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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 6ème jour de séance, 15ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 14 OCTOBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2004 (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 15 OCTOBRE 2003 18

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2004 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2004.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Pierre Brard - Tout comme celui de l'an dernier, dont chacun constate les effets désastreux, ce budget est aventureux, car fondé sur des choix idéologiques qui entrent en conflit frontal avec l'intérêt de la nation.

Lors de la discussion de la loi de finances pour 2003, ministres et rapporteur général nous ont abreuvé de proclamations péremptoires sur les bienfaits, la pertinence, la cohérence de leurs choix budgétaires et fiscaux. Le budget nous était présenté comme une rupture, comme la pièce maîtresse d'une politique nouvelle revalorisant l'emploi, libérant l'initiative individuelle, assurant ainsi la prospérité économique. Le rapporteur général avait même déclaré : « Ce budget va replacer notre pays sur le chemin de la croissance, en cohérence avec le projet relatif aux salaires, au temps de travail et à l'emploi que nous venons d'adopter en première lecture et avec le PLFSS ».

La réalité a totalement démenti ces affirmations qui étaient l'expression triomphaliste du dogmatisme libéral qui anime ce gouvernement. Vous avez en effet, Monsieur le ministre, pour le credo libéral, la foi de ceux que l'on appelait, dans la Russie des Tsars, les « vieux croyants »...

M. Michel Bouvard - Il y en a encore !

M. Jean-Pierre Brard - Il y en a beaucoup à l'UMP... (Sourires)

Aujourd'hui, ce triomphalisme n'est plus de mise face au fiasco de la politique du Gouvernement pour le pays et pour la grande majorité de ses habitants. Mais ce n'est pas le fiasco pour tout le monde : pour les privilégiés et pour les grandes entreprises, tout va plutôt bien...

Nous avions souligné l'an dernier le caractère hasardeux des hypothèses économiques retenues, en particulier celle d'un taux de croissance de 2,5 %. L'exécution a confirmé le caractère hautement virtuel de ce budget et elle a rapidement été placée sous le signe de la rigueur, voire de l'austérité, même si ces mots semblent tabous.

Votre politique a été marquée par une série de décisions qui ont remis en cause l'équilibre instable de l'automne 2002. Les gels et les annulations ont frappé des domaines sensibles : logement et urbanisme, transports et sécurité routière, jeunesse et enseignement scolaire, recherche. Les subventions d'investissement pour la protection de l'environnement ont reculé de 33 %, celles pour les transports urbains et interurbains de plus de 25 %, ce qui a entraîné les protestations véhémentes de notre collègue Alain Juppé... En mars, la première annulation a visé le programme de rénovation des lieux d'hébergement des personnes âgées. Les événements ont cruellement montré par la suite combien ces coupes étaient arbitraires et abusives. Ces régulations ont aussi entraîné des transferts de charges sur les budgets des collectivités territoriales.

M. Michel Bouvard - Ce n'est pas nouveau...

M. Jean-Pierre Brard - Mais les turpitudes passées ne sauraient justifier les présentes...

Le secteur associatif a été très affecté par les annulations de crédits et par la disparition des emplois-jeunes. Martine Aubry me disait en janvier dernier que puisque ce système fonctionnait, il ne fallait voir dans sa suppression que l'expression de votre aveuglement idéologique. Pourtant, chaque maire ici présent, de gauche comme de droite, qui a créé de tels emplois peut témoigner de leur efficacité pour aider les jeunes à entrer dans la vie active.

En amputant les crédits du fonds de soutien à l'intégration et de lutte contre les discriminations, vous avez mis gravement en difficulté les associations qui agissent sur le terrain social et vous avez ainsi provoqué plus de précarité, plus d'exclusion, plus de misère pour les plus fragiles. D'ailleurs, nos collègues de droite le savent bien, qui sont un peu schizophrènes, soutenant votre politique ici et protestant, dans leur circonscription, contre la suppression des emplois-jeunes ou la fermeture du bureau de poste.

Dans le même temps, fasciné par la baisse des prélèvements obligatoires, le Gouvernement a déjà engagé des réductions de recettes qui pèsent sur le budget 2004 pour près d'un milliard. Ainsi, la loi Robien a offert de nouveaux avantages fiscaux pour l'acquisition de logements faisant l'objet de travaux de réhabilitation et une nouvelle réduction d'impôt pour les placements immobiliers. Quant à la loi d'orientation pour la ville et la rénovation urbaine défendue par Jean-Louis Borloo, elle a étendu les allégements d'impôt sur les bénéfices aux entreprises implantées en zone franche urbaine et reconduit le dispositif des zones de revitalisation urbaine. Elle leur a aussi accordé des exonérations de taxe professionnelle et foncière et des allégements d'impôt sur les bénéfices.

La loi sur le mécénat présentée en juillet par Jean-Jacques Aillagon, le ministre qui étrille les intermittents et qui soigne les entreprises, a octroyé à ces dernières et aux particuliers qui mènent des actions de mécénat, une réduction d'impôt importante. De plus, les entreprises qui acquièrent des _uvres d'art pourront être exonérées de taxe professionnelle.

Mais le texte le plus significatif est sans doute celui relatif à l'initiative économique qu'a défendu le secrétaire d'Etat aux PME et au commerce, Renaud Dutreil. On ne rend d'ailleurs pas assez justice à Renaud Dutreil (Sourires).

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Un brillant ministre.

M. Jean-Pierre Brard - Un idéologue du régime.

M. Michel Bouvard - Grâce à lui, on crée de nouveau des entreprises.

M. le Rapporteur général - Même à Montreuil.

M. Jean-Pierre Brard - Il publiait dans le Monde, le 5 avril 2001, un article intitulé « Alternance 2002, un projet pour l'opposition ». La droite avait son projet idéologique avant de revenir au pouvoir. C'est ce qui manque à la gauche aujourd'hui.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Reprenez-le.

M. Jean-Pierre Brard - Je vous le laisse, il est peu ragoûtant. Mais il faut vous reconnaître le mérite d'avoir mis en _uvre cette idéologie. Vous ne menez pas une politique de régression, mais de rupture. Vous « thatchérisez » la société française...

M. Alain Bocquet - Tout à fait !

M. Jean-Pierre Brard - Et à un rythme soutenu. Renaud Dutreil a institué des réductions d'impôt pour l'investissement dans les fonds de proximité, des exonérations de droits de mutation sur les transmissions d'entreprise, et largement amputé l'ISF.

M. le Rapporteur général - Un tout petit peu.

M. Jean-Pierre Brard - Ce matin dans le Parisien, vous pouviez bien dire que pour le Gouvernement, l'ISF n'est pas un sujet. Evidemment, vous l'avez déjà largement démantelé et vous vous apprêtez à vous laisser faire une douce violence par votre majorité sur l'actualisation. De lecture en lecture, les exonérations dans la loi Dutreil n'ont fait que s'accumuler, sans la moindre évaluation. Ce sont 400 millions qui manqueront dans les caisses. Mais quand on aime, on ne compte pas.

Enfin, la loi sur l'outre-mer du 30 juin 2003 élargit le dispositif de défiscalisation et augmente les réductions d'impôt notamment pour l'hôtellerie. On retrouve la droite qui avait voté la loi Pons et créé des emplois de « défiscalisateur ».

