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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 15ème jour de séance, 40ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 20 JUILLET 2004

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

        AUTONOMIE FINANCIÈRE DES COLLECTIVITÉS
        TERRITORIALES (deuxième lecture) - suite - 2

        EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 5

        QUESTION PRÉALABLE 10

        ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 21 JUILLET 2004 23

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

AUTONOMIE FINANCIÈRE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
(deuxième lecture) - suite -

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

M. le Président - La parole est à M. le ministre délégué à l'intérieur.

M. Augustin Bonrepaux - Je voudrais faire un rappel au Règlement.

M. le Président - Vous interviendrez après le ministre.

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur - Je suis heureux de vous présenter en deuxième lecture cette loi organique qui représente le dernier élément de l'édifice constitutionnel mis en place par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin pour définir un cadre loyal à l'autonomie financière des collectivités locales. Et je voudrais rendre hommage au travail remarquable de Guy Geoffroy, rapporteur de ce texte pour la commission des lois, et de Gilles Carrez, rapporteur général du budget.

Avec ce projet, il est enfin mis un terme à ces anciennes pratiques par lesquelles les gouvernements pouvaient supprimer des pans entiers de fiscalité locale et les remplacer par des dotations de l'Etat. Ce projet, qui va conditionner sur le long terme les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, s'inscrit par ailleurs dans le vaste mouvement de décentralisation que nous avons engagé pour moderniser nos institutions.

D'abord un bref rappel de l'économie générale du projet. A l'article premier, le Gouvernement a choisi de ne retenir que trois grandes catégories de collectivités : les communes, les départements et les régions. A l'article 2 sont énumérées les ressources propres. Je reviendrai sur les modifications apportées par le Sénat.

L'article 3 permet de définir le ratio d'autonomie financière et la notion de part déterminante, à savoir le seuil de ce ratio en-deçà duquel il n'est pas possible de descendre. Le Gouvernement a choisi de retenir celui de l'autonomie financière constatée en 2003 pour chacune des catégories de collectivités. Celle-ci s'élèvera à 35 % pour les régions, 51 % pour les départements, et environ 53 % pour les communes et leurs groupements.

Enfin, l'article 4 précise les modalités de l'information du Parlement sur la mesure de l'autonomie financière et les mécanismes de garantie de la part déterminante. A cet effet, un rapport sera remis au Parlement, pour une année donnée, avant le 1er septembre de l'année qui suit.

Si la part des ressources propres est inférieure à celle de 2003, le Gouvernement devra prendre des dispositions pour rétablir le ratio au plus tard dans la loi de finances initiale de la deuxième année suivant celle où le constat a été fait.

Les modifications apportées par le Sénat n'ont pas transformé l'esprit général de la loi. Si un article additionnel a été adopté pour replacer dans le code général des collectivités territoriales l'ensemble du projet de loi organique, l'essentiel du débat a porté sur la notion de ressources propres, à l'article 2. Le rapporteur de la commission des lois, Daniel Hoeffel, et le sénateur Yves Fréville, ont précisé qu'il s'agit du « produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, la localisation de l'assiette ou du taux ».

Deux branches d'imposition sont ainsi distinguées. Pour la première, il s'agit de tous les impôts locaux actuels ou futurs pour lesquels les collectivités peuvent voter le taux ou l'assiette - les quatre vieilles, la TIPP des régions, ou la taxe sur les contrats d'assurance des départements.

Pour la seconde, le législateur déterminera localement l'assiette ou le taux par collectivité. Dans la plupart des cas, le choix se portera sur l'assiette, plus facilement localisable. M. Guy Geoffroy a cité le cas de l'imposition forfaitaire sur les pylônes électriques.

S'il n'est pas possible de déterminer une assiette localisable, le législateur devra déterminer un taux par collectivité, afin de préserver une certaine proximité entre le produit de l'impôt et la collectivité, l'exemple de la TIPP affectée aux départements en témoigne. Il est possible que Bruxelles ne nous autorise pas à moduler le taux de la TIPP dans les départements en vue de compenser le transfert du RMI/RMA, mais si l'assiette de cet impôt est nationale, la détermination de son taux peut très bien être localisée dans la loi.

La nouvelle rédaction proposée par Yves Fréville permet de comptabiliser dans les ressources propres des départements la part des TIPP qui leur est affectée en compensation du transfert du RMI.

M. Augustin Bonrepaux - Personne n'y croît !

M. le Ministre délégué - Ces partages d'impôts sont un moyen moderne de financer de futurs transferts de compétences, d'autant plus que les contraintes européennes nous laissent peu de marge de manœuvre pour transférer de nouveaux impôts. L'amendement du Sénat a le mérite de concrétiser l'autonomie financière, tout en préservant le lien territorial entre le produit de l'impôt et la collectivité qui le reçoit, et cela sans hypothéquer l'avenir. Pour ces raisons, l'article 2 peut être adopté en l'état.

A l'article 3, le Sénat, dans un souci de clarification, a exclu du dénominateur du ratio d'autonomie financière les flux financiers entre collectivités, ou entre communes et établissements publics de coopération intercommunale au titre d'un transfert expérimental ou d'une délégation de compétences. Du fait de leur caractère provisoire, il est normal de ne pas inclure ces flux dans le ratio.

Enfin, à l'article 4, le Sénat a adopté deux amendements. Le premier tend à ce que le rapport du Gouvernement au Parlement présente le taux d'autonomie financière des collectivités territoriales mais aussi ses modalités de calcul et son évolution. Quant au second, il vise à avancer au 1er juin de la deuxième année suivant l'année de référence le délai de remise de ce rapport. J'ai bien volontiers souscrit à ces modifications.

Le texte qui vous est soumis aujourd'hui répond aux exigences du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, aussi souhaiterais-je obtenir un compromis sur ce projet, même si je sais que des amendements ont été déposés.

Certains se sont interrogés sur la légalité de l'examen du projet de loi « libertés et responsabilités locales » en deuxième lecture au Sénat avant le vote de la loi organique. Le président de la commission l'a dit, et je souscris à son raisonnement, l'entrée en vigueur de la loi organique n'est pas un préalable à l'adoption de la loi ordinaire. Ainsi, le Conseil constitutionnel n'a pas censuré la loi RMI/RMA, promulguée avant le vote de la loi organique. Il est vrai que nous avions transféré toutes les ressources nécessaires, rompant ainsi avec les pratiques des gouvernements précédents.

M. Augustin Bonrepaux - Si vous voulez, on peut comparer !

M. le Ministre - De toute manière, le projet de loi « libertés et responsabilités locales » n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2005. D'ici là, la loi organique aura été promulguée - mais je suis disposé à déposer un amendement pour préciser que la loi de décentralisation n'entrera en vigueur qu'après la promulgation de cette loi organique. Vous voyez que nous voulons travailler en toute transparence (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Augustin Bonrepaux - Rappel au Règlement sur le fondement de l'article 58-1. Du reste, les rappels au Règlement ont priorité sur l'ordre du jour, et vous auriez dû me donner la parole en début de séance, Monsieur le président.

Mon rappel au Règlement concerne évidemment l'organisation de nos travaux. Comme je n'ai pas le don d'ubiquité, je ne vois pas comment je pourrai, demain matin, assister à ce débat et participer en même temps à la CMP dont je suis membre. Serait-ce que l'on organise l'ordre du jour de l'Assemblée de manière à éliminer les députés ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Evidemment, les travaux en seront singulièrement simplifiés, mais ce n'est pas sérieux !

M. le Président - Lors de la Conférence des présidents, votre président de groupe n'a pas jugé nécessaire de demander la suspension des travaux de l'Assemblée pendant que la CMP se réunit. D'ailleurs, il est tout à fait classique qu'une telle commission se tienne pendant que l'Assemblée siège. Il appartient aux groupes de s'organiser en conséquence.

M. Augustin Bonrepaux - Jusqu'à présent, le mercredi matin était réservé aux réunions de commission.

M. le Président - Dois-je vous rappeler que nous sommes en session extraordinaire ?

M. Augustin Bonrepaux - Et le Règlement changerait pendant les sessions extraordinaires ? Par ailleurs, le ministre vient d'expliquer que le vote de la loi portant transfert du RMI avait eu lieu avant le vote de la loi organique. Et pour cause ! C'est ainsi que le Gouvernement a pu transférer un déficit aux collectivités locales sans être sanctionné par le Conseil constitutionnel ! Et c'est le même mécanisme que vous voulez faire jouer une nouvelle fois ! C'est plus qu'une mauvaise manière que vous faites à notre assemblée : vous voulez la duper (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) mais, ce faisant, vous trompez aussi la majorité (Protestations sur les bancs du groupe UMP). J'aimerais savoir comment ses membres expliqueront, demain, que ni les conseils généraux ni les maires n'ont aucun pouvoir sur les ressources locales ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Je vous prie de conclure.

M. Augustin Bonrepaux - Je dois bien me faire entendre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), puisque M. Clément a une telle aptitude à changer d'avis qu'il préfère se boucher les oreilles ! Expliquez donc aux maires que vous allez remplacer la taxe professionnelle par une part de la TIPP ! Et encore : le ministre a paru réservé à l'idée que les collectivités locales pourraient faire évoluer cette ressource-là.

M. le Ministre - Je n'ai jamais dit cela !

M. Augustin Bonrepaux - Si j'avais pu, comme je l'aurais dû, m'exprimer avant le ministre, j'aurais pu lui demander qu'il explique précisément comment se feront ces transferts et comment les collectivités locales pourront les faire évoluer. Mais, plus largement, nous ne pourrons poursuivre nos travaux s'il nous est impossible de débattre correctement.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Les échanges qui nous ont servi de mise en bouche avant le dîner ont utilement introduit le débat, et ces envolées tour à tour lyriques et approximatives auront servi à recentrer la discussion. De quoi, en effet, ne s'agit-il pas ? Cette loi organique n'est pas une étape intermédiaire et constitutionnelle entre la Constitution et la réforme des responsabilités locales...

