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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 9ème jour de séance, 23ème séance

2ème SÉANCE DU VENDREDI 17 OCTOBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2004 -première partie- (suite) 2

      APRÈS L'ART. 4 (suite) 3

      ART. 5 11

      APRÈS L'ART. 5 15

      ART. 6 15

      APRÈS L'ART. 6 19

La séance est ouverte à quinze heures.

LOI DE FINANCES POUR 2004 -première partie- ( suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2004.

M. Didier Migaud - Le groupe socialiste, comme l'ensemble de l'opposition, souhaite un vrai débat, sans obstruction.

Restent encore en discussion les plus-values immobilières, la TVA, la TIPP, la redevance, la question de la privatisation de France 2, l'ISF, le FOREC, l'ASS, les collectivités locales, autant de sujets importants.

Nous prévenons d'ores et déjà la Présidence et le Gouvernement : nous souhaitons que les ministres en charge de ces dossiers soient présents, comme le veut l'usage.

Nous souhaitons donc la présence de M. Aillagon lorsque nous débattrons de la redevance et de l'amendement de M. Michel Bouvard sur la privatisation de France 2. Nous souhaitons également la présence de M. Fillon lorsque nous débattrons de l'ASS. Nous souhaitons enfin, concernant la décentralisation et les collectivités locales, la présence de M. le Premier ministre ou, à défaut, de M. Devedjian.

Nous préférons prévenir, par courtoisie, afin que nous puissions organiser nos travaux en conséquence.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Douteuse courtoisie...

M. le Président - Vous le savez, Monsieur Migaud, c'est la Conférence des présidents qui détermine les conditions de nos débats.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Comme M. Migaud, je suis attaché à la courtoisie.

Je reconnais ma condition très subalterne dans le Gouvernement (Exclamations sur tous les bancs), mais je me crois mandaté pour intervenir sur tous les sujets relevant de la première partie de la loi de finances.

C'est ma douzième discussion budgétaire, et il n'est pas d'usage, si ce n'est à la demande du ministre du budget lui-même, que d'autres membres du Gouvernement participent à la discussion.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Nous, nous n'avons jamais demandé leur présence.

M. le Ministre délégué - Un membre du Gouvernement, au banc du Gouvernement, engage le Gouvernement. Il reviendra donc à mes collègues, en fonction de leur disponibilité, d'enrichir nos travaux.

En tout état de cause, Monsieur le député, j'essaierai de faire face. Je vous sens en forme. Je le suis aussi.

M. le Président de la commission - Je suis profondément déçu par ce débat. Nous avons toujours fait preuve de beaucoup de courtoisie. Nous avons fait tous les efforts nécessaires pour que ce débat soit approfondi. Mais nous n'avons encore discuté qu'à peine cent amendements, qui ne sont pas d'ailleurs les plus essentiels.

Je n'ai jamais entendu demander une telle présence ministérielle lors de la discussion budgétaire. Le ministre du budget a toute compétence.

M. Didier Migaud - Je ne comprends pas la réaction du président de la commission. Sur cinq cents amendements, nous en avons déposé moins de cent. Nous n'avons demandé aucune suspension de séance. Nous faisons preuve d'un esprit constructif. En outre, nous avons d'ores et déjà discuté de questions essentielles.

Je ne doute pas des compétences de généraliste du ministre. Mais, sur certains sujets importants, il est d'usage que, de temps en temps, d'autres ministres viennent donner leurs explications.

M. Marc Laffineur - Depuis mardi, nous avons débattu sereinement. L'opposition ne peut prétendre qu'elle n'a pas eu la parole. Et nous pouvons faire confiance au ministre du budget pour répondre sur toutes les questions importantes.

APRÈS L'ART. 4 (suite)

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le ministre, vous avez parlé de l'enrichissement de nos débats, pour ce qui est de votre projet, il tend à enrichir les plus riches, comme MM. François Pinault, Jean-Louis Dumas, Serge Dassault, Thierry Peugeot...

Mon amendement 94 s'appuie sur le rapport du conseil des impôts relatif à la fiscalité dérogatoire : les 418 niches fiscales, enchevêtrement de mesures disparates, coûtent 50 milliards d'euros, plus que le produit de l'impôt sur les personnes physiques - 45,6 milliards en 2002.

Certes, toutes les niches ne peuvent pas être mises sur le même plan, mais elles représentent plus d'un cinquième des recettes fiscales de l'Etat, plus de 3 % du PIB.

Et encore, seules 234 niches ont fait l'objet d'une telle estimation ! Pour les autres, l'administration ne dispose même pas des données suffisantes... Par ailleurs, l'administration des finances a pris l'habitude de rayer certaines dépenses fiscales, qui restent pourtant en vigueur, de ses listes. Vingt dispositifs sont ainsi entrés en 1998 dans une sorte de clandestinité. Entre 1997 et 2003, 60 mesures dérogatoires ont été créées, mais la liste ne s'est allongée que de 14... Comment cela s'explique-t-il ? Enfin, je mets au défi quiconque de démontrer le bien-fondé de chacune de ces 418 mesures. On peut s'interroger, par exemple, sur l'amortissement exceptionnel de 25 % pour les souscriptions au capital des sociétés d'investissement régional, qui n'avait d'ailleurs qu'un bénéficiaire en 2001... Et que dire des trois dispositifs qui n'en avaient pas du tout ?

Il faut en finir avec ce régime ubuesque, où la dérogation devient la règle pour les plus fortunés ou les mieux informés - qui sont généralement les mêmes. La question mérite un grand débat dans cet hémicycle. En attendant, l'adoption de cet amendement constituerait un signe envers tous ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir une stratégie d'optimisation fiscale et renouerait avec l'esprit de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme, pour aboutir non pas à moins d'impôt, mais à mieux d'impôt.

M. le Rapporteur général - Il est évident que l'impôt sur le revenu doit être toiletté. L'idée de plafonner certaines réductions est intéressante et va être étudiée dans le cadre de la commission que nous avons décidé de créer hier - nous serions d'ailleurs heureux que M. Brard accepte de la faire profiter de ses remarquables connaissances fiscales. En outre, un amendement à l'article 14 nous permettra de supprimer quelques niches qui ne comptent que peu de locataires. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Brard - Je suis impatient de savoir quels sont les chiens de luxe qu'abritent ces niches, tout comme de travailler avec vous, dans la commission, à nettoyer les autres. Cependant, dans les faits, vous continuez le mouvement, en portant par exemple le plafond à 10 000 € pour les emplois à domicile ! Je crois que nos concitoyens doivent savoir le détail de ces avantages fiscaux. Certains, certes, sont légitimes, comme les contributions aux partis politiques ou aux associations d'utilité publique, mais cela ne saurait suffire à justifier que certains contribuables ne payent presque plus d'impôts.

Je vais vous faire une confidence : cette année, je ne vais payer que 900 € d'impôt. Je ne trouve pas cela normal. Je mets tous mes collègues au défi de rendre leur feuille d'imposition publique.

M. Hervé Mariton - Chiche ! Je paye plus que vous !

M. Jean-Pierre Brard - Je prends acte : ils sont d'accord ! Il faudra alors expliquer à nos concitoyens toutes les déductions que nous cumulons.

M. Hervé Mariton - Ils seront choqués que vous ne payiez que 900 € !

M. Jean-Pierre Brard - Je n'ai jamais fait de la politique pour de l'argent et, si je ne cotise plus au PC, je donne beaucoup d'argent ailleurs. Ce n'est pas une raison pour ne payer que 900 € d'impôt ! Le système est pervers, et vous l'aggravez sans cesse. Plus les gens sont riches, moins ils payent d'impôt. Si je ne dois que 900 €, imaginez un peu où en est Mme Bettencourt ! Le fait est que vous lui donnez de l'argent, pour payer ses domestiques...

L'amendement 94, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 92 est un amendement de repli.

L'amendement 92, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Comme vous faites sans cesse référence à des exemples étrangers, l'amendement 447 tend à mettre notre fiscalité sur les stock-options au diapason de celle de nos voisins. Les amendements 445 et 446 sont des amendements de repli. Les taux que nous pratiquons actuellement constituent en effet un formidable cadeau aux contribuables des tranches supérieures. Il est fiscalement bien plus avantageux de percevoir des stock-options qu'un salaire, sauf bien sûr si la Bourse s'effondre. Le marché de l'emploi des cadres sort d'une très bonne période et les embauches sont allées de pair avec la distribution de stock-options. L'attrait pour ce système s'explique certes par l'envolée boursière de la dernière décennie, mais également par l'avantage fiscal qu'elles procurent. La fiscalité française sur les stock-options est moins lourde qu'aux Pays-Bas ou en Allemagne. A coût égal pour l'entreprise, les salariés qui peuvent se les offrir reçoivent 25 % de plus après impôt qu'avec leur salaire !

La commission des lois, qui enquête sur les rémunérations des chefs d'entreprise, a récemment auditionné Claude Bébéar. Selon Libération, les députés sont restés « très mesurés ». Ils se sont contentés d'interroger poliment le fondateur d'Axa sur les propositions qu'il a publiées sur le gouvernement d'entreprise. Toujours selon le journal, celui qu'on présente comme le parrain des affaires en France a pu proclamer que la transparence suffisait pour éviter les excès commis par les patrons... Libération s'étonne qu'on n'ait pas demandé à M. Bébéar de « justifier l'octroi d'un million de stock-options à son ami Jean-René Fourtou lors de l'arrivée de ce dernier à la tête de Vivendi Universal », dont on avait cru pourtant comprendre qu'elle avait quelques difficultés financières ! M. Fourtou a donc commencé par plonger la tête dans l'auge... Ces options, attribuées à un cours très bas, représentaient plus de 5 millions au moment de la parution de l'article, le jour même d'ailleurs où la commission entendait Jean-Marie Messier, qui a dû hypothéquer sa maison pour avoir un toit...

M. Michel Bouvard - Il n'a pas de chance : Tapie, lui, est encore dans son hôtel particulier !

M. Jean-Pierre Brard - Je m'honore d'être un des rares députés à n'avoir jamais salué ce personnage. Je ne vois pas de différence entre eux.

M. le Ministre délégué - On ne va pas citer des personnes !

M. Jean-Pierre Brard - Quand les voyous ont un nom, pourquoi pas ?

M. le Président - Revenez à votre démonstration.

M. Jean-Pierre Brard - Le rôle du législateur est d'édicter des règles pour garantir la transparence et la morale. Il a le devoir de s'assurer de la contribution de chacun à raison de ses facultés. Tant que vous refuserez de le faire, il ne faut pas s'attendre à ce que nos concitoyens redonnent leur confiance au personnel politique de notre pays. Nous vous proposons, par ces amendements, de mettre fin au laxisme actuel.

M. le Rapporteur général - La commission n'a pas examiné ces amendements, mais je ne crois pas qu'on puisse parler de laxisme. Le régime fiscal des stock options a été modifié en 1999 à l'initiative de Dominique Strauss-Kahn et stabilisé en 2001 par la loi sur les nouvelles régulations économiques.

Nous sommes animés par le pragmatisme et non par l'esprit sectaire, et si une mesure nous paraît équilibrée, nous ne la modifions pas pour le plaisir de la modifier - cela dit à l'attention de notre collègue Didier Migaud. Il se trouve qu'en cette matière, l'équilibre atteint nous semble satisfaisant. D'ailleurs, Monsieur Brard, si vous n'étiez pas d'accord avec la fiscalité des stock-options, que ne vous en êtes-vous plaint à M. Jospin pendant les cinq années au cours desquelles vous apparteniez à la majorité ? Avis défavorable aux amendements, vous l'aurez compris.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Jean-Pierre Brard - Le rapporteur général parle d'esprit sectaire...

M. le Ministre délégué - Je ne l'ai pas ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - ... Vous me rassurez ! Car les sectaires pompent la substance de la société dans laquelle ils vivent en organisant des réseaux de drainage de l'argent : les personnages auxquels je faisais référence tout à l'heure, même s'ils soignent leur image, fonctionnent selon le même schéma.