Ces cadeaux fiscaux sont-ils justifiés ? Plus que la conjoncture, c'est la politique que nous subissons qui est récessive. Vous avez fait le choix funeste de ne stimuler ni la consommation ni l'emploi, sapant chaque jour un peu plus le moral des Français. Vous pouvez bien invoquer la confiance, car elle vous échappe. La consommation des ménages a diminué de 0,2 % et l'investissement de 0,6 % au deuxième trimestre 2003, ce qui conduit à une régression du PIB de 0,3 % après la maigre progression de 0,1 % au premier trimestre. L'année devrait se terminer avec, au mieux, une progression de 0,2 %. Je souhaite, pour notre pays, que M. Mer ait raison, mais il avait eu tort l'an dernier, ce qui ne rassure pas. 2003, conjuguant la rigueur et le déficit, est la deuxième plus mauvaise année pour la conjoncture depuis 1945. A 1,3 %, la consommation des ménages progressera moins que les 1,5 % de 2002 et beaucoup moins que les 2,7 % de 2001. Dans ces conditions, la prévision de croissance de 1,7 % pour 2004 est à prendre avec des pincettes.

Le chômage, déjà à 9,6 %, atteindra probablement 10 % en fin d'année. Après une baisse en juillet due à une modification statistique, le nombre de chômeurs a augmenté de 0,5 % en août pour atteindre 2 410 000 demandeurs d'emploi ou 2 602 000 selon la définition du BIT. Le chômage a ainsi augmenté de 5,9 % en un an. Le nombre de chômeurs ayant retrouvé du travail a diminué de 8 %. L'emploi salarié privé est en récession, avec deux reculs successifs de 0,3 % et 0,1 % aux deux premiers trimestres. Le pouvoir d'achat a été fortement malmené. Après des hausses de 3,3 % en 2001 et 2 % en 2002, la prévision pour 2003 est de 0,3 %. S'y ajoutent une ponction de 850 millions d'euros en raison des retenues de salaires pour fait de grève et 150 millions pris dans la poche des chômeurs qui perdront l'allocation spécifique de solidarité. Ces économies permettront de financer le cadeau de 27 millions de réduction du barème de l'ISF décidée par la majorité de la commission des finances.

En début d'année, un responsable de la majorité affirmait : « Les résultats de notre politique de l'emploi engagée en 2002 ne seront lisibles qu'à la fin de 2003 et au début de 2004 ». M. Raffarin, car c'était lui, confirmerait-il cette clairvoyante appréciation ? Malgré l'échec de votre politique de l'emploi, ce projet de budget s'inscrit dans la continuité du collectif pour 2002 et de la loi de finances pour 2003. Tous les taux de l'impôt sur le revenu baissent de 3 %. Mieux aurait valu diminuer la TVA pour donner du pouvoir d'achat à tous. D'ailleurs, si vous vouliez absolument diminuer l'impôt sur le revenu, il était possible de moduler la baisse en fonction du revenu, d'accorder une déduction forfaitaire ou de plafonner l'avantage pour les foyers aisés. Cela aurait évité que les grandes fortunes bénéficient d'un véritable jackpot fiscal à chaque baisse du taux de l'impôt sur le revenu. Mais vous ne voulez pas causer de souci aux milliardaires. Ils ne demandaient rien, vous leur faites des cadeaux quand même. J'espère qu'ils vous en remercient, et que M. Messier par exemple le fera dans sa carte de v_ux.

M. Philippe Auberger - Il n'a plus les moyens d'en acheter.

M. Jean-Pierre Brard - M. Auberger, qui le fréquente assidûment, peut témoigner qu'il n'y a plus que des piécettes dans le fond de son porte-monnaie ! (Rires) Après ce qu'il a pompé sur les consommateurs d'eau, il peut modérer ses appétits.

Avec votre méthode, 1 % des assujettis à l'impôt sur le revenu empochent 30 % de la réduction.

M. Alain Bocquet - Eh oui !

M. Jean-Pierre Brard - A côté de cela, la prime pour l'emploi fait pâle figure. Vous avez énuméré une série de mesures qui apporteront aux bénéficiaires quelques centaines d'euros. Mais vous donnez avec générosité à ceux qui ont de grands coffres pour ranger les liasses. Les cadeaux fiscaux et les baisses comprises dans ce projet atteignent 4 milliards dont 1,2 milliard pour les allégements de cotisations patronales.

Le total des dépenses est de 278 milliards, mais les gels et annulations vont tomber comme à Gravelotte dès le début de 2004 pour respecter le pacte européen de stabilité.

Le montant du déficit prévu s'élève à 55,5 milliards. Sur ce point, on ne peut qu'être stupéfait, Monsieur le ministre délégué, de vous avoir entendu dire récemment que le coût annuel de la réduction du temps de travail atteint 15 milliards pour l'Etat, et que sans cela la France serait restée dans les normes du pacte de stabilité. Avec cette arithmétique de Gribouille, en portant la durée hebdomadaire du travail à 50 heures, vous rétabliriez l'équilibre budgétaire.

Martine Aubry, dans Le Monde, a clairement rétabli les faits : «  Alain Lambert, a-t-elle dit, utilise la grosse ficelle qui consiste à additionner les allègements »... Ecoutez, mes chers collègues de droite, car peut-être n'avez-vous pas lu l'entretien donné par Martine Aubry.

M. Céleste Lett - Nous ne lisons pas le même Evangile !

M. Jean-Pierre Brard - Il existe des lectures différentes des Evangiles, mais le fonds du texte reste le même !

M. Michel Bouvard - Cela dépend des exégètes !

M. Jean-Pierre Brard - Comme exégète, vous ne m'inspirez guère confiance ! « M. Lambert, disait donc Martine Aubry, a additionné les allègements de charges décidé par MM. Juppé et Balladur et ceux liés aux 35 heures. La réalité est que les 35 heures ont coûté 5,2 milliards. Si on prend une estimation prudente de 350 000 emplois créés, ils ont généré plus de 4 milliards de cotisations sociales, auxquelles s'ajoutent les cotisations à l'UNEDIC et les rentrées fiscales ».

Quand on fait de l'arithmétique, il ne faut pas se limiter aux additions, il faut aussi faire des soustractions.

M. Céleste Lett - Avec vous, on n'a fait que ça !

M. Jean-Pierre Brard - Vous, vous ne savez qu'opérer des soustractions dans les dépenses publiques. Nous, nous additionnons pour remplir les caisses de l'Etat.

Malgré le pilonnage intensif du Medef et des ténors de la droite, les Français ont affirmé leur attachement aux 35 heures. Selon un sondage CSA pour France 3, 64 % des salariés ont déclaré souhaiter le maintien des 35 heures ; et dans un sondage IFOP pour le Journal du dimanche, 66 % des salariés passés aux 35 heures sont satisfaits.

La baisse de l'impôt sur le revenu va représenter pour le budget un manque à gagner de 1,8 milliard, qui profiteront principalement à une petite minorité de contribuables. Les mêmes bénéficieront de la révision du barème applicable aux donations en usufruit, qui réduira mécaniquement les recettes de l'Etat. Me Jean François Humbert, vice-président du Conseil supérieur du notariat, évalue l'avantage fiscal ainsi consenti à plus de 60 millions par an. « Dans tous les cas, précise-t-il, le contribuable sera gagnant, et la réforme devrait accélérer les donations ».

Dans le même temps, pour favoriser les donations en pleine propriété, vous allez les faire bénéficier d'une réduction des droits de mutation à titre gratuit de 50 %, jusqu'au 30 juin 2005. On le voit, ce gouvernement est plein d'attention pour les nantis.