M. Jean-Pierre Brard - Qu'est-ce donc qu'une étape constitutionnelle ?

M. le Rapporteur - Dois-je vous rappeler que toute loi organique a pour unique objet de permettre l'application de l'une des dispositions de notre loi fondamentale ? Ce dont il s'agit ce soir, c'est de préciser le sens de l'article 72-2 de notre Constitution et, pour cela, d'étudier les conditions de la mise en œuvre du principe constitutionnel selon lequel le législateur doit mesurer, garantir et éventuellement restaurer une part déterminante des ressources des collectivités locales considérées comme ressources propres.

M. Augustin Bonrepaux - Et qu'est-ce qu'une part « déterminante » ?

M. Jean-Pierre Brard - Vous savez bien que ce n'est pas vrai !

M. le Rapporteur - Nous sommes donc très loin des approximations entendues, très loin aussi de l'allégation selon laquelle il existerait une jurisprudence du Conseil constitutionnel à ce sujet. Pour étayer son argumentation, M. Bonrepaux a fait une lecture partielle et donc partiale de l'arrêt rendu le 30 décembre dernier par le Conseil constitutionnel à la suite du recours formé contre l'article 59 de la loi de finances. Or, jamais le Conseil constitutionnel n'a dit que la loi organique devait être promulguée avant l'examen de la loi ordinaire.

M. Augustin Bonrepaux - Mais c'est l'évidence !

M. le Rapporteur - Le Conseil précise d'ailleurs que les principes constitutionnels ont bien été respectés s'agissant du transfert du RMI/RMA, et que le Gouvernement a rempli les obligations qui lui étaient faites lors du transfert de compétences.

Le cadre exact du débat étant ainsi posé, j'en viens au contenu du projet. A cet égard, nos collègues de l'opposition devraient faire preuve d'un peu plus d'humilité, puisqu'il s'agit d'en finir une fois pour toutes avec un ensemble de pratiques telles que, petit à petit, l'autonomie financière des collectivités locales s'est trouvée considérablement amoindrie, passant de 58 à 52 % pour les communes et les départements et de 58 à 38 % pour les régions entre 1997 et 2002. L'enjeu, c'est bien celui-ci : enrayer la perte d'autonomie financière subie au fil des ans par les collectivités locales, et cela, indépendamment de toute réforme de la décentralisation.

L'objectif du Gouvernement, c'est que les collectivités territoriales conservent une maîtrise suffisante de leurs ressources. Vient en plus, ce qui n'est pas négligeable, la volonté que, plus jamais, aucun transfert de compétences ou de charges ne puisse se faire sans transfert correspondant de ressources propres. En bref, le Gouvernement veut non seulement arrêter la descente aux enfers de l'autonomie financière des collectivités locales engagée il y a vingt ans et aggravée pendant cinq ans, mais tout faire pour améliorer cette autonomie, comme en témoignent déjà les dispositions relatives à la sécurité civile, qui se traduiront par la transformation de 900 millions d'euros de dotations en autant de ressources fiscales nouvelles. On est donc aux antipodes de la politique suivie jusqu'à présent.

Les débats du Sénat ont porté sur ces questions et sur ces questions seulement. Parce que nous avons souhaité agir en respectant la Constitution à la lettre, le rapporteur général, le ministre, le groupe UDF, le groupe UMP et moi-même avons souhaité procéder au cas par cas pour garantir une meilleure maîtrise de leur autonomie financière par les collectivités territoriales. Nous regrettons en effet que la part de l'impôt transféré ait considérablement baissé au cours des années antérieures.

Le Sénat a poursuivi les réflexions que nous avions engagées. Dans un premier temps, il a été tenté de sortir des rails de la Constitution (« Oh ! » sur les bancs du groupe UDF), mais grâce au sous-amendement du sénateur Fréville, tous ceux qui, derrière le président de l'AMF, avaient poussé les feux dans cette direction ont bien compris qu'il fallait arriver à un point d'équilibre, en considérant comme ressources propres, hormis celles dont les collectivités ont la maîtrise totale, les ressources transférées dont la loi indique la localisation du taux ou de l'assiette. Notre commission a souhaité aller au terme de la logique, en retenant une formule moins incertaine, à savoir la détermination par la loi, par collectivité ou par catégorie de collectivités, du taux, ou d'« une part locale d'assiette » : de la sorte, la loi garantira l'autonomie financière des collectivités locales.

M. Jean-Pierre Brard - C'est ce que vous appelez des ressources propres !

M. le Rapporteur - La commission des lois a adopté l'ensemble du projet après l'avoir ainsi légèrement modifié et demande à l'Assemblée de faire de même, afin qu'aboutisse l'œuvre courageuse entreprise en faveur des collectivités locales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Augustin Bonrepaux - Vous ne croyez pas un mot de ce que vous dites !

M. Jean-Pierre Brard - Ce fut un exercice de rhétorique sans contenu !

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. André Chassaigne - Ce projet avait suscité en première lecture une franche opposition de la majorité des groupes de cette assemblée. La conception qu'a ce gouvernement de l'autonomie financière est en effet bien éloignée de celle d'un grand nombre de parlementaires qui, comme élus locaux, ont toutes les raisons de s'inquiéter.

Vous prétendez fallacieusement vous en tenir à une approche purement technique (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Pour notre part, nous voulons tout d'abord rappeler notre ferme opposition à votre projet décentralisateur.

Ce n'est pas en institutionnalisant les rapports de concurrence que l'on fait progresser les sociétés. Cette concurrence, le patronat, profitant de la peur du chômage, l'a déjà renforcée entre les salariés. Les résultats sont glorieux : disparition des solidarités sociales, dépolitisation, croissance du vote d'extrême droite. Le droit européen, lui aussi, nous a imposé cette concurrence ; résultat : nos services publics sont laminés, le processus de privatisation d'EDF en est la meilleure preuve. Quant au projet de constitution européenne, il parle bien peu d'Europe, mais beaucoup de liberté des capitaux et de droit de la concurrence...

Votre décentralisation participe de cette logique destructrice de tous les liens sociaux et de toutes les solidarités. Votre conception de l'autonomie financière est empreinte de cette idéologie libérale du « chacun pour soi ». En invoquant la responsabilité des collectivités locales, vous semblez leur commander de se débrouiller toutes seules pour trouver les ressources dont elles ont besoin, comme s'il dépendait du seul maire qu'une raffinerie de pétrole s'implante ou non dans sa commune ! De fait, vous les incitez donc, comme cela se fait déjà en région parisienne, à transformer des logements sociaux en logements privatifs, afin d'augmenter leur valeur locative et donc les bases imposables ; et comme d'habitude, à exclure les plus pauvres... Votre autonomie financière, c'est de l'apartheid social !

M. Jean-Pierre Brard - Me permettez-vous de vous interrompre ?

M. André Chassaigne - Avec la permission du président...

M. le Président - Je ne la donne pas ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. André Chassaigne - Si l'on veut accroître la part relative des impôts par rapport à celle des dotations de l'Etat, il faut s'interroger sur l'efficacité économique et sociale et sur l'équité de ces impôts, ce que vous refusez de faire. L'autonomie financière n'est pas concevable si les bases des impôts restent aussi concentrées qu'aujourd'hui. Comme le disait mon camarade, ancien parlementaire, Camille Vallin, en conclusion d'un ouvrage sur les « quatre vieilles » : « Lorsque la fiscalité locale ne représentait qu'une part modeste des ressources communales, l'injustice de nos vieux impôts était supportable. Quand cette part atteint la moitié de ces ressources, elle ne l'est plus ».

La réforme de la fiscalité locale est un préalable, mais j'ai bien vu en première lecture qu'elle ne vous intéressait pas... Nous sommes dans une complète incertitude notamment au sujet de l'avenir de la taxe professionnelle.

Nous ne sommes pas des adversaires de l'autonomie financière des collectivités territoriales, bien au contraire. Mais pour vous, il revient aux collectivités d'arracher les recettes fiscales dont elles ont besoin, par le jeu de la concurrence, en se montrant « attractives » pour les entreprises et pour les contribuables les plus riches. Votre conception de l'autonomie, c'est celle des prédateurs !

M. Jean-Pierre Brard - Comme le baron Seillière !

M. André Chassaigne - Pour nous, au contraire, l'autonomie financière est la condition de l'autonomie politique. Elle se mesure à la capacité qu'elle assure de mener des politiques locales originales et innovantes - les politiques pour lesquelles les exécutifs ont été élus. Or, de ce point de vue, les transferts de dépenses que vous imposez par la loi sur les responsabilités locales sont parfaitement inacceptables : quelles marges de manœuvre budgétaires laisseront-elles aux départements et régions ? Quelle capacité auront ces collectivités de mener leurs politiques propres, occupées qu'elles seront à faire tout ce dont l'Etat veut se débarrasser ? Je trouve scandaleux que l'on nous fasse disserter sur une autonomie financière que l'on affaiblit à ce point ! M. Mercier, le rapporteur du Sénat, pourtant peu suspect de sympathies bolcheviques, a d'ailleurs dit tout ce qu'il y avait à dire sur le sujet : « L'autonomie fiscale n'est pas l'autonomie de gestion »...

Le propos est d'autant plus vrai que, quoi que vous disiez, les compensations financières ne couvriront pas durablement la croissance des dépenses liées à ces transferts. En effet, au cours des dix dernières années, les bases de la TIPP ont crû en moyenne de 1 % par an et les dotations d'environ 2,5 % alors que les dépenses que vous transférez - essentiellement des dépenses de personnel - augmentent probablement de plus de 5 %...

M. Michel Bouvard - Effet des 35 heures !

M. André Chassaigne - Ce sera donc au contribuable local de supporter la charge financière de votre décentralisation ! Du fait de cette pression budgétaire, la loi sur les responsabilités locales grignotera peu à peu l'autonomie politique dont disposent encore les collectivités, rendant ces dernières impotentes.

