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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2003-2004 - 3ème jour de séance, 8ème séance

1ère SÉANCE DU LUNDI 5 JUILLET 2004

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      ASSURANCE MALADIE (suite) 2

      AVANT L'ART. 2 (amendements précédemment réservés) 2

      ART. 2 (précédemment réservé) 10

La séance est ouverte à neuf heures trente.

ASSURANCE MALADIE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'assurance maladie.

AVANT L'ART. 2 (amendements précédemment réservés)

M. Jean-Marie Le Guen - Nous en venons ce matin au dossier médical personnel, qui va nous occuper un certain temps et sur lequel nous entendons travailler avec sérieux et obtenir du ministre les précisions qui s'imposent.

Nous touchons là, en effet, à des domaines extrêmement divers : choix techniques lourds, conciliations des impératifs de santé publique avec le respect des libertés individuelles, maîtrise des dépenses de santé, droits des malades, acceptabilité du dispositif par les professionnels de santé comme par les patients.

Dans la mesure où le dossier médical personnel sera à la fois un outil de régulation de la sécurité sociale, un outil de modernisation de l'offre de santé et un outil de santé publique, il nous paraît important que ces dispositions soient intégrées au code de la santé publique avant de l'être au code de la sécurité sociale. Tel est l'objet de notre amendement 8185 rectifié, qui vise également à rappeler que ce texte s'inscrit dans la continuité de la loi de mars 2002 sur les droits des malades.

Je souhaite donc que le ministre nous confirme clairement que la loi de 2002 s'appliquera sans restriction et que le dossier médical personnel ne sera pas un élément limitatif par rapport au cadre légal existant.

M. Bernard Accoyer - Il est clair que non !

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur de la commission spéciale - La commission a accepté cet amendement, qui consiste essentiellement à intégrer un article du code de santé publique dans le code de la sécurité sociale. Il nous paraît en effet important que le secret médical et le respect de la vie privée s'imposent aux équipes de professionnels de santé. De ce point de vue, nous attendons beaucoup des futurs décrets en Conseil d'Etat.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - Le Gouvernement est favorable à cet amendement important. J'ajoute que l'article L. 11-10-4 du code de la santé publique fait explicitement référence à la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades et que les décrets en Conseil d'Etat seront pris au plus vite après le vote de la loi.

M. Hervé Mariton - Notre groupe sera attentif au respect des droits des malades dans le cadre des progrès que ce texte marquera pour l'organisation de l'offre et de la demande de santé. Parce qu'il faudra trouver un équilibre entre ces deux impératifs, nous souhaitons que le ministre apporte dès ce matin un certain nombre de précisions.

Le dossier médical personnel est certainement, pour le public, l'un des éléments les plus concrets du projet. Ce dossier évoluera, et nous n'avons pas encore eu toutes les réponses que nous attendions. Bien sûr, la CNIL prendra position. Mais le législateur ne saurait s'abriter derrière elle.

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. Hervé Mariton - C'est au contraire à lui d'éclairer les autorités administratives, les organismes indépendants comme la CNIL et éventuellement les juges, car il en va de la qualité du système de soins comme des libertés publiques. Nous y veillerons au cours de cette discussion.

M. Claude Evin - Le dossier médical personnel est essentiel, mais je crains que l'on n'ait trop souvent tendance à réduire la réforme à ce seul élément, comme on l'a fait avec le carnet de santé lors du plan Juppé de novembre 1995.

A l'évidence, il faut collecter et partager les informations médicales concernant un patient. Mais il faut le faire pour des raisons de santé publique, et non pas seulement pour des préoccupations économiques, si légitimes soient-elles. Il faut aussi respecter le droit des personnes et donc, au-delà même des dispositions du code de la santé publique, les principes fondamentaux de protection de la vie privée énoncés par la Convention européenne des droits de l'homme. Nous y reviendrons en traitant du secret professionnel et de l'information des patients. A ce propos, d'ailleurs, distinguons bien l'accès au dossier médical personnel, qui devrait figurer dans le code de la santé plutôt que dans le code de la sécurité sociale, et l'accès du médecin aux données, tel qu'il est prévu à l'article 12, et qui se limite à la constatation d'une consommation médicale : s'il est normal que le médecin sache si tel examen biologique a été pratiqué, en connaître les résultats, c'est-à-dire pénétrer dans l'intimité de la personne, exige d'autres garanties de confidentialité.

M. François Guillaume - Nous sommes tous d'accord sur le partage des informations médicales. Mais n'est-il pas abusif de subordonner la consultation par le médecin à une autorisation du patient, qui serait requise également pour compléter le dossier ? Une telle restriction à l'information du médecin peut le conduire à demander de nouvelles investigations, inutilement coûteuses. J'aimerais connaître la position du ministre à ce sujet.

M. Pierre-Louis Fagniez - Je suis parfaitement d'accord avec M. Evin pour affirmer que le dossier médical personnel est un impératif de santé, et je dirai même de santé de la personne, avant de parler de santé publique.

M. Claude Evin et M. Jean-Marie Le Guen - Vous avez raison.

M. Pierre-Louis Fagniez - En revanche, il n'y a aucune honte à mes yeux à dire qu'une réforme de santé entraînera des économies pour la société. Quand on pense aux 6 milliards de dépenses inutiles mentionnées par le directeur général de la CNAM, des économies sont évidemment souhaitables !

M. le Ministre - Nous aurons assez de points de désaccord pour nous accorder sur le fait que le dossier médical personnel a pour objet premier la qualité des soins ; s'il permet également une meilleure gestion, notamment en évitant de actes redondants, c'est tant mieux.

M. Claude Evin - Evitons les faux débats. Bien entendu, mieux organiser le système de santé et l'information des professionnels aura des effets économiques. Mais l'objectif premier est la santé, et si les professionnels accèdent au dossier du patient, c'est dans l'intérêt même de ce dernier.

De ce fait, le dossier médical personnel aurait plutôt sa place dans le code de la santé publique, où figurent d'ailleurs des dispositions concernant le secret, la transmission des informations, les hébergeurs. Vous avez préféré le placer dans le code de la sécurité sociale, ce qui n'est pas un hasard. Nous vous demanderons donc d'introduire dans ce dernier des éléments du code de la santé. J'insiste au passage pour dissiper une confusion parfois faite avec l'accès des professionnels au dossier tel que le prévoit l'article 12. Dans ce dernier cas, il s'agit bien pour le médecin de savoir, par exemple, que le patient a déjà consulté un psychiatre, non de connaître le diagnostic porté par celui-ci.

Enfin, M. Guillaume a soulevé un sujet important, et il m'importe de le contredire. Les informations contenues dans le dossier médical sont la propriété du patient. On ne peut aller contre son droit fondamental de limiter l'accès à ces données. En tout état de cause, il appartiendra au praticien de convaincre le patient qu'il est de son intérêt que telle ou telle information figure dans son dossier médical, mais le patient doit pouvoir refuser. C'est assurément l'une des limites du DMP - dont il ne faut donc pas tout attendre, Monsieur le ministre - mais elle relève des droits fondamentaux de la personne.

Mme Martine Billard - Nous devons être précis, car en mettant en place le DMP, nous engageons la politique de la santé pour des années. J'ai le sentiment, Monsieur Guillaume, que vous partez de l'idée que les médecins savent mieux que les malades ce qui est bon pour ces derniers. Je crois, pour ma part, que l'on ne fait pas le bonheur des gens - ni leur santé - contre leur gré. En réalité, maladies contagieuses mises à part, rien ne peut obliger quelqu'un à déclarer ce qu'il n'a pas envie de déclarer, de même qu'on ne peut l'obliger à se soigner. Les êtres humains ont le droit de décider de leur vie, et il ne faut pas que le DMP devienne une sorte de « Big Brother » qui les dépossède de cette maîtrise.

