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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2003-2004 - 17ème jour de séance, 44ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 22 JUILLET 2004

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Sommaire

      ÉLECTRICITÉ ET GAZ (CMP) 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 5

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

ÉLECTRICITÉ ET GAZ (CMP)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre soumettant à l'approbation de l'Assemblée Nationale le texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission mixte paritaire - Nous voici au terme d'un long parcours commencé au mois de juin suite à la décision du Gouvernement de remplir les engagements européens de notre pays.

L'Assemblée Nationale et le Sénat ont su parvenir à un large consensus pour présenter un texte conforme à l'esprit du projet gouvernemental et aux intérêts des entreprises publiques EDF et GDF. Ainsi le Sénat a-t-il adopté conforme 18 articles sur 39 et cette volonté d'accord s'est manifestée de façon éclatante en CMP.

Ce projet vise d'abord à transposer la directive de l'an dernier...

M. François Brottes - C'est un prétexte !

M. le Rapporteur - ...qui faisait suite au sommet de Barcelone au cours duquel M. Jospin avait fort lucidement engagé notre pays sur la voie de la modernisation. Le texte présenté était alors largement conforme à un certain nombre de souhaits exprimés par des responsables du parti socialiste et en particulier Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius qui, empêchés par d'autres obligations, n'ont hélas pu faire part dans cet hémicycle des idées qu'ils avaient précisément formulées (Sourires).

M. François Brottes - C'est le Café du Commerce, ce matin, Monsieur le rapporteur !

M. le Rapporteur - Ce projet vise également à transposer l'accord social intervenu sur le devenir du régime des retraites signé en janvier 2003, mais aussi à adapter la forme juridique de l'entreprise qui, d'EPCI devient SA.

Le Sénat a retenu deux dispositions importantes, qui doivent beaucoup à M. Ollier que je tiens à saluer, et tout d'abord concernant le tarif social que nous avons étendu après que le Gouvernement a mis en application des dispositions anciennes que la précédente majorité s'était bien gardée de mettre en œuvre. Le Sénat a aussi retenu une disposition à laquelle j'étais attaché, celle qui autorise les collectivités locales à ne pas utiliser la procédure d'appel d'offres quand elles font jouer leur éligibilité.

Le Sénat a enrichi ce texte en adoptant quatorze articles additionnels particulièrement pertinents. Ainsi, les sénateurs ont adopté une disposition réclamée à plusieurs reprises par l'Assemblée nationale sur l'accès des tiers au stockage. Nous avions en effet formé le vœu que cette possibilité, inscrite dans la directive, s'applique en droit français. Cela supposait de résoudre un certain nombre de problèmes juridiques et techniques. Un travail fécond a permis d'aboutir à un texte que la CMP a repris intégralement. Toutefois, il nous a paru nécessaire d'insérer ces nouvelles dispositions dans la loi du 3 janvier 2003, afin de former un ensemble cohérent. La transposition se fait a minima, puisque l'accès des tiers sera négocié et non régulé, mais cette formule est conforme à la directive et le Gouvernement français avait insisté pour qu'on s'en tînt là.

La CMP a aussi retenu le dispositif adopté par le Sénat pour parvenir à une meilleure rémunération de l'effacement des grands consommateurs d'électricité.

Le Sénat a encore amélioré les dispositions transitoires qui vont régir le secteur dans les mois à venir. Je pense en particulier aux tarifs d'acheminement de l'électricité : le dispositif retenu donne entièrement satisfaction.

Un point restait en discussion : le problème des retraites. Il était résolu au fond, puisque nous avions transposé l'accord signé par les organisations syndicales, mais une solution restait à trouver pour les entreprises du secteur électrique qui, avant la loi du 10 février 2000, vendaient leur électricité à EDF. Ces entreprises, sorties du secteur public, étaient fortement pénalisées, puisqu'elles devaient verser une importante contribution au titre des droits acquis par leurs salariés. Or elles n'avaient pu provisionner ces sommes, d'autant qu'elles vendaient leur électricité à un prix qui ne l'aurait pas permis. L'Assemblée avait demandé au Gouvernement de réfléchir à un dispositif équitable. Une solution a été trouvée au Sénat et la CMP a amélioré le dispositif. Les producteurs du secteur public liés par contrat à EDF avant le 10 février 2000 bénéficieront de la réduction de la masse salariale prise en compte.

Enfin, de nouvelles dispositions relatives au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz devaient s'ajouter à celles contenues dans la loi d'orientation sur l'énergie. La CMP a jugé préférable de réunir l'ensemble des règles dans un même texte. Cet organe devient le « Conseil supérieur de l'énergie » et sa composition est légèrement modifiée pour tenir compte, dans le collège patronal, de l'ouverture à la concurrence.

Nous aboutissons donc à un texte conforme à la réalité.

M. Daniel Paul - Conforme à ce que vous souhaitez !

M. le Rapporteur - Aujourd'hui, le marché est ouvert à 70 %.

Comme il n'est pas interdit, à cette tribune, d'être sincère, je veux dire que nous avons apprécié l'attitude ouverte et constructive du Gouvernement, qui a su nouer le dialogue. Nous avons pu, de la sorte, parvenir à un texte qui répond aux attentes comme aux exigences du moment. Je remercie le président de la commission des affaires économiques pour la grande latitude qu'il m'a laissée dans l'examen de ce texte. Je remercie les collaborateurs du ministre et ceux des commissions pour leur travail.

L'Assemblée nationale et votre rapporteur ont apprécié l'attitude de M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de ce texte au Sénat : il n'a cessé de chercher à rapprocher nos points de vue et, en CMP, nous a fait profiter de sa parfaite connaissance du dossier.

Nous avons, en ce jour, mis la dernière main à une œuvre importante.

M. François Brottes - Triste journée !

M. le Rapporteur - Le vote de ce texte apparaîtra bientôt comme une étape décisive pour le développement de deux grandes entreprises qui vont devenir de vrais champions, contribuant ainsi au rayonnement de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Ollier, président de la CMP - Nous aurons bientôt fini l'examen d'un texte qu'on a prétendu impossible à faire adopter par notre propre majorité. Or, la pédagogie porte toujours ses fruits. A cet égard, je veux remercier Nicolas Sarkozy et Patrick Devedjian pour leur effort de concertation.