M. Didier Migaud - C'est le but !

M. André Chassaigne - Elles auront certes un budget important, mais un budget sans la moindre élasticité. Vous aurez réussi dans votre entreprise de dépolitisation des débats, la crise de la démocratie représentative en sera aggravée - de même que la désaffection des Français à l'égard de la politique.

Pour toutes ces raisons, il nous aurait paru logique qu'une loi visant à garantir l'autonomie financière des collectivités traite des dotations que leur verse l'Etat. Ces dernières sont en effet vitales, en particulier pour les communes n'ayant ni taxe professionnelle ni potentiel fiscal important. L'autonomie financière de ces communes est souvent moins dépendante de l'impôt que des garanties de progression de ces dotations, notamment des dotations de péréquation - les seules souvent qui leur permettent de financer leurs politiques. Or, le régime actuel ne ménage qu'une faible part à ces dotations de péréquation, la proportion de 33 % avancée par le Comité des finances locales apparaissant bien largement calculée. Une réforme s'imposerait par conséquent afin de renforcer « l'intensité péréquatrice » des dotations, selon la formule suggérée par le même comité. Et cette réforme devrait avoir le pas sur celle que vous présentez aujourd'hui !

D'autre part, même si l'on accepte votre conception de l'autonomie financière en faisant l'effort d'oublier le contexte que constituent vos lois de décentralisation, on ne peut assimiler à une ressource propre un impôt national transféré, dont les collectivités ne maîtrisent ni le taux ni l'assiette. C'est une évidence !

M. le Rapporteur - Non : une affirmation gratuite !

M. André Chassaigne - Nous ne pouvons partager votre acte de foi !

M. Jean-Pierre Brard - Foi de charbonnier... qui ne descend pas souvent à la mine !

M. André Chassaigne - Vous nous direz que les sénateurs, écartelés entre leur fidélité au Gouvernement et leurs obligations d'élus locaux, sont parvenus à un compromis propre à satisfaire toutes les parties. Mais j'ai bien cherché et je n'ai rien trouvé de tel dans le nouvel article 2. Je n'y ai vu qu'une capitulation déguisée en compromis ! Que le ministre soit donc félicité pour cet exploit d'avoir réussi à humilier le Sénat en lui laissant l'impression qu'il avait fait reculer le Gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Il reste que le problème politique de fond demeure : ce projet vous permettra de transférer le bloc de la TIPP aux collectivités et d'assimiler cet impôt national à une ressource propre. C'est pourquoi nous le récusons. En premier lieu, on ne peut considérer comme une ressource propre un impôt national sur lequel les collectivités n'ont pas plus de maîtrise que sur les dotations. Mais, après tout, ne regardez-vous pas comme un exploit d'avoir découvert une ressource localisable avec les pylônes ?

M. le Ministre délégué - C'est du concret !

M. André Chassaigne - En second lieu, on ne peut non plus regarder comme un cadeau un impôt impopulaire et particulièrement peu dynamique, dont l'Etat ne cherche qu'à se débarrasser. Le transfert de la TIPP, c'est un peu le baiser du serpent ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Le rythme de progression de la TIPP n'étant, je le répète, que de 1 % par an, soit nettement moins que celui des dépenses transférées, la baisse de la part de l'essence dans la consommation globale risque fort d'entraîner une baisse dramatique des bases de l'impôt...

Enfin, il sera techniquement difficile de lier la consommation d'essence à un territoire. En assimilant tout impôt à une ressource propre, vous cherchez à limiter autant que faire se peut le montant des compensations accompagnant les transferts de compétences. Autrement dit, votre loi organique bafoue le principe même de l'autonomie financière.

L'irrecevabilité de ce projet est donc manifeste. Il viole les principes républicains fondamentaux en institutionnalisant un idéal de concurrence au détriment de l'idéal de fraternité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vergnier - Il n'y a pas de quoi rire !

M. André Chassaigne - Il heurte clairement le principe de libre administration. Enfin, il s'oppose à l'article 72-2 de la Constitution et au principe d'autonomie financière que vous y aviez vous-mêmes inscrit (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Michel Bouvard - On ne saurait sous-estimer la difficulté de l'exercice auquel M. Chassaigne vient de se livrer : comment démontrer en effet que cette loi organique est contraire à la Constitution alors que son objet est précisément de mettre en œuvre une disposition constitutionnelle ? Notre collègue ne pouvait donc traiter que de toute autre chose que l'irrecevabilité, selon une pratique habituelle à l'opposition mais sur laquelle nous devrions bien nous interroger.

Parce que la démonstration attendue n'est pas venue mais aussi parce que nous ne partageons évidemment pas les orientations défendues par M. Chassaigne, nous repousserons cette exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Pierre Brard - C'est l'exercice de M. Bouvard qui est difficile. Il propose de revoir la pratique des motions de procédure : c'est oublier que dans trois ans vous serez dans l'opposition... (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP) Cet après-midi, M. Mariton a prétendu que les Français étaient d'accord avec vous : vous devez porter d'autres lunettes que celles qu'on trouve chez les opticiens. N'avez-vous pas vu les résultats des élections du printemps ?

M. Bouvard a dit d'autre part que notre collègue Chassaigne avait fait l'exposé « habituel ». Qu'est-ce à dire ? S'il entend par là que nous sommes fidèles à nos convictions, alors c'était l'exposé habituel. En revanche M. Bouvard, que je connais comme un vrai républicain, est aujourd'hui obligé de jouer une partition dans laquelle il ne peut pas exceller.

M. Clément nous a accusés d'être jacobins. Mais qu'est-ce qu'un jacobin ? C'est quelqu'un qui est fidèle à nos traditions issues de la Révolution française (Murmures bancs du groupe UDF). Monsieur de Courson, vous n'êtes pas le mieux placé pour en parler.

M. Edouard Landrain - C'est reparti...

M. Jean-Pierre Brard - Les jacobins, ce sont nos ancêtres républicains qui se sont battus pour l'égalité face aux privilèges, abolis en cette nuit du 4 août dont nous célèbrerons bientôt l'anniversaire. Mais pour M. Clément, « jacobin » est un gros mot. Nous, nous le revendiquons. Et quand vous vous dites « girondins », que faut-il entendre par là ? C'est une façon de désintégrer l'ensemble national, en rompant l'égalité. Et c'est bien ce que vous faites : en donnant plus de responsabilités à chaque région, vous renvoyez chacune à ses moyens. Quant aux ressources propres, M. Chassaigne a bien montré ce qu'il en était. Ce que vous remettez en cause systématiquement - l'an dernier pour les retraites, ces dernières semaines pour l'assurance maladie, et maintenant pour les finances locales - c'est l'héritage patiemment construit par notre peuple, qui donne à notre nation son rayonnement dans le monde.

Quant à M. le ministre, quand je pense à lui, je pense bien sûr à l'aigle de Meaux. Mais imaginez ce dernier en chaire, et M. Copé à la tribune de l'Assemblée. Avant d'entrer comme lui dans l'histoire, Monsieur le ministre, il vous reste des marges de progression...

Vous remettez en cause nos traditions issues de la Révolution. L'exception d'irrecevabilité est parfaitement légitime : qu'importe que votre projet porte atteinte à tel ou tel alinéa de la Constitution, l'essentiel est qu'il porte atteinte à son esprit, en remettant en cause ce qui fait le fond même de notre identité nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Augustin Bonrepaux - Je m'étonne du propos de M. Bouvard, comme si une loi organique ne pouvait pas être contraire à la Constitution. Pourtant, quand vous avez révisé celle-ci, vous ne vous attendiez pas à cela. Vous apercevez, un peu tard, que vous avez été dupés. Vous avez cru, au début, aux propos de M. Raffarin ; aujourd'hui, quand il s'exprime, vous ne croyez plus trop ce qu'il dit... Même M. Clément, le président de la commission des lois, a cru un moment que l'autonomie financière des collectivités serait garantie. La preuve en est qu'il a soutenu en commission un amendement disposant que les collectivités pourraient faire évoluer les bases et les taux des ressources transférées. Quand cet amendement a été présenté en séance, on nous a dit d'attendre la loi sur l'autonomie financière. Et maintenant M. Clément nous dit que l'autonomie financière est garantie quand on ne peut faire évoluer les bases ni les taux... Vous avez, Monsieur le ministre, un incroyable pouvoir de conversion !

Le plus grave, c'est que vous remettez en cause le fondement même de la responsabilité locale. Vous savez bien qu'un impôt d'Etat transféré, sans maîtrise des bases ni des taux, n'est pas une ressource propre. Vous savez que ce faisant vous allez faire disparaître le lien indispensable entre le citoyen et l'élu. Il est normal que le citoyen demande à l'élu ce qu'il fait de ses impôts. Mais ceux-ci vont se réduire comme peau de chagrin, puisqu'à mesure qu'on transfère des charges on transfère avec elles des impôts que nous ne pourrons faire évoluer. En outre, il se prépare une réforme de la taxe professionnelle qui pourrait se traduire par son remplacement par une part de TIPP ; et on nous expliquera que c'est conforme à la Constitution, qui garantit l'autonomie financière des collectivités locales !

Aussi beaucoup d'entre vous éprouvent-ils aujourd'hui un peu de remords et regrettent cette aventure constitutionnelle. Car il va bien falloir que vous en rendiez compte ! Le premier rendez-vous - que nous attendons avec un peu de jubilation - sera le congrès des maires en novembre. Il vous faudra bien leur expliquer comment vous avez réduit leur autonomie financière au lieu de l'accroître, et pourquoi ils n'auront plus les moyens de faire évoluer leurs ressources. Et surtout il vous faudra leur expliquer les augmentations d'impôts locaux qui résulteront de tout cela, faute que l'on transfère, avec les charges, des ressources suffisantes. C'est déjà le cas pour le RMI ; ce le sera pour les personnels TOS, puisqu'on ne nous transférera que les moyens relatifs aux agents de l'éducation nationale ; les autres vont disparaître. Dès lors ce sera ou bien la pagaïe dans les établissements, ou bien la hausse des impôts locaux. Il faut que ce soir nous prenions date, car vous serez responsables de tout cela (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles de Courson - Nous, à l'UDF, nous sommes girondins, Monsieur Brard, et nous en sommes fiers. Et si vous êtes républicain, vous devriez respecter les autres républicains. On peut être girondin et bon républicain. D'autre part, je descends de Lepeletier de Saint-Fargeau.