De même, les contribuables qui emploient une personne à domicile bénéficient d'une réduction d'impôt accrue, le plafond étant porté de 7 400 € à 10 000 €. Or, près de 70 % du coût de cette mesure bénéficient aux foyers déclarant les 10 % de revenus les plus hauts. Ce coût était évalué à 1,37 milliard dans le PLF pour 2003. Le Conseil des impôts, pointant cette anomalie, a proposé d'abaisser le plafond à 2 200 €, dont une réduction d'impôt maximale de 1 100 €. Dans ces conditions, 943 000 foyers seraient gagnants, dont près de trois quarts situés entre les deuxième et sixième déciles de revenus. A l'inverse, 314 000 foyers seraient perdants, dont 80 % appartiennent aux plus hauts déciles. Ce que vous proposez, vous, est immoral. Si vous habitez à Neuilly ou à Rueil-Malmaison, et que, comme il sied chez les gens riches, vous rétribuez au SMIC une cuisinière et un jardinier, la réduction fiscale paye un des deux emplois.

M. le Ministre délégué - Vous êtes contre l'emploi !

M. Jean-Pierre Brard - Non ! Mais depuis le 4 août 1789, je suis contre les privilèges !

M. Hervé Novelli - C'était il y a trois siècles !

M. Jean-Pierre Brard - Vous savez mal compter. Mais c'est que, encore effrayé par le spectre de la Révolution, vous souhaitez le repousser le plus loin possible ! Mais la Révolution a existé, et nous en sommes les fils, ses fils pratiquants, alors que vous rêvez de revenir au passé !

M. Alain Bocquet - A la Restauration !

M. Jean-Pierre Brard - Exactement ! Nous avons connu plusieurs restaurations, qui ont échoué et ont généré de nouvelles révolutions qui ont fait avancer la société française. Prenez garde, Messieurs les ministres, à ne pas jouer aux apprentis sorciers ! Peut-être, sans le savoir, êtes-vous les pourvoyeurs d'une nouvelle révolution.

Votre projet institue une taxation forfaitaire de 16 % des plus-values immobilières, qui n'entreront plus dans le calcul de l'impôt sur le revenu. Les résidences principales seront exonérées, et au bout de quinze ans, les résidences secondaires le seront aussi. Si cette mesure doit procurer 240 millions en 2004, elle finira par coûter à l'Etat.

Avec le plan d'épargne retraite, vous franchissez une nouvelle étape vers les fonds de pension, dont vous savez ce que nous pensons.

L'avoir fiscal, dont on nous a tant vanté les mérites, sera supprimé le 1er janvier 2005, mais l'avantage fiscal ne disparaît pas. Le Gouvernement, attentif au sort des possesseurs de portefeuilles boursiers, a prévu un abattement de 50 % sur les dividendes entrant dans le calcul de l'impôt sur le revenu. Les titulaires d'un plan d'épargne en actions ne sont pas non plus oubliés.

Les entreprises vont bénéficier d'un allègement supplémentaire de charges sur les bas salaires à hauteur de 1,2 milliard d'euros, toujours sans contrepartie en termes d'embauche. Est également prévu le report illimité de tous les déficits.

Le Gouvernement s'engage à appliquer la baisse du taux de TVA sur la restauration dans les quatre mois suivant sa publication. Cependant, auditionné la semaine dernière par la commission du budget du Parlement européen, j'ai cru comprendre que le Gouvernement ne mettait pas un zèle aveuglant pour obtenir cette baisse, sans doute à cause de son coût pour les finances publiques. Est-ce à dire que vous ne seriez pas trop demandeurs de cette mesure ?

Ce budget tire les conséquences financières de vos mesures antisociales comme la suppression des emplois-jeunes et la réduction couperet des droits à l'indemnisation-chômage. S'y ajoutent les réductions d'effectifs dans la fonction publique, auxquels échappent la justice et la police. Ces suppressions d'emplois, nombre de députés, à droite, proclament qu'elles ne sont pas suffisantes. Quand vous étiez à la tribune, nos collègues jubilaient. Mais dans leurs circonscriptions ils ne jubilent plus, ils se plaignent des fermetures de classes ou de bureaux de poste. Chers collègues, tenez le même discours ici et devant vos électeurs, ce que vous ne faites pas pour l'instant.

M. Charles de Courson - Qu'en savez-vous ?

M. Jean-Pierre Brard - Il est à croire que les rémunérations des fonctionnaires subiront en 2004 une nouvelle année blanche. Comme l'a dit le secrétaire général de la CGT-Fonction publique, « ce sera une décision unilatérale portant sur une revalorisation a minima et le plus tard possible ; belle illustration du dialogue social ! ». Tout cela dans un contexte marqué par une réduction de 3,6 % du pouvoir d'achat des fonctionnaires !

Pour résoudre la quadrature du cercle budgétaire, le Gouvernement s'en remet à une recette miracle : la « réforme de l'Etat », dont il dit attendre des économies importantes. Et il annonce pêle-mêle décentralisation, rémunération au mérite, fusions de corps et externalisations de services... Mais il réfléchit aussi à ce qu'il pourrait mettre au mont-de-piété - encore n'est-ce peut-être pas le terme qui conviendrait car, ce qu'on dépose là, on peut le récupérer ensuite !

M. le Ministre délégué - Ça !

M. Jean-Pierre Brard - Mais si ! Je connais mieux le mont-de-piété que les coffres-forts de Mme Bettencourt et consorts !

M. Charles de Courson - Vous avez sans doute souvent fait des dettes...

M. Jean-Pierre Brard - Nous ne sommes évidemment pas de même extraction !

M. Charles de Courson - Pas de racisme !

M. Jean-Pierre Brard - Vous n'avez jamais connu les fins de mois difficiles, vous, ni porté les sacs de provisions, parce que vous étiez l'aîné de cinq...

M. Hervé Novelli - Et allez donc ! Du Zola !

M. Jean-Pierre Brard - Je ne dis que la vie réelle, que certains ne connaissent que par les bandes dessinées mais qui est encore celle de certaines banlieues !

Pour boucher les trous donc, vous mettez au clou nos entreprises publiques, soumises à privatisation partielle, oubliant que ces rentrées sont forcément exceptionnelles. Que n'écoutez-vous M. de Robien, qui est hostile aux privatisations d'autoroutes parce qu'elles empêcheront de financer de nouvelles routes ? Vous voulez vendre Air France, France Télécom, AST, Thomson, des joyaux qu'il n'y avait pourtant aucune raison de « bazarder », mais, une fois que vous l'aurez fait, comment boucherez-vous les nouveaux trous ?

Je n'entrerai pas dans le détail des budgets, je préfère citer un texte dont vous reconnaîtrez l'auteur : « Je dis, Mesdames et Messieurs, que les réductions sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts sont mauvaises doublement : elles sont insignifiantes au point de vue financier, et nuisibles à tous les autres points de vue. Ce système d'économies ébranle d'un seul coup tout cet ensemble d'institutions civilisatrices qui est, pour ainsi dire, la base du développement de la pensée française. Et quel moment choisit-on pour mettre en question toutes ces institutions à la fois? Le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir. Eh! quel est le grand péril de la situation actuelle? L'ignorance. L'ignorance encore plus que la misère. C'est à la faveur de l'ignorance que certaines doctrines fatales passent de l'esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau confus de multitudes. Et c'est dans un pareil moment, devant un pareil danger, qu'on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de combattre, de détruire l'ignorance ! Sur ce point, j'en appelle, je le répète, au sentiment de l'Assemblée. Mesdames et Messieurs, il n'y a pas que la prudence matérielle au monde. Les précautions grossières, les moyens de force, les moyens de police ne sont pas, Dieu merci, le dernier mot des sociétés civilisées. »

Ces propos d'une grande actualité sont de Victor Hugo et je n'y ai ajouté que deux mots pour tenir compte de la présence ici de collègues femmes ! J'espère que cette citation vous incitera à réfléchir et cesser de miner les fondements de notre pacte républicain en donnant la priorité absolue à la baisse des prélèvements obligatoires. Car là est la rupture majeure opérée par le gouvernement Raffarin avec notre tradition nationale de solidarité, de redistribution, de protection sociale et de services publics accessibles à tous. Comme naguère dans les Etats-Unis de Reagan et dans la Grande-Bretagne de Mme Thatcher, la fiscalité est en effet au centre de la révolution conservatrice que vous avez commencé d'infliger aux Français.