La majorité, pas plus que le Gouvernement, n'a de mauvaises intentions. Ce texte illustre notre pragmatisme. Le monde bouge, l'Europe s'organise, il est nécessaire que nos entreprises s'adaptent. Après avoir été la première en France, EDF sera la première en Europe. Il fallait revoir sa forme juridique : c'est chose faite ! Son capital est ouvert à 70 % et je remercie le Parlement d'avoir retenu l'amendement que j'avais déposé avec le rapporteur. Le Gouvernement conserve la maîtrise de l'opération. Personne ne peut le soupçonner d'avoir de mauvaises intentions.

Je remercie le Sénat d'avoir accepté que les agents puissent devenir actionnaires de leur entreprise.

Ce texte va permettre à EDF, le moment venu, de financer sa modernisation et de mettre en œuvre l'EPR. Il a fallu au Gouvernement un grand courage pour mener à bien cette réforme. Mais je veux aussi rendre hommage à tous ceux qui ont soutenu l'EPR. Sans citer M. Bataille, il y a sur les bancs de l'opposition des personnes courageuses que je tiens à saluer.

Du courage, il y en a eu aussi à ouvrir des négociations avec les syndicats. Il y a eu parfois des débordements, mais le sens des responsabilités l'a emporté, grâce aussi à la méthode qui consiste à expliquer avant de décider.

Ce texte consolide la continuité du service public de l'énergie, nous nous en réjouissons.

Je tiens, en conclusion, à remercier le rapporteur pour sa grande compétence et son infinie patience face aux centaines d'amendements qui déferlaient. Je remercie aussi le responsable du groupe UMP, M. Gonnot, pour son soutien dans un parcours que certaines tentatives d'obstruction ont parfois rendu difficile. Cela m'amène à remercier aussi MM. Brottes et Paul, pour le respect réciproque dont ont toujours été empreintes nos discussions, en dépit de leur longueur. Nous avons échangé des arguments, débattu, combattu, comme le veut la démocratie. Je remercie aussi le Sénat, qui a fait preuve de beaucoup d'objectivité et qui a fait en CMP l'effort nécessaire pour que nous parvenions à un texte satisfaisant. Je m'associe, bien sûr, aux remerciements du rapporteur envers les fonctionnaires, qui ont été très sollicités pendant ces deux derniers mois, et envers la présidence. J'ai, enfin, beaucoup apprécié l'ouverture d'esprit de M. Sarkozy et de M. Devedjian et je constate que ce partenariat avec eux a permis un travail efficace.

Je me tourne maintenant vers la majorité pour lui demander de voter avec confiance et enthousiasme le texte que nous lui proposons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Depuis le 1er juillet 2004, le marché de l'électricité est ouvert à 70% à la concurrence et déjà quelques centaines de clients ont quitté EDF pour bénéficier des offres de ses concurrents. Il ne s'agit pas d'une révolution - cela représente moins de 1% du chiffre d'affaires d'EDF - mais des prémices d'une évolution de fond qui verra les parts de marché d'EDF et de Gaz de France en France s'éroder progressivement.

M. Daniel Paul - Il n'y a pas lieu de s'en féliciter !

M. le Ministre délégué - Je crois que les débats ont bien montré que, face à cette évolution, l'immobilisme ne pouvait être une réponse. En tout cas, ce n'est pas celle du Gouvernement, raison pour laquelle nous avons proposé de transformer les EPIC EDF et Gaz de France en sociétés anonymes. Cela leur permettra à la fois : de ne plus être la cible de la Commission européenne; de pouvoir offrir en même temps de l'électricité, du gaz et des services ; de disposer de toute la liberté nécessaire pour agir en Europe, notamment en Espagne ou en Italie ; de disposer des financements suffisants pour se développer.

La transformation en SA n'est donc en rien un renoncement d'EDF à ses valeurs, mais au contraire une condition nécessaire pour qu'EDF puisse y rester fidèle dans son nouvel environnement concurrentiel.

Normalement, la France aurait dû transposer les deuxièmes directives européennes avant le 1er juillet 2004. Certes, seuls quelques pays ont respecté cette échéance mais cela ne saurait constituer une excuse à notre propre retard. Il n'y a pas de raison en effet que la France ne figure pas, pour une fois, parmi les bons élèves de la classe européenne. Je rappelle qu'elle se situe seulement, pour ce qui est de la transposition des directives, au dix-septième rang, ce qui signifie qu'elle est non seulement la dernière des Quinze, mais qu'en outre deux nouveaux entrants ont déjà fait mieux qu'elle !

M. le Président de la CMP - Qu'a fait la gauche pendant cinq ans ?

M. le Ministre délégué - Oh, les responsabilités sont partagées ! Compte tenu de ce contexte, je me réjouis de la diligence avec laquelle l'Assemblée nationale et le Sénat ont travaillé, et ce d'autant plus que cette célérité a été conciliée avec une grande qualité des débats et avec un plein respect des droits de l'opposition, qui a parfois sollicité notre patience - n'est-ce pas Monsieur Paul ? -, en donnant un peu dans la répétition...

M. Daniel Paul - Le psittacisme ?

M. le Ministre délégué - ...mais toujours dans la courtoisie et dans le souci de la démocratie.

Je remercie le président Ollier d'avoir toujours su donner aux débats un caractère utile, que ce soit en commission des affaires économiques, en séance ou en CMP. Je remercie aussi ce grand expert d'EDF qu'est votre rapporteur, M. Lenoir, dont le savoir et la finesse d'analyse nous ont impressionnés.

Le texte issu de la CMP est un texte profondément enrichi, notamment sur les sujets importants suivants : le taux de détention minimum par l'Etat du capital d'EDF et de Gaz de France a été augmenté de 50 à 70 % grâce à l'amendement de la commission des affaires économiques. Non seulement EDF et Gaz de France ne seront pas privatisés, mais de plus l'Etat conservera la pleine maîtrise de la définition de leur stratégie ; le taux de participation des salariés à toute éventuelle augmentation de capital a été porté de 10 à 15 %, afin qu'ils puissent bénéficier pleinement du fruit de leur travail et prennent demain une large place dans le capital de leurs entreprises. Associer le capital et le travail, voilà un concept qui dépasse celui de lutte des classes !

M. Daniel Paul - Vieux rêve !

M. le Ministre délégué - La gauche ne va pas reprocher à la droite d'avoir ses rêves ! L'humanité ne progresse que par ses rêves. Le nôtre est la réconciliation des classes sociales plutôt que leur affrontement.

