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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 7ème jour de séance, 16ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 15 OCTOBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2004 (suite) 2

La séance est ouverte à neuf heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2004 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2004.

M. Maxime Gremetz - L'examen du projet de loi de finances fait apparaître l'immense décalage qui existe entre la présentation officielle de la politique du gouvernement Raffarin et la véritable inspiration de la batterie de mesures qu'il contient. Un journaliste l'a très bien exprimé, même si ce n'est pas dans l'Humanité mais dans Les Echos : ce budget reflète de vrais choix politiques, même s'ils sont mal assumés. La politique fiscale cible clairement les hauts revenus
- toujours selon Les Echos ! - avec la baisse de 3 % de l'impôt sur le revenu, la hausse de la déduction pour les emplois familiaux, la création de fonds de pension, la baisse massive de l'impôt sur les plus-values immobilières... Les vingt-deux mesures fiscales, conclut le journal, vont dans le sens d'une politique de l'offre et non de la demande.

Il s'agit donc d'une politique d'austérité dont sont victimes les 10 millions de personnes qui vivent des minima sociaux et du SMIC. Cette politique est contraire à la conception républicaine de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme, que je me vois obligé de rappeler à mes collègues de droite : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés ». Quelle meilleure définition du communisme : à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ? Cet article est, tout comme le communisme d'ailleurs, proprement révolutionnaire : il rompt avec l'arbitraire des prélèvements antérieurs et appelle une fiscalité progressive. Pourtant, aujourd'hui, les prélèvements effectués hors de cette logique républicaine sont les plus nombreux. L'injustice fiscale est généralisée.

Ainsi, en 2001, la TVA a rapporté 105 milliards et la taxe intérieure sur les produits pétroliers 22,8 milliards, contre 47,9 milliards pour l'impôt sur le revenu. Un responsable du syndicat national unifié des impôts explique que le contribuable aisé imposable sur le revenu est devenu une denrée rare... Toutes sortes de niches fiscales permettent d'échapper au devoir de contribution à l'effort collectif. La fracture sociale vient aussi de ce retour des privilèges, qui insultent l'éthique républicaine. Sachant qu'1 % de la population possède 20 % du patrimoine, on comprend que l'effet redistributif du système est négligeable... Être assujetti à un impôt progressif devient l'exception, et l'exonération la règle. La prime est à ceux qui s'enrichissent en dormant ! Cette tendance, qui a commencé sous le gouvernement Jospin avec le plan Fabius de baisse de l'impôt sur le revenu, est amplifiée aujourd'hui.

La loi sur l'initiative économique a ainsi offert des instruments sur mesure pour s'affranchir du paiement de l'ISF. On rivalise d'imagination pour expliquer que l'impôt progressif est confiscatoire et que l'ISF est une incitation à l'évasion fiscale et à la fuite des cerveaux. On rend cet impôt, qui est une des fiertés de la gauche, responsable de la délocalisation et de la désindustrialisation. Son assiette est pourtant étroite : elle exclut par exemple les biens professionnels et les _uvres d'art. Bref, cet impôt ne rapporte pas plus que la redevance télévision ! En revanche, le taux marginal d'imposition sur un litre d'essence est de 70 %, mais cela ne pose problème à personne. Cette politique nous conduit droit dans le mur de la croissance zéro, alors que l'économiste Thomas Piketty a démontré qu'en France, au XXe siècle, le taux marginal de l'impôt sur le revenu a dépassé 60 % pendant 20 ans sans jamais provoquer la fuite des hauts revenus...

En 1998, sur 31 millions de foyers fiscaux français, seuls 228 000 étaient concernés par le taux marginal d'imposition de 54 %. Parmi eux, seuls 4 000 foyers connaissaient un taux moyen supérieur à 50 %, soit moins de 0,02 % de l'ensemble des foyers fiscaux ! La baisse de l'impôt sur le revenu ne concernera pas 16 millions de foyers, comme vous le prétendez, mais les 0,02 % de contribuables les plus nantis. Le célèbre « enrichissez-vous » de Guizot revient à la mode : pas très moderne, mais efficace...

La TVA, elle, est l'impôt des voleurs, qui fait passer les petites gens à la caisse. Comme je le dis souvent à mon collègue picard, M. Dassault, le milliardaire qu'il est et l'ouvrier que je suis paient le même impôt sur la baguette de pain.

Pour les laudateurs de la TVA, un impôt serait bon à partir du moment où il passerait relativement inaperçu, mais rapporterait beaucoup.

La directive européenne du 19 octobre 1992 autorise les Etats à avoir un ou deux taux réduits de TVA pour des biens et services limitativement énumérés. Le taux normal doit être supérieur ou égal à 15 %. Mais dix ans après l'adoption de cette directive, le taux moyen avoisine 19,5 % dans l'Union européenne et huit pays sont au-dessus. L'harmonisation européenne privilégie donc l'impôt indirect et proportionnel, lésant l'immense majorité des citoyens européens.

A la vérité, votre budget est un budget de renoncement.

Pourquoi consulter le Parlement, alors que vos prévisions de croissance sont fantaisistes et que des gels et annulations de crédits en cascade sont déjà prévus ?

Notons, et ce n'est pas anodin, que la suppression annoncée du service des études statistiques fera disparaître l'un des moyens par lesquels les citoyens pouvaient se réapproprier un débat budgétaire, confisqué par un minuscule parterre de technocrates que l'on voit errer, à la recherche de leur conscience, entre la rue Cambon et Bercy.

Vous êtes responsable du déclin de la France. Vous faites semblant de critiquer Bruxelles pour éviter de mettre en cause le principal - la Banque centrale européenne, l'utilisation de l'euro et du crédit, les relations entre les banques et les entreprises, qui sont au c_ur du renoncement industriel.

Le Gouvernement a fait le choix du déficit et de la croissance zéro pour suivre le pacte de stabilité, au risque de la récession.

Comme le dit Nicolas Baverez, c'est la France qui tombe.

Le débat ne fait que commencer. Nous allons poursuivre notre combat en utilisant tous les moyens parlementaires à notre disposition. Il n'est pas question de laisser passer un budget de régression sociale pour partir ensuite tranquillement en week-end ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Pierre Balligand - Rarement la discussion d'un projet de loi de finances aura autant monopolisé l'attention.

Les plus hautes instances de contrôle, nationales et européennes ont très tôt alerté l'opinion sur une politique économique néfaste et une situation budgétaire catastrophique. La Cour des comptes, le Conseil économique et social, le Conseil des impôts, la Commission européenne, la Banque centrale européenne ont insisté, mois après mois, sur la responsabilité exorbitante et personnelle du Gouvernement dans la crise des finances que notre pays traverse.

Le prétexte conjoncturel peut être balayé d'un revers de main. Alors que la France de Lionel Jospin affichait une croissance supérieure à la moyenne européenne, la France de Jean-Pierre Raffarin fait aujourd'hui beaucoup moins bien. Alors que notre pays figurait parmi les nations les plus vertueuses pour le respect des critères de Maastricht, il est aujourd'hui à la traîne de ses concurrents européens, pourtant confrontés au même contexte.

Les clignotants économiques, à l'orange depuis deux ans et demi et au rouge depuis près d'un an, n'auront pas réussi à ouvrir les yeux d'un gouvernement trop occupé à complaire au Président de la République et à son électorat de droite. L'activité stagne. La croissance de la consommation des ménages, qui s'élevait à 4,5 % en 2000, est retombée au niveau des autres pays de la zone euro - moins de 1 % cette année - et pour le deuxième trimestre 2003 on observe même une régression de 0,2 %, ce qui prouve que baisser les impôts en période creuse est une aberration économique. Logiquement, le taux d'épargne des Français frôle le niveau record de 17 %. Le taux de marge des sociétés non financières a chuté, quant à lui, à son plus faible niveau depuis quinze ans. La défiance des ménages, mesurée par l'INSEE, est inchangée depuis plusieurs mois. Le taux de chômage devrait remonter à 10 % avant 2004...

Il y a un an, en dépit de tous les signaux précurseurs, vous aviez prévu pour 2003 une croissance de la consommation de 2,4 % et une croissance du PIB de 2,5 %.

Comment, alors, pouvez-vous, Monsieur le ministre, vous réjouir de ce que la dernière enquête mensuelle de conjoncture estime à 0,2 % la croissance attendue pour 2003, alors que les carnets de commande sont vides et que les entreprises continuent de licencier ?

L'analyse est à ce point partagée que les médias économiques fournissent aujourd'hui à l'opposition ses meilleurs argumentaires. Qu'écrit, en effet, la presse nationale à propos de ce projet de loi de finances ? « occasions ratées », « pari hasardeux », « tour de passe-passe », « inégalités »...

Tout a été dit sur la profonde injustice de ce budget, qui traduit le mépris du Gouvernement pour les plus modestes, notamment sur le plan fiscal. Entre les baisses d'impôts pour les plus riches et les hausses pour tous, entre la diminution des contributions progressives et l'augmentation des contributions proportionnelles, l'équation a le mérite de la simplicité. Elle étonne encore de faux naïfs au sein de votre majorité, alors qu'elle relève de l'essence même de la politique libérale archaïque que vous menez, c'est-à-dire d'une imposture.

Cette imposture revient à faire passer la charge de l'impôt du contribuable, désormais objet de tous les égards, au consommateur, ceci au détriment de l'égalité entre nos concitoyens, dont 50 % sont soumis à l'impôt sur le revenu, mais dont 100 % consomment des médicaments, se font soigner à l'hôpital, font le plein de gazole ou empruntent les transports en commun.

Idéologie que votre politique économique n'en est pas moins dépourvue de toute stratégie. Après dix-huit mois de gouvernement, il faut bien constater que vous ne savez pas gérer le patrimoine de ce pays, auquel vous ne vous intéressez que par avidité prédatrice.

Je souhaiterais, à ce propos, vous alerter sur la situation de la Caisse des dépôts et consignations. Vous comblez les déficits publics au prix d'un démantèlement durable de l'institution : les cessions d'actifs auxquelles vous faites procéder à grande échelle ne seront pas sans conséquences sur les milliers de salariés qui travaillent à la CDD, ni sur les millions de Français qui l'alimentent de leur épargne.

En l'absence de vrai projet, vous menez la politique des bouts de ficelle, raclant les fonds de tiroirs et organisant des transferts à sens unique. Vous soutirez des produits financiers à des organismes publics, par exemple en vidant de 300 millions d'euros le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommage, et vous transférez aux collectivités territoriales des compétences trop coûteuses pour l'Etat, par exemple le RMI, bientôt grossi par les restrictions apportées à l'ASS. C'est la décentralisation des déficits !

