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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 26ème jour de séance, 67ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 18 NOVEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      DROIT D'ASILE (deuxième lecture) 2

      QUESTION PRÉALABLE 5

      ARTICLE PREMIER 20

      ART. 2 21

      ART. 4 22

      APRÈS L'ART. 4 23

      ART. 6 23

      ART. 7 23

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 19 NOVEMBRE 2003 25

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

DROIT D'ASILE (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi modifiant la loi n° 52 893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Dominique de Villepin, retenu par des engagements internationaux, vous prie de bien vouloir excuser son absence et m'a demandé de défendre devant vous, comme en juin dernier, le projet de loi réformant notre droit d'asile. Ce projet a été sensiblement enrichi par votre commission des lois et vos amendements tout comme lors du débat en première lecture au Sénat.

Chacun peut s'accorder sur deux exigences : la France est déterminée à perpétuer dignement sa tradition d'accueil ; notre droit d'asile et le dispositif d'accueil sont en crise.

Depuis le printemps dernier, beaucoup a été fait. Sans doute votre rapporteur exposera-t-il les améliorations que vous avez apportées au texte. Quant aux novations apportées par le Sénat le 23 octobre dernier, elles apportent des précisions conformes à l'esprit qui a été le vôtre le 5 juin.

La référence aux traités internationaux relatifs aux réfugiés a été complétée par l'ajout du protocole de New York du 31 janvier 1967, qui étend les effets de la convention de Genève aux personnes devenues réfugiées à la suite d'évènements survenus après le 1er janvier 1951 et sans aucune limitation géographique.

Le Sénat a également posé le principe de la convocation à un entretien des demandeurs d'asile. L'OFPRA pourra toutefois s'en dispenser lorsqu'il s'apprête à rendre une décision favorable sur la seule base des éléments en sa possession. L'entretien sera également facultatif lorsque le demandeur a la nationalité d'un Etat pour lequel la clause de cessation de la convention de Genève s'applique - c'est-à-dire lorsqu'il est patent que des persécutions n'y sont plus pratiquées ni tolérées. La convocation sera de même inutile lorsque des raisons médicales interdisent au demandeur de se présenter ou lorsque les éléments fournis à l'appui de la demande sont manifestement infondés.

L'office restera soumis au contrôle du juge dans l'application de ces dispositions.

Par ailleurs, le principe de la protection assurée par des agents non étatiques constitue un élément important de la réforme. Cette protection est le corollaire de l'abandon du critère jurisprudentiel de l'origine étatique des persécutions. Le Sénat a souhaité en limiter la portée aux seules organisations internationales et régionales et exclure les partis ou autres organisations.

Le Sénat a également précisé les conditions dans lesquelles sera apprécié l'asile interne. L'auteur des persécutions devra être pris en compte par l'office qui aura à apprécier les conditions générales prévalant dans la partie du territoire où le demandeur pourrait trouver un asile interne ainsi que la situation personnelle de l'intéressé.

Les sénateurs ont par ailleurs atténué les limites posées à l'octroi de la protection subsidiaire. Elle pourra être refusée lorsqu'il y aura des raisons de penser que l'activité de l'intéressé - et non plus sa présence - constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.

Le Sénat a aussi posé le principe que l'OFPRA pourra « mettre fin » au bénéfice de la protection subsidiaire alors qu'il était prévu qu'il « retire » celle-ci. Cet amendement privilégie le principe de sécurité juridique : dans l'hypothèse où le bénéfice de cette protection résulterait d'une décision de la commission des recours des réfugiés, le Sénat a en effet estimé que l'autorité de la chose jugée interdirait un retrait de cette protection par l'office, qui présenterait un caractère rétroactif.

Le Sénat a également abordé la question du transfert des archives de l'OFPRA au ministère des affaires étrangères, qu'il a autorisé dans le respect des règles de confidentialité. La direction des archives de ce ministère pourra désormais prendre en dépôt les archives les plus anciennes actuellement stockées à Aubervilliers. L'accès à ces archives sera limité aux personnes autorisées par le directeur de l'OFPRA.

S'agissant de l'organisation de la CRR la formulation retenue par le Sénat, qui écarte la nomination de membres du Parquet en activité, est de nature à apaiser certaines craintes quant à l'indépendance de la juridiction. Le Sénat a également souhaité maintenir la compétence consultative de la CRR en matière d'éloignement des réfugiés statutaires. Par ailleurs, un amendement précise que les requérants peuvent se faire assister d'un conseil et d'un interprète.

Enfin, le Sénat a accepté la proposition du Gouvernement selon laquelle les préfets de département ou le préfet de police de Paris pourront être chargés de l'admission au séjour des demandeurs d'asile dans plusieurs départements. Cette extension de compétence est nécessaire pour la mise en place de plates-formes régionales de traitement des demandes d'asile. Un tel dispositif permettra le traitement intégré et décentralisé des demandes, tous les services compétents étant regroupés en un même lieu.

Les dispositions transitoires du projet ont, elles aussi, été amendées. Il est prévu que les demandes de reconnaissance de la qualité de réfugié en cours d'instructions auprès de l'OFPRA à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi sont traitées comme des demandes d'asile au sens de cette même loi. Ces dispositions, qui valent pour l'OFPRA, s'appliqueront également, mutatis mutandis, à la CRR.

J'en viens aux directives communautaires.

Le projet de directive sur le statut de réfugié et la protection subsidiaire a pour objectif d'harmoniser l'interprétation par les Etats membres de la convention de Genève, notamment pour la notion de « réfugié » et la protection dite « subsidiaire ».

Un accord de principe avait été dégagé en novembre 2002 en ce qui concerne les conditions d'octroi, de cessation ou d'exclusion du statut de réfugié d'une part et de la protection subsidiaire d'autre part.

En revanche, aucun accord n'est encore intervenu sur le contenu de la protection internationale et la coopération entre Etats. Le blocage est dû aux réticences de certains Etats quant à l'égalité de traitement entre réfugiés statutaires et bénéficiaires de la protection subsidiaire, notamment au regard du droit au travail. Dans sa logique d'intégration, la France soutient une position d'égalité de traitement et d'accès au marché du travail. On peut espérer que l'adoption de cette directive interviendra d'ici la fin de l'année.

Par ailleurs, le projet de directive sur les procédures d'octroi et de retrait du statut de réfugié constitue une première étape vers une procédure d'asile commune. Ce texte prévoit des garanties de procédures pour l'examen des demandes d'asile telles que la convocation du demandeur à un entretien, l'assistance juridique ou l'interprétariat : il permet également le recours à des procédures accélérées, notamment lorsque le demandeur est ressortissant d'un pays d'origine sûr. L'objectif est également d'achever l'élaboration de la directive d'ici la fin de cette année.

De 1998 - 22 990 demandes - à 2002 - 52 877 - l'OFPRA a été confronté à une hausse croissante des demandes d'asile. Il n'est cependant pas exclu que nous constations une stabilisation relative en 2003.

Mais dans le même temps, la réforme du droit d'asile, portera en 2004 le nombre de dossiers à traiter par l'OFPRA à 85 000 et entraînera une forte augmentation du nombre de recours devant la CRR.

Les moyens budgétaires de l'office ont accompagné cette évolution, passant de 17 millions en 2001 à 28,5 millions en 2003. Dans le PLF pour 2004, les crédits alloués à l'OFPRA et à la CRR augmentent de près de 10 millions, passant de 28,5 millions en loi de finances initiale pour 2003, à 38,28 millions, soit une augmentation de 34 %. Au total, les moyens budgétaires de l'OFPRA et de la CRR ont plus que doublé entre 2001 et 2004.

Dans le même temps, les effectifs de l'OFPRA et de la CRR ont presque triplé. Ils se montent à 677 agents pour 2004, plus 67 qui sont mis à disposition par diverses administrations. Trente-huit emplois de contractuels sont créés et 105 ouverts précédemment sont consolidés. Par ailleurs, 25 emplois du ministère de la justice et 25 du ministère de l'intérieur seront transférés à l'OFPRA et à la CRR.

Ces moyens sont globalisés. Les moyens de la juridiction administrative ne sont donc pas identifiés, alors que c'est la première de France par le nombre de décisions rendues, et elle dépend de fait de l'établissement public dont elle est chargée de juger les décisions. Cela ne pouvait continuer ainsi. Il est notamment envisagé que le président de la CRR devienne ordonnateur secondaire de ses dépenses.

Tous ces efforts n'ont pas été déployés en vain. La capacité de traitement de l'OFPRA est passée de 4 000 à 6 600 dossiers par mois. Cet excellent résultat est dû à la mobilisation de ses agents, dont je salue le professionnalisme et l'engagement. A ce rythme, l'encours des demandes devrait être ramené en dessous de 20 000 dossiers à la fin de l'année. Les délais de traitement auront été ramenés en un an de douze à quatre mois. Au printemps, l'objectif d'un délai de deux mois, assigné par le Président de la République, devrait être atteint.

C'est la commission qui nous préoccupe dorénavant, même si ses effectifs augmentent de façon significative. Le rendement accru de l'OFPRA, l'arrivée en janvier du contentieux de la protection subsidiaire et le taux de recours élevé vont rapidement conduire à l'engorgement de la juridiction. Un audit des procédures est donc en cours, qui devrait se traduire par des gains de productivité, mais c'est incontestablement dans des moyens supplémentaires que se trouvera une grande partie de la solution.

Ainsi, un important travail a donc été accompli, tant en ce qui concerne les améliorations du texte initial que la mobilisation des moyens. Les débats ont été nourris et passionnés. C'est justifié, car la matière est grave ; elle est chargée d'émotion et lourde de milliers de destins broyés, pour lesquels la France apparaît comme un ultime recours. Mais l'émotion ne doit pas nous égarer. Toute législation sérieuse doit tenir compte des réalités diverses et parfois contradictoires qui s'imposent. Le Gouvernement a soutenu toutes les propositions qui amélioraient la clarté et l'efficacité de la loi, et qui favorisaient la justice, la générosité et la clairvoyance. Le projet de loi apparaît désormais clair, complet et équilibré. Le Gouvernement souhaite donc que vous l'adoptiez en l'état. Compte tenu des déficiences du système actuel, il paraît en effet impératif de pouvoir l'appliquer dès le 1er janvier. Je remercie une fois de plus tous ceux qui ont contribué à ce renouveau. Nous pouvons être fiers d'avoir participé à cette juste réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des lois - Le texte qui nous revient en deuxième lecture a été adopté par l'Assemblée en première lecture le 5 juin, puis par le Sénat le 23 octobre. Il veut remédier aux graves dysfonctionnements du système actuel : délais de traitement - deux ans en moyenne - coût - 270 millions en 2001 ! - et injustice.

Notre premier souci a été de simplifier les procédures. L'asile territorial, qui relève du ministère de l'intérieur, a été remplacé par la protection subsidiaire, gérée par l'OFPRA. Cet organisme indépendant devient ainsi le guichet unique des demandeurs d'asile. Face aux évolutions des formes de persécution et dans une logique d'harmonisation européenne, des notions ont été introduites dans notre dispositif, telles que les persécutions d'origine non étatique, l'asile interne et les pays d'origine sûrs. Elles serviront à éviter des flux migratoires entre pays membres de l'Union du seul fait des législations nationales en vigueur. Elles ont été prudemment encadrées. Notre objectif a été de trouver l'équilibre entre efficacité et humanité, pour mettre fin au désordre et à l'injustice qui présidaient à l'exercice d'un droit constitutionnel, reconnu par le Conseil d'Etat comme une liberté fondamentale.

Le Sénat a encore renforcé le dispositif de protection du demandeur d'asile, sans jamais entamer l'efficacité du projet initial. Il a rendu la convocation du demandeur à son audition obligatoire, alors que l'Assemblée avait préféré renvoyer ce domaine au décret, a précisé que la protection subsidiaire ne pouvait être refusée que si l'activité de l'étranger créait une menace grave, et non plus seulement sa présence, a renforcé le rôle de la CRR et a assuré sa totale indépendance. Les nouvelles notions sont précisées : l'octroi de l'asile interne impose de prendre en considération l'auteur des persécutions, le fait d'être ressortissant d'un pays sûr ne dispense pas de l'examen individuel de la demande et les partis politiques sont exclus de la liste des autorités de protection. Enfin, le demandeur d'asile territorial est considéré obligatoirement comme demandeur de la protection subsidiaire, pour assurer la continuité des systèmes. Le Sénat a par ailleurs permis l'extension des compétences du représentant de l'Etat sur plusieurs départements. Enfin, le protocole de New York de 1967 a été ajouté à la convention de Genève comme texte de référence.

Les efforts conjugués de l'Assemblée et du Sénat ont particulièrement enrichi ce texte, qui répond maintenant aux préoccupations essentielles des organismes chargés des demandeurs d'asile et des associations. Il perpétue la tradition républicaine d'accueil de notre pays, en particulier par la suppression définitive de la tutelle du ministre de l'intérieur et l'accélération du délai de réponse. Il permet enfin de limiter les détournements de procédure au profit d'une immigration économique qui avait saisi l'impuissance du système actuel et paralysait l'application d'un principe constitutionnel auquel les demandeurs d'asile ont droit. Nous restons persuadés que le nouveau dispositif ne pourra être pleinement efficace que s'il est complété par un renforcement constant des moyens humains et matériels. Le budget est d'ailleurs en hausse d'un tiers cette année et les effectifs ont été multipliés par trois en deux ans. Le raccourcissement des délais, générant des économies, devrait permettre d'augmenter les effectifs à budget constant.

Les notions nouvelles poseront des difficultés d'interprétation. Le dispositif devra donc être évalué, tant dans sa conformité au droit européen que pour vérifier l'équilibre entre droit et efficacité. La situation actuelle est injuste. Elle pénalise les réfugiés et favorise la présence sur notre sol de ceux qui usurpent leurs droits. Il n'est pas tolérable de laisser, sans recours possible, à la seule décision du ministre de l'intérieur près de 30 000 demandes dont seulement 2 % aboutissaient. Enfin, il fallait harmoniser les législations européennes. Cette réforme est équilibrée. Elle met fin à une fausse générosité des principes, désavouée par l'injustice des faits. Elle concilie ordre, efficacité, droit et justice. Elle est nécessaire et urgente, et c'est pourquoi je vous demande de l'approuver dans les termes du Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Gerin - Ce projet nous place face à une politique expéditive et liberticide, qui exprime une attitude française égoïste et hautaine. Le Gouvernement, plus proche du patronat que des ouvriers et des riches que des pauvres, remet en cause des acquis sociaux. Il vend une politique sécuritaire dans les relations internationales qui a beaucoup de ressemblances avec certains aspects de la politique des années trente (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Cette orientation sécuritaire devient le credo des pays républicains, engagés avec la droite et l'extrême droite dans des politiques arrogantes et méprisantes vis-à-vis des réfugiés. On en vient à imaginer des zones d'apartheid moderne pour stocker, « parquer », comme le disent certains dirigeants européens, les populations qui demandent protection. Quid du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies, qui assure protection sur des bases strictement humanitaires ? Nous sommes face à une république tronquée qui renie ses valeurs singulières et universelles, une république défigurée qui préfère consacrer l'argent public à l'arme nucléaire plutôt qu'au secteur social, qui porte l'égoïsme et l'esprit de suffisance, qui chouchoute les marchands et méprise les peuples et surtout qui ignore des millions de réfugiés confrontés aux tragédies de la domination impérialiste, aux inégalités et à la faim. Le Gouvernement efface les lettres de noblesse de la France au profit d'une mondialisation ravageuse.

M. de Villepin dit mettre en place une politique plus juste et plus efficace. Il y a tromperie ! Il affirme que la France reste fidèle à sa tradition d'accueil : discours d'affichage ! Il déclare vouloir mieux protéger ceux qui le méritent, nous répondons que lui et le Gouvernement mènent une politique liberticide, égoïste et hautaine. Après le projet de loi d'orientation sur la sécurité, après les projets pour la sécurité intérieure, sur la grande criminalité et sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers, voici une nouvelle phase de démantèlement de nos valeurs.

M. Charles Cova - De vos valeurs à vous !

M. André Gerin - De nos valeurs républicaines.

Le droit d'asile est une tradition de la République française. Proclamé officiellement sous la Révolution, en 1793, il figure dans un article de la Constitution. Après quelques vicissitudes au XIXe siècle, la deuxième guerre mondiale a créé un électrochoc. La Déclaration des droits de l'homme adoptée par les Nations unies en 1948 affirme que devant la persécution toute personne a le droit de bénéficier de l'asile dans d'autres pays. En France, le droit d'asile est un principe fondateur de la Constitution, qui interdit de confondre la question de l'asile et celle de l'immigration.

Comme le déclare Gérard Noiriel dans un livre Réfugiés et sans-papiers : « les pouvoirs publics ont préféré mettre en avant la responsabilité des réfugiés eux-mêmes, arguant du fait qu'un grand nombre d'étrangers qui demandent l'asile politique ne sont pas vraiment victimes de persécutions politiques. Force est de constater que cette stratégie a été efficace ».

Le droit n'est plus dans l'air du temps. L'exposé des motifs le dit clairement : notre pays est devenu l'un des principaux pays d'accueil en Europe. Le cumul des procédures d'asile conventionnel et d'asile territorial contribue à faire de l'asile un moyen utilisé pour séjourner en France et un vecteur d'immigration irrégulière.

Le Gouvernement souhaitait une fusion entre asile et immigration. La mainmise du ministre de l'intérieur sur l'OFPRA, où il a placé un homme à lui à un poste de direction non défini, confirme cette obsession policière et sécuritaire. Cette nomination discrète confirme la teneur de documents de janvier 2003 qui envisageaient le transfert de la tutelle vers le ministère de l'intérieur, bien que le ministre des affaires étrangères eût déclaré : « L'indépendance et le devoir d'asile sont au c_ur de l'OFPRA et de la commission des recours des réfugiés. Il n'est pas question de revenir là-dessus ».

Ces faits illustrent la politique « insolidaire » du gouvernement Raffarin, dénoncée par la Ligue des droits de l'homme ou la Coordination française pour le droit d'asile.

On ne peut admettre que le droit d'asile soit sabordé. On ne peut admettre que le Gouvernement tienne des discours ouverts à l'ONU en faveur de la paix, fermés en France, défendant une politique d'asile à contretemps.

Le rapport sur les défis de l'immigration future du Conseil économique et social, présenté par Michel Gevrey, aborde le sujet. « Le Conseil prend acte des orientations du projet relatif au droit d'asile. Il partage les remarques de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui déplore une appréhension réductrice du droit d'asile. Privilégiant une approche purement quantitative et économique, le Gouvernement justifie sa réforme par la nécessité de réduire les flux ainsi que le coût de la demande d'asile. Une telle approche conduit à réduire la question de l'asile à un problème de politique migratoire. Le conseil estime nécessaire de rappeler que le caractère constitutionnel du droit d'asile et les engagements internationaux de la France interdisent de confondre les questions d'asile et d'immigration. Le conseil souhaite que le droit d'asile soit mieux respecté, en sortant de la logique actuelle de suspicion systématique de fraude à l'emploi de la part des demandeurs d'asile. »

Votre gouvernement au c_ur sec est pris en défaut d'humanité. Le Sénat de droite confirme ce durcissement. La définition du droit d'asile se réduit comme peau de chagrin.

L'asile territorial est mort, remplacé par une notion de « protection subsidiaire ». C'est aggraver la situation dramatique des demandeurs d'asile qui campent parfois sur les places publiques. La place Carnot, face à la gare de Lyon-Perrache, est l'un de ces lieux qui font honte à notre pays.

La protection subsidiaire ne va-t-elle pas remplacer le statut de réfugié conventionnel ? Les critères de rejet sont vagues. L'audience de l'intéressé n'est pas obligatoire, l'office peut éviter de convoquer les personnes à une audition si « les éléments fournis à l'appui de la demande sont manifestement infondés ». Au contraire, les associations proposent que chaque demandeur soit entendu dans des conditions définies, que l'interprète soit prévu, ainsi que l'assistance par un avocat ou un représentant d'association, que cet entretien fasse l'objet d'un procès-verbal.

Vous demandez à l'OFPRA d'apprécier si l'activité du demandeur sur le territoire national constitue une menace grave pour l'ordre public. Or l'ordre public est une notion idéologique fourre-tout, qui incite à une posture sécuritaire et accentue la fusion souhaitée par la droite de la droite entre Intérieur et Affaires étrangères. Je le disais en première lecture, cette démarche révèle l'obsession sécuritaire du Gouvernement.

Toutes les décisions de rejet seront transmises au ministre de l'intérieur et, à la demande de ce dernier, le directeur général de l'office communiquera à des agents habilités des documents permettant d'établir la nationalité. Voici l'OFPRA et son directeur aux ordres du ministère de l'intérieur !

Votre projet plie les traditions françaises à des conceptions appartenant à d'autres pays.

L'Europe nous corsète, elle sert de prétexte répressif. En effet le Gouvernement tend à intégrer dans le droit français le contenu d'une directive de Bruxelles qui crée la notion de pays sûr, et met ainsi à bas le concept de droit d'asile. La Russie est-elle un pays d'origine sûr au regard de la situation actuelle en Tchétchénie ?

M. Charles Cova - Entendre ça d'un communiste !

M. André Gerin - A chacun de balayer devant sa porte !

La notion de pays d'origine sûr est liée aux choix politiques des puissants du G8, qui veulent imposer le modèle occidental, la loi des seigneurs.

Autre exemple des contraintes imposées par l'Europe, cette disposition de l'article premier qui précise que « l'office peut rejeter la demande d'asile d'une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine ».

Cette notion d'asile interne est très inquiétante. Ainsi elle aurait interdit aux réfugiés irakiens, en 1991, de bénéficier de l'asile, en raison de l'existence du Kurdistan, où les troupes de Saddam Hussein étaient absentes.

Cette notion est contraire à la convention de Genève, selon laquelle seuls les Etats reconnus peuvent offrir une protection effective à leurs ressortissants.

D'autre part, l'asile interne va obliger toutes les personnes persécutées à chercher protection dans leur propre pays. Dans un pays en guerre civile, par exemple un pays africain où les zones d'influence sont partagées, les habitants seront de fait exclus de l'asile en France. Ce concept d'asile interne peut annihiler toute possibilité d'obtenir la protection de la convention de Genève ou la protection subsidiaire.

Votre projet sonne le glas du droit d'asile comme valeur originelle de la République française. Le fantasme sécuritaire du Gouvernement en est la cause principale, mais s'y ajoute une intégration de plus en plus poussée dans l'Europe de la convention de Schengen.

Le gouvernement français tient à tout prix à repousser les persécutés des pays pauvres. Qu'ils restent dans leur pays ou dans les camps des pays limitrophes ! Ou bien rejetons-les à la frontière le plus vite possible ! Barricadons-nous ! Au nom de la sacro-sainte alliance pour sauver le capitalisme, le génocide tchétchène est passé par pertes et profits.

La mondialisation capitaliste est la principale cause du non-développement de nombreux pays, des guerres régionales ou civiles pour le contrôle des richesses, qui sont pillées à l'instigation des grandes multinationales.

Au lieu d'aborder les vraies questions, on cherche des boucs-émissaires pour des objectifs politiciens à courte vue. Or c'est d'une véritable solidarité mondiale que nous avons besoin.

Votre politique, qui consiste à multiplier les machines à exclure, ne ressemble pas à la France - que vous contribuez même à défigurer. Ce projet de régression vers une France frileuse portera atteinte à notre image internationale.

Le club des Etats les plus riches n'a résolu aucun des problèmes de la planète : comment croire que l'économie de marché, que la domination de la finance pourraient éliminer la misère dont elles sont en fait la cause ?

La question des réfugiés est cruciale pour l'avenir des civilisations, mais le G8 la traite par-dessus la jambe ! Or votre politique est à l'exemple de la sienne : vous amputez la fraternité, vous reniez notre tradition d'hospitalité. Osons plutôt une mondialisation de la solidarité, de la justice et de la fraternité ! Osons faire revivre la République, la nation, le bleu, le blanc et le rouge !

Tel est le sens de cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - Je m'avoue quelque peu déçu par le ton que vous avez adopté : agressif, caricatural et excessif, le propos était de ce fait dérisoire et peu crédible.

On défend une question préalable quand on estime qu'il n'y a pas lieu de légiférer. De fait, vous vous contentez du statu quo, comme s'il était satisfaisant que 28 000 demandeurs du statut de réfugié s'adressent directement au ministère de l'intérieur. Mais sans doute celui-ci était-il à l'abri de toute critique de votre part lorsqu'il était détenu par la gauche : pendant cinq ans, vous avez observé un lâche silence alors que 2 % seulement de ces demandeurs de l'asile territorial obtenaient gain de cause (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Vous ne vous êtes pas non plus insurgés contre Sangatte, sachant qu'à 2 % près, tous ces demandeurs voulaient gagner l'Angleterre pour bénéficier d'une loi plus favorable que la loi française.

Après ce temps de l'indignation tranquille, voici que vous demandez l'audition systématique... que le projet prévoit. Oubliez-vous que, pendant cinq ans, la proportion des auditions dépassait à peine 60 %, ce qui signifie que près de 40 % des demandes ont été rejetées après simple examen du dossier ?

Votre indignation est décidément bien tardive, comme d'ailleurs celle de votre groupe et de votre parti. C'est toujours avec retard que vous comprenez qu'injustice et désordre sont générateurs de totalitarisme ! Probablement avez-vous la nostalgie du temps où tout était simple, mais souvenez-vous qu'alors, tous les réfugiés allaient de l'est vers l'ouest et que votre parti observait le même long et lâche silence.

Je regrette d'autant plus le ton que vous avez choisi, Monsieur Gerin, qu'il ne vous est pas habituel et que vous recherchez plutôt, en général, les solutions pragmatiques et conformes à nos traditions républicaines. Vous avez lu un texte qui ne rend pas compte de la réalité et qui ne comporte pas de propositions acceptables. La démocratie est la recherche difficile et obstinée d'un équilibre entre l'ordre et la justice, elle ne consiste pas à stigmatiser ou à insulter l'adversaire...

M. André Gerin - Votre discours est digne des années trente ! Vous ne supportez pas la contradiction !

M. le Rapporteur - Staline est mort depuis cinquante ans, il serait temps de tourner la page !

M. André Gerin - Vous tenez un discours archaïque !

Mme Muguette Jacquaint - Rappel au Règlement, fondé sur l'article relatif au déroulement de nos travaux !

Il y a de quoi être méchant à l'égard de ce projet, Monsieur le rapporteur ! Cela ne justifie en rien votre propos selon lequel les communistes seraient des lâches...

M. le Rapporteur - Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Pierre-Louis Fagniez - Il a surtout parlé de nostalgie !

Mme Muguette Jacquaint - N'essayez pas de vous reprendre, vous l'avez dit. On peut ne pas approuver l'action des communistes, y compris sous le précédent gouvernement, mais ne venez pas soutenir que ce projet va conforter le droit d'asile et les droits de l'homme !

M. le Président - Vous vous écartez de ce que doit être un rappel au Règlement !

Mme Muguette Jacquaint - Je suis prête à demander un fait personnel : nous avons été insultés !

M. le Président - Ce sera alors en fin de séance.

M. le Ministre délégué - Monsieur Gerin, vous avez exprimé des doutes sur l'opportunité de légiférer sur l'asile, et cela sur un mode très polémique. Je ne vous suivrai pas sur ce terrain, nos débats de première lecture ayant amplement répondu aux questions de principe que vous avez voulu soulever de nouveau.

Cette réforme n'est pas celle d'une France hautaine et frileuse. Comme le Gouvernement l'a déclaré le 5 juin dernier, le droit d'asile est un droit fondamental auquel notre pays reste profondément attaché. Mais l'application de ce droit connaît une crise : crise de la réalité, et non du principe. Entendant rester terre d'asile, la France doit redonner toute sa consistance à ce droit pour remplir ses obligations à l'égard de ceux qui ont réellement besoin de sa protection. Le Gouvernement se devait par conséquent de proposer des dispositions équilibrées, entre générosité et efficacité.

Cette loi protégera davantage et plus vite les demandeurs d'asile de bonne foi, car nous avons su tenir compte du monde tel qu'il est en cherchant à abréger une incertitude qui ne peut qu'ajouter à leurs souffrances.

Nous ferions, selon vous, l'amalgame entre asile et immigration. Mais, si l'asile n'est pas la gestion des flux migratoires, il n'est pas destiné non plus à accueillir tous les déshérités de la planète : ce sont d'autres moyens qu'il faut mettre en _uvre afin de combattre la misère et le sous-développement - et, dans ce combat, la France est en tête !

Il n'y a pas de commune mesure entre les 6 000 à 8 000 demandes d'asile satisfaites chaque année et les deux millions de visa délivrés dans le même temps !

Inspiration sécuritaire ou liberticide ? Revenons aux faits : le ministère de l'intérieur est dessaisi des attributions que lui confiait la loi RESEDA, votée par la précédente majorité, et, de ce fait, il perd la responsabilité des 30 000 dossiers de demandes d'asile territorial déposés chaque année ! Je ne vois là rien qui indique une mainmise !

Mais il importe que ce ministère puisse travailler avec l'OFPRA et c'est pourquoi une cellule de l'Intérieur, mais placée sous l'autorité de l'office, assurera la liaison. Il faut bien que les décisions de l'OFPRA ou de la CCR se traduisent dans les faits, Monsieur le député !

Vous dites que les notions de « pays d'origine sûr » ou d'« asile interne » conduiront à la création de zones d'« apartheid moderne ». Outre que l'expression est excessive, il faut comprendre que la menace a changé et qu'elle ne se borne plus à celle d'affrontements tels qu'on les concevait dans les conventions définissant le droit de la guerre. De ce changement, il fallait tirer les conséquences pour notre droit de l'asile.

Vous voulez supprimer la référence à l'asile interne mais le projet dispose seulement que, si un demandeur d'asile peut avoir accès à une protection sur tout ou partie du territoire de son pays d'origine et qu'on n'a raisonnablement aucun motif de craindre qu'il y soit exposé à une atteinte grave, l'OFPRA « pourra » - et non « devra » - lui refuser le statut de réfugié. Il continuera d'y avoir un examen au fond de chaque demande.

La notion de pays sûr remettrait en cause, selon vous, l'effectivité du droit d'asile et serait contraire au préambule de la Constitution. Mais de quels pays parlons-nous ? Précisément de ceux où n'existe pas de risque sérieux de persécution. La notion renvoie à des pays stables, dotés de structures démocratiques et respectant les droits de l'homme.

Les demandeurs d'asile de ces pays auront néanmoins la garantie d'un examen au fond : il n'est pas question de rejeter automatiquement leur demande.

Cette réforme, loin de témoigner d'un manque d'humanité, est destinée à redonner toute sa portée à la tradition française d'accueil des opprimés. Conférer une force nouvelle au droit d'asile, c'est confirmer notre engagement en faveur des libertés et je vous demande donc de rejeter cette question préalable.

M. Christian Vanneste - Vraiment, Monsieur Gerin, tout ce qui est excessif devient insignifiant ! A vous entendre, on en vient à se demander s'il s'agit de politique ou de psychologie, tant votre discours tient de la projection !

M. André Gerin - Vous vous sentez atteint !

M. Christian Vanneste - Mais quelles sont donc ces références aux années 30 ! La grande différence entre vous et nous, c'est que nous sommes dans la réalité alors que vous vivez dans un passé fantasmatique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Gerin - Vous êtes gêné !

M. Christian Vanneste - Il fut un temps, certes, où deux mondes coexistaient : un monde totalitaire, et un monde de liberté, et c'est celui-ci qui a réussi ! La démocratie sociale est libre et riche, et c'est pourquoi beaucoup veulent participer à la prospérité. A l'ère communiste, il était certain que les réfugiés des pays soviétiques étaient, eux, des réfugiés politiques ! Aujourd'hui, les motivations des demandeurs d'asile sont soit économiques, soit politiques, et le texte permet les distinctions qui s'imposent.

Quant à employer le terme d'« apartheid », le jour même où le Président de la République d'Afrique du Sud est reçu dans l'hémicycle, c'est particulièrement malvenu...

M. André Gerin - Vous êtes blessé !

M. Christian Vanneste - Mais non ! Nous sommes navrés pour vous ! Et que dire encore du terme de « liberticide » dont vous usez pour qualifier le texte, alors que tout le travail de la commission a consisté à renforcer la protection juridique des réfugiés ? Vous feignez d'ignorer qu'une fois la loi en vigueur, ce n'est plus le ministère de l'intérieur qui aura la haute main sur l'asile territorial ! Que de contradictions !

De même, vous dites que le projet serait « expéditif », mais c'est tout le contraire, puisqu'il tend à réduire ces lenteurs dans le traitement des demandes qui sont source de tant de souffrances.

Pour toutes ces raisons, on ne peut que demander le rejet de cette question préalable et vous inviter à ouvrir les yeux sur votre temps, même si vous regrettez certains univers concentrationnaires qui ont heureusement disparu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Christian Vanneste - Dans un domaine où les discours les plus généreux entraînent souvent les situations les plus inhumaines, ce texte est sincère. Trop souvent, la demande d'asile conventionnel ou constitutionnel et plus encore d'asile territorial ne font que masquer un désir d'immigration économique.

La loi « Chevènement » s'est révélée désastreuse et cette législation déraisonnable a entraîné une augmentation exponentielle des demandes passées de 22 000 en 1998 à 83 000 en 2002. Il était urgent de remédier à cette dérive de la politique du précédent gouvernement .

En supprimant l'asile territorial, le projet met fin à un dispositif doublement inefficace. En effet, parce qu'elle était source de nombreuses demandes irrecevables, cette procédure avait pour conséquence de surcharger l'administration sans apporter de véritable solution aux demandeurs.

Face à un humanisme rhétorique, ce texte instaure un humanisme réel, qui se traduit en particulier par la réduction du délai de traitement des demandes. Pour cela, des moyens supplémentaires sont apportés à l'OFPRA, qui devient par ailleurs un guichet unique, ce qui garantit une plus grande égalité ente les demandeurs d'asile.

L'OFPRA se voit donner un nouveau rôle devenant désormais entièrement compétent pour tout ce qui concerne le droit d'asile, si bien qu'il n'y aura plus qu'une seule formalité à remplir pour demander l'asile en France. Le demandeur ne fera plus qu'une demande de statut de réfugié. Si ce dernier lui est refusé, l'administration se chargera elle-même de rechercher si le demandeur peut obtenir la protection subsidiaire. Un seule guichet, une seule demande : ainsi met-on un terme aux situations déshumanisantes et humiliantes que connaissent aujourd'hui tant de demandeurs démunis.

L'office devra aussi s'interroger sur l'auteur de la persécution pour apprécier la possibilité, pour le demandeur, de trouver une protection sur un partie de son territoire d'origine. La notion d'« agents non-étatiques » des persécutions est un progrès dans la prise de conscience du monde tel qu'il est. Car si des systèmes totalitaires justifiant amplement l'asile politique ont aujourd'hui disparu, de très nombreuses régions du monde ont vu s'accroître l'insécurité dans des pays aux frontières incertaines soumis à des autorités rivales.

Enfin de projet parvient à équilibrer l'expression légitime de la souveraineté nationale et la nécessaire harmonie entre les politiques européennes. Durant le débat son apparues des tendances contradictoires : celle qui consiste, comme l'a fait M. Gerin, à brandir comme un sabre de bois une « exception française » qui ferait de la France la terre sans limite de l'asile et celle qui tendrait à soumettre notre politique à la tutelle par trop étroite d'organismes extérieurs.

La commission s'est refusée à ce qu'un lien direct soit établi entre la Commission des recours des réfugiés et le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies.

En revanche, l'instauration de la protection subsidiaire, la notion d'asile interne et celle de « pays d'origine sûr » rapprochent considérablement notre dispositif de celui des autres Etats membres de l'Union européenne. C'était d'ailleurs l'objet de la proposition de résolution sur la politique européenne d'asile qu'avait défendue notre collègue Thierry Mariani.

Cette loi protégera les demandeurs d'asile de bonne foi, car les nouvelles dispositions permettront de séparer rapidement et sans ambiguïté le demandeur d'asile véritable de celui qui cherche à utiliser ce dispositif à des fins d'immigration économique.

Pour conclure, je voudrais souligner les apports positifs du Sénat à l'élaboration de ce texte.

Nos collègues sénateurs ont défini plus rigoureusement les pays sûrs, accentuant ainsi l'humanisme réel. Il ne suffit pas d'introduire les droits de l'homme dans un texte constitutionnel, il faut encore se donner les moyens de les appliquer. Par ailleurs, le Sénat a rappelé que le caractère « sûr » du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande.

M. Serge Blisko - Heureusement que les sénateurs sont là !

M. Christian Vanneste - Le Sénat a, de plus, souhaité entourer la procédure d'examen de la demande d'asile de garanties supplémentaires, en posant le principe de la convocation du demandeur d'asile par l'OFPRA. Il a précisé que les magistrats appelés à présider les sections de jugement de la commission des recours devront être des magistrats du siège en activité ou des magistrats honoraires, ce qui confortera l'indépendance de cette institution.

Le Sénat a également tenu à distinguer, dans les motifs du refus d'octroi de la protection subsidiaire en raison du trouble porté à l'ordre public, la simple présence du réfugié et son activité. On ne saurait effectivement punir deux fois celui qui, ayant trouvé refuge, serait poursuivi par ses persécuteurs ou leurs partisans, alors qu'il ne se livrerait lui-même à aucune activité politique.

Ce projet est donc un texte équilibré, qui règle un problème délicat et urgent. Au nom du groupe UMP, je vous demande de soutenir avec vigueur cette réforme qui transforme de manière constructive notre droit d'asile (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Serge Blisko - La réforme que nous examinons ce soir en deuxième lecture confirme les craintes que j'avais exprimées, au nom du groupe socialiste, sur le devenir du droit d'asile en France.

Si ce texte est adopté ce soir, ce sera tout l'édifice du droit d'asile, droit fondamental à valeur constitutionnelle qui s'effondrera. Cette tradition ancienne d'accueil des réfugiés appartiendra alors à un passé glorieux mais révolu. C'est en effet l'essence même du droit d'asile que vous menacez, notamment en accordant une place toujours plus importante au ministère de l'intérieur dans ce domaine.

Lorsque nous parlons des réfugiés politiques, nous parlons d'hommes et de femmes victimes des malheurs du monde. Lorsque vous en parlez, c'est en termes de chiffres et de rentabilité dans le traitement des demandes. Comment peut-on oublier les persécutions qui touchent des familles et parfois des populations entières, pour des considérations d'efficacité comptable ? L'asile n'est pas une question technique : il s'agit du droit fondamental de la personne à vivre en sécurité quand elle est menacée dans son pays d'origine.

Vous évoquez l'engorgement de l'OFPRA et la lenteur des procédures. Mais si la question de l'asile n'était pas, pour vous qu'un problème de chiffres, la réponse la plus adaptée aurait été d'attribuer à l'office des moyens humains et matériels supplémentaires comme l'avait fait le gouvernement de Michel Rocard en 1989. Ainsi le retard aurait été résorbé sans dommage pour le droit d'asile. Mais vous avez vu là un moyen supplémentaire pour décourager les candidats à l'asile. Monsieur le ministre, vous ne réglerez pas les flux migratoires avec une loi alors que se perpétuent tant de conflits et de génocides de par le monde.

Certes, l'OFPRA travaille lentement, mais il sait la différence entre asile et immigration, il sait reconnaître les blessures de notre monde, il sait, selon les mots d'Aragon, « là où notre siècle saigne », et notre siècle saigne beaucoup.

La politique d'immigration est une chose, le droit d'asile en est une autre. La confusion voulue entre immigrés irréguliers et demandeurs d'asile conduit à diaboliser ces derniers. En étendant à leurs cas la suspicion qui s'attache aux demandeurs « abusifs », ceux qu'il est nécessaire de renvoyer chez eux, vous faites de l'asile un sous-ensemble de la politique migratoire et vous justifiez ainsi la présence de plus en plus active du ministère de l'intérieur dans la procédure d'asile, comme le démontre la nomination d'un préfet.

Une nouvelle fois, apparaît la thématique du fraudeur, si chère à votre Gouvernement pour expliquer ses ratés. Après les faux chômeurs, les faux érémistes, les faux malades, voici les faux demandeurs d'asile !

Certes, nous observons une augmentation des demandes. Mais ce n'est pas une spécificité française ! Dans notre pays, la demande d'asile est en hausse, mais tellement moins qu'au Royaume-Uni, en Suède ou en Autriche ! Et l'acquisition du statut de réfugié y est en forte baisse. Ainsi au lendemain de la seconde guerre mondiale, nous enregistrions 400 000 réfugiés politiques.

En 1986, ils n'étaient plus que 180 000. Ils sont aujourd'hui 130 000, soit 0,5 % des 22 millions de réfugiés recensés dans le monde par le HCR dont les deux tiers sont accueillis dans les pays du tiers-monde. Nous sommes loin du terrifiant afflux que décrit le Gouvernement ! Un pays pauvre comme la Tanzanie accueille plus de réfugiés que l'ensemble de l'Union européenne !

Votre souci premier n'est donc pas d'apporter protection « aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté » comme on disait en 1793, mais de contrôler leur entrée sur notre territoire pour les renvoyer au plus vite chez eux : vous créez un ensemble de dispositions à la constitutionnalité douteuse et vous ouvrez grandes les portes au ministère de l'intérieur dans la procédure.

La nouvelle notion de l'asile interne, permettrait de rejeter la demande formulée par une « personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine ». Véritable monstruosité juridique que de reconnaître qu'un individu est persécuté sans lui donner accès à notre territoire - c'est l'inverse de la convention de Genève - et de le renvoyer dans des conditions acrobatiques dans une partie réputée plus tranquille de son pays d'origine ! Dangereux et inapplicable, cet asile interne vide le droit d'asile de son sens littéral, qui est de protéger en accueillant sur notre sol. Il est en deçà de la protection que peut accorder un Etat et inconstitutionnel, puisqu'il ne respecte ni la convention de Genève, ni le préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ».

En 1995, à Srebrenica, ce sont des populations supposées en sécurité qui ont été victimes de massacres sous les yeux des Casques bleus.

La notion d'asile interne nous entraîne ainsi sur un terrain dangereux : elle favorisera la constitution de zones « ethniquement pures », ce que l'on a appelé la cantonisation dans l'ex-Yougoslavie des années 90. Comment la France pourrait-elle le cautionner alors qu'à l'intérieur de ses frontières elle ne cesse de déplorer les replis communautaires ?

Autre novation douteuse, les « pays d'origine sûrs », dont l'OFPRA aura à dresser la liste. C'est là une notion étrangère à notre droit. Il faudra en effet prendre en compte des données de politique étrangère dont nous n'avons pas la maîtrise, pour créer des catégories. Comment expliquer aux pays avec lesquels nous entretenons des relations commerciales et diplomatiques importantes où vit une communauté française expatriée, qu'ils sont considérés comme non sûrs ? En confier la responsabilité à l'OFPRA, c'est le placer dans une situation contradictoire. Juge et partie, il sera exposé à de multiples pressions politiques et diplomatiques qui compromettront son fonctionnement.

En outre, ce critère méconnaît le caractère individuel et personnel du droit d'asile et rompt l'égalité entre demandeurs. Prenons l'exemple d'un Tchétchène. Les autorités sont-elles susceptibles de lui offrir une protection sur une autre partie du pays d'origine ? Ce pays est-il la Russie ou la Tchétchénie ? Allons-nous vraiment expliquer à M. Poutine, nonobstant les énormes enjeux économiques et de politique extérieure, que nous ne sommes pas d'accord avec sa politique en Tchétchénie ? Je plaide pour le maintien d'un traitement individualisé et personnel du demandeur d'asile. Car ces trois mots, « pays d'origine sûrs », risquent d'entraîner bien des complications et des malheurs.

Une disposition nous afflige particulièrement : la communication au ministère de l'intérieur des documents de toutes les personnes dont les demandes auront été rejetées. Cette grave dérive révèle la philosophie de votre texte. Outre qu'on voit là la mainmise de la place Beauvau sur le droit d'asile, vous confondez à nouveau droit d'asile et immigration. Cette disposition nouvelle, plutôt effrayante, va à l'encontre de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a, le 22 avril 1997, consacré la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié, comme « une garantie essentielle du droit d'asile ».

Vous prétendez harmoniser notre droit d'asile avec les normes européennes pour être en conformité avec le Traité d'Amsterdam. De quelles normes s'agit-il ? Aucune n'ayant pour l'instant été adoptée, il n'y a aucune urgence à transposer des directives qui n'existent pas encore ! Devancer ainsi l'appel, alors que la France ne se donne même pas les moyens d'appliquer les directives en vigueur, c'est agiter les vieilles peurs de l'étranger pour amener nos voisins à durcir leur politique de l'asile.

Je termine avec les oubliés du droit d'asile, ces mineurs isolés, souvent victimes de réseaux mafieux. Nous aurions souhaité que soit créée au sein de l'OFPRA une section particulière, comme l'appelle depuis longtemps de ses v_ux l'association France terre d'asile. Nous ne disposons d'aucun outil sérieux pour comptabiliser ces enfants.

Les chiffres du parquet de Paris, ceux de l'aide sociale à l'enfance, ceux que fournit Roissy, sont respectivement de 1 400, 1 350 et 1 000. Les mineurs n'ont pas la même capacité que les adultes à formuler leurs récits. Il faut les protéger, les aider à s'intégrer dans notre société. Nous l'avions proposé en première lecture, vous l'avez refusé.

Je me pose la même question que mon collègue sénateur Louis Mermaz : que reste-t-il du discours français sur les droits de l'homme ?

Dans les années 30, les politiques restrictives adoptées par malthusianisme et - déjà - sous la pression de l'extrême droite, nous ont amenés à refuser d'accueillir des dizaines de milliers d'Allemands ou d'Autrichiens fuyant le nazisme. La plupart, émigrés en Angleterre ou aux Etats-Unis, ont contribué de façon décisive à l'essor scientifique et médical de ces pays. Le quart des prix Nobel américains sont des réfugiés venus de ces pays. Beaucoup ont regretté de n'avoir pas été accueillis en France. Pire, le régime de Vichy les a persécutés et les a remis aux nazis comme le relate Anna Seghers dans son bureau roman Transit. Et ce mot d'évoquer, plus proches de nous, ces zones de transit, véritables Sangatte, qui fleurissent aux portes de l'Europe. En 1945, le souvenir de ces épisodes peu glorieux avait pourtant fait mûrir dans notre pays la volonté chère à René Cassin, de devenir exemplaire dans ce domaine. Avec la transposition dans notre droit de la Convention de Genève, nous avions réussi à rester un phare de la liberté. Je regrette que les droits de l'homme fassent désormais place à la chasse aux fraudeurs.

La Révolution a donné son assise constitutionnelle au droit d'asile, principe maintes fois réaffirmé. D'un droit « positif », je crains que nous passions aujourd'hui à un droit « négatif » : dehors, les combattants de la liberté, les miséreux, les oubliés, les exilés, la France se protège contre vous.

Je regrette profondément que les principes de base du droit à la protection soient ainsi bafoués, que vous donniez la priorité à l'expulsion, et qu'on oublie l'histoire de notre pays, berceau des droits de l'homme (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Philippe Folliot - Patrie des droits de l'homme, la France reconnaît quasiment depuis toujours le principe selon lequel toute personne a le droit de bénéficier de l'asile devant la persécution, principe consacré par l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Mais les chiffres de ces dernières années ont mis en lumière des problèmes auxquels il faut remédier. Nombreuses procédures, engorgement de l'instruction des demandes, délais de traitement scandaleusement longs : les faiblesses administratives ont dénaturé la tradition d'accueil dont la France s'enorgueillit. Aussi ne pouvons-nous que nous féliciter que le Gouvernement propose de simplifier les procédures afin de réduire les délais de traitement et d'harmoniser notre droit avec les normes européennes. Nous soutenons bien sûr tout ce qui contribue à la simplification administrative, tant il est vrai que notre pays souffre de lourdeurs préjudiciables. Redonner au droit d'asile ses lettres de noblesse est un devoir compte tenu de la situation difficile de bien des demandeurs.

Le guichet unique et la compétence de l'OFPRA permettront de réduire les délais de traitement, actuellement supérieurs à une année, qui ne permettent pas à la France de remplir sa tâche de manière honorable. En outre, étendre le champ d'application du droit d'asile aux menaces d'origine non étatiques est plus que nécessaire. La multiplication des conflits ethniques ou religieux a montré le caractère protéiforme des menaces et donc la nécessité d'adapter notre législation. En supprimant la notion d'asile territorial, le Gouvernement ne réduit pas pour autant les possibilités d'accueil. Comme l'a souligné notre collègue de l'Union centriste, M. Vanlerenberghe, il faudra veiller à ce que cette procédure ne soit pas détournée par des étrangers dont l'immigration n'aurait qu'un but économique. Lors de la première lecture, le groupe UDF avait proposé d'associer le HCR aux ministères des affaires étrangères et de l'intérieur pour élaborer la liste des pays d'origine sûrs, ainsi que d'élargir la définition de la protection subsidiaire et de restreindre celle de l'asile interne.

Nous souhaitions également une simplification plus importante des procédures en proposant un document provisoire unique de séjour. Il nous semblait essentiel que les compétences du HCR puissent être utilisées. En effet, le Haut commissariat aux réfugiés est installé dans 182 pays, sa connaissance de la situation géopolitique en fait un expert incontournable. Le projet de loi, et particulièrement l'article relatif à la CRR, n'exclut pas toutefois le HCR, qui pourra nommer une personnalité qualifiée de nationalité française. Un amendement permettant de statuer par ordonnance sur les affaires ne présentant aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l'OFPRA a été présenté en commission. Selon des estimations, jusqu'à 30 % des recours pourraient être traités sans examen par la formation collégiale. La simplification et la rapidité de traitement des dossiers ne doivent pas se faire au détriment des droits fondamentaux.

Même si cette possibilité ne remet pas en cause le droit de recours, le renforcement du contrôle par le ministère de l'Intérieur nécessitera un examen collégial dans de nombreux cas. La collégialité demeure la garantie d'une étude approfondie du dossier. La commission a rejeté ces propositions qui n'auraient pourtant pas remis en cause l'économie générale du texte.

Les Quinze s'apprêtent à adopter une décision du Conseil relative à l'organisation de vols communs pour l'éloignement, à partir du territoire de deux Etats membres ou plus, de ressortissants de pays tiers. Lors du Conseil Justice et Affaires intérieures, le comité mixte a donné son feu vert à l'application de ces dispositions. Les organes compétents du Conseil sont parvenus à un accord aussi bien sur le texte que sur les annexes qui contiennent des précisions très détaillées sur les mesures de sécurité à prendre. Ainsi, les mesures de coercition prévues en cas de refus ne doivent pas compromettre la capacité de la personne renvoyée à respirer normalement.

Enfin, l'Union européenne a décidé de poursuivre son combat contre les abus du droit d'asile. Lors du conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 octobre, les chefs d'Etats et de Gouvernement avaient insisté pour que le Conseil termine la rédaction d'une directive de manière à respecter le délai fixé à la fin de 2003. Cette proposition examinée par le Conseil « JAI », concerne les normes minimales communes relatives à la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié. Un accord avait été trouvé en ce qui concerne la rétention des demandeurs d'asile et la procédure à suivre en cas de retrait implicite de la demande d'asile ou de la renonciation implicite à celle-ci. En outre, le Conseil a examiné la question des « pays tiers sûrs », sans toutefois prendre de décision sur l'établissement d'une liste au niveau européen ni sur les procédures à adopter aux frontières quand un candidat au statut de réfugié est entré dans le territoire d'un Etat membre via l'un de ces pays.

Cette préoccupation européenne se traduit également par la présentation d'une agence européenne de gestion et de coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l'Union. Cette structure communautaire permanente assistera les Etats membres dans la mise en _uvre de la législation communautaire en matière de contrôle et de surveillance de ces frontières et de retour des ressortissants de pays tiers. Néanmoins, elle ne jouera aucun rôle dans l'élaboration des politiques, elle ne fera pas de propositions législatives et n'exercera pas de compétences d'exécution. La politique communautaire vise à mettre en place une gestion intégrée permettant de garantir un niveau élevé et uniforme de contrôle des personnes et de surveillance aux frontières extérieures. Ceci suppose d'arrêter des mesures fixant les normes et modalités auxquelles doivent se conformer les Etats membres. Ceci suppose également que la France se donne les moyens législatifs de pouvoir intégrer ces notions dans son droit.

Ce texte va dans le bon sens et respecte les principes fondamentaux de notre société. Le groupe UDF et apparentés le votera.

Mme Muguette Jacquaint - Le droit d'asile est un droit pour les personnes et un devoir pour les Etats. Un Etat fondé sur les droits de l'homme ne peut qu'inscrire le droit d'asile dans sa Constitution, comme la France depuis 1793.

M. Vanneste a dit que la France était un pays moderne. Mais une société moderne peut-elle être fondée sur l'individualisme, et la compétitivité économique ? Dans ces conditions, le repli sur soi est inévitable.

Alors que le monde s'ouvre, l'Union européenne ferme ses frontières. Or, un pays moderne comme la France a un devoir d'hospitalité et de solidarité envers des hommes et des femmes persécutés, devoir qu'elle a exercé jusqu'à présent avec générosité et qui doit continuer à s'exercer.

Les tensions internationales se succèdent, et tant qu'elles n'auront pas disparu, les démocraties devront accueillir provisoirement ceux qui luttent partout ailleurs pour le respect des droits de l'homme.

M. Serge Blisko - Très juste.

Mme Muguette Jacquaint - La solidarité doit également s'exercer sur le plan international, entre Etats. Ainsi la convention de Genève traduit-elle cette exigence : lorsqu'un Etat est incapable d'assurer la protection de ses ressortissants face à la persécution les autres Etats s'engagent à leur accorder une protection de substitution. La loi du 25 juillet 1952 s'inscrit dans cette perspective tout en ayant une définition plus restrictive de la qualité de réfugié. En effet, la convention de Genève ne précise pas de qui émanent les persécutions et définit le réfugié comme celui qui ne peut pas ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d'origine.

Avec ce projet de loi, ce n'est pas tant une définition restrictive du réfugié que vous proposez, mais une restriction du droit d'asile dans son ensemble : asile interne, protection subsidiaire au rabais, notion de pays d'origine sûr, recours devant la CRR réduits à leur plus simple expression, tout est fait pour repousser le plus possible de demandeurs d'asile dès l'arrivée sur le territoire, ou pour ensuite rejeter leurs demandes.

Ce texte paraît contraire à la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993, qui rappelle le préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ». Le Conseil y affirme que si certaines garanties ont été prévues par des conventions internationales et introduites en droit interne, il incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle, et que la loi ne peut réglementer ce droit fondamental qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles de valeur constitutionnelle. Or, les notions d'asile interne, de pays d'origine sûr ou d'autorités de protection rendent-elles le droit d'asile plus effectif ? Le fait de pouvoir rejeter une demande d'asile ou se dispenser d'auditionner le demandeur ne porte-t-il pas atteinte au droit d'asile ?

Nous ne pouvons accepter la négation d'un droit pourtant fondamental, l'ultime droit de l'homme qui est exercé lorsque tous les autres ont disparu. Nous ne pouvons cependant que constater le recul de la solidarité internationale. Les mécanismes internationaux encouragent chaque Etat à renvoyer le maximum de réfugiés à ses voisins ! Parallèlement, la communauté internationale tend depuis peu à maintenir les réfugiés chez eux, ou proches de chez eux. Les politiques d'asile des pays industrialisés et riches visent à se protéger des réfugiés, par le biais de solutions pour le moins contestables. Au sommet de Thessalonique, en juin, les Quinze étaient prêts à adopter une proposition de Tony Blair prévoyant l'externalisation de l'asile !

M. Serge Blisko - Effrayant !

M. André Gerin - De l'apartheid !

Mme Muguette Jacquaint - Le projet est pour l'instant abandonné, mais il existe déjà des zones de protection régionales, au plus près des pays d'origine. Le protectionnisme aujourd'hui n'est plus économique. Les capitaux et les marchandises circulent sans entrave, c'est la libre circulation des personnes qui n'est pas assurée !

En matière d'asile, le maître mot est devenu « protection ». Les événements du 11 septembre n'y sont pas étrangers. Ils ont conforté l'approche sécuritaire des politiques d'asile, qui oscillent traditionnellement entre le respect des droits de l'homme et le droit souverain de l'Etat d'admettre qui il veut sur son territoire, en fonction de considérations diplomatiques ou d'ordre public. Ces préoccupations sécuritaires des Etats vont de pair avec un affaiblissement des droits de l'homme, que l'on retrouve dans ce projet de loi.

Je ne perds pas espoir de vous convaincre du danger que représente par exemple la notion d'asile interne. Elle se définit par la protection dont un demandeur pourrait bénéficier sur une partie du territoire de son pays d'origine, s'il n'a aucune raison de craindre d'y être persécuté et s'il est raisonnable d'estimer qu'il peut rester dans cette partie du territoire. Cette notion représente une menace de mort pour des milliers de personnes. Si cette personne se trouve dans une région qui n'est pas sûre et cherche à se rendre dans une autre partie plutôt que de s'enfuir à l'étranger, elle sera encore davantage en péril ! Et même, qui peut garantir l'absence de toute menace ? Cette notion sera très difficile à appliquer. Elle est notamment contraire à l'article premier A, deuxième alinéa, de la convention de Genève, qui vise le pays tout entier et non l'une de ses parties.

L'extension de la liste des autorités susceptibles d'offrir une protection et l'introduction de la notion d'asile interne n'ont d'autre but que de refuser l'asile au plus grand nombre de demandeurs. Nous avons donc déposé des amendements pour supprimer ces dispositions. Quant à la notion de pays d'origine sûr, elle est d'autant plus alarmante qu'il appartiendra à l'OFPRA de déterminer la liste de ces pays. Or, cette notion est contraire au principe de non-discrimination inscrit à l'article 3 de la convention de Genève, selon lequel les Etats appliqueront les dispositions de la convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine. Cette disposition est parfaitement claire. L'OFPRA, chargé de dresser la liste, deviendrait à coup sûr l'objet de pressions diplomatiques et politiques. Enfin, selon quels critères la liste sera-t-elle établie ? La réalité va vite se charger de sortir l'OFPRA de l'aspect théorique de ces questions.

A propos de l'OFPRA, nous ne pouvons qu'être inquiets de la mise sous tutelle de l'office par le ministère de l'intérieur, qui aura également connaissance des décisions de rejet des demandes. La réduction des délais de traitement des demandes se fonde en fait sur la restriction du droit d'asile. Les demandeurs en attente du statut de réfugié, qui sont déjà dans une grande précarité, vont encore davantage être conduits à travailler dans la clandestinité, pour des employeurs peu regardants, et désormais protégés par la nouvelle loi sur l'immigration... Certes, des associations existent pour défendre les étrangers, mais on connaît leurs difficultés financières, dues à des restrictions drastiques des budgets sociaux et à des retards dans le versement des subventions ! La diffusion des informations pour les étrangers va sans doute prendre du retard. Et si elles accueillent et aident les demandeurs, elles seront suspectées de délit de solidarité ! Nous aimerions d'ailleurs savoir si vous pensez que ces associations ont encore un avenir. Elles participent pourtant à cette fameuse intégration dont vous avez longuement parlé pendant la discussion sur le projet de loi relatif à l'immigration. Mais le silence du Gouvernement est total sur le contrat d'intégration, qui devait être la contrepartie de ces deux textes.

Je tiens à réaffirmer notre opposition à cet amalgame entre asile et immigration. La volonté de contrôler les flux migratoires ne devrait jamais permettre une remise en cause du droit fondamental à l'asile. La France doit conserver sa tradition républicaine d'accueil, d'hospitalité et de protection des personnes dont la vie est en péril uniquement pour avoir voulu défendre la liberté (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Etienne Pinte - Je regrette une fois de plus que le ministre des affaires étrangères ne soit pas là pour nous répondre sur un sujet aussi emblématique. Le 10 octobre, la conférence des Eglises chrétiennes en France écrivait au Premier ministre pour exprimer sa vive préoccupation pour l'avenir de l'asile en France. Elle craint que le projet de loi ne durcisse les conditions de reconnaissance de la qualité de réfugié en introduisant des notions restrictives. Ces notions de droit nouvelles sont-elles conformes à notre tradition ? Enfin, elle remarque que si l'asile territorial est confondu avec l'asile politique, les demandeurs « territoriaux » - essentiellement des Algériens - se trouveront sans statut dès le mois de janvier.

Cette lettre était signée de Mgr Ricard, président de la conférence des évêques de France, du pasteur de Clermont, président de la fédération protestante de France et de Mgr Emmanuel, président de l'assemblée des évêques orthodoxes de France. Elle n'a toujours reçu aucune réponse, ni du Premier ministre, ni de celui des affaires étrangères.

Pourtant, le projet de loi réformant le droit d'asile est nécessaire, car il veut réduire les délais de traitement des demandes. Il mérite d'être amélioré, et je regrette que la commission des lois ait fait si peu de cas en deuxième lecture des propositions des parlementaires. Trois sujets posent problème. D'abord, le droit à la vie familiale n'est toujours pas spécifiquement inscrit dans la loi. Pourquoi laisser au juge la liberté d'apprécier le droit d'un réfugié à vivre avec sa famille ? La jurisprudence de la commission de recours et celle du Conseil d'Etat ont consacré le principe de l'unité de famille et reconnu que la protection s'étend à la personne qui a des relations suffisamment stables avec le demandeur pour constituer une famille.

Cette protection doit aussi bénéficier aux enfants mineurs du demandeur. Il faut l'inscrire dans la loi. J'insiste, parce que nous avons connu une mauvaise expérience avec les ascendants, que la commission de recours avait longtemps inclus dans la notion d'unité de famille, avant que le Conseil d'Etat décide récemment le contraire. Voilà pourquoi il importe de faire figurer dans la loi les catégories de personnes dont je viens de parler. Dans certains cas, il y a lieu d'étendre la protection aux ascendants. Comment laisser derrière soi un père ou une mère qui resterait seul et pourrait subir les conséquences du départ de son enfant ?

La possibilité de statuer par ordonnances pour examiner les recours présentés en commission est considérablement élargie, non plus seulement pour des motifs de recevabilité, mais pour des raisons de fond. Ne seront pas examinés collégialement les dossiers qui n'apportent pas d'éléments sérieux susceptibles de remettre en cause les motifs de la décision du directeur de l'office. Il s'agit là d'une nouveauté radicale.

Sans doute convient-il de réduire les délais d'examen, mais le recours est une procédure de contentieux dont il faut respecter les règles. Bien que la procédure soit écrite, les déclarations orales sont essentielles à l'audience, car elles permettent d'apprécier le bien-fondé et la sincérité des informations fournies par le requérant. Beaucoup de dossiers « vides » qui ont valu rejet de la demande par l'OFPRA ont connu un renflouement miraculeux au cours de l'audition devant la CRR. L'importance de l'audience est telle qu'il est très rare que des décisions d'annulation soient prises en l'absence du requérant.

De plus, la nouvelle procédure méconnaît la situation réelle du demandeur, qui ne parvient pas, le plus souvent, à produire le récit explicite ni les preuves des persécutions qu'il a subies. Le demandeur ne consulte un avocat qu'après avoir reçu la décision de rejet de l'OFPRA, et même après avoir envoyé son recours à la commission.

Je regrette enfin que le projet écarte le Haut commissariat aux réfugiés de la commission de recours, où il ne pourra plus que désigner une personne qualifiée pour le représenter. C'était l'honneur de la France que cette présence du HCR, dont l'apport était précieux. Cette présence minoritaire n'a jamais compromis notre souveraineté nationale, et, sur ce point, les arguments d'inconstitutionnalité ne tiennent pas la route. Pourquoi prononcer de grandes envolées lyriques sur le rôle de l'ONU devant le Conseil de sécurité si l'on est incapable d'offrir chez soi une place à part entière à un de ses organismes, surtout dans un domaine où la France se targue d'être exemplaire, celui du droit d'asile ?

M. le Ministre délégué - Je salue l'excellent travail accompli par le rapporteur. Je remercie tous les intervenants, et en particulier les représentants des groupes UMP et UDF qui ont approuvé leur soutien à notre réforme.

Mme Jacquaint a dit que toute personne qui n'est pas en sécurité dans son pays pour des raisons ethniques, politