussi nécessaire, de l'épargne-retraite (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Les régimes de retraite de l'Assemblée nationale et du Sénat doivent être réformés pour trois raisons. Tout d'abord, au nom de l'éthique. Quelle crédibilité aurait la représentation nationale si elle s'exonérait des efforts demandés à tous ? Ensuite, parce que ces régimes sont extrêmement favorables. En 2002, l'Assemblée nationale a servi 57,8 millions d'euros de retraites à 2 021 bénéficiaires, soit en moyenne 2 364 euros par mois et par député.

Ces 57,8 millions d'euros sont financés à hauteur de 7 millions par les cotisations des parlementaires et à hauteur de 50,8 millions par le budget de l'Assemblée nationale. Sachant que la pension s'élève à 1 500 € par mois et par mandature, c'est un mauvais régime.

Il bénéficie en outre, comme celui du Sénat, de règles dérogatoires qui ne sont plus justifiables, sauf à vouloir alimenter l'antiparlementarisme.

Il faut donc réformer les prestations en allongeant de 37,5 à 40 ans la durée de cotisation pour une retraite à taux plein. Cette décision a été prise par les questeurs.

M. le Président - Non : par le Bureau de l'Assemblée nationale.

M. Charles de Courson - Cette décision, comme celle de porter à 55 ans - j'aurais préféré 60 - l'âge à partir duquel un ancien parlementaire peut demander la liquidation de sa pension relève d'un règlement des questeurs, non de la loi ; si bien que nous n'en débattons jamais dans cet hémicycle.

M. Jean-Pierre Brard - Et les retraites de la Cour des comptes ?

M. Charles de Courson - L'article 75 du code des pensions civiles et militaires autorise dès l'âge de 50 ans la liquidation des pensions pour les parlementaires issus de la fonction publique, contre 60 ans pour les autres - c'est une première anomalie qu'il faudrait corriger. Il faudrait au moins autoriser la liquidation des retraites de base et complémentaire des parlementaires issus du privé et des professions indépendantes. La commission des finances a adopté un amendement en ce sens.

Par ailleurs, s'agissant du cumul de la pension avec les revenus d'activité, il n'est pas normal que les anciens fonctionnaires puissent cumuler intégralement leur pension et leurs indemnités de parlementaires. Il faut modifier l'article L.84 du code des pensions pour étendre aux députés les nouvelles mesures de cumul valables pour les fonctionnaires. De même, les parlementaires issus du privé devraient pouvoir cumuler leurs indemnités avec leurs retraites privées dans la limite du plafond prévu par le présent projet. Bref, il serait juste de soumettre les parlementaires à un dispositif de droit commun.

Autre anomalie, une dérogation permet aux parlementaires issus de la fonction publique de continuer à cotiser, pendant leur mandat, à leur régime d'origine, si bien qu'ils gagnent des annuités. C'est injuste, dans la mesure où leurs collègues issus du privé ne peuvent cotiser au régime général. Quant à ceux qui relèvent des professions indépendantes, ils peuvent continuer de cotiser, ce qui est normal puisqu'ils continuent de travailler.

Il faut revoir le système de cotisation des parlementaires issus de la fonction publique. Un amendement a été déposé en ce sens, mais la commission des finances ne l'a pas adopté.

Il s'agit de rétablir l'égalité entre parlementaires et salariés, mais aussi entre les parlementaires eux-mêmes.

Par ailleurs, il faut améliorer le dispositif s'appliquant aux exploitants agricoles.

Le Gouvernement prend enfin une mesure demandée par tous les agriculteurs : la mensualisation des pensions. C'est bien, mais l'échéance du 1er janvier 2005 est trop tardive. Je préférerais la date du 1er janvier 2004. Cette mensualisation ne coûtera que 50 millions d'euros, pour un montant total de 1,3 milliards. J'ai expliqué pendant des années l'intérêt de cette mesure au précédent gouvernement, qui ne m'a jamais entendu.

Il faut aussi améliorer les dispositions relatives à ceux qui ont commencé à travailler très jeunes. Les exploitants agricoles ont souvent débuté, comme aides familiaux, dès l'âge de 14 ans. Il faut donc abaisser le seuil de 16 à 14 ans, y compris pour le rachat d'années.

En outre, le Gouvernement n'a pas proposé d'étendre le régime complémentaire au conjoint et aux aides familiaux, catégories qui perçoivent pourtant les retraites les plus modestes. Un amendement sur le statut du conjoint a été adopté par la commission, mais rien n'est prévu pour les aides familiaux.

Enfin, le développement de l'épargne retraite me paraît indispensable à la consolidation des régimes par répartition.

Permettre à tous de bénéficier d'un troisième étage est une exigence de liberté. Il règne actuellement une grande inégalité, puisque seuls les salariés du privé ne bénéficient pas de l'épargne retraite, au contraire des fonctionnaires, des indépendants et des exploitants agricoles. Ce n'est pas acceptable.

Le projet prévoit bien la création d'un tel dispositif, mais le groupe UDF ne comprend pas pourquoi vous le renvoyez à un autre texte.

Pourquoi remettre à plus tard ce que les Français attendent depuis longtemps, la gauche ayant abrogé la loi que nous avions votée en faveur de l'épargne retraite ? Je vous proposerai donc des amendements visant à créer des fonds d'épargne retraite négociés dans le cadre des accords de branche.

M. Alain Néri - Appelez un chat un chat ! Rétablissez la loi Thomas !

M. Charles de Courson - Il suffit d'adapter la loi du 25 mars 1997.

La représentation nationale doit avoir conscience que cela ne remettrait pas en question les régimes par répartition. Les Français savent que c'est, au contraire, le moyen de les sauver.

Contrairement au Gouvernement précédent, qui était irresponsable, vous avez pris les mesures nécessaires pour remédier à la situation. Nos concitoyens ne comprendraient pas un manque d'équité. C'est pourquoi il faut améliorer ce projet sur les points que je viens d'évoquer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le ministre, M. de Courson trouve que vous n'avez pas allumé suffisamment de mèches et il vous tend la boîte d'allumettes...

Ce projet a au moins une qualité : il est en harmonie avec votre politique de régression sociale !

Votre tactique est de dramatiser, pour faire avaler la potion amère que vous avez préparée en appliquant les recettes du Medef.

Monsieur le ministre, vous êtes d'une rare habileté. N'êtes-vous pas un des trois idéologues du régime ? (Sourires) Voyez comme il sourit ! Il est un des concepteurs de la politique menée par le Gouvernement.

Monsieur Fillon, permettez-moi de citer le duc de la Rochefoucault : « C'est une grande habileté de savoir cacher son habileté ».

M. le Président - Ce serait plutôt la Roche-faux-cul ! (Rires)

Pardonnez-moi, Monsieur Brard, mais j'avais tellement envie de vous interrompre, comme vous le faites si souvent !

M. Jean-Pierre Brard - La dramatisation à laquelle se livre le Gouvernement est abusive.

D'abord, ce ne sont pas tous les actifs qui cotisent, mais seulement ceux d'entre eux qui ont un emploi. Ce qui est donc décisif, c'est d'augmenter le nombre d'emplois. L'urgence serait de permettre à tout le monde de travailler jusqu'à 60 ans, âge légal du départ à la retraite. Or le patronat cherche à se débarrasser au plus vite des quinquagénaires, si bien que l'âge moyen de cessation définitive d'activité est de 57 ans environ.

La priorité est d'améliorer la formation continue et l'organisation du travail pour permettre aux salariés, en deuxième partie de carrière, d'avoir un emploi, donc de cotiser jusqu'à 60 ans.

Votre volonté de dramatisation vous conduit à faire l'impasse sur les évolutions de long terme, notamment en ce qui concerne la part du produit intérieur brut consacré au paiement des retraites. Cette part est passée de 5,4 % en 1959, à 11,6 % en 2000, soit une progression de 6,2 points en 32 ans. Aujourd'hui, le Conseil d'orientation des retraites évalue le besoin de financement des retraites à 16 % du PIB en 2040, soit une progression de 5,4 points en 40 ans, ces 16 % étant calculés sur la base de la réglementation en vigueur, que vous vous évertuez à démolir.

On voit donc que l'effort à réaliser sera tout à fait comparable à celui qui l'a déjà été depuis 1959 sans drame national. Cela n'a donc rien d'insurmontable, si ce choix politique est opéré de manière déterminée et conséquente, c'est-à-dire en soutenant la démographie de notre pays, qui est déjà l'une de deux plus dynamiques d'Europe, en acceptant une immigration comme la France en a toujours connu, et en favorisant l'emploi.

Votre choix est essentiellement idéologique. Il s'inscrit dans une construction dogmatique fondée sur le postulat de la dépolitisation de la sphère de l'économie. La nécessité de diminuer sans relâche les prestations sociales nous est aujourd'hui présentée comme un simple constat objectif, voire comme une vérité révélée par les chantres de la pensée unique, les dirigeants du Medef ! C'est cette vision qui vous a poussé à refuser la confrontation avec les syndicats, projet contre projet.

M. le Président - Monsieur Brard, veuillez conclure...

M. Jean-Pierre Brard - Des débats de fond sur le financement des retraites, la répartition des richesses, le partage de la valeur ajoutée et l'utilisation des gains de productivité remettraient en cause les mécanismes du marché, notamment les fonds de pension auxquels ce projet de loi ouvre la porte, comme vient de le rappeler M. de Courson ! Cette façon d'émasculer le débat sur des choix de société va rabaisser la politique et fabriquer de nouveaux 21 avril. Le refus du référendum, qui aurait suscité un tel débat, s'inscrit dans la même logique de dissimulation.

Votre réforme est néfaste. Elle porte un mauvais coup à la démocratie, à notre pacte républicain et à la cohésion sociale. Il est temps de relire Jean-Jacques Rousseau et son Contrat social... (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Yves Bur - « L'avenir des vieillards ne m'intéresse pas » proclame Hector, dans La guerre de Troie n'aura pas lieu ! Personne ne se hasarderait à dire la même chose aujourd'hui ?

M. Jean-Pierre Brard - Hector a mal fini !

M. Yves Bur - L'évolution démographique confronte notre société à un défi inédit. L'allongement de l'espérance de vie ouvre des opportunités nouvelles à chacun, mais aussi à l'ensemble de la société. Il aura des répercussions sociologiques essentielles, et nous avons la responsabilité de préparer le pays à ses conséquences sur la protection sociale. C'est vrai pour nos régimes de retraite, fondés sur la solidarité entre générations, mais aussi pour notre système de santé, qu'il faudra réformer durablement.