Un bon équilibre a été trouvé entre l'Assemblée et le Sénat pour concilier l'indépendance de gestion des réseaux de transport et le caractère intégré d'EDF et de Gaz de France. La soumission de la nomination du seul directeur général d'EDF Transport à l'accord du ministre, la création d'un code de bonne de conduite et d'un rapport de la CRE sur l'indépendance des gestionnaires de réseaux sont des ajouts utiles au texte.

Enfin, on ne peut que se réjouir de l'initiative du Sénat de proposer un dispositif complet d'accès négocié des tiers au stockage de gaz conciliant le service public et l'ouverture à la concurrence. Ce dispositif répond à l'un des souhaits qui avaient été exprimés par plusieurs d'entre vous, en particulier M. Gonnot. Il permettra de plus à la France d'avoir transposé l'ensemble des directives européennes.

Le projet de loi qui vous est présenté est donc un projet équilibré qui satisfait pleinement le Gouvernement et que je vous propose d'adopter en l'état ainsi que l'a fait le Sénat hier.

C'est une étape importante qui sera ainsi franchie dans la voie de la modernisation de nos deux champions nationaux, qui ont vocation à devenir des champions européens et même mondiaux.

Pour autant, je sais qu'il nous reste un travail considérable à accomplir pour donner à ces deux entreprises tous les moyens, notamment financiers, de réussir, ce qui pose évidemment la question de l'augmentation de leur capital. C'est un sujet auquel le Gouvernement entend s'attaquer dès septembre et auquel il associera étroitement le Parlement, ainsi que l'ensemble des acteurs concernés, en particulier les salariés des entreprises.

Enfin, le Gouvernement s'engage à prendre dans les meilleurs délais les quelque vingt-cinq décrets d'application de ce texte.

Je remercie l'Assemblée nationale et ses personnels de la disponibilité dont ils ont fait preuve dans la discussion de ce projet, notamment au cours de longues séances de nuit. Le Gouvernement est reconnaissant de la bonne volonté de tous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité.

M. Christian Bataille - En première lecture, Monsieur le ministre, je vous avais alerté sur le fait que plusieurs dispositions de ce projet franchissaient la ligne jaune de nos principes constitutionnels. Puisque vous n'avez pas tenu compte de mes observations, il me faut renouveler mes mises en garde. Peut-être aurez-vous de grandes désillusions lorsque ce texte sera examiné par le Conseil constitutionnel, que nous ne manquerons pas de saisir.

Je développerai ma démonstration en trois points : la transformation d'EDF et GDF en sociétés anonymes, même contrôlées à 70 % par l'Etat, engage leur privatisation ; l'atout stratégique que constitue le parc électronucléaire d'EDF en sortira affaibli ; les réseaux de transport et de distribution de l'énergie, au lieu d'être sanctuarisés comme leur caractère de service public l'exige, vont être placés dans une logique financière et commerciale contraire aux principes de notre Constitution.

Tout d'abord, donc, en vous obstinant, contre tout bon sens, contre la volonté des agents d'EDF et de GDF et de beaucoup de nos concitoyens, à faire adopter ce texte, vous permettez, pour des motifs idéologiques, que la Nation soit dépouillée de son actif le plus important pour son avenir énergétique et économique. Reprendre tous les arguments que vous avez successivement évoqués pour justifier le changement de statut demanderait des heures ; je n'en citerai donc cette fois que quelques-uns.

S'agit-il de répondre à une exigence de la Commission européenne ? Non ! Celle-ci n'a pas fixé une obligation de moyen, mais une obligation de résultat, en termes de compensation d'un avantage de financement résultant de la garantie de l'Etat. Etait-il bien nécessaire qu'EDF et GDF aient la possibilité de faire faillite, à l'instar de leurs concurrents européens ? Peut-on sérieusement nous faire croire que des entreprises de cette taille et de cette importance peuvent faire faillite ?

Est-ce l'urgence de réduire la dette publique ? Comment nous faire croire que la bonne méthode pour combler la dette serait de vendre des actifs productifs, générateurs de revenus réguliers ?

Est-ce la nécessité de trouver des financements pour le développement des entreprises ? Pour financer son développement, et même réaliser nombre d'opérations internationales hasardeuses, EDF n'a eu qu'à mobiliser sa capacité d'autofinancement !

Est-ce pour nouer des partenariats par des participations croisées ? EDF a déjà, sans aucune difficulté, pris des participations dans des entreprises extérieures et constitué des filiales communes !

Est-ce pour sortir du principe de spécialité de chacune des deux entreprises ? Il était possible de le faire, avec la loi de février 2000, dans le cadre du statut d'EPIC.

A quelles raisons M. Sarkozy et vous-même, Monsieur le ministre, ne vous êtes-vous pas raccrochés, au fur et à mesure que vos arguments cassaient comme des branches trop légères, pour justifier l'injustifiable, à savoir la privatisation de nos deux plus brillantes entreprises publiques ?

M. le Rapporteur - Que ne faut-il pas entendre !

M. Christian Bataille - Et quelles concessions n'avez-vous pas faites dans le secret des négociations que vous avez conduites avec différents interlocuteurs ?

Il reste que le changement de statut d'EDF et GDF et la filialisation des gestionnaires des réseaux de transport ont pour seul objectif une privatisation, fantasme absolu de la droite depuis que, dans ce pays républicain, elle s'est mis en tête d'imiter Mme Thatcher, Ronald Reagan et tous les ultra-libéraux.

« Electricité de France et Gaz de France sont transformés en sociétés dont l'Etat détient plus de 70 % du capital. Sauf dispositions contraires, elles sont régies par les lois applicables aux sociétés anonymes » : c'est ce qu'affirme l'article 22 de votre projet dans sa dernière version. La juxtaposition des mots « Electricité de France », « Gaz de France » et des mots « sociétés anonymes » produit une dissonance insupportable, constitue une incongruité inouïe, la négation de l'histoire du service public de l'électricité et du gaz depuis 1946. Et à qui ferez-vous croire que les mots « l'Etat détient plus de 70 % du capital » garantissent à long terme la propriété publique des actifs d'EDF et de GDF ?