Le DMP peut être un instrument d'économies dans la mesure où il évitera de refaire certains examens, mais il faut bien l'encadrer et songer aussi au risque de piratage des données, sachant que nous vivons dans un monde d'interconnexion totale où même le Pentagone n'est pas inviolable. L'échéance proposée par le ministre ne me semble donc pas tout à fait réaliste, si l'on veut que le DMP soit un outil à la fois efficace et respectueux du droit des personnes.

M. Jean-Marie Le Guen - Il faut distinguer la question du secret médical de celle du droit des malades. Avec cet amendement, nous traitons du droit des malades, en disant que le DMP appartient au malade et que celui-ci a donc le droit de demander la suppression de certaines mentions - ce qui est aussi un problème différent de celui de la confidentialité.

M. le Président - Je vais mettre aux voix l'amendement 8185 rectifié, qui a été repoussé par la commission...

M. le Rapporteur - Non, la commission l'avait accepté sous réserve d'un certain nombre de rectifications, qui ont été faites.

L'amendement 8185 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Nous en arrivons aux amendements identiques 8037 à 8051.

M. Jean-Marie Le Guen - Notre amendement 8037 traite d'un des aspects de la faisabilité du DMP, à savoir l'informatisation des cabinets médicaux. On me dira que celle-ci est déjà bien avancée, mais si l'on parle d'une informatisation rendant les professionnels capables de travailler en réseau, ce n'est pas le cas. Une partie importante du corps médical manque de l'équipement et du savoir-faire de base. De plus, il existe une centaine de programmes, qui correspondent chacun à des langages informatiques et médicaux différents, de sorte que leur interopérabilité est loin d'être assurée. C'est en fait une véritable tour de Babel !

On ne pourra donc pas mettre le DMP en place du jour au lendemain, ni même en deux ans. Cela supposera un effort de formation considérable de la part des professionnels de santé. Et ne pensez pas, Monsieur le Ministre, que cette contrainte technologique assurera la réorganisation du système de soins : elle ne le fera pas plus que ne l'avait fait, naguère, la contrainte financière que représentait l'enveloppe globale décidée dans le cadre de la réforme Juppé. Non, le DMP ne sera que l'un des éléments de cette réorganisation, il ne saurait se substituer à elle. Et ce d'autant moins que le corps médical, plutôt individualiste, aura besoin de temps pour se former et s'approprier les nouvelles technologies.

Mme Elisabeth Guigou - Nous considérons que, dans son principe, le DMP peut servir utilement à coordonner les soins entre les professionnels de santé. Nous avions d'ailleurs entrepris cette démarche avec la loi sur la protection des malades.

Mais nous ne croyons pas du tout que le DMP puisse être un préalable à la réforme de l'organisation des soins. Il n'en peut être à nos yeux que l'aboutissement, et entre temps vous laissez de côté beaucoup de questions que nous avons déjà soulevées. Le DMP ne peut pas non plus être le principal instrument des économies que vous voulez réaliser. D'abord, il coûtera cher à créer et à faire fonctionner, et ce ne doit pas être à la charge des professionnels de santé - tel est le sens de mon amendement 8044. Si le DMP doit permettre un jour de réaliser des économies, ce ne sera pas avant longtemps. Sa principale fonction est bien d'améliorer la qualité et la coordination des soins. Quant à son contenu, qu'en sera-t-il des droits constitutionnels du patient, que votre projet ne nous paraît garantir que très imparfaitement ? Et comment ce DMP sera-t-il mis en place, dans quels délais, sur quelles bases ?

Dans la gestion même du DMP, jamais vous ne présentez le patient comme acteur de sa propre histoire. Il y a là la source d'un déséquilibre fondamental.

M. Alain Claeys - « Pas de faux débat, nous sommes tous d'accord », avez-vous dit, Monsieur le ministre. De fait, le DMP peut concourir à la réalisation d'objectifs de santé publique. En revanche nous divergeons fortement sur les conditions de son application. Outre la compatibilité du DMP avec les dispositions de la loi Kouchner sur les droits des malades, il y a, comme l'a dit M. Fagniez, l'aspect économique des choses. Vous annoncez l'objectif de 3,5 milliards d'économies, mais vous ne dites à peu près rien du coût et de la faisabilité du dossier.

Nous considérons que le DMP doit être l'aboutissement de la réorganisation de notre système de soins. C'est seulement ainsi qu'il prendra toute son efficacité. Votre logique à vous est différente : vous voulez, avant toute réforme, mettre en place le DMP, qui devrait selon vous entraîner la réorganisation des soins. Or cette démarche peut tuer la bonne idée qu'est le DMP. En effet si celui-ci n'est pas en place en 2007, il n'y aura pas pour lui de seconde chance. Dès lors pourquoi vouloir à tout prix le créer avant même d'avoir mené à bien la nouvelle organisation des soins ? En outre, les acteurs de la santé sont-ils aujourd'hui techniquement capables d'élaborer le DMP ? Et qui financera l'opération ?

M. Claude Evin - De fait, nous avons besoin que vous nous éclairiez précisément sur la façon dont le DMP sera mis en place. Réunir des informations médicales n'est pas une démarche nouvelle. Celle-ci a commencé avec le carnet de santé issu des ordonnances de 1996. On a pensé ensuite que la carte Vitale 2 pourrait comporter un volet de données médicales, mais ses limites sont vite apparues, d'où l'idée d'un dossier médical plus conséquent. Vous ouvrez aujourd'hui une nouvelle perspective, dont nous ne contestons pas le principe, mais nous voulons savoir qui pilotera la mise en place du DMP. Le ministère, et si oui, sous quelle forme ? Ou bien la CNAM, qui dispose des moyens financiers ?

Cette question de maîtrise d'œuvre non résolue conduit à une confrontation entre l'administration centrale et la CNAM, qui a pour effet de freiner la mise en place du nouveau dispositif. Dans ces conditions, comment respecter l'échéance de juillet 2007 ? La crédibilité même de votre projet doit vous conduire à clarifier les conditions de sa montée en charge dans les tout prochains mois. Sinon, le 1er juillet 2007, - mais il est vrai que vous ne serez plus là pour le voir (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) -, où en sera le dossier dont nous aurons alors la responsabilité ? (Mêmes mouvements)

M. Alain Vidalies - Au-delà du vœu pieux, voyons les questions concrètes. Le rapport commandé par votre prédécesseur à M. Fieschi fait le constat d'une très grande hétérogénéité dans l'équipement informatique des médecins libéraux. De plus, vos encouragements à généraliser la transmission des données par l'internet se heurte au fait que l'équipement de l'ensemble du territoire en haut débit est loin d'être complet. Ce même rapport rappelait que « la connexion sur Internet à haut débit n'est actuellement pas possible sur tout le territoire » ; s'apprête-t-on à pénaliser encore davantage, par la mise en œuvre du DMP, les personnes qui vivent dans ces régions les moins favorisées ?

Quant au coût d'exploitation annoncé, il est estimé pour un volume minimum de dossiers de l'ordre du million, entre 30 centimes d'euro et 30 euros par mois et par dossier, soit une fourchette de 1 à 100 ! J'ai d'ailleurs noté le peu d'enthousiasme du rapporteur, qui écrit à la page 105 : « Selon les informations fournies au rapporteur, le financement de la mise en place du dossier médical personnel sera supporté par les régimes de l'assurance maladie ; les gains attendus devraient, à terme, excéder les dépenses engagées, qui seront malgré tout considérables »... Autant dire qu'on est plus dans le rêve que dans la réalité !

Mme Catherine Génisson - Le dossier médical personnel doit améliorer la qualité de prise en charge du patient. A cet égard, je voudrais vous interroger sur l'informatisation des hôpitaux : ils sont informatisés, mais de façon très hétérogène, et les connexions entre les différents systèmes informatiques sont rarement possibles.

M. le Rapporteur - Revenons à l'amendement. Son exposé sommaire fait état de chiffres - 10 euros par dossier et par an, 600 millions d'euros par an au total - dont on peut se demander sur quoi ils reposent...

M. Jean-Marie Le Guen - Donnez-nous les vôtres !

M. le Rapporteur - Pour ma part, je n'ai aucun scrupule à avoir écrit la phrase que vous avez citée, Monsieur Vidalies : oui, cela va coûter au départ, mais à terme les économies réalisées devraient être conséquentes. Du reste, il faut sortir de ces aspects purement économiques (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), car il s'agit de la qualité des soins : moi, je tiens à féliciter les ministres d'avoir enfin osé franchir le pas !

Mme Génisson a raison de soulever le problème de l'équipement des hôpitaux. Ils disposent souvent de logiciels à visée administrative ; d'après une étude récente, 30 % d'entre eux seulement seraient équipés avec des logiciels à visée médicale.

Mme Catherine Génisson - Ce n'est pas beaucoup...

M. le Rapporteur - Quant aux cabinets de médecins libéraux, ils seraient 80 % à être équipés, mais plus de 150 logiciels différents sont utilisés ; il faudra les rendre compatibles, et par ailleurs tenir compte des normes européennes.

En tout cas, cet amendement est inutile et la commission l'a repoussé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - La plupart des médecins ont informatisé leur cabinet, et ils ont pris l'engagement de nous aider à faire avancer cette réforme.

Le Gouvernement s'attache, certes, à garantir le retour de l'assurance maladie à l'équilibre financier ; il veillera donc à ce que les coûts de gestion du DMP soient réduits. Les études actuelles les situent entre 5 et 7 euros par dossier et par an.

En ce qui concerne le haut débit, notre pays rattrape son retard à très grande allure : il y avait 600 000 abonnés en 2002, on en compte 4 millions aujourd'hui. L'informatique médicale suit le mouvement : + 40 % en un an. Plus de 78 % des généralistes font de la télétransmission. Une vraie révolution est donc en train de s'opérer. Les syndicats médicaux s'accordent à penser que, le 1er janvier 2007, tous les médecins seront informatisés. Nous verrons dans les discussions conventionnelles s'il est nécessaire de les aider. Le problème majeur, notamment pour les hôpitaux, est celui de la compatibilité des logiciels entre eux.

Le dossier médical personnel sera un apport fondamental dans la mesure où il sera obligatoire. Il devra respecter la loi de 2002 sur les droits des malades : nous verrons ensemble comment. Par ailleurs, il fait partie d'un ensemble : s'y ajoutent, pour atteindre le gain de 3,5 milliards escompté, le parcours personnalisé et le meilleur usage des médicaments.

M. Alain Claeys - Les propos du rapporteur ne sont pas de nature à nous rassurer ! Quand on parle de la santé du malade, on nous oppose des considérations économiques, et maintenant qu'on s'en préoccupe, on nous renvoie à la santé ! Les deux sujets aussi importants l'un que l'autre, et nous n'avons pas eu de vraies réponses à nos questions, notamment en matière de financement et de faisabilité technique.

Quant au ministre, il estime que le DMP est une bonne mesure parce qu'il est obligatoire ! Mais à quoi servira-t-il si l'exercice de certains fait obstacle à son utilisation ? Le projet de loi, tel qu'il est rédigé, court à l'échec, et l'on peut craindre que cette bonne voie qu'est le DMP soit ruinée pour longtemps.

M. Jean-Luc Préel - C'est pourquoi il faut qu'elle réussisse !

M. Jean-Marie Le Guen - L'idée du dossier médical personnel électronique est excellente, et nous ne nous laisserons pas distraire par des polémiques. Nous prendrons au contraire le temps pour que ce dossier mal parti ne finisse pas comme celui du carnet de santé ou de la carte Vitale (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) .

M. Jean-Luc Préel - Trop facile !

M. Jean-Marie Le Guen - Nous venons de connaître une série d'échecs, ou du moins d'insuffisances qui ont coûté des fortunes à l'assurance maladie. Le volontarisme ne suffit pas. Il faut conduire la réforme, et non pas se satisfaire d'un gadget.

Mme Claude Greff - C'était votre méthode ! Nous, nous gérons !

M. Jean-Marie Le Guen - Bien sûr, et ça donne le déficit que nous connaissons !

M. Yves Simon - C'était le vôtre !

M. Jean-Marie Le Guen - Concrètement, combien ce dispositif coûtera-t-il aux professionnels de santé ? Ne devrait-il pas être pris en charge par la collectivité publique, par exemple par l'assurance maladie, comme le suggérait assez logiquement le rapporteur ?

M. le Rapporteur - Merci !

M. Jean-Marie Le Guen - Il pourrait tout aussi bien l'être par l'Etat, en particulier pour le secteur hospitalier, où il y a du chemin à faire !

M. Claude Evin - Nous n'avons pas eu de réponses à nos questions. S'agissant du coût, il sera forcément assuré par la collectivité, au travers de l'impôt, ou des cotisations sociales. Vous l'avez vous-même reconnu, Monsieur le ministre : il y aura un problème de compatibilité, qu'il s'agisse de l'accès aux données ou du traitement des informations. Quand et comment allez-vous procéder aux arbitrages qui s'imposent ? Nous adhérons tous au principe, mais il faut clarifier les modalités.

M. le Ministre - Tout d'abord, Monsieur Le Guen, arrêtons ces effets de manche sur les « dossiers mal partis », car on pourrait tout autant parler de « députés mal préparés » ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

La consultation du DMP par l'internet suffit à elle seule à faciliter l'inter-opérabilité, notamment au niveau des hôpitaux. Le DMP tire donc le système vers le haut

Mme Catherine Génisson - Votre réponse est incomplète. Il est essentiel que des protocoles préalables déterminent le contenu du dossier médical !

M. Yves Simon - On ne va pas le faire ici !

Mme Catherine Génisson - C'est une question qui nous poursuit depuis le début de nos carrières professionnelles....

M. le Ministre - Pas la vôtre !

Mme Catherine Génisson - On parlait alors de dossier personnel unique. Vous ne pourrez pas faire l'économie d'un diagnostic des difficultés de sa mise en place, si vous voulez qu'il soit opérationnel dans les délais que vous avez dits - et que nous jugeons irréalistes.

M. le Ministre - Pour vous !

M. Jean Dionis du Séjour - Permettez à l'ingénieur que je suis de lire une petite mise au point. S'il est incontestable que l'internet banalisera et facilitera l'accès aux données du DMP, il n'est pas moins incontestable que les hôpitaux ont aujourd'hui leurs propres logiciels, qui peuvent être différents, et que la question des protocoles se pose.

M. Claude Evin - Je remercie M. Dionis du Séjour de son utile mise au point...

M. le Ministre - Moi aussi !

M. Claude Evin - Si le recours à l'internet facilite la circulation de l'information, notre collègue vient de démontrer que, contrairement à ce que vous laissez entendre, cela ne règle pas toutes les questions et, en particulier, pas celle que je posais.

Mais mon propos ici est surtout de m'élever contre l'attitude du ministre, qui a parlé de « députés mal préparés » ! Il est inacceptable qu'on insulte ainsi la représentation nationale...

M. le Ministre - « Dossier mal parti » n'était guère mieux !

M. Claude Evin - C'est une appréciation qui relevait de notre débat et, au reste, ce n'est pas moi qui l'ai formulée. Mais, en la retournant contre les députés comme vous l'avez fait, je maintiens que vous avez manqué de respect à l'égard de la représentation nationale. En effet, si nous ne sommes pas suffisamment « préparés » à cette discussion, n'est-ce pas parce que le projet nous a été soumis quelques jours seulement après son approbation par le conseil des ministres et parce qu'ensuite vous avez refusé le renvoi en commission qui s'imposait ?

J'espère que votre propos ne relevait que d'un « dérapage ». S'il en était autrement, croyez bien que nous saurons vous rappeler à la courtoisie.

M. le Rapporteur - Lorsqu'on n'a pas d'argument clair et convaincant à opposer à une disposition dont on sent bien d'ailleurs qu'elle est nécessaire, soit on réagit comme vient de le faire M. Evin (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), soit on fait mine de se projeter dans l'avenir pour jouer les oiseaux de mauvais augure et l'on prophétise que cette disposition sera inapplicable. Mais la seule question qui vaille aujourd'hui, c'est de savoir si on accepte ou non cette idée de dossier médical personnel lorsqu'elle est sur le point de se concrétiser, après des années de débat !

Ces amendements témoignent pour une fois d'une sorte de compassion du groupe socialiste à l'égard des professionnels de santé (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), mais ils sont, je le répète, inutiles.

M. Jean-Marie Le Guen - Nous ne nous laisserons pas entraîner dans la polémique et nous continuerons de poser toutes les questions qui nous paraissent utiles, en faisant ce qu'il faut pour qu'elles reçoivent réponse, même si, pour cela, nous devons nous laisser insulter par le ministre et interpeller par le rapporteur. Mais, comme je pense que tous deux ont besoin d'un peu de repos pour se rafraîchir les idées, je demande une suspension de séance d'un quart d'heure.

M. le Président - Le groupe socialiste ayant largement eu la parole depuis une heure et demie, je pense que vous vous contenterez de moins... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

La séance, suspendue à 11 heures 5, est reprise à 11 heures 15.

M. le Président - Je mets aux voix les amendements 8037 à 8051...

M. Jean-Marie Le Guen - Je demande un scrutin public !

M. le Président - Trop tard : le vote était annoncé.

Les amendements 8037 à 8051, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Marie Le Guen - Nous ferons savoir aux professionnels de santé que le gouvernement et la majorité n'ont pas souhaité donner de garanties quant au coût financier du DMP ! Le Conseil de l'ordre et les organisations syndicales qui lancent actuellement des pétitions contre l'instauration brutale et centralisée de ce dossier y seront sans doute sensibles... Faute de répondre à des préoccupations qui s'expriment bien au-delà du groupe socialiste, vous allez au fiasco !

J'en viens à notre amendement 8179, qui vise à ce que le Parlement soit associé au suivi de la mise en œuvre du DMP. Cela paraît d'autant plus nécessaire que des garanties doivent être apportées aux patients comme aux professionnels, que vous n'avez pas mesuré les conséquences juridiques de cette mesure, en ces temps de judiciarisation des questions de santé et que vous n'avez pas mesuré toutes les conséquences de cette initiative.

M. le Rapporteur - Encore un rapport ! Jadis, quand on voulait enterrer une question, on créait une commission, maintenant, on lance une expérimentation et on demande un rapport à son propos... Mais des expériences sont déjà menées par les généralistes du Nord-Pas-de-Calais, par la MGEN avec son site pilote de Toulouse et par d'autres, que cite le rapport Fieschi. Il n'y a donc vraiment pas lieu de retarder le DMP que nous appelons tous de nos vœux et la commission a donc rejeté cet amendement.

M. le Ministre - Le gouvernement y est défavorable. Une expérimentation est prévue dès cet été, ensuite le dispositif montera en charge pour être généralisé le 1er janvier 2007.

Monsieur Le Guen, vous me paraissez bien isolé puisque 90 % des médecins sont prêts à passer au DMP...

M. Jean-Marie Le Guen - On en reparlera !

M. le Président - Désormais, je ne donnerai plus la parole qu'à un orateur pour répondre à la commission et à un autre pour répondre au gouvernement.

M. Gérard Bapt - On sait que le Président Dubernard a une sainte horreur des rapports, mais il en est d'utiles... Chacun mesure les difficultés techniques, éthiques et financières du DMP. La note de la Direction de la prévision estime qu'il coûtera 300 millions en 2005 et autant en 2007, pour quel bénéfice ?

Il paraît donc vraiment essentiel que le Parlement soit informé, si ce n'est par un rapport, du moins par la création d'une commission de suivi, comme nous le proposerons dans un instant.

M. Alain Vidalies - Le débat ne porte pas sur la création du DMP mais sur le mode opératoire choisi.

Ainsi, sur le coût, les estimations vont de 30 centimes à 30 euros. Le ministre nous a dit 7 euros, mais ce chiffre n'est fondé sur aucune étude d'impact.

S'agissant de la faisabilité technique, il ne suffit pas de dire qu'internet est un merveilleux instrument. Même avec 4 millions de connexions haut débit, de nombreuses zones en resteront privées faute de rentabilité financière pour les opérateurs. En outre, le rapport Fieschi montre bien que c'est surtout le manque d'homogénéité des langages de saisie qui posera problème : « La sémantique des données médicales est difficile à préciser et à partager. Elle est un préalable aux systèmes d'information interopérables gérant des données structurées. A court terme, l'état des systèmes d'information de santé dans le pays interdit d'approcher la question sous l'angle de systèmes d'informations structurées. ».

Le travail préparatoire n'a donc pas été fait et on peut craindre un fiasco analogue à celui qu'a connu en Allemagne la tentative de financer les autoroutes en repérant les camions par GPS...

M. Hervé Mariton - Le lien intellectuel est ténu...

M. Alain Vidalies - Vous voulez absolument avancer bien que les difficultés techniques ne soient pas réglées, ce que confirme le rapport de la commission spéciale. Dans ces conditions, associer la représentation nationale au suivi serait vraiment la moindre des choses.

L'amendement 8179, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gérard Bapt - M. Vidalies a bien montré que les questions techniques ne sont pas réglées et nous proposons donc, par l'amendement 8180, que le gouvernement détermine les conditions de création d'une commission de suivi de la mise en place du DMP. Cela nous paraîtrait un acte normal dans le cadre du contrôle parlementaire.

M. le Rapporteur - La commission l'a repoussé, estimant que les commissions compétentes des deux assemblées pouvaient s'acquitter de cette tâche, qui pourrait également être confiée à un organisme dont nous étudierons ultérieurement la création.

M. le Ministre - Même avis.

M. Hervé Mariton - Cet amendement est peu respectueux des droits du Parlement. Bien entendu, il est de sa responsabilité d'assurer un tel suivi. Mais c'est à lui de définir les conditions de son travail.

M. Jean-Marie Le Guen - Puisque le rapporteur a indiqué que nous reviendrons sur le contrôle parlementaire, je retire l'amendement 8180. Le Parlement travaille déjà , d'ailleurs. Ainsi, l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques va rendre, dans quelques jours malheureusement, un rapport que lui a demandé la commission des affaires sociales. Selon les informations fournies par le Quotidien du médecin, moins de 5% des hôpitaux ont informatisé les dossiers de patients. Pour généraliser le dossier médical personnel, il faudrait investir, selon la Mutualité, jusqu'à 10 milliards ! Outre les problèmes financiers, il existe bien des obstacles, déontologiques, techniques et juridiques. Je ne reviens pas sur la possibilité de différencier un dossier contenant des informations neutres accessibles aux malades et un autre accessible aux professionnels. En tout cas, je souhaite relativiser les certitudes de certains qui, entraînés par leurs convictions militantes, négligeraient une approche plus objective.

M. Jean-Luc Préel - Les deux ne sont pas incompatibles !

M. Jean-Marie Le Guen - En raison de ces obstacles, le rapport Fieschi demande de procéder par étapes, par expérimentation. Vous faites l'inverse.

ART. 2 (précédemment réservé)

M. Jean-Marie Le Guen - Vous avez sorti le dossier médical personnel de votre chapeau pour faire passer de la façon la moins douloureuse possible votre plan d'économies et pour satisfaire à ceux qui soulignent que la priorité est de décloisonner le système de soins. L'idée d'aboutir, grâce à la numérisation des données, à une sorte de mémoire de notre identité sanitaire, n'est pas neuve. Mais la réalisation serait beaucoup plus complexe que ne le laisse supposer une vision naïve de la technologie. Evitons de renouveler le fiasco du carnet de santé, de la carte Vitale ou même du réseau de santé sociale

Actuellement, cet article pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Par exemple, l'exhaustivité de l'information médicale que vous semblez rechercher est impossible. Les patients auront-ils à tout moment la possibilité de faire supprimer certains éléments du dossier ? Pourquoi choisir un hébergeur unique, qui n'assure pas au mieux la confidentialité et la sécurité en cas de panne ou d'attaque informatique, alors que des solutions décentralisées sont possibles ? Cet hébergeur sera-t-il vraiment neutre, étant donné ce qu'est le marché de la santé ? Nous avons déjà dit que les réseaux hospitaliers étaient peu compatibles. Le secret médical sera-t-il garanti, si tous les professionnels de santé ont accès au dossier de chaque patient ? Quelles seront les conséquences juridiques pour le praticien et le malade ? A tout cela, l'article ne répond pas. Contrairement à ce que préconise le rapport Fieschi, il propose des solutions brutales, autoritaires. Nous redoutons donc un échec préjudiciable au système de santé.

En fait, ce dossier médical personnel est un substitut à une réforme de l'organisation des soins à laquelle vous ne procédez pas. Mais vouloir faire de ce dossier un outil pour la santé de chacun et un moyen de contrôle des prescripteurs, dans la vision financière qui est la vôtre, est contradictoire. Vous voulez faire croire que vous réaliserez 3,5 milliards d'économies en 2007, alors que vous n'avez pas le courage politique de réorganiser le système de soins. Une bonne idée risque ainsi d'échouer parce que vous la réduisez à un artifice.

M. Richard Mallié - Enfin, avec l'article 2 nous arrivons à l'essentiel : dépenser mieux pour soigner mieux. Pourquoi refuser d'utiliser tous les outils technologiques à notre disposition ? Certes, le malade a des droits. Mais la collectivité a le droit de lui dire que s'il s'intègre dans un système, elle le couvre et que s'il ne s'y intègre pas, elle ne lui assure pas cette couverture. Il conserve sa liberté

M. Claude Evin - Ce n'est pas vrai !

M. Richard Mallié - Il pourra toujours aller consulter qui il veut, et ne pas avoir de dossier médical personnel, mais il ne sera pas remboursé.

M. Jean-Marie Le Guen - C'est de plus en plus clair !

M. Richard Mallié - Quant aux praticiens prescripteurs -pas seulement les médecins- il faut absolument qu'ils aient accès à ce dossier médical personnel. On peut concevoir un dossier contenant des informations fournies par le patient, et un autre avec des données fournies par les praticiens. Tout le monde n'aurait pas accès à toutes ces données, mais le contrôle est facile à établir. On pourrait également songer à un rapprochement avec le dossier qu'établissent déjà les pharmaciens.

On peut certes se demander s'il faut faire figurer en toutes lettres l'affection psychiatrique dont souffre quelqu'un, par exemple la paranoïa. On comprend qu'un patient ne le souhaite pas. D'un autre côté, si l'affection en question peut constituer une menace pour le praticien, cela peut être utile.

Le DMP peut aussi être utile pour les urgences. Je me rappelle avoir pu un jour renseigner le médecin du Samu sur un accidenté de la route qu'il fallait désincarcérer et qui avait été un de mes patients. En de telles circonstances, il pourrait être d'une importance vitale d'accéder au DMP.

L'opposition nous fait un procès d'intention sur ce sujet, mais je crois que les trois ans dont nous disposons pour mettre au point cet outil, qui sera un facteur d'économies, constituent une garantie.

Mme Martine Billard - Nous voici repartis sur le fantasme de tout savoir sur une personne et de tout contrôler. Dépenser mieux pour soigner mieux, nous dit-on. Mais on voit bien, en l'occurrence, que ceux qui n'auraient pas envie que leur dossier soit consulté pourraient l'éviter à condition de payer de leur poche, tandis que ceux qui n'auraient pas les moyens de payer seraient obligés d'accepter que l'on accède à leur dossier.

Le DMP peut certes être un outil utile pour éviter des examens redondants ou des accidents liés à des prescriptions contradictoires, mais il ne faut pas prétendre en faire un outil de contrôle absolu et il convient même de se méfier de l'usage que pourraient en faire certains opérateurs, je pense notamment aux assurance, aux banques et aux employeurs. Il faut donc prendre un certain nombre de précautions.

Et le Gouvernement doit répondre à un certain nombre de questions. Le dossier médical personnel sera-t-il obligatoire ou non ? Le rapporteur dit que non. Le patient aura-t-il la maîtrise de ce qui y sera inscrit ? Pourra-t-il en refuser l'accès ? Si tel est bien le cas, il faut le préciser par amendement.

J'ajoute que ce n'est pas parce que l'on place un tuyau entre deux réservoirs, l'un d'huile, l'autre d'eau, que l'on fait communiquer les deux. Autrement dit, pour qu'il y ait transmission entre deux systèmes, il faut qu'il y ait compatibilité des stockages et des échanges. Or, les différentes bases de données de santé sont actuellement très hétérogènes, qu'il s'agisse des données de l'hôpital, de celles de la CNAM, des centres de santé ou des médecins libéraux. Si l'on doit, à partir de ces systèmes de stockage incompatibles, créer une base de données unique, cela prendra du temps et je sais de quoi je parle, car j'ai travaillé pendant dix ans sur les échanges et la conversion de données.

Par ailleurs, il faut s'entendre sur la manière dont se fera la saisie, autrement dit sur la conception technique du DMP. Quel sera le cahier des charges ? Je comprends bien que l'on ne va pas le définir dans la loi, mais il ne faut pas que l'administration ait seule la charge de cette conception technique. Je suggère donc de créer une structure à cet effet, qui associe des médecins, des usagers, des associations des droits de l'homme et des parlementaires. Sinon, on en restera à la conception des informaticiens, dont je sais, pour en être, qu'il faut se méfier. Il y a certes des systèmes comprenant énormément de données dont l'informatisation a été réussie, je pense par exemple à celle de la SNCF, de la CNAM ou de la BNF, mais la réussite suppose un certain nombre de réflexions préalables et aussi que l'on se donne le temps nécessaire, étant entendu qu'une erreur de saisie sur des données de santé pourrait avoir des conséquences dramatiques.

M. Jean-Marie Le Guen - D'ailleurs, qui serait responsable dans ce cas ?

Mme Martine Billard - Bonne question. Il faut bien voir aussi que, comme il n'y aura qu'un seul logiciel, l'entreprise qui l'aura détiendra un pouvoir fantastique. De même n'y aura-t-il qu'un seul hébergeur. Il faudra absolument qu'il soit public.

M. Jean-Claude Sandrier - Personne ne conteste l'idée qu'un dossier mis en commun peut éviter des actes redondants et améliorer les protocoles. L'information fait partie intégrante de la relation de soins et elle doit permettre à la personne concernée de prendre, avec le professionnel de santé, les meilleures décisions concernant sa santé. Elle contribue ainsi à l'amélioration de la qualité des soins.

Mais tous ceux qui détiennent cette information doivent bien sûr en assurer la confidentialité vis-à-vis de tiers - famille, employeur, banquier, assureur et autres.

Il est regrettable que dans l'esprit de ses promoteurs, le dossier personnel n'ait pas seulement pour but de mieux satisfaire les besoins, mais aussi de réduire les dépenses de santé, comme l'écrit en toutes lettres le rapporteur, qui parle de donner aux gestionnaires de l'assurance maladie « les moyens de contrôler le parcours du patient, voire l'activité des professionnels de santé ». Il est donc à craindre qu'il serve à terme à réduire le périmètre des dépenses remboursées, donc à accroître le marché offert aux appétits du privé, étant entendu que les assureurs complémentaires feront tout pour éviter les mauvais risques. Les mutuelles à but non lucratif risquent elles aussi de perdre leur éthique dans cette jungle, étant donné la directive européenne qui les oblige aux mêmes critères de rentabilité que les assurances.

Le législateur doit donc prendre un grand nombre de précautions concernant l'utilisation de ces données informatisées. Nous en proposerons quelques unes. Elles sont d'autant plus nécessaires que l'on vient de nous expliquer qu'un patient pourrait toujours refuser l'accès à son dossier, mais qu'il serait alors privé de remboursement. Si l'on est riche, on aura donc les moyens de refuser, mais si l'on est pauvre, on sera contraint d'accepter.

M. Jean Dionis du Séjour - Pour avoir rédigé avec le sénateur Jean-Claude Etienne un rapport sur les télécommunications à haut débit au service du système de santé, je peux apporter un début de contribution de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques. Nous avions travaillé sur trois sujets : le dossier médical, la certification de l'information médicale sur le Web et la télémédecine.

Concernant le premier sujet, nous sommes arrivés à la conviction qu'il s'agissait là d'une vraie réforme de structure, qui pouvait contribuer, pour peu que l'on se donne le temps et les moyens nécessaires, au décloisonnement du système de santé. Cette réforme est-elle possible dès maintenant ou faut-il encore attendre ?

Notre pays possède la maturité informatique pour se lancer. Aujourd'hui, 40 % des Français utilisent au moins occasionnellement internet ; ils seront 70 % en 2007. Quatre millions de personnes ont actuellement accès au haut débit, et là la progression est très rapide puisqu'on en comptera plus de dix millions dans trois ans. L'opérateur national a d'ailleurs compris qu'une partie de son avenir se jouait dans ce domaine, puisque que Thierry Breton annonce que la population sera raccordée à 90 % en 2005. Quand nous avons pris connaissance du DMP tel qu'il fonctionne au Texas, il nous a été précisé que son usage ne nécessitait pas un très haut débit. De plus, outre le haut débit, la technique de compression des données se développe. Tous ces éléments nous conduisent à conclure que notre pays est informatiquement prêt.

Internet représente à nos yeux le bon choix stratégique. Mme Billard et M. Vidalies ont raison, il faut être rigoureux : mettre un simple rapport médical sur internet n'a pas d'inconvénient ; en revanche, l'information structurée et codifiée figurant dans un dossier personnalisé doit être strictement protégée. C'est pourquoi, à l'issue d'une réflexion approfondie, l'Office propose par un amendement de retenir comme identifiant du DMP le numéro INSEE.

M. Hervé Mariton - Le DMP est à la fois un instrument de la politique de santé et un outil de gestion des coûts, car ces deux fonctions ne sont nullement incompatibles. Le délai de mise en œuvre du dossier permettra de résoudre les problèmes techniques qui ont été soulevés, et de satisfaire aux exigences éthiques, sur lesquelles le Parlement devra se montrer extrêmement vigilant. La discussion qui s'ouvre permettra d'apporter des garanties législatives supplémentaires, par exemple pour interdire l'accès aux données du dossier en cas de souscription de contrat d'assurance, ou de visite médicale d'embauche. Nous devons accorder toute notre attention à la fois aux conditions d'accès au DMP et à la façon dont il est alimenté. Sans doute doit-on mettre en relation les dispositions de l'article 2 et celles de l'article 12.

M. Claude Evin - Comment cela ?

M. Hervé Mariton - Pour prévenir la perte ou le vol de données, un codage garantissant la propriété du patient s'impose.

Tous ces obstacles ne doivent pas nous empêcher de franchir ce pas structurel indispensable que représente le DMP. Mais gardons-nous de sous-estimer les précautions à prendre.

M. Jean-Luc Préel - Le DMP constitue une excellente initiative s'il conduit à améliorer la qualité des soins. L'avoir présenté comme source d'économies est une erreur qui a sans doute brouillé le message. Le DMP assurera un suivi complet du malade, il évitera les examens redondants et les associations médicamenteuses dangereuses. Sa mise en place sera longue et coûteuse. Il faudra convaincre les professionnels de l'adopter. Or chacun connaît tel hôpital où le cardiologue n'accepte pas de partager le même dossier avec le gynécologue... Moins de 50 % des spécialistes utilisent aujourd'hui la carte Vitale, qui existe pourtant depuis dix ans. Pour introduire les données dans le dossier, les professionnels de santé demanderont à recevoir une formation, et aussi une rémunération pour le temps passé à pianoter sur le clavier. Afin de préserver le secret médical, il importe grandement de sécuriser ces données. Celles-ci n'ayant pas toutes le même caractère de confidentialité, l'accès au dossier devra être hiérarchisé.

Le DMP est reconnu comme la propriété du malade, qui doit connaître son contenu. Cependant, le malade peut-il s'opposer à ce qu'y figurent certaines données ? En sens inverse, si par exemple des métastases se développent, faut-il communiquer telle quelle l'information au patient ? Ce dernier peut-il refuser que certaines pathologies soient indiquées dans son dossier ? Et dans ce cas, quelle est la valeur de ce dossier ?

Ce DMP, si important pour améliorer la qualité des soins, ne sera sûrement pas généralisé en 2007, et sa mise en place coûtera cher avant qu'elle produise peut-être quelques économies. L'article 2 fait référence à « un hébergeur ». Est-ce à dire qu'il s'agira d'un hébergeur unique ? Dans ce cas, ce devrait être l'Institut national de santé, dont nous proposons par ailleurs la régionalisation.

M. Claude Evin - Chacun s'accorde à reconnaître dans le DMP un outil utile. Pour le mettre en place, il faut avoir une volonté politique, résoudre les problèmes techniques et débattre avec les professionnels des procédures de saisie des données médicales. En revanche il n'est nul besoin d'introduire un article dans le code de la sécurité sociale. En effet, le code de la santé, dans son article 1111-8, traite de l'hébergement des données personnelles de santé, en précisant que seuls peuvent y accéder la personne concernée et les professionnels de santé qu'elle a désignés. Votre seule justification pour recourir au code de la sécurité sociale tient aux dispositions du deuxième alinéa de son article L. 161-46.

En effet vous y subordonnez le remboursement à l'acceptation par le patient que le professionnel de santé auquel il a recours accède à son dossier médical et le complète. Là est le nœud du problème : on demande au patient, pour être remboursé, de renoncer à une liberté fondamentale reconnue par le 11e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et confirmée par le Conseil constitutionnel. Nous soulevons donc la question de la constitutionnalité de cet article - que le Conseil constitutionnel tranchera. Malheureusement, MM. Douste-Blazy et Bertrand préfèrent parler entre eux que m'écouter...

Vous dites, Messieurs les ministres, que cette disposition vise à favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins. Nous adhérons à ces objectifs, le cloisonnement de notre système étant en effet son plus grave défaut. Mais qui peut imaginer que la transmission d'informations suffise à y remédier ? Il faudrait surtout changer l'organisation de notre système de soins, notamment en créant des réseaux ; et de ce point de vue, votre texte est particulièrement faible.

Enfin, se pose le problème de la responsabilité des données inscrites dans le dossier. Lorsqu'elles seront incohérentes, voire fausses, qui assumera cette responsabilité ?

Mme Catherine Génisson - On est passé du « dossier médical partagé » au « dossier médical personnel » : ce glissement sémantique n'est pas anodin. Vous avez réalisé que le mot « partagé » soulevait des questions embarrassantes ; pourtant il correspondait mieux à ce que vous souhaitez, à savoir faire partager toutes les informations, afin que le dossier médical soit un outil de régulation financière.

Dans l'optique d'une amélioration de la qualité des soins, il est important que le plus grand nombre d'informations possible figure dans le dossier : il n'y a pas de pathologies honteuses. Néanmoins l'histoire médicale d'une personne - antécédents psychiatriques, par exemple -, peut avoir des incidences sur le regard que porte sur elle la société. Il peut donc être difficile de faire comprendre à nos concitoyens qu'un dossier complet est un moyen d'améliorer la qualité de prise en charge.

De plus, le dossier médical permettrait au spécialiste qui se concentre sur le soin d'un organe de replacer son activité dans un tout : il est important de connaître l'ensemble des pathologies d'une personne pour les traiter mieux et à moindre coût, en évitant les complications iatrogènes et les examens redondants. Il reste que ce dossier devra respecter les principes posés par la loi Kouchner. De plus, nous savons par expérience qu'il ne pourra pas être totalement exhaustif.

En second lieu, le dossier médical doit être la conséquence d'une meilleure organisation des soins, et non son préalable : notre système de santé doit être réorganisé pour assurer la coordination et la continuité des soins.

Tout cela me paraît beaucoup plus important que de brandir l'arme de la régulation financière, qui n'a pas place à cet article - où vous ne prenez pas les précautions nécessaires pour définir le DMP. Quel sera son support ? Quel sera le rôle du médecin dans son élaboration ? Quid de la responsabilité médico-légale du médecin ? Ce sont quelques questions parmi d'autres ; nous y reviendrons dans la discussion des amendements.

M. Alain Vidalies - La mise en place généralisée du dossier médical personnel marque une inflexion de la politique menée jusqu'à présent. Vos prédécesseurs, Monsieur le ministre, n'avaient pas ignoré la question de l'informatisation médicale, mais l'avaient traitée d'une manière assez différente. A la suite du rapport Fieschi, le Gouvernement a décidé, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, de lancer une expérimentation à partir des réseaux ville - hôpital et des réseaux organisés autour de grandes pathologies. C'est également le schéma qui a été retenu dans le plan cancer.

Aujourd'hui, sans aucune explication, vous remettez en cause cette stratégie au profit d'une autre, la généralisation du dossier médical personnel. Le rapporteur lui-même semble s'interroger puisqu'à la page 104, il met surtout en exergue l'intérêt du dossier médical personnel pour le traitement des maladies chroniques et pour le travail en commun entre l'hôpital et la médecine de ville - c'est-à-dire exactement ce qui existait jusqu'à présent...

Vous dites que l'objectif est la rationalisation des dépenses de santé. Ce faisant, vous faites apparaître l'ambiguïté de votre démarche, qui fait du dossier médical un instrument de contrôle social au service de l'assurance maladie.

Cette ambiguïté n'a pas davantage échappé au rapporteur puisqu'on peut lire, à la page 103 de son rapport, que si le dossier médical tend à améliorer la qualité des soins, il est aussi un facteur de maîtrise des dépenses d'assurance maladie en donnant aux organismes gestionnaires de l'assurance maladie les moyens de contrôler le parcours du patient, voire l'activité des professionnels de santé.

M. Jean-Michel Dubernard - Lisez aussi la page 104 !

M. Alain Vidalies - Enfin, les questions de la protection de la vie privée et du statut de l'hébergeur se posent au regard de la Constitution et des libertés publiques. Notre amendement qui tendait à imposer un hébergeur public est évidemment tombé sous le coup de l'article 40, mais on ne peut prendre le risque de faire échapper au contrôle de l'Etat l'hébergement des données de santé.

M. Gérard Bapt - Le rapporteur pourrait nous livrer une très bonne analyse s'il s'en tenait, dans ses réponses, à son rapport, en particulier aux pages 104, 105 et suivantes.

Nous refusons que ce DMP soit un préalable à la réorganisation du système de soins, ou une arme de régulation financière et de sanction du patient. L'inscription de ce principe dans le code de la sécurité sociale et non dans celui de la santé publique témoigne de votre logique. La qualité et la sécurité des soins sont des impératifs de santé publique, avant d'être des éléments de calcul de la prise en charge par la sécurité sociale, mais votre rapport les relègue au second plan.

Sur le contenu de cet article, l'adoption de l'amendement du groupe socialiste améliore votre projet, qui reste cependant muet quant aux conditions d'utilisation du DMP. L'aspect sanitaire et thérapeutique passe en second plan. Alors que la carte Vitale est présentée par le code de la sécurité sociale comme un instrument de la politique de santé, le DMP n'a pas droit au même titre !

Mais surtout se pose la question du respect de la loi informatique et libertés, qui nous inquiète autant que les associations de malades et les médecins, !

M. le Rapporteur - Le groupe socialiste s'intéresse beaucoup aux médecins !

M. Gérard Bapt - Par ailleurs, le dossier est ouvert aux praticiens conseils de l'assurance maladie après accord du patient. Comment cet accord est-il donné ? Sera-t-il suffisamment encadré pour protéger un patient dont le niveau culturel ne lui permettra pas de maîtriser ses droits ?

M. le Rapporteur - Quel mépris pour nos concitoyens !

M. Gérard Bapt - Quid de l'égalité des citoyens quand un patient aura les moyens de refuser l'accès à son dossier en étant moins remboursé, alors qu'un autre, moins riche, ne pourra se le permettre ?

Enfin, et le rapport Fieschi est éclairant, vous devez associer le corps médical à votre réforme, si vous ne voulez pas la conduire à l'échec, sur le plan technique et culturel.

M. le Ministre - M. Mariton, comme M. Dionis du Séjour, ont encouragé ce qui est un véritable changement de structures, lequel nécessitera l'investissement de tous, des professionnels de santé, des caisses d'assurance maladie, du patient, du législateur, comme du gouvernement .

Madame Génisson, nous ne sommes pas passés d'un dossier partagé à un dossier personnel : ce dossier est à la fois personnel et partagé entre le malade et les médecins qu'il choisira.

Monsieur Dionis du Séjour, c'est vrai, il s'agit d'un audit de décloisonnement, et je vous remercie de votre contribution technique. Internet et le haut débit progressent, et la technologie permet aujourd'hui la réalisation de ce DMP. Soyons progressistes ! Je ne suis pas opposé à l'utilisation du numéro Insee, mais il faudra en débattre ensemble.

Monsieur Le Guen, oui, le dossier appartient au patient qui, conformément à la loi sur les droits des malades, pourra en corriger les données, ou les soumettre à un degré particulier de confidentialité. Ce n'est pas un casier médical ! Certaines informations pourront être supprimées, dans des conditions qui restent à définir.

M. Jean-Marie Le Guen - Ce « ou » ouvre-t-il un double droit ?

M. le Ministre - Parfaitement !

Par ailleurs, il n'y aura pas, Monsieur Le Guen, un hébergeur unique : chaque dossier relève d'un hébergeur, et il y aura plusieurs hébergeurs agréés.

Madame Billard, oui, le DMP est obligatoire, et le refus de le présenter sera sanctionné par un moindre remboursement de l'assuré.

Monsieur Sandrier, je suis moi aussi attentif à la confidentialité, et au respect des règles éthiques. La commission a déposé un amendement pour renforcer la garantie à l'égard des organismes complémentaires comme de la médecine du travail. Le Gouvernement proposera de le sous amender pour aller plus loin dans la protection des données du DMP.

M. Préel a insisté à juste titre sur la sécurité qui doit entourer ces données. Ce dossier appartient au patient, et à personne d'autres.

Monsieur Evin, la modulation du remboursement au patient en fonction de la présentation du DMP est en effet la sanction du principe d'obligation, essentiel à la réussite de cette réforme. Le droit à la santé n'en est pas pour autant remis en cause. Vous vous êtes par ailleurs interrogé sur la constitutionnalité de la limitation du remboursement, mais le Conseil constitutionnel a déjà approuvé la limitation des usages les plus coûteux d'une liberté.

M. Vidalies a tort lorsqu'il croit relever une contradiction avec les expérimentations menées en relation avec le rapport Fieschi. Le dossier médical personnel vise à améliorer la qualité des soins, non à faciliter le contrôle de la consommation de soins, pour laquelle la CNAM dispose de toutes les données nécessaires par ailleurs.

J'espère que ces réponses nous permettront d'aller plus vite dans l'examen des amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - Le ministre a excellemment replacé le débat mais je tiens néanmoins à ajouter un mot, d'autant que mon rapport a été contesté à plusieurs reprises (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Je me réjouis que beaucoup, dans ce débat, aient mis en avant la préoccupation de qualité. Cela étant, Monsieur Préel, je crois qu'il convient de distinguer soigneusement entre les données personnelles et les données relatives à la santé de la population. Surtout, tout montre que ce dossier peut rapidement être mis en place : les médecins, dans leur majorité, le demandent, les patients l'attendent, les nouvelles technologies le rendent possible et la loi Kouchner de mars 2002 fournit le cadre juridique nécessaire.

Il existe déjà un dossier médical, certes, mais une modernisation s'impose et tous les gouvernements depuis dix ans ont pris des dispositions allant en ce sens - je vous en épargnerai la liste, mais vous la trouverez dans mon rapport.

Monsieur Sandrier, je vous accorde que la dernière phrase de la page 103 de mon rapport pouvait prêter à confusion, mais il suffisait de tourner la page pour constater que je levais toute ambiguïté ! En tout état de cause, vous pouvez être rassuré sur cette question de la protection des données personnelles : un amendement Evin tend à rappeler les droits des malades, un amendement Préel à prévoir un avis du Conseil de l'ordre et j'en ai moi-même présenté un autre visant à interdire l'accès du dossier aux assurances complémentaires.

Quant aux difficultés pratiques, elles sont réelles, mais ce gouvernement a visiblement la volonté d'aller de l'avant et de faire ce dont on se contentait jusque là de parler ! En ce qui me concerne, je suis pour un dossier simple, généralisé d'emblée mais évoluant par étapes. J'aimerais cependant quelques éclaircissements de la part du gouvernement : quelles garanties peut-il apporter pour ce qui est de l'utilisation du dossier en médecine du travail ? Les conditions d'accès varieront-elles selon les catégories de professionnels de santé ? Comment l'agrément des hébergeurs sera-t-il organisé ? Enfin, quel sera le calendrier pour la généralisation de ce dossier ?

M. Yves Bur, président de la commission spéciale - La façon dont ce débat a été engagé m'inquiète et, même, me désole un peu. Nous souhaitons apparemment tous que cette aventure du dossier médical personnel soit un succès...

M. Claude Evin - Et non une aventure, donc !

M. le Président de la commission spéciale - Pour ma part, je suis persuadé que ce dossier est quelque chose d'utile et même d'indispensable à une médecine de qualité et à une amélioration de notre situation sanitaire. C'est avant tout un outil au service des malades et dire le contraire relèverait de la polémique. C'est ensuite un instrument, dont nous regrettions tous l'absence, pour une politique de santé publique plus active. C'est enfin un moyen de coordonner les soins et de tirer le meilleur des protocoles médicaux. Qu'il permette en outre de réaliser des économies, je ne vois pas en quoi il serait scandaleux de le relever.

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. le Président de la commission spéciale - Je comprends que l'opposition essaie de faire feu de tout bois, mais il n'est pas question de lier la création de ce dossier et la réalisation des 3,5 milliards d'économies attendues de la maîtrise médicalisée !

M. Jean-Marie Le Guen - Pouvez-vous le redire ? J'ai mal entendu... (Sourires)

M. le Président de la commission spéciale - Ces économies, nous ne devons les attendre que de l'ensemble du travail d'optimisation dont les rapports de la CNAM nous donnent une idée, qu'il s'agisse des ALD ou des prescriptions dépassant la moyenne. Je souhaiterais donc que, sur ce sujet, nous arrivions tous à un accord...

M. Claude Evin - Bur ministre !

M. le Président de la commission spéciale - J'ai le sentiment que l'opposition s'installe par trop dans une vision négative, qu'elle accumule les réticences. Or je ne voudrais pas qu'il en soit aujourd'hui comme il en a été il y a dix ans à propos de la carte Vitale, avec ce résultat que cette carte ne renferme dans sa puce que les informations déjà lisibles en clair - identité et numéro de sécurité sociale !

M. Jean-Marie Le Guen - C'est pourtant ce dont on prend le chemin !

M. le Président de la commission spéciale - Il ne faut pas qu'à force de complexité, ce dossier devienne inutilisable ! Le rapporteur a donc raison quand il suggère de commencer par un dossier simple : pour le début, nous n'avons pas besoin d'une Rolls-Royce. Faire peur en évoquant le coût n'est pas de mise, dès lors, et je souhaiterais que notre discussion des amendements évite cet écueil, cet après-midi.

Enfin, il doit être bien clair que nous ne réussirons que si nous suscitons la confiance du corps médical. Actuellement, si 90 à 95 % des cabinets sont informatisés, il n'y a que 60 à 70 % des médecins qui utilisent la carte Vitale pour la télétransmission. Nous devons donc faire œuvre de persuasion, afin de les convaincre de l'utilité de partager l'information, de l'intérêt d'une culture du décloisonnement !

M. Jean-Marie Le Guen - Le ministre vient enfin de nous livrer plusieurs des informations que nous attendions et on voit ici que, si les auditions et les débats en commission avaient été plus substantiels, nous aurions rencontré moins de problèmes. Cela étant, plusieurs de ces informations demandent à être confirmées.

D'abord en ce qui concerne la loi sur les droits des malades : si, comme nous le demandions - et comme l'impose, à notre sens, le choix de rendre ce dossier obligatoire -, vous acceptez ses contraintes et accordez au patient le droit d'interdire l'inscription de telle ou telle mention, il faut bien voir que ce ne sera pas sans effet sur le dispositif tel que vous l'aviez initialement conçu, en particulier sur son efficacité.

Autre nouvelle que nous a annoncée le ministre : il y aura plusieurs hébergeurs, et nous aurons donc à débattre de leur statut. En fait, nous verrons amendement par amendement si la démarche de M. Bur, à laquelle nous souscrivons, est validée par le gouvernement.

Enfin, s'agissant du lien entre cet article et l'article 12, nous pensons qu'on ne peut se contenter de faire preuve de bonne volonté, de dire « on est tous copains, on y va » : nous sommes là pour écrire la loi, non pour participer à un congrès de l'UMP -Union médicale personnalisée (Sourires) !

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie - C'est une question essentielle pour les PS - les professionnels de santé (Nouveaux sourires), comme pour les patients. Il est normal que nous consacrions du temps à cette innovation majeure qui est un des piliers de notre action de préservation et de modernisation de notre système de santé. Et, puisque vous pensez tous que l'enjeu essentiel est la qualité des soins, il est légitime que vous posiez des questions. M. Douste-Blazy a déjà répondu à un certain nombre d'entre elles, je reviendrai donc uniquement sur celle de votre rapporteur.

La commission propose de restreindre l'accès au DMP lors de l'embauche, eh bien le gouvernement souhaite aller plus loin, en interdisant purement et simplement l'accès à ce dossier dans le cadre de l'ensemble de la médecine du travail.

Mme Martine Billard et M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - S'agissant de l'agrément des hébergeurs, nous privilégierons non seulement la sécurité, mais aussi l'indépendance vis-à-vis de toute entreprise qui pourrait intervenir dans le domaine de la santé ; cela devra être inscrit dans la loi.

L'article 12 prévoit l'accès des professionnels de santé, avec l'accord du patient, à l'historique de la consommation des soins. La CNAM a travaillé sur cette mesure, qui sera opérationnelle le 1er janvier 2005 et qui ne saurait être confondue avec le DMP.

Enfin, nous aurons l'occasion de préciser le calendrier, mais j'indique que le DMP sera accessible dès le début de 2005 dans des sites pilotes et que 2 millions de Français seront dès lors concernés. Le dispositif sera généralisé en 2006 et en 2007et j'espère qu'il sera opérationnel un peu plus tôt que prévu, à condition que le Parlement et le Gouvernement répondent aux questions de bon sens que se posent professionnels et patients. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi à quinze heures.

La séance est levée à 13 heures 5.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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