En creusant ainsi des trous, vous allez une nouvelle fois frapper les plus pauvres, ceux que notre économie dédaigne et auxquels notre société ne sait offrir que l'assistance de l'Etat.

M. Lambert a annoncé, dans un entretien au Parisien, hier matin, « une discussion musclée ». Je crois qu'il voulait dire une discussion muselée... Votre majorité, Monsieur le ministre, a des états d'âme et manque d'enthousiasme, mais elle n'en montrera rien ici.

Idéologiquement identifiée, la politique que vous menez est économiquement incohérente et suscite bien des interrogations sur son sens. Où est la relance annoncée ? Le groupe socialiste se battra tout au long de cette discussion budgétaire pour dénoncer et expliquer au pays l'ineptie de votre politique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Auberger - Et les propositions ?

M. Gérard Bapt - Nous en faisons !

M. Michel Bouvard - En ce début d'examen du projet de loi de finances pour 2004, partageant l'analyse du rapporteur général, je souhaite faire le point sur l'état d'avancement de la réforme budgétaire et de la mise en _uvre de la LOLF, étant entendu que la mission constituée à ce sujet - formée par Didier Migaud, Charles de Courson, Jean-Pierre Brard et moi-même - a remis son deuxième rapport d'étape en juillet.

Après neuf mois de travaux, nous pouvons affirmer que la réforme est bien engagée, grâce à la mobilisation de l'administration et à l'attention continue portée à ce dossier par vous-même, Monsieur le ministre délégué au budget.

Des étapes importantes ont été franchies. La réorganisation des instances de pilotage autour de la direction de la réforme budgétaire a favorisé la définition des règles d'application de la loi organique, le comité de pilotage interministériel en a validé les principaux volets et le comité interministériel d'audit des programmes a réalisé un guide précisant à l'intention des équipes projet de chaque ministère la méthode de construction du cadre budgétaire. Enfin, le comité des normes de la comptabilité publique a engagé les travaux nécessaires à la définition et à la validation des normes comptables, tandis que la mission de modernisation comptable entamait la rénovation de la chaîne de la dépense.

Au nom de la commission des finances, je salue le travail accompli. A l'occasion de notre premier rapport d'étape, nous avions tiré le signal d'alarme. La mise en _uvre de la LOLF s'est depuis accélérée, ce qui donne à penser que le calendrier de la réforme pourra être tenu. Cela signifie-t-il que les problèmes soient réglés ? Je ne le pense pas et je souhaite donc affirmer ici un certain nombre de principes.

Si les services ont pris conscience, globalement, de l'importance des changements induits par la réforme, ils ne sont pas toujours en mesure d'apporter des solutions aux difficultés rencontrées, et ce d'autant plus que les arbitrages ministériels tardent souvent à venir. D'une manière générale, les ministres ne sont pas suffisamment impliqués dans la réforme. Les auditions auxquelles la commission des finances procèdera seront l'occasion de les sensibiliser à l'urgence d'un investissement personnel de chacun d'entre eux dans ce travail, à commencer par celui de redéfinition des missions de leur ministère, y compris celles partagées avec d'autres ministères, et des programmes s'y rapportant.

Il faut en effet en premier lieu redonner tout son sens à l'autorisation parlementaire, comme l'a clairement voulu la loi organique, qui prône une budgétisation par finalités permettant une meilleure identification des politiques publiques et un véritable contrôle de leur efficacité budgétaire. Mais cette façon de faire suppose des réorganisations administratives, qui se heurtent à certaines réticences et à la force de l'inertie. La représentation nationale ne saurait cependant admettre que ces difficultés prennent le pas sur la nécessité d'identifier les politiques de l'Etat. Le groupe UMP, comme l'ensemble des groupes, doit être intransigeant sur ce point. Nous serons donc très attentifs au contenu des propositions faites par chacun des ministres tout comme au découpage des programmes.

Je rappelle notamment que ces derniers doivent privilégier, dans la définition de leur périmètre, l'identification d'une politique plutôt qu'une masse minimum de crédits budgétaires à gérer. Il va également de soi qu'ils doivent être construits à coût complet, ce qui suppose l'éclatement d'un certain nombre de moyens dits communs. En clair, les programmes supports ou polyvalents ne peuvent être la dominante.

L'autre sujet sur lequel je souhaite insister est celui de la maîtrise des dépenses de personnel. Représentant plus de 40 % du budget de l'Etat, elles ont une dynamique propre : l'ouverture des crédits de personnel destinés au recrutement et à la rémunération d'agents en grande majorité statutaires, même si elle est annuelle, a un effet mécanique sur les exercices ultérieurs. C'est ce qui justifie le plafonnement en crédit et en nombre d'emplois prévus par la loi organique.

Encore cela suppose-t-il que l'on connaisse précisément la base de départ et le périmètre pris en compte pour le plafonnement. Je reprends donc, Monsieur le ministre, les termes de mon intervention dans la loi de règlement pour demander que les établissements publics de l'Etat et les associations dont les postes sont en majorité financés par des crédits d'Etat soient inclus dans cette réflexion. Selon la Cour des comptes, 340 000 emplois financés indirectement par le budget ne seraient pas autorisés par la loi de finances !...

La maîtrise de l'emploi public n'aura sa pleine efficacité que si on limite le nombre des programmes polyvalents, qui conduisent à regrouper les crédits de personnel dans un même programme. Cette concentration qui fait disparaître la ventilation ne peut que vider de son sens le plafond de dépenses de personnels pour chacune des politiques mises en _uvre.

M'en tenant à ces deux seules observations, je voudrais maintenant saluer l'effort de transparence du présent projet. Deux décisions vont en effet dans le sens d'une meilleure lisibilité de l'action de l'Etat : la budgétisation du financement à RFF et surtout celle du FOREC. L'évasion de recettes du budget de l'Etat en direction du FOREC au cours des dernières années à servi à masquer le coût réel des 35 heures, ce qui a affaibli le pouvoir de contrôle du Parlement sur le coût de la politique de l'emploi.

Je rappelle qu'ont été transférés au FOREC une partie des droits sur les tabacs, les droits sur les alcools, la taxe générale sur les activités polluantes, la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, la taxe sur les conventions d'assurance, la taxe sur les véhicules de sociétés, la taxe sur les contributions patronales au financement de la prévoyance complémentaire à partir de 2002 et une partie de la taxe sur les primes d'assurances automobiles. Cette liste baroque et sans réel lien avec la politique de l'emploi montre bien combien la rebudgétisation du FOREC était justifiée.

Sans être favorable à un « grand soir des 35 heures », je suis cependant convaincu que le coût budgétaire d'une politique de l'emploi doit être apprécié dans sa plénitude et qu'il nous faut donc évaluer le coût des 35 heures, afin de mesurer l'efficacité de cette orientation par rapport à d'autres comme les allégements de charges sur les emplois peu qualifiés.

M. Gérard Bapt - Formons une commission d'enquête !

M. Michel Bouvard - C'est en réussissant la réforme budgétaire que l'on pourra réduire la dépense publique en la rendant plus efficace. C'est en maîtrisant les dépenses de fonctionnement par la mise en _uvre d'une culture de la performance et de mesure des coûts que l'on rétablira des marges et que l'on pourra mettre fin à la hausse des prélèvements tout en rétablissant les budgets d'investissement et de recherche qui constituent l'avenir du pays.

Ce budget qui assure plus de transparence dans la prise en compte de l'ensemble des dépenses, qui amorce la réduction de l'emploi public et qui accroît la part des investissements, marque une évolution qu'il convient de saluer. C'est la raison pour laquelle l'UMP lui apporte son soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Bapt - Depuis seize mois, la droite dispose de tous les leviers du pouvoir. Dans ce laps de temps, elle a réussi à casser la confiance, la croissance et l'emploi.

Le groupe socialiste avait pourtant averti le Gouvernement des risques induits par ses erreurs de cadrage macroéconomiques. Elles se traduisent aujourd'hui par un envol du chômage, des déficits et de la dette. La droite conduit une fois de plus la France dans le mur par aveuglement idéologique. Elle s'entête à vouloir tenir des promesses électorales injustes, inefficaces et contradictoires (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Si vous trouvez que les 35 heures ont été une mauvaise chose, Monsieur Bouvard, supprimez-les !

M. Michel Bouvard - Non.

M. Gérard Bapt - Au moins, acceptez que nous formions une commission d'enquête sur le sujet ! Vous dites vouloir la transparence, alors faisons la lumière sur la question !

Le Gouvernement et sa majorité ont fait de mauvais choix et ils persévèrent en réservant aux Français un véritable plan de purge de la dépense publique, afin de tenter de tenir la promesse d'un déficit ramené à 3 % en 2005.

Toutes les enquêtes d'opinion montrent que le moral des Français a atteint un niveau historiquement bas, du fait de la situation de l'emploi. Depuis décembre 2002, le chômage est en effet redevenu la première source d'inquiétude des Français. Sa remontée provoque une baisse très importante de confiance, qui nourrit elle-même la récession économique. Ce manque de confiance est directement à l'origine de l'étouffement de la consommation des ménages. Relativement soutenue en 2002, elle s'est affaiblie fin 2002 pour stagner en 2003 et a baissé de 0,2 % au deuxième trimestre 2003, pour la première fois depuis 1996. Le manque de confiance se traduit aussi par la hausse du taux d'épargne des ménages, qui a atteint 17,8 % fin 2002 et approchera la barre des 18 % en 2003. c'est de loin un record en Europe.

La croissance est cassée : c'est la fin de l'exception française, après les performances des cinq années Jospin. Entre le second trimestre 1997 et le second trimestre 2002, la croissance cumulée de l'économie française et celle de l'économie américaine atteignaient respectivement 15 % et 15,5 %. La France faisait alors jeu égal avec les Etats-Unis, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui : avec un taux de 0,5 % - voire 0,2 % - nous aurons atteint en 2003 moins d'un cinquième de la croissance américaine. D'ailleurs, depuis 1993, le constat est clair : lorsque la droite est aux responsabilités, la croissance française est sous la moyenne européenne ; quand la gauche est au pouvoir, la tendance s'inverse (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP).

Hier, le ministre de l'économie m'a indiqué que la reprise aux Etats-Unis et dans le Sud-est asiatique allait tirer la croissance française et européenne, en citant une étude de la Banque de France réévaluant à 0,5 % la croissance au troisième trimestre. Mais tombait à la même heure une dépêche selon laquelle le président du Medef, M. Seillière, considérait qu'il ne fallait « rien escompter avant la fin de l'année en termes de reprise »... Le Crédit commercial de France a observé pour sa part que, la demande intérieure étant mal orientée, il faudrait une vraie relance budgétaire en 2004. Il faudrait aussi une détente monétaire, mais la violation du pacte de stabilité s'accompagne d'un taux d'intérêt supérieur de 1 % à celui des Etats-Unis. Enfin, la chute du dollar nous pénalise sur les marchés extérieurs.