Vous nous dites que cette disposition obligera le Parlement à se prononcer sur toute baisse de la participation de l'Etat, mais rien n'empêche une société anonyme de filialiser ses activités - et rien ne l'interdit dans ce projet. Chacun sait que les ressources du droit des sociétés anonymes et l'imagination des juristes sont immenses pour créer des filiales, éventuellement en cascade, afin de vendre par appartements les actifs les plus rentables et cantonner au niveau de la société mère les dettes et les engagements. Chacun sait aussi qu'il n'est même pas nécessaire de vendre des participations majoritaires pour perdre le contrôle d'une filiale. Pour prendre un exemple qui concerne ma région, le Nord-Pas-de-Calais, votre texte apporte-t-il la garantie que la centrale électronucléaire de Gravelines, fleuron de notre patrimoine industriel, ne sera pas un jour filialisée ? Apporte-t-il la garantie que n'y flottera jamais le drapeau de Suez-Electrabel, de RWE, voire des entreprises américaines Entergy ou Dominion ? Non ! Au contraire, il rend possible ce cauchemar pour l'indépendance nationale !

Au-delà de la propriété d'EDF et de GDF, c'est la solidarité nationale qui est démantelée, du fait de la remise en cause de la péréquation tarifaire - qui ne pourra s'appliquer qu'au transport, et non plus également à la production, à la commercialisation et aux services.

En deuxième lieu, ce projet compromet l'avenir du parc électronucléaire, atout stratégique de la Nation dans la compétition économique européenne et dans la lutte contre le changement climatique.

C'est l'électricité nucléaire qui a permis à la France de diminuer sa facture énergétique. Les prix d'EDF, inférieurs à ceux du marché européen et stables sur longue période, ont représenté un avantage considérable pour notre industrie confrontée à la concurrence. Le changement de statut d'EDF et l'ouverture de son capital sont le prélude au démembrement de notre parc. L'exemple des Etats-Unis est à cet égard éclairant : des producteurs d'électricité cherchent par tous les moyens à donner une composante nucléaire à leur parc de centrales, afin de se prémunir contre les hausses de prix prévisibles des combustibles fossiles. Voulons-nous que les installations nucléaires françaises passent sous le contrôle de fonds de pension américains ?

Cette perspective de privatisation de nos centrales nucléaires est d'autant plus insupportable que ces outils sont souvent sur le point d'être amortis économiquement et vont devenir un atout encore plus décisif dans la compétition économique.

De nombreuses centrales vont prochainement se trouver amorties, ce qui dégagera sur le courant électrique produit une marge de plus de 50 %. En 1999, notre ancien collègue Robert Galley et moi-même avions avancé une évaluation du montant de cette rente nucléaire, évaluation qui n'a jamais été démentie : le cash flow généré par le parc électronucléaire d'EDF au cours des dix années suivant l'amortissement sera de 15 à 23 milliards d'euros et, calculé sur la base d'une durée de vie de cinquante ans, il pourrait s'élever à 38 milliards - d'où le nom plaisant de « cash cows » ou de « vaches à lait » donné à ces centrales. Voulons-nous utiliser ces sommes au versement de dividendes, ou au maintien de prix bas pour notre courant et au renouvellement de notre parc ?

L'arrivée d'actionnaires privés va de toute évidence modifier profondément et la définition et le fonctionnement de l'entreprise EDF. Même s'ils ne détiennent que 30 % du capital, ces actionnaires feront en effet prévaloir une logique de maximisation du profit à court terme, y compris par des hausses de prix. Ils capteront la rente, touchant les dividendes des investissements payés par les citoyens de ce pays. Il y aurait là une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, en contradiction avec la philosophie du service public et avec les principes généraux de notre Constitution. Est-ce ce que vous voulez ?

Mais ce projet aura un autre inconvénient grave. La direction d'EDF et vous-même soutenez que l'ouverture du capital vise à redonner à EDF des marges de manœuvre pour investir. Faut-il rappeler que l'investissement dans le parc a été financé par l'entreprise elle-même, sa signature ayant été jugée une des meilleures du monde, non du fait de la garantie de l'Etat, mais en raison de l'abondance et de la régularité de ses recettes d'exploitation ? Ouvrir le capital reviendra à renforcer l'impératif du court terme et donc à restreindre la capacité d'investissement à long terme, compromettant ainsi le renouvellement du parc à partir de 2020.

L'évolution projetée fera également sentir ses effets dans le domaine de l'environnement. C'est en effet grâce à EDF que nous enregistrons, après la Suisse et la Suède, les meilleures performances mondiales pour ce qui est de la limitation des rejets de gaz carbonique : 1,6 tonne par habitant, contre 2,45 au Royaume-Uni, 2,73 en Allemagne et... 5,58 aux Etats-Unis. Cet avantage se réduira forcément si, pour privilégier la rentabilité à court terme, EDF remplace ses réacteurs nucléaires les plus anciens par des cycles combinés à gaz, accroissant d'un même coup notre dépendance énergétique et nos émissions de gaz à effet de serre.

Ce projet néglige en outre des questions cruciales pour l'avenir de nos finances publiques et d'EDF. Celle-ci devenant société anonyme, il s'imposerait que l'Etat fixe, chaque année, par décret en Conseil d'Etat, le montant des provisions pour démantèlement et pour l'aval du cycle, et qu'il contrôle l'utilisation de ces sommes afin d'éviter que la collectivité n'acquitte pas deux fois la même charge, déjà incluse dans le prix du kWh. Le changement de statut impliquerait même qu'on aille plus loin en créant un fonds spécial de financement de la gestion des déchets radioactifs, afin de se prémunir contre les effets de dépenses inconsidérées que pourraient faire demain nos grands groupes énergétiques dans des filiales sans rapport avec la production d'électricité. La constitution d'un fonds dédié garantirait la pérennité et la liquidité des provisions et permettrait de financer les activités de l'ANDRA tout en accroissant son autonomie à l'égard des producteurs de déchets. Alimenté par les contributions de ces derniers fixées en fonction des coûts constatés et des coûts prévisionnels, ce fonds serait abondé par une subvention au titre du service public, correspondant aux frais de gestion et de stockage des déchets orphelins. Au début de chaque année, il verserait à l'ANDRA la subvention requise par ses activités : recherche directe, subventions à la recherche, gestion des déchets radioactifs.

A ne pas traiter cette question du démantèlement et de l'aval du cycle, vous risquez de placer EDF dans une position financière gênante, mais vous risquez aussi de créer une situation inextricable pour nos finances publiques, si EDF SA se retrouvait dans l'incapacité de s'acquitter de ses obligations,... pour ne pas parler de notre situation au regard du projet de directive européenne.

En troisième lieu, ce projet modifie profondément le statut des gestionnaires de réseaux. Alors qu'il eût fallu « sanctuariser » ces services publics au sein d'un EPIC, vous allez les soumettre à la logique de groupes intégrés dont le capital sera ouvert, les entraînant ainsi dans la spirale de la privatisation.

M. François Brottes - Absolument !

M. Christian Bataille - En confiant à une même entité des activités de service public et des activités concurrentielles, on affaiblit les premières sans faciliter les secondes et on crée une confusion, source de contentieux et de nombreux différends.

Pour ne prendre que l'exemple de l'électricité, la loi du 10 février 2000 avait réalisé un équilibre entre les exigences du service public et celles de la directive du 19 décembre 1996 relative à la séparation des activités de transport et de production ou de fourniture, en créant l'entité RTE - Réseau de transport de l'électricité - au sein d'EDF mais gérée indépendamment des autres activités. RTE avait reçu pour mission d'exploiter et d'entretenir le réseau public de transport et d'élaborer un programme d'investissement soumis à l'approbation de la Commission de régulation de l'électricité, qui, de son côté, était chargée par l'article 36 de la même loi de proposer les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution.

De l'avis de tous, ce dispositif a parfaitement fonctionné, garantissant à tous les producteurs un égal accès au réseau, sans préjudice pour la maintenance et le développement de ce dernier. Or c'est cette organisation que vous remettez en cause : aux termes de votre article 5, le gestionnaire du réseau de transport - GRT - est certes une société dont le capital est détenu en totalité par EDF, par l'Etat ou par d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public, mais cette protection apparaît de pure forme, l'article 22 transformant EDF en société dont l'Etat détient plus de 70 % du capital. Par le jeu de cette ouverture du capital et le choix d'entreprises publiques elles-mêmes plus ouvertes au privé,

il deviendra possible à des actionnaires privés de posséder une minorité de blocage au sein du GRT. Dès lors, ils seront en mesure d'empêcher les investissements d'EDF Transport. Votre article 4 ne prévoit-il pas d'ailleurs explicitement que les décisions les plus importantes au sein du GRT - celles qui touchent au budget, à la politique de financement, aux achats et ventes d'actifs ou à la constitution de sûretés et de garanties - ne pourront être prises « sans le vote favorable de la majorité des membres nommés par l'assemblée générale » ?

Mais votre projet présente un autre inconvénient majeur au regard de notre Constitution : il peut permettre une prise de contrôle par des actionnaires privés, par le seul mécanisme de la constitution de minorités de blocage. Or la possibilité de telles minorités au sein d'entreprises publiques en monopole pur, chargées d'un service public, est un motif d'inconstitutionnalité au regard du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole défait, doit devenir la propriété de la collectivité » et de l'article 34 de la Constitution selon lequel « la loi fixe les règles concernant les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé ».

J'ajoute que la privatisation à terme de RTE constituerait une manière supplémentaire de dépouiller la nation d'un élément de son patrimoine, constitué au prix d'un investissement colossal de la collectivité, en même temps que d'un élément contribuant à la sécurité de notre approvisionnement et intéressant au plus haut point la défense nationale. Générant des revenus réguliers et une rentabilité garantie, le réseau de transport représentera une proie de choix pour les entreprises privées, quand ces revenus devraient demeurer entièrement consacrés à sa maintenance et à son développement.

En tout état de cause, ceux-ci exigent un établissement public fort. Déjà, les investissements dans les réseaux de transport sont insuffisants ailleurs en Europe ainsi qu'aux Etats-Unis. Transformer RTE en EPIC est la seule solution pour préserver son caractère public et respecter l'article 10 de la directive européenne de 2003 qui spécifie que le gestionnaire du réseau de transport doit disposer de pouvoirs de décision effectifs, indépendamment de l'entreprise d'électricité intégrée.

Le Gouvernement refuse de retirer ce projet funeste. Le 15 juin devant notre assemblée, M. Sarkozy voyait, après le choix d'un champion national en 1946, le « choix visionnaire » du nucléaire en 1973, une troisième date historique pour notre système électrique dans l'ouverture du marché en 2004. C'est malheureusement une date néfaste. Cette loi tourne le dos à la stratégie d'indépendance nationale menée avec constance depuis 1946 ; elle est vide de tout projet industriel ; elle s'écarte de toute vision européenne. Enfin, elle rompt les équilibres instaurés par la loi du 10 février 2000.

L'adopter serait une erreur historique. Je vous invite donc à voter l'exception d'irrecevabilité.

M. le Rapporteur - Tout cela est bien exagéré.

M. le Président - Si le rapporteur et le ministre ne souhaitent pas s'exprimer, nous passons aux explications de vote.

M. Pierre Cohen - M. Bataille a démontré que ce projet est une erreur stratégique, une faute politique et qu'il est inconstitutionnel. L'histoire de ces deux entreprises, surtout d'EDF, se confond avec celle de notre pays, de son développement, et de son indépendance énergétique. Et comment, demain, déciderons-nous de l'avenir, comment irons-nous vers la maîtrise de l'énergie, sans y associer les citoyens ? Le passage du statut d'EPIC à celui de société anonyme met également fin à cette exception française qu'est l'existence d'un véritable service public assurant un accès égal à l'énergie pour tous les territoires et pour tous les citoyens, car capable de surmonter toutes les contingences économiques. Une société anonyme se souciera moins de qualité du service que de rentabilité boursière, sacrifiera le long terme au court terme, négligera la sécurité et notre capacité d'approvisionnement. L'histoire récente a pourtant montré comment EDF sait relever les défis dans des circonstances difficiles, à la différence des entreprises privées en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

Enfin, développer les nouvelles énergies est une responsabilité historique. M. Bataille a dit ce qu'il en était du nucléaire. Plus globalement, la maîtrise de notre avenir énergétique ne se fera pas sans les citoyens.

Ce projet est donc contraire aux intérêts de la nation, contraire à la Constitution. Réfléchissez une dernière fois avant de commettre l'irréparable. Je vous demande de voter l'exception d'irrecevabilité.

M. Daniel Paul - Ce projet est dangereux, alors qu'il nous faut maîtriser les outils énergétiques pour des raisons industrielles, sociales, nationales, comme pour aller vers le type de développement européen que nous appelons de nos vœux.