S'agissant des stock-options, Monsieur le rapporteur général, rappelez-vous, puisque vous étiez là comme moi lors de la précédente législature : nous étions déjà contre, et le Journal officiel en fait foi. Seulement, lorsque l'on appuie une politique, on ne souhaite pas qu'elle s'interrompe. Autrement dit, nous ne voulions pas faire tomber le gouvernement Jospin pour les stock-options, parce que nous étions fiers de participer à la mise en place des 35 heures, des emplois-jeunes, du PACS...

Parfois, il y a des moments difficiles à gérer au sein d'une majorité, je ne vous apprends rien en vous le rappelant, voyez les misères que vous fait endurer M. Bayrou... (Sourires)

M. Didier Migaud - Oh, cela ne va pas très loin...

M. Jean-Pierre Brard - Il n'empêche que, s'agissant des stock-options, nous avions raison avant l'heure, puisque même les Etats-Unis s'attachent maintenant à prendre des mesures pour les contenir.

L'amendement 447, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 445 et 446.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 448 étant dans le même esprit, je me garderai d'allonger le débat en le réfutant plus longuement mais j'appelle l'attention du Gouvernement et de sa majorité sur le fait que l'examen du projet irait plus vite si, attentifs à nos amendements, vous les acceptiez au lieu de les rejeter tous.

L'amendement 448, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Avec l'amendement 124, il s'agit de l'avoir fiscal, vieux sujet, puisque, si ma mémoire est bonne, il fut institué par feu Jacques Chaban-Delmas. En cette matière, la France fait _uvre d'une coupable générosité, alors même que le leitmotiv du Gouvernement est « la rigueur ». Si l'amendement est adopté, il se traduira par un gain net de recettes, en mettant fin à la redistribution, parfaitement injustifiée, de l'avoir fiscal à des non-ressortissants, cette prodigalité étant aggravée par le fait qu'elle n'est même pas assortie de la réciprocité. Ainsi, le Gouvernement ne se soucie pas, en cette matière, des intérêts des Français privilégiés ?

M. le Ministre délégué - Encore faudrait-il qu'il existât un avoir fiscal ailleurs !

M. Jean-Pierre Brard - Autant dire que cette spécificité française n'a pas lieu d'être. Et si une négociation s'impose avec les pays auxquels nous lient des conventions fiscales, l'argument ne vaut pas pour les autres - et il en existe, je le sais pour avoir étudié les circuits de l'évasion fiscale. Le plus souvent, l'avoir fiscal est rétrocédé à des Français qui ont choisi les paradis fiscaux. A ce sujet, je tiens à souligner, encore une fois, que l'épouvantail que serait le trop fort taux d'imposition marginal n'est qu'une construction commode. En répétant cet argument à l'envi, vous oubliez volontairement que l'attrait d'un pays ne se résume pas à des questions fiscales, et que la qualité des services publics et des infrastructures ou celle du système éducatif, ainsi que le dynamisme du marché intérieur sont des éléments au moins aussi importants. Les entrepreneurs qui s'installent chaque année en France - cette France qui figure d'ailleurs dans les tout premiers rangs mondiaux en terme d'investissement direct, quelle que soit votre contre-propagande - le savent bien !

Votre vision réductrice du monde vous porte à croire que tout réside dans le niveau du taux marginal d'imposition sur le revenu. A supposer que l'on partage ce point de vue, ne serait-on pas plutôt porté à examiner la question de manière inversée ? N'est-ce pas plutôt l'existence de paradis fiscaux qui explique la fuite de ces rapaces que vous qualifiez poétiquement de « cerveaux » ?

Vous évoquerez certainement la sacro-sainte souveraineté de ces Etats ou principautés qui, tels les Caraïbes ou, dans une moindre mesure, Monaco, sont libres de définir leur politique fiscale. Certes. Mais il semble que leurs choix pèsent sur les vôtres, puisqu'ils vous incitent à choisir le moins-disant fiscal.

Quoi qu'il en soit, on constate que certains possédants devenus non-résidents violent l'intérêt national et se voient accorder une prime ! C'est une question éthique qui se pose là et je suis certain que M. de Courson y serait sensible, car ceux qui agissent ainsi sont les héritiers des émigrés à Coblence. L'assemblée se doit d'adopter l'amendement et de mettre ainsi un terme à une mesure illégitime, en ce qu'elle favorise des gens qui ne contribuent en rien à la richesse nationale.

M. le Rapporteur général - La commission a rejeté l'amendement, sans qu'il s'agisse d'une divergence de fond. Le dispositif a été amélioré au fil des ans, si bien que l'avoir fiscal qui s'applique aux personnes morales étrangères est à présent fixé à 10 %. S'agissant des personnes privées, l'existence de conventions fiscales fait que résidents et non-résidents doivent être traités de la même manière ; de ce fait, nous versons chaque année un milliard d'avoir fiscal à l'étranger. C'est pourquoi le 14 novembre, lors de l'examen de la deuxième partie du projet, le ministre vous présentera une refonte complète du dispositif, qui vous donnera satisfaction.

M. le Ministre délégué - La réforme qui vous sera présentée ne pourra que vous satisfaire. Je vous invite donc à retirer l'amendement.

M. Jean-Pierre Brard - En quoi consistera-t-elle ? Les gains de recettes seront-ils affectés au co-développement ? Renégocierez-vous les conventions fiscales pour en supprimer les dispositions illégitimes ? Je suis prêt à retirer l'amendement si vous allez dans le bon sens.

M. le Ministre délégué - Membre assidu de la commission des finances, vous n'ignorez rien de ces travaux, ni du contenu de la réforme. Vous avez laissé entendre tout à l'heure que le Gouvernement ne se préoccuperait pas suffisamment des intérêts de nos compatriotes installés à l'étranger ; mais encore faut-il que des conventions fiscales existent, et un dispositif d'avoir fiscal dans les pays considérés. Ne faites pas comme si nous ne passions pas notre temps à nous battre alors que, grand diable ! c'est faux. Pour le reste, attendez l'examen de la deuxième partie.

M. Jean-Pierre Brard - « Grand diable » ? Quelle curieuse invocation !

Nous connaissons en effet quelques-unes de vos options, mais nous aurions souhaité que vous les exposiez afin que tout le monde en soit informé. Je veux aussi vous inciter à être encore plus zélé dans ce combat contre des pratiques immorales. Lorsque j'ai travaillé sur la fraude, j'ai découvert que des sociétés nationales de grand renom détenaient des comptes dans des paradis fiscaux. Mettez-y bon ordre, je vous prie, en sorte que nous n'ayons pas à nommer ces sociétés et qu'elles disposent d'un délai pour se mettre en règle avec l'éthique républicaine !

L'amendement 124, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 147 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 100, dernier amendement de repli, tend à modifier l'article 150-0A du code général des impôts de sorte que les gains nets des cessions de valeurs mobilières soient soumis à l'impôt sur le revenu lorsqu'ils dépassent 7 650 € par foyer fiscal, au lieu de 15 000 actuellement.

Vous êtes intraitables pour les titulaires de revenus modestes tirés du travail, alors même que vous avez sans cesse ce dernier mot à la bouche. Il ne suffit pas de parler du travail, il faut penser aux gens qui ne perçoivent que de modestes rémunérations en dépit de leurs efforts.

L'objet de cet amendement n'est sans doute pas immédiatement perceptible, mais il suffit pour le comprendre d'y regarder d'un peu plus près. Nous visons l'article 5 de la loi de finances pour 2003, article qui est venu modifier un dispositif jusque là limité aux gains - modestes - réalisés par les petits porteurs. Cette loi de finances est, si l'on excepte les deux collectifs de 2002, le premier texte où vous avez exprimé vos choix budgétaires et, par cet article 5, vous accordiez déjà un cadeau aux nantis et encouragiez la spéculation au détriment des investissements productifs.

Demander la suppression d'une loi datée et, de ce fait, associée à un gouvernement, est beaucoup plus parlant que de modifier un code général des impôts qui n'est ni de droite ni de gauche, mais ne fait que refléter l'état du droit à un moment précis. C'est pourquoi l'amendement vise la loi du 30 décembre 2002 qui a si clairement trahi le caractère purement rhétorique de votre thématique de la France « d'en bas ». Vous n'avez fait ensuite que persévérer, multipliant les cadeaux fiscaux : baisses successives des taux du barème de l'impôt sur le revenu, relèvement de la réduction d'impôt pour emploi d'un salarié à domicile, nouveau régime de taxation des plus-values immobilières, réduction des droits sur les donations, revalorisation du barème de l'ISF...

Le rappel de cette loi précise a un autre mérite : il permet de constater que ceux qui prétendent aujourd'hui partir en chasse contre les niches fiscales ont, l'an passé, pérennisé le régime applicable à l'une des niches les moins justifiées qui soient.

M. le Rapporteur général - Rejet, pour les raisons que j'ai déjà exposées hier soir. Ce sont les tout petits porteurs qui seraient les premières victimes de cet amendement. Le plafond de 15 000 € est, d'autre part, tout à fait raisonnable car il vaut, non pour les plus-values elles-mêmes, mais pour les cessions, c'est-à-dire les gains nets diminués des frais.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Brard - Nous souhaitons certes taxer les « gros porteurs » davantage que les petits, mais cela ne signifie pas qu'il faille totalement exonérer ces derniers ! Les seuls revenus à privilégier sont ceux du travail - et il me semblait que vous étiez d'accord avec nous sur ce point...

L'amendement 100, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Notre groupe demande depuis de nombreuses années un rééquilibrage de la politique des transports en faveur du rail. Comment admettre que notre pays soit traversé par une cohorte de poids lourds générateurs de nuisances et de bouchons ? Votre gouvernement si prompt à déployer des instruments sophistiqués quand il s'agit de sécurité, est au contraire bien passif sur ce point. En revanche, il a su réprimer quand il s'agissait de conduite automobile. Les intentions ont pu sembler louables, les accidents de la route étant un drame national, mais cet effort ne constitue en fait qu'un volet d'une politique ultra répressive, alors qu'il eût fallu une pédagogie de la conduite.

Il reste que les conditions d'obtention du permis de conduire ont été singulièrement aggravées, les frais exigés des candidats connaissant un accroissement sensible. Notre amendement 95 n'en est que plus opportun. Ce n'est pas parce qu'on désapprouve la politique du tout routier menée depuis des décennies qu'il faut pénaliser les jeunes qui, faute de mieux, tentent de passer le permis poids lourds pour trouver un emploi. Notre système d'apprentissage ne permettant guère de réduit le coût de ce permis, il nous semble juste de leur accorder un crédit d'impôt. La mesure ne serait pas seulement une mesure d'équité, mais aussi un acte en faveur de l'efficacité économique : les professions du transport connaissent des difficultés de recrutement. Le service militaire permettait à de nombreux jeunes d'obtenir gratuitement leur permis poids lourds ou transports en commun. On pourrait sans doute offrir la même facilité dans le cadre d'un service civil moderne mais n'attendons pas l'ouverture de ce débat-là pour aider les jeunes !

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. Officier du train et des équipages pendant mon service militaire, j'ai moi-même fait passer de nombreuses fois le permis, mais le crédit d'impôt ne me semble pas être le meilleur outil pour prendre le relais. Les dispositifs d'insertion et de formation professionnelle existants me paraissent beaucoup plus utiles.

M. le Ministre délégué - Le problème est en effet déjà résolu dans de nombreux départements, où les actions d'insertion permettent à ceux qui sont intéressés d'obtenir le permis poids lourds. Le programme TRACE et les crédits du Fonds social européen sont largement mobilisés à cet effet.

M. Michel Bouvard - Sur le fond, on ne peut qu'être d'accord avec M. Brard. Il est exact qu'il existe des financements, Monsieur le ministre délégué, et notre faible consommation de crédits du Fonds social européen laisse beaucoup de ressources disponibles. Il n'en reste pas moins que les différentes structures de formation ont quelques difficultés à faire le montage financier des dossiers. La question mériterait un examen avec votre collègue ministre du travail.

