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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 14ème jour de séance, 34ème séance

1ère SÉANCE DU VENDREDI 24 OCTOBRE 2003

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2004 -deuxième partie- (suite) 2

      CULTURE 2

      QUESTIONS 22

      ÉTAT B, TITRE IV 28

La séance est ouverte à neuf heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2004 -deuxième partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2004.

CULTURE

Mme la Présidente - Nous abordons l'examen des crédits du ministère de la culture et de la communication relatifs à la culture.

M. Olivier Dassault, rapporteur spécial de la commission des finances - « Il faut vouloir ce que l'on ne peut empêcher ». Cette maxime de Portalis semble être la devise du ministère de la culture. Vous nous proposez, Monsieur le ministre, un projet de budget sincère et responsable, qui progresse tout en respectant l'impératif de maîtrise des dépenses de l'Etat. D'un programme imposé, vous faites une figure libre. La France connaît une faible croissance, la hausse du chômage, des déficits publics, et un taux de prélèvement obligatoire élevé, qui témoignent de l'essoufflement d'un modèle social et administratif centralisé et dirigiste. Des réformes trop longtemps différées s'imposent.

La maîtrise des dépenses publiques, la modernisation de l'administration, la réduction du train de vie de l'Etat sont autant de défis à relever pour offrir à la France la place qu'elle mérite à l'échelon européen et mondial.

L'augmentation de 5,4 % des crédits de la culture, si elle témoigne de l'intérêt qu'y porte le Gouvernement n'est pas de nature, Monsieur le ministre, à vous griser, et vous nous présentez un budget responsable. L'augmentation des dépenses de structure est limitée à 0,7 %. Vous consolidez, en 2004, l'effort d'investissement, en maintenant le cap vers les régions.

Avant d'examiner en détail le projet de budget pour 2004, permettez-moi de dresser le bilan de l'année écoulée.

Votre exercice budgétaire 2003 a été une épreuve de force. A cette même époque, l'an dernier, vous nous proposiez une « opération vérité », pour rompre avec l'effet d'affichage et restaurer la sincérité du budget de la culture, notamment en demandant, en loi de finances, des crédits correspondant aux besoins effectifs au ministère. Le ministère de la culture, et nous l'avions dénoncé, souffrait en effet d'une sous-consommation chronique de ses crédits. Selon les estimations les plus récentes, le taux de consommation des crédits pour 2003 devrait être de 91,8 % et nous vous en félicitons.

Par ailleurs, aucun crédit n'a été annulé en 2003, malgré un contexte budgétaire tendu, alors que 200 millions d'euros avaient été annulés sur le budget de la culture entre 1997 et 2002. Enfin, les gels de crédits en cours d'année sont à ce jour levés.

En contrepartie, le ministère de la culture a assumé sur son budget 2003 certaines dépenses exceptionnelles, comme la résorption du déficit de l'INRAP - 27,5 millions d'euros - ou le coût de l'annulation des festivals, que nous avons tous regrettés, en particulier Avignon et Aix-en-Provence - 5 millions d'euros.

M. Michel Françaix - A qui la faute ?

M. le Rapporteur spécial - Au plan strictement comptable, le projet de budget de la culture s'élève en 2004 à 2 634,4 millions d'euros, soit une croissance de 5,4 % par rapport à l'an dernier.

Par ailleurs, le compte de soutien pour le cinéma et la production audiovisuelle sera doté de 470 millions d'euros et 6,8 millions d'euros iront à l'acquisition des trésors nationaux et des biens culturels d'intérêt majeur pour des mécènes.

Les crédits d'intervention, présentés sous le titre IV, progressent de 2,1 %. L'ensemble des secteurs d'intervention de votre ministère en profiteront et notamment le spectacle vivant, le livre et les arts plastiques. Plus de la moitié des crédits d'intervention seront consacrés au spectacle vivant et à la musique.

Près de 32 millions de moyens nouveaux sont dégagés cette année. Cette hausse de 4,42 % permet un soutien accru à l'investissement et aux établissements publics.

La lecture et le livre bénéficieront d'une hausse de 3,69 %, les autorisations de programme passent de 1,67 million à 4,06 millions.

Enfin, votre projet de budget répond à l'exigence de décentralisation culturelle. Les investissements réalisés aux côtés des collectivités locales et en région, soit 59,7 %, dépasseront ceux des grands projets nationaux à Paris et en Ile-de-France, qui représentent 40,3 %.

Vous affectez par ailleurs 20 millions en crédits d'investissement à la rénovation des monuments en région.

Les crédits affectés à la restauration des monuments historiques, hors grandes opérations parisiennes, augmentent de 10 %.

Enfin, le programme d'aménagement du Grand Versailles mobilisera 135 millions sur sept ans.

L'augmentation du budget 2004 s'accompagne d'un effort de maîtrise des dépenses.

Comme l'a souhaité le Premier ministre, 5 000 départs à la retraite ne seront pas remplacés en 2004. Vous le savez, la diminution des effectifs de la fonction publique est la principale marge de man_uvre budgétaire dont l'Etat dispose pour réduire son train de vie.

En 2004, 94 emplois budgétaires ne seront pas reconduits au sein du ministère de la culture. Il s'agit là de près de 2 % de l'objectif global fixé par le Gouvernement alors même que le ministère ne représente qu'environ 1 % du budget de l'Etat.

M. Michel Françaix - Pas tout à fait !

M. le Rapporteur spécial - Et il est plus difficile pour votre ministère de se priver d'une centaine de personnes que pour Bercy de sacrifier 2 000 agents sur près de 180 000.

Vous avez cependant veillé à ce que ni les emplois d'accueil ni les emplois de surveillance dans les établissements qui reçoivent des visiteurs ne soient concernés. De surcroît, dans les situations qui l'exigent, des créations de postes sont prévues.

Vous demandez à vos personnels plus d'efficacité et la commission des finances ne peut que vous y encourager.

L'augmentation du budget 2004 s'accompagne, par ailleurs, d'un redéploiement des subventions.

Le ministère de la culture s'est longuement contenté de reconduire les subventions, sans leur fixer d'objectifs ni évaluer leur utilisation. La qualité et l'innovation en ont souffert.

Depuis mai 2002, vous rompez avec ces pratiques. Chaque direction centrale ou régionale, chaque établissement public devra redéployer, d'ici 2006, 10 % de ses crédits vers des actions nouvelles.

Autre avancée, le ministère de la culture sera l'un des plus performants dans la mise en _uvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances et conformément à la circulaire du Premier ministre du 25 juin 2003, le ministère a défini les grands axes de sa stratégie de réforme.

Or la LOLF rétablit le sens et la portée de l'autorisation parlementaire et permet au Parlement de mieux contrôler les dépenses de l'Etat.

La présentation des crédits en missions programmes et en actions substitue à l'actuel regroupement des dépenses par nature un regroupement orienté vers les résultats des politiques publiques.

« Puisque ces mystères nous dépassent, nous enseigne Jean Cocteau, feignons d'en être l'organisateur. » Vous avez bâti une nouvelle architecture budgétaire, qui sera expérimentée dès 2004. La commission des finances s'en réjouit particulièrement.

La nouvelle nomenclature regroupe sous une mission unique, la culture, des crédits ventilés en trois programmes : la préservation, la conservation et la promotion des patrimoines pour 1,071 milliard - soit 41 % du budget -, le développement et la diffusion de la création pour 847 millions - 32,6 % -, enfin la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture pour 685 millions - 26,3 %.

Ce schéma a le mérite de ne reproduire ni le découpage entre les agrégats actuels, ni l'organisation administrative du ministère. Il identifie clairement les politiques suivies.

Construits selon une logique sectorielle, les deux premiers programmes réaffirment les deux métiers fondamentaux du ministère, le patrimoine et la création. Le troisième, organisé dans une optique fonctionnelle, répond à la nécessité de mieux coordonner les politiques transversales : éducation artistique, recherche, insertion professionnelle.

Ainsi vous respectez le principe de budgétisation par destination.

Vous avez heureusement renoncé à regrouper les moyens des DRAC dans une globalité qui aurait nui à la lisibilité de votre budget et avez défini des programmes qui retracent de manière claire le coût complet des politiques culturelles.

Cette nouvelle architecture soulève cependant des interrogations ? Qui sera responsable des programmes ? Comment ceux-ci seront-ils déclinés sur le terrain et quel sera le contenu de leurs budgets opérationnels ?

La définition du périmètre des plafonds d'autorisation d'emplois reste en suspens. La difficulté tient au poids des emplois financés par les établissements publics.

Mme la Présidente - Je vous prie d'aller vers votre conclusion.

M. le Rapporteur spécial - La budgétisation engagée depuis plusieurs années, notamment par la contractualisation, permet la prise en charge directe par les établissements publics de près du tiers des emplois permanents, titulaires ou contractuels.

La contractualisation doit donc être encouragée : elle offre aux directeurs de ces établissements la faculté de mener une gestion efficace et moderne de leur personnel.

La maîtrise des emplois de la culture, dont je souligne une nouvelle fois la nécessité, passe en grande partie par le suivi des établissements publics. Nous serons donc attentifs à ce qu'une interprétation restrictive de l'article 7 de la loi organique, n'exclue pas les personnels des établissements publics des plafonds d'autorisation d'emplois, ce qui les ferait échapper au contrôle parlementaire.

La définition du périmètre des plafonds d'autorisations d'emplois sera l'occasion pour le Parlement de mesurer la capacité du ministère à maîtriser l'emploi public. Notre vigilance sera à la mesure de nos encouragements.

Je salue par ailleurs votre souhait de développer des objectifs d'évaluation et de performance.

Vous avez placé la réforme de votre administration sous le signe de la modernisation des services et de la réforme des musées nationaux, mais aussi dans la perspective de la révision du périmètre d'intervention du ministère par des transferts de compétences et des externalisations.

Plusieurs expérimentations seront conduites en 2004.

Conformément à la loi organique, vous faites le choix de la qualité du service, de l'efficacité de la gestion des ressources, de la performance et d'un pilotage affiné de vos directions. La maîtrise de votre taux de consommation de crédits en 2003 en est une première illustration.

L'absence de culture de résultat au sein de l'administration fait de ce chantier le plus ambitieux de la loi organique...

Mme la Présidente - Je vous demande de conclure.

M. le Rapporteur spécial - ...Là encore, vous pouvez compter tant sur les encouragements que sur la vigilance de votre rapporteur.

Il me reste à réitérer deux souhaits.

D'abord, que le mouvement engagé en 2003 en faveur de partenariats entre la sphère publique et la sphère privée en matière culturelle s'amplifie.

L'effort d'encouragement du mécénat doit aussi être poursuivi, notamment par l'entremise des fondations.

Mme la Présidente - Vous avez largement dépassé votre temps de parole.

M. le Rapporteur spécial - Je termine.

Il y a quelques mois, vous avez commencé à les réhabiliter. Pour offrir à notre pays toutes les chances qu'il mérite, nous pourrions aller encore plus loin, en les libérant de la tutelle du pouvoir...

M. Michel Françaix - Il n'y a même plus besoin d'Etat !

M. le Rapporteur spécial - ...en s'interrogeant sur la légitimité de la présence des représentants de l'Etat au sein des conseils d'administration.

Il faut aussi réformer le système d'autorisation préalable du ministre de l'intérieur, spécificité française dont nous pourrions utilement nous départir.

Si l'on veut canaliser la générosité des Français, il devra être possible de créer une fondation aussi facilement que l'on crée une association.

Mon deuxième v_u est que vous puissiez être entendu, notamment par la Commission européenne, pour le passage au taux réduit de la TVA sur le disque que vous défendez courageusement depuis votre arrivée Rue de Valois.

Votre projet de budget donne au ministère de la culture les moyens de ses ambitions et répond aux engagements du Gouvernement en faveur de la création, du patrimoine et de l'accès au plus grand nombre à la culture.

Je vous invite donc, à l'instar de la commission des finances, à l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles - Le soutien de l'Etat à la culture est une tradition ancienne en France. Elle assigne à l'Etat la double vocation de garantir la qualité d'une offre culturelle diversifiée et l'égal accès de tous à la culture. Votre budget pour 2004 s'inscrit dans cette tradition. Il tient largement les engagements pris l'an passé. Désavouant ceux qui prédisaient un désengagement de l'Etat, il progresse de 5,8 % à structure constante, consacrant ainsi la culture comme l'une des priorités du Gouvernement.

Dès votre arrivée rue de Valois, vous avez manifesté votre volonté d'assouplir la rigidité structurelle des dépenses du ministère. L'effort de maîtrise est réel : les dépenses de personnel ne représentent plus que 20 % du budget contre 21,6 % en 2003.

Mais votre ministère paye aujourd'hui des années de création de nouveaux établissements publics, essentiellement à Paris, qui sont de véritables tonneaux des Danaïdes.