Résultat : le chômage s'accélère, les créations d'emploi s'effondrent, nous supprimons 20 000 à 25 000 emplois industriels chaque trimestre.

Le Gouvernement prétend mener une politique budgétaire de relance, mais en réalité son unique préoccupation est de baisser les impôts payés par les plus riches. C'est une politique qui ne doit rien à Keynes mais tout à Friedman ! Elle est injuste et inefficace, et elle sacrifie les dépenses d'avenir - éducation nationale, recherche - au bénéfice des dépenses militaires et de la plus passive des dépenses, la charge de la dette, qui constitue désormais le deuxième poste budgétaire.

M. Bernard Carayon - Cela fait quinze ans !

M. Gérard Bapt - Le fonctionnement des ministères est aussi gravement affecté par les annulations budgétaires, au point que MM. Mattei et Fillon vous ont écrit le 13 mai pour pousser un cri d'alarme. Il a d'ailleurs fallu le Canard Enchaîné pour que les rapporteurs spéciaux de la commission des finances soient informés des dettes qui s'accumulaient. Ainsi les factures d'affranchissement de La Poste du premier semestre 2003 ne sont pas réglées... non plus que la facture des cartes de v_ux ! Le ministère a même récemment reçu une menace de fermeture de l'eau ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Cela vous fait rire, mais c'est la paralysie du service public !

En ma qualité de rapporteur spécial du budget de la santé, je viens d'écrire au Premier ministre au sujet du budget de la MILDT, qui diminue de 30 % au moment où le Gouvernement affiche de grands objectifs de santé publique. Je vais d'ailleurs vous transmettre, Monsieur le ministre du budget, ainsi qu'au rapporteur général, le double de ce courrier.

La politique économique et budgétaire de cette majorité, nous le répétons sans relâche depuis juillet 2002, nous conduit dans le mur et menace, sur le plan politique, d'entraîner de nouvelles poussées extrémistes. Il serait encore temps d'en changer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Philippe Auberger - Ce projet de budget répond aux deux exigences que nous avions formulées lors du débat d'orientation budgétaire : avoir une prévision de croissance réaliste et assurer une véritable maîtrise des dépenses publiques.

La prévision de croissance de 1,7 % n'est ni exagérément optimiste, ni particulièrement volontariste, mais représente la moyenne des prévisions des conjoncturistes ; elle est très en dessous de la croissance potentielle, estimée à 2,25 %, les deux principales incertitudes pour 2004 concernant un réveil de l'Europe, plus particulièrement des pays vers lesquels nous exportons, et surtout l'évolution du dollar.

Quant aux dépenses publiques, le Gouvernement en propose une stabilisation en volume, associée au maintien des priorités - sécurité, justice, armées, éducation. Cependant le respect de cette norme au cours de l'année exigera un effort de maîtrise sans précédent.

Le nombre d'emplois publics diminue : 4 650 postes sont supprimés.

M. Bernard Carayon - C'est peu...

M. Philippe Auberger - C'est un progrès par rapport aux années socialistes... Il traduit l'idée que l'amélioration de la situation de l'emploi passe par la création d'emplois nouveaux dans le secteur privé plutôt que dans le secteur public.

Les critiques dont ce projet de budget a fait l'objet ne sont pas justifiées.

En ce qui concerne le non-respect du critère de Maastricht sur le déficit public, la Commission européenne a elle-même reconnu qu'il était impossible de revenir à 3 % dès 2004, et le déficit de l'Etat est stabilisé dans un contexte particulièrement difficile. Les allégements d'impôts sont très modérés puisque leur montant net est de 3,3 milliards ; ils ne sauraient expliquer un déficit de 55 milliards ; la dégradation des comptes publics tient beaucoup plus à celle des comptes sociaux, en particulier de l'assurance maladie, sur lesquels le Gouvernement veut donc faire porter l'effort. Celui-ci doit également concerner les collectivités locales, pour lesquelles on observe une augmentation continue de la pression fiscale et des dépenses du fait des 35 heures, du financement de l'APA, des SDIS... Il faudra, Monsieur le ministre, réfléchir avec le comité des finances locales à des mécanismes permettant non seulement d'assurer une péréquation au profit des collectivités qui ont un potentiel fiscal inférieur à la moyenne, mais aussi de récompenser celles qui savent, quelles que soient les pressions extérieures, modérer la dépense (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Quant aux allégements fiscaux proposés, ils sont justifiés. On ne peut pas contester le fait de diminuer les charges patronales pour permettre l'alignement des SMIC ; et la baisse de 3 % de l'impôt sur le revenu, qui répond à un engagement de campagne, tient au fait que notre taux d'imposition est parmi les plus élevés d'Europe : en tenant compte de la CSG, on arrive à un taux maximum de 58 %, alors qu'en Allemagne, la Cour constitutionnelle a reconnu qu'au-delà de 50 %, l'impôt était spoliateur.

Parlons maintenant de la fiscalité sur le carburant diesel. Personnellement, je ne suis pas contre cette mesure, au contraire, mais les explications qui ont été données ne sont pas satisfaisantes. Il n'y a pas d'argument écologique puisque les constructeurs ont reconnu que le diesel n'était pas plus polluant que l'essence. L'argument du financement de RFF n'est pas très approprié non plus dans la mesure où il n'est plus possible d'affecter des recettes à des dépenses.

C'est l'argument économique qui doit être retenu : la différence de taxation au profit du diesel n'est pas justifiée puisque le passage au diesel de notre parc automobile est excessif et que nous sommes obligés d'importer du gazole raffiné pour satisfaire la consommation, ce qui est une hérésie économique ! Il faut donc rapprocher les deux fiscalités ; je ne comprends pas pourquoi l'opposition le conteste.

M. Gérard Bapt - Il n'y a pas que sur nos bancs qu'on conteste !

M. Philippe Auberger - Le Gouvernement a eu raison, également, d'augmenter de 500 millions la prime pour l'emploi car il faut favoriser la reprise du travail. Néanmoins, Monsieur le ministre, vous m'aviez promis l'année dernière une réforme de la PPE. Certes, vous avez institué un acompte, mais la liquidation provisoire passe par les URSSAF ; à l'ère de l'informatique, il faut arriver une fois pour toutes à réconcilier les fichiers des URSSAF et ceux des services fiscaux.

A défaut de l'avoir fait dès 2004, ne pourrait-on y arriver en 2005 ?

M. Jean-Pierre Brard - Qu'en pense la CNIL ?

M. Philippe Auberger - Il faut mettre en parallèle la diminution significative de l'IR telle qu'elle a été engagée et la réduction du nombre des exemptions fiscales. A cet égard, je déplore que le dernier rapport du Conseil des impôts ne fasse pas l'objet d'un débat dans notre assemblée. A quoi bon conserver cet organisme si on ne donne jamais suite à ses rapports ?

M. Bernard Carayon - Tout à fait !

M. Philippe Auberger - Soyons clair, je ne propose pas de supprimer le Conseil des impôts. Je déplore simplement que l'on ait supprimé le plafonnement de la réduction d'impôt liée aux investissements outremer.

M. Jean-Pierre Brard - Vous n'en avez jamais assez !

M. Philippe Auberger - Il faut progressivement arriver à remettre sous plafond les exemptions.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Très bien !

M. Philippe Auberger - Chacun sait que l'on n'arrivera pas à les supprimer mais, en les plafonnant, leur portée sera limitée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Un dernier mot sur les problèmes de l'épargne, que nous traiterons plus en détail en examinant la deuxième partie. Il n'y a aucune raison de jeter, comme certains le font, l'opprobre sur l'épargne et, en particulier, sur l'épargne financière placée en actions.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Tout à fait !

M. Philippe Auberger - Les entreprises ont besoin de procéder à des augmentations de capital pour alléger leur endettement et rétablir leur bilan. Il faut donc conserver un certain avantage à l'épargne sous forme d'actions. Or, telle qu'elle est prévue, la réforme de l'avoir fiscal n'est pas tout à fait équilibrée.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Philippe Auberger - La voie que suit le Gouvernement est particulièrement difficile puisqu'il faut éviter la récession tout en empêchant l'aggravation des déficits. J'observe d'ailleurs que l'opposition ne présente aucune proposition alternative sérieuse (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Louis Dumont - C'est un procès d'intention !

M. Philippe Auberger - Le Gouvernement suit la seule voie possible ; c'est pourquoi le groupe UMP approuve sans réserve ce projet de budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Louis Dumont - Cette nuit, un groupe politique de notre assemblée a demandé l'application de l'article 61 de notre Règlement sur le vote d'une motion de procédure présentée par l'opposition. Alors que les groupes de l'opposition demandaient à juste raison de pouvoir exercer leur droit à s'exprimer et à proposer, certains, dans la majorité, se sont cru autorisés à protester, arguant que de telles man_uvres allaient retarder la discussion. Notre Règlement a même été mis en cause, certains députés de la majorité demandant la réforme de l'article relatif à la vérification du quorum. A nos yeux, une telle démarche n'a pas lieu d'être. Il est légitime que l'opposition puisse exprimer des propositions alternatives et contester les choix de la majorité. En son temps, l'opposition d'hier s'en serait-elle privée ? Et au risque de choquer certains de nos collègues qui se plaisent à mettre en cause cette institution, je considère que nous gagnerions à nous inspirer du modèle du Conseil économique et social , où la position de chacun des groupes politiques constitués est annexée au rapport officiel. Pourquoi ne pas se référer aux modes d'action de la troisième assemblée constitutionnelle de la République pour moderniser notre Règlement ?

M. Bernard Carayon - Soyons sérieux ! Ce n'est pas une Assemblée !

M. Jean-Louis Dumont - Je ne suis pas de ceux qui se plaisent à contester la légitimité de ses membres...

M. Bernard Carayon - Ils n'en ont aucune puisqu'ils sont cooptés !

M. Jean-Louis Dumont - Je regrette que certains parlementaires n'hésitent pas à mettre en cause le CES. Quelqu'un avait bien proposé qu'il n'y ait plus qu'une seule assemblée...

M. Bernard Carayon - Mais cela lui a coûté cher !

M. Jean-Louis Dumont - En effet. Quoi qu'il en soit, il faut mener la concertation à son terme et, en particulier, éviter toute mise en cause de la représentation syndicale.