Le problème est apparu depuis la suppression du service militaire. Comme M. Brard, tout en souhaitant le renforcement du transport ferroviaire, j'estime que nous devons préserver une activité nationale de transports routiers, sinon nous allons assister à une délocalisation au profit notamment des entreprises de transports des pays de l'Est, qui pratiquent un dumping social et fiscal effréné, au détriment de la sécurité routière - on voit parfois circuler sur nos routes de véritables « Erika » sur roues !

M. Didier Migaud - Cet amendement est effectivement récurrent et à l'époque où j'étais rapporteur général, j'ai répondu qu'il s'agissait d'un vrai problème méritant un examen approfondi, même si la formule du crédit d'impôt proposée par M. Brard n'est pas forcément la plus adéquate.

Mais votre réponse, Monsieur le ministre, n'est pas plus satisfaisante. Les crédits de formation manquent, ou l'obtention du permis poids lourds est hors de prix pour les jeunes (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP).

Je souhaite que nous réfléchissions au problème et qu'une solution puisse nous être présentée à l'occasion du prochain collectif budgétaire.

M. Jean-Pierre Brard - Cette fois, j'ai au moins la satisfaction intellectuelle de trouver un écho dans cette assemblée ! Il est vrai que nous nous sommes retrouvés plus d'une fois, M. Bouvard et moi, sur des propositions touchant à l'écologie, par exemple sur la réduction de la TVA sur le bois de chauffage. Il y a des sujets transpartisans ! Donc, sur le fond, nous sommes bien d'accord, mais comme je ne suis pas sous-marinier (Sourires) j'aimerais qu'il émerge de nos débats une solution et que nous la votions.

M. Bouvard évoquait les « Erika » sur roues qui circulent sur nos routes. Nous avons pris des mesures contre les navires-poubelles, pourquoi ne pas en prendre contre le dumping social et commercial dans les transports routiers ? Ce n'est pas si difficile, à condition, bien sûr, de résister aux lobbies...

Si mon amendement n'est pas voté, le ministre pourrait au moins faire un geste. Puisque cela fait trois ans, nous dit-on, que les services de l'Etat travaillent sur le problème, cela doit avoir donné quelques résultats. Si vous vous engagez, Monsieur le ministre, à nous présenter une proposition lors du collectif budgétaire, je suis prêt à retirer mon amendement.

M. le Ministre délégué - Le projet que vous évoquez fait partie de nos préoccupations, nous allons l'étudier et je vous dirai au moment du collectif budgétaire où nous en sommes.

M. Jean-Pierre Brard - Sachant ce que vaut un engagement de Normand (Sourires), je retire mon amendement 95.

L'amendement 96 est défendu.

L'amendement 96, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Pierre-Christophe Baguet - Le 13 juillet 2000, le gouvernement de Lionel Jospin a décidé d'indemniser les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites. Cette mesure, dont nous ne contestons pas la légitimité, a cependant suscité une vive émotion chez les orphelins de personnes déportées ou fusillées, pour d'autres raisons, pendant la dernière guerre, qui ne bénéficient pas d'une telle indemnisation.

Lors d'une séance de questions au Gouvernement, nous avions interrogé le ministre des anciens combattants à ce sujet et il avait manifesté son souci d'apporter une réponse à cette situation inéquitable.

En l'absence de mesures concrètes, nous avions demandé, par un amendement à la loi de finances pour 2003, un rapport sur le coût et les modalités de l'indemnisation à tous les orphelins de déportés et fusillés.

M. Mékachéra a chargé M. Philippe Dechartres de procéder à cette étude, avec pour objectif d'étendre l'indemnisation.

L'amendement 200 de M. de Courson vise à préciser le périmètre de son application. Il précise qu'une réduction d'impôt sur le revenu sera accordée aux personnes dont le père ou la mère a été déporté de France pendant l'occupation, ou fusillé ou massacré pour faits de résistance, ou a trouvé la mort lors de son arrestation, de sa détention ou de son transfert.

M. le Rapporteur général - La commission a rejeté cet amendement, dont on comprend bien qu'il vise surtout à obtenir des précisions sur l'avancement des travaux du ministère des anciens combattants.

M. le Ministre délégué - La question était très complexe, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants avait, comme vous l'avez dit, chargé une personnalité reconnue, M. Philippe Dechartres, ancien résistant et ministre du général de Gaulle, de dresser un état des lieux de l'indemnisation dont bénéficiaient les différentes catégories d'orphelins en application des mesures successivement prises depuis la guerre.

Le 2 septembre M. Mékachéra a décidé d'accorder à tous les orphelins de personnes déportées, fusillées ou massacrées pendant l'occupation la même indemnisation. Cette décision a été communiquée aux présidents des deux assemblées.

Cependant sa mise en _uvre nécessite une définition très précise des termes « fusillés » ou « massacrés », afin d'éviter de créer de nouvelles injustices. Le secrétaire aux anciens combattants s'y emploie et a engagé une concertation à ce sujet.

La mise en place d'un crédit d'impôt serait, elle, source d'injustice puisqu'elle ne bénéficierait qu'aux personnes imposables.

Sous réserve de ces observations, je vous prie de bien vouloir retirer votre amendement.

M. Didier Migaud - C'est un sujet important et qui a fait l'objet d'engagements du Gouvernement.

Après la décision de l'ancien Premier ministre Lionel Jospin, nous avions été plusieurs à souhaiter l'extension du dispositif. Le Président de la République et le Premier ministre actuel s'y sont engagés il y a maintenant dix-huit mois. Une personne a été nommée pour faire un rapport, celui-ci a été publié. Et maintenant on nous explique qu'il faudrait faire une commission...

A force de créer des commissions et de demander des rapports, on va attendre jusqu'à, comme par hasard, la loi de finances qui précédera une certaine échéance... ma question est simple : quand la décision d'une inscription budgétaire sera-t-elle prise ?

M. Michel Bouvard - Quand la mesure d'indemnisation des enfants des déportés de la Shoah avait été prise par le gouvernement précédent, j'avais dit l'émotion que suscitait chez les députés du mouvement gaulliste le fait que l'on partage en deux camps les victimes de la barbarie. Je me rappelle de l'embarras de Mme Florence Parly pendant la discussion ; elle était venue me dire à l'issue de la séance qu'elle n'était pas autorisée à nous apporter une réponse mais qu'elle s'engageait à faire examiner cette question.

Si tel a bien été le cas, c'est néanmoins avec l'arrivée du nouveau gouvernement que la décision de régler le problème a été prise. Mais le temps passe, et au-delà de l'aspect purement financier, ceux dont les parents furent victimes de la barbarie, notamment pour faits de résistance, attendent une reconnaissance. Il n'est pas pensable de faire une différence entre ceux qui sont imposables et ceux qui ne le sont pas, et c'est pourquoi l'amendement de nos collègues de l'UDF ne convient pas, mais il faut absolument régler la question rapidement, pour ne pas donner le sentiment d'un désintérêt de la République pour ce qui a profondément marqué toute une génération (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Je m'associe aux propos de mes collègues Migaud et Bouvard. Il y avait incontestablement une spécificité de la déportation des Juifs, mais nous avons un devoir d'équité à l'égard des enfants de tous les déportés.

Le délai n'est pas indifférent car ils sont aujourd'hui devenus des personnes âgées. Ils attendent en effet une reconnaissance. Dans quel délai, Monsieur le ministre, exigerez-vous de vos services les éléments qui permettront de régler cette affaire ?

M. le Ministre délégué - N'ajoutons pas à l'indicible le soupçon. Il n'y a de notre part aucune attitude dilatoire, mais en revanche la volonté que la disposition qui sera prise ne donne plus lieu à discussion. Il faut arriver à un consensus sur la notion de fusillés et massacrés, afin d'apporter cette paix morale dont chacun a besoin. Je vous demande de croire que nous y travaillons. Vous donner aujourd'hui un calendrier précis ne serait pas responsable de ma part, mais je vous invite à partager notre confiance quant à la possibilité d'aboutir dans un proche délai.

M. Michel Bouvard - Très bien.

M. Eric Besson - Nul ici ne veut polémiquer sur un tel sujet, qui concerne une dette morale. Nous étions nombreux à souhaiter que le dispositif existant soit étendu aux orphelins de déportés non juifs, et nous savons gré au Gouvernement d'avoir très vite annoncé qu'il allait le faire ; mais dans ma circonscription, beaucoup pensent que la mesure est déjà prise !

Il ne s'agit pas de notre part de soupçon, Monsieur le ministre, mais pourquoi faudrait-il encore attendre ? Admettez que la définition d'un fusillé est hélas assez simple...

M. Robert Pandraud - La définition des massacrés est plus compliquée.

M. Eric Besson - Nous attendons donc de vous, Monsieur le ministre, que vous vous engagiez à régler cette question dans un délai extrêmement bref.

M. Marc Laffineur - C'est un sujet suffisamment grave pour qu'on recherche le consensus.

M. Eric Besson - Il existe !

M. Marc Laffineur - Le ministre ne peut pas donner de délai, même s'il faut évidemment aller le plus vite possible, parce qu'il faut, comme le dit le ministre, qu'on n'ait pas à y revenir, et donc que tout le monde soit d'accord, étant entendu qu'il s'agit de n'oublier personne. Faisons confiance au Gouvernement.

M. Pierre-Christophe Baguet - La rédaction de cet amendement était justifiée par des considérations techniques liées à l'article 40. Sur le fond du sujet, j'ai bien entendu le ministre. Il serait bon que le Gouvernement apporte des éléments de réponse lors de l'examen du projet de loi de finances par le Sénat. Dans cette attente, je retire l'amendement.

L'amendement 200 est retiré.

ART. 5

M. Didier Migaud - La réforme des plus-values immobilières des particuliers proposée à cet article est tout d'abord contraire au discours affiché de revalorisation du travail, puisqu'elle va conduire à un allégement très significatif de l'imposition de contribuables, qu'ils travaillent ou non, et profiter beaucoup plus aux personnes qui n'ont plus d'activité professionnelle - le patrimoine immobilier augmentant avec l'âge.

En revanche, cette réforme est en parfaite cohérence avec votre souci de privilégier les plus aisés de nos concitoyens.

En effet, le principe de la réforme est de transformer une imposition progressive - puisque calée sur le barème de l'impôt sur le revenu - en une imposition forfaitaire, donc injuste. Vous allez encore réduire le poids des prélèvements progressifs dans les prélèvements obligatoires alors que la France est un des pays où ce poids est le plus faible.

Gilles Carrez l'a écrit dans son rapport : cette réforme élargira l'assiette de l'impôt et réduira son taux. En revanche, il ne dit pas que l'extension de l'assiette se fera au détriment des plus modestes et que la réduction des taux s'opérera au bénéfice des plus aisés.

Actuellement, avec le barème de l'impôt sur le revenu, les contribuables modestes sont soumis au taux de 7,7 %. Demain, ils le seront à hauteur de 16 %. En revanche, les plus aisés, imposés de 19,74 % à 49,58 %, ne le seront plus qu'à 16 %.

De plus, l'élargissement de l'assiette se fera au détriment des plus modestes puisque de nombreuses exonérations sont supprimées, notamment celle dont bénéficient les personnes âgées titulaires du minimum vieillesse et non imposables.

A l'inverse, l'exonération liée au montant de la cession, actuellement fixée à 4 600 € pour toutes les cessions réalisées sur une année, sera portée à 15 000 €.

En outre, les non-résidents appartenant à l'Union européenne, actuellement imposés à 33 %, ne le seront plus qu'à 16 %. Nous souhaiterions avoir des explications.

M. Jean-Pierre Brard - La mesure prévue par l'artiche 5 illustre une fois de plus l'ampleur de la contre-révolution idéologique lancée contre le principe républicain de la progressivité de l'impôt sur le revenu au profit de l'imposition proportionnelle, donc d'un système injuste.

Le système actuel n'était déjà pas très fameux. En effet, afin d'atténuer la progressivité de l'impôt, les plus-values à « long terme » - plus de deux ans - sont soumises à l'IRPP, selon le système fort complexe du quotient. Résultat : en n'ajoutant pas le montant des plus values au revenu global net, beaucoup de contribuables échappent au taux marginal.

Mais vous allez plus loin. Vous qui vous vantez de vouloir revaloriser le travail avez du mal à masquer le profit que le taux d'imposition sur les plus-values immobilières, qui sont tout sauf des revenus du travail, sera très sensiblement réduit. Vous prétendez simplifier, mais vous allégez en fait, une fois de plus, l'impôt des plus aisés.

Le nouveau système pénalisera tous les contribuables dont le taux effectif d'imposition se trouve en deçà du taux proportionnel et, à l'inverse, avantagera les plus fortunés, imposés au-delà.

Ce n'est plus seulement un « amortisseur de progressivité » qui est offert à certains contribuables, c'est une nouvelle niche, comme si la baisse générale de 3 % du barème de l'impôt sur le revenu ne suffisait pas.

Vous cherchez en fait à offrir des portes de sortie aux 200 000 foyers fiscaux concernés par les dernières tranches du barème.

M. le Président - Nous en venons à l'examen des amendements.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 126 tend à supprimer l'article 5. Celui-ci est présenté comme une simplification. Etrange simplification, qui occupe huit pages du projet ! C'est plutôt un embrouillamini.

Dans un premier temps, le nouveau mécanisme procurera un surplus de recettes évalué à 240 millions d'euros pour 2004 ; mais il ne s'agira que d'un effet d'optique, et au fil des années, le manque à gagner affectera les finances de l'Etat.

M. Eric Besson - L'amendement 231 est également de suppression.

Didier Migaud a très bien expliqué pourquoi cet article conduira à un allègement très significatif de l'impôt sur les plus-values immobilières pour les plus gros contribuables.

Le débat sur la progressivité de l'impôt est posé : à un moment ou à un autre, Monsieur le ministre, vous devrez expliquer les principes philosophiques qui sous-tendent votre action.

M. le Ministre délégué - Je ne demande que cela. J'espère ainsi connaître les vôtres.

M. Eric Besson - Ils sont républicains. Chacun doit contribuer en fonction de ses revenus et de son patrimoine. Vous nous soupçonnez toujours. L'an dernier, un député de la majorité nous disait : « Vous, les socialistes, vous parlez toujours des « gentianes du voisin, toujours plus belles que les vôtres » Nous serions toujours des partageux...

M. Jean-Pierre Brard - Des envieux !

M. Eric Besson - ...pourtant, nous n'avons rien contre la création de richesses et je n'envie pas les gentianes de mon voisin.

Mais quand la création de richesse est réalisée, se pose le problème de la redistribution et de la réduction des inégalités.

Or, ce budget fait de la redistribution à rebours puisqu'il prend au plus grand nombre pour donner à quelques-uns (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur général - Avis défavorable sur les deux amendements. Cette excellente réforme substitue un taux unique forfaitaire de 16 % à une imposition entée sur l'IR. Ce taux forfaitaire se situe dans la moyenne des taux européens, et nous travaillons donc à l'harmonisation fiscale.

De plus, le délai au terme duquel la plus-value est totalement exonérée est réduit de 22 à 15 ans.

Il est vrai que l'assiette est élargie. Mais on ne peut dire que ce soit aux dépens des contribuables les moins aisés.

D'abord, la résidence principale reste exonérée. Ensuite, la franchise totale est appliquée jusqu'à 15 000 € de plus value, au lieu de 4600 à présent, et cette franchise n'est plus annuelle, mais s'applique à chaque opération. Je veux bien croire que cette réforme serait désavantageuse pour des contribuables modestes qui réaliseraient d'énormes plus values sur des biens autres que leur résidence principale, mais où trouverez-vous de tels contribuables ?

Cette réforme vise donc des contribuables aisés qui se livrent à de multiples opérations, peut-être pas spéculatives, mais rendues possibles par un patrimoine étendu et qui a vocation à se renouveler dans un délai inférieur à quinze ans. Elle va simplifier fortement la vie des Français, puisque les plus-values seront acquittées par les notaires dans le cadre de la cession. Cette réforme est juste, et il faut vraiment être animé par un esprit de système pour y trouver une volonté de porter atteinte à la progressivité de l'impôt et à la situation des contribuables modestes.

Le seul point où l'on puisse voir une petite malice est que cette réforme va rapporter 240 millions à l'Etat en 2004. Les opérations immobilières réalisées en 2003 seront intégrées dans les revenus 2003 déclarés en 2004, mais les nouvelles opérations seront déclarées par les notaires au moment où elles seront faites. Pour toute l'année 2004 donc, l'Etat percevra une double recette. Mais à terme, il ne fait aucun bénéfice ! A tous égards, il s'agit donc d'une excellente réforme et la commission a rejeté les amendements de suppression.

M. le Ministre délégué - Qu'il est difficile de simplifier dans ce pays ! On trouve toujours des gens pour s'y opposer. Pourtant, cette réforme aura pour effet de soulager nos compatriotes de la corvée de remplir une déclaration de quatre pages, avec huit pages de notice explicative à lire soigneusement... ce qui explique pourquoi ils étaient souvent obligés à avoir recours à un professionnel. Voilà ce que certains d'entre vous veulent conserver. Si j'ajoute que sur les 270 000 déclarations dernièrement remplies, seulement 100 000 donnaient lieu au versement d'un impôt, on verra que la simplification est incontestable...

La réforme peut-elle donner lieu à des injustices ? Je parierais que lorsque viendra l'alternance, à un moment que j'espère le plus éloigné possible, vous ne rétablirez pas le système actuel. La réforme que nous vous proposons est en effet d'une simplicité comparable au régime des plus values mobilières. Certains prétendent, ainsi que c'est devenu la mode, que cette réforme est faite en faveur des riches. Le montant moyen des plus values immobilières aura été en 2001 de 10 700 €, et la médiane de 4 700 €. La réforme concerne donc des gens qui seront surpris d'apprendre qu'ils ont été qualifiés de riches une fois dans leur vie ! Sur les 270 000 contribuables concernés, seuls cinq ont déclaré une plus-value supérieure à un million... Il est clair que cette réforme n'est défavorable qu'aux habitués des plus-values immobilières et nous pouvons nous réjouir que notre fiscalité se simplifie, en toute justice et sans coût pour l'Etat. Ce sera sans doute une des meilleures réformes que nous vous proposerons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Chamard - Lorsque les socialistes étaient au pouvoir, ils n'ont jamais supprimé la fiscalité forfaitaire sur les plus-values mobilières... On peut donc supposer qu'ils seront favorables au même système pour l'immobilier. On sait en effet que l'immobilier est plus taxé que le mobilier, ce qui est une des raisons du manque de logements privés donnés à la location. Pour ces raisons, et au-delà d'une simplification évidente, il faut rejeter les amendements de suppression.

M. Didier Migaud - S'il ne s'agissait que de simplifier, nous vous aurions suivis. La majorité précédente a supprimé de nombreux formulaires et le ministre le sait mieux que les autres, lui qui, en tant que président de la commission des finances du Sénat, a approuvé un certain nombre de ces mesures. Ne nous faites donc pas passer pour opposés à de telles réformes.

Le rapporteur général a prouvé que nos critiques n'étaient pas si infondées, puisqu'il propose lui-même un amendement pour améliorer le système. Il nous a expliqué que les petits contribuables ne seraient pas pénalisés, mais il s'est bien gardé de parler des plus aisés ! En effet, le nouveau régime leur sera favorable. En cas d'alternance, puisque vous l'appelez de vos v_ux, Monsieur le ministre, ce qui est un geste très républicain, je pense que nous conserverions les formules qui aboutissent à une réelle simplification, mais nous rétablirions le barème de l'impôt sur le revenu en tout cas pour les plus values à court terme, notamment entre un et cinq ans.

Les amendements 126 et 231, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Gilbert Gantier - Nous approuvons tout à fait l'article 5. Néanmoins, M. de Courson a déposé un amendement 278 qui a un intérêt écologique manifeste. L'article supprime en effet la règle qui exonère les peuplements forestiers de l'imposition sur les plus-values. C'est une aberration fiscale, manifestement inconstitutionnelle, qui conduit à assujettir deux fois le revenu tiré de la production forestière à l'impôt sur le revenu. Le revenu des sylviculteurs, dont l'activité vise à produire des arbres, est annuellement déclaré comme revenu agricole. Or, la plus-value serait créée par l'augmentation du nombre d'arbres. C'est comme si on proposait d'ajouter à l'impôt sur les revenus tirés de la production de céréales une plus-value imposable en cas d'augmentation de la valeur du blé sur pied entre la date des semis et la veille de la moisson ! La seule différence est que la production forestière doit rester attachée au sol de 20 à 150 ans avant la récolte, ce qui en fait un immeuble, mais ne supprime pas son caractère de récolte !

Enfin, dans sa rédaction actuelle, l'article conduira à des coupes anticipées, en contradiction avec les principes de la gestion durable de nos forêts. Voilà pourquoi il faut rétablir la situation fiscale en vigueur à ce sujet.

M. le Président - La commission entendra-t-elle cet appel de la forêt ?

M. le Rapporteur général - Elle a rejeté l'amendement, à la fois parce que la loi Dutreil a supprimé la plus-value professionnelle pour près de 90 % des exploitations et parce que l'exonération est de toute façon acquise après quinze ans. Or, mis à part les eucalyptus, on ne voit pas bien quelles essences sont à maturité avant quinze ans (Sourires).

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement a souhaité que la réforme soit fondée sur de grands principes simples et applicables à tous. S'agissant des peuplements forestiers, je fais miens les arguments de votre rapporteur général pour souligner, comme lui, que l'imposition sera très marginale. Et si M. de Courson s'inquiétait des cessions après succession, qu'il se rassure : les mutations à titre gratuit sont prises en compte dans le calcul des plus-values. Je suggère donc le retrait de l'amendement.

L'amendement 278 est retiré.

M. Gilbert Gantier - Avant la réforme qui nous est proposée, les cessions d'immeubles qui ne constituaient pas la résidence principale pouvaient être exonérées dans des cas exceptionnels fixés par décret. L'amendement 197 prévoit de rétablir cette possibilité à titre définitif, les amendements 199 et 198 à titre temporaire.

M. le Rapporteur général - La commission a estimé cette réintroduction inopportune, qu'elle soit définitive ou temporaire. En effet, la hausse du prix du foncier fait que des contribuables de plus en plus nombreux choisissent d'être locataires de leur résidence principale. Ils disposent en revanche souvent d'une résidence provinciale qui leur sert bel et bien de résidence secondaire, et rien ne justifie que la plus-value de cession de ces copropriétés soit exonérée.

L'amendement 197, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 199 et 198.

M. le Rapporteur général - La commission a étudié l'article à la loupe pour vérifier que la réforme présentée n'aurait pas pour effet des transferts de charges indus. L'analyse de notre collègue Didier Migaud a montré que, dans un cas, un problème se pose : celui des retraités modestes qui ont hérité d'un bien immobilier, dont le produit de la vente peut constituer un appoint non négligeable. Aussi, pour éviter que la réforme ne pénalise ces contribuables, la commission propose, par l'amendement 30, de rétablir partiellement l'actuelle exonération dont bénéficient les plus-values de cessions de biens ou de droits immobiliers ou de biens meubles réalisés par des retraités non assujettis à l'impôt sur le revenu.

M. le Ministre délégué - L'objectif est louable, mais le dispositif proposé couvre la plupart des situations puisque, dans la majeure partie des cas, l'exonération est possible : non seulement elle sera désormais acquise après quinze ans et non plus vingt-deux ans mais les mutations à titre gratuit sont prises en compte dans le calcul des plus-values de cession. De surcroît, l'amendement contredit le souhait de simplification du Gouvernement. Il serait donc excessif de me demander un avis favorable, mais je m'en remettrai à la sagesse de l'assemblée, et si elle décide d'adopter l'amendement, je lèverai le gage.