M. Patrick Bloche - Le centre Pompidou !

Mme la Rapporteure pour avis - Les subventions de fonctionnement accordées aux établissements publics représentent 26,2 % de votre budget.

Seuls un effort continu de rationalisation des emplois et une maîtrise des coûts de fonctionnement permettront de desserrer l'étau budgétaire.

Le budget pour 2004 poursuit l'opération de vérité engagée l'an dernier pour les dépenses d'investissement. Après une année 2003 marquée par la résorption des crédits de paiement reportés, il ouvre le volume de crédits nécessaires pour couvrir les besoins d'investissement réels du ministère. Les crédits de paiement disponibles augmentent de plus de 31,7 %.

La nouvelle politique budgétaire du ministère se résume ainsi : mieux dépenser, mieux décider et responsabiliser.

Mieux dépenser, en s'assurant que les crédits votés sont effectivement dépensés et non pas seulement destinés à gonfler le budget. En 2003, la consommation des crédits, notamment d'investissement, a été améliorée de manière significative : le ministère prévoit une dépense de 2 560 millions d'euros, contre 2 400 en 2002.

Mieux décider, en renforçant la déconcentration des crédits afin d'attribuer les subventions au plus près du terrain. 65 % des crédits sont ainsi déconcentrés.

Enfin responsabiliser, en poursuivant l'effort de maîtrise des dépenses et en donnant plus d'autonomie à certains services qui deviendront soit des services à compétence nationale, comme la Manufacture de Sèvres, soit des établissements publics, comme le musées d'Orsay et Guimet.

La hausse des crédits pour 2004 s'inscrit dans une logique de sincérité et d'efficacité, qui permet de retrouver des marges de man_uvre que la gestion précédente avait singulièrement réduites.

Elle traduit d'abord des priorités. La priorité accordée aux établissements publics correspond à la volonté de les responsabiliser. Celle donnée aux dépenses d'investissement intervient après la forte réduction opérée en 2003. Les autorisations de programme sont orientées en priorité vers des partenariats publics ou privés, ce qui va dans la bonne direction. L'Etat doit désormais plus aider à faire que faire tout seul.

En revanche, la priorité accordée au spectacle vivant et à la musique, dont les crédits d'intervention représentent déjà plus de la moitié de ceux du ministère, ne fait que renforcer le déséquilibre existant avec les grands oubliés que sont l'action internationale, l'éducation artistique et les arts plastiques. Rappelons que le budget du spectacle vivant a déjà augmenté de 8 % en deux ans. Il faut certes faire des choix, mais je me demande s'il faut donner invariablement la priorité aux mêmes secteurs, même si je me réjouis que la jeune création du spectacle vivant soit encouragée en 2004.

Je salue le rééquilibrage des crédits entre la capitale et les régions, que traduisent la déconcentration des crédits et les choix d'investissement : les chantiers en région, cofinancés avec les collectivités locales, représenteront 59,7 % du total en 2004. Un déséquilibrage demeure, mais Paris est une capitale culturelle.

J'ai souhaité consacrer la seconde partie de mon rapport au soutien public à la création contemporaine. Je l'ai fait d'abord par passion, je dois le dire, mais aussi par solidarité envers les créateurs d'art contemporain, éternels parents pauvres du budget de la culture qui ne disposent d'aucun syndicat ou groupe de pression pour se faire entendre. Et par conviction citoyenne : l'art contemporain donne à voir et à entendre une libre interprétation de la réalité. Il remet en cause nos évidences et crée des imaginaires et des transcendances mystérieuses. C'est toute la vitalité de notre société qui se mesure à cette création. C'est la délégation aux arts plastiques qui soutient la création contemporaine sous toutes ses formes. Elle définit la politique d'acquisition et veille à la diffusion du patrimoine. Elle assure la tutelle du centre national d'art plastique, qui lui-même gère le fonds national d'art contemporain et le fonds d'incitation à la création. Elle supervise également les sept écoles nationales d'art et les trente-sept centres d'art. Enfin, elle entretient un partenariat privilégié avec les fonds régionaux d'art contemporain.

Si ces institutions sont peut-être trop nombreuses, leur synergie est extrêmement intéressante. Acquérir des _uvres contemporaines, c'est enrichir le patrimoine, mais également défendre le marché de l'art, qui lui-même entretient l'activité des galeries, lesquelles soutiennent les jeunes artistes. Mais les dotations pour 2004 marquent le pas. Elles s'établissent à moins de 5 % du budget total du ministère. L'on peut espérer que la loi Aillagon sur le mécénat donne une impulsion nouvelle au financement de l'art contemporain. Les lieux d'exposition concourent à la diffusion des _uvres, mais le vecteur le plus démocratique est la télévision. Malheureusement, tant que les chaînes publiques seront dépendantes de la publicité, elles ne pourront assumer leur mission de démocratisation culturelle.

A chaque époque son art, à l'art sa liberté : telle pourrait être la devise de plusieurs de nos institutions. A Paris, le Palais de Tokyo, ouvert en janvier 2002, se veut un lieu de vie et de liberté. Il expose les démarches artistiques les plus singulières dans des espaces ouverts de midi à minuit et qui fonctionnent comme une place méditerranéenne, fluctuant au rythme des visiteurs. Cette association loi 1901 est installée dans des bâtiments publics et financée à 48 % par l'Etat. Le Palais de Tokyo séduit certes, mais il heurte aussi : comment en effet, comme le disent ses directeurs, traduire le bouillonnement créatif de notre époque sans prendre de risques ? Et n'est-ce pas le propre de toutes nouveauté que d'être contestée ? Le ministre de la culture souhaite élargir ses missions pour présenter à un public plus large les _uvres majeures du FNAC et du centre Georges-Pompidou.

D'autres de ces institutions sont les fonds régionaux d'art contemporain. Les FRAC sont l'emblème de la politique française de décentralisation culturelle. Subventionnés par l'Etat et les régions, ils ont pour vocation d'enrichir le patrimoine et de le présenter à la population. Les directeurs jouissent d'une grande liberté d'initiative et proposent des thématiques, comme les « instants paysagers » d'Alsace, qui insufflent ce supplément d'âme indispensable à l'art contemporain. 500 000 visiteurs sur l'année et 287 manifestations ont consacré le succès des FRAC. L'Etat a tenu à leur rendre hommage en fêtant leur vingtième anniversaire. Ils ont permis d'acquérir un patrimoine de qualité avec un budget très modeste. Le ministre a, d'autre part, engagé un vaste programme de construction pour les FRAC de deuxième génération.

Enfin, créée en 1970, la villa Arson, à Nice, est une institution nationale d'art contemporain à vocation internationale unique en son genre. Elle réunit une école nationale supérieure d'art, une centre national d'art contemporain et une résidence d'artistes. Cette synergie est exceptionnelle. L'école forme environ 200 étudiants. La recherche plastique et l'expérimentation des dernières technologies numériques s'y conjuguent avec la pratique, des expositions d'_uvres réalisées soit avec les professeurs, soit avec les artistes en résidence. Le financement de la Villa est assuré à 80 % par l'Etat et pour le reste par les collectivités locales. Malheureusement, faute de travaux, la Villa est privée depuis plusieurs années d'un théâtre de 300 places.

Enfin, comment ne pas parler du mouvement associatif ? La petite équipe du château de Villeneuve, dans les Alpes-maritimes, associe élèves et professeurs au travail des artistes en résidence pour explorer la cité historique de Vence. A Marseille, le bien nommé bureau des compétences et des désirs joue un rôle de producteur et de médiateur entre les artistes et les commanditaires ; son activité crée des liens entre l'art contemporain et la société.

Cependant, malgré les efforts de tous les acteurs et la qualité de l'enseignement spécialisé, la majorité de nos concitoyens ne s'intéressent pas à l'art contemporain. Ainsi que vous l'avez dit, Monsieur le ministre, l'art contemporain s'inscrit dans une chronologie qu'il faut connaître pour apprécier. On devrait apprendre à voir comme on apprend à lire. Picasso disait : « L'art, c'est comme le chinois, cela s'apprend ». Tant que l'art ne sera pas inscrit dans les programmes scolaires généraux, tant que le cursus d'histoire de l'art à l'université ne sera pas sanctionné par une agrégation, toute augmentation du financement public ne servira qu'à soutenir l'activité artistique, et non à démocratiser la culture.

Le budget pour 2004 montre que les engagements de l'an dernier, tant en matière de moyens que de sincérité des comptes, ont été tenus. Les priorités retenues peuvent, bien entendu, prêter à discussion, mais le budget traduit indéniablement la volonté de responsabilité du ministre. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles donne un avis favorable à son adoption (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - Je tiens tout d'abord à donner une information extrêmement intéressante à ceux qui ont participé à la discussion d'hier matin sur le budget de la communication : dans la nuit de lundi, à trois heures du matin, je dormais ! (Rires)

M. Michel Herbillon - C'est à M. Migaud qu'il faut le dire !

M. le Ministre - Le projet de budget pour 2004 traduit la priorité que le Gouvernement accorde à la culture. Il permet au ministère d'honorer les engagements qu'il a pris et de mettre en _uvre les priorités que j'ai désignées. Il s'accompagne d'un effort de réforme du ministère dans son ensemble, qu'il s'agisse des structures ou de la gestion des crédits. J'ai en effet l'ambition de moderniser ce ministère, pour en faire un outil plus efficace de l'action de l'Etat. La réforme n'est pas une fin en soi : elle doit permettre de transformer le ministère en véritable « bureau des compétences et des désirs », selon la dénomination joliment reprise par Mme la rapporteure.

Les contraintes budgétaires qui pèsent sur notre pays rendent impératif de supprimer de la façon la plus systématique les dépenses inutiles ou redondantes, celles qui traduisent une sorte de fatalisme vis-à-vis de l'habitude. C'est un devoir pour chacun des membres du Gouvernement que la nation a honoré de sa confiance, et j'attache une grande importance à cette réforme. J'y ai engagé mon ministère de la façon la plus délibérée et vous avez pu mesurer l'ampleur de l'exercice à la lecture de la note de stratégie ministérielle du Premier ministre.

Ainsi, 100 départs à la retraite ne seront pas remplacés, soit un sur deux. Cela représente 2 % de l'effort global du Gouvernement, alors que le ministère ne compte que 0,8 % des effectifs de la fonction publique.

M. Michel Françaix - Enfin plus de 1 % !

M. le Ministre - J'ai cependant veillé à ce que les emplois des établissements qui reçoivent du public ne soient pas concernés, de façon à ne pas en altérer le fonctionnement. Il faut en effet savoir concilier la fermeté avec le pragmatisme.

Je me suis également engagé à améliorer la gestion de nos établissements publics.

L'année 2004 marquera ainsi la conclusion de la réforme des musées nationaux. La situation financière de la Réunion des musées nationaux aurait dû alerter mes prédécesseurs depuis longtemps. Le décroisement des financements entre la RMN et les musées nationaux sera effectif dès le 1er janvier prochain, soutenu par le renforcement de la responsabilité du musée du Louvre et de l'établissement public de Versailles et la création d'établissements publics pour le musée d'Orsay et le musée Guimet. Ainsi chacun pourra assumer ses responsabilités.

Je poursuivrai, en outre, la politique de contractualisation, engagée en 2003 avec le Louvre. En 2004, un contrat du même type sera signé avec la BNF, sur la base de l'audit conduit par un cabinet indépendant, et des travaux du ministère lui-même.

Nous devons, par ailleurs, nous attacher à réformer le ministère lui-même pour dégager de nouvelles marges de man_uvre et retrouver une réelle capacité d'initiative.

C'est un ministère un peu fatigué que j'ai trouvé à mon arrivée en 2002. Depuis quelques années, il empilait les initiatives et les engagements sans toujours les évaluer, sans se donner les moyens de renouveler son action. Quand on conduit l'action publique, il ne faut pas céder à la facilité de l'habitude, mais se demander à chaque instant, à chaque engagement de crédit, si on est bien fidèle aux missions de l'Etat et aux priorités du Gouvernement. Sinon l'habitude conduit à la sclérose, comme l'a noté Mme Marland-Militello.

C'est la raison pour laquelle j'ai engagé, dès 2003, un exercice de redéploiement des crédits, les directions étant toutes invitées à vérifier l'opportunité de chacune de leurs dépenses. D'ici 2006, 10 % des crédits du ministère de la culture, y compris les administrations déconcentrée et les établissements publics, auront été réorientés vers des actions nouvelles et prioritaires.

Cet exercice est conforme à l'esprit de la loi organique sur les lois de finances, que le ministère de la culture met en _uvre avec un zèle tout particulier, comme M. Olivier Dassault l'a souligné. Un grand quotidien du soir signalait d'ailleurs récemment que ce ministère était l'un des rares à avoir saisi l'occasion de la LOLF pour repenser ses missions et son organisation.