La discussion budgétaire gagnerait beaucoup en dynamisme si une place plus importante y était laissée à la confrontation des points de vue et au dialogue. Il convient aussi de respecter toutes les prérogatives du Parlement, telles que la LOLF, promulguée en 2001, les a décrites. Avec Didier Migaud, il me souvient de ce qu'un sénateur a été l'un des principaux architectes de la réforme, en proposant d'instituer l'article 57 visant à renforcer le contrôle du Parlement.

Faut-il croire qu'en devenant ministre certains parlementaires s'écartent de leurs anciennes prises de position ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - Expliquez-vous !

M. Jean-Louis Dumont - La LOLF a constitué une étape importante dans la modernisation du débat budgétaire. Soyons très vigilants à sa bonne application. Aux termes des analyses de plusieurs experts extérieurs, la réforme pourrait échouer si une réflexion globale sur le fonctionnement de l'administration ne s'engage pas dès à présent. On assiste au détournement progressif de la LOLF par Bercy.

M. le Ministre délégué - C'est absolument faux !

M. Jean-Louis Dumont - En tout état de cause, les prochaines étapes dans la mise en _uvre de la LOLF devront être pilotées plus étroitement par le Parlement. Chacun sait que les rapporteurs spéciaux de notre commission des finances sont souvent en butte aux oukases des administrations centrales...

M. le Ministre délégué - Vous avez tous les pouvoirs !

M. Jean-Louis Dumont - Encore faut-il pouvoir les exercer ! Il a fallu l'intervention du président Méhaignerie pour que M. Bapt puisse obtenir les informations qu'il était fondé à demander à l'administration de M. Mattei ! Est-ce parce qu'il était député, ou bien parce qu'il était un député de l'opposition ? Plusieurs ministères ne répondent aux élus qu'avec réticence...

M. Bernard Carayon - C'est le poids de la culture administrative !

M. Jean-Louis Dumont - Si nous relâchons notre vigilance, la culture de l'opacité persistera. La LOLF est un excellent texte et vous en avez été l'un des artisans. Encore faut-il veiller à ce que son application ne soit pas entravée...

M. le Ministre délégué - Parlez-vous au nom de votre groupe ?

M. Jean-Louis Dumont - Je m'exprime à titre personnel...

M. le Ministre délégué - Je suis rassuré !

M. Jean-Louis Dumont - Mais j'assume tous mes propos.

M. le Ministre délégué - Je n'en doute pas mais je n'ai rien entendu de tel dans la bouche de Didier Migaud !

M. Jean-Louis Dumont - Le Parlement peut désormais légitimement demander des comptes sur chaque euro dépensé.

Le Premier ministre s'est rendu à Moscou. Même si la majorité a adopté une loi constitutionnelle qui oblige le Gouvernement à présenter des propositions préalables au Parlement sur les transferts de compétences et de ressources aux collectivités, il ne faudrait pas que l'on assiste à une forme de « poutinisation » de la décentralisation...

M. Michel Bouvard - Heureusement qu'il n'est pas au Quai d'Orsay ! (Sourires)

M. Jean-Louis Dumont - Le Gouvernement prétend vouloir achever la décentralisation de notre pays. Soit, mais il ne suffit pas de transférer des compétences aux collectivités. Encore faut-il leur donner les moyens de les exercer...

M. le Président - Il faut conclure.

M. Jean-Louis Dumont - S'agissant par exemple du logement, d'accord pour mobiliser les acteurs locaux mais soyons attentifs à ne pas créer une situation intenable où l'on demande toujours plus aux collectivités cependant que les crédits d'intervention de l'Etat baissent continûment. Actuellement, pour toute mise en chantier d'un logement locatif de qualité, les collectivités locales doivent participer à hauteur de 15 000 euros. Dans ce domaine comme dans d'autres, il faut donner aux élus les moyens d'assumer les compétences transférées, sans se cacher derrière la loi SRU (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre délégué - Il n'est pas d'usage d'interrompre ainsi la discussion générale, mais je le fais, sans acrimonie, car M. Dumont a mis en cause le Gouvernement à propos de la mise en _uvre de la loi organique relative aux lois de finances. Sous la précédente législature, l'opposition a eu le courage de dépasser tout esprit partisan pour faire adopter cette constitution financière de la France, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur au Sénat. L'opposition actuelle est-elle prête à dépasser à son tour tout esprit partisan dans l'intérêt de la France. ? Le procès fait au Gouvernement en la matière n'est pas approprié - c'est un euphémisme. Laurent Fabius a instauré un conseil pour la nouvelle constitution financière. Didier Migaud y siège et ne m'a jamais exposé aucun grief de ce type (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement. Il est bien vrai qu'il y a eu consensus des formations politiques et des assemblées pour élaborer ce texte très important. Mais, Monsieur le ministre, vous êtes d'une parfaite placidité, et d'une urbanité non moindre...

M. le Ministre délégué - J'attends la suite !

M. Jean-Pierre Brard - Elle ne sera pas désagréable. Simplement, l'esprit de cette constitution financière n'est pas véritablement respecté, même si ses règles ne s'imposaient pas encore en 2003. Que vous ayez annoncé hier dans Le Parisien que vous avez réussi à faire 5,7 milliards d'économies prouve qu'en 2003 nous avons voté une loi de finances virtuelle. Nous sommes dans le monde de Platon.

M. Michel Piron - Ce n'était pas vraiment un spécialiste de l'économie.

M. Jean-Pierre Brard - Mais il n'est pas d'économie sans philosophie, cher collègue. En l'occurrence, nous sommes dans la caverne, et nous ne voyons que des ombres projetées sur le mur.

M. le Président - Pouvez-vous faire votre rappel au Règlement ?

M. Jean-Pierre Brard - C'était une digression pédagogique (Sourires). Cet écart entre le réel et le virtuel pèse sur le débat de la loi de finances pour 2004. C'est en cela que l'esprit de notre constitution financière n'a pas été respecté. Mais votre réaction un peu vive aux propos de M. Dumont dépassait certainement votre pensée.

M. Alain Bocquet - Très bon rappel au Règlement !

M. Jean-Louis Dumont - Rappel au Règlement fondé sur l'article 55. Monsieur le ministre, je vous ai rendu hommage comme aux assemblées. Néanmoins, j'ai appelé votre attention sur quelques dérives du fait d'habitudes, disons ancestrales, de l'administration. La mise en _uvre de cette nouvelle architecture financière mérite une attention particulière car nous avons l'obligation, tous ensemble, de la réussir.

M. Bernard Carayon - C'est ultra-libéral.

M. le Président - Pour la prochaine fois, Monsieur Dumont, les rappels au Règlement se fondent sur l'article 58.

M. Yves Deniaud - La France doit retrouver une croissance soutenue. Malheureusement elle doit le faire dans un contexte mondial déprimé, même s'il s'améliore, et surtout, à la différence de ses partenaires, après des années pendant lesquelles on y a gaspillé la croissance. Ce budget ne mérite certes pas les invectives dont le couvrent ceux qui ont mis à mal notre capacité créatrice. Il traduit un effort patient, en profondeur, pour faire disparaître les freins à l'initiative et à l'effort.

Les créations d'entreprises se multiplient. C'est une très bonne nouvelle, car c'est la seule voie vers une économie solide. Ce n'est pas un hasard si la Grande-Bretagne, qui compte un million d'entreprises de plus que nous, a aussi un million de chômeurs en moins.

M. Jean-Pierre Brard - La perfide Albion ne les compte pas tous !

M. Yves Deniaud - Assez de mensonge. C'est une comparaison au sens du BIT.

Mais la création d'entreprise a deux ennemis, les charges et la paperasse.

M. Bernard Carayon - Et le socialisme.

M. Yves Deniaud - Cela revient au même.

Votre budget traduit un effort dans ces deux domaines qui mérite d'être salué. 1,2 milliard de baisses de charges, c'est considérable, et il est capital de faire savoir à ceux qui hésitent à créer ou à embaucher que cet effort, entrepris dès l'année dernière, sera poursuivi avec constance.

Plus largement, votre politique budgétaire vise à alléger les charges sur le travail et sur ses fruits. Notre fiscalité est très décourageante. Combien de travailleurs indépendants, ou même salariés, limitent leur activité car, à partir d'un certain seuil, « cela ne vaut plus le coup » ? Et que dire du couple au SMIC qui va travailler pour gagner à peine plus que ses voisins au RMI ? Selon une caricature navrante, nous n'agissons que pour les riches. Mais 17 millions de foyers payent l'impôt sur le revenu et il y a 8,5 millions de bénéficiaires de la prime pour l'emploi. Bien entendu, les riches paieront toujours plus : 20 % des contribuables les plus aisés payent 80 % de l'impôt sur le revenu. Avec l'ISF, la taxation des plus-values, l'impôt sur les sociétés, il leur sera toujours demandé un effort plus important qu'aux autres et personne ne le remet en cause.

M. Jean-Pierre Brard - Reste que quand on partage la motte de beurre,...

M. Yves Deniaud - Mais les Français comprennent bien que si, par solidarité, les riches doivent payer plus, il faut aussi garder le sens de la mesure, que l'impôt n'est plus efficace quand il devient dissuasif et qu'à trop vouloir prendre, on tue la poule aux _ufs d'or.

Sur deux exercices, vous avez réussi à faire redescendre le taux de prélèvements obligatoires à 43,6 % du PIB. C'était indispensable dans une période difficile pour ne pas aller vers la récession, ce l'est tout autant pour que la reprise ne reste pas médiocre.

Certes, cela rend très difficile de réduire le déficit abyssal dont nous avons hérité. La seule voie possible est de maîtriser fermement les dépenses publiques. Vous vous y engagez. Nous mesurons les obstacles et nous vous aiderons. Il n'y aura pas de maîtrise des dépenses sans une réforme de l'État qui se heurte aux corporatismes, à la résistance au changement. Chaque ministre est face à une administration et à des usagers qui ressassent quotidiennement qu'il faut plus de moyens pour satisfaire des besoins légitimes. S'il veut procéder à une réorganisation, il s'adresse à ses propres services. Mais il n'y a pas de pire réforme que celle d'un corps par lui-même. Le Parlement peut donc vous aider et doit améliorer ses capacités à évaluer, contrôler, proposer. C'est l'intérêt même du Gouvernement d'être réceptif à ces suggestions.