L'amendement 30, mis aux voix, est adopté.

M. Gilbert Gantier - L'amendement 279 est défendu.

L'amendement 279, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur général - Les amendements 31 et 389 sont rédactionnels.

Les amendements 31 et 389, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.

M. le Rapporteur général - Adopté par la commission à l'initiative de notre collègue Alain Marleix, l'amendement 32 rectifié tend à réparer une injustice non corrigée dans la loi « Agir pour l'initiative économique » à l'égard des exploitants agricoles qui réalisent une plus-value à la suite d'une expropriation sans avoir exercé pendant au moins cinq ans.

M. le Ministre délégué - Avis favorable. Je lève le gage.

L'amendement 32 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur général - L'amendement 33 est rédactionnel, comme le sont les amendements 35, 37 (deuxième rectification) et 38 rectifié. Les amendements 34 et 36 sont de coordination.

Les amendements 33, 34, 35, 36, 37 (deuxième rectification) et 38 rectifié, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.

L'article 5 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 5

M. le Rapporteur général - Par l'amendement 39 rectifié, la commission propose de faire passer de 15 % à 16 % le taux du prélèvement libératoire applicable aux revenus des obligations. Ainsi rééquilibrera-t-on utilement la fiscalité de l'épargne, après avoir assujetti les plus-values immobilières à ce même taux unique et alors que les plus-values de cessions de valeurs mobilières sont déjà taxées à ce niveau. L'investissement de l'épargne dans les fonds propres des entreprises en sera encouragé.

M. le Ministre délégué - Je vous donne mon accord dans la mesure où cet amendement ne pénalisera aucunement l'épargne investie en actions, contrairement à ce qu'on a pu prétendre dans certaines revues.

L'amendement 39 rectifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 6

M. Jean-Pierre Brard - C'est avec une extrême prudence que notre groupe a abordé l'examen de cet article. On connaît en effet la propension de ce gouvernement à recourir aux incitations négatives sans contreparties certaines.

Incitations négatives : votre politique organise un désengagement massif de l'Etat au profit du privé. Ainsi en est-il déjà dans les domaines de l'emploi et de l'aménagement du territoire ; ainsi en sera-t-il demain dans celui de la recherche. Votre action se résume à une kyrielle d'incitations fiscales ou sociales : en 2004, le poste des réductions de charges sociales devrait absorber entre 17 et 18 milliards d'euros !

Sans contreparties certaines : vous semblez avoir une confiance aveugle dans les possibilités qu'aurait le privé de faire tout ce que l'Etat ne souhaite plus faire. Une fois remplies les conditions d'entrée, peu importe que les objectifs du dispositif soient ou non atteints, que les emplois créés soient ou non précaires ou que les chasseurs de primes se jettent sur l'aubaine. Notre avis est donc très mitigé sur vos allégements de charges sur les bas salaires comme sur votre politique de la ville.

Dans le même esprit, afin de soutenir la recherche et le développement, vous nous proposez pour toute politique la création d'un statut de « jeunes entreprises innovantes », fondé sur les recettes habituelles : exonérations d'impôt sur les bénéfices et faculté laissée aux collectivités d'y ajouter des exonérations de taxes locales. Les conditions pour en bénéficier ? Il faudra atteindre trois seuils : un fixé en termes d'effectifs, un autre en termes de chiffre d'affaires et le dernier en termes de dépenses de recherche.

Il serait évidemment prématuré de juger de l'efficacité de ce dispositif, mais comment ne pas être prudent quand on voit combien la politique menée en 2003 a été désastreuse pour la recherche ? Mme Haigneré n'a cessé de répéter que celle-ci constituait une priorité nationale, mais Bercy a mis « en réserve » 314 millions de crédits inscrits pour 2002 ; 150 postes permanents ont été supprimés dans les organismes publics, dont 137 pour le seul CNRS ; n'ont été ouverts aux concours que 357 postes, contre 580 l'année passée et les crédits de fonctionnements des établissements publics scientifiques et techniques ont été réduits de quelque 30 % au total.

L'expatriation de jeunes chercheurs ne résulte pas seulement, comme vous voudriez le faire accroire, de la rigidité des statuts et de la faiblesse des rémunérations : elle est provoquée également par la dégradation des conditions de travail et par l'impossibilité de mener les programmes à leur terme. Par ailleurs, la loi sur l'archéologie préventive témoigne de votre peu de considération pour la culture et la science lorsqu'elles sont dépourvues de rentabilité économique à court terme. Ignorez-vous que, pour moitié, la croissance économique d'un pays dépend de son potentiel de recherche et d'innovation ? Pour tenir l'engagement pris à Lisbonne en mars 2000, et consacrer 3 % de son PIB à la recherche en 2010, la France devrait augmenter ses dépenses de 80 % ! Il est évident qu'elle n'en a pas pris le chemin et si l'on annonce pour 2004 un budget en hausse, prenons garde : crédit voté n'égale pas crédit versé !

Adopter l'article 6 serait vous donner un chèque en blanc. Or, la confiance se mérite par autre chose que des dissertations, cependant que l'effort collectif de recherche exige bien plus que ce dispositif de « jeunes entreprises innovantes ».

M. le Président - L'amendement 482 de M. Garrigue n'est pas défendu.

M. le Rapporteur général - A la demande de son auteur, j'en dirai tout de même un mot. Auparavant, toutefois, je répondrai brièvement à M. Brard.

On peut être hostile a priori aux exonérations de charges ou d'impôts locaux, mais les entreprises visées par cet article sont le type même de celles que nous pourrions accueillir dans l'association des collectivités territoriales de l'Est parisien que nous avons créée ensemble, Monsieur Brard ! J'espère que, le cas échéant, la ville de Montreuil acceptera de les exonérer de taxe professionnelle...

M. Jean-Pierre Brard - Nous verrons.

M. le Rapporteur général - Quant à notre collègue Garrigue, il propose d'ouvrir le statut de « jeune entreprise innovante » aux entreprises nées par essaimage, c'est-à-dire avec l'assistance d'une grande entreprise. L'idée est intéressante, mais l'amendement a l'inconvénient de prévoir que l'« entreprise-mère » continuerait de détenir 50 % des parts de l'entreprise qu'elle a portée sur les fonts baptismaux. Or, aux termes de l'article 6, le capital de la « jeune entreprise innovante » doit être détenu au moins à 75 % par des particuliers. Il faudra donc trouver une rédaction plus satisfaisante.

M. le Ministre délégué - Monsieur Brard, je vous rappelle que la France est le premier des grands pays de la zone OCDE pour l'effort public de recherche - elle y consacre 0,93 % de son PIB. En revanche, il est vrai que nous devons stimuler l'effort privé, et c'est à quoi tend cet article.

Vous avez raison, Monsieur le rapporteur général, l'amendement 482 n'a pas été amené au stade de la perfection. Le seuil de 75 % pour la détention du capital correspond à la définition communautaire de la PME. Le régime de faveur concerne les entreprises réellement nouvelles et n'a pas, au moins au départ, vocation à s'étendre aux entreprises créées par essaimage. Je vous invite donc à méditer ces points si vous travaillez à une autre rédaction.

L'amendement 482 est retiré.

M. Jean-Pierre Brard - Il y a en effet de quoi méditer, Monsieur le Ministre délégué, lorsqu'on voit les entreprises privées faire comme si la recherche ne les concernait pas : elles attendent tout de l'Etat !

M. Patrice Martin-Lalande - Méditer n'est pas médire !

M. Jean-Pierre Brard - On peut tout de même critiquer ce comportement caractéristique du patronat français : il faut toujours privatiser les bénéfices et nationaliser les déficits. Or, les cadeaux ne sont pas choses propres à encourager l'effort, notamment l'effort de recherche.

Selon la première phrase du 3 du I de l'article, si l'une des conditions requises pour bénéficier du statut de « jeune entreprise innovante » n'est plus remplie, l'entreprise perd le bénéfice de l'exonération. Cependant, la deuxième phrase prévoit que, par exception à cette règle, le bénéfice réalisé est soumis à imposition pour la moitié de son montant au cours de l'exercice pendant lequel le statut a été perdu et au cours de l'exercice suivant. Une chose est claire : les conditions pour bénéficier de ce statut sont cumulatives, et non alternatives. Autrement dit, si une condition est remplie et que l'autre ne l'est plus, l'entreprise perd ce statut.

Nous ne voulons pas mener bataille sur ce point, mais il nous semble que toutes ces conditions doivent avoir la même importance. C'est pourquoi nous proposons par l'amendement 308 de réserver le bénéfice des dispositions d'exception - celles de la deuxième phrase - aux seules entreprises qui ont perdu leur qualité de « jeune entreprise innovante » pour n'avoir pas respecté la condition relative au nombre maximum d'employés.

En effet, on ne peut pas pénaliser une entreprise qui crée des emplois et dépasse le seuil de 250 salariés, on devrait au contraire l'encourager !

En revanche, si l'entreprise perd sa capacité d'innovation, elle ne remplit pas son contrat et il n'y a aucune raison de continuer à l'aider.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. La restriction apportée par cet amendement remettrait en cause l'intérêt du dispositif.

M. le Ministre délégué - Même avis.

L'amendement 308, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Vos arguments sont un peu courts !

Cependant, pour montrer une bonne volonté, je retire l'amendement 307.

Quant à l'amendement 320 rectifié, il tend à démontrer le caractère peu adapté du dispositif en faveur des entreprises innovantes.

Il est clair que les exonérations que pourront accorder les collectivités locales dépendront de leurs ressources fiscales. Autrement dit, vous vous contentez de leur accorder des droits virtuels, des droits conditionnés à leur plus ou moins grande richesse.

Les collectivités pauvres au niveau des bases imposables devraient, pour accorder des exonérations, les compenser par une augmentation de la pression fiscale sur les particuliers. Or, elles pratiquent déjà, en général, des taux élevés.

L'Ile-de-France représente 28 % du PIB et le revenu médian s'y établit à 17 100 € par unité de consommation, contre moins de 12 000 € dans le Nord-Pas-de-Calais. C'est dire l'inégalité des capacités contributives des ménages selon les régions et les communes. A qui pourrez-vous faire croire que la commune de Stains, en Seine-Saint-Denis, pourrait compenser des exonérations accordées à des entreprises par une ponction sur ses habitants, qui ont des capacités contributives dérisoires ?

C'est pourquoi nous jugeons inacceptables les paragraphes II et III de ces articles et proposons leur suppression.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. Les exonérations d'impôts locaux sont facultatives. Certes, les collectivités les plus riches pourront les décider plus facilement que les collectivités pauvres. Mais avec la réforme des dotations de l'Etat, nous engageons un véritable effort de péréquation et cela répond à vos objections.

M. le Ministre délégué - Même avis. Je rappelle que désormais les collectivités locales doivent disposer de façon déterminante de ressources locales propres. Le nouveau principe constitutionnel nous interdit de décider à leur place des exonérations des impôts locaux, même compensés.

L'amendement 320 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Augustin Bonrepaux - La réponse du ministre est édifiante : il n'y aura plus de politique d'aménagement du territoire. Quand nous voudrons alléger les charges des entreprises en zone rurale, on nous opposera que la Constitution ne le permet pas ! Et comme en même temps vous procédez à des transferts de charges vers les collectivités locales, leur autonomie fiscale sera très réduite. Il y a de quoi être inquiet - et cela d'autant plus que le projet de loi sur le développement rural procède de la même logique : il autorise les collectivités locales à encourager fiscalement l'installation de médecins et vétérinaires en zone rurale... mais sans compensation de l'Etat ! Est-ce cela, la nouvelle politique d'aménagement du territoire ?