L'Etat doit cependant se départir de sa tendance à se croire l'alpha et l'oméga de toute initiative culturelle, au point qu'on a parfois fini, dans notre pays, par assimiler la culture avec l'action de l'Etat. L'Etat est là pour servir la culture, avec d'autres. Il doit apprendre à mieux mesurer sa responsabilité, qui est de dynamiser et coordonner les actions qui s'engagent à l'initiative tant des collectivités locales que du corps social lui-même. Je m'attache en particulier à développer une articulation cohérente entre les missions de l'Etat et celles des collectivités locales, qui jouent un rôle essentiel dans la vie culturelle de notre pays. Cette préoccupation et notre volonté de décentralisation ne signifient pas un désengagement de l'Etat, au contraire. Nous voulons que l'Etat assume pleinement ses missions, tout en faisant confiance aux collectivités locales, devenues des acteurs majeurs de la vie culturelle.

Cette même philosophie inspire les choix que le Gouvernement a faits et que le Parlement a consacrés par la loi du 1er août 2003 sur le mécénat, qui a produit des résultats remarquables. Les acquisitions opérées ont permis un formidable enrichissement des collections publiques, bien au-delà des capacités budgétaires de nos musées - j'en prendrai pour exemple l'acquisition par le Centre Pompidou d'une _uvre de Julio Gonzales.

C'est dans ce cadre de réforme que s'inscrit ce projet de budget. Il permet au Gouvernement de tenir ses engagements.

La baisse apparente du budget 2003 traduisait la volonté de transparence du ministère sur la réalité de ses besoins. Je tenais, en effet, à rompre avec la pratique d'accumulation de crédits non consommés, qui a longtemps fait croire à une hausse des ressources, sans dégager de nouvelles marges de man_uvre. C'est pourquoi j'avais proposé la réduction, en 2003, de 200 millions d'euros des crédits de paiement.

Certains esprits pessimistes n'avaient alors pas voulu entendre mes arguments et avaient annoncé une impasse pour le budget 2004. La qualité de l'exécution du budget 2003, comme le projet de budget 2004, leur donnent tort. Des baisses budgétaires de ce genre, j'en souhaite tous les ans !

En 2003, le ministère de la culture aura consommé 160 millions d'euros de plus qu'en 2002 et 240 millions d'euros de plus qu'en 2001. Il n'a, par ailleurs, subi aucune annulation de crédits, contrairement aux années 1997 à 2001.

Le projet de budget pour 2004 prévoit de reconstituer les crédits de paiement qui croissent de plus de 100 millions d'euros, ce qui nous donnera les moyens nécessaires pour poursuivre toutes les actions engagées, contrairement aux prédictions pessimistes. S'y ajouteront 100 millions d'euros de reports, dernier héritage de la gestion précédente. Au-delà de ces engagements, le projet permettra de répondre aux priorités que j'ai fixées au ministère. C'est là une preuve supplémentaire de la volonté du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin de réaffirmer les missions de l'Etat dans le domaine culturel.

Ces priorités s'articulent autour de trois piliers : le soutien à la création, la démocratisation de l'accès à la culture et la protection du patrimoine.

Le soutien à la création s'exprime d'abord par l'aide au développement du spectacle vivant. Avec 741 millions d'euros, soit une hausse de 4,4 % par rapport à 2003, le spectacle vivant est le secteur le plus soutenu par le ministère de la culture.

Cette hausse permettra notamment de respecter les engagements pris par le Président de la République, le 14 juillet dernier, à l'égard de la jeune création - mais sans doute vaudrait-il mieux parler de « nouvelle création » car la créativité n'est pas toujours affaire d'âge.

Ce soutien se traduira également par une attention plus soutenue accordée à l'art contemporain, trop souvent négligé comme l'a relevé Mme la rapporteure pour avis. Les investissements en particulier croîtront de près de 30 % et iront pour une large part à la rénovation des écoles régionales et municipales d'arts plastiques, ainsi qu'à la consolidation du réseau de diffusion. Les FRAC, dont nous venons de célébrer avec éclat le vingtième anniversaire, bénéficieront par conséquent de cet effort.

Deuxième grand objectif : la démocratisation de l'accès à la culture et à la création. J'ai déjà lancé plusieurs projets spécifiques : dans le domaine du livre et de la lecture, j'ai annoncé il y a quelques mois l'ouverture d'une nouvelle génération de médiathèques de proximité, les « Ruches », dans les zones rurales et dans la périphérie des villes. Ce programme, qui rencontre déjà un vif succès avec près de soixante projets déposés, bénéficiera en 2004 d'une dotation renforcée, à laquelle s'ajouteront bien entendu les moyens mobilisés par les collectivités partenaires. C'est ainsi que seront ouvertes dès 2004 les « Ruches » de Saint-Seurin-sur-l'Isle, en Gironde, et de Merdrignac, dans les Côtes-d'Armor. Dans le domaine du spectacle vivant, deux « Zéniths » nouveaux seront financés de même : l'un à Saint-Étienne, l'autre à Amiens.

Plus largement, ce projet de budget reflète une forte ambition en faveur de l'aménagement culturel du territoire. En 1998, 75 % de l'investissement consacré à des équipements culturels profitaient aux grands projets nationaux à Paris. En 2004, près de 60 % de ces mêmes financements iront à des projets en région. Nous avons incontestablement commencé d'inverser la tendance et de prendre enfin en compte la réalité humaine, sociale, économique et culturelle de notre pays ! L'Etat n'est pas seulement à Paris, mais partout où se trouvent nos concitoyens...

M. Michel Françaix - A Versailles ?

M. le Ministre - Versailles, c'est encore Paris !

M. Etienne Pinte - Certes non !

M. le Ministre - Je voulais simplement dire que votre ville est comprise dans l'agglomération métropolitaine - mais j'aurais en effet dû prendre garde à mon expression, vous sachant présent, Monsieur le député-maire de Versailles !

Troisième grand objectif : la protection du patrimoine. Animé sur ce point aussi d'un souci de rééquilibrage, j'ai souhaité renforcer les investissements destinés aux monuments historiques en région. Le précédent gouvernement n'avait pas mesuré la dégradation du nombre d'entre eux et, le 17 septembre, j'ai donc présenté au Conseil des ministres un plan national pour le patrimoine qui tend à accroître de 10 % en 2004 les crédits que l'Etat consacrera à leur restauration - étant entendu que cet effort sera poursuivi les années suivantes. Nous serons ainsi à même de sauver les monuments en péril, qu'ils appartiennent à l'Etat, aux collectivités ou à des propriétaires privés. Bénéficieront notamment de ces nouveaux crédits les cathédrales de Chartres, Reims, Strasbourg et Bourges, le château des Ducs de Bretagne à Nantes, et les châteaux de Saumur, Lunéville et Dampierre-sur-Boutonne. Notre patrimoine est en effet un élément essentiel de notre mémoire, mais aussi de l'attrait de la France.

M. Michel Herbillon - En effet !

M. le Ministre - A ce propos, je tiens à saluer votre rapport, Monsieur le rapporteur spécial : vous y soulignez très justement ce que notre pays doit à la culture, au patrimoine et aux festivals.

C'est donc un ministre reconnaissant au Premier ministre des arbitrages rendus en faveur de son département, un ministre confiant dans le soutien du Parlement et un ministre conscient de ses responsabilités et de son devoir de réforme, qui vous remercie pour l'attention que vous voudrez bien accorder à ce projet de budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Patrick Bloche - Avec ce projet, nous voici confrontés au vertige des chiffres et à une réflexion, de saison, sur leur puissance de mystification !

M. Michel Herbillon - Bien mauvais début !

M. Patrick Bloche - Je ne prendrai qu'un exemple pour exposer notre perplexité : l'an passé, vous nous aviez expliqué que, pour apprécier votre budget, il fallait agréger dépenses ordinaires et autorisations de programme. Vous faisiez ainsi apparaître une progression des crédits alors que la bonne vieille méthode consistant à additionner dépenses ordinaires et crédits de paiement révélait, elle, un recul de plus de 5 %. Cette année, c'est l'inverse : rejetant la seule méthode légitime à vos yeux l'an dernier - et qui conduit à ne constater qu'une faible progression -, voici que vous nous demandez de raisonner par rapport aux crédits de paiement, laminés l'an passé et donc, mécaniquement, en forte hausse pour 2004 ! De son chapeau, le prestidigitateur tire alors une augmentation apparente de plus de 5 %... La ficelle n'est-elle pas un peu grosse ?

En clair, le ministère de la culture pourra payer ses dettes en 2004, mais n'aura aucune capacité d'action nouvelle. Le montant des autorisations de programme reste en effet stable et, surtout, les crédits d'intervention diminuent de 5 % - de plus de 8 % même, s'agissant des crédits déconcentrés ! Cet assèchement financier des DRAC déjà touchés par les gels et annulations compromet votre action en faveur des territoires, ainsi que le rééquilibrage annoncé entre les régions. Pour les arts plastiques, pourtant une de vos priorités affichées, les mêmes crédits d'intervention diminueront de près de 2 %...

Ce budget, qui avait atteint le seuil de 1 % du budget total de l'Etat en 2002, retombera en 2004 à 0,96 % !

Trois sujets nous préoccupent particulièrement, que je présenterai par ordre de gravité croissante. Tout d'abord, l'investissement : dans votre présentation, vous insistez sur la sous-consommation des crédits qui lui sont destinés et qui a justifié le « coup d'accordéon » de l'an passé. Rappelons quand même que des crédits mal consommés sont utilisés l'année suivante, grâce aux reports ! L'accent mis sur les autorisations de programme traduit ainsi les moyens rendus disponibles. Et une trésorerie en crédits de paiement reportés permet d'éviter les incidents de paiement... Vous souvenez-vous qu'en 1997, de nombreuses entreprises étaient étranglées par les délais de l'Etat ? N'auriez-vous pas entendu des plaintes similaires cette année ?

Les crédits de paiement pour 2004 se monteront à 423 millions d'euros, soit une progression de 97 % par rapport à 2003, mais une baisse de plus de 20 % par rapport aux crédits ouverts en 2002 : c'est dire l'ampleur des prélèvements opérés cette année-là, et seulement à demi réparés pour 2004. Logiquement, l'investissement souffre, et d'abord les monuments historiques. S'agirait-il de préparer au mieux - mais dans les pires conditions pour les collectivités - un transfert de cette compétence aux régions ? En tout cas, sur deux ans, les autorisations de programme auront chuté de plus de 40 %. Et je ne parle pas de l'archéologie, privée de l'indispensable...

Pourtant, dites-vous, les monuments historiques seraient votre première priorité.

Il est vrai que quelques gros établissements tirent leur épingle du jeu : l'Opéra de Paris obtient près de 10 millions de mesures nouvelles et presque autant, en autorisations de programme, que l'ensemble des lieux de diffusion de musique et de danse, et trois fois plus en crédits de paiement. Le centre Georges-Pompidou, avec 10 millions d'euros, ne s'en tire pas trop mal, et de même la BNF et le château de Versailles. Je ne nie pas les besoins, mais n'a-t-on pas servi les gros d'abord ?

Deuxième élément important d'une politique culturelle, les enseignements artistiques ne figurent pourtant pas dans vos priorités affichées. Et cela se voit ! Pour la deuxième année consécutive, le nombre des emplois du ministère baisse - de 100 unités. Pour les écoles d'architecture, où les besoins sont importants, il n'y aura que quatre emplois nouveaux et la subvention de fonctionnement croîtra moins que l'inflation, malgré la réforme des études en cours. C'est toutefois un léger progrès, alors que les moyens de fonctionnement destinés aux enseignements spécialisés et à la formation diminueront de plus de 2 % et que ceux des interventions déconcentrés chuteront de 7 %. L'effort en faveur de l'égalité des chances et de la formation des publics ne sera donc pas poursuivi...

Mais ce n'est pas encore le plus grave. Ce budget traduit la passivité devant le choix que va représenter pour le spectacle vivant la remise en cause du régime d'assurance chômage des intermittents. Je m'étonne d'ailleurs d'être le premier ce matin à évoquer la crise culturelle sans précédent dans laquelle nous sommes entrés cet été. Le nouveau régime va entrer en vigueur dès le 1er janvier et produira donc progressivement ses effets au cours de l'année prochaine.

Vous annoncez dans la présentation de votre projet de budget, Monsieur le ministre, un « effort considérable » qui permettait de concrétiser les conclusions qui seront tirées des assises nationales du spectacle vivant - qui ont perdu leur dimension régionale. On croit comprendre ainsi que l'Etat sera à même de soutenir le réseau des jeunes compagnies, ou encore l'accès des jeunes aux professions artistiques. Or que trouve-t-on dans le budget ? Rien, ou presque. On est bien loin des 20 millions promis pour les seuls intermittents. Les crédits consacrés aux interventions culturelles hors institutions augmentent de 0,7 %, soit une baisse en euros constants ; et il faudra prélever sur ces moyens des crédits exceptionnels pour les festivals, fragilisés par un été de contestation légitime. Le total des crédits présentés pour « développement culturel et spectacles » est même en baisse de 3,4 %.