Face à ce credo libéral, rappelons donc les termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». Mais c'est ce dernier membre de phrase que vous refusez. Il est pourtant d'une importance particulière : la justice fiscale conditionne la cohésion sociale et est indispensable pour donner corps à l'égalité et à la fraternité. S'attaquer à elle, c'est s'attaquer à une cohésion fragilisée par le développement des inégalités, du chômage et de la précarité ; c'est conforter les comportements contestataires, égoïstes, individualistes, qui contribuent au délitement du corps social et à la montée de l'extrémisme.

Il faut avouer que le culte de la baisse des prélèvements obligatoires n'a pas commencé avec votre gouvernement : nous y avons participé quand nous étions dans la majorité plurielle, même si cela fit débat au sein de celle-ci, même si notre groupe vota alors contre le barème proposé par le ministre des finances de l'époque. Ce dernier proclamait : « Le choix d'alléger les prélèvements tout en allant vers plus de justice sociale répond d'abord à une nécessité structurelle : le niveau élevé de ces prélèvements à des incidences à la fois économiques, politiques, psychologiques et même pratiques. Le Gouvernement s'est donc engagé à une réduction de 120 milliards sur trois ans et de 200 milliards sur quatre ans, soit un effort comparable à celui de notre voisin allemand. »

Depuis, ce ministre - M. Fabius - a revu sa position et faute avouée est à demi pardonnée - à demi seulement ! De fait, cela n'a pas fonctionné et je me réjouis que M. Fabius écrive aujourd'hui dans Le Monde que, si l'on veut des services publics de qualité, la collectivité doit consentir certaines dépenses. Je me réjouis également que M. Glavany ait appelé cet été à réhabiliter l'impôt - c'est d'ailleurs précisément à quoi je m'emploie, dans l'esprit de l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme !

Mais telle n'est pas votre position, Monsieur le ministre de l'économie et des finances ! Vous êtes un idéologue, même si vous ne le reconnaissez pas, mais vous ne parlez pas la langue de bois. C'est ainsi que vous proclamez : « Ceux qui paient beaucoup d'impôts sont ceux qui gagnent beaucoup d'argent mais, s'ils gagnent beaucoup d'argent, c'est qu'ils le méritent. Ils apportent à la société une valeur supérieure à ceux qui gagnent moins. Nous sommes dans un monde qui valorise l'activité individuelle à travers un certain prix. » Ceux qui pouvaient encore en douter auront donc appris de vous que le capitalisme rémunère équitablement la valeur ajoutée que chaque individu apporte à la société ! Mais qui aura apporté la plus grande valeur ajoutée, de Jean-Marie Messier, qui va percevoir 20 millions d'indemnités de départ après avoir ruiné son groupe, ou d'un pompier qui aura combattu les incendies de cet été pour 2 000 € par mois ? Votre raisonnement est aussi absurde que choquant. C'est pourtant sur cette base que vous contestez la légitimité de l'impôt !

M. Marini, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, s'est, lui, attaqué selon son habitude, à l'ISF, déclarant que ne pas actualiser son barème, c'est en augmenter le coût. Comme si l'impôt était un coût ! Vous devriez bien lui donner des cours particuliers, Monsieur Carrez !

M. le Rapporteur général - J'ai beaucoup d'estime pour M. Marini !

M. Jean-Pierre Brard - Une estime d'autant plus grande qu'elle doit se nuancer de compassion !

Vous allez répétant qu'il faut baisser les impôts pour éviter que certains ne partent à l'étranger mais je vous invite à vous reporter au Monde de cet après-midi, qui apporte de l'eau à mon moulin : on y lit que, selon une étude de l'association pour l'emploi des cadres, le Royaume-Uni reste en tête pour les avantages accordés à un célibataire sans enfant mais que la France se révèle très attractive pour un cadre dirigeant senior ayant deux enfants. On peut ajouter que l'école est gratuite et que l'on a des chances d'être bien soigné à l'hôpital, ce qui n'est pas le cas outre-Manche.

Sur le rôle de l'impôt, notamment l'impôt progressif, que disait Jean Jaurès au moment des longues batailles pour son instauration ? En 1894...

M. Xavier de Roux - Quel était le taux à cette époque ?

M. Jean-Pierre Brard - Il a progressé depuis parce que les besoins sociaux ont progressé. « Dans une société où celui qui ne possède pas a tant de peine à se défendre, disait Jaurès, tandis que celui qui possède de grands capitaux voit sa puissance se multiplier, l'impôt progressif vient corriger une sorte de progression automatique et terrible de la puissance croissante des grands capitaux ».

En 1913, Jaurès revenait sur ce sujet : « Nous allons être demain en face de la grande réforme fiscale, et ce sera la première pierre de touche du radicalisme reconstitué. Oui, nous voterons tous énergiquement, passionnément, pour instituer l'impôt général et progressif sur le revenu, le capital et les plus-values, avec déclaration contrôlée. Nous le voterons parce que, quelle que soit la répercussion possible, les impôts ainsi perçus sont moins fatalement répartis et pèsent moins brutalement sur la masse que les impôts directs qui atteignent directement le consommateur ou le paysan sur sa terre et sur son sillon. Nous le voterons donc, et nous le voterons aussi parce qu'il serait scandaleux, humiliant et flétrissant pour la France qu'à l'heure des crises nationales, quand on allègue le péril de la patrie, la bourgeoisie française refuse les sacrifices qu'a consentis la bourgeoisie d'Angleterre et la bourgeoisie d'Allemagne. Oui, Messieurs les bourgeois de France, disait-il en s'adressant à la droite de l'hémicycle, qui avez voté la loi de trois ans, nous vous faisons l'honneur de penser que votre patriotisme est à la mesure du patriotisme des bourgeois anglais et allemands. Eh bien ! nous voterons l'impôt sur le revenu, mais il faut qu'il soit bien entendu que ce n'est pas à cette fin que nous l'avions destiné. Nous voulions qu'avant tout, l'impôt progressif et global servît à dégrever les petits paysans de la charge trop lourde qui pèse sur leurs épaules et que ces ressources servent aussi à doter les grandes _uvres de solidarité sociale. Par là, nous ne servions pas seulement la masse des salariés, des travailleurs, mais aussi la production nationale elle-même, car à mesure que la masse gagnera en bien-être, la consommation s'accroîtra ». Il n'y a rien à changer à cette analyse de Jean Jaurès.

M. Xavier de Roux - Hormis les taux.

M. Jean-Pierre Brard - Le disque est rayé ! Jean Jaurès fut l'une des plus belles figures qui aient siégé sur ces bancs.

Et s'il fut assassiné, c'est que la haine qu'il suscitait était à la hauteur de l'espérance qu'il avait fait naître dans le peuple de France. Et vous, vous en voulez encore à Jaurès, comme vous en voulez à Robespierre, à Saint-Just et à bien d'autres.

M. Charles de Courson - Laissez leurs mânes reposer en paix !

M. Jean-Pierre Brard - Près d'un siècle plus tard, les travaux de M. Thomas Piketty... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) M. Piketty est un brillant intellectuel de notre époque, et ce n'est pas parce que les choses qu'il dit vous déplaisent qu'elles sont fausses. A le lire de plus près, vous auriez une vue plus pertinente du projet de budget.

Il analyse ainsi l'effet dynamique et redistributeur de l'impôt sur le revenu : « L'impôt sur le revenu n'a pas simplement pour effet de réduire de façon immédiate et mécanique les disparités présentes de niveaux de vie. Il a également un impact plus complexe sur les inégalités, dont les effets ne se font pleinement sentir qu'au bout d'un certain nombre d'années : en comprimant la hiérarchie des revenus disponibles, l'impôt progressif modifie structurellement les capacités d'épargne et d'accumulation des uns et des autres, et il conduit ainsi à réduire les inégalités patrimoniales futures, et par conséquent l'inégalité future des revenus avant impôt ».

Quand on établit le barème de l'impôt sur le revenu, on ne fait pas de l'épicerie, on obéit à une véritable philosophie politique.

Quant aux candidats à l'expatriation, ils doivent savoir que le niveau des prélèvements obligatoires dans notre pays a pour contrepartie directe, depuis des décennies, des services publics de bonne qualité sur tout le territoire. Pour vous, vider les caisses est une étape préalable à l'assèchement du contrat social organisé autour de ces services publics. J'espère que les Français n'auront jamais à subir la douloureuse expérience des Anglais, que les allemands risquent de bientôt connaître sous la houlette de M. Schröder.

Un des premiers devoirs de la nation est de défendre la justice fiscale et de rappeler la raison d'être de l'impôt. La France n'a pas un impôt élevé en raison d'une mauvaise gestion ou d'un nombre pléthorique de fonctionnaires, mais parce qu'elle a bâti, tout au long du XXème siècle, une conception solidaire de la société, généralement du fait de gouvernements de gauche, mais aussi, à la Libération, grâce au général de Gaulle.

Vous n'aimez pas que l'on fasse référence à de Gaulle, parce que vous avez renié son héritage (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Qui parle sans cesse du déclin du pays, qui veut casser le moral des Français alors que nous sommes le quatrième exportateur mondial ? Si vous ne me croyez pas, lisez l'excellent article de Dominique de Villepin dans Le Monde du 8 octobre. On sent chez cet homme qui a défendu la France à l'ONU face à l'impérialisme américain, la fibre patriotique héritée du général de Gaulle - et l'on se demande seulement ce qu'il fait dans ce gouvernement !

Dans nombre de pays étrangers, la santé et l'école sont directement financées par les familles en fonction de leur fortune. Dans notre pays, ces dépenses sont payées par l'impôt ou les cotisations sociales. Vous parlez de prélèvements qui seraient plus lourds ici qu'ailleurs, alors qu'ailleurs, ces prélèvements sont privatisés, sans pour autant garantir la qualité que chacun reconnaît à nos services de santé et d'éducation, accessibles à tous. La mise en place, par le précédent gouvernement, de la couverture maladie universelle et de l'allocation personnalisée d'autonomie est venue renforcer cette conception d'une société solidaire.

Nous devons veiller au caractère redistributif de l'impôt et des cotisations. Si vous voulez une comparaison pertinente avec les systèmes étrangers, ajoutez aux prélèvements obligatoires les dépenses financées directement par les ménages en matière d'éducation ou de santé. Et vous verrez alors que les prélèvements ne sont pas si lourds en France (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Vous ricanez, mais M. Mer ne ricane pas, lui qui, dans sa vie antérieure, parce qu'il avait des salariés à l'étranger, a fait les additions, et sait à quoi s'en tenir. Vous qui marchez au sifflet d'habitude, vous devriez vous inspirer cette fois de l'exemple de votre ministre (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Je me rappelle le débat sur les retraites où centralisme démocratique aidant, un seul député avait le droit de s'exprimer !

M. Hervé Novelli - Le centralisme démocratique, c'est vous !

M. Jean-Pierre Brard - Nous l'avons justement abandonné parce que nous avons expérimenté sa perversion. Vous, vous l'avez racheté en solde !

Pour réhabiliter l'impôt, il faut faire _uvre de pédagogie et expliquer à nos concitoyens ce que coûtent des services comme la santé ou les transports...

M. Yves Bur - Trop cher !

M. Jean-Pierre Brard - L'habitant d'Ile-de-France qui achète sa carte orange sait-il qu'une subvention annuelle lui permet de bénéficier des transports en commun les moins chers du monde pour une grande capitale ?

M. Yves Bur - Et c'est la province qui paie pour Paris !

M. Jean-Pierre Brard - Le malade qui est en réanimation à l'hôpital sait-il que chacune de ses journées coûte au bas mot 852 € ? La famille dont l'enfant est étudiant en sciences sait-elle qu'il en coûte 12 200 € au budget de l'Etat ?

Pour rétablir un rapport citoyen entre l'Etat et les Français, il faut leur expliquer à quoi sert l'impôt. Ce sera le moyen de les intéresser à la chose publique et de la placer sous leur contrôle.

L'absence de stabilité, de simplicité et de transparence de la loi fiscale jette aussi le doute sur la justice de l'impôt.

Il s'agit finalement pour vous, Messieurs les ministres, de soigner une clientèle électorale de privilégiés pour laquelle les impôts, la solidarité nationale et l'intérêt général ne sont que de vieilles lunes, des freins illégitimes à la réussite des gagneurs, des golden boys, des grands capitaines d'industrie, devenus les nouveaux héros de la mondialisation ultra-libérale. Tout cela fait évidemment pencher la balance vers les Thénardier plus que vers Cosette et Jean Valjean... (Rires sur les bancs du groupe UMP)

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Des détails !

M. Jean-Pierre Brard - Venez donc avec moi dans certains coins de banlieue. J'ai invité M. Sarkozy à venir faire le marché à Montreuil avec moi un dimanche matin. Mais je l'attends toujours !

M. le Ministre délégué - Je viendrai, moi.

M. Jean-Pierre Brard - Banco ! Les gens pourront vous dire ce qu'ils ont sur le c_ur.

M. le Ministre délégué - Ils sont riches, s'ils payent des impôts.

M. Jean-Pierre Brard - Ils savent très bien qu'à chaque fois qu'ils achètent trois oranges, ils payent la TVA (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Depuis l'arrivée de ce gouvernement, le développement durable est devenu un grand principe qui, à en croire le Président de la République qui prêche sur ce sujet avec le zèle touchant des convertis, devrait inspirer toute l'action gouvernementale et donc ce budget. Malheureusement, on est plutôt au magasin des farces et attrapes, rayon esbroufe : vos ministères ne semblent pas pénétrés de la pensée présidentielle. Le Conseil des impôts dresse à cet égard, dans son dernier rapport, un bilan très critique : « Les taxes environnementales, lorsqu'elles existent, sont fixées à des taux très inférieurs de ce qu'ils devraient être au vu des dommages causés par la pollution, si l'on excepte le domaine important des produits pétroliers. Il en va de même pour les mesures fiscales positives : même si elles tendent à se développer, leur poids paraît en effet modeste ».