Je ne fais pas à l'opposition le reproche de critiquer le Gouvernement : c'est son rôle. Mais le blocage du débat est une fuite en avant peu glorieuse, surtout après cinq années d'inaction. La gauche est moins préoccupée par l'avenir des futurs retraités que par son conservatisme idéologique, qui considère toujours le travail comme une aliénation pour l'homme, un fardeau dont il faudrait se débarrasser au plus tôt sur les autres sans penser à sa propre responsabilité. Dans une France profondément ébranlée par des idéologues aveugles qui, sous couvert de progrès social, ont tenté de faire croire qu'on pouvait travailler moins et moins longtemps en profitant davantage d'un Etat providence à bout de forces, il est difficile de prôner une réforme qui place les Français devant leurs responsabilités ! (M. le rapporteur et M. le président de la commission applaudissent)

Derrière une réforme que chacun sait incontournable, notre mission transcende ce débat : la réhabilitation du travail dans l'esprit de nos concitoyens. Ils doivent savoir que dans une économie globalisée, ce sont les pays les plus actifs qui seront les seuls gagnants, et non ceux qui restent accrochés à un Etat providence qui ne sera plus en mesure d'assurer la solidarité, faute de richesses. Le progrès social n'est pas une donnée irréversible et nous ne pouvons nous contenter de croire aux sirènes des corporatistes qui tournent le dos aux réalités d'un monde qui ne considère pas les avantages acquis comme immuables. Ils abusent les Français en leur demandant pourquoi ce qui fut possible ne continuerait pas à l'être !

Messieurs les ministres, votre tâche n'est pas facile. Nous avons fait le choix de dire la vérité pour sauver nos retraites, comme nous le ferons pour réformer enfin un Etat qui vit au-dessus de ses moyens et moderniser notre système de santé, lui aussi exsangue. Nous assumerons cette responsabilité à vos côtés, avec le courage que donne le sentiment d'_uvrer pour l'intérêt général. Seule la démagogie peut faire croire que le défi peut être relevé par des impôts supplémentaires. Ceux qui la pratiquent ont d'ailleurs, entre 2000 et 2002, au nom des 35 heures, dépouillé la CNAF de 650 millions d'euros et le FSV de 3,4 milliards ! Grâce à leur archaïsme idéologique, le fonds est devenu pour la première fois déficitaire. Comment peuvent-ils nous accuser de ne pas assurer le financement de notre réforme alors qu'ils ont toujours joué les cigales ? L'allocation personnalisée d'autonomie est un progrès revendiqué, mais à crédit ! Le fonds de réserve pour les retraites fut l'objet de nombreuses annonces mais de peu d'abondements : qu'on se rappelle les licences UMTS !

Je tiens à rappeler aux auteurs de la « lettre ouverte aux bons conseilleurs » qu'ils n'ont pas, ainsi qu'ils le prétendent, financé le fonds de réserve des retraites à hauteur de 17 milliards : il ne gère à ce jour que 12 milliards ! Leur ancien collègue, Bernard Kouchner, n'a pas apprécié qu'on oublie ce qu'avaient apporté à ce pays Michel Rocard ou Jacques Delors. Il déplore une dérive gauchiste du PS et regrette que son parti n'ait pas de vision à long terme. Le gauchisme, on le poursuit toujours, mais on ne le rattrape jamais ! La mauvaise foi est encore plus dangereuse pour la démocratie que la pensée unique... (M. le rapporteur et M. le président de la commission applaudissent)

Notre système de retraites a besoin de plus d'équité. L'accord signé avec des partenaires sociaux dont je souligne, à mon tour, le sens des responsabilités ne l'assure pas en totalité. Les salariés du privé seront toujours sollicités à la fois pour assurer l'équilibre du régime général et pour permettre aux fonctionnaires et aux régimes spéciaux, sous couvert d'une solidarité qui est toujours à sens unique, de conserver des avantages injustifiés, qu'il s'agisse du différentiel de cotisation ou du calcul de la pension sur les six derniers mois. Mais, d'après M. Blondel, les agents de la fonction publique ne relèvent pas du système de répartition ! A ce titre, ils devraient être exemptés de réforme au nom des droits acquis financés par les entreprises et par les contribuables... Cette iniquité n'est plus acceptable.

Pour contrer l'alignement progressif des droits à la retraite, la nouvelle arme est la pénibilité, comme si elle n'existait que dans la fonction publique. Je ne conteste pas le problème, mais il ne peut être dissocié de celui de l'emploi des salariés de plus de cinquante ans. Notre durée d'activité est déjà la plus faible d'Europe. Prendre la pénibilité en compte, c'est mettre en place un environnement favorable en encourageant la formation professionnelle permanente, en valorisant l'expérience et en améliorant leurs conditions de travail. Mais ne transformons pas la pénibilité en vecteur de nouvelles inégalités, la fonction publique étant la seule à en bénéficier en raison de sa capacité à prendre les usagers en otage...

Nous avons le devoir d'engager enfin la réforme, pour sauver nos retraites. Nous le faisons en tournant le dos à des années de facilité. Nous adopterons cette réforme qui permettra à la France de conserver le système de retraites le plus favorable d'Europe. Nous ne pouvons continuer à pénaliser nos enfants en préférant leur faire porter nos dettes plutôt que mener des réformes structurelles dans un Etat surdimensionné qui vacille sous le poids de ses responsabilités. En adoptant ce projet de loi, nous dégageons un peu leur horizon (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Martine David - Nous sommes face à un choix majeur pour l'avenir d'un des piliers du pacte social qui lie les Français. Nous sommes convaincus de la nécessité d'une réforme pour faire face à l'évolution démographique en garantissant un haut niveau des pensions. Cette réforme doit s'élaborer dans la transparence et la concertation, sans alarmisme. Mais, Monsieur le ministre, nous ne pouvons suivre la voie que vous empruntez : nécessité ne signifie pas précipitation, négociation n'est pas consultation et réforme n'implique pas régression sociale.

Vous laissez croire qu'il n'y a pas d'alternative à l'allongement de la durée de cotisation et à la baisse du niveau des pensions. Nous pensons que c'est la durée de l'activité qui doit être au c_ur de la réforme. La précédente législature avait largement amorcé cette voie. Grâce à une politique de plein emploi à moyen terme, elle avait créé deux millions d'emplois et réduit le nombre des chômeurs d'un million, augmentant d'autant les ressources des régimes de retraite.

Malheureusement, depuis un an, nous assistons à une rupture brutale du cercle vertueux « emploi-consommation-croissance ». Le désengagement de l'Etat et les annulations de crédits hypothèquent gravement la première source de financement de la réforme. Cela prouve qu'en dépit de vos dénégations ce projet n'est pas financé, d'autant que vous disposez par avance des ressources de l'Unedic dont l'affectation relève pourtant du seul choix des partenaires sociaux.

Cent mille chômeurs de plus en quelques mois ; les programmes d'insertion remis en cause ; les plans de licenciements qui se multiplient, sacrifiant des salariés compétents sur l'autel du profit ; pire, au lieu d'encourager la consommation des ménages moyens et modestes, vous multipliez les avantages fiscaux au profit des plus aisés, qui se tournent vers l'épargne.

Ce bilan désastreux affecte les ressources de tous les régimes de retraite. Car, contrairement à ce que vous répétez inlassablement, stigmatisant ainsi les grévistes du secteur public, les régimes spéciaux sont bien touchés indirectement par ce texte en raison des mécanismes de compensation nécessaires à leur sauvegarde.

M. le Rapporteur - Non !

Mme Martine David - Si ! Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Les Français doivent le savoir, une autre réforme est possible, élaborée non dans l'urgence, ... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Yves Bur - Dix ans qu'on l'attend !

Mme Martine David - ...mais après une négociation sérieuse. Ne peut-on vraiment pas consacrer deux ou trois mois à discuter avec les syndicats ?

En Europe, ce sont les pays qui ont ouvert un large champ à la discussion qui sont parvenus à des mesures positives et comprises par la population.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Ils ont commencé il y a dix ans...

Mme Martine David - Surtout, un des leviers majeurs d'une telle réforme doit être une politique ambitieuse en faveur de l'emploi, privilégiant les jeunes, assurant le maintien en activité des plus de 50 ans, refusant ces petits boulots qui permettraient tout juste aux retraités les plus pauvres de survivre. Oui, c'est un pacte national pour l'emploi qui conditionnera la réussite d'une vraie réforme des retraites.

Tel n'est pas votre choix. Celui que vous opérez conduira inexorablement à la déstabilisation du système par répartition, voire à sa disparition. Le Gouvernement et sa majorité en seront comptables devant la nation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Michel Hunault - On assume...

M. Jean Dionis du Séjour - L'UDF soutient votre volonté de réforme, Monsieur le ministre, car elle pense, comme vous, qu'il y a urgence à légiférer. Oui, la France vit une véritable révolution démographique en vieillissant de manière accélérée. Oui, le fait de travailler plus longtemps est de loin la meilleure solution, même si elle est douloureuse, par rapport à la hausse des charges et à la baisse des retraites. Oui, la France de l'égalité républicaine doit aller vers les 40 ans de cotisations pour une retraite pleine, dans le privé comme dans le public. Oui, il faut mettre de la liberté dans ce système, qu'il s'agisse de la date de départ, du rachat des années d'études, ou de la possibilité de travailler plus longtemps.

C'est parce que cette réforme n'est qu'une étape qui en appelle d'autres, que nous vous proposerons d'améliorer ce texte. Pour ma part, je tracerai trois pistes.

D'abord, l'information grâce à la mise à disposition de chaque citoyen sur internet, de son dossier personnel retraites. L'article 8 du projet qui prévoit des mesures précises d'information de chaque cotisant sur ses droits à la retraite est une avancée démocratique importante. Mais il faut aller plus loin. C'est pourquoi nous proposerons de rendre accessible via internet le dossier retraites de chaque cotisant à sa demande et dans des conditions de complète confidentialité. Nous souhaitons également que l'information ne soit pas limitée à une consolidation des données disponibles au moment de la consultation, mais qu'on y ajoute la possibilité de simulation en ligne sur les années restant à effectuer, et sur les années d'étude à racheter, offrant ainsi une véritable aide à la décision de chaque cotisant. La responsabilité du développement et du fonctionnement de ce dispositif en ligne serait confiée au groupement d'intérêt public prévu à l'article 8.

J'espère que l'Assemblée adoptera cet amendement, au moment où le plan gouvernemental RESO 2007 prévoit que tous les Français qui le souhaitent soient capables d'utiliser les services de base de l'internet et de l'administration électronique en 2007, quand 60 % de nos concitoyens bénéficieront d'un accès personnel à internet.

Nous entendons en deuxième lieu rendre cette réforme plus favorable aux familles nombreuses. Il convient en particulier de mieux articuler politique familiale et régime de retraites.

En effet, malgré un taux de fécondité parmi les plus élevés d'Europe, la France, avec 1,89 enfant par femme en moyenne, est encore loin des 2,1 nécessaires au renouvellement des générations. Or nous aurons besoin demain de plus de jeunes afin d'assurer la retraite des générations de l'après-guerre. Comme l'écrit Alfred Sauvy, les actifs d'aujourd'hui paient les retraites d'aujourd'hui, les enfants d'aujourd'hui paieront celles de demain. Michel Debré, prophète bien isolé, nous avait avertis dès les années 1970.

La réduction du déséquilibre, outre une nécessité démographique, est un choix de société : il est temps de permettre aux hommes et aux femmes d'avoir les enfants qu'ils désirent. A nous d'aller collectivement vers ce désir d'enfant...

Ce texte marque une première étape mais il reste beaucoup à faire en faveur des femmes qui, massivement, arrêtent le travail après le troisième enfant. Nous avons l'ardente obligation de reconnaître complètement les droits à la retraite pour le parent qui a choisi de se consacrer à l'éducation de ses enfants.

Le groupe UDF, qui a toujours été le promoteur d'une politique familiale audacieuse, défendra donc des amendements destinés à introduire plus de souplesse, afin de ne pas pénaliser ceux qui ont eu des enfants.

Nous demanderons notamment la suppression de la prise en compte des majorations pour enfants lors du calcul du plafond des cumuls pour le versement de la pension de réversion ; la déductibilité de l'assiette de l'impôt sur le revenu des années de cotisations rachetées afin de compenser le défaut de cotisations pendant les années consacrées à élever les enfants ; la possibilité pour le parent qui bénéficie d'un congé parental de continuer à cotiser à l'assurance vieillesse afin de ne pas suspendre la constitution de ses droits à la retraite.

Enfin, je souhaite que cette réforme tende la main aux agriculteurs, oubliés de notre protection sociale, alors qu'ils ont beaucoup travaillé et peu cotisé.

Un effort particulier doit être fait pour la revalorisation des polypensionnés agricoles qui sont souvent des conjointes ayant plusieurs très petites retraites dont la revalorisation est bloquée.

Il faut aussi aller vers la mensualisation rapide, dès janvier 2004, du paiement des pensions de retraite, forte attente du monde agricole.

M. Alain Néri - Très bonne idée !

M. Jean Dionis du Séjour - Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour montrer que vous êtes à l'écoute du Parlement, comme vous avez été à l'écoute des partenaires sociaux (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine Billard - Le système des retraites par répartition a été créé à la Libération, après avoir tiré le bilan de la faillite du système par capitalisation d'avant guerre. Il repose sur la solidarité entre générations et entre ayants droit. C'est cela que vous voulez aujourd'hui remplacer par la « débrouille » individuelle en revenant à une capitalisation camouflée en épargne-retraite.

Vous refusez de dégager d'autres moyens pour financer les retraites. Pourtant notre pays ne s'appauvrit nullement : il est un des plus riches de la planète mais, hélas, les inégalités y augmentent.

Le niveau de vie des Français s'est amélioré depuis trente ans et les retraités en ont profité. Pourquoi donc vouloir revenir aux temps où de nombreux retraités survivaient dans la pauvreté ?

C'est en fait un choix politique : comment voulons-nous répartir les richesses ? Pour les Verts, chaque habitant, quels que soient son âge, son sexe, ses activités professionnelles, doit avoir les moyens de vivre dignement.

Pour nous, la retraite n'est pas un problème mais une richesse, un troisième temps de vie qui permet à beaucoup de se réaliser dans les activités de leur choix. Et ces activités bénévoles sont bien une richesse : elles rompent l'isolement, elles créent du lien social, elles sont essentielles à bien des associations qui ont d'autant plus besoin de ces retraités qu'elles subissent votre politique de forte réduction de leurs subventions.

Pour justifier l'augmentation de la durée de cotisation, vous arguez de l'allongement de vie après 80 ans. Mais pourra-t-on pour autant travailler jusqu'à 70 ans ? Avec votre logique, pourquoi ne pas proposer aux femmes, dont l'espérance de vie est plus grande, de travailler plus longtemps ?

En outre, encore faudrait-il pouvoir travailler.

Or, de nombreux salariés sont licenciés avant de disposer du nombre d'annuités nécessaires à une retraite à taux plein. Un tiers seulement des Français entre 55 et 65 ans sont actifs. La majorité des salariés qui liquident leur retraite ne sont plus en activité, mais en préretraite, en maladie ou au chômage. La souplesse que vous vantez, c'est celle qui permet d'être jeté comme un vieux citron trop pressé... (Sourires)

Puisque vous parlez d'équité, il serait logique de faire participer les revenus du travail comme ceux du capital à cet effort. Vous le refusez au nom de prétendues difficultés économiques, pourtant, la richesse financière s'accroît, malgré une gestion discutable de certains patrons qui ont mis leur entreprise en difficulté.

Il n'est donc pas plus risqué de proposer plusieurs financements que de miser sur la baisse du chômage. Quant à l'arrêt des licenciements des salariés dits âgés, le Medef en fait une arme de chantage pour obtenir encore plus d'exonérations de cotisations. Et il n'y a plus de raisons de croire aux promesses de M. Seillière qu'à celles du CNPF en 1986 à propos de la suppression de l'autorisation préalable de licenciement...

Vous avez beaucoup communiqué sur la nécessité de prendre en compte la pénibilité et sur le besoin de formation pour permettre des reconversions. Mais ces v_ux pieux sont absents de votre projet et la commission a rejeté tous les amendements sur la pénibilité. Vous vous êtes toutefois rendu compte du ridicule et vous avez incité votre majorité à déposer un amendement...

En portant à quarante deux ans la durée pour le public comme pour le privé, en modifiant l'indexation pour le public et la proratisation pour le privé, vous provoquez la baisse des pensions, refusant tout ce qui pourrait conduire à les augmenter, par exemple au profit des femmes qui ont élevé des enfants et qui ont des carrières incomplètes. Quant aux femmes exerçant des professions libérales, ce sont les grandes oubliées de votre réforme.

Et si vous proposez quelques avancées, au nom d'une idéologie rétrograde, vous en excluez les couples pacsés ou en union libre - que M. Sarkozy, lui, n'ignore pas dans sa loi sur l'immigration !

S'il faut une réforme, c'est pour renforcer la répartition et la solidarité. La vôtre aura pour seul effet de diminuer de façon considérable le niveau des pensions dans le public comme dans le privé. Les salariés des deux secteurs l'ont compris et manifestent depuis des semaines. Pour rétablir un minimum d'équité, nous défendrons une série d'amendements sur les thèmes que j'ai évoqués (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Guy Geoffroy - 53 ans, c'est l'âge moyen des membres de notre assemblée lorsqu'ils ont été installés dans leurs fonctions. C'est aussi celui des enfants du baby boom. Aussi avons-nous la grande responsabilité de légiférer enfin sur la grande question des retraites, si longtemps oubliée au détriment de ceux qui vont partir en retraite, mais plus encore de nos enfants et petits-enfants. Nous devons prendre nos responsabilités pour qu'à leur tour ils bénéficient de la solidarité de la nation.

La génération du baby boom, qui est désormais celle du papy boom..

Mme Martine Billard - Du mamy-boom !

M. Guy Geoffroy - ...se souvient du combat courageux de ceux qui, dans les années 1970, nous disaient, avec une certaine angoisse devant l'irresponsabilité naissante, qu'il fallait nous préoccuper de la démographie de notre pays. Le grand homme d'Etat que fut Michel Debré nous disait alors que les enfants qui ne naîtraient pas manqueraient un jour, celui où il faudrait payer l'addition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). A cette époque, on disait volontiers que la vie pouvait être facile, qu'il était interdit d'interdire, que les jeunes pouvaient s'affranchir de l'autorité puisque l'autodiscipline leur viendrait tout naturellement. L'avenir a malheureusement montré qu'il n'en était rien. Si les enseignants, qu'il faut saluer, doivent aujourd'hui mener un combat solitaire et difficile, c'est en raison des dérives où nous ont entraîné ceux qui ont cru que l'avenir se paierait à crédit.

Le jeune agent du service public que j'étais alors mit longtemps avant de retrouver ses esprits, lorsqu'au début des années 1980 on nomma ministre du temps libre le secrétaire général de la fédération de l'Éducation nationale !

M. le Rapporteur - Tout un symbole.

M. Patrick Bloche - Un beau symbole.

M. Guy Geoffroy - Quel exemple donné à notre jeunesse !

L'avenir allait s'inventer seul... Non, nous en sommes responsables. Nous le sommes à l'égard de ceux qui doivent pouvoir compter sur l'effort de solidarité de tous dans cette chaîne des générations qui font la grandeur d'un pays.

Mme Claude Greff, rapporteure de la délégation aux droits des femmes - Très bien.

M. Guy Geoffroy - Monsieur le ministre, nous vous remercions du fond du c_ur de ce travail que vous avez effectué avec patience et détermination, à l'écoute de tous, ce qui ne signifie pas forcément qu'on leur donne raison. Cette réforme met fin à des anachronismes et des inégalités, elle nous permet d'aborder l'avenir avec réalisme.

Il est normal, et c'est un fonctionnaire qui le dit, que tous les Français, quel que soit leur métier, cotisent pendant la même durée pour bénéficier des mêmes droits. La contrepartie en sera le maintien du montant des retraites. Il est mensonger de dire à des fonctionnaires, qui ne savent plus où ils en sont à force d'entendre des sornettes, qu'ils devront travailler au-delà de 65 ans pour toucher 60 % de leur revenu actuel. L'outrance est si grande...

M. le Rapporteur - Enorme !

M. Guy Geoffroy - ...que certains l'ont crue. Ceux qui auront travaillé jusqu'à 65 ans sans avoir fait une carrière complète toucheront une retraite proportionnelle sans décote.

Vous proposez également un certain nombre d'améliorations. D'abord, pour ceux qui ont eu de faibles salaires, le taux de remplacement augmente de façon considérable.

Mme Claude Greff, rapporteure - Tout à fait.

M. Guy Geoffroy - Le handicap est mieux pris en compte, comme la diversité des responsabilités qu'assument les femmes.

C'est donc une réforme dynamique et ambitieuse. Pourtant elle a beaucoup choqué les fonctionnaires. Il faut donc mieux l'expliquer - c'est notre travail - et en préciser certains aspects.

S'agissant d'abord du rachat des cotisations, ce que nous proposons est bon, mais il ne faut pas qu'on puisse l'interpréter comme on le fait, comme un marché de dupes.

Ensuite, surtout pour les enseignants, il faut travailler sur les évolutions et surtout les fins de carrière. Peut-on accepter que des enseignants, à 40 ou 45 ans, se considèrent incapables de remplir leur mission au-delà d'un certain âge ? Nous devons faire en sorte que les fins de carrière ne soient pas un drame...

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Guy Geoffroy - ...mais valorisent l'expérience accumulée dans un métier qu'ils ont exercé avec passion.

Depuis quelques années devant le problème des retraites, on nous a dit, « Courage, fuyons ». Ce nouveau gouvernement nous dit : « Courage avançons ».

M. le Président - Et courage, Fillon ! (Sourires)

M. Guy Geoffroy - La majorité avancera pour préparer l'avenir de nos enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Oui, une réforme est nécessaire, mais une réforme juste. Pour qu'elle le soit, la retraite doit refléter les conditions dans lesquelles s'est déroulée la vie de travail. Je parlerai seulement de la pénibilité. Cet élément essentiel, vous ne l'avez pas pris en compte, ou de manière ciblée.