Dans la discussion budgétaire, nous nous efforcerons d'amorcer ce dialogue propre à mieux maîtriser la dépense. En signe d'une vertu retrouvée, nous devons pouvoir annoncer à nos concitoyens et à l'Europe qu'au terme de l'exercice, les dépenses sont conformes aux prévisions. Le Gouvernement s'y est engagé. Pour y parvenir, il nous faut calibrer au mieux les dépenses dès le départ, car il n'est rien de pire que les gels et annulations. L'Etat doit aussi se défaire de la triste réputation de manquer systématiquement à sa parole, notamment pour l'investissement.

Les derniers contrats de plan routier n'ont par exemple été exécutés qu'à 80 %. Nous devons nous fixer un objectif d'exactitude des prévisions pour enfin mettre les investissements « hors gel » !

Nous abordons donc cette discussion en confiance, Monsieur le ministre, pour réhabiliter avec vous le travail et l'effort et nous mettre en mesure de profiter au mieux d'une croissance revenue grâce à l'allégement de la fiscalité. J'espère d'ailleurs que cet allégement comprendra, lorsque nous serons revenus à une meilleure fortune, la suppression de la redevance !

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. Yves Deniaud - La politique budgétaire doit sortir la France du marasme financier qu'elle connaît depuis trop longtemps : le dernier budget exécuté en équilibre fête ses trente ans. Si les recettes devaient être meilleures que les prévisions, il serait impératif que le déficit en soit réduit d'autant, sans céder à aucune tentation d'augmenter les dépenses. La réduction du déficit est ce qu'on peut souhaiter de mieux à la France ; votre action, Monsieur le ministre, mérite notre soutien sans réserve (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - La parole est à M. Xavier Bertrand.

M. Jean-Pierre Brard - Un jeune homme qui a de l'avenir !

M. Xavier Bertrand - Dans l'action politique, il est important de dire ce que l'on va faire, de faire ce que l'on dit et d'assumer ses choix. C'est ce que nous faisons. Conformément aux engagements pris devant les Français, le Gouvernement a diminué les prélèvements obligatoires, dont chacun reconnaît que le poids est trop important. Cependant, lorsqu'il s'agit de les baisser, l'hypocrisie règne. Même si je suis élu d'une circonscription où 57 % des ménages ne payent pas l'impôt sur le revenu, je sais leur expliquer mes choix dans cette assemblée. Le clivage ne se situe pas entre démagogie et détermination, mais entre le travail et l'impôt. Nous avons appris, dernièrement, que le parti socialiste voulait réhabiliter l'impôt. Quel scoop, sachant que 32 milliards ont été consacrés à leur baisse entre 1997 et 2001 ! Mais aujourd'hui, les socialistes brûlent une fois encore ce qu'ils ont adoré. Ils refusent les baisses d'impôt qui profitent à 17 millions de ménages, tiraillés entre leurs différents courants, entre démagogie et gauchisme. Le parti socialiste est un parti d'opposition ni audible, ni crédible. C'est navrant pour un parti qui se veut de gouvernement, même si les Français ne veulent plus de lui au Gouvernement.

Libre au PS de vouloir réhabiliter l'impôt. Pour ma part, je crois au travail comme valeur, comme pilier social et comme garantie du niveau de vie des Français. Travailler plus pour gagner plus, noble aspiration ! Les 35 heures, elles, avaient donné du temps à des Français qui voulaient plus d'argent...

M. Jean-Pierre Brard - Regardez les sondages !

M. Xavier Bertrand - Croire en la valeur du travail, c'est baisser les impôts de 10 % en deux ans, c'est augmenter de 500 millions la prime pour l'emploi, c'est augmenter le SMIC en donnant un treizième mois à un million de nos compatriotes d'ici 2005. Rien ne peut occulter ces faits, vécus par des millions de Français. La valeur du travail, c'est aussi la signature de 100 000 contrats jeunes en entreprise, les zones franches urbaines, créatrices d'emplois dans les quartiers, et l'incitation au retour à l'emploi grâce au RMA. Pour poursuivre dans cette voie, il faut encore accentuer nos efforts de réforme.

La réforme n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour l'Etat d'assurer ses fonctions essentielles - sécurité, justice, défense, toutes priorités du Gouvernement. A cet égard, nos concitoyens voient très bien la différence entre hier et aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Brard - Attention, les électeurs risquent de vous réformer !

M. Xavier Bertrand - La réforme permet également d'améliorer le service au public, au meilleur coût, et de diminuer le poids de la dette : quelle entreprise pourrait supporter un endettement de 62 % ? Ainsi, l'avenir des retraites est assuré par la réforme de juillet.

M. Jean-Pierre Brard - Tu parles !

M. Xavier Bertrand - Ce projet de loi de finances place enfin les Français sur un pied d'égalité en créant le plan d'épargne retraite populaire. L'épargne-retraite existait déjà, mais elle jouit désormais d'un cadre spécifique plus performant et sécurisant. Cette réforme des retraites était impérative, mais nos prédécesseurs avaient manqué de courage politique. Dans leur for intérieur, les socialistes savent combien ils ont eu tort. Désormais, il nous faut garantir l'avenir de l'assurance maladie, pour éviter qu'un système à deux vitesses ne se mette en place insidieusement. Deux solutions se présentent. Les socialistes prônent l'augmentation de la CSG : ce prélèvement qui touche tous les Français, imposables ou non, actifs ou retraités... C'est la solution de facilité. Le courage sera plutôt de dresser un diagnostic objectif du système, de chasser les abus, modifier les comportements et trouver un consensus sur un moyen de financement durable.

Pour favoriser encore davantage le travail, pour répondre aux attentes des catégories modestes et moyennes, qui veulent accroître leur pouvoir d'achat, il faut continuer à réformer. Ainsi, la volonté de réduction des dépenses publiques et la norme « zéro volume » marquent une vraie rupture avec les pratiques précédentes.

M. Jean-Pierre Brard - Parlez donc français !

M. Xavier Bertrand - Monsieur le ministre, vous pouvez vous appuyer davantage encore sur les parlementaires de la majorité pour faire entendre aux chantres de l'immobilisme la voix du bon sens et de l'exigence. Certes, la croissance n'a pas été avec nous cette année. En revanche, elle a été là pendant quatre ans ! Et 28 milliards ont été gaspillés en nouvelles dépenses publiques, sans comptabiliser bien sûr le coût des 35 heures... Cette croissance, nous ne nous contentons pas de l'espérer. Nous voulons la stimuler et la mettre au service de l'emploi. Laissons les démagogues et les tenants du déclinisme commenter avec délectation les difficultés actuelles...

M. Jean-Pierre Brard - L'Académie française n'est pas pour demain !

M. Xavier Bertrand - Les Français les ont jugés sévèrement car ils savent que les difficultés ne sont pas dues seulement à la conjoncture internationale ; mais aussi à des décisions qui n'ont pas été prises en temps et en heure. Pendant cinq ans, le gouvernement de M. Jospin nous a trompés. Il a choisi en permanence la voie de la facilité, repoussant après les élections les réformes dont la France avait tant besoin. Nous préférons mener un vrai travail de fond pour que notre pays retrouve tout son dynamisme et que ses habitants en retirent les fruits. Comme tout à l'heure M. Brard nous a autorisés à faire entrer la philosophie dans cet hémicycle, et pour rassurer ceux qui douteraient de notre détermination, je fais mienne cette pensée : « ce n'est pas le chemin qui est difficile, c'est le difficile qui est le chemin. » Même si c'est difficile, Monsieur le ministre, nous vous soutenons dans vos efforts (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Voilà un vrai disciple de Raffarin !

M. Alain Rodet - Ce projet de budget est lourdement hypothéqué par son irréalisme et son dogmatisme. Le Gouvernement persiste dans l'erreur. Il disposait pourtant de nombreux indices : depuis des mois, les impôts rentrent mal et la récession fait son nid, mais vos décisions fiscales restent à contre-emploi ; les réductions d'impôts pour les plus aisés n'ont pas stimulé la croissance, et le budget pour l'année dernière n'a même pas pu être exécuté. Vous avez eu le temps de faire vos preuves : en 18 mois, on peut juger une politique. L'incrédulité cède donc la place à la méfiance et à l'angoisse. Vous avez perdu du temps, et vous continuez à en faire perdre au pays.

Depuis l'an dernier, le président de la commission des finances vous alerte sur l'irréalisme de vos prévisions de croissance et les dangers qu'elles nous font courir. Cela ne lui a valu que des volées de bois vert de la part de sa majorité. Mais aujourd'hui votre projet de budget est qualifié d'injuste et d'inefficace bien au delà des bancs de l'opposition. Dans un jeu de mistigri, vous vous défaussez des hausses d'impôt inéluctables sur d'autres. Ainsi, vous réduisez de façon drastique les crédits des transports en commun urbains, mais vous autorisez l'augmentation du plafond du versement transport. Les autorités organisatrices, à l'échelon local, prendront donc des décisions de financement et les feront payer par la fiscalité locale. Dans le même temps, vous augmentez les taxes sur le gazole...

Votre projet de loi de décentralisation n'a aussi pour objet que de transférer des responsabilités aux collectivités locales et donc des charges aux contribuables. Vous diminuez brutalement la rémunération du Livret A en laissant entendre que cela sera bon pour le logement social, mais aucun effort n'est constaté dans le budget du logement... La mensualisation des retraites agricoles est financée par un emprunt... La continuité territoriale pour l'outre-mer est financée par une taxe supplémentaire sur le transport aérien...

Surtout, vous sacrifiez les dépenses d'équipement et de recherche. Au printemps, un audit sur les infrastructures de transport a été le prétexte pour couper dans ces dépenses d'avenir. Les crédits de la recherche ont fortement diminué, ce qui hypothèque l'innovation et les créations d'entreprises de haute technologie. Les contrats de plan sont en souffrance et au moment où vous prônez les dépenses militaires, le chef d'état-major de la marine explique qu'on ne connaît pas encore le mode de propulsion du second porte-avions prévu !

Ce budget, comme celui de l'an dernier, est donc un budget de « rupture », une rupture qui va être meurtrière pour notre pays. On a beaucoup parlé récemment d'un Autrichien devenu citoyen américain, qui a été élu gouverneur en Californie. Mais chez vous, l'Autrichien américain qui fait référence, c'est l'économiste Hayek. Pour lui, les inégalités ne créent pas l'injustice. « Ne cherchez pas à faire le bien, écrit-il, laissez le naître de l'égoïsme ». Mais je ne suis pas sûr que cette formule soit appropriée pour un pays de vieille culture comme la France.