Votre discours pourra laisser les compagnies imaginer que, dans un contexte particulièrement difficile, elles vont profiter d'une hausse de plus de 5 % du budget de la culture. On ne leur a pas dit que cette croissance est optique, s'expliquant par la baisse brutale de l'an passé. Alors la déception qu'on ressent en constatant que les moyens ne soient pas au rendez-vous alors que tant de besoins existent devient protestation devant les faux-semblants, devant l'indifférence à la marginalisation de pans entiers de notre vie culturelle.

La politique fiscale de M. Raffarin est désormais bien connue : prendre aux pauvres pour donner aux riches (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Herbillon - On dirait du Gremetz !

M. Patrick Bloche - Votre politique culturelle, c'est de laisser appauvrir les secteurs qui ont le plus de besoins et de vous replier sur les grosses institutions. C'est un contresens grave.

De fait, Monsieur le ministre des beaux-arts, vous nous demandez à travers ce projet de budget de réhabiliter le trompe-l'_il !

M. Michel Françaix - Très bien !

M. Pierre-Christophe Baguet - En 2003, Monsieur le ministre, j'avais particulièrement apprécié votre souci de ne pas thésauriser sur le dos des contribuables, tout en regrettant que vous ayez sacrifié l'objectif très médiatique du 1 %, dont le Président de la République lui-même avait demandé la sanctuarisation, et en souhaitant la reconstitution de marges significatives en 2004. Vous nous proposez cette année un très bon budget.

M. Patrick Bloche - L'UDF était plus lucide sur les recettes !

M. Pierre-Christophe Baguet - En hausse de 5,4 %, il frôle à nouveau 1 % du budget de l'Etat.

Comme les années précédentes, le spectacle vivant et la musique se taillent la part du lion, bénéficiant encore d'une hausse de près de 4,5 %.

La politique en faveur du livre est aussi prioritaire. Les crédits d'intervention prennent en compte l'impact de la réforme du droit de prêt ainsi que le fonctionnement des « Ruches », nouvelles médiathèques de proximité. On peut regretter en revanche que les crédits du patrimoine de l'architecture restent stables : néanmoins le plan en faveur des monuments historiques permettra d'accorder 20 millions d'euros supplémentaires au patrimoine régional, ce qui répond à une attente que le groupe UDF avait exprimée l'année dernière. Attachés plus que d'autres à la décentralisation, nous nous réjouissons de la place prépondérante donnée aux interventions régionales en partenariat avec les collectivités locales.

J'ai un regret concernant les arts plastiques, chers à notre rapporteure Muriel Marland-Militello : ce secteur propice à la création mérite d'être davantage soutenu.

Par ailleurs, membre de la mission parlementaire sur le cinéma, je vous ai rappelé que l'une de nos pistes de réflexion était de « donner une nouvelle dimension aux aides régionales ». La création de fonds d'aides à la production par les collectivités locales avec la participation de l'Etat constitue un premier pas, mais il faut aller plus loin. Il convient de les consolider, d'améliorer leurs structures et de clarifier leur statut juridique et financier. Vous avez également donné suite à la proposition de l'UDF sur la réforme de la taxe vidéo. Grâce à elle et au formidable essor du DVD, le budget du compte de soutien est en hausse de 5,8 %. Les recettes issues de l'édition vidéo passent de 18 à 40 millions. Mais il faut se méfier des effets pervers : sur le cinéma, qui accuse une baisse de fréquentation de 5,6 %.

A propos du COSIP, je m'inquiète de la décision du Conseil d'Etat du 30 juillet dernier rendant éligible le financement de l'émission « Popstars », qui risque de favoriser des émissions de ce type. Il faudrait engager au plus vite une réforme de l'article 2 du décret du 17 janvier 1990, et délimiter de façon précise et indiscutable la notion d'_uvre audiovisuelle.

Enfin, Monsieur le ministre, il nous faudra bien répondre aux inquiétudes et aux attentes des intermittents du spectacle, à propos desquels la position du groupe UDF a toujours été claire. Nous ne voulons pas d'une gestion seulement comptable de leur régime, qui mettrait en danger les catégories les plus précaires, et souvent les plus novatrices.

Le 6 novembre prochain, la commission des affaires culturelles va discuter de deux propositions de commission d'enquête. Le groupe UDF, par la voix de son président Hervé Morin, a été le premier, dès le 11 juillet, à demander la création d'une mission d'information sur ce thème.

M. Patrick Bloche - J'avais posé une question au Gouvernement le 17 juin.

M. Pierre-Christophe Baguet - Nous préférons une mission d'information à une commission d'enquête afin de pouvoir travailler véritablement au fond. En tout état de cause, nous serons très exigeants sur la place qui sera réservée à l'UDF.

Je terminerai par la situation du disque. L'imagination sans cesse débordante des fraudeurs porte gravement atteinte aux artistes et ayants droit qui vivent de la reproduction et de la diffusion de leurs _uvres. L'année dernière, je m'étais félicité de la mission que vous veniez de confier à M. François Léotard pour convaincre la Commission européenne d'inscrire le disque au nombre de produits pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA, mais force est de constater que rien n'a changé. L'UDF tient à rappeler toute l'importance qu'elle attache à ce combat. Elle souhaite que le taux réduit s'applique à l'ensemble des biens culturels.

Considérant qu'il est indispensable de favoriser l'accès de tous les publics à la culture dans toutes ses formes, elle souhaite par ailleurs que l'histoire des arts devienne une matière obligatoire dans les programmes d'enseignement primaire. La sensibilisation des jeunes enfants à notre patrimoine historique et culturel doit être une priorité ; nous saluons vos nombreux propos en ce sens, mais nous n'en trouvons pas la concrétisation dans ce budget.

Néanmoins, sensible aux efforts significatifs que ce budget traduit, le groupe UDF le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit - Non, Monsieur le ministre, ce budget n'est pas prioritaire : compte tenu de l'inflation estimée à 1,5 %, l'augmentation réelle ne sera que de 4,2 % par rapport à l'an dernier. En outre, comme le budget 2003 était sinistré, l'augmentation n'est que de 2,29 % par rapport à 2002... C'est bien moins que l'augmentation du coût de la vie.

Ne cédons pas au triomphalisme quand les 0,95 % affichés par rapport au budget de l'Etat relèvent de la supercherie.

Depuis 1993, l'architecture et la Cité des sciences et de l'industrie ont rejoint les missions du ministère de la culture.

A structures constantes, le budget de la culture représentera à peine 0,8 % de celui de l'Etat, et il faudrait un abondement de 600 millions d'euros pour atteindre le niveau de 1 %. Et que dire de la suppression de 180, 200, voire 250 emplois au ministère de la culture !

Vous entendez mieux dépenser, mieux décider, responsabiliser et décentraliser. Vous souhaitez donner une impulsion nouvelle au financement privé de l'art contemporain en vertu de la récente loi sur le mécénat.

De notre côté, nous défendons une autre conception de la relation entre l'Etat, le privé et la culture, une autre conception de la démocratisation du regard, une autre conception de la diversité culturelle.

Dans notre pays, l'Etat a toujours joué un rôle important dans le domaine de la culture, et bien avant qu'André Malraux devienne ministre des affaires culturelles. Cette tradition remonte à l'Ancien Régime et à la Révolution. En effet, le patrimoine des arts et de la culture est un puissant facteur de cohésion nationale, d'émancipation et d'identification, que les pouvoirs publics doivent soutenir.

Or, vous les fragilisez par la décentralisation, par l'autonomie accrue des grands établissements culturels, le sacrifice du statut des intermittents, la destruction de l'archéologie préventive et l'encouragement au mécénat privé.

Quand le service public recule, le marché avance, et l'exemple de l'archéologie préventive est édifiant. Vous avez supprimé la maîtrise d'ouvrage publique et le financement public par redevance des fouilles archéologiques préventives, et ouvert ce secteur à la concurrence, à la grande satisfaction des aménageurs urbains.

André Malraux voulait « faire pour la culture ce que Jules Ferry a fait pour l'instruction ». Et certes, depuis le début des années 1970, la consommation intellectuelle et artistique augmente. Mais de nombreux clivages sociaux existent encore, notamment selon le niveau de revenu et de diplôme. La démocratisation de la culture est loin d'être réalisée.

D'autre part, alors que l'exception culturelle française traduit l'idée, aujourd'hui largement répandue, que les produits culturels ne sont pas réductibles à leur seule dimension marchande, je crois, Monsieur le ministre, que nous devons aller vers une politique européenne de la culture qui ne réduise pas les produits culturels à leur seule dimension marchande, et qui favorise la création et la pluralisme.

Pour le moment, un plan médias permet de créer quelques films, mais ce n'est pas suffisant, face à la concurrence américaine. Il faut associer les artistes à la politique européenne.

Aujourd'hui, un glissement s'opère. Vous avez affirmé que le ministère de la culture devait aussi être celui de « l'économie de la culture ». Et Malraux disait déjà : « Le cinéma est aussi une industrie ». Mais il faudra bientôt rappeler qu'il est aussi un art ! Voulons-nous une société de civilisation ou une société de comptes d'exploitation comme aux Etats-Unis ?

Dans son discours d'ouverture de la 31e conférence générale de l'Unesco, Jacques Chirac déclarait en 2001 : « La réponse à la mondialisation-laminoir des cultures, c'est la diversité culturelle. Une diversité fondée sur la conviction que chaque peuple a un message singulier à délivrer au monde, que chaque peuple peut enrichir l'humanité en apportant sa part de beauté et sa part de vérité. ». Je ne peux croire que ces propos n'aient eu pour seul objectif que de masquer la démission de l'Etat dans le domaine de la culture.

M. Michel Françaix - Très bien !

M. Michel Herbillon - Curieuse lecture de ce qu'a dit le Président.

M. Frédéric Dutoit - La culture est vivante. Elle doit être patrimoine et nouveauté. L'art appelle au sensible, à la passion, à l'interprétation du réel et la culture ne saurait se réduire à une politique culturelle des « pouvoirs publics ».

Pour autant, l'Etat et les collectivités publiques doivent jouer un rôle moteur, pour assurer l'égalité d'accès à la culture.

Malheureusement, le débat public n'est pas à la hauteur des enjeux.

Le budget ne permet pas de financer vos priorités politiques. Il reste en deçà de 1 %. Quid de la promesse de Jacques Chirac de le « sanctuariser » ? En réalité, vous gérez la culture comme une entreprise, aussi voterons-nous contre ce texte (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Michel Herbillon - Le budget de la culture pour 2004 est un vrai motif de satisfaction (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Vous tenez, Monsieur le ministre, les engagements pris l'an dernier en matière budgétaire. Vous privilégiez des secteurs culturels trop longtemps oubliés. Vous insufflez un nouvel état d'esprit et un nouveau dynamisme à notre politique culturelle.

Oui, les engagements budgétaires ont été tenus. Vous avez restauré la sincérité d'un budget qui, pendant des années, avait affiché des crédits de paiement dont on savait qu'ils ne pourraient être consommés. Vous avez rompu avec l'illusion d'un budget en hausse alors que les marges de man_uvre du ministère ne cessaient de se réduire. L'an dernier, une opération vérité vous a conduit à annuler 200 millions d'euros de crédits de paiement, ce qui vous a valu quelques sarcasmes. Mais les critiques doivent reconnaître aujourd'hui qu'ils ont eu tort.

En effet, l'exécution du budget 2003 est meilleure que les années passées. Surtout, les moyens du ministère de la culture ont augmenté en 2003 de 160 millions d'euros par rapport à 2002, sans aucune annulation de crédits, ce qui nous change du précédent gouvernement (M. Bloche s'exclame).

Par ailleurs, le budget de la culture augmentera en 2004 de 5,8 %, et les crédits de paiement de plus de 100 millions d'euros, ce qui est à saluer dans un contexte budgétaire tendu.

De surcroît, cette hausse des crédits s'accompagne d'un effort de gestion et de rationalisation. Effort dans la maîtrise des dépenses des services et la stabilisation des dépenses de personnels. Effort de redéploiement aussi.

Au-delà de l'effort budgétaire, je salue le choix des priorités, notamment en faveur de la protection de notre patrimoine. Ayant rapporté l'an dernier le budget de la culture, je m'étais inquiété de la situation dramatique de certains monuments, et de la baisse sous le précédent gouvernement de 7,5 % des crédits d'investissement, alors que 20 % des monuments classés sont en état de péril.

Il était urgent de réagir, aussi avez-vous annoncé le mois dernier un plan national en faveur du patrimoine. Dès 2004, les crédits consacrés à la restauration des mouvements historiques de l'Etat augmenteront de 10 %, et devraient poursuivre leur progression dans les années à venir.