Vous avez - habilement - voulu faire passer l'augmentation de la taxe sur le gazole pour une mesure environnementale, alors qu'il ne s'agit que de ramasser quelques sous. Vous n'avez d'ailleurs pas su répondre aux tenants du diesel - je pense aux lobbies pétroliers.

Vous voilà à nouveau pris en défaut, sur ce sujet de l'environnement, avec l'édifiant exemple des transports : vous supprimez les subventions allouées aux grandes villes pour développer leurs réseaux de transport en commun de voyageurs. « La France affirmerait que les transports collectifs en site propre ne sont pas une priorité, alors que les autres pays d'Europe investissent massivement dans ce secteur », a déclaré Jean-Marie Bockel, président de l'association des maires des grandes villes. Et M. Bussereau lui répond que l'Etat aurait joué un rôle excessif dans l'émergence des projets de transports collectifs.

C'est aux actes qu'on juge la sincérité des engagements, et nous sommes loin du compte !

Comme le temps passe, je voudrais aller plus loin dans mon propos. Vous êtes évidemment, Messieurs les ministres, sous l'influence de M. Seillière, qui s'est découvert cet été une âme de philosophe. Sans doute avez-vous lu dans Le Monde cet article intitulé « le nouveau positivisme ». Un grand thème idéologique de votre budget est la réhabilitation de la valeur travail, clairement inspiré par le Medef. De fait, vous opposez travail et emploi, à l'instar du baron Antoine Seillière de Laborde et de son ancien adjoint Denis Kessler, que M. Mer a bien connu...

Dans une tribune publiée dans Le Monde du 8 septembre 2003, M. Seillière, donc, écrit : « Qu'il s'agisse de la relation entre la science et le progrès, des mutations identitaires de notre société ou du nouvel ordre international, l'entreprise est toujours concernée, porteuse de progrès et de modernité. C'est la raison pour laquelle les entrepreneurs refusent les visions pessimistes et défaitistes qui rongent aujourd'hui notre société. Ces évolutions dessinent en réalité une nouvelle organisation sociale, une nouvelle organisation économique, une nouvelle organisation géopolitique du monde. Après des années de grand désordre, de nouvelles régulations s'esquissent enfin et des priorités nouvelles s'affirment pour notre pays. La France entre enfin dans la réforme que, depuis des années, le Medef appelle de ses v_ux. Un processus de fond s'est engagé, un point d'inflexion intellectuel autant que conjoncturel. Le travail dans l'entreprise est le moteur principal de l'ascenseur social français. C'est pourquoi il est urgent d'en réhabiliter la valeur. Tous partagent la même conviction : l'entreprise, avec ses contraintes et ses possibilités, est au c_ur des aspirations ».

C'est ce qu'il appelle le « nouveau positivisme » ainsi défini : « Libéralisme ou keynésianisme, capital ou travail, socialisme ou gaullisme : les schémas de pensée qui ont façonné les analyses du siècle passé sont à reconstruire. C'est cela que nous appelons le nouveau positivisme. Il doit nous permettre de sortir d'une pensée normative et d'imaginer une nouvelle gouvernance, un nouveau lien entre l'économique et le politique ».

Ne sommes-nous pas en pleine idéologie ? Vous reconnaîtrez volontiers, Monsieur le ministre du budget, que votre discours et celui de M. Seillière ne sont pas contradictoires ! Je vous sens dubitatif... Il y a des silences éloquents !

Dans son éloge de l'entreprise qu'il qualifie par antiphrase de « porteuse de progrès », M. le baron oublie sans complexe les désastres économiques et financiers qui ont pour nom, entre autres, Vivendi Universal, Crédit Lyonnais, Executive Life, Air Littoral, Air Liberté, France Télécom, Métaleurop, Alstom, qui ont coûté et coûtent encore très cher aux salariés, aux contribuables et aux petits actionnaires. Quand la recherche du profit ou la mégalomanie conduisent au naufrage, c'est à l'Etat que font appel les naufrageurs pour un prêt, une recapitalisation, une structure de défaisance, en un mot, pour obtenir des deniers publics.

Nous vivions en France sur un socle réputé intangible : le compromis social de 1945. L'Etat social qui s'est mis en place à la Libération, très influencé par les idéaux de la Résistance, reposait sur quatre piliers : la sécurité sociale, les retraites par répartition, le droit du travail et le développement du service public, ainsi que d'un important secteur public. J'en ajoute un cinquième : la place significative accordée à la culture, qui est à l'origine de l'exception culturelle.

Tant bien que mal, ce compromis social a duré. Mais nous n'en sommes plus là ! La page qui s'est ouverte le 21 avril 2002 marque une véritable rupture. Poussée par le Medef, la droite a estimé que le moment était venu de casser le compromis social. La France s'était déjà, sur le plan économique, largement mise aux normes des standards libéraux, il fallait que cela soit fait sur le plan social. Il y a bien rupture quand on pousse à l'impasse le système de retraite par répartition et qu'on espère se servir de la paupérisation massive des futurs retraités qui s'ensuivra, pour enclencher une évolution vers la capitalisation. Si j'en crois Le Monde de cet après-midi, il en ira de même pour l'assurance maladie, que l'on ouvre au secteur privé.

Dans ce contexte, le nouveau positivisme apparaît comme une tentative de masquer une stratégie destructrice en affirmant, comme M. Seillière : « Conscience et éthique font partie intégrante de l'avancée de la connaissance. Elles affirment que l'alliance de la science et de l'entreprise est une donnée fondamentale du progrès ».

Il est assez étrange d'entendre M. Seillière, qui a lâché dans les conditions que l'on sait les salariés d'Air Littoral, parler d'éthique !

Comment s'en sortir ? En posant cette question, ce n'est pas à la droite que je m'adresse mais à la gauche...

Plusieurs députés UMP - S'il en reste...

M. Jean-Pierre Brard - Oh, vous savez, ça va, ça vient...

M. Yves Bur - Pour vous, ça ne revient jamais ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - La droite a un projet, Alternance 2002, mais la gauche n'en a pas (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP), elle doit bâtir un projet de société, pour combattre la droite, pour la battre, pour redonner l'espérance au peuple français.

En s'appuyant sur l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme, sur Victor Hugo, sur Jean Jaurès, c'est un nouveau contrat social qu'il faut élaborer.

M. Yves Bur - Adressez-vous à l'extrême gauche !

M. Jean-Pierre Brard - Il faut rompre avec les ambiguïtés, notamment en ce qui concerne la baisse de l'impôt sur le revenu. Que la gauche réhabilite l'impôt, qu'elle assume ses ambitions comme la droite assume les siennes !

Ce nouveau contrat social intégrera les ambitions que la société se donne. Les valeurs républicaines en seront évidemment le socle ainsi que les droits sociaux qu'il convient non de rogner, mais de conforter : droit à l'éducation, à l'emploi, à la santé, au logement, à la sécurité et notamment à la sécurité professionnelle, à la culture, à un environnement sain. Ce contrat devra également affirmer la place de la France, en Europe et dans le monde, pour la recherche de la paix, pour le développement des coopérations et pour l'encouragement aux actions de co-développement avec les pays du Sud.

Les comparaisons internationales montrent que diminuer les charges sociales et faire financer la protection sociale par les contribuables n'est pas une solution. Il faut réformer dans un tout autre esprit : il ne s'agit pas d'abaisser le coût global de la protection sociale alors que les besoins sont insatisfaits et que les inégalités sont légion, mais d'en répartir différemment la charge. Deux principes s'imposent : rendre le tissu économique plus solidaire, donc rééquilibrer les contributions sectorielles ; inciter l'entreprise à intégrer un objectif de préservation et de développement de l'emploi. Cela passe par le transfert d'une partie des cotisations patronales sur le profit brut de l'entreprise.