M. Jean-Jacques Descamps - J'admire, Monsieur le ministre, votre sérénité pour affronter pendant deux mois, avec les difficultés procédurières dont nous avons eu un exemple encore hier soir, le jugement de notre Assemblée. Vous avez beaucoup travaillé pour élaborer ce budget, difficile à rendre cohérent, compte tenu des engagements pris, de la réforme nécessaire de l'Etat, des perspectives de croissance et des contraintes européennes.

C'est pourtant un grand moment pour les parlementaires que le débat budgétaire, puisqu'il leur permet d'exprimer leurs choix idéologiques, mais aussi de les confronter à la réalité.

Pour ma part je resterai prudent en matière idéologique et voudrais exprimer surtout ce que je ressens à l'écoute de tous ceux qui travaillent dans ma circonscription.

Notre pays est en crise. Nous sommes encore un grand pays, mais nous apparaissons comme des adeptes de la méthode Coué, affirmant haut et fort que nous sommes les meilleurs, que nous avons les meilleures écoles, alors que tout le monde demande la réforme de notre système scolaire ; le meilleur système de santé - que nous nous préparons aussi à réformer - ; le meilleur système de retraites - que nous avons modifié. Notre politique étrangère est certes brillante. Mais les chiffres et les comparaisons sont éloquents, et il suffit de voyager en Espagne, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis pour constater nos lourdeurs administratives. Quant à l'Allemagne, elle serait en meilleure santé si elle n'avait pas eu à absorber la RDA. En réalité, nous sommes un pays plus conservateur que nos voisins, et nous détenons le record des déficits.

Heureusement que les Français nous ont fait confiance en 2002 et que l'Europe est là. Imaginons ce qu'aurait été la politique de nos prédécesseurs sans les contraintes européennes !

Certes l'équation actuelle est difficile à résoudre, avec beaucoup de variables et d'inconnues. Les déficits dont nous héritons sont lourds et ils sont partout : dans le budget général, dans celui de la sécurité sociale, dans les établissements publics. La croissance ne suffira pas à nous sortir de nos difficultés, surtout si la parité entre l'euro et le dollar reste la même. On ne peut pas tout attendre de la reprise américaine ou asiatique. Nous devons donc surtout compter sur nos propres efforts.

Vos prévisions de croissance et de recettes restent prudentes. Mais j'aurais aimé trouver dans ce deuxième budget de notre majorité une vraie refonte de la fiscalité sur les revenus avec non seulement une baisse uniforme de 3 %, mais aussi une simplification du barème et la suppression de niches surannées.

De même, j'aurais souhaité que l'on évite toute autre hausse d'impôts, que ce soit celle de l'ISF, du fait de la non-réévaluation du barème, ou celle de la TIPP sur le gazole, qui est une erreur psychologique, surtout en zone rurale.

M. Alain Rodet - Tout à fait !

M. Jean-Jacques Descamps - En ce qui concerne les dépenses, je reste aussi sur ma faim. On aurait dû faire beaucoup mieux. Il est vrai que les Français sont les champions des droits acquis. Ils réclament moins d'Etat dans les dîners en ville ou au Café du commerce, mais sont constamment en chasse de subventions et d'aides.

M. Jean-Pierre Brard - Comme M. Seillière, par exemple !

M. Jean-Jacques Descamps - Ils ont le c_ur sur la main, surtout lorsqu'il s'agit de donner l'argent des autres. Les maires que nous sommes savent combien il est difficile de dire non à la dépense publique.

Or, il faut une vraie réduction des dépenses publiques. J'ai fait la difficile expérience de travailler vingt ans dans le secteur qui a été le premier sinistré en France, le textile. J'ai dû redresser des entreprises célèbres, j'ai eu à redresser aussi ma commune, qui était sur le déclin. Je sais les pesanteurs sociologiques qui s'opposent à ces redressements. Il n'y a pourtant pas d'autre solution que de tailler dans les dépenses de structure, tout en investissant dans la fabrication de produits innovants.

Il n'y a pas de résultats sans l'adhésion des hauts responsables, et il ne faut pas hésiter à les changer s'ils ne sont plus adaptés. Je ne suis pas sûr que nos hauts fonctionnaires aient été formés à de telles remises en question.

La France est comme une entreprise en difficulté, et vous avez l'expérience de cette situation, Monsieur le ministre des finances. C'est pourquoi je vous fais confiance. Le changement de culture nécessaire ne peut être impulsé que par le pouvoir politique, sous réserve qu'il dirige son administration, et non l'inverse. Je sais que c'est votre cas, Monsieur le ministre.

Nous devons tous assumer ce changement de culture avec détermination et envoyer des signaux en ce sens. Là aussi, je reste sur ma faim. Je pense, en particulier, à la redevance audiovisuelle, devenue archaïque, compte tenu de l'évolution de la technologie. Or, cette manne évite au service public audiovisuel de se poser la question de sa véritable vocation. Je pense aussi à la suppression nécessaire de tant d'organismes qui ne vivent que pour justifier leurs emplois.

Voilà, Monsieur le ministre, les réflexions d'un réformateur libéral (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Je ne crois pas à un « grand soir » libéral car des années de socialisme ont formé une génération de Français qui attendent trop de l'Etat ou de la solidarité, et pas assez d'eux-mêmes. Mais je souhaite que ce budget courageux puisse être encore enrichi de quelques signes supplémentaires de notre volonté de changement, et qu'en découlent rapidement des résultats concrets, pour convaincre l'opinion publique d'aller plus loin dans la libération de l'esprit de responsabilité.

Alors la France déclinante pourra reprendre confiance, se redresser et assurer le rôle mondial qu'elle ambitionne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - A part ça, on n'est pas dans l'idéologie !

M. Eric Besson - En dépit de l'échec de votre politique, vous proposez de ne pas en changer. Cet échec est pourtant patent, incontestable. Tous les clignotants sont au rouge : la croissance est presque nulle, le chômage augmente fortement, les déficits se creusent, notre industrie est en grande difficulté.

Face à ce constat votre première réponse consiste, grosso modo, à rejeter la responsabilité de la crise sur la conjoncture internationale et à attendre tranquillement que la croissance américaine traverse l'Atlantique.

Votre réponse consiste à dire : « Notre politique est bonne parce que nous avons raison ». Droits dans vos certitudes, appuyées par des parlementaires de votre majorité - M. Bertrand a fait un exposé caricatural - vous refusez d'admettre qu'elles ne résistent pas à l'analyse.

Pourquoi la France connaît-elle aujourd'hui une croissance moindre que ses partenaires européens, alors que de 1997 à 2001, elle était supérieure ?

Pourquoi vous croyez-vous constamment victimes du sort ? A vous entendre, la mer serait toujours lisse lorsque la gauche est au pouvoir et toujours déchaînée lorsque vous l'exercez.

Pourquoi refusez-vous de tirer les leçons de vos erreurs de pronostic ? L'an dernier, nous vous disions que votre prévision de croissance était peu réaliste. Les faits ont tranché. Rarement l'écart entre une prévision et un résultat aura été aussi important. Rarement un ministre de l'économie et des finances se sera satisfait de si peu. Entendre M. Mer se flatter hier d'un éventuel taux de 0,5 % de croissance pour la fin de l'année en disait long sur le niveau d'ambition qui est désormais le sien.

Certes, la prévision de croissance sur laquelle est fondé le budget pour 2004 est plus crédible que celle de l'année en cours. Mais vous récidivez sur le déficit public, dont vous savez pertinemment qu'il sera supérieur à ce que vous nous annoncez, de très nombreux économistes estiment qu'il atteindra 4,5 % du PIB.

Comment dans ces conditions enclencher un cercle vertueux fondé sur la confiance, la consommation et l'investissement ? Tous les Français ont bien compris que les déficits d'aujourd'hui sont les impôts et taxes de demain. Demain, c'est-à-dire après le printemps électoral prochain... A l'automne prochain, les Français se trouveront fort dépourvus quand votre bise - on dira alors « rigueur » - sera venue.

Il est frappant de voir le peu de foi que les ministres paraissent accorder à leur propre action. A les entendre, la croissance est une donnée, et non le résultat d'une action volontariste. Croyez-vous encore, Messieurs les ministres, à votre propre rôle ? Ou considérez-vous qu'en matière économique désormais la messe est dite et qu'il nous faut seulement attendre que la croissance américaine touche un jour nos rivages ?

Votre seconde réponse à nos critiques est péremptoire : nous avons raison parce que nous avons raison ! Si j'osais parodier l'un des nôtres, je dirais : vous avez économiquement raison parce que vous êtes politiquement majoritaires. Mais d'où vous vient cette certitude d'avoir raison ?

Vous disiez que vous alliez libérer le travail ; vous avez malheureusement surtout libéré le chômage et les plans sociaux. Vous nous expliquiez que la loi Dutreil équivalait à un point de croissance : faut-il en conclure que sans elle, nous aurions connu une croissance négative ? Vous nous disiez que la grande réforme Raffarin sur la décentralisation valait un autre point de croissance. Pour l'heure, les élus s'inquiètent surtout des transferts de charges non compensées, par exemple du tour de passe-passe scandaleux qui aboutit à transférer aux départements et au RMI la solidarité due aux chômeurs en fin de droits et à l'ASS.

M. Marc Laffineur - Vous avez du culot de dire cela, vous qui avez transféré l'APA !

M. Alain Rodet - Vous l'avez votée !

M. Eric Besson - Vous nous disiez que votre emblématique baisse de l'impôt allait engendrer un surcroît de croissance. Mais sachant qu'une baisse de 6 % de l'impôt sur le revenu n'a engendré aucune croissance supplémentaire, quel gain de croissance peut-on espérer d'une baisse de 3 % ? En réalité, les prélèvements obligatoires ne baissent pas en France. Mais vous procédez à une forme de redistribution à rebours : les impôts du plus grand nombre augmentent pour financer les baisses de quelques-uns !

Seul M. Mer paraît l'assumer : ce n'est, nous dit-il, que justice, car ceux qui profitent le plus de cette politique sont ceux qui ont les revenus les plus élevés et s'ils ont les revenus les plus élevés, c'est qu'ils sont les plus méritants ! CQFD.

Reste une question : comment de si bons esprits peuvent-ils se fourvoyer autant et avec autant d'allégresse ?

Nous avons un ministre de l'économie et des finances précédé d'une flatteuse réputation d'industriel, un ministre du budget naguère considéré comme l'un des meilleurs spécialistes des finances publiques, un président de la commission des finances et un rapporteur du budget reconnus pour leur honnêteté intellectuelle.

Pourquoi dans ces conditions un tel gâchis et une politique macroéconomique qui sera étudiée plus tard comme l'archétype de ce qu'il ne faut pas faire en « contexte récessif » ?