C'est pure hypocrisie. Il est clair que les collectivités les plus riches auront les moyens d'encourager l'implantation de nouvelles entreprises, mais non les autres, de sorte que les activités vont se concentrer encore davantage dans les zones prospères.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable à l'amendement. Pour nous, l'effort de solidarité entre collectivités territoriales doit passer par les dotations plutôt que par les exonérations et dégrèvements d'impôts compensés (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), qui sont invisibles et contribuent et déresponsabiliser les acteurs locaux.

Nous aurons le loisir d'en discuter à nouveau quand nous aborderons la réforme des dotations d'Etat. Il conviendra de bien distinguer ce qui relève de la garantie de stabilité et ce qui relève de la péréquation et nous aurons toute l'année 2004 pour réfléchir à des critères de péréquation plus efficaces.

M. Augustin Bonrepaux - Mais vous n'avez rien !

M. Jean-Yves Chamard - On pourra continuer à accorder des exonérations, mais à condition d'en supprimer d'autres ou de créer des recettes nouvelles. Rien ne nous interdit de mener une politique d'aménagement du territoire.

M. Augustin Bonrepaux - Il faut bien lire les rapports annexés à la loi de finances : la progression des dotations pour les communes les plus pauvres ne sera que de 1,5 %, à peine le taux d'inflation. Le Gouvernement a d'ailleurs expliqué que c'est un rattrapage de l'année dernière, où la DGF n'a pas été revalorisée. Et ce qu'on semble vous donner d'une main est plus que repris de l'autre main, puisque les compensations vont être réduites de 3,47 %.

On verra en 2004 les graves conséquences de ces dispositions.

L'amendement 232, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Les paragraphes II et III de l'article 6 montrent bien que votre politique de décentralisation n'est pas de nature à corriger les inégalités territoriales.

Vous proposez de donner aux collectivités territoriales la faculté d'accorder aux jeunes entreprises innovantes des exonérations de taxe foncière et de taxe professionnelle pour une durée de sept ans ; mais il semble qu'elles ne donneront lieu à aucune compensation financière de la part de l'Etat. Cela peut paraître logique, dans la mesure où il ne s'agit pas d'un transfert de charges, mais d'une simple faculté offerte aux collectivités ; mais cela ne peut qu'aggraver les inégalités territoriales. Je rejoins là ce que disait M. Bonrepaux sur la disparition de toute politique d'aménagement du territoire, sujet sur lequel nous aimerions vous entendre, Monsieur le ministre.

En 2000, huit régions concentraient les deux tiers du PIB, - dont 28 % pour l'Ile-de-France -, mais le Limousin n'en représentait qu'1 %, la Franche-Comté 1,5 %, et le Nord-Pas-de-Calais 5 %. S'ajoutent à ces inégalités entre régions les inégalités intra-régionales : dans les Hauts-de-Seine, dont le PIB équivaut à celui de la Grèce, je vous laisse comparer Neuilly, chère à notre ministre de l'intérieur, et Bagneux, chère à notre collègue Mme Jambu ! Votre dispositif, qui est à l'image de vos choix en termes de décentralisation, va encore aggraver la situation. C'est pourquoi nous proposons par notre amendement 319 de supprimer le III de cet article.

M. le Rapporteur général - Même avis que précédemment.

M. le Ministre délégué - Egalement.

L'amendement 319, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur général - Mon amendement 390 est de précision.

L'amendement 390, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur général - L'amendement 41 de la commission a pour but de faire coïncider le plafond des droits de vote avec celui des droits financiers.

L'amendement 41, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur général - Mon amendement 391 rectifié est rédactionnel et mon amendement 392 est de coordination.

Les amendements 391 rectifié et 392, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.

L'article 6 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 6

M. Gilbert Gantier - L'amendement 274 de M. de Courson concerne l'imposition des produits latents sur les stocks à rotation lente, notamment dans le secteur viticole. Il a pour but d'y surseoir en cas de transformation ou de changement de régime fiscal d'une société sans création d'une personne morale nouvelle.

M. Philippe Auberger - C'est un amendement à votation lente ! Voilà dix ans qu'il revient régulièrement (Rires sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur général - Avis défavorable, mais je crois que le Gouvernement a du nouveau à nous apporter !

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement partage le souci d'assurer la neutralité de la transformation des entreprises. Cet amendement n'est pas acceptable en l'état, mais s'il est retiré, je m'engage à présenter un texte qui répondra à ses objectifs dans le cadre de la prochaine loi de finances rectificative.

M. Patrice Martin-Lalande - Très bien.

M. Gilbert Gantier - Dans ces conditions, je ne vois pas comment je m'obstinerais !

L'amendement 274 est retiré.

M. Jean-Pierre Brard - Notre amendement 165 vise à plafonner l'avantage fiscal tiré de l'autorisation de consolider au niveau mondial les résultats des exploitations directes ou indirectes, situées en France ou à l'étranger, des sociétés françaises. Ce mécanisme du « bénéfice mondial consolidé », s'il ne profite qu'à une douzaine de sociétés ayant reçu l'agrément du ministère des finances, coûte néanmoins à l'Etat 400 millions d'euros par an. Il consiste à additionner les bénéfices réalisés dans le monde entier, à les amputer des pertes réelles ou supposées, à calculer l'impôt théorique au taux français et à en soustraire les impôts déjà payés dans chaque pays par les filiales étrangères. Nous proposons de limiter l'avantage à 20 % de l'impôt qui serait normalement dû - d'autant que, par parenthèse, il faut y ajouter l'avantage que les sociétés s'accordent à elles-mêmes en ouvrant des comptes dans les paradis fiscaux, et en participant ainsi à l'évasion fiscale à l'échelle planétaire. Parmi ces grandes sociétés, il en est certaines dont l'Etat est directement actionnaire, et d'autres dans lesquelles, la Caisse des dépôts, étant impliquée, il serait facile pour vous, Monsieur le ministre, de faire apparaître la vérité si vous en aviez la volonté politique.

M. le Rapporteur général - Défavorable.

M. le Ministre délégué - Egalement.

M. Jean-Pierre Brard - Ce silence est éloquent...

M. le Rapporteur général - Nous examinons cet amendement depuis des années !

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas une raison suffisante pour ne pas répondre !

M. le Ministre délégué - Je vais le faire, d'autant que nous avançons bien dans le débat et que je vous remercie, Monsieur Brard, de contribuer à le rendre plus fluide.

Voici l'explication technique. Le régime du bénéfice consolidé ne fait que placer les groupes agréés dans une situation comparable à celle de leurs concurrents étrangers. Il n'est pas réservé aux grands groupes : une société agréée sur quatre est de taille moyenne.

La mesure que vous proposez n'aurait pas pour effet de diminuer le coût budgétaire du régime puisque les impôts étrangers dont l'imputation serait ainsi plafonnée deviendraient reportables sur les exercices suivants... Faisant perdre toute cohérence au dispositif, et sans équivalent à l'étranger, elle risquerait d'entraîner une désaffection pour ce régime, pourtant bien nécessaire.

M. Jean-Pierre Brard - C'est une réponse technique, mais vous connaissez la différence entre le technique et le politique... Vous savez bien que nombre de ces groupes trichent légalement et pratiquent l'évasion fiscale, par exemple aux Pays-Bas. Vous savez comme moi que si votre administration veut contrôler un groupe français qui y a une filiale, il vous faudra demander l'aide de l'administration néerlandaise, qui elle-même demandera l'accord du responsable de la filiale - dont vous imaginez la réponse ! Sans volonté politique de votre part, on ne peut rien faire.

En ce qui concerne la fluidité du débat, nous nous sommes fixé pour objectif de rendre celui-ci transparent pour l'opinion. Notre but est donc d'exercer notre droit à la pédagogie politique. Nous irons au rythme prévu, en donnant les coups d'accélérateur nécessaires. C'est une façon de maîtriser le temps.

L'amendement 165, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 166 est de repli.

L'amendement 166, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - La chute actuelle des investissements est une des raisons de la récession économique.

Il faut donc inciter les entreprises à investir. Nous proposons de favoriser fiscalement les bénéfices, à condition qu'ils soient réinvestis, et d'assujettir les bénéfices distribués à un taux majoré de 40 % au titre de l'impôt sur les sociétés.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable.

Le taux de l'impôt sur les sociétés est en France, parmi les plus élevés d'Europe : 36 %, au lieu de moins de 30 % en Allemagne. Cet amendement ne tient pas compte du fait que les résultats distribués ont déjà subi un impôt sur les sociétés à un taux élevé.

L'amendement 169, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - L'interprétation de l'amendement 168 est identique. Nous ne voulons pas pénaliser les entreprises. Nous voulons les inciter à investir. Nous proposons d'utiliser l'impôt sur les sociétés comme un levier favorisant la logique industrielle et non pas financière.

L'amendement 168, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Ministre délégué - La mise en _uvre d'une procédure collective à l'encontre d'une société titulaire d'une créance sur le Trésor née de l'option pour le report en arrière des déficits, ne permet pas aujourd'hui d'en obtenir le remboursement avant l'expiration d'un délai de cinq années. Grâce à l'amendement 413, le remboursement pourrait intervenir dès le jugement prononçant le redressement ou la liquidation de la société créancière.

Il s'agit de mettre la fiscalité au service des entreprises pour assurer leur pérennité, donc préserver l'emploi.

M. le Rapporteur général - Avis favorable.

Cet excellent amendement prolonge d'ailleurs une proposition faite par M. Charles de Courson à l'occasion du débat sur le texte d'initiative économique.

En effet, le régime en vigueur pénalise les salariés car, pour imputer sur les plus-values les moins-values subies sur les actions qu'ils détiennent, il leur faut attendre le jugement définitif.

Ne pourrait-on toutefois remonter encore plus en amont et envisager le remboursement dès le dépôt de bilan ?

M. le Ministre délégué - Nous examinerons cette question au cours de la navette. Je ne veux pas improviser en séance.

L'amendement 413, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Le régime d'intégration fiscale autorise les sociétés mères à déduire de leurs propres bénéfices les déficits qu'elles organisent sur les comptes de leurs filiales.

Ce dispositif, largement utilisé par les grands groupes, permet à de grosses firmes de voir leur impôt sur les sociétés réduit d'environ 40 %.

L'amendement 329 propose de pénaliser fiscalement les stratégies spéculatives et de délocalisation en plafonnant à 4 millions d'euros le bénéfice du régime d'intégration fiscale.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. Ces réductions, parfaitement encadrées par la loi, ne sont pas des opérations spéculatives.

L'amendement 329, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 330 vise à limiter le bénéfice de la réduction de la contribution sur résultats imposables aux entreprises dont le chiffres d'affaires est inférieur à 10 millions d'euros.

En effet, cette réduction est substantielle pour les PME puisque la contribution, fixée à 10 % de l'impôt sur les sociétés, et calculée sur leurs résultats imposables, est ramenée à 3 % pour les exercices clos ou la période d'imposition arrêtée à compter du 1er janvier 2002.

Il est normal, en revanche, que les entreprises importantes acquittent cette contribution sur l'impôt des sociétés au taux normal.

Je rappelle que le taux moyen d'impôt sur les bénéfices des sociétés appliqué dans l'Union européenne est passé d'environ 45 % en 1985 à guère plus de 30 % en 2002. Ce dumping fiscal est injuste et dangereux.

M. le Rapporteur général - Même avis que précédemment, pour les mêmes raisons.

L'amendement 330, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - La polémique sur la réduction du temps de travail suscitée par les ultra-libéraux - qui viennent d'être poussés à rentrer dans le rang par le Président de la République - s'est dégonflée. Le caractère excessif et infondé des attaques est clairement apparu. M. de Robien a lui-même déclaré que la réduction du temps de travail va dans le sens de l'Histoire.

Ces députés prétendument réformateurs sont en fait, comme aurait dit Daumier au XIXe siècle, les plus réactionnaires.

Dès lors, la conclusion d'un accord sur la réduction du temps de travail dans une entreprise nous semble être un critère pertinent pour ouvrir droit à certains avantages fiscaux. Tel est le sens de l'amendement 331, qui subordonne à l'existence d'un tel accord le bénéfice de la réduction à 3 % de la contribution à l'impôt sur les sociétés.

M. le Rapporteur général - La commission a émis un avis défavorable car les dispositions fiscales n'ont pas à être liées à des accords sur le temps de travail.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Jean-Pierre Brard - J'entends bien l'avis exprimé en commission, mais elle comporte en son sein des « réformateurs » qui ont un certain ascendant et ont provoqué un refus.

Mais depuis, la parole présidentielle s'est exprimée. Et vous qui marchez au sifflet, vous qui êtes si disciplinés après avoir récupéré au clou le centralisme démocratique, soyez fidèles à la quintessence de la pensée présidentielle (Sourires).

M. le Rapporteur général - Je n'ai pas encore été touché par le centralisme présidentiel.

M. Eric Besson - L'amendement de M. Brard aurait mérité une autre réponse : la question est de savoir si les allègements sans contrepartie d'emploi sont efficaces. Il est clair que non pour les contrats jeunes en entreprise.

M. Michel Bouvard - Ils marchent très bien, et nous vous le démontrerons !

M. Eric Besson - Vous démontrerez que ce sont des contrats sans formation...

M. Michel Bouvard - Ils sont formés en entreprise !

M. le Ministre délégué - C'est la meilleure formation !

M. Michel Bouvard - C'est mieux que les emplois jeunes, occupés par des bac + 5 !

M. Eric Besson - Vous démontrerez aussi un effet d'aubaine, puisque nombre de contrats existants ont été requalifiés de contrat jeune en entreprise.

M. Brard a été trop bon en faisant peser l'essentiel de la responsabilité de cette polémique que le Président de la République a jugée « imbécile » sur M. Novelli et les réformateurs. Monsieur le ministre, c'est vous qui en êtes à l'origine ! Vous êtes le premier à avoir chiffré les 35 heures, à 15 milliards d'ailleurs avant que M. Mer ne les estime à 10 milliards et le rapporteur général à 7 ou 8 milliards !

M. Michel Bouvard - On ne peut pas dire en tout cas qu'elles ne coûtent rien !

M. Eric Besson - Mme Fontaine, elle, a joliment dit qu'elle ne donnerait aucun chiffre mais qu'elle était d'accord avec tous ceux qui avaient été cités !

Nous avons demandé une commission d'enquête, et nous regrettons que vous n'y ayez pas donné suite. Il faudra bien qu'un jour la vérité éclate, qu'on connaisse précisément le coût des allègements Aubry et qu'on puisse le comparer aux allègements Juppé-Balladur ou Fillon. N'ayons pas peur d'aller jusqu'au bout de la polémique née de votre faute, Monsieur le ministre, et qui n'est qu'anesthésiée par l'intervention du Président de la République. Les Français ont le droit de connaître la vérité.

M. le Président de la commission - La vérité financière existe, et il faudra effectivement la connaître. Pour ma part, je me range à l'opinion du ministre des finances. Président du conseil d'administration d'un hôpital et maire d'une ville, je peux mesurer les conséquences financières des 35 heures, qui empêchent de mener d'autres actions sans doute plus utiles pour le pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Eric Besson - Il faut les chiffrer !

M. le Président de la commission - Bien sûr, c'est de notre intérêt ! Alors que vous prétendiez que la France prendrait la tête d'un combat mené dans toute l'Europe, je ne peux que constater qu'aucun des quatorze autres pays de l'Union ne nous a suivis dans cette voie absurde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Eric Besson - Je connais l'honnêteté intellectuelle du président de la commission et son opposition de toujours à cette mesure, mais le débat ne porte pas seulement sur l'efficacité des 35 heures ! Le ministre du budget avait lancé très précisément la polémique sur le coût des 35 heures pour les finances publiques et sur l'efficacité comparée des allégements Aubry. Des chiffres ont été jetés en pâture au public et nous voulons démontrer qu'ils sont faux. Puisque vous êtes déterminé, Monsieur le président, usez de votre autorité, qui n'est pas mince, pour qu'une commission d'enquête - pas une mission d'information qui n'a pour but que d'enterrer le débat - nous permette de faire toute lumière sur la question.

M. Augustin Bonrepaux - M. Méhaignerie a fait état de son expérience, qu'il me soit permis de faire de même ! Président moi-même d'un conseil général et du conseil d'administration d'un hôpital, je n'ai pas à déplorer les inconvénients qu'il a évoqués. Je lui fais d'ailleurs remarquer que l'augmentation des impôts est moins importante en Ariège qu'en Ille-et-Vilaine ! Il est vrai que nous avons créé des emplois, qui contribuent au financement de l'Etat et de la sécurité sociale et à la réduction du chômage. Et encore n'a-t-on pas mesuré tous les effets positifs des 35 heures : les responsables du tourisme par exemple se félicitent de l'étalement de la saison touristique, notamment dans le Var et dans les Alpes-maritimes, qui ne sont pas précisément des départements de gauche !

M. Didier Migaud - Monsieur le président de la commission des finances, soutiendrez-vous avec nous, dès mardi, une proposition de commission d'enquête sur le coût des 35 heures ?

M. Jean-Pierre Brard - Je ne pensais pas que mon amendement déclencherait une confrontation aussi intéressante ! J'ai été étonné de l'ire subite du président de la commission, habituellement beaucoup plus placide : comme s'il avait été choqué par la remarque du Président de la République ! Fort habilement cependant, il n'a pas exprimé son désaccord avec le Président mais son accord avec le ministre, ce qui, contrairement à ce qu'on pourrait penser, revient au même.

Nous sommes à fronts renversés : nous avons voté pour le Président de la République au mois de mai, nous avons soutenu ses positions sur l'Irak, à la différence du fan club de M. Madelin ; à propos de l' « idiotie » du pacte de stabilité européen, on entend dans la majorité des propos pour le moins contradictoires, et je ne reviens pas sur les propos du Président quant aux 35 heures... Je pense qu'il a plus de sens politique que beaucoup dans cette assemblée, ou en tout cas un plus grand sens de la prudence : il sait jusqu'où le peuple français est capable de supporter les excès des extrémistes de l'UMP...

Il faut apaiser le débat.

M. le Ministre délégué - Il l'est !

M. Jean-Pierre Brard - Pour réduire les passions, redevenons objectifs. Les commissions d'enquête sont de véritables rayons X : en créer une permettrait d'établir les faits. Nous répondrions ainsi à la volonté présidentielle de calmer les ardeurs au sein de l'UMP, car je suis bien convaincu que certains propos déraisonnables n'ont pas été tenus par man_uvre politicienne, mais par manque de données objectives ! Pour ma part, je pense que les chiffres qui résulteront de la commission seront très proches de ceux donnés par Martine Aubry cette semaine dans Le Parisien.

M. le Ministre délégué - Monsieur Besson, je ne sais s'il vous est possible d'imposer des questions aux journalistes avant une interview. Ce n'est pas mon cas. J'ai été amené à répondre sur le coût des 35 heures lors d'une émission télévisée.

M. Eric Besson - Faible circonstance atténuante !

M. le Ministre délégué - Ce n'est qu'une circonstance de fait. Pour répondre, figurez-vous que je me suis fondé sur vos propres chiffres : 8 milliards de recettes de cotisations sociales, 2 milliards au titre des coûts de fonctionnement de la fonction publique et 7 milliards, selon le programme de stabilité déposé par votre gouvernement auprès des autorités européennes, pour compenser le surcoût imposé aux entreprises entre 2003 et 2005. Et dans ma bonté, huit plus deux plus sept font quinze ! Je suis bien mal récompensé !

Une chose est sûre : l'exercice 2002, qui est clos, a abouti à un déficit légèrement supérieur à 3 %. Ce n'est pas abuser que de dire que sans les 35 heures, nous n'aurions pas franchi le seuil de 3 % ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Eric Besson - Le sujet est trop grave pour être traité de telle façon. Je suis heureux que vous détailliez, pour la première fois, les chiffres que vous aviez rendus publics, mais vous additionnez le coût passé et le coût futur de la mesure ! Vous expliquez le déficit actuel par le coût des trois années à venir ! Par ailleurs, vous passez sous silence les cotisations sociales nouvelles dues aux créations d'emplois. Si vos services n'ont pas pensé à les chiffrer, nous l'avons fait !

Qu'il s'agisse du coût des 35 heures ou de l'efficacité comparée des différents allégements, seule une commission d'enquête pourra établir les chiffres. Monsieur le président de la commission, répondez-nous : êtes-vous prêt à soutenir notre demande ?

M. le Président de la commission - Oui, je suis prêt à la transparence financière et, oui, je considère que la clarification des comptes et les comparaisons européennes doivent faire l'objet de notre travail des prochains mois.

MM. Didier Migaud et Eric Besson - Et la commission d'enquête ?

L'amendement 331, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Muguette Jacquaint - Ce débat est éclairant ! Je pense également qu'une commission est nécessaire pour rétablir les faits, car on entend vraiment dire tout et n'importe quoi, et surtout que les Français ne veulent pas travailler...

M. le Ministre délégué - Mais si, justement, ils veulent travailler.

Mme Muguette Jacquaint - Oui, ils le veulent ! Et vous inventez un dispositif tel qu'ils trouveront encore moins de travail !

L'amendement 107 tend à relever de 3,3 % à 5,5 % le niveau de la contribution sociale à laquelle sont assujettis les redevables de l'impôt sur les sociétés. Il n'est pas besoin de revenir sur la situation calamiteuse des finances publiques ni sur l'ampleur du déficit, chacun en est conscient. Il serait donc judicieux de dégager de nouvelles recettes fiscales sans qu'elles proviennent toujours des mêmes poches : les poches de ceux qui n'avaient déjà guère de ressources et qui les voient se réduire comme peau de chagrin.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable car l'impôt sur les sociétés en France est un des plus élevés d'Europe. Si l'on veut éviter les délocalisations, il importe de ne pas l'augmenter encore.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Jean-Pierre Brard - Mais il faut cesser de répéter sans démontrer ! Vous savez bien que c'est la totalité des prélèvements qui compte ! Comment expliquez-vous, alors que nous soyons le quatrième exportateur mondial et le deuxième pays d'accueil des investissements étrangers après la Chine ? Que ne lisez-vous plutôt votre collègue de Villepin qui vous invite à ne pas vous tirer une balle dans le pied ? Protégez l'image de la France ! Arrêtez de démoraliser les Français !

Un député UMP - Et vous, arrêtez de démoraliser les chefs d'entreprise !

M. Didier Migaud - Il faut dire que l'exemple vient de haut !

M. Jean-Pierre Brard - Ce sont les contradictions internes à la majorité... J'espère néanmoins qu'une lecture attentive de l'article brillant publié par le ministre des affaires étrangères dans Le Monde du 8 octobre convaincra ses collègues et sa majorité du danger qu'il y a à critiquer systématiquement ce qui se fait en France.

M. le Rapporteur général - J'ai ici le tableau comparatif du taux effectif de prélèvement, tous impôts confondus, concernant les entreprises en Europe, et il s'étage de 34,7 % pour la France à 10,9 % pour l'Irlande. Nous sommes incontestablement dans la partie haute de ce tableau, et nous devons donc être vigilants à ne pas accroître encore la taxation. Quant à l'afflux de capitaux, à quoi servent-ils ? Pour une part significative, à prendre le contrôle d'entreprises françaises. Après quoi, les choses se passent très mal pour l'emploi.

L'amendement 107, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur général - L'amendement 393 est rédactionnel.

L'amendement 393, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 167 tend à plus de transparence dans l'établissement des charges déductives dont font état les entreprises domiciliées dans les paradis fiscaux. Ainsi vos services, dont je loue la grande qualité, Monsieur le ministre, mais qui sont parfois bridés dans leur élan lorsqu'il s'agit de remplir les caisses de la République en débusquant l'évasion fiscale, verront leur tâche facilitée et leur capacité de sanctionner les tricheurs renforcée.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable, car les outils de contrôle que vous proposez existent déjà, et sont utilisés par l'administration fiscale. Il n'y a donc aucun risque de dérapage.