Changer les critères du financement et du crédit est essentiel. Le financement public pour l'emploi doit être décentralisé et placé sous le contrôle des acteurs sociaux. Il faut aussi une mutation de la fiscalité, une réforme bancaire, une réforme des services publics pour aller vers plus d'efficacité.

Vous prenez sans cesse les Etats-Unis en exemple, mais les impôts directs sur les revenus et les bénéfices y atteignent 51 %, soit bien plus que chez nous.

M. Nicolas Perruchot - Sur quelle assiette ?

M. Jean-Pierre Brard - Au terme de cette analyse, que je n'ai pu développer complètement (Sourires), je crois avoir montré que ce projet est non seulement virtuel et insincère, mais aussi dangereux pour notre économie et pour les habitants de notre pays.

Aveuglés par vos préjugés, vous n'avez foi qu'en un libéralisme échevelé. Moi, j'ai foi dans les hommes et les femmes qui ont fait notre pays et qui continuent à le construire. Vraiment il n'y a pas lieu de délibérer sur ce texte, je vous invite donc à voter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Michel Bouvard - Le long exposé de Jean-Pierre Brard montre, tout au contraire, qu'il y a lieu de délibérer. Lui-même en est d'ailleurs convaincu puisqu'il a déposé un certain nombre d'amendements, en particulier à propos de l'impôt sur le revenu. Et, puisqu'il a contesté les orientations politiques de ce gouvernement et de cette majorité, il faut engager nos travaux pour approfondir le débat.

Je regrette le caractère trop caricatural de sa présentation, notamment s'agissant de la politique de l'emploi, au moment où nous allons signer le 100 000 ème contrat jeune en entreprise. Le dispositif est un succès. Dans la mesure où 90 % de ces emplois ont été créés dans les PME et les très petites entreprises, on constate qu'il n'y a pas eu d'effet d'aubaine et que les allègements de charges permettent effectivement de créer des emplois. Le Gouvernement vient également de relancer les contrats d'insertion en entreprise pour les chômeurs de longue durée. Il a aussi, après avoir démantelé le système Aubry, décidé de revaloriser le SMIC et la PPE, ce qui profitera aux Français les plus modestes.

S'agissant de la politique sociale, M. Brard a évoqué les 35 heures. Il aurait dû aller jusqu'au bout du sondage du JDD : une majorité de Français constate qu'elles ont eu pour conséquence un gel des salaires.

Il a aussi avoué que l'opposition n'avait pas de projet et rappelé quelques-unes de ses critiques à l'encontre de la politique qu'a menée Laurent Fabius.

C'est donc pour que le débat s'engage qu'il faut maintenant rejeter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Louis Dumont - Après la chevauchée fantastique de Jean-Pierre Brard et son exposé brillant, on peut s'étonner de l'absence de réaction des ministres.

Notre collègue a bien montré les contradictions d'un texte qui s'inscrit dans une politique plus globale. Il a eu raison d'insister sur la nécessité de réhabiliter cet acte citoyen qu'est la contribution par l'impôt, qui fonde le lien entre le citoyen et la nation et qui permet de mesurer l'effort en faveur des inégalités et des services publics.

Bien sûr, nous connaissons des difficultés économiques, mais la fiscalité que propose le Gouvernement n'est pas apte à répondre aux besoins les plus criants des Français, notamment en matière d'emploi et de logement. Pire, vous remettez en cause des engagements pris antérieurement par l'Etat, je pense notamment à l'environnement, à la réforme de la PAC et à l'éco-conditionnalité. Comment, dans nos campagnes, faire croire que l'Etat va mener une politique économique quand il est incapable de trouver 5 000 € pour mener à son terme un projet déjà engagé ? Comment parler de politique du logement quand l'aide à la pierre disparaît ?

M. Yves Bur - Votre bilan est nul !

M. Jean-Louis Dumont - La paupérisation frappe notre pays, en particulier les populations les plus fragiles. Jean-Pierre Brard a dit avec conviction qu'un Etat républicain comme le nôtre se doit de valoriser...

M. Xavier de Roux - Les taxes !

M. Jean-Louis Dumont - ...une solidarité active, et l'impôt, contribution utile, et non une taxe aveugle.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Xavier de Roux - Taxons, taxons !

M. Jean-Louis Dumont - Le sort qu'elle fait à ses vieillards permet de juger une société. Avec cette loi de finances, vous organisez une société d'égoïstes. C'est pourquoi nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre délégué - Je ne voudrais pas que le silence du Gouvernement soit mal interprété.

M. Maxime Gremetz - Ça allait être le cas.

M. le Ministre délégué - Je m'explique donc. Selon l'article 91, alinéa 4, de votre Règlement, opposer la question préalable signifie qu'il n'y a pas lieu de délibérer, c'est-à-dire qu'il n'y a pas lieu de lever l'impôt, d'allouer les crédits nécessaires à l'action publique, de payer les fonctionnaires, de poursuivre l'action de l'Etat.

M. Jean-Pierre Brard - Sophisme.

M. le Ministre délégué - Je ne peux pas croire que telle soit l'intention de M. Brard. Il a utilisé cette motion de procédure pour s'exprimer autant qu'il le voulait. Il l'a fait. J'invite maintenant l'Assemblée à repousser la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Charles de Courson - Selon Monsieur Brard, le ministre aurait fréquenté l'Actor's Studio. Mais lui-même vient de nous faire une pâle imitation des Marx Brothers. Il nous a expliqué que l'opposition n'a pas de projet, ce qui est vrai, et aussi qu'il fallait augmenter l'impôt sur le revenu. Mais après avoir critiqué M. Fabius pour avoir proposé la baisse de cet impôt, il s'est abstenu sur son budget. Alors un peu de sérieux ! Pour finir, il nous demande de lui laisser le temps de relire Victor Hugo - qui était tout sauf un homme de gauche - et Jaurès pour élaborer un projet ! Laissons-le retourner à ses lectures et votons contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Alain Bocquet - Le groupe communiste et républicain apportera un soutien franc et massif à la question préalable défendue avec brio par Jean-Pierre Brard. Nous avons voulu montrer le danger de ce projet de budget ultra-libéral, qui dépasse encore en austérité celui de M. Balladur il y a dix ans. C'est la croissance quasi nulle, le chômage, les cadeaux fiscaux pour les privilégiés. Vous avez choisi la France des dividendes contre le peuple. Vous le faites cyniquement pour le compte de la haute finance, pour celui du Medef, représenté directement à Bercy. Jean-Pierre Brard a parlé à juste titre de « thatcherisation ». Vous voulez, en quelques années, effacer 1936, 1945, 1968, 1981, tous les acquis sociaux et démocratiques.

M. François Goulard - Vous oubliez la nuit du 4 août !

M. Alain Bocquet - Nous ne vous laisserons pas faire. En cinq ans, la France est passé du deuxième au dix-septième rang en ce qui concerne le développement. Vous choisissez les comptes d'exploitation contre le progrès. Dans les jours qui viennent, le groupe communiste présentera ses propositions alternatives en défendant ses trois cents amendements.

Je demande un scrutin public sur la question préalable et la vérification du quorum. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Nous allons inverser la démarche. Je suis saisi par le président du groupe communiste et républicain, en application de l'article 61, d'une demande de vérification du quorum. Dans l'attente de cette vérification, la séance est suspendue.

La séance, suspendue à 23 heures 20, est reprise à 23 heures 30.