Nos prédécesseurs de 1946 ne pouvaient prévoir l'épuisement de certaines ressources ou les dysfonctionnements que nous constatons aujourd'hui avec notamment l'effet de serre. Mais ils avaient rêvé de protéger notre pays contre les risques que présentait le libéralisme pour des biens communs comme l'énergie et l'eau. Votre rêve, c'est de l'entraîner toujours plus loin dans la voie du libéralisme...

M. le Ministre délégué - Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit !

M. Daniel Paul - ...et de cette vieille lune de l'alliance entre le capital et le travail. C'est leur rêve que nous partageons, pas le vôtre. Nous voterons donc l'exception d'irrecevabilité.

M. François-Michel Gonnot - On nous appelle à un dernier sursaut au nom du réalisme. Malheureusement, ce que nous venons d'entendre, c'est la panoplie habituelle des arguments de l'immobilisme et du conservatisme qui refuse à nos opérateurs la possibilité de s'adapter tout en reconnaissant que l'ouverture du marché à la concurrence crée un contexte différent et nous oblige à chercher les voies de leur développement, et même de leur survie.

Vous choisissez donc la voie de l'immobilisme.

M. Pierre Cohen - Et vous, celle de la casse !

M. François-Michel Gonnot - Tout au long d'un long débat, nous n'avez proposé aucune solution alternative, alors même que certains de vos responsables, dont plusieurs anciens premiers ministres, MM. Jospin, Strauss-Kahn, Fabius, Rocard, en reconnaissaient la nécessité. L'erreur devant l'histoire, ce serait de voter votre motion, de refuser à nos opérateurs de se préparer à l'avenir. Le groupe UMP s'y opposera.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Christophe Lagarde - A l'heure de la décision, le groupe UDF éprouve de la satisfaction, mais aussi quelques regrets. Nous sommes satisfaits de la manière dont le ministre d'Etat s'est saisi du dossier, après des années d'immobilisme, sans pour autant brûler les étapes de la concertation.

Grâce au dialogue avec les syndicats, aux négociations avec la Commission européenne et à une concertation avec les dirigeants des deux entreprises sur la stratégie industrielle, la modernisation d'EDF et de GDF est au rendez-vous de la deuxième phase d'ouverture du marché de l'électricité et du gaz, intervenu le 1er juillet dernier.

Avec un statut rénové, EDF - dont le besoin de financement est estimé à 15 milliards - pourra poursuivre le renouvellement de son parc nucléaire et conforter sa position en Europe. Forte d'une stratégie industrielle offensive, GDF - dont le besoin de financement s'établit à 16 milliards - a pour objectif de gagner quatre millions de nouveaux clients français en quatre ans, et de développer ses parts de marché à l'étranger.

Ne rien faire pour débloquer ces financements, c'était condamner à mort ces deux fleurons de notre industrie nationale, dont nous n'avons cessé, avec Charles de Courson, de souligner la fragilité financière et l'endettement. Ce texte permettra de sauver EDF et GDF, comme le pensaient déjà certains de nos collègues socialistes quand ils étaient aux affaires, mais être dans l'opposition autorise apparemment à changer d'avis...

M. François Brottes - Vous en savez quelque chose !

M. Jean-Christophe Lagarde - Nous regrettons cependant que certaines de nos propositions n'aient pas été entendues par le Gouvernement .

S'agissant du régime spécial, nous proposions d'étendre la réforme du financement à ce système opaque, complexe, géré de manière non paritaire, et de ne pas appliquer le régime spécial de protection sociale aux agents recrutés après le changement de statut. Le choix du statu quo, contraire à la volonté réformatrice du Gouvernement qui s'était pourtant courageusement attaqué à la réforme des retraites, notamment pour les fonctionnaires, est particulièrement injuste à l'heure où des salariés renoncent à certains de leurs acquis sociaux pour sauvegarder l'emploi. A moins d'augmenter le prix de l'électricité, je ne vois pas comment EDF et GDF pourraient continuer d'embaucher des personnels sous statut.

Par ailleurs, nous avions proposé un taux d'ouverture à la concurrence distinct pour EDF et GDF - 30 % pour EDF et 50 % pour GDF - qui leur aurait permis de lancer une véritable stratégie industrielle, mais les engagements pris par le Gouvernement envers les syndicats n'ont pas autorisé cette orientation pragmatique.

Le Sénat, dont la décision a été confirmée par la CMP, a de surcroît rejeté notre amendement sur la présence territoriale du service public de l'électricité à travers les agences et les services à la clientèle. Cette suppression sera mal accueillie par nos concitoyens des zones rurales, qui assistent, comme M. Gonnot en a donné un exemple, à la fermeture des agences commerciales.

Enfin, je ne reviendrai pas sur la question du service universel et les nouveaux droits qu'il donne aux clients éligibles. C'est une lacune majeure du texte, qui fait ainsi l'impasse sur de nombreuses dispositions de la directive 2003/54. Conformément au schéma européen des télécommunications, l'UDF estime que les missions de service public ne doivent pas forcément rester le monopole des entreprises publiques.

En conclusion, l'UDF, qui a eu durant tout ce débat le courage de ses opinions, votera les conclusions de la CMP, même si elle regrette que la réforme n'aille pas suffisamment loin dans la modernisation du service public de l'électricité et du gaz pour que les Français en recueillent tous les bénéfices.

M. Daniel Paul - L'histoire retiendra que, ce 22 juillet 2004, une brèche aura été ouverte dans le statut de nos deux opérateurs historiques du secteur de l'énergie, EDF et GDF : en s'attribuant le droit de disposer de deux entreprises propriétés de la Nation, le Gouvernement aura permis leur prochaine privatisation.

Ce n'est pourtant pas faute, durant ces dizaines d'heures de débat, de vous avoir alertés sur la situation de pays qui avaient déjà fait le choix de cette libéralisation, qu'il s'agisse de la Californie ou de la Grande-Bretagne, où les difficultés de transport et d'approvisionnement se multiplient, sans parler des augmentations de tarif. Nous avons encore parlé de ces grands industriels pour qui l'augmentation des tarifs serait un frein à leur compétitivité. Rien n'y a fait ! Pénétrés du dogme libéral, vous n'avez pas changé d'avis : pour vous, l'énergie n'est pas un produit à exclure du marché.

Vous avez cependant été contraints de prendre en compte la sensibilité de notre peuple sur ces questions, aussi les négociations avec les organisations syndicales, tout comme la crainte d'une forte mobilisation des usagers, vous ont poussé à des concessions que vous n'envisagiez sans doute pas au départ.

Vous avez ainsi accepté de laisser ouverte l'hypothèse de la fusion entre EDF et GDF, ou celle de l'octroi de fonds propres supplémentaires pour EDF - et je ne parle pas de tout ce qui a pu se dire sur la détention, par les salariés ou les collectivités locales, d'actions de ces entreprises. Vous avez poussé les présidents d'EDF et GDF à mener dans la presse une campagne indécente en faveur de la libéralisation, car seule compte à vos yeux la transformation de l'EPIC en SA, avec, à la clé, l'ouverture du capital.

Tout n'est maintenant plus qu'une question de temps et de rapports de force, et pour qui connaît l'influence du Medef, le pire reste à craindre. Les conclusions de la CMP en témoignent : vous avez, en dehors de tout débat au Parlement, créé un nouveau chapitre pour permettre le libre accès des tiers au stockage de gaz naturel et pour intégrer les dispositions d'une directive européenne sur le gaz.

Et je ne parle pas de la consécration du processus de contractualisation, à l'article premier, qui affaiblira encore le contenu des missions de service public, ni de la mission donnée aux deux présidents actuels d'EDF et GDF de réfléchir à la fusion entre les deux entreprises. Nous l'avons répété, la construction de ce projet industriel commun doit se faire avec les agents des deux opérateurs.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre les conclusions de la CMP.

Vous nous avez assuré que le changement de statut répondait à une exigence de Bruxelles, mais dans l'Europe que vous voulez, la faillite est une sanction normale. Or, aucun pays européen n'acceptera que son principal opérateur en électricité ou gaz soit en faillite. Même pour la très libérale Grande-Bretagne, la recapitalisation de British Energy n'a pas longtemps été un problème.

En réalité, vous ne supportiez plus cette entreprise qui, depuis près de soixante ans, démontrait qu'être au service de l'Etat, cela avait du sens ! Vous avez choisi de suivre les préconisations libérales d'une construction européenne qui verra les principaux opérateurs de l'énergie se partager le marché, dans un souci de rentabilité financière. Vous avez pris le risque de disloquer un groupe solide, plutôt que de le protéger. Vous avez spolié le peuple (Protestations sur les bancs du groupe UMP), dans un secteur essentiel à la vie du pays et de ses habitants. Mais l'histoire n'est pas finie, et nous mettrons tout en œuvre pour que les citoyens et les forces démocratiques permettent à notre pays de se réapproprier ce qui est nécessaire à son indépendance et à son développement.

M. Christian Bataille - Très bien !

M. François-Michel Gonnot - L'UMP n'aura pas la même lecture de l'histoire que l'orateur précédent.

M. Daniel Paul - Heureusement pour nous !

M. le Ministre délégué - Au vu de ce qu'il reste du groupe communiste, vous devriez plutôt vous en inquiéter !

M. François-Michel Gonnot - Cette réforme que l'on disait impossible, et qui est pourtant si nécessaire, des parlementaires et un gouvernement ont enfin eu le courage de s'y atteler pour permettre à EDF et GDF de poursuivre leur développement dans un environnement nouveau. Grâce à une concertation importante avec les partenaires sociaux, qui a abouti à un certain consensus, nous pouvons aujourd'hui l'entériner.

Je rappelle en effet que les engagements de M. le ministre d'Etat et de M. le ministre envers les organisations syndicales ont été tenus.

L'histoire retiendra que ce 22 juillet 2004, le Parlement a voté la modification du statut des deux opérateurs et leur a ainsi permis de s'adapter à un monde nouveau. Il faudra maintenant engager d'autres négociations, comme le Gouvernement s'apprête à le faire, pour suivre avec les organisations syndicales et, je l'espère, avec le Parlement l'évolution de l'entreprise.

Nous avons agi avec pragmatisme...

M. le Président de la CMP - C'est vrai.

M. François Brottes - Quel talent !

M. François-Michel Gonnot - ... et avec la volonté de réussir.

Le Gouvernement est décidé à engager des discussions dans les mois à venir pour déterminer comment procéder à l'augmentation du capital des deux opérateurs, de même qu'il a engagé une réflexion sur les nouvelles synergies possibles entre EDF et GDF.

L'histoire retiendra aussi, et surtout, que nous avons définitivement consolidé les régimes de retraite des personnels des industries électriques et gazières, et je ne crois pas que les 400 000 salariés ou retraités concernés considèrent qu'aujourd'hui soit un jour noir.

Cette loi permettra en outre de transposer plusieurs directives européennes dans le droit français, notamment en ce qui concerne l'accès des tiers au stockage. Certes, nous aurions sans doute souhaité avoir un débat à ce sujet...

M. Daniel Paul - Eh oui !

M. Christian Bataille - En effet !

M. François-Michel Gonnot - ...mais l'essentiel a été mené à bien et la CMP a posé des conditions qui font consensus quant à la mise en œuvre des dernières transpositions.

Le Parlement et le Gouvernement devront veiller, dans les années à venir, à poursuivre l'adaptation de ces entreprises aux conditions du marché. Il nous appartiendra alors de discuter des charges de service public qui pèsent lourdement sur les factures, de l'évolution différenciée des partenariats entre EDF et GDF, mais aussi de régler le problème d'une hausse anormale des factures énergétiques de certaines industries électro-intensives. Il conviendra enfin de disposer en 2006 d'un bilan de la réforme avant que de passer, l'année suivante, à l'éligibilité des ménages.

Je remercie le Gouvernement et nos collègues pour avoir mis en œuvre cette réforme que l'on disait impossible. Nous avons ainsi prouvé, comme avec les retraites ou l'assurance maladie, que le courage est une grande vertu politique. Il en allait en l'occurrence de la survie d'EDF et GDF (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la CMP - Très bien !

M. François Brottes - L'histoire retiendra, pour reprendre la formule de M. Gonnot, que le sabordage (Protestations sur les bancs du groupe UMP) du meilleur service public de l'énergie au monde a eu lieu entre le 14 juillet et l'arrivée du Tour de France. Les historiens retiendront que c'est le même Gouvernement qui, avec la même frénésie, a réussi en quelques semaines à démanteler méticuleusement le pacte républicain, un peu comme s'il s'agissait de fermer le livre du soixantième anniversaire de la Libération (Mêmes mouvements).

M. Jean-Christophe Lagarde - Tout ce qui est excessif est vain.

M. François Brottes - Je vous donne quelques exemples : privatisation effective et définitive de France Télécom, sécurité sociale insécurisée (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), désengagement de l'Etat institué en nouveau principe républicain dans le cadre d'une décentralisation adoptée à la hussarde, remise en cause du droit du travail avec chantage à la délocalisation, remise en cause du droit de grève... (Protestations sur les bancs du groupe UMP) C'est ce que certains appellent « l'audace de la réforme ». Je vous rends cette justice : ce Gouvernement ne manque ni d'audace ni de culot.

M. le Président de la CMP - Oh !

M. François Brottes - Que le futur président d'EDF puisse désormais être âgé de plus de soixante-cinq ans n'est pas en soi un problème, mais convenez que cette disposition vient comme un cheveu sur la soupe. Et comme un cavalier législatif n'arrive jamais seul, vous n'avez pas hésité, avec la complicité du Sénat, à superposer dans l'urgence une série de dispositions dont certaines sont loin d'être mineures.

Je pense en particulier à la transposition de la directive sur l'accès des tiers au stockage de gaz naturel - qui aurait eu sa place dans la loi d'orientation sur l'énergie. Je pense également à de nombreux reculs quant à l'indépendance - ou plutôt à la neutralité - des gestionnaires de réseaux, concernant notamment les nominations ou les révocations de responsables ainsi que leur pouvoir de gestion. Le réseau sera ainsi au cœur de toutes les manipulations et de tous les marchandages qui ne manqueront pas de mettre en péril la continuité du service : tel est le syndrome californien, Etat dont on ne sait d'ailleurs si le gouverneur est une lumière ou une star (Sourires).

Je pense enfin aux petits arrangements concernant la contribution additionnelle au tarif d'utilisation des réseaux, qui alimentera la caisse nationale des industries électriques et gazières. La discussion de marchand de tapis s'est en effet poursuivie jusqu'au sein de la CMP (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Des questions continuent de se poser : quelle sera l'assiette de la collecte de la contribution tarifaire sur les prestations de transports et de distribution d'électricité et de gaz naturel ? A quoi pourra être utilisé l'argent ainsi collecté ? Quelle part de la masse salariale fera finalement référence pour chacun des opérateurs ?

Toutes ces interrogations montrent bien combien il est dangereux et irresponsable de légiférer dans l'urgence. Certains assurent même que la rupture d'égalité ainsi créée entre les opérateurs est susceptible d'être inconstitutionnelle et de surcroît non conforme à la directive : voilà qui nous promet de beaux contentieux dont les usagers feront les frais !

L'histoire retiendra que la confiscation du patrimoine de la Nation par des intérêts privés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) aura eu pour conséquence l'augmentation des tarifs pour les particuliers et pour les entreprises, ainsi que la fin programmée de l'égalité d'accès à l'énergie sur tout le territoire.

L'histoire retiendra l'habileté de M. le ministre de l'industrie et de M. le ministre d'Etat à faire croire aux Français que ce sont l'Europe et la gauche qui ont contraint notre pays à modifier le statut d'EDF-GDF. Elle retiendra également leur habileté à faire croire aux personnels qu'une fusion des deux entreprises - qui auraient pu de surcroît demeurer publiques - était envisagée. Mais je tiens à rappeler que c'est le gouvernement de M. Juppé qui en 1996 a pris l'engagement d'ouvrir le marché de l'énergie, le sommet de Barcelone ayant seulement tiré les conséquences de cette ouverture en établissant un calendrier. Votre Gouvernement s'est de plus empressé de supprimer la non-ouverture à la concurrence pour les ménages, obtenue par M. Jospin à Barcelone, alors que là était précisément la garantie du maintien de la péréquation et de l'égalité d'accès à l'énergie sur tout le territoire.

La privatisation d'EDF-GDF aura de graves conséquences, car ce ne sera plus la loi mais le contrat qui définira les missions de service public réparties entre les opérateurs, missions évidemment réduites à la portion congrue. Vous avez fait un choix à court terme, afin de réduire de manière factice les déficits de la Nation pour 2004 grâce à la soulte concernant les retraites - dont vous prétendez d'ailleurs ne pas encore connaître le montant. C'est le côté prestidigitateur du gouvernement Raffarin : il y a toujours un lapin dans le chapeau ! Mais les Français ont bien compris qu'il ne s'agissait pas d'un élevage mais bien plutôt du même animal réemployé à chacun de vos tours de passe-passe... (Exclamations et rires sur divers bancs)

Nous ne savons pas non plus quand, ni à quelle hauteur vous allez ouvrir ou augmenter le capital de ces sociétés anonymes nouvellement créées. L'histoire nous dira que vous n'avez pas su tirer les leçons de la Californie, de la Grande-Bretagne ou de l'Italie. C'est à croire que l'idée de plonger le pays dans le noir vous tente, comme un enfant fasciné par les allumettes et qui se laissent aller à en craquer une ou deux, juste pour voir... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Avec ce texte, vous jouez les apprentis sorciers. Le droit à l'expérimentation est reconnu, mais dans le domaine de l'énergie, le droit à l'improvisation n'existe pas. Pour garantir la sécurité du réseau, vous ne proposez qu'un code de bonne conduite. Quid de la sécurité et de la maintenance de nos cinquante-huit réacteurs nucléaires, convoités par des intérêts privés ? L'énergie est un bien de première nécessité. L'énergie, c'est vital. La soumettre à la seule logique de la rentabilité est inacceptable.

Privatiser EDF et GDF pour que ces entreprises « puissent faire faillite comme les autres », selon les mots de Mme de Palacio, c'est un curieux dessein pour ceux qui se prétendent les héritiers du gaullisme.

C'est justement parce que le marché est ouvert à la concurrence qu'il faut garantir et conforter l'existence d'un puissant pôle public de l'énergie, à la pointe de l'innovation.

La logique du profit à court terme est en germe dans l'ouverture du capital. L'expérience a montré que les premières victimes de la cotation sont les investissements lourds de maintenance et de sécurité, ainsi que les crédits de recherche et de formation. L'histoire retiendra que vous avez sans doute rendu irréversible cette évolution. Les Français doivent savoir que votre majorité portera la responsabilité des accidents et de l'augmentation des tarifs (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Une fois de plus, le groupe socialiste votera contre ce texte, contre ce choix idéologique et contre cette trahison du pacte républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, protestations sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix compte tenu du texte de la CMP, est adopté.

Prochaine séance, cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 50.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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