Serait-ce de l'aveuglement doctrinal ? En réalité, les rôles ont été distribués : l'orthodoxie libérale au fringant M. Novelli ; quant à vous, il vous faut sacrifier vos capacités de jugement et vos compétences économiques pour aider M. Chirac à respecter une fois, une fois seulement, une de ses promesses, envers et contre tout, malgré la conjoncture, malgré le bon sens.

Mais comme le disait un éditorialiste, quand Jacques Chirac se met à respecter l'une de ses promesses, on en viendrait presque à regretter celui qui affirmait qu'elles n'engageaient que ceux qui voulaient bien y croire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hervé de Charette - Vingt-neuf orateurs UMP étant inscrits dans la discussion générale, il n'est pas nécessaire que je répète, après ceux qui m'ont précédé ou, si j'ose dire, avant ceux qui vont me suivre, que bien naturellement nous voterons ce bon budget. Pour ma part, j'ajoute que je soutiens sans hésitation la politique économique qu'il exprime, au service du retour de la croissance.

M. Gilles Carrez, rapporteur général - Très bien.

M. Hervé de Charette - Mais je voudrais consacrer les quelques minutes dont je dispose à un sujet qui est au c_ur de toute politique des finances publiques : la réforme de l'Etat.

On en parle depuis toujours, mais plus on en parle, moins on la fait. Dans tous les gouvernements, un ministre ou un secrétaire d'Etat en est chargé, mais il faut bien reconnaître que les bilans sont minces, voire nuls ou négatifs.

Le gouvernement de M. Jospin s'était illustré par une augmentation continue de la dépense publique et du nombre de fonctionnaires, bien qu'il comptât aussi un ministre chargé de la réforme. Résultat : un déficit abominable.

Désormais, il ne peut plus y avoir de gestion publique sans maîtrise de la dépense publique. S'agissant de l'Etat, maîtrise signifie réduction. La croissance exige en effet une réduction des impôts et des charges, qui exige elle-même une suppression du déficit de l'Etat, objectif qui ne pourra être atteint que par une baisse de la dépense publique. Les choses ne sont pas plus compliquées que cela, mais beaucoup pensent malheureusement qu'une telle démarche est impossible et que l'accroissement de la dépense publique est en quelque sorte un aller sans retour. Une fois instituée, une dépense serait ainsi renouvelée chaque année, le Parlement n'ayant même pas besoin de la réexaminer. D'autres exaltent les vertus de la dépense publique, qui serait bonne par nature. D'autres enfin, transformant leur faiblesse en doctrine, soutiennent que la société française serait incapable d'accepter l'effort que représenterait une remise en cause des dépenses d'Etat.

En réalité, nous n'avons pas le choix. Qu'il le veuille ou non, notre pays doit absolument maîtriser ses dépenses publiques et ses dépenses de santé, faute de quoi il sera confronté à un ralentissement inéluctable de son activité et à une baisse durable du pouvoir d'achat. Au fil des ans, nous allons dans le mur lentement mais sûrement, chacun le sait ou le devine, mais rares sont les dirigeants qui acceptent d'en tirer les conclusions dans leurs décisions politiques. Tout le monde continue à accepter le règne du « toujours plus ».

J'aperçois cependant du côté de l'action gouvernementale quelques signes positifs qu'il convient de saluer comme autant de pierres blanches sur le chemin difficile qui nous attend.

D'abord, ce budget affiche un objectif de stabilité en volume de la dépense publique pour 2004, mais aussi, dans le cadre de la programmation pluriannuelle, pour les années 2005 à 2007. Compte tenu de la hausse inévitable de la charge de la dette, des dépenses de pension et du financement des priorités gouvernementales, cette stabilisation supposera forcément de dégager ailleurs des économies significatives. Je m'en félicite tout en soulignant qu'à terme - et un terme aussi rapproché que possible -, l'objectif ne doit pas être une stabilisation en volume mais bien une réduction des dépenses.

Deuxième signe positif : la politique de décentralisation, dont le Premier ministre a raison de dire qu'elle constitue le premier acte de la réforme de l'Etat. Raison de plus de s'impatienter de la lenteur du processus, puisqu'il faudra attendre le 31 décembre 2004 pour entrer dans la phase opérationnelle.

Je me réjouis aussi de constater, Monsieur le ministre, que votre administration est fortement mobilisée pour la mise en _uvre de la loi organique portant réforme budgétaire.

Immense chantier assurément et véritable révolution dans la pratique budgétaire et la comptabilité publique, à condition que cette réforme soit menée à son terme, appliquée dans son intégralité et pas détournée de son objet par les services. Je vous sais pleinement engagé dans ce projet, Monsieur le ministre délégué.

Permettez-moi d'ajouter à ce constat encourageant quelques réflexions personnelles et quelques suggestions. Tout d'abord, l'expression « réforme de l'Etat » me semble un peu maladroite, d'abord parce que les Français se méfient des réformes, mais aussi et surtout parce qu'il ne s'agit pas d'une opération que l'on réaliserait une fois pour toutes mais d'un processus continu et si possible permanent, l'objectif étant que l'administration cesse de se croire immuable et immortelle, et accepte de se mettre en question pour atteindre des objectifs quantifiables. L'Etat doit se soumettre aux mêmes exigences de performance que le monde de l'entreprise.

Cette mise en mouvement de nos administrations n'est possible qu'avec le concours des fonctionnaires. C'est pourquoi je trouve toujours un peu maladroit de les alarmer par des chiffres de réduction globale des effectifs. Cela suscite des réactions négatives qui obligent d'ailleurs le plus souvent à faire marche arrière. Nos fonctionnaires méritent mieux. Je ne connais pas d'entreprise que l'on puisse réformer en disant du mal de ceux qui y travaillent. Nous devons au contraire montrer notre respect envers ces hommes et ces femmes qui consacrent leur vie professionnelle au service public. Notre projet n'est pas dirigé contre eux, il sera conduit en partenariat avec eux.

Moderniser l'Etat ne se résume pas à réduire le nombre des fonctionnaires. Si on ne touche ni aux missions ni à l'organisation de l'administration, on finit par avoir des bureaux vides et des guichets désertés. Cette forme de paupérisation de l'Etat serait évidemment l'inverse du résultat que nous souhaitons, faire mieux avec moins d'argent. C'est un projet d'ensemble qui prend du temps.

Je pense qu'il faut intéresser les fonctionnaires aux résultats de leurs efforts et pour cela, faire preuve d'imagination. La prime au mérite est en cours d'expérimentation dans certains services, très bien, mais il y a d'autres solutions ; parmi lesquelles la globalisation des crédits qui permet d'affecter à un service une partie des économies dont il a la paternité. Pierre Bérégovoy avait donné du lustre à un slogan que j'avais inventé : « moins de fonctionnaires mieux payés ». L'intéressement, c'est aussi cela : le fruit des efforts accomplis doit être partagé entre les contribuables - sous forme de baisse d'impôts -, les usagers - à travers les moyens des services - et les personnels.

Enfin, Monsieur le ministre, au risque de vous choquer, je voudrais ajouter que les ministres ne sont pas les mieux placés pour réformer leurs administrations. En effet, la plupart d'entre eux découvrent pour la première fois celle qui leur est confiée - j'en sais quelque chose. Souvent même, ils n'ont pas d'expérience administrative - ce qui semble désormais considéré comme une vertu. De plus, ils n'ont guère de temps à consacrer à l'organisation de leurs services et à la conduite de leurs personnels, leurs fonctions étant, par nature, plus politique que gestionnaire. Or, compte tenu des pesanteurs et des résistances de tous ordres, moderniser l'administration française exigera une énergie puissante, appuyée sur une volonté politique sans faille et sur une expertise de très haut niveau.

La volonté politique ne peut venir que de l'engagement personnel du Premier ministre. C'est pourquoi je suggère que celui-ci confie la modernisation de l'Etat à une agence constituée auprès de lui, qui procéderait ministère par ministère à l'inventaire des mesures et à la mise en cause des moyens, des méthodes et de l'organisation. Lui-même rendrait les arbitrages.

Sur un sujet aussi difficile, je n'ai pas la prétention d'avoir le remède infaillible mais je souhaite vous aider, Monsieur le ministre. Je sais que la commission des finances va s'engager dans cette voie et je m'en réjouis.

La réforme de l'Etat est le c_ur même de la politique de redressement économique du pays. C'est aussi un défi presque impossible. Il va vous falloir, Monsieur le ministre, beaucoup de savoir-faire, beaucoup de ténacité, beaucoup de courage. Je sais que vous n'en manquez pas, c'est pourquoi je vous fais confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 11 heures 50, est reprise à midi.

M. Pascal Terrasse - Ce projet de loi de finances ne trompe personne. Il porte la marque de l'inégalité, de la remise en cause du lien social et, dans ses volets ministériels, d'une véritable rigueur budgétaire, même si le mot n'est pas employé. Pourquoi ne pas appeler un chat un chat ?

Vous n'avez que dédain pour ceux que frappent les aléas de la vie. Au reste, vous connaissant, je ne ferai pas de vous le principal accusé de ce procès ! Vous êtes plutôt la victime d'une équation insoluble : comment exaucer le v_u présidentiel d'alléger les prélèvements obligatoires tout en répondant aux attentes légitimes des Français dans un contexte de récession ? Il faudrait être un peu schizophrène pour y parvenir !

Et nos concitoyens ne s'y trompent pas. Partout dans le pays, ils expriment leur inquiétude et dénoncent votre obstination à faire preuve de dogmatisme. Vous incarnez l'anti Robin-des-bois des temps modernes, celui qui prend aux pauvres pour donner aux riches. Qu'avez-vous à répondre à ceux qui s'étonnent de la suppression simultanée des allocations de fin de droits pour certaines catégories de chômeurs et, à l'autre bout de l'échelle sociale, de l'ISF pour un nombre croissant de contribuables fortunés ? Vous remettez en cause des acquis fondamentaux, et notre rapporteur général s'enorgueillit même de présenter un « vrai budget de droite » ! La vérité, c'est que les mesurettes que vous présentez ne bénéficieront qu'à quelques uns - toujours les mêmes.

Tous les départements de France s'inquiètent de la suppression de l'ASS, financée par l'Etat et gérée par l'UNEDIC. Ils seront en charge demain de la gestion des érémistes et des 180 000 personnes sorties du dispositif de l'ASS. Une seule question : les moyens suivront-ils ? Si tel n'était pas le cas, c'est la fiscalité locale qui en supporterait les conséquences et l'on touche là le c_ur du problème. Est-il raisonnable de prétendre parachever la décentralisation sans réformer au préalable la fiscalité locale ?