M. le Président - Le bureau de séance constate que le quorum n'est pas atteint. Conformément à l'article 61-3 du Règlement, je vais suspendre la séance. Le vote sur la question préalable est reporté à la reprise de la séance, qui aura lieu dans une heure. Sur ce vote, je suis saisi par le groupe communiste d'une demande de scrutin public.

La séance, suspendue, est reprise le mercredi 15 octobre à 0 heure 35.

M. le Président - Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe des élus communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

A la majorité de 93 voix contre 6 sur 99 votants et 99 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée (Murmures sur bancs du groupe UMP).

M. Michel Bouvard - Je constate que les membres du groupe qui a demandé la vérification du quorum, retardant ainsi nos travaux d'une heure, sont pour la plupart absents de l'hémicycle. Cette attitude est choquante et porte atteinte au fonctionnement de notre institution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il ne faudra pas s'étonner si, dans ces conditions, d'autres groupes - en particulier le groupe UMP - demandent qu'on se penche sur les effets que la vérification du quorum peut avoir sur nos travaux (Mêmes mouvements).

M. le Président - J'ai tenu à appliquer strictement le Règlement...

M. Michel Bouvard - Je ne vous fais aucun reproche !

M. le Président - ...et je n'ai pas levé la séance. Même, avant de le faire et pour une question de principe, je vais donner la parole à l'un des orateurs inscrits dans la discussion générale.

M. Jean Ueberschlag - M. Gerin est le premier inscrit. Où est-il ?

M. François Goulard - J'aurai donc l'honneur de m'exprimer, de façon quelque peu impromptue et nuitamment, sur ce projet de loi de finances et je commencerai par relever que, comme d'habitude, ce débat budgétaire est avant tout un débat économique portant sur la croissance. Certes, celle-ci a de fortes incidences sur les recettes, donc sur l'équilibre budgétaire : la croissance de l'année précédente influe sur le produit de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés ; la croissance de l'année en cours sur le produit de la TVA et de la TIPP. Mais, pour le reste, on accorde au budget une importance économique qu'il n'a pas toujours. Cela tient sans doute au keynésianisme de la gauche, nos collègues n'ayant retenu que cette théorie des études économiques qu'ils n'ont d'ailleurs pas toujours faites ! Cette importance quasi exclusive accordée à Keynes a encore été illustrée tout à l'heure par M. Ayrault, qui appelait à une relance de la consommation, mais, hier, M. Jospin rappelait dans le même esprit que, dès 2001, sentant la croissance faiblir, le parti socialiste avait mené une politique active de relance, avant de reprocher à l'actuel gouvernement d'avoir laissé se creuser le déficit. Comprenne qui pourra !

M. Eric Besson - C'est long, dix minutes !

M. Jean-Pierre Brard - Votre théorie à vous est bien fumeuse. Ce n'est certes pas du Keynes !

M. François Goulard - Pour certains, la politique budgétaire s'apparenterait au sport, en somme : on ne pourrait la pratiquer sans recourir à l'EPO !

M. Jean-Pierre Brard - Vous faites, vous, du saut à l'élastique !

M. François Goulard - La réalité est bien différente, comme l'a compris le Gouvernement. Certes, même si la question du déficit n'est pas la question essentielle, il serait erroné d'amplifier une tendance à l'affaiblissement de la croissance en menant une politique budgétaire trop restrictive, mais le Gouvernement n'a pas commis cette faute et il a maintenu le déficit au niveau atteint en 2003. Mais le plus fondamental est la capacité de l'Etat à mettre fin à cette anomalie française qu'est l'excès de dépenses publiques, et partant des prélèvements obligatoires.

M. Jean-Pierre Brard - On retombe dans l'obsession !

M. François Goulard - Cette obsession résulte d'une observation. Nous sommes un pays développé dont le taux de dépenses publiques par rapport au PIB et le taux de prélèvement obligatoires sont les plus élevés de tous...

M. Jean-Pierre Brard - Je vous en ai expliqué les raisons !

M. François Goulard - ...ce qui pèse sur la croissance et l'emploi. Il suffit d'observer les performances économiques de nos voisins pour s'en persuader.

M. Jean-Pierre Brard - Lesquels ? L'Allemagne ?

M. François Goulard - Surtout, la France a en germe la perspective d'une forte augmentation de ses dépenses publiques, donc des prélèvements.

Faute pour le gouvernement précédent d'avoir anticipé l'accroissement fatal des dépenses publiques, notre économie est fortement menacée. Je pense au budget de l'Etat - emplois-jeunes, 35 heures - mais surtout aux dossiers des retraites - que ce gouvernement a traité - et de l'assurance maladie - qu'il traitera durant les prochains mois.

Parce que la capacité de l'Etat à maintenir la croissance des dépenses publiques est déterminante pour l'économie d'un pays, on peut affirmer que la politique de l'actuel gouvernement est génératrice, à terme, de croissance et de prospérité. En cela, elle se distingue de celle suivie par le gouvernement précédent.

M. Jean-Pierre Brard - C'est vrai ! La gauche et la droite, ce n'est pas la même chose.

M. François Goulard - Vous avez réussi, Monsieur le ministre, à maintenir le budget constant en volume alors que les dépenses augmentent, notamment en matière de sécurité et de défense. Il est pathétique de voir à quel point la gauche est incapable de se départir de ce réflexe pacifiste, qui veut que les dépenses de défense nationale soient toujours les premières à être sabrées. Nous sommes heureux que le Gouvernement n'ait pas cédé à cette facilité.

Vous avez engagé une réduction progressive et mesurée des effectifs de la fonction publique. Il y a de nombreuses sources d'économie qu'il faudra exploiter et le Parlement, en particulier la commission des finances, est prêt à accompagner le Gouvernement dans cette démarche.

Il reste des marges considérables, notamment au sein des entreprises publiques où l'on a, par le passé, idéologiquement augmenté les effectifs, mais aussi dans l'audiovisuel public où la redevance est une facilité qui incite à un certain laxisme dans la gestion.

Bref, il y a un travail considérable à accomplir tout au long de la législature et pour lequel le Parlement sera un allié précieux du Gouvernement.

Concernant la politique fiscale, le Gouvernement a raison de s'inscrire dans la continuité de la baisse de l'impôt sur le revenu et, plus généralement, de la pression fiscale.

Ce n'est pas parce que, parmi toutes les mesures, une seule se distingue par une augmentation qu'il faut jeter le bébé avec l'eau du bain. Au contraire, nous saluons là un budget favorable aux contribuables. Mais nous sommes aussi solidaires du Gouvernement lorsqu'il prend d'autres mesures moins favorables aux contribuables, car il faut bien équilibrer le budget.

M. Jean-Pierre Brard - Enfin, vous l'avouez !

M. François Goulard - Le Gouvernement continue d'encourager l'activité, et de manifester sa volonté de réduire la dépense publique. Il s'inscrit alors dans la logique européenne même si par accident, et en grande partie du fait de la gestion du gouvernement précédent, nous avons dépassé la règle des 3 % de déficit public rapportés au PIB. Nous tenons à réaffirmer que cette règle européenne est pour nous une ligne de continuité à laquelle nous nous rallierons bientôt.

M. Jean-Pierre Brard - Je préfère le Président de la République à M. Goulard !

M. François Goulard - Le groupe UMP et la majorité apprécient le travail et les choix du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 55.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 15 OCTOBRE 2003

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2004 (n° 1093).

M. Gilles CARREZ, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan. (Rapport n° 1110)

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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