M. le Ministre délégué - Je confirme sans aucune ambiguïté que le Gouvernement est très attaché à la lutte contre les paradis fiscaux. Toutefois, comme l'a souligné votre rapporteur général, les services du ministère, auxquels je tiens à rendre un hommage mérité, font déjà le meilleur usage de l'article 238A du CGI pour contrôler les versements auxquels vous avez fait allusion, et dont la prise en compte est déjà subordonnée à une obligation de déclaration. D'autre part, l'obligation nouvelle que vous souhaitez créer pourrait être facilement contournée en ayant recours à un établissement financier « relais » situé dans un pays tiers. En bref, l'amendement n'apporte rien au dispositif existant, qui est déjà performant.

M. Eric Besson - J'aimerais que le rapporteur général précise son propos relatif aux investissements étrangers en France. Il me paraît singulier que, quoi qu'il se passe, ce soit toujours décrit comme négatif pour notre pays. L'euro est fort ? Ce n'est pas bon. L'euro est faible ? C'est mal. Nous n'attirons pas les investisseurs ? C'est que nous ne sommes pas compétitifs. Nous les attirons ? Ils détruisent l'emploi ! Mais enfin, que veut-on ? Quelles peuvent être les bonnes nouvelles ? Et sur quelles études vous appuyez-vous pour expliquer que les investissements étrangers en France sont plus inquiétants que constructifs ?

M. le Président de la commission - Vous n'avez pas tort, les études sont parfois contradictoires et elles demandent donc à être analysées soigneusement. Ainsi, il est bon de comprendre l'impact des investissements étrangers faits dans notre pays. C'est pourquoi je me suis penché sur les tableaux de l'agence française pour les investissements internationaux.

J'ai constaté qu'on y enregistrait les créations d'emplois, les extensions, etc.

M. Michel Bouvard - Tout mélangé !

M. le Président de la commission - ...mais non les disparitions d'investissements étrangers. Ainsi, pour mon département, on ne mentionnait pas la fermeture de Mitsubishi, qui s'est accompagnée de la suppression de mille emplois, ni celle de Kenwood et de bien d'autres. Nous avons donc besoin d'une étude plus fouillée.

Vous avez raison : nous ne sommes pas en mauvaise position pour les coûts. Mais la rigidité de nos règlements nous handicape. C'est elle, par exemple, qui a conduit Nestlé à investir en Suisse plutôt qu'en France ou en Allemagne, bien que le coût horaire du travail y soit plus élevé : l'entreprise était en effet exposée à procéder à des adaptations rapides, exigeant parfois la fermeture d'unités. Vous soulevez donc un vrai problème mais, pour éviter de poser le mauvais diagnostic, donc d'appliquer le mauvais remède, nous avons intérêt à approfondir notre réflexion.

L'amendement 167, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Gilbert Gantier - L'article 787 C du code général des impôts interdit à une entreprise ayant bénéficié d'un avantage fiscal de céder une partie de ses actifs d'exploitation. Cette disposition apparaît parfaitement normale, mais elle comporte aussi un élément de rigidité qui peut être préjudiciable au bon fonctionnement de l'entreprise. Par son amendement 191, M. de Courson propose donc de maintenir l'interdiction de céder une partie du capital, mais introduit une obligation de réemploi en cas de cession d'un élément de l'actif, ce qui permettra par exemple de changer de procédé de fabrication.

M. le Rapporteur général - Il me semblait que M. de Courson avait retiré cet amendement... Toujours est-il que l'avis de la commission était défavorable : il n'y a pas lieu de revenir sur la durée de six ans exigée par ce qu'il est convenu d'appeler le « pacte Migaud-Gattaz » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), car il y va de la stabilité de l'actionnariat. Toutefois, en vertu d'une instruction fiscale, certains éléments de l'actif peuvent être cédés au cours de ces six années, ce qui devrait vous donner satisfaction, Monsieur Gantier.

M. Gilbert Gantier - Dans ces conditions, je retire l'amendement.

L'amendement 191 est retiré.

Mme Muguette Jacquaint - Le Gouvernement a été prompt à vider de son contenu la loi de modernisation sociale, de sorte que les salariés se retrouvent à nouveau démunis face aux licenciements boursiers qui s'accumulent comme feuilles mortes. Vous avez sans cesse à la bouche le mot « négociation », mais encore faudrait-il que cette négociation soit menée avec le souci du développement industriel et de l'emploi. Nous en sommes loin, apparemment, puisque vous rendez possibles de nouvelles dérogations au droit du travail dans des secteurs où le chantage patronal est monnaie courante ! Vous aggravez ainsi les inégalités, vous renforcez l'arbitraire et minez l'ordre public social.

M. Fillon n'est pas seul en cause : le Premier ministre semble provoquer une épidémie de licenciements ! Pour arrêter celle-ci, il a nommé un « M. Licenciements », auquel il n'a d'ailleurs accordé que des moyens dérisoires : trois fonctionnaires et une secrétaire en tout et pour tout, au bout de mois de démarches. Le baron Seillière, qui s'était inquiété, peut se rassurer : les licenciements économiques pourront se poursuivre.

L'amendement 285 vise à majorer le taux de l'impôt sur les sociétés pour les sociétés qui auront procédé à de tels licenciements au cours d'un exercice bénéficiaire. Dans son rapport du 9 octobre, le Conseil d'analyse économique a en effet appelé à responsabiliser les entreprises en les obligeant à acquitter le coût social de leurs décisions, au lieu de mettre celui-ci à la charge de la collectivité. Notre proposition permettrait de lutter plus efficacement contre les licenciements abusifs, uniquement destinés à augmenter la valeur en bourse des entreprises.

M. le Rapporteur général - Rejet. Abandonnez ce réflexe de défiance envers les entreprises. Plutôt que de toujours songer à réprimer, faites confiance. Pensez par exemple que Michelin, qui avait licencié au cours d'un exercice bénéficiaire, a depuis investi l'essentiel de ses profits dans la recherche et a créé des milliers d'emplois. Elle est aujourd'hui une des plus « performantes » sur les marchés mondiaux. Une entreprise a besoin de bénéfices pour pouvoir innover et la recherche d'aujourd'hui fait les investissements de demain et les emplois d'après-demain.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Eric Besson - Mme Jacquaint a eu le mérite de poser des questions que le Gouvernement et la commission ne peuvent éluder : oui ou non, faut-il tenir compte du comportement de l'entreprise en matière d'emploi ? Faut-il continuer de renvoyer à la collectivité le soin de remédier aux conséquences malheureuses de sa gestion ? Vous accusez notre collègue de brandir des sanctions mais, que je sache, ce sont des dirigeants de notre Etat qui ont popularisé l'expression « patrons voyous » !

Nous ne percevons toujours pas clairement votre politique fiscale. A quoi croyez-vous en ce domaine ? Comment voyez-vous l'avenir de l'impôt ? Mais l'incertitude n'est pas moindre en matière sociale. Lorsque nous avons adopté la loi de modernisation, on nous a accusés d'empêcher la création d'emplois et le développement des entreprises, et M. Fillon en a suspendu plusieurs dispositions pour 18 mois - ce qui est d'ailleurs, incontestablement, une erreur car cela incite les entreprises à anticiper les plans sociaux. Vous auriez tort pour autant d'accuser notre collègue d'archaïsme...

M. le Rapporteur général - Non pas d'archaïsme : de suspicion quelque peu systématique !

M. Eric Besson - ...puisque le Premier ministre lui-même parle de droit au reclassement et annonce une loi sur l'emploi. Que n'aurait-on dit si nous avions tenu les mêmes propos ! Je passe sur le fait que le chef du Gouvernement oublie que le droit au travail figure déjà dans le préambule de la Constitution.

Il va plus loin en suggérant d'aller vers un droit au reclassement. C'est donc le Premier ministre qui met ces questions sur la table et nous aimerions vous entendre exposer la philosophie du Gouvernement sur ces sujets.

Mme Muguette Jacquaint - Ce n'est pas moi qui ai parlé des « patrons voyous » ! Mais la réalité est là.

J'en donnerai un exemple, le groupe Alstom. L'ancien PDG, M. Stuart, qu'on ne peut soupçonner d'être communiste, s'interroge aujourd'hui sur la stratégie qui a conduit cette entreprise, fleuron de l'industrie française, au bord du dépôt de bilan. Nous, les élus locaux, nous lui disions déjà, à l'époque, que cette stratégie allait mener le groupe dans le mur !

Aujourd'hui il le reconnaît lui-même : c'est parce que pendant des années Alstom a cherché avant tout à augmenter ses produits financiers, au détriment des investissements dans la recherche et dans la formation, qu'il se retrouve dans cette situation.

Mais le drame, c'est que ce sont les salariés - et des secteurs entiers de l'industrie française - qui font les frais de ces erreurs de gestion.

On devrait pouvoir les faire payer par les responsables.

L'amendement 285, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - La France est dans une situation économique et sociale très préoccupante. Le contexte international y a certainement sa part, mais il faut s'interroger aussi sur les responsabilités du Gouvernement actuel, qui a les yeux rivés sur l'outre-Atlantique, espérant que le soleil va se lever à l'Ouest...

L'attaque en règle contre les 35 heures est l'illustration de la tactique de la majorité pour masquer les effets dramatiques de sa politique, qui favorise les nantis aux dépens des chômeurs et des salariés en situation précaire.

Tout est de la faute aux 35 heures : la récession, le déficit budgétaire, la crise des hôpitaux, les conséquences de la canicule, la hausse de la fiscalité locale, le chômage...

M. Jean-Louis Idiart - ...le retour de la droite au gouvernement ! (Rires)

M. Jean-Pierre Brard - A moins qu'il ne soit dû à la baisse des impôts ! (Sourires)

Mais personne, à droite, ne s'interroge sur la part de responsabilité du patronat dans la dégradation de la situation de dizaines de milliers de personnes. Si la politique de l'emploi du précédent gouvernement a donné des droits nouveaux aux salariés, elle a donné aussi des avantages conséquents aux patrons. Or quelle a été l'efficacité de ces aides et exonérations ? M. Méhaignerie demande la transparence : elle serait bien utile sur ce sujet.

Même avec Martine Aubry, nous avons eu des débats serrés sur le bien-fondé des allégements de charges. Pour moi, « la preuve du pudding, c'est qu'on le mange » - vous connaissez cette formule ? Elle n'est pas de moi, mais du grand ancêtre barbu ! Eh bien le critère d'évaluation des allégements de charges, c'est leur efficacité : est-ce que ça marche ou pas ? Or, c'est l'échec total, cela n'a jamais créé d'emplois. La preuve, c'est que plus vous allégez les charges, plus le chômage augmente en France ! Mais vous êtes tellement conditionnés idéologiquement que vous vous acharnez dans cette voie, qui est une impasse.

Alors plus que jamais il conviendrait de faire la lumière sur l'utilisation des fonds publics
- subventions, mais aussi exonérations sociales et fiscales. Les seules exonérations de charges sociales, qui coûtent si cher à notre système de protection sociale, atteindront 18 milliards d'euros en 2004, 21 milliards d'euros dans deux ans. Depuis que M. Balladur a lancé cette politique en 1993, le taux de la cotisation patronale sur les salaires au niveau du SMIC est passé de 30,2 % à 4,2 %, soit une division par sept. Malheureusement la courbe du chômage n'a pas suivi la même trajectoire.

Les sociétés qui procèdent à des licenciements économiques alors qu'elles réalisent des bénéfices devraient être tenues de rembourser les aides et exonérations de toute nature qu'elles ont perçues.

Le rapporteur général a évoqué le bon M. François de Clermont-Ferrand : je vous rappelle quand même qu'à deux jours d'écart il a annoncé des bénéfices substantiels et 7 500 licenciements...

M. le Rapporteur général - Il a réembauché !

M. Jean-Pierre Brard - Oui, mais entre temps des gens ont été irrémédiablement massacrés, psychologiquement et socialement !

L'amendement 286, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 10.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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