M. le Président de la commission des finances - Il faut respecter la Constitution !

M. Pascal Terrasse - En l'espèce, un tel argument ne vaut que dans l'hémicycle ! On est ici même moins sourcilleux lorsqu'il s'agit de chercher les ressources de la protection sociale là où elles sont, au mépris du principe de non-fongibilité des ressources des branches de la sécurité sociale ! D'accord pour donner plus de responsabilités aux collectivités, il faut d'abord réformer la fiscalité locale, d'autant que les régions sont aujourd'hui privées des leviers d'investissement essentiel que constituaient les FEDER, cependant que la mise en _uvre des CPER a été entravée par des gels de crédits successifs.

Nous voudrions croire à votre volonté d'engager des réformes de structures. Las, le chemin à parcourir reste immense. Membre du conseil de surveillance de l'ACOSS, je découvre dans son dernier rapport que le Gouvernement actuel ne peut se prévaloir de la baisse du coût du travail : les plus fortes réductions des coûts du travail sont intervenues en 2000 et 2001 ; dès cette année, les chefs d'entreprise ont eu à supporter des hausses de cotisations sociales non négligeables, avec les conséquences sur l'emploi qu'on imagine. Il ne suffit pas de faire ici de belles déclarations d'intentions. Soyez attentif à ce que ressentent ceux « d'en bas » ! Croyez-vous sincèrement que la hausse de la PPE - de l'ordre de 3 € - compensera l'appréciation de la TIPP sur le gazole pour celui qui fait chaque jour vingt à trente kilomètres pour aller travailler ? Dans nos départements ruraux, nos concitoyens sont obligés de se déplacer en voiture et, pour eux, la hausse de la taxe entraînera une dépense supplémentaire de l'ordre de 50 €.

L'ensemble de votre politique fiscale est marqué par ce décalage avec la réalité du pays. A titre personnel, je peux remercier le Gouvernement d'avoir baissé mon IR de 100 € - même si je n'étais pas demandeur. Croyez-vous que je les ai dépensés ? Comme tout le monde, je les ai épargnés et c'est ainsi que le taux d'épargne atteint dans notre pays 15 % du PIB !

M. Pierre Hériaud - 17 % !

M. Pascal Terrasse - Le Gouvernement marche à l'envers et s'entête dans l'erreur ! Il ne peut se dégager du piège de la doctrine présidentielle. Monsieur le ministre, vous êtes un homme de bon sens. Faites passer les messages de bon sens que nous vous faisons remonter du pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Yves Chamard - Certains de nos collègues socialistes ont vraiment de l'estomac et, en tout cas, une capacité d'oubli phénoménale ! Songez à la situation dont nous avons hérité en 1993 et en 2002. A toutes ces dépenses lancées à l'aveugle, sans un euro pour les financer ! Président de la commission des finances de mon conseil général, je puis témoigner que l'APA représente au moins quinze points de fiscalité locale.

M. Pascal Terrasse - A la différence des baisses d'IR, l'APA crée des emplois !

M. Jean-Yves Chamard - Le risque que ferait peser aux dires de certains le transfert du RMI est sans commune mesure avec le coût de l'APA.

Monsieur le ministre, votre projet de budget repose sur deux choix majeurs : encourager le travail et engager la remise en ordre des finances publiques.

Encourager le travail, c'est d'abord mieux différencier les revenus d'activité et ceux tirés de l'assistance. Il n'est que temps de refermer les trappes à pauvreté. La hausse du SMIC - compensée pour les entreprises par les baisses de charges - et l'appréciation de la PPE y concourent activement. D'accord aussi pour faire en sorte que ceux qui donnent au travail le meilleur d'eux-mêmes soient mieux rémunérés grâce aux baisses d'impôt. Il n'y a qu'en France que certains plaident pour toujours plus d'impôts ! Au reste, les Français sont bons juges...

Encourager le travail, c'est aussi, comme cela se pratique partout en Europe, aider les personnes éloignées de l'emploi à retrouver la fierté de travailler, plutôt que de se contenter de revenus d'assistance. Il y a déjà plusieurs années que les gouvernements de MM. Blair et Schröder se sont engagés dans de tels programmes. Pourtant, alors que les mesures proposées par le Gouvernement restent infiniment plus modestes, les socialistes français feignent de s'en offusquer (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Il est vrai que dans notre pays, la gauche de contestation est presque aussi forte que la gauche de gouvernement. Voyez ce qu'est obligé de dire Laurent Fabius - dont tout le monde connaît les choix économiques - pour tenter de se placer en candidat potentiel à la prochaine présidentielle ! C'est aussi parce qu'elle endosse les habits de la contestation que la gauche est aujourd'hui inaudible ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Lisez la presse. La gauche est tellement divisée qu'elle ne peut plus rien.

En second lieu, vous commencez à remettre de l'ordre dans les finances publiques. Il est bien vrai que, pour la droite comme pour la gauche, la dépense publique est devenue une drogue. La moindre diminution de crédits - nous l'avons vécu aussi à l'UMP - pose des problèmes insurmontables. Les socialistes, après avoir dilapidé les fruits de la croissance, veulent réhabiliter la dépense publique, déjà plus importante qu'ailleurs. La tâche est donc bien difficile. Elle est engagée en attendant le retour de la croissance nous dit-on. Mais hors cours du dollar et baisse des taux d'intérêt, sur les 20 dernières années la croissance du PIB a été en moyenne de 1,5 %. C'est cette hypothèse qu'il faudrait retenir dans les années à venir, en affectant tout le surplus au désendettement. Tabler sur des taux de croissance de 2 ou 3 % ne serait pas sérieux. Au lieu de tenir compte de la totalité de l'inflation comme cette année, je suggère de n'en prendre que la moitié l'an prochain, et plus du tout en 2006. C'est possible. S'ils sont prévenus, les ministres y réfléchiront à l'avance. La réforme de l'Etat est incontournable. En moyenne, un élève du secondaire coûte en France 35 % de plus que dans les pays développés. Et pourtant on nous dit qu'il ne peut y avoir de réforme sans moyens supplémentaires !

Un mot enfin sur les dépenses d'assurance maladie dont la dérive représente un demi-point de CSG par an. Si les Français comprenaient qu'une réforme était nécessaire pour les retraites, sur l'assurance maladie ils ne sont prêts à rien. Début 2004 la majorité aura donc un rude travail à mener pour les convaincre. Le ferons-nous avec les socialistes, comme ce fut possible en Allemagne et aux Pays-Bas ? Pour cela, il faudrait que la gauche de gouvernement, puisse s'accorder avec la gauche de contestation, et ce n'est pas pour demain.

Dans le contexte actuel, ce budget sérieux est l'un des meilleurs que l'on pouvait faire, et je vous soutiens dans vos efforts pour réformer les finances publiques (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Hériaud - Face à une croissance faible et aux pressions de Bruxelles, la seule solution est de mener une politique volontariste. C'est ce que vous faites. Souvent les difficultés sont le résultat d'imprévoyances, d'inconséquences anciennes. En 1993 et en 2003, les budgets préparés par les gouvernements de l'époque ont dérapé de 50 %. De 1993 à 1997 nous avons fait passer le déficit de 6,3 % à 3,3 % du PIB...

M. Didier Migaud - Grâce à la croissance et à l'impôt.

M. Pierre Hériaud - Mais avec une croissance exceptionnelle, le gouvernement Jospin a fait 2,3 % en 2001, et provoqué un déficit de 3,8 % en 2002 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Le maintien du déficit budgétaire à moins de 3 % du PIB n'a été possible que grâce à une capacité de financement des administrations centrales et des collectivités territoriales de 0,9 % en 2001 et 0,6 % en 2002. Or, désormais, il faut cesser de compter sur l'administration centrale, étant donné ce qu'est l'exécution du PLFSS à partir de 2003. Seules les collectivités locales apporteront encore 0,2 % puis 0,3 % du PIB.

Dan ce contexte difficile, vous maintenez les dépenses en euros constants, et le déficit au niveau de 2003, soit près de 56 milliards. S'en tenir à l'évolution de l'inflation est la bonne méthode. Mais en toute rigueur, l'amélioration de la dépense publique suppose une baisse en euros constants. Sinon, on ne peut que procéder à des redéploiements au profit de priorités budgétaires - sécurité, justice, défense, éducation. Ce budget, dites-vous, est « offensif », car vous ne renoncez pas à diminuer les prélèvements obligatoires, l'impôt et les charges sur les bas salaires, à relever le SMIC et la prime pour l'emploi. Sur les 23 mesures fiscales, 22 sont favorables aux contribuables ; l'augmentation de la TIPP rapportera 800 millions qu'il faudra employer au mieux pour l'investissement.

Si, comme vous l'escomptez, la croissance revient les années suivantes, tant mieux. Mais M. Mer a souligné à juste titre qu'il s'agit avant tout de diminuer les dépenses et de retrouver la compétitivité. Réformer l'Etat et réhabiliter le travail sont les grands objectifs. La France est le pays où l'on travaille le moins d'heures par semaine, le moins de semaines dans l'année et le moins d'années dans une vie. Cherchez l'erreur ! Au niveau européen, cela pose un problème.

Les deux grandes plaies dont nous souffrons sont le dérapage du budget et de l'assurance maladie et l'endettement, pour lesquels nous sommes au-delà des critères de Maastricht qui sont respectivement de 3 % et 60 % du PIB. Or, un point de PIB représente 15 à 16 milliards. Avec 9 à 10 milliards, le déficit de l'assurance maladie en 2003 et 2004, représente 0,6 % du PIB, s'ajoutant au déficit budgétaire. L'endettement ne peut donc que croître. La dette atteint 16 000 euros par Français, et 900 milliards au total pour un revenu brut de 988 milliards. Elle équivaut donc à une année de revenus et à 15 % du patrimoine. Dans ces conditions, qu'on ne s'étonne pas si la France se caractérise par une épargne de précaution. La charge de la dette est désormais le deuxième budget civil de l'Etat après l'Education nationale.

Au niveau mondial, on attend beaucoup les effets d'une reprise américaine. Or le déficit des Etats-Unis est énorme, de même que leur endettement, et les capitaux japonais moins disponibles. On peut donc craindre des tensions sur les taux d'intérêt. Or, cent points de base sur notre endettement représentent 9 milliards, ou 0,5 % de PIB. La menace est réelle.

Ce budget est sincère et courageux. Il faut poursuivre dans la seule voie possible, la maîtrise des dépenses publiques. Vous le voulez, la majorité vous soutient (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission des finances - La commission ayant à se réunir, je souhaiterais que nous interrompions maintenant la discussion générale.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 30.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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