M. Jean-Pierre Brard - Vous n'y êtes pour rien !

M. Charles de Courson - Oui, ce texte pose des problèmes constitutionnels ; j'y reviendrai dans la discussion générale. Mais dans cette affaire le groupe communiste...

M. Jean-Pierre Brard - Et républicain !

M. Charles de Courson - ...défend des positions indéfendables. Je n'aurai pas la cruauté de lui rappeler son attitude durant les cinq années de la précédente législature, où, en votant avec l'opposition, il aurait détenu la clef des scrutins : qu'avez-vous fait alors pour empêcher le taux d'autonomie des collectivités de chuter de 64 à 34 % ? Où étiez-vous ? Je juge les personnes non sur leurs grandes déclarations, fussent-elles empreintes d'humour, mais sur leurs actes. L'UDF votera contre l'exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. Jean-Pierre Balligand - Les finances, c'est le nerf de la guerre. Le premier souci d'une collectivité responsable est de maîtriser pleinement, c'est-à-dire en niveau, en évolutivité et en pérennité, le financement des compétences qu'elle assume, surtout quand celles-ci lui sont transférées contre son gré. Des pans entiers de l'action de l'Etat vont passer d'autorité entre les mains des collectivités locales : les routes, la formation, le logement, le tourisme, sans parler des personnels techniques, ouvriers et de service de l'éducation nationale. Or, le Gouvernement ne daigne toujours pas doter ces collectivités des marges de manœuvre et des moyens financiers correspondants. Cela risque de provoquer très vite un effet de ciseau entre charges et ressources, qui se soldera par un endettement accru et une hausse de la fiscalité locale dans des proportions inconsidérées...

Ainsi, après plus de deux ans de procédures et d'échanges, les critiques constructives exprimées dès la mise en chantier de ce fameux acte II de la décentralisation n'ont toujours pas été prises en compte, alors que nous touchons au terme de ce marathon législatif. Voilà qui inquiéterait tout observateur attentif à nos débats, mais pas vous, à l'évidence. La bronca qui s'élève dans toutes les associations d'élus, avant comme après mars 2004, ne semble pas vous préoccuper outre mesure. Vous continuez donc dans la voie d'une sourde obstination contre les verdicts populaires.

Aux termes de l'article 91 alinéa 4 de notre Règlement, l'objet d'une question préalable est « de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer » ; j'ajouterai « d'une manière aussi peu respectueuse des libertés locales d'un sujet aussi important »... Car les responsables territoriaux ne peuvent pas être considérés comme les représentants d'un échelon de seconde zone, sur le dos et contre la volonté desquels toutes les manœuvres budgétaires seraient permises et tous les transferts de charges autorisés.

Après les beaux discours réfractaires tenus par la majorité sénatoriale, la montagne semble avoir accouché d'une souris : la résistance du Palais du Luxembourg n'aura été qu'un baroud d'honneur ! Fruit d'un consensus fragile entre le Gouvernement et les plus velléitaires des sénateurs UMP, la notion d'impôt localisable laisse perplexes les juristes comme les décideurs des collectivités locales. De là à affirmer que le Sénat s'est couché devant le Gouvernement, il y a un pas que je me garderai de franchir, par respect pour mes collègues sénateurs...

M. René Dosière - C'est pourtant vrai !

M. Jean-Pierre Balligand - Dès la première lecture, les signes d'une retraite prématurée étaient déjà perceptibles. Si le Gouvernement avait réussi à contenir la fronde latente de son groupe à l'Assemblée, il n'avait pas pu réduire au silence les grandes associations d'élus locaux, pour certaines peu suspectes de connivence avec l'opposition, surtout avant mars 2004. Pour notre part, nous avions d'ailleurs défendu la définition proposée par les élus locaux, au premier rang desquels les membres de l'Association des maires de France, selon laquelle les ressources propres des collectivités ne peuvent être que « celles dont les collectivités et leurs groupements fixent librement le montant ». Mais pas un seul député de votre majorité n'avait alors pris le risque, apparemment vital, de soutenir cet amendement qui a été rejeté, sans la moindre discussion de fond.

Après avoir campé sur une position orthodoxe de défense de l'autonomie financière des collectivités, aux termes de laquelle les ressources propres ne peuvent être constituées que « du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tant », le Sénat a accepté un sous-amendement de compromis beaucoup moins explicite, qui a élargi la définition au produit des impositions « dont la loi localise la matière imposable ». Mais y a-t-il matière à compromis lorsqu'il s'agit de définir l'autonomie financière ? Peut-on imaginer différents degrés d'autonomie ? Pour moi, une autonomie de compromis ne saurait être qu'une autonomie au rabais et une subordination déguisée ! D'ailleurs la définition adoptée par le Sénat élargit automatiquement les ressources propres à des produits d'impositions sur lesquelles les collectivités n'auront aucune prise.

Alors que la compensation du transfert du RMI aux départements par l'attribution d'une part fixe de la TIPP est le contre-exemple même de ce qu'aurait dû être le principe d'autonomie financière des collectivités locales, la seule modification introduite par le Sénat consiste en ce que cette part sera dorénavant fixée, pour chaque département, par la loi et non par un arrêté... On peut s'interroger au surplus sur la conformité à la constitution d'un tel dispositif, qui ouvrirait la possibilité d'appliquer des règles de compensation variables selon les collectivités. Je doute fort que la discrimination ainsi introduite soit dictée par un souci de péréquation au profit des collectivités les moins favorisées : la péréquation n 'est pas pour rien le parent pauvre de votre réforme !

Si j'en crois le thème que vient de choisir l'AMF pour son prochain congrès - quels moyens pour quelle décentralisation ? - à l'évidence, la question des financements ne semble pas réglée pour tous et notre collègue sénateur Daniel Hoeffel n'a pas encore dit son dernier mot !

Avec cet « impôt localisable », vous avez réussi à introduire dans la notion de ressources propres le flou qui entourait déjà le concept très critiqué de « part déterminante ». En réalité, ce gouvernement, chantre du libéralisme économique et de l'individualisme social, semble avoir de l'autonomie financière des collectivités une conception carrément dirigiste, alors qu'il a cherché à se donner bonne conscience en ajoutant l'expression « libertés locales » partout où il l'a pu - dans l'intitulé du ministre de tutelle et du ministre délégué, et jusque dans le titre du projet...

Ainsi, un amendement gouvernemental adopté dans un premier temps au Sénat et retiré par la suite, selon la méthode désormais habituelle de la sonde législative, organisait moins qu'un nivellement par le bas, en fixant à 33 % le plancher du ratio d'autonomie financière des collectivités alors que le taux moyen est de 36 % pour les régions, 56 % pour les communes et 57 % pour les départements !

Les auteurs de la « proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières », déposée au Sénat en juin 2000 étaient mieux inspirés. Ils s'appelaient Christian Poncelet, Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin... La noble ambition qu'ils affichaient alors s'est transformée en une petite flamme depuis qu'ils maîtrisent le fond et le calendrier des réformes ! On dit que le pouvoir corrompt, ici, il érode...

Quand elle fut transmise à l'Assemblée, on pouvait y lire que « les ressources hors emprunt de chacune des catégories de collectivités territoriales sont constituées pour la moitié au moins de recettes fiscales et autres ressources propres » et que « tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales et toute charge imposée aux collectivités territoriales par des décisions de l'Etat sont accompagnées du transfert concomitant des ressources permanentes, stables et évolutives nécessaires ». Comment expliquer depuis lors un tel appauvrissement de la pensée décentralisatrice de Jean-Pierre Raffarin ? Comment justifier le glissement d'une indépendance financière convenable à une autonomie financière rachitique ?

La réponse est terre à terre : ceux qui, dans l'opposition, défendaient généreusement les collectivités locales et leur autonomie ont ajusté le tir après une première année et demie de débâcle économique au pouvoir. Et il vient encore de l'être pour tenir compte des dernières élections cantonales et plus particulièrement régionales, en vertu d'un calcul politique particulièrement mesquin.

Le résultat est là : Jean-Pierre Raffarin a construit son acte II non pas comme l'incarnation d'une grande idée ou dans le but de corriger les insuffisances réelles de la première décentralisation, mais bien petitement, à partir des maigres subsides présents dans les caisses de l'Etat - une fois réduit l'impôt sur le revenu et dispensées des aides clientélistes. Il a bâti un échafaudage de fortune, ne cherchant qu'à réduire de manière comptable le déficit de l'Etat, quand les élus locaux attendaient un rempart contre le tout-Etat et de solides assurances sur la pérennité de leurs ressources.

Ainsi, dans ce projet de loi organique, les partis pris du Gouvernement sont clairs : vous refusez de définir clairement et simplement les ressources propres comme celles dont les collectivités votent les taux ou déterminent les tarifs ; vous refusez d'exclure de ces ressources les dégrèvements et les parts d'impôts nationaux, dont les collectivités ne pourront pas voter les taux ; vous refusez une nouvelle fois de prendre en considération les groupements intercommunaux dans l'évaluation de la fameuse part déterminante des ressources propres ; vous refusez également de tenir compte de la diversité des collectivités au sein d'une même catégorie ou au sein d'un même niveau ; vous refusez enfin d'inscrire dans la loi organique les principes et les objectifs de la péréquation, avouant de la sorte la place indécente consacrée à la solidarité financière dans votre vision de la décentralisation.