M. le Ministre des affaires sociales - Je suis le premier à l'avoir fait !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Comment, dans ces conditions, les Français pourraient-ils adhérer à cette réforme ?

On sait bien qu'il existe une mortalité différentielle en fonction du métier et de ses conditions d'exercice. La probabilité de mourir entre 35 et 65 ans est de 12 % pour un homme cadre de la fonction publique, mais de 29 % pour un ouvrier non qualifié. Le travail n'en est pas seul responsable, mais c'est un facteur essentiel. Ce cadre homme a, à 60 ans, une espérance de vie de 22,5 années ; pour l'ouvrier elle est de 17 ans. Selon une autre étude, un cadre avait, à 60 ans, une espérance de vie de 17 ans sans incapacité et de 4,1 années avec une incapacité. Un ouvrier avait, lui, une espérance de vie de 12,8 années sans incapacité et de 5,3 années avec incapacité.

C'est donc bien une question d'équité qui se pose. Or il n'y a rien dans la loi à ce sujet et le rapporteur nous a dit en commission que le sujet était trop complexe pour être pris en compte.

Vous prétendez être les seuls à vous être penchés sur cette notion de pénibilité. Or le rapport remis au COR en mars dernier relève que la retraite à 60 ans a réglé en grande partie le problème. Dans les dernières années, une cessation d'activité plus précoce a été prévue pour les chauffeurs routiers et pour les convoyeurs de fonds. Il faut aller plus loin, nous en sommes tous d'accord, et vous devriez prendre la peine de m'écouter, Monsieur le ministre, car mes propos n'ont rien de politicien.

M. le Ministre des affaires sociales - Je vous écoute !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je suis profondément persuadée que la reconnaissance du critère de la pénibilité est un élément fondamental pour reconstruire le pacte social. Nous avons déposé des amendements en ce sens et nous verrons quelle sera votre réaction.

Se contenter de renvoyer à des négociations de branche ne suffit pas, car, comme le souligne le rapport du COR, sans un encadrement par la loi ces négociations sont vouées à l'échec.

Les personnels soignants ne sont pas les seuls à être concernés, bien d'autres professions aspirent à cet encadrement de la négociation par la loi. Il devrait porter sur trois points.

Le premier est la bonification d'années : vous l'avez offerte au personnel actif de la fonction publique hospitalière, c'est très bien, mais pourquoi ne pas la prévoir aussi pour le personnel de santé du secteur privé et d'autres métiers ?

Le deuxième aspect est ce que vous appelez « la seconde carrière » et que je nommerai plus simplement la possibilité d'évolution du travail. Je suis persuadée que la loi sur la validation des acquis que nous avons votée sous le gouvernement Jospin vous y aidera.

Le troisième aspect, c'est l'amélioration des conditions de travail. Avec la mobilisation pour la formation continue, c'est un élément essentiel pour donner aux Français un sentiment de plus grande équité.

Si la loi pose les principes-cadres qui permettront aux négociations de branche d'aboutir, alors oui, le pacte social pourra être reconstruit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Hervé Novelli - « En matière de retraites, ne rien faire aujourd'hui conduirait à terme à la condamnation de la répartition et à la rupture des solidarités essentielles... mettant finalement en péril la compétitivité de l'économie et aggravant le chômage ».

Ce jugement lucide a été prononcé en 1991 par Michel Rocard, alors Premier ministre.

Depuis, comme l'a souligné Jacques Attali, à part la réforme Balladur, il ne s'est rien passé, ou si peu : certes le COR a été utile et la création d'un fonds de réserve n'est pas négligeable, mais on ne peut parler de réforme.

Monsieur le ministre, je soutiens votre projet de loi au nom de l'équité, du pragmatisme et du réalisme.

Cette réforme est un premier pas vers l'équité car elle harmonise progressivement les durées de cotisation des régimes publics et privés : 40 ans pour tous en 2008, 42 ans en 2020.

Elle est une réponse pragmatique au vieillissement de la population constaté dans tous les pays européens. Ceux-ci y ont réagi par des réformes qui, toutes, visent à relever le taux d'emploi - la Suède dès 1999, l'Allemagne depuis 2002, l'Italie dès 1992, l'Espagne dès 1995. Par quel miracle la France serait-elle exemptée de cette réforme imposée par la nouvelle donne démographique ?

Enfin, le réalisme impose de choisir, parmi les options possibles pour assurer le financement des retraites, l'allongement de la durée des cotisations. La baisse du taux des pensions serait intolérable et l'augmentation des cotisations presque autant, nous dit Michel Rocard, encore lui, mais cette fois en 2003.

Des questions se posent cependant. L'équité est-elle totale ? Non. Beaucoup de pas restent à faire pour la garantir aux agriculteurs, aux artisans, aux commerçants et aux non-salariés en général.

On ne peut parler non plus d'équité quand on considère les régimes spéciaux, non couverts par la réforme.

Et même après l'adoption de ce projet, de larges inégalités subsisteront entre secteur public et secteur privé. La Cour des comptes a publié en avril 2003, dans une semi-discrétion, un rapport éloquent sur les retraites du secteur public.

L'âge moyen de départ en retraite reste de 61 ans et demi dans le régime général et de 57 ans et demi dans la fonction publique. Les fonctionnaires acquittent une cotisation de 7,85 %, les salariés de 11,35 %. Dans le privé, les vingt-cinq meilleures années sont prises en compte pour le calcul de la retraite, dans la fonction publique les six derniers mois, ce qui encourage les promotions tardives : près de 20 % des promotions y ont lieu dans cette période et même 40 % à la Poste !

Il faudra donc encore de nombreux rendez-vous pour parvenir à plus d'équité.

Quant au réalisme dont se targue cette réforme, il exige de parler chiffres et de prévoir l'équilibre du système en 2020.

En effet, sur les 43 milliards d'euros nécessaires, les mesures prévues dans le texte n'en apporteront qu'un peu plus de 40 %.

La prudence, l'équité, le pragmatisme, le réalisme commandent donc parallèlement de développer massivement dans notre pays l'épargne retraite volontaire, comme chez tous nos voisins.

Quelle exception française nous condamnerait à nous situer avec l'Autriche au dernier rang en matière de collecte d'épargne retraite volontaire par rapport au PIB ? Cette épargne, qui existe depuis longtemps au Royaume Uni, aux Pays-Bas, en Suisse, sécurise aujourd'hui le régime par répartition en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Suède. Vous l'avez bien compris, Monsieur le ministre, puisque c'est ce que vous proposez à l'article 79, mais qui renvoie toutefois à une autre loi le fonctionnement des plans d'épargne retraite. Nous avons perdu beaucoup de temps dans ce domaine. Nous pourrions certainement, si vous en êtes d'accord, préciser ce dispositif. Car un an de perdu dans ce domaine, c'est une moindre sécurité pour la retraite de tous les Français ! L'amendement cosigné par plusieurs députés UMP vise à instituer un système qui associe les partenaires sociaux, protège les salariés, sans cannibaliser le système par répartition.

Au total, ce texte important mérite notre adhésion. Il ouvre la voie au règlement d'un problème non résolu depuis des années. Mais surtout il marque le retour du volontarisme en politique, ce que nous demandent avec insistance nos concitoyens qui ont condamné lors des dernières élections, l'impuissance publique qui s'était manifestée depuis des années. Rendre possible ce qui est nécessaire, redonner pour rôle aux politiques de conduire notre destin collectif, sous le contrôle de nos concitoyens : telle est l'ambition de ce gouvernement. Il aura tout notre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Nous le savons et le disons tous, le système de retraite par répartition doit évoluer pour que sa pérennité soit garantie. Mais pour le consolider durablement, encore faut-il s'attaquer aux véritables problèmes et faire des choix équilibrés.

Or, votre projet est injuste. L'uniformité des mesures proposées crée de profondes injustices entre salariés puisque vous ne tenez pas compte des différences d'espérance de vie selon la pénibilité du métier exercé. Aucune différence pour vous entre un cadre, un ouvrier du bâtiment ou un manutentionnaire ! Tous verront leur durée de cotisation allongée d'égale façon.

Votre projet fait en outre l'impasse sur des points essentiels. Ainsi le niveau de l'emploi est un facteur déterminant pour le financement des retraites. Or, si vous retenez l'hypothèse, optimiste, d'un taux de chômage de 4,5 % à l'horizon 2010, votre politique économique et sociale, qui tourne le dos au plein emploi, n'est pas le meilleur gage en ce domaine. Alors que de 1997 à 2002, le gouvernement précédent avait contribué à la création de deux millions d'emplois et fait reculer le chômage d'un million, en une année seulement, l'action de votre Gouvernement s'est soldée par cent mille chômeurs de plus.

M. le Ministre des affaires sociales - Comment peut-on dire des choses pareilles ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Autre point important : l'âge de cessation effective d'activité. Le taux d'emploi des plus de 55 ans dans notre pays est l'un des plus bas d'Europe. Lorsque le gouvernement de Pierre Mauroy avait abaissé l'âge de la retraite à 60 ans, le patronat avait poussé des cris d'orfraie mais, dans les faits, ce sont les entreprises qui, en mettant à l'écart les salariés de plus de 50 ans, excluent du monde du travail des centaines de milliers de salariés jugés trop vieux et trop chers. A quoi sert d'augmenter la durée de cotisation si le taux d'emploi reste aussi faible au-delà de 50 ans, si ce n'est à diminuer le montant des pensions servies ? Et c'est bien cela qui inquiète les salariés. Vos réponses dérisoires sur le sujet ne sont pas de nature à apaiser leur angoisse à ce sujet. Monsieur Fillon, vous l'avez vous-même reconnu, « il serait difficile d'augmenter la durée de cotisation si l'on n'enregistrait aucun progrès quant à l'âge de cessation effective d'activité. » Vous vous donnez un délai de cinq ans pour faire le point et, éventuellement, imposer des mesures « drastiques » - c'est le terme que vous avez employé - aux entreprises. Ne sont-ce pas cinq ans de perdus, au détriment des salariés âgés ? Quant aux propos du président du Médef dans la presse ce matin, ils ne nous rassurent pas puisque celui-ci appelle à une « véritable révolution culturelle » pour que les entreprises conservent leurs salariés plus longtemps. Pour avoir travaillé trente ans dans des PME, je sais combien la principale crainte des salariés, après 50 ans, est d'être licenciés. Pourquoi les employeurs changeraient-ils brusquement de comportement si rien ou presque ne les y incite ?

Au total, votre réforme a été bâclée. Le Gouvernement a choisi de faire supporter l'effort par les seuls salariés et n'a pas véritablement négocié avec les partenaires sociaux. Ce sont les salariés et les retraités qui en feront les frais (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, ce matin, jeudi 12 juin, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 12 JUIN 2003

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 885) portant réforme des retraites.

M. Bernard ACCOYER, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Rapport n° 898)

M. François CALVET, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées. (Avis n° 895)

M. Xavier BERTRAND, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan. (Avis n° 899)

Mme Claude GREFF, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.(Rapport d'information n° 892)

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


© Assemblée nationale