Le budget consacre ensuite la création comme une forte priorité. Avec 741 millions d'euros, le spectacle vivant est de loin le premier poste budgétaire du ministère. La hausse de 4,5 % des crédits, qui fait suite à un effort marqué en 2003, place le soutien aux équipes artistiques, aux festivals, aux institutions permanentes, aux musiques actuelles, bref à tout ce qui fait la richesse de la création, au c_ur de notre politique culturelle.

Les projets de construction et d'aménagement de nouveaux lieux de spectacle et de musique en région ne seront pas en reste : l'Etat participera à la construction de deux Zénith, à Amiens et à Saint-Étienne, et à la rénovation de l'Arsenal à Perpignan, contribuant ainsi au rééquilibrage des lieux culturels sur le territoire.

Les arts plastiques verront aussi augmenter leur crédits, en particulier pour l'enseignement : en deux ans, sept écoles nationales supérieures d'art auront vu le jour. Un effort de diffusion est également consenti avec, notamment, la constitution de la galerie du jeu de Paume dévolue à la photographie et à l'imagerie.

Nombre de mesures sont prises en faveur de la lecture et de l'industrie du livre, qui sont un instrument de la lutte contre l'exclusion : abondement des crédits de financement du droit de prêt, poursuite du programme de création d'une nouvelle génération de médiathèques de proximité. Cet effort de démocratisation de la lecture devrait recueillir l'assentiment général, tout comme d'ailleurs les mesures de soutien aux librairies.

Vous savez, Monsieur le ministre, combien le rachat de VUP par Hachette fait naître d'interrogations. Si cette fusion est validée par la Commission européenne, quelles mesures prendrez-vous pour éviter les conséquences potentiellement destructrices de cette concentration de la distribution ?

S'agissant du soutien à la création, je salue les mesures prises en faveur du cinéma, en particulier la réforme de la taxe vidéo qui permettra de dégager 22 millions d'euros supplémentaires pour le financement du secteur.

La forte réduction des ventes de disques menace l'avenir de nos industries culturelles. Comment le Gouvernement envisage-t-il de lutter contre le piratage, qui est la principale cause de la crise et porte gravement atteinte à la protection du droit d'auteur ?

Je me félicite de voir naître une nouvelle approche de la politique culturelle, moins bureaucratique et moins étatiste, fondée sur une plus grande confiance envers les acteurs de la culture. Cela ne traduit nullement une défiance envers l'Etat et son rôle traditionnel en matière culturelle. L'engagement permanent du Président de la République et du Gouvernement pour défendre la diversité culturelle au sein des instances internationales, Union européenne, UNESCO ou OMC, suffit à le démontrer.

Mais si l'on veut redonner une nouveau souffle à notre politique culturelle, il convient d'ouvrir le jeu, c'est-à-dire d'instaurer un nouvel état d'esprit et de nouvelles pratiques.

Instaurer de nouvelles pratiques, c'est d'abord desserrer l'étau centralisateur. La réforme des musées nationaux, qui se traduira par une plus grande autonomie et une responsabilité de gestion accrue des musées, participe de ce mouvement. Elle permet la création de nouveaux établissements publics pour les musées Guimet et d'Orsay et la signature avec le Louvre et la Bibliothèque nationale de France de contrats d'objectifs et de moyens.

La déconcentration des crédits du ministère pour rapprocher la décision de subvention des acteurs du terrain répond au même objectif. En 2004, près des deux tiers des crédits culturels seront déconcentrés.

Insuffler un nouvel état d'esprit, c'est aussi se tourner vers la société civile pour mobiliser de nouveaux moyens pour la culture. La loi sur le mécénat adoptée cet été est l'un des instruments de cette ambition. Il ne s'agit pas de substituer un financement privé à un financement public mais d'accroître les moyens de l'action culturelle.

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Michel Herbillon - Ouvrir le jeu, c'est ouvrir le dialogue avec les acteurs de la culture. Oui, il y a eu une crise cet été avec les intermittents du spectacle et nous déplorons tous l'annulation des festivals, car nous aimons tous les artistes et les créateurs qui font vivre nos territoires. Le débat que vous avez ouvert offre la prodigieuse opportunité d'une réflexion de fond. Les assises nationales du spectacle vivant orchestrées par Bernard Latarjet serviront de base de réflexion pour mieux prendre en compte l'évolution des métiers de l'art et mieux définir l'engagement de la collectivité auprès des artistes et, notamment, de la jeune création.

Ardents partisans d'une action culturelle forte, ne boudons pas notre plaisir devant un budget sincère, en progression, soucieux de redonner une dynamique à une politique culturelle qui s'était essoufflée au fil des ans.

Vous pouvez donc compter sur le soutien enthousiaste du groupe UMP, qui est un encouragement à poursuivre les réformes que vous avez engagées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Françaix - La politique culturelle, née il y a plus de quarante ans avec André Malraux et relancée il y a plus de vingt ans par François Mitterrand et Jack Lang, doit être adaptée à notre siècle naissant. Mais il n'y a que notre rapporteur spécial pour nier la dot que nous vous avons apportée : un réseau culturel - théâtres, musées, opéras, salles de spectacle et de cinéma, bibliothèques, médiathèques - d'une densité unique au monde, une offre culturelle foisonnante, la défense de l'exception culturelle à Seattle et à Doha, un plan d'envergure de cinq ans pour le développement artistique à l'école, le soutien aux pratiques amateurs et aux arts populaires - musiques actuelles, théâtre de rue, mime, marionnettes, cirque, cabaret.

Cinq évolutions majeures confèrent aujourd'hui une importance décisive au développement culturel. D'abord, l'extension du temps libre. La crise du lien social, ensuite, sous l'effet de la montée de l'individualisme et de la différenciation des groupes sociaux, donne à la culture un rôle accru dans la cohésion de notre société.

La tendance à la marchandisation de la culture fait de ce secteur un enjeu de civilisation : la sphère culturelle va-t-elle devenir un champ de valorisation du capital comme un autre, soumis à la loi de l'offre et de la demande, et aux appétits des grands groupes de communication, ou bien sera-t-elle préservée de la loi du profit ? La révolution numérique démultiplie les moyens de satisfaire cette demande culturelle en accédant aux _uvres et aux savoirs. Mais comme toutes les grandes révolutions techniques, elle recèle autant de menaces que de promesses.

Enfin, l'hégémonie de l'hyperpuissance américaine s'exerce particulièrement dans le secteur culturel, si bien qu'il est devenu un enjeu majeur de l'indépendance nationale.

Aussi attendions-nous de ce budget un nouveau souffle. Mais autant 2003 affichait une baisse optique, autant 2004 affiche une illusion d'optique - pas encore l'Illusion comique ! (Sourires) Nous nous éloignons de l'objectif pour des raisons comptables. Sur le terrain des intermittents comme ailleurs, le Medef a une vision à courte vue : le profit pour le petit nombre et une culture formatée pour tous.

Pourtant toute création artistique met en jeu un travail invisible - écriture, répétition, recherche de partenaires financiers. Si ces périodes d'élaboration cachée, intime, ne sont pas protégées, nous verrons disparaître nombre d'_uvres qui sont le fruit de cette diversité culturelle que vous avez su défendre en d'autres temps.

J'assistais il y a quelques jours à un spectacle des Tréteaux de France. Les artistes que Marcel Maréchal m'a présentés étaient tous des intermittents. Ne laissez pas déprécier la culture avec la communication, le divertissement, le tourisme, voire l'audimat.

La rue de Valois devrait être un lieu de résistance à la marchandisation. Je crains qu'elle ne l'orchestre demain. Partout où s'épanouit une vie culturelle, vous trouverez des intermittents.

Je compte sur vous pour ne pas témoigner de la même surdité que Luc Ferry face au monde enseignant (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Etienne Pinte - Madame la Présidente, je dois une fois de plus relever que les conditions de travail de notre assemblée sont déplorables. Nous n'avons reçu les rapports des deux commissions que ce matin ! Sans compter les séances qui se terminent au petit jour... Je souhaite que vous en fassiez part au Bureau : comme nous regrettons l'organisation des travaux d'un de vos prédécesseurs, Philippe Séguin !

Je voudrais d'abord évoquer le financement de l'enseignement musical. L'an dernier, Monsieur le ministre, à mes remarques, vous n'aviez répondu qu'en rappelant les efforts du ministère pour Paris. Vous aviez oublié qu'il ne finance les conservatoires nationaux de région qu'à hauteur de 10 % ! Et cette année, les crédits sont encore en baisse... Vous vous êtes livré à une comparaison quelque peu maladroite tout à l'heure, mais si Versailles était Paris, je suppose que son CNR serait financé entre 40 % et 100 % par votre ministère !

M. Pierre-Christophe Baguet - Et Boulogne ?

M. Etienne Pinte - Versailles est peut-être la ville de province la plus proche de Paris, mais c'est surtout la seule ville de France qui a été successivement capitale royale, révolutionnaire, républicaine et aujourd'hui, de temps en temps constitutionnelle !

Les CNR ont un périmètre de recrutement qui va de la commune aux pays étrangers. Nous déplorons que le ministère ne les aide pas plus. Vous répondez par la décentralisation, mais qu'allez-vous décentraliser ? Les 10 % actuels ? Ce n'est bien sûr pas suffisant. Et vers qui allez-vous décentraliser ? Nul ne le sait. Les maires sont découragés. A Versailles par exemple, et comme je vous l'avais indiqué l'an dernier, le conservatoire va subir une réduction de voilure. Les communes envisagent de plus en plus souvent de supprimer leur CNR au profit d'une école nationale de musique, moins élitiste, moins coûteuse et qui répond peut-être davantage aux attentes de la population.

J'en viens à la question des intermittents du spectacle. Où en est-on de l'épouvantable gâchis artistique, humain et économique des festivals de cet été ? Comment en est-on arrivé à cette crise destructrice ? A l'évidence, le déficit de la branche d'assurance chômage, qui sert trop souvent de variable d'ajustement de la politique d'aide à la création nationale, devait être réduit. Mais à l'évidence aussi, il faut lutter contre les abus de certaines entreprises de spectacles.

Il est stupéfiant que ni les partenaires sociaux, ni le Gouvernement n'aient suivi la méthodologie du dialogue social prônée par le Président de la République et qui a réussi pour les retraites. Ainsi que l'a expliqué le Président, « il faut d'abord un vrai dialogue, de façon à avoir un diagnostic partagé. Si tel n'est pas le cas, si les partenaires sociaux ne sont pas assez ambitieux, le Gouvernement prendra ses responsabilités ». Il fallait tout tenter pour parvenir à un accord. Pourquoi l'appel de certains maires, qui sont pourtant des partenaires incontournables du spectacle vivant, n'a-t-il pas été entendu ? Pourquoi s'obstiner à agréer un accord refusé par le majorité des intéressés ?

Est-il encore temps de construire un avenir partagé ? Bien sûr, à condition que chacun mette de côté son amour-propre, ses révoltes et ses certitudes. J'ai la conviction que des amis comme Bertrand Tavernier, Jean-Pierre Thorn, Bartabas et bien d'autres sont prêts à se mettre autour de la table pour reconstruire ensemble l'avenir du spectacle vivant.

M. Pierre-Christophe Baguet - Très bien !

M. le Ministre - Je ne répondrai pas en détail à tous les intervenants. Mais je relèverai certains thèmes. D'abord, la question philosophique et politique de l'exception culturelle. Le Gouvernement n'a de leçon à recevoir de personne en ce qui concerne la défense de la diversité culturelle, et s'il s'agissait de savoir qui la défend le mieux entre le Président de la République et M. Lamy, ma préférence n'irait pas au commissaire européen.

M. Frédéric Dutoit - Je suis d'accord là-dessus.

M. le Ministre - Je regrette d'ailleurs, alors que le projet de Constitution européenne aménage la possibilité pour les Etats de défendre leurs intérêts culturels, qu'il ne recueille pas un assentiment plus large, portant pour le coup atteinte à cette conquête de notre pays qu'est le maintien de la règle de l'unanimité dans le domaine du commerce extérieur des biens culturels et audiovisuels.

M. Patrick Bloche - Ce sont des mots !

M. le Ministre - Il y a quelques jours, et à l'initiative de la France, la conférence générale de l'UNESCO a confié au directeur général le mandat d'élaborer une convention sur la diversité culturelle pour 2005. Je me suis battu pour cela, et j'en suis fier.

Cessons par ailleurs de nous gargariser de grands mots, et surtout de la « marchandisation ». Les biens culturels ne sont pas des biens ordinaires, mais ce sont néanmoins souvent des marchandises qui relèvent d'une économie. Le livre, le film ou le disque sont à la fois des biens culturels et des objets de marché. N'ayons pas la naïveté de penser qu'utiliser ces grands mots suffit pour agir avec pragmatisme. Si nous voulons voir demain des livres, des disques ou des films français, il faut prendre en compte la dimension économique de leur production et de leur diffusion. A vouloir trop faire l'ange, on finira par faire la bête et nous aurons alors tout perdu.

Revenons au budget : il faudra bien un jour avoir une vision plus globale des crédits réels affectés à la culture, en réintégrant par exemple dans les dépenses culturelles les crédits du centre national de la cinématographie. En dehors des crédits budgétaires, il existe en effet des recettes affectées ou des recettes du mécénat, et la collectivité publique consent ainsi un effort beaucoup plus important qu'on ne l'imagine pour la culture. Il faut parvenir à établir une image plus complète des choses. Ces dernières décennies, on a beaucoup souffert de changements de périmètre qui permettaient à certains de faire croire que la part des crédits réservés à la culture dans le budget de l'Etat était beaucoup plus importante qu'en réalité.

Monsieur Dutoit, je ne peux pas vous entendre dire que le budget de la culture est sinistré. De quelque manière qu'on l'envisage, il est en croissance et il est sincère. L'an dernier, je vous avais parlé d'une baisse optique des moyens du ministère de la culture et nous avions débattu sur les crédits d'intervention des titres III et IV. Cette année, vous pouvez constater qu'ils augmentent. Nous vous proposons également de reconstituer les crédits du titre V et donc de surmonter le ressaut que nous imposaient les choix budgétaires pour 2003. Les moyens du ministère sont partout consolidés.

Ce qui importe cependant, c'est que ces crédits ne subissent pas de fâcheuses annulations, comme cela a été trop souvent le cas entre 1997 et 2001 : à cette époque, le rapport entre les crédits consommés de la culture et ceux de l'Etat était de 0,7 %, ce qui souligne la chronique sous-consommation des crédits de la culture. Je me suis attaché à mettre fin à cette distorsion entre des annonces quasiment publicitaires et la réalité des budgets (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). J'aimerais d'ailleurs que toutes les collectivités publiques fassent preuve du même engagement. J'ai le regret de constater par exemple que la ville de Paris est loin de réaliser l'objectif de doublement des crédits de la culture qu'elle avait annoncé pour la mandature !

M. Michel Herbillon - Le rideau se déchire !

M. Patrick Bloche - D'ici 2007 !

M. le Ministre - Le centre national du livre n'a pas été en mesure de verser d'aide aux bibliothèques de la ville de Paris car les critères de dépense publique de la ville en faveur des bibliothèques n'avaient pas été respectés ! C'est la seule commune de France qui ne reçoit pas de contribution du centre national ! Puisque nous comptons des députés de Paris sur ces bancs, faites en sorte que la dépense culturelle atteigne un niveau convenable !

Monsieur Baguet, la définition de l'_uvre audiovisuelle est effectivement une question importante, et nullement académique, puisque l'enjeu est de préserver la production d'_uvres de qualité.

Le jugement du Conseil d'Etat que vous avez évoqué a suscité une vive émotion. Pour faire avancer les choses et sortir du plan actuel, qui risque de conduire à une situation très fâcheuse, j'ai réuni toutes les parties concernées - producteurs, éditeurs, sociétés d'auteurs, direction du développement des médias, Centre national de la cinématographie - pour travailler à une définition plus universelle, conforme au droit européen et protégeant plus efficacement les _uvres. Ce travail devrait être conclu au cours des prochaines semaines.

La piraterie constitue une menace très grave, elle est largement responsable de la crise actuelle des industries musicales. Il ne faut manifester aucune espèce de tolérance à l'égard de l'usage abusif de la copie, notamment via Internet. Mais c'est un combat à mener au niveau international. J'ai évoqué la question avec M. Jack Valenti, président de l'industrie cinématographique américaine, qui est, lui aussi, très préoccupé par la situation. La France s'efforce de promouvoir, au sein de l'Union européenne et aussi de l'OMC, des mesures assurant une meilleure protection des _uvres.

Je continue, comme vous, le combat pour la baisse de la TVA sur le disque et, plus généralement, sur tous les biens culturels. Ce serait pour l'Europe une belle ambition que de contribuer à démocratiser l'accès à la culture par une baisse des taxes. Hélas, je constate que les autres pays de l'Union européenne ne partagent pas tous notre position, soit qu'ils n'aient pas de production culturelle importante, soit, comme l'Allemagne, qu'ils n'aient pas autant que nous conscience de la nécessité de promouvoir ces industries. Nous devons donc nous efforcer de les mobiliser et les parlementaires peuvent y contribuer par leurs contacts. Pour le moment, aucune issue positive n'est en vue, mais il faut persévérer.

En ce qui concerne la diffusion des biens culturels, l'objectif n'est pas seulement de les rendre accessibles à tous, mais aussi de développer le désir de culture. L'éducation nationale et la télévision sont les principaux canaux car tous les citoyens, en particulier les jeunes, y ont accès. D'où mon combat pour une télévision de qualité (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Bloche - Bientôt douze minutes de publicité !

M. le Ministre - S'agissant de l'école, je sais qu'on a tendance à trop lui demander, à attendre d'elle qu'elle pallie toutes les défaillances de la société. Malgré tout, je reste convaincu qu'il est de son rôle de familiariser les jeunes avec la culture.

Il n'est pas normal qu'un élève quitte le lycée ou le collège sans qu'on ait jamais ouvert son esprit à la musique, au monde de Beethoven, de Bach ou de Pierre Boulez. L'école doit être aussi un espace de passion pour les arts, pour la culture. A cet égard, les crédits affectés aux enseignements artistiques et aux programmes de soutien aux établissements à la charge des collectivités locales passent de 294 à 301 millions d'euros.

M. Michel Herbillon - Très bien !

M. le Ministre - En ce qui concerne l'archéologie préventive, je vais être clair : c'est la loi du 1er août 2003 qui va sauver l'archéologie préventive.

M. Patrick Bloche - Elle l'enterre !

M. le Ministre - La loi du 17 janvier 2001 la conduisait à une impasse totale. C'était une mauvaise loi, marquée par la naïveté et l'idéologie, et qui a démontré en quelques mois son caractère contre-productif.

J'en viens à la grave question des intermittents du spectacle, que vous avez été nombreux à aborder. La crise aura au moins permis aux professionnels de prendre conscience d'un certain nombre de réalités. On parlait de « statut » des intermittents, alors qu'il s'agit d'un régime d'assurance chômage ; on donnait à penser que son financement relevait de l'Etat, alors qu'il est alimenté par des cotisations ; on en faisait une sorte de « bulle », alors que ce régime ne s'autofinance pas, mais bénéficie de la solidarité interprofessionnelle. C'est donc bien à l'ensemble des organisations représentant les employeurs et les salariés de décider de son avenir.

A mon arrivée, j'ai constaté que les partenaires sociaux n'étaient plus disposés à le maintenir tel quel...

M. Patrick Bloche - Le Medef !

M. le Ministre - Non, pas seulement le Medef ! Plusieurs des partenaires sociaux souhaitaient dénoncer purement et simplement les annexes 8 et 10. Toute l'action du Gouvernement a tendu à préserver un régime d'assurance chômage spécifique pour les professions du spectacle et de l'audiovisuel.

On ne peut pas faire abstraction de la situation financière de l'UNEDIC, qui a été obligée d'emprunter plus de 3 milliards aux banques pour payer leurs allocations de chômage quand on sait que le régime des intermittents du spectacle, qui concerne 100 000 personnes, génère, à lui seul, le tiers du déficit de l'UNEDIC, qui concerne trois millions de chômeurs, peut-on empêcher les partenaires sociaux de prendre leur part de responsabilité ?

M. Patrick Bloche - Cela fera 30 000 Rmistes en plus !

M. le Ministre - Vous n'en savez rien ! Pour ma part, je considère que le ministre de la culture avait pour responsabilité, d'une part, de ne pas retarder davantage le règlement de cette question, comme l'avaient fait nos prédécesseurs...

M. Michel Françaix - Elle n'est pas réglée !

M. le Ministre - ...et, d'autre part, de ne pas bafouer la volonté des partenaires sociaux sur les affaires qui les concernent. Le Gouvernement n'a pas à s'immiscer constamment dans les accords conventionnels.

M. Patrick Bloche - Sauf quand l'intérêt général est en cause !

M. le Ministre - En tout cas, pour ma part, j'ai eu le sentiment d'apporter une contribution majeure à la préservation des annexes 8 et 10. Je sais très bien que les dispositions arrêtées par les partenaires sociaux pour aménager l'usage de celles-ci ne recueillent pas l'agrément d'un très grand nombre de professionnels mais, sachant que, de toute façon, une renégociation globale doit intervenir en 2005, le moment me semble venu d'inviter l'UNEDIC, les cinq organisations de salariés et les trois organisations d'employeurs qui y siègent, et les organisations professionnelles des secteurs du spectacle vivant et de l'audiovisuel, à réfléchir ensemble à de nouvelles normes. Il conviendrait notamment de mieux distinguer à l'avenir entre ces deux secteurs, qui relèvent d'économies différentes, ainsi qu'entre les salariés déjà engagés dans un métier et ceux qui viennent d'y entrer et qui pourront difficilement s'assurer des droits à indemnisation convenables. Peut-être faudrait-il aussi distinguer entre artistes et techniciens, les contraintes et le degré d'organisation des métiers n'étant pas identiques. Comme je l'ai indiqué dans mon interview au Monde et dans la tribune que j'ai donnée à Libération, le Gouvernement est disposé à participer à un tel exercice, qui rendrait service à tous. J'ai d'ailleurs noté avec satisfaction que Mme Tasca, qui m'a précédé rue de Valois, tient le même propos...

M. Michel Françaix - Ce qui ne nous rassure pas forcément !

M. Patrick Bloche - Tiens, vous lui trouvez des mérites, maintenant ?

M. Michel Herbillon - Elle aurait mieux fait d'agir.

M. le Ministre - Je pense que nous pouvons oublier tout esprit partisan pour travailler ensemble à de nouvelles règles. J'y suis en tout cas prêt.

M. Michel Françaix - Il serait temps !

M. le Ministre - J'ai déjà consacré beaucoup de temps à cette question, et de toute façon beaucoup plus que mes prédécesseurs ! Cependant, elle relève avant tout du ministre des affaires sociales, qui est le « correspondant » de l'UNEDIC.

M. Patrick Bloche - La faute est aux autres !

M. le Ministre - Pas du tout. Mais si mes prédécesseurs s'étaient attaqués au problème, nous n'en serions sans doute pas là.

Je suis conscient, Monsieur Pinte, de la contribution que les communes dotées d'une école de musique ou d'un conservatoire apportent à l'enseignement de la musique et nous sommes encore plus redevables à celles qui ont un Conservatoire national de région ! L'Etat finance les conservatoires supérieurs d'art dramatique et de musique, les écoles nationales supérieures d'arts plastiques et, en totalité, l'enseignement de l'architecture, mais il est indéniable que les collectivités jouent un rôle important pour le reste du réseau. Le projet de loi sur la décentralisation, qui vise à clarifier la responsabilité de chacun, permettra d'organiser la solidarité financière avec les communes qui mettent un conservatoire national à la disposition d'une population bien plus large que la leur. Cela étant, la situation actuelle résulte non d'une décision formelle, mais d'une accumulation d'initiatives diverses, et je ne puis donc vous promettre une modification du tout au tout. Reste que nous serons à même de mieux organiser la responsabilité conjointe de l'Etat et des autres collectivités et, sans doute, d'obtenir le concours des départements et régions.

Monsieur Herbillon, depuis l'annonce du rachat d'Editis, ex-pôle édition de Vivendi, ex-VUP, je défends une position constante. Cette fusion est soumise au contrôle des autorités européennes de la concurrence, contrôle qui vise à écarter tout effet négatif pour les secteurs de l'édition et de la distribution mais qui ne néglige pas pour autant la logique industrielle du projet. J'ai toujours indiqué qu'à mon sens, la solution ne devait pas être seulement financière, mais également industrielle, qu'elle devait tenir compte des savoir-faire professionnels et être respectueuse de nos intérêts nationaux. Rien ne serait pire qu'un démembrement conduisant à une implantation dans des territoires hostiles à ces intérêts. L'affaire du Moniteur, groupe centenaire, illustre d'ailleurs les inconvénients qu'il y a pour un groupe de presse et d'édition à se retrouver régulièrement mis à l'encan : or c'est ce qui arrive quand il a été une première fois acquis par un consortium financier, qui ne songe qu'à revendre pour faire son profit. D'où une succession extrêmement rapide de ventes et de reventes, qui peut s'achever par le démembrement d'ensembles naguère cohérents. Je préfère donc privilégier chaque fois une solution conforme à nos intérêts nationaux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

QUESTIONS

M. Patrick Bloche - Le conflit des intermittents constitue une crise culturelle sans précédent - et cette crise n'est pas derrière nous : nous la vivons encore ! A vous écouter, Monsieur le ministre, la faute en serait à vos prédécesseurs, aux partenaires sociaux, à M. Fillon... N'êtes-vous pas le ministre de la culture de la France ?

Et que vaut votre prétention d'avoir sauvé les annexes 8 et 10 quand un tiers de ceux qui en bénéficiaient cesseront d'en tirer le moindre avantage le 1er janvier prochain ? Nous n'ignorons pas que le régime des intermittents est un régime déficitaire, mais qui ne voit que l'allégement consenti à l'UNEDIC sera largement annulé du fait que les intermittents se retrouveront au RMI ?

Dans cette période transitoire où le mauvais accord du 26 juin ne s'applique pas encore, que ne prenez-vous des initiatives ? Certes, vous aviez prévu des assises du spectacle vivant, mais elles ne se tiendront plus dans chaque région, se limitant à une manifestation nationale. Surtout, c'est maintenant qu'il faut répondre au malaise des artistes et techniciens !

Pour préparer ce débat, le groupe socialiste a reçu les syndicats et la coordination des intermittents et précaires d'Ile-de-France. La CGT spectacle nous a annoncé ses propres assises et la coordination, démontrant qu'elle ne s'en tenait pas à la protestation, nous a remis des propositions que vous feriez bien de faire expertiser - sans vous remettre pour cela à l'UNEDIC -, car elles paraissent de nature à réduire le déficit dans un esprit de mutualisation, sans préjudice pour l'égalité.

M. Michel Françaix - Très bien !

M. le Ministre - Loin de moi l'idée de prétendre que le déficit des annexes 8 et 10 serait évitable ! Il est structurel, il est consubstantiel à l'idée même de solidarité lorsque celle-ci s'applique à des professionnels travaillant de façon discontinue et pour des employeurs multiples, et donc condamnés à recourir à l'indemnisation, à un moment ou à un autre de leur carrière.

Sur un sujet aussi grave, il faut éviter les propos démagogiques. Hélas, le problème ne date pas de l'an dernier : cela fait plus de dix ans que les partenaires sociaux sont dans l'impasse. Il faut donc rompre avec l'inaction du gouvernement précédent. Nous prenons des initiatives, le dialogue avec les intéressés est permanent ; j'ai sans doute rencontré la CGT spectacles plus souvent que vous. Mais il ne suffit pas de dialoguer pour tomber d'accord. Le débat national animé par M. Latarjet m'amène néanmoins à constater que les points de vue sont beaucoup plus divers et nuancés que ce qu'une polyclinique superficielle pourrait laisser croire.

Il faut aussi rompre avec une situation totalement factice. Qu'a-t-on fait au cours des précédentes assises pour, par exemple, imposer que les services de répétition soient payés ? S'ils ne le sont pas, comment les professionnels pourraient-ils acquérir des droits à indemnisation ? On a également consenti à ce que les spectacles systématiquement vendus en dessous du simple prix du plateau ! Comment dans ces conditions parvenir à payer les comédiens et les techniciens ?

M. Michel Françaix - Augmentez le budget de 30 %, et le problème sera réglé !

M. le Ministre - Non, ce n'est pas une bonne façon, de voir les choses ! Il appartient à chacun dans le cadre des moyens qui lui sont alloués, de prendre des dispositions appropriées. C'est ce que font certains directeurs d'établissement. A Bourges, où je me suis rendu cette semaine, j'ai admiré le directeur de la maison de la culture d'avoir décidé de faire une production de moins dans l'année, de façon à payer convenablement les artistes et les techniciens.

M. Michel Françaix - Le spectateurs sont perdants !

M. le Ministre - Nos concitoyens savent bien que chacun doit faire des arbitrages en fonction des moyens dont il dispose. Votre philosophie est celle du non-choix !

M. Michel Françaix - Notre choix, c'est la culture !

M. le Ministre - Nous voulons pour notre part soutenir la création, mais aussi la dignité du travail. Il est monstrueux qu'on ait, dans ce débat sur l'intermittence, fini par considérer que la vocation des professionnels du spectacle était de devenir de perpétuels chômeurs.

M. Patrick Bloche - Quel discours populiste ! Nous attendions mieux de vous !

M. le Ministre - Je préfère que nous travaillions au développement du travail artistique. Quel que soit le dépit que cela vous inspire, nous aboutirons, et les professionnels nous en seront reconnaissants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Bloche - Pour vous dire merci, encore faudrait-il qu'ils puissent vous rencontrer (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Ma deuxième question risque de vous fâcher à nouveau car elle concerne l'archéologie.

Nous ne considérions pas la loi de 2001 comme parfaite, mais avec la loi d'août dernier, vous avez démantelé le service public de l'archéologie, qui était une référence internationale, en créant artificiellement, pour des motifs idéologiques, un marché des fouilles, à l'instar de Mme Thatcher il y a quinze ans - on voit aujourd'hui où en est l'archéologie britannique.

Vous avez cassé la chaîne scientifique si précieuse reliant le diagnostic, les fouilles et leur exploitation. On voit déjà les conséquences de cette reprise en mains au détriment des scientifiques : le préfet de l'Ile-de-France a décidé d'annuler des arrêtés de diagnostic.

Nous nous inquiétons beaucoup d'un rapport émanant d'inspecteurs généraux des finances et de la culture. Pourquoi, lorsque Yves Coppens met au jour en Afrique les restes d'un hominidé, considère-t-on qu'il s'agit d'une découverte scientifique, et quand avec les mêmes méthodes, un archéologue trouve en France les restes osseux d'un homme préhistorique, que la fouille est un geste technique et doit être assimilée à une activité de travaux publics dont l'objectif est de vider un terrain de ses nuisances ?

Par ailleurs, on dit que va être supprimée au sein du ministère la mission de la recherche et de la technologie. Pourquoi toute la dimension scientifique de votre département ministériel est-elle ainsi en train de disparaître ?

M. le Ministre - Vous ne reculez devant aucune démagogie ! Vous aimez faire peur à nos concitoyens, jouer au loup-garou, mais j'ai le regret de vous le dire, votre loi était mauvaise. Notre majorité a sauvé l'archéologie préventive, le ministère accorde des moyens importants à la recherche scientifique, le dispositif que nous avons mis en place préserve à toutes les étapes le rôle de l'Etat : c'est l'Etat qui prescrit, c'est l'Etat qui contrôle ; mais nous considérons que des services relevant de collectivités locales ou même des opérateurs privés doivent pouvoir concourir à des missions d'intérêt général. Vous voyez les choses autrement : vous êtes tout simplement des archaïques (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gilbert Gantier - Comme le soulignait Henry Chapier dans un quotidien du soir « le cinéma fait toujours rêver ». Aussi l'Etat devra-t-il, en association avec les collectivités locales, assurer un égal accès au septième art sur l'ensemble du territoire. Or nous avons tous observé avec regret la fermeture de nombreuses salles de cinéma. Dans ma circonscription, il n'est n'en reste plus qu'une. Comment entendez-vous permettre aux Français de retrouver l'atmosphère des salles de projection d'antan, lieux de convivialité et de mixité sociale ?

Permettez-moi aussi de vous faire part de mon attachement et de celui des amoureux du cinéma, à la cinémathèque du Palais de Chaillot. La salle de Chaillot, offerte par André Malraux à Henri Langlois, est un lieu chargé d'histoire et même mythique, qui a accueilli les plus grandes personnalités de l'histoire du cinéma, de Charlie Chaplin à Alfred Hitchcock, d'Akira Kurosawa à Orson Welles. Ne mérite-t-il pas mieux que le rôle qui lui est réservé par le projet. Au-delà de la projection d'_uvres sur le thème de l'architecture, ne pourra-t-il poursuivre ses activités d'enseignement cinématographique ? J'ajoute que les travaux gênent depuis déjà cinq ans l'activité de la cinémathèque, qui ne fonctionne plus que le soir et le week-end.

M. le Ministre - Les relations entre Henri Langlois et André Malraux ont été très mauvaises... Nous avons su mettre fin à cinquante ans de tensions entre la cinémathèque et l'Etat, résultant de bases incertaines : la cinémathèque récusait ce qu'elle estimait être une tentative de mainmise de l'Etat, tout en relevant quasi totalement de subventions pour son fonctionnement. Plusieurs projets de déménagements avaient été envisagés, notamment au Palais de Tokyo. Il y a encore, dans les ruines de ce palais, deux salles prêtes à fonctionner. Puis l'Etat a acheté à grands frais le 51 rue de Bercy. Il était temps de devenir cohérent, aussi ai-je décidé de consacrer l'installation de la cinémathèque française dans ce dernier bâtiment.

Parallèlement, nous avons rénové les statuts de la cinémathèque française, et l'avons dotée d'une nouveau conseil d'administration, aujourd'hui présidé par Claude Berri. Par ailleurs, la cité de l'architecture et du patrimoine sera implantée au Palais de Chaillot.

Pour ce qui est du réseau des salles de cinéma, le Centre national de la cinématographie a pour objectif de soutenir, en ville comme à la campagne, un réseau diversifié de salles indépendantes. Au milieu des années 1990, le XVIe arrondissement de Paris ne comptait plus aucune salle de cinéma. Aujourd'hui, le Majestic Passy, ouvert en 1995, fonctionne avec trois salles. Plus généralement, les salles parisiennes bénéficient de l'aide aux salles à programmation difficile - 1,8 million d'euros - afin de maintenir la diversité. Il n'y a donc aucune remise en cause.

M. Frédéric Dutoit - Je reviens sur le problème des intermittents du spectacle. C'est vrai, le précédent Gouvernement aurait dû y réfléchir, mais cette carence ne doit pas légitimer votre propre attitude.

Vous avez décidé d'engager prochainement un débat national, encore faudrait-il y associer l'ensemble des partenaires concernés. En signant le 26 juin dernier un accord avec des organisations syndicales minoritaires, le Medef a mis le feu aux poudres. Pourquoi donc M. Fillon a-t-il validé cet accord le 8 août ?

Abordons le débat de fond : la culture relève-t-elle de la solidarité nationale ou de la solidarité sociale ? Les 3,1 % d'augmentation pour les spectacles vivants financeront-ils les 30 000 intermittents du spectacle qui se retrouveront à la rue ?

Je vous invite à revenir sur votre position, et à me garantir que cet accord minoritaire ne sera pas appliqué au 1er janvier.

M. le Ministre - La crise que nous venons de traverser a permis de mettre un terme à la confusion entre solidarité nationale et solidarité sociale.

La solidarité nationale s'exprime par les moyens de l'Etat. A ce titre, 740 millions d'euros seront consacrés aux spectacles, principal poste de dépenses du ministère, et qui progressera encore en 2004. En revanche, la solidarité sociale relève des partenaires sociaux, et elle est mise en _uvre par l'UNEDIC. Même si le Gouvernement agrée les accords, il ne peut méconnaître la volonté des partenaires sociaux.

L'accord du 26 juin, modifié le 8 juillet à ma demande, ne remet pas en cause le principe de ce régime spécifique, que nous sommes les seuls au monde à posséder, mais il en module la mise en _uvre. Il faudra encore travailler pour définir un régime plus satisfaisant qui prenne en compte les particularités de ce secteur. Je reste à la disposition de tous les intéressés, et j'espère aboutir à un consensus.

M. Frédéric Dutoit - Acceptez alors la proposition de M. Pinte. Ma dernière question concerne la précarité de l'édition musicale française. Si peu de place est aujourd'hui accordée à la chanson à texte ! Trop peu d'artistes bénéficient du système actuel où, affirme Jean Ferrat, « la concentration de la production culturelle conduit à une alliance entre les industries du disque, les grands groupes de communication et les grandes chaînes télévisées ». Aujourd'hui, l'immense majorité des chanteurs à texte vit dans la précarité, aussi est-il urgent d'exiger des grandes chaînes, notamment publiques, un meilleur respect de la diversité culturelle française. Je le répète, n'inféodons pas la culture au dictat de la marchandisation.

M. le Ministre - C'est vrai, le renouvellement des générations de chanteurs est une chance pour notre pays qui compte nombre d'artistes talentueux - Bénabar, Vincent Delerm, Thomas Fersen, Carla Bruni, notamment. Se pose alors la question de la diffusion de leur travail.

S'agissant du spectacle vivant, il faut s'appuyer sur notre réseau de scènes subventionnées, notamment le SMAC. De même, nous soutenons le Centre national de la variété, et le projet de Hall de la chanson.

Concernant la radio, j'ai fait aboutir la signature d'une convention entre les producteurs de disques et les éditeurs de programmes radiophoniques, en faveur de la diversité musicale. Nous disposons, au ministère de la culture, d'un groupe de professionnels sur le thème de la diversité radiophonique animé par Eric Baptiste. J'ai constitué un autre groupe de travail pour la télévision, animé par Mme Véronique Cayla, directrice du Festival de Cannes. J'espère que nous aboutirons au même résultat afin que la jeune variété française puisse s'exprimer davantage sur nos chaînes de télévision.

M. Bruno Bourg-Broc - En janvier dernier a été annoncée l'implantation à Metz de la première antenne décentralisée du Centre Pompidou. Cette expérience inédite permet de doter une région d'un atout culturel d'importance, tout en assurant une diffusion de proximité de la culture. Nous souhaitons installer à Châlons-en-Champagne une antenne décentralisée du musée du Louvre. Ce serait une illustration de la déconcentration ou de la décentralisation. En outre, les réserves de nos musées nationaux récèlent des trésors qui ne peuvent être exposés. Ne pourrait-on les répartir entre les villes, en particulier les villes moyennes, qui souhaitent promouvoir la culture ? Cela renforcerait leur attrait touristique et permettrait de faire connaître le patrimoine historique et artistique de notre pays.

M. le Ministre - Votre souhait rejoint mon propre engagement. Les établissements nationaux s'inscriront définitivement dans le paysage culturel de notre pays quand chacun d'entre eux se sera engagé dans au moins un projet d'implantation d'antenne permanente en région. C'est dans cet esprit que j'avais lancé le projet avec la ville de Metz comme président du centre Pompidou. Le Louvre et le musée d'Orsay travaillent à des projets semblables. Je sais qu'un projet est en cours pour exposer une partie des réserves du Louvre dans votre ville de Châlons-en-Champagne. Je le soutiens. Si nous parvenons demain à exposer nos richesses nationales sur tout le territoire et non plus seulement à Paris, nous aurons bien _uvré pour le développement culturel et pour l'unité de la nation.

Mme Martine Aurillac - En prélude aux journées du patrimoine, vous avez présenté en Conseil des ministres, le 17 septembre, un plan national destiné à améliorer la conservation et la mise en valeur des monuments historiques et des édifices protégés, négligés par le précédent gouvernement. Les quatre axes de ce plan sont le soutien aux propriétaires privés - qui possèdent 50 % des édifices protégés -, la simplification des procédures de protection et de travaux, une meilleure intervention des collectivités locales et la sensibilisation du public, notamment des jeunes, à la conservation de notre patrimoine. Cela implique un effort budgétaire durable. En 2004, 20 millions d'euros supplémentaires seront consacrés à la restauration des monuments en région.

Pouvez-vous nous détailler les premières mesures de ce plan qui permettra d'améliorer la santé de nos monuments ?(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - A mon arrivée rue de Valois, j'ai demandé au directeur du patrimoine et de l'architecture de dresser un bilan sanitaire des monuments historiques de notre pays. J'ai constaté qu'une grande partie de notre patrimoine était dans un état de grave dégradation, dû sans doute à un manque de conviction mais aussi aux faiblesses de l'organisation de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'_uvre dans ce secteur. C'est pourquoi j'ai proposé que la maîtrise d'ouvrage puisse désormais être exercée par les propriétaires, y compris privés, des monuments, ce qui évitera l'engorgement des services de l'Etat.

Le plan national pour le patrimoine bénéficie de moyens renforcés, la dotation affectée à la restauration des monuments historiques augmentant de 10 %. Les premières interventions concerneront les cathédrales de Beauvais - qui était dès sa construction un défi aux lois de la pesanteur -, de Strasbourg, de Chartres, de Reims, de Bourges et, à Paris, le Panthéon, qui menace ruine. Je souhaite débarrasser ce monument de ses filets de protection et, peut-être, y installer, aux côtés des monuments funéraires, des monuments dédiés aux souvenirs de grands artistes ou de grandes personnalités. A l'instar de l'abbaye de Westminster, il offrirait ainsi un tableau de l'histoire de notre nation.

Mme Juliana Rimane - Les Français de métropole et d'outre-mer ont la chance d'avoir un patrimoine artistique et culturel inestimable, que vous avez voulu préserver et valoriser en mettant en place un plan national en faveur du patrimoine. En effet, plus de 20 % des édifices classés sont en péril, sans parler de monuments non classés mais d'un intérêt historique et culturel évident.

En Guyane, l'état du patrimoine est préoccupant. Souvent mal entretenu et peu valorisé par manque de moyens, il subit en outre les effets du climat chaud et humide de cette région équatoriale. Si rien n'est entrepris à brève échéance, il est à craindre que certains éléments de ce patrimoine soient gravement endommagés : le camp de détention de Counamama, où furent déportés les opposants à la Révolution, notamment les prêtres réfractaires, la commune de Mana, avec l'_uvre d'Anne-Marie Javouhey, les sites de l'Acarouani, lieux d'accueil des lépreux au XIXe siècle, et aussi les vestiges des Amérindiens, notamment les roches gravées.

La restauration et l'entretien de ces sites et monuments répondent à un devoir de mémoire et présentent un grand intérêt pour le tourisme. De même, la mise en valeur du patrimoine vivant des peuples premiers permettrait aux touristes et aux Guyanais de mieux connaître l'histoire et la culture de la Guyane. A l'instar de ce qui a été fait en Nouvelle-Calédonie pour promouvoir la culture mélanésienne, ne pourrait-on envisager la création d'un centre ?

Quels moyens réserverez-vous à l'outre-mer, et à la Guyane en particulier, dans votre plan national de préservation et de valorisation du patrimoine ? Quelles mesures prendrez-vous pour renforcer vos services en Guyane ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - L'outre-mer a toute sa place dans ce plan national pour le patrimoine. Je souhaite prendre en compte la totalité du patrimoine de nos territoires ultra-marins et notamment les langues. Lors des récentes assises des langues de France, j'ai insisté sur la préservation de cet élément de notre patrimoine culturel.

Sur les 3,5 millions d'euros de crédits déconcentrés consacrés cette année au patrimoine de l'outre-mer, 750 000 € iront à la Guyane. D'importants travaux ont été effectués au camp de transportation de Saint-Laurent-du-Maroni, où un nouveau programme est envisagé.

L'hôpital Jean-Martial de Cayenne, inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, devrait également être restauré et il est envisagé d'y installer un équipement culturel régional abritant notamment un musée des cultures guyanaises. Il faut également mieux valoriser les éléments de patrimoine qui nous viennent des populations anciennes comme ces peuples précolombiens qui furent brutalisés par les Européens. Cette mémoire des peuples est un élément fort de notre culture partagée.

M. Patrice Martin-Lalande - Vous avez annoncé le 22 août, lors de votre visite à Chambord, la création d'un établissement public chargé de la gestion du domaine national.

Les ressources du domaine de Chambord seront-elles modifiées dans leur montant ? Quelles garanties offrira-t-on au personnel pour que l'harmonisation statutaire soit réalisée par le haut ? Quelles conséquences découleront du nouveau statut pour la commune de Chambord et les autres collectivités territoriales ? L'accès et la traversée du domaine seront-ils modifiés ? Enfin, l'établissement public sera-t-il opérationnel avant le 31 décembre 2004 ?

M. le Ministre - Un établissement public unique est en effet appelé à se substituer aux trois qui exerçaient leur responsabilité sur le site de Chambord et aux six administrations qui prennent part à sa gestion et à son animation. Le principe qui doit prévaloir est celui de la neutralité budgétaire. L'ensemble des crédits et du personnel correspondant aux compétences reprises par le nouvel établissement public doivent lui être transférés. Le projet de loi garantit aux agents que l'intégration leur sera favorable. Les conditions statutaires d'emploi resteront inchangées : les agents contractuels conserveront le bénéfice des stipulations de leur contrat antérieur et les titulaires seront placés dans une position conforme aux dispositions législatives et réglementaires dont ils relèvent. Ils seront, à leur demande, soit détachés, soit mis à la disposition du nouvel établissement.

Les compétences des collectivités ne sont en rien affectées par le projet. En revanche, leurs relations avec le domaine seront clarifiées, puisqu'elles seront membres du conseil d'administration de l'établissement. Enfin, ces dispositions n'entraînent aucun changement dans la traversée et l'accès au domaine - j'ai pu me rendre compte à Chambord que cette question soulevait de nombreuses inquiétudes.

Le projet de loi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2005. Ce délai nous permettra d'examiner toutes les dispositions pour assurer son bon fonctionnement. Le nouveau commissaire de Chambord sera, lui, désigné dans les prochaines semaines.

Mme Juliana Rimane - Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé à faire l'apologie de la lecture et à rendre le livre accessible à tous. Je souscris à cette heureuse initiative et j'appelle votre attention sur la situation particulière de la Guyane, où toutes les communes ne possèdent pas une bibliothèque. Les petites communes de l'intérieur notamment n'ont pas les ressources nécessaires. Là où des locaux ont pu, au prix de bien des efforts, être construits, l'acquisition des livres et les dépenses de fonctionnement constituent des défis insurmontables.

Dans ces communes, souvent isolées et parfois privées d'électricité, et donc de télévision, la lecture reste le seul moyen de culture et de communication. Elle permet par ailleurs de lutter contre l'échec scolaire et l'illettrisme, qui sont de véritables désastres dans ces régions déshéritées. La bibliothèque permet de favoriser le contact des enfants avec les livres, et voir les adultes en train de lire constitue un bel exemple pour eux.

« Sans la consolation de la lecture, nous mourrions d'ennui présentement. La lecture apprend aussi, ce me semble à écrire ». Ces deux phrases de la marquise de Sévigné constituent un précieux message. Quelles mesures comptez-vous donc prendre, à titre exceptionnel, pour aider les communes d'outre-mer, et notamment la Guyane, à bâtir une bibliothèque, à la faire fonctionner et à acquérir des livres ?

M. le Ministre - Le livre est le moyen d'accès au savoir et à la culture le plus universel et le plus efficace. Il est toujours présent, même dans les régions où le spectacle et la musique ne pénètrent pas, pour affirmer l'égalité de tous dans l'accès à la connaissance. J'estime donc que la politique en faveur du livre est la plus essentielle de mon ministère. Il s'agit de défendre à la fois les librairies et les bibliothèques. Celles-ci sont des lieux de sociabilité et de civilité. Chacun y apprend à se comporter de façon respectueuse et à développer son esprit critique, et donc le rejet de l'intolérance et des ostracismes.

Nous devons naturellement veiller à ce que cette politique du livre s'applique sur toutes les parties du territoire national. Vous pouvez être assurée que je veillerai tout particulièrement à ce que les collectivités locales d'outre-mer ne soient pas oubliées. Je note que deux projets de « Ruches », ces médiathèques de proximité, ont été élaborés en Guyane. Je souhaite qu'elles soient développées dans les régions les plus difficiles d'accès. Je serai toujours présent, Madame la députée, dans ce combat, et je vous remercie à l'avance du soutien que vous m'apporterez.

Mme la Présidente - Nous en avons terminé avec les questions. J'appelle maintenant les crédits inscrits à la ligne Culture et communication.

Les crédits de l'état B, titre III, mis aux voix, sont adoptés.

ÉTAT B, TITRE IV

M. Patrick Bloche - Monsieur le ministre, je regrette que vous ayez pu paraître irrité par nos interventions. Notre rôle d'opposants n'enlève rien au respect que nous éprouvons à votre égard.

Etant des parlementaires de bonne volonté et ayant comme souci premier la défense de l'intérêt général, nous avons remarqué, page 6 du bleu budgétaire, une mesure nouvelle qui supprime 43 millions de crédits. Le groupe socialiste a donc souhaité les rétablir par l'amendement 70 rectifié. Je pense que vous serez sensible au soutien que nous apportons à votre action, même si vous n'avez pas répondu à nos questions sur les contre-propositions des intermittents et sur le rapport relatif à l'archéologie, et que vous adopterez avec enthousiasme cet amendement.

M. le Rapporteur spécial - La commission a rejeté cet amendement, car la baisse des crédits d'intervention n'est qu'apparente. Peut-être aurait-il fallu, Monsieur Bloche, lire le bleu au-delà de la page 6 ! Au sein du budget de la culture, les crédits d'intervention de la DRAC de Rhône-Alpes, la subvention au centre des monuments nationaux et celle de la future cité d'architecture ont été transférés du titre IV au titre III, qui regroupe dorénavant l'ensemble des subventions de fonctionnement des établissements publics.

M. le Ministre - Je céderais très volontiers au mouvement généreux de M. Bloche, mais ses motifs ne m'apparaissent pas fondés. Le ministère a transféré des crédits d'un titre à l'autre, mais il n'y a aucune dégradation de sa capacité d'intervention. L'addition des titres III et IV indique au contraire une nette augmentation des crédits.

L'amendement 70 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

Les crédits inscrits à l'état B, titre IV, mis aux voix, sont adoptés.

Les crédits de l'état C, titres V et VI, successivement mis aux voix, sont adoptés.

Mme la Présidente - Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère de la culture et de la communication concernant la culture.

M. le Ministre - Madame la Présidente, je suis parfois un peu disert et je voudrais vous remercier, ainsi que la représentation nationale, de la patience dont vous avez fait preuve à mon égard.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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