M. Michel Vergnier - Tout à fait !

M. Jean-Pierre Balligand - Le comble est sans doute atteint lorsque le ministre de l'économie propose que les collectivités locales concluent un « pacte de stabilité interne » avec l'Etat afin de mieux contenir leurs dépenses ! Cela frise la schizophrénie quand on sait quels transferts de charges incontrôlées l'Etat est en train d'organiser... A-t-il déjà oublié qu'il fut ministre de l'intérieur, donc porteur de l'ensemble des réformes déstabilisatrices en cause ?

Son initiative est à rapprocher de la tentative du Premier ministre, il y a trois mois, d'obtenir des présidents de régions qu'ils s'engagent « sur un moratoire fiscal pendant la première partie de leur mandat, c'est-à-dire trois ans »... Ces deux démarches sont déplacées quand on débat justement de l'autonomie financière de ces collectivités, et provocatrices quand elles surviennent après l'annonce unilatérale d'une suppression de la taxe professionnelle et avant des transferts de compétences massifs ! Elles pourraient même être anticonstitutionnelles, maintenant que le gouvernement a fait graver dans la Constitution le principe de « libre administration des collectivités territoriales », sorte de séparation des collectivités et de l'Etat... Cette tentative d'ingérence de l'Etat dans la gestion des administrations publiques locales n'a d'égal que le mépris dont elles sont l'objet lorsqu'il s'agit de garantir l'équilibre, la pérennité et la propriété de leurs ressources. Quel cynisme de la part du Gouvernement ! Osera-t-il l'assumer ?

Prenons l'exemple de la taxe professionnelle. Alors que les élus locaux attendaient d'être rassurés sur le pérennité et l'indépendance de leurs ressources, les collectivités se sont trouvées privées du jour au lendemain d'une ressource fiscale majeure, représentant 18 % des recettes de fonctionnement des départements et 54 % de celles des communautés d'agglomération. Pour trouver un moyen de satisfaire ce desiderata présidentiel, le Gouvernement a mis en place la commission Fouquet, laquelle ne pourra rendre ses conclusions avant l'examen de la prochaine loi de finances, ce qui reporte donc à 2006 l'adoption de tout dispositif alternatif. Un rapport d'étape a bien été diffusé, brossant les enjeux mais laissant en suspens les solutions... Dans l'attente de propositions définitives, le Gouvernement a annoncé un dégrèvement temporaire de la taxe professionnelle sur les investissements nouveaux, à compter du 1er janvier 2004 et pour une période de dix-huit mois, selon un mécanisme qui vient seulement d'être précisé à l'article 5 du projet de loi de soutien à la consommation et à l'investissement, soit avec six mois de retard ! Quelle impréparation ! Quelle improvisation ! De surcroît, si ce dégrèvement, comme il est probable, est prorogé, une double difficulté s'ensuivra. D'une part, la compensation aux collectivités locales, qui en bénéficieront sur la base des taux pratiqués en 2003, deviendra de plus en plus défavorable à mesure que les taux augmenteront. D'autre part, le prétendu effet incitatif du dispositif, qui ne peut jouer que si la mesure est exceptionnelle et provisoire, disparaîtra totalement. Ne demeurera plus alors que l'effet d'aubaine.

Le Gouvernement a en tout cas choisi d'aggraver le déséquilibre des finances locales en y augmentant la part des compensations de l'Etat... dans l'attente d'un mécanisme fiscal de substitution dont les entreprises ont déjà fait savoir qu'elles ne voulaient à aucun prix. Le Medef, conseiller spécial du Gouvernement, milite en effet pour une suppression pure et simple de la taxe professionnelle, ce qui enterrerait alors définitivement le principe même d'autonomie financière et accroîtrait la part des compensations indirectes dans les ressources des collectivités.

C'est ici le moment de rappeler ce que déclarait le Président de la République dans son discours réputé historique de Rouen le 10 avril 2002 : « Faire dépendre plus de la moitié des ressources des collectivités locales de dotations de l'Etat, les subordonner au vote annuel du Parlement et vouloir encore aggraver la situation en privant les collectivités du produit de la taxe d'habitation, c'est la négation même de toute responsabilité démocratique et de toute liberté locale ». Qu'il y a loin de l'ambition proclamée aux actes !

Face à nos critiques, le Gouvernement se borne à nous renvoyer à la Constitution, comme si le fait d'y avoir inscrit le mot « décentralisation » lui donnait carte blanche. Les parlementaires socialistes ont voté contre la réforme constitutionnelle de mars 2003. Si « l'organisation décentralisée de la République » est un objectif louable - ce n'est pas moi, coprésident de l'Institut de la décentralisation qui prétendrai le contraire -, jamais une pétition de principe n'a fait un programme !

Vous vous êtes obstinément refusés à inscrire dans la Constitution les principes d'égalité devant les services publics, de compensation financière et de démocratie participative. Vous avez de même refusé d'envisager des transferts évolutifs, vous contentant de faire vaguement référence aux notions de péréquation et d'autonomie fiscale, ce qui vous a d'ailleurs attiré les foudres du Conseil constitutionnel.

Ces mêmes ambiguïtés, nous les retrouvons aujourd'hui dans ce texte. Alors que la Constitution renvoie à la loi organique pour être précisée, vous nous renvoyez sans cesse à la Constitution pour justifier l'imprécision de la loi organique ! Contrairement à ce que vous prétendez, la Constitution ne sera réellement protectrice pour les collectivités que si la loi organique ne prête pas à confusion ou à interprétation, ce qui n'est, hélas, pas le cas.

Votre empressement à vouloir transférer des compétences avant tout examen des principes de compensation financière - j'en veux pour preuve la promulgation de la loi portant décentralisation du RMI le 18 décembre dernier ! - témoigne d'ailleurs de votre mépris pour cette étape législative pourtant essentielle qu'est la loi organique.

Je ne parle même pas de votre hâte d'en finir - faut-il comprendre avant les prochaines sénatoriales ? - qui nous a fait examiner le cœur des transferts de compétences avant même que soit connue votre conception de la dépendance, pardon, de l'autonomie financière des collectivités.

Au vu de ce non-respect de la procédure, au vu de vos hésitations et revirements incessants, au vu des compromis passés au Sénat, au vu de votre recherche, déplorable, du plus petit dénominateur commun, quand il faudrait au contraire asseoir les finances locales pour des décennies, je maintiens qu'il n'y a pas lieu de débattre dans ces conditions d'un sujet sur lequel votre religion - de convertis - est faite, pas plus que d'un texte dans lequel vous n'accepterez, pas davantage en deuxième lecture qu'en première, aucun de nos amendements.

Et si cette question préalable n'était pas adoptée, hypothèse que je ne saurais totalement écarter (Sourires), sachez que les députés socialistes seront là tout au long du débat pour rappeler au Gouvernement qu'il n'est pas permis de faire preuve d'un tel mépris ni de donner aussi peu de garanties aux collectivités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - Je salue l'effort de M. Balligand pour mettre en cohérence divers arguments bien connus, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne sont pas parfaitement cohérents.

M. Augustin Bonrepaux - Dites pourquoi.

M. le Rapporteur - J'en veux pour preuve les hésitations permanentes de nos collègues socialistes quant à leur conception de l'autonomie financière des collectivités. M. Bonrepaux n'a-t-il pas déclaré sur une radio périphérique qu'il préférait une « bonne dotation » à un impôt dont il n'aurait pas la parfaite maîtrise ?

Pour le reste, comment nous reprocher de nous référer à la Constitution quand une loi organique, par définition, met en œuvre des dispositions constitutionnelles ?

M. Augustin Bonrepaux - Que seuls vous avez votées.

M. le Rapporteur - Peu importe, c'est désormais la Constitution de notre pays. Votre volonté n'a pas été celle de la représentation nationale.

Le deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution précise seulement que la loi peut autoriser les collectivités à fixer le taux ou l'assiette des impositions de toutes natures. Au travers de cette loi organique, nous n'allons pas au-delà du texte constitutionnel, mais au bout de sa logique. Les collectivités bénéficieront désormais des « quatre vieilles » et d'une partie des impôts d'Etat transférés, dont elles pourront moduler le taux ou l'assiette (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)... Ceux qui ont supprimé la part salariale de la taxe professionnelle et la part régionale de la taxe d'habitation, figé le taux des droits de mutation (Mêmes mouvements) sont aujourd'hui malvenus pour nous donner des leçons en matière d'autonomie des collectivités !

Je terminerai par deux remarques. M. Balligand a commis une inexactitude en prétendant que c'était le Gouvernement qui avait proposé au Sénat d'introduire les fameux 33 %. C'était une idée de M. Hoeffel avant que celui-ci ne s'aperçoive, aidé de ses collègues, que cela n'aurait pas de sens, en particulier pour les régions.

Enfin, chers collègues de l'opposition, ne mélangez pas tout ! Cette loi organique a pour objectif de préciser au troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution la notion de « part déterminante des ressources locales », et donc d'autonomie financière des collectivités. Cessez d'invoquer ici ce qui concerne la péréquation ! Celle-ci est bien prévue dans la Constitution mais elle fera l'objet d'une loi ordinaire. Le Gouvernement a d'ores et déjà pris des dispositions pour qu'il en soit bien ainsi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué - Monsieur Balligand, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, et j'ai trouvé dans vos propos beaucoup de sévérité...

M. Augustin Bonrepaux - Non, de bon sens !

M. le Ministre délégué -...quelque peu déplacée quand on sait ce qu'a été l'histoire des relations entre l'Etat et les collectivités ces dernières années.

Quel que soit l'avis que l'on porte sur le chantier de la décentralisation, force est de reconnaître que nos projets en ce domaine portent un coup d'arrêt à des dérives inacceptables (« Absolument ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. Augustin Bonrepaux - Pas du tout !

M. le Ministre délégué - M'interrompre et crier fort, Monsieur Bonrepaux, ne vaut pas argument.

Qu'ont fait les socialistes avec l'APA, les SDIS, les 35 heures ? Quinze milliards de fiscalité transformés en dotations, n'était-ce pas eux ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Au contraire, en engageant une réforme constitutionnelle, en déposant un projet de loi organique, ce Gouvernement a fait ce qu'il n'était absolument pas obligé de faire pour transférer des compétences. Rien ne l'empêchait d'opérer simplement ces transferts en les accompagnant de quelques ressources ici ou là. Nous sommes décidés à aller plus loin, pour mettre fin à ces abus inqualifiables !

M. Augustin Bonrepaux - Mais vous faites pire !

M. le Ministre délégué - Monsieur Balligand, je vous ai entendu dresser ce tableau si noir , mais vous semblez avoir oublié le rapport Mauroy, dont nous avons repris nombre de dispositions, car s'il est bien un sujet qui échappe aux traditionnels clivages politiques, c'est celui de la décentralisation !

Nous pouvons débattre à l'infini de cette loi organique, et c'est ce que nous avons fait en première lecture, mais il faut reconnaître que, pour la première fois, nous parlons de ressources propres, concept précisé de surcroît grâce à un amendement du Sénat, et nous déterminons cette fameuse « part déterminante », réclamée en vain depuis des années par les collectivités locales (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). C'est un apport majeur aux relations entre l'Etat et les collectivités locales.

Par ailleurs, je rappelle que je n'ai jamais déposé d'amendement tendant à fixer un pourcentage de 33 % : je m'y suis même opposé lors de l'examen du texte par le Sénat, tout simplement parce que je considère que la référence à l'année 2003 est bien plus intéressante pour les collectivités locales.

Enfin, ne nous rejouez pas sans cesse le même numéro : nous vous avons maintes fois répété que, s'agissant de la taxe professionnelle et de la péréquation, nous respecterons les échéances que nous nous sommes fixées !

Il est peut-être de bon ton de critiquer sévèrement l'action du Gouvernement, mais ce dernier aura au moins eu le mérite de s'atteler à des chantiers que vous aviez délaissés, qu'il s'agisse des retraites, de l'assurance maladie, de la dépendance, de la décentralisation, ou de la réforme de l'Etat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Léonce Deprez - Recourir systématiquement aux motions de procédure...

M. Augustin Bonrepaux - Voudriez-vous nous empêcher de parler ?

M. Léonce Deprez - ...ne nous grandit pas dans l'opinion publique.

M. Jean-Pierre Brard - Et l'UMP en aurait besoin !

M. Léonce Deprez - Les interruptions systématiques non plus ! Je me rappelle que, lorsque j'étais jeune député, il y avait dans les tribunes de nombreux journalistes, attentifs à des débats qui étaient plus dignes...

M. Balligand est un homme d'expérience et maîtrise parfaitement la question de la décentralisation, aussi est-il toujours intéressant de l'écouter. Mais comment peut-il prétendre qu'il n'y a pas matière à délibérer, alors que lui-même engage le débat de fond ? Ne mélangeons pas les genres ! Il a affirmé que le pouvoir « érodait », mais c'est justement parce qu'il a érodé les ressources des collectivités locales que le Gouvernement veut rétablir une certaine autonomie financière de celles-ci, et c'est la raison pour laquelle nous le soutenons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Launay - M. Balligand a posé plusieurs questions auxquelles il n'a pas été répondu. Tout d'abord, cette autonomie financière n'est-elle pas largement factice ? N'est-elle pas une subordination déguisée ?

Les collectivités ont protesté contre certains transferts de compétences, qu'il s'agisse des personnels de l'éducation nationale ou du financement des stages pour les personnes en difficultés, mais vous restez sourds à leurs objurgations. Prises en tenaille entre la montée des charges et la baisse des ressources, elles devront demain se justifier d'avoir à augmenter les impôts locaux !

Le Gouvernement, en outre, prend un risque sérieux en inscrivant dès demain à notre ordre du jour le projet sur les responsabilités locales, s'exposant ainsi à la censure quasi-certaine du Conseil constitutionnel.

M. Balligand l'a dit : « les finances, sont le nerf de la guerre », et l'absence du rapporteur pour avis de la commission des finances est regrettable, compte tenu de la grande imprécision de ce projet de loi organique. Nous voterons donc la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Chassaigne - En écoutant M. Balligand, je me suis mis à plaindre les députés de la majorité, renfoncés dans leurs fauteuils tant ils sont mal à l'aise (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Eux qui, pour nombre d'entre eux, ont défendu leur vie politique durant, l'autonomie des collectivités territoriales, les voici obligés aujourd'hui de se taire, voire de défendre un tel projet !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Quel bon cœur !

M. André Chassaigne - J'ai retenu trois choses de cette question préalable et de l'échange auquel elle a donné lieu... Tout d'abord, l'impréparation de cette loi, qui reste dans un flou artistique, dont témoigne l'amendement de « compromis » adopté par le Sénat.

Son ambiguïté ensuite, car non seulement elle prêtera à confusion, mais elle ne garantira en rien l'autonomie et les ressources des collectivités territoriales. Enfin, le mépris et le cynisme qui apparaissent clairement dans les réponses du ministre, qui sait très bien que le « plancher » dont il parle n'apporte aucune garantie, que la péréquation est justement la question fondamentale, et que la TIPP ne permettra pas de compenser les transferts de compétences.

Pour toutes ces raisons, nous voterons la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Pierre Brard - Le texte, censé assurer l'autonomie financière des collectivités locales, est passé à l'essoreuse sénatoriale. Il est vrai que pour Bercy, et pour son super-ministre de tout, la volonté est très forte de s'en tenir à une compensation financière à minima des transferts de compétences.

On peut considérer que les collectivités territoriales disposent aujourd'hui de l'autonomie financière, assise sur une autonomie fiscale substantielle, des finances saines, et une absence de tutelle préalable aux décisions. Il faut cependant nuancer cette appréciation, en soulignant que la marge d'autonomie fiscale des régions est moindre que celle des autres échelons territoriaux, que les dépenses « contraintes » ne sont pas négligeables et que l'intercommunalité n'est pas encore financièrement autonome. De plus, les fortes disparités entre collectivités relativisent l'autonomie réelle de nombre d'entre elles. Il apparaît donc clairement que l'autonomie financière de l'ensemble des collectivités est menacée à terme, de nombreux facteurs tendant à restreindre leurs marges de manœuvre.

Il conviendrait donc de réformer les impôts locaux, de définir de nouveaux modes de compensation des transferts de compétences, de simplifier et d'intensifier la péréquation, de procéder au renforcement financier de l'intercommunalité et de la région, d'établir enfin de nouvelles règles du jeu entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Or, ce qui nous est présenté, c'est une loi dont le champ est très limité, puisqu'il ne s'agit que de préciser les termes du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution afin de définir chacun des critères utilisés pour déterminer le concept d'autonomie financière.

On aura constaté que le rapporteur a eu beaucoup à dire sur un texte d'une portée aussi limitée ; cela démontre qu'à défaut de talents financiers, il a un talent rhétorique. Encore aurait-il dû faire preuve d'un peu plus d'humilité...

M. le Président de la commission - Mais quand on a son talent...

M. Jean-Pierre Brard - Ah ! Monsieur Clément ! Vous avez affirmé cet après-midi ne pas faire de politique, comme toujours le disent les hommes politiques de droite, surtout lorsqu'ils s'apprêtent à faire la pire des politiques ! Sur le fond, l'objet de ce court texte est très circonscrit, mais il ne doit pas, pour autant, être pris à la légère - n'est-ce pas Monsieur Piron ? 

M. Michel Piron - Loin de moi cette idée !

M. le Président - Monsieur Brard, n'interpellez pas vos collègues !

M. Jean-Pierre Brard - Vous savez, toute l'importance que j'attache au dialogue, Monsieur le Président !

M. le Président - Le moment est mal choisi !

M. Jean-Pierre Brard - Il s'agit en effet des relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales. Au Sénat, M. Hoeffel a déposé un amendement reprenant la position du bureau de l'Association des maires de France, selon laquelle les ressources propres des collectivités doivent être exclusivement constituées des « produits des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif ». Cette formulation, très claire, a pourtant été refusée par le Gouvernement et par une partie non négligeable de la majorité du Sénat, alors qu'il aurait dû être considéré comme plutôt consensuel. Sa rédaction a été revue et émasculée (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), si bien que l'on ajoute désormais aux ressources propres précédemment définies « les ressources dont la loi détermine par collectivité la localisation de l'assiette et du taux »...

M. Michel Piron - Il me semble que le texte a été complété plutôt qu'émasculé.... (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - Non, puisqu'il ne reste rien ! Les collectivités locales n'ont aucune prise sur ces ressources-là ! Autant dire, Monsieur le ministre Copé, que parler d'autonomie fiscale est un abus de langage. De fait, le texte adopté par le Sénat maintient le statu quo, et aucun objectif de progression n'a été retenu. Le rapporteur a cherché à émouvoir les chaumières en expliquant que l'autonomie financière avait beaucoup reculé mais qu'elle ne reculerait plus ; seulement, tout dépend du talent de l'UMP en matière de coups tordus, et il est certain !

M. le Président de la commission - Nous en sommes fiers !

M. Jean-Pierre Brard - Selon la formule du sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, « lorsqu'on est pauvre, il est bien d'être autonome, mais cela ne réduit pas la pauvreté pour autant ». Je ne citerai qu'un seul exemple : en Seine-Saint-Denis, la charge du RMI a crû de 85 % entre 1993 et 2002. Mais, pendant la même période, la TIPP a augmenté, elle, de 24,33 % seulement. Voilà, Monsieur le rapporteur, toute la différence entre la réalité et la rhétorique ! De plus, le transfert du produit de la TIPP aux collectivités territoriales présente plusieurs inconvénients. En premier lieu, l'Union européenne est hostile à la modulation du taux de taxation du gazole, au nom du principe de libre concurrence entre les différents modes de transport routier de marchandises. Dans le même temps, le gazole consommé par les véhicules affectés à ce transport bénéficient de dégrèvements qui sont, à mon sens, manifestement excessifs et qui faussent la concurrence avec le ferroutage. Le transport routier bénéficie ainsi d'un avantage financier injustifié alors qu'il est polluant, coûteux pour la collectivité, et qu'il compromet le respect des engagements internationaux pris par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Avec ce texte, nous allons nous trouver dans la situation absurde où les collectivités qui feront des efforts financiers pour développer les transports en commun de voyageurs, réduisant du même coup la pollution de l'air, seront pénalisées par la baisse de leurs recettes de TIPP !

M. le Président - Monsieur Brard, veuillez conclure !

M. Jean-Pierre Brard - De plus, l'avenir même de la TIPP est incertain puisque le pétrole est une ressource dont les réserves sont limitées et que son rôle comme carburant est donc appelé à diminuer. Et pourtant, c'est sur cette taxe que le Gouvernement assied les ressources des collectivités territoriales ! Quoi que vous en disiez, les transferts financiers sont sciemment sous-évalués, la question de la péréquation est occultée et le principe d'expérimentation méconnu. Même si, lors de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2004 par le Sénat, le Gouvernement a été contraint de revoir sa copie, même s'il a dû reculer, après la gifle des élections régionales et cantonales, s'agissant de l'exclusion de centaines de milliers de chômeurs du bénéfice de l'ASS, il persiste dans son autisme et continue de ne pas entendre ce que dit le pays. Il faut se rendre à l'évidence : voter ce texte reviendrait à réduire les garanties d'autonomie financière, au détriment des élus locaux. C'est pourquoi nous voterons contre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Michel Bouvard - Je veux redire l'attachement du groupe UMP à la réussite de la nouvelle étape de la décentralisation. Elle suppose que l'autonomie financière des collectivités territoriales soit garantie de manière satisfaisante. Nous savons tous, sur tous les bancs, que la véritable liberté locale commence par la capacité à maîtriser ses ressources fiscales, et le Président de la République y a insisté. J'ai eu l'occasion, en première lecture, de rappeler que les précédentes étapes de la décentralisation se sont le plus souvent traduites par une hausse de la fiscalité locale, due à la fois à l'insuffisance des transferts de l'Etat et au souci des élus locaux d'assurer des services de meilleure qualité et de conduire des politiques plus dynamiques. Le projet qui nous est soumis tend à inscrire dans la durée et dans la confiance les relations entre l'Etat et les collectivités locales en déterminant les conditions d'application de leur autonomie financière. C'est autour de l'article premier, qui définit la notion de « ressources propres », que nos débats se sont focalisés en première lecture. Les sénateurs ont précisé le texte que nous avions voté, après un débat qui, au Sénat également, a porté sur la nature des impôts transférés par l'Etat et sur la capacité des collectivités territoriales à en déterminer l'assiette et le taux. A cet égard, la formulation du sénateur Fréville constitue un progrès. Dans un contexte budgétaire difficile, c'est une avancée que le groupe UMP salue.

A l'article 3, le Sénat a maintenu la référence au niveau constaté en 2003 pour la part minimum des ressources propres et, les sénateurs ont précisé l'article 4.

Quoi qu'en dise l'opposition, ce texte marque un incontestable progrès, puisqu'à la veille d'une nouvelle étape de la décentralisation, il précise le cadre des relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales. La réforme des SDIS et l'APA ont montré encore récemment combien cela était nécessaire.

On peut dire que ce texte est insuffisant, qu'il est imparfait, qu'il n'est pas assez précis, mais on ne peut pas dire qu'il constitue une régression : quel élu local pourrait-il dire que les transferts opérés au cours des deux dernières décennies ont été justes ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Je ne dis pas que ce texte réglera tous les problèmes, mais j'ai la conviction qu'il apportera aux collectivités territoriales une sécurité qu'elles n'ont jamais connue, ne serait-ce que parce qu'il leur ouvrira la possibilité d'un dialogue sur des bases plus saines et parce qu'il reconnaît leur autonomie financière. Notre groupe votera donc ce projet, avec réalisme et lucidité.

L'autonomie devant s'apprécier par niveau de collectivité, je voudrais revenir sur le dossier de la péréquation, à laquelle j'ai toujours affirmé notre attachement - à condition qu'elle se fasse sur des bases justes, c'est-à-dire en tenant compte non seulement des écarts de richesse déterminés par le potentiel fiscal, mais aussi des niveaux de charges. J'ai toujours dit aussi qu'il appartenait au Parlement de veiller à la mise en œuvre de la péréquation, et que le pouvoir d'en déterminer la part pouvait difficilement être transféré au Comité des finances locales qui, malgré la qualité de ses membres, ne dispose pas de la légitimité de la représentation nationale ; les derniers avatars de son fonctionnement me confortent dans cette analyse...

Le récent rapport du CFL sur la réforme des dotations de l'Etat aux collectivités locales ne me satisfait pas. D'abord parce qu'il n'évoque qu'à peine les indicateurs de charges. Ensuite parce qu'il envisage une nouvelle péréquation entre les départements : après la dotation de fonctionnement minimum au bénéfice des départements ruraux, qui a toute sa légitimité, il propose une dotation de fonctionnement minimum au bénéfice des départements urbains défavorisés ; comment fera-t-on pour que cela ne nuise pas aux départements ruraux ou à ceux qui ont déjà de lourdes charges ?

M. Augustin Bonrepaux - Bonne remarque !

M. Michel Bouvard - Enfin parce que, de façon surprenante, il envisage l'intégration au potentiel fiscal des ressources des droits de mutation, lesquels sont assis sur des flux qui n'ont guère de constance et dont l'élasticité par rapport à l'activité économique peut provoquer des effets de « ciseaux ».

Sur des sujets aussi importants, c'est au Parlement qu'il appartient de prendre les décisions.

M. Augustin Bonrepaux - Et pas à la sauvette !

M. Michel Bouvard - Personnellement, je n'avais pas voté la disposition de la loi de finances pour 2004 renforçant les compétences du CFL.

Le groupe UMP apporte son soutien à ce texte qui, je le répète, marque une rupture par rapport à la situation antérieure de soumission des collectivités aux diktats de l'Etat, à l'égard duquel elles ne pouvaient que constater l'accroissement de leur niveau de dépendance fiscale : désormais, il y aura un outil de dialogue, un support qui apportera une sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Didier Migaud - Nous sommes peut-être arrivés, au bout de deux ans, au terme de ce que le Premier ministre appelle « la mère de toutes les réformes ». Le projet qui sera finalement voté correspondra-t-il aux aspirations qu'il a fait naître ? Malheureusement non.

Lorsque le Premier ministre a lancé au Sénat le 29 octobre 2002 le chantier de l'organisation décentralisée de la République, beaucoup de parlementaires enthousiastes n'ont pas saisi toute la portée de ses propos évoquant la nécessité de « veiller à ce que l'autonomie ne soit pas remise en cause », de manière, disait-il, « à obtenir un texte qui protège notre capacité à opérer des transferts de compétences ». Voilà quel était le véritable objectif : transférer des compétences, mais en fait surtout des charges. La protection de l'autonomie financière n'a jamais été un objectif en soi ; ce n'était qu'un moyen pour lancer ce que le Président Debré a appelé la « grande braderie de la République ».

Si cela avait été dit de façon explicite, combien de nos collègues auraient voté la révision constitutionnelle ? Probablement peu... C'est pourquoi le Gouvernement les a laissés le plus longtemps possible dans le flou.

En imposant une définition paradoxale et même cynique des ressources propres, ce gouvernement vide de toute substance le principe d'autonomie financière qu'il a voulu inscrire dans la Constitution. La question du niveau en deçà duquel ce principe est violé n'a plus d'objet, puisque tout est ressource propre !

La seule conséquence juridique véritablement nouvelle concerne la péréquation, désormais rendue incompatible avec le principe d'autonomie financière. Notre rapporteur propose carrément de considérer qu'une imposition dont le taux serait voté pour une catégorie de collectivités, soit un taux pour 36 000 communes, serait conforme au principe constitutionnel ! Il est vrai que le Premier ministre voulait remédier à la complexité... Chaque année, les maires attendront donc de connaître, dans le projet de loi de finances, le taux fixé par le Gouvernement pour l'imposition dont une partie du produit leur sera reversée. Qu'y pourront-t-ils ? Rien ! Les élus locaux seront transformés en comptables, tandis que nos concitoyens subiront la hausse inéluctable des impôts locaux et verront les services publics devenir plus chers et moins accessibles.

Ce projet dit de décentralisation est le fruit du mariage entre les convictions libérales du Premier ministre et un courant de pensée, répandu parmi les parlementaires et dans la haute fonction publique, selon lequel les collectivités locales et les services qu'elles rendent aux citoyens coûtent trop cher à l'Etat.

Je crains qu'avec ce texte, les élus locaux passent un marché de dupes. Je rassure M. Bouvard : le Comité des finances locales peut exprimer des avis, c'est le Parlement qui tranche. Encore faut-il qu'il en ait le courage face au Gouvernement.

La révision constitutionnelle n'a rien apporté de nouveau : tout dépendait de la définition des ressources propres qui allait être retenue. Avec ce que vous proposez, nous craignons que la situation des collectivités locales soit moins bonne demain qu'aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles de Courson - Le groupe UDF a toujours considéré que la France était un Etat par trop centralisé et que cette situation constituait un frein aux réformes. Il est donc un ardent défenseur de la décentralisation et, à ce titre, s'est félicité que soit reconnu dans la Constitution le principe d'autonomie financière des collectivités locales. Cependant, dès le vote de la révision, il s'est inquiété des modalités d'application de ce principe. Plus précisément, il a regretté qu'en amont du débat sur ce projet de loi organique, le Gouvernement n'ait pas répondu avec la précision nécessaire à deux questions fondamentales : une fiscalité locale est-elle encore possible et les projets gouvernementaux en la matière servent-ils l'autonomie financière des collectivités ?

Pour l'UDF, on peut doter les collectivités d'une fiscalité respectant le principe d'autonomie financière à condition de respecter les critères du bon impôt local, qui sont au nombre de quatre : l'eurocompatibilité, le caractère démocratique - l'impôt est-il payé par ceux qui votent ? -, la stabilité, c'est-à-dire que l'assiette doit être peu manipulable et aisément localisable, et, enfin, son caractère juste, c'est-à-dire cohérent avec les facultés contributives des contribuables.

Les impôts existants peuvent-ils assurer durablement un financement autonome des collectivités ? La réponse est clairement négative. La taxe sur le foncier non bâti a été supprimée pour les départements et les régions, la taxe d'habitation l'a été pour les régions et a été plafonnée en fonction du revenu, pour les communes et les départements. Quant à la taxe professionnelle, la suppression de la part salariale et le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée en ont fortement réduit le produit, et l'annonce de son remplacement par un nouvel impôt n'est pas de nature à améliorer la situation. Enfin, les gouvernements successifs ont renoncé à moderniser l'assiette des quatre impôts directs.

Quant aux droits de mutation à titre onéreux, le niveau trop élevé de leurs taux a entraîné leur fixation à un niveau plus bas pour les communes et les départements.

Pour la taxe locale sur l'électricité, la plupart des départements, communes et syndicats d'électricité ont des taux proches du plafond.

Certes, le législateur pourrait relever les taux plafonds de certains de ces impôts locaux, mais cette politique se heurte au principe de justice. Le poids de la taxe d'habitation est devenu excessif dans beaucoup de collectivités, celui de la taxe professionnelle constitue un frein à la modernisation des entreprises fortement capitalistiques et donc à la création d'emplois. Il faut donc trouver d'autres ressources fiscales.

Or, iI n'existe que peu d'impôts nationaux respectant les quatre critères du bon impôt local et donc susceptibles d'être transférés aux collectivités.

Tout d'abord, trois ne peuvent être transférés : une TVA locale serait euro-incompatible ; un impôt local sur le revenu ne serait ni démocratique ni juste ; un impôt local sur les sociétés serait probablement eurocompatible mais son assiette serait instable, manipulable et difficilement localisable.

Il ne reste donc que la CSG : elle est eurocompatible, démocratique, localisable et juste. La question qui se pose, dès lors, est de savoir s'il est opportun d'en baisser le taux national et d'en confier la fixation aux régions et aux départements. Pour ma part, j'ai toujours plaidé en ce sens.

Par contre, les projets gouvernementaux consistant à transférer aux départements une partie de la taxe sur les conventions d'assurance automobile et aux départements et aux régions une partie de la TIPP permettront pas de respecter totalement le principe d'autonomie financière. En effet, parce qu'elle est recouvrée dans les raffineries, la TIPP n'a pas d'assiette localisable, et tenter d'y remédier à l'aide de calculs statistiques ne garantira jamais l'autonomie financière. Quant aux taux, la Commission a rappelé au Gouvernement que ceux afférents au gazole ne pouvaient en aucun cas être fixés au niveau régional et que, pour les autres produits pétroliers, dont la consommation décline, seule une décision à l'unanimité du conseil des ministres de l'Union pourrait autoriser à les moduler.

M. Didier Migaud - Nous ne sommes donc pas près de le voir !

M. Charles de Courson - Pour ce qui est de la taxe sur les conventions d'assurance automobile, le Gouvernement envisage de donner sur son produit 900 millions d'euros aux départements dès 2005 et d'accorder la modulation des taux en 2007, après transfert complémentaire de 2,3 milliards d'euros. Mais son assiette est difficilement « départementalisable », les entreprises pouvant modifier aisément la localisation de leurs flottes de véhicules. Quant aux taux, leur niveau actuel - 33 % - risque d'accentuer la délocalisation de l'assurance desdites flottes. Enfin, l'éventuel assujettissement de l'assurance dommage à la TVA, demandée par les entreprises d'assurance, entraînerait une suppression de la TCAA, comme le préconise d'ailleurs la Commission européenne. Dans cette hypothèse, cette taxe serait remplacée par une dotation budgétaire.

De tout cela, il ressort qu'on ne peut assurer durablement l'autonomie financière des départements et régions par ces deux impôts. Venons-en donc au projet de loi organique.

Dans son état actuel, celui-ci ne peut garantir, à notre sens, l'autonomie financière des collectivités territoriales. C'est pourquoi nous proposons de revenir à la proposition initiale, dite Hoeffel-Mercier : celle que nous avions défendue en première lecture.

En effet, la définition de l'autonomie financière issue des débats sénatoriaux et de l'amendement Fréville est incompréhensible et comporte des risques constitutionnel, juridique, technique et politique.

Un risque d'inconstitutionnalité : une ressource propre d'une catégorie de collectivités dont seul le taux est localisable de par la loi, mais non l'assiette, est contraire au principe d'autonomie financière défini par l'article 72-2, puisqu'une ressource propre dont la loi détermine l'assiette et le taux est assimilable à une versement représentatif d'un impôt, donc à une dotation. De plus, contrairement à ce qu'affirme le sénateur Fréville, la part de TIPP affectée aux régions comme aux départements est un prélèvement sur recette et non pas une recette fiscale.

Un problème juridique : la rédaction de l'article 2 pose le problème de savoir s'il peut exister des critères de localisation de l'assiette d'un impôt national qui soient, au regard de l'autonomie financière, différents de ceux des textes législatifs ayant créé cet impôt national. Prenons par exemple la TIPP : en vertu des textes, elle est perçue dans les raffineries. Une loi peut-elle prévoir, en vue de garantir l'autonomie financière , la définition d'une assiette statistique différente de celle du texte ayant défini l'impôt ? Pour ma part, je ne le crois pas, mais la thèse contraire peut être soutenue... Le juge constitutionnel aura probablement à en trancher.

Des problèmes techniques : je les ai exposés en ce qui concerne la TIPP et la TCAA, mais il faudrait y ajouter le coût, pour les assurances, de la modification de tous les programmes informatiques permettant d'« éclater » les assiettes.

Enfin, le risque le plus grave : le risque politique. De la réforme constitutionnelle, les élus locaux ont surtout retenu qu'au rebours de la politique menée par la gauche - ou par une partie de la gauche -, le taux d'autonomie serait désormais préservé et qu'on ne pourrait plus descendre en dessous du taux d'autonomie constaté en 2003 ou en 2004. Mais, si nous votons le texte du Sénat, un gouvernement futur pourrait totalement supprimer l'autonomie financière en substituant à des impôts locaux, c'est-à-dire des impôts dont on peut fixer l'assiette et/ou le taux au niveau local, des prélèvements sur des impôts nationaux. Il suffirait en effet d'une loi affectant telle proportion de la TIPP à telle région. D'ailleurs, l'amendement Fréville a été conçu pour cela ! Que se passera-t-il alors ? Les élus locaux, globalement favorables à la décentralisation, changeront d'avis quand ils découvriront « la vraie nature de Bernadette », comme dirait l'autre : à savoir qu'on a vidé la Constitution de sa substance !

M. René Dosière - C'est lumineux !

M. Charles de Courson - Quant à la nouvelle rédaction proposée par notre rapporteur - « ou par catégorie de collectivités, le taux ou une part locale d'assiette » -, loin de résoudre ces problèmes, elle les aggrave.

La lecture de la Constitution faite par M. Geoffroy n'est pas exacte, en effet : le troisième alinéa de l'article 72-2 fait mention des « recettes fiscales », et non pas des impositions de toutes natures qui ne figurent que dans le deuxième alinéa.

M. le Rapporteur - L'un découle de l'autre !

M. Charles de Courson - Non. Dès lors, l'amendement permet d'appeler « ressource propre » ce qui n'en est pas une. En effet, cette rédaction permettrait de considérer comme telle un impôt national dépourvu d'assiette locale, à condition que le taux par catégorie de collectivités soit déterminé dans la loi. Cette position n'est pas tenable.

De plus, quelle est la signification de la notion de « part locale d'assiette » ? Suffirait-il d'affecter deux millièmes de TIPP à la Bretagne pour que cette exigence soit satisfaite ? Pour moi, nous en resterions à un prélèvement sur recettes, ce ne serait en rien une recette fiscale.

La solution pour sortir de cette situation est très simple : il vous suffit de voter notre amendement (Sourires) visant à supprimer cette deuxième partie de phrase et à revenir à la rédaction de la commission des lois et de la commission des finances du Sénat, rédaction que nous avions proposée dès la première lecture. Il serait ainsi clair que les seuls impôts inscrits à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, c'est-à-dire ceux dont les collectivités peuvent fixer l'assiette et/ou le taux dans les limites déterminées par la loi, constituent des ressources propres garantissant l'autonomie financière des collectivités territoriales. Cette rédaction, seule tenable, permettrait d'enrayer la dégradation de l'autonomie financière.

En son état actuel, le texte ne répond pas à la définition de bon sens de l'autonomie financière, qui implique la maîtrise du taux et de l'assiette. En outre, est-il raisonnable de le voter contre l'avis de la totalité des organisations représentatives des élus ? Nous le voterons si l'Assemblée accepte notre amendement revenant à la rédaction Hoeffel. S'il est rejeté, nous voterons contre le projet, comme en première lecture ; et le groupe UDF réexaminera sa position en dernière lecture du projet de loi sur les responsabilités locales (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, mercredi 21 juillet, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 15.

                  Le Directeur du service
                  des comptes rendus analytiques,

                  François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 21 JUILLET 2004

A NEUF HEURES TRENTE - 1re SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi organique (n° 1638) pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Rapport (n° 1674) de M. Guy GEOFFROY, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

A QUINZE HEURES - 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Suite de l'ordre du jour de la première séance

2. Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 1711) relatif aux libertés et responsabilités locales.

Rapport (n° 1733) de M. Alain GEST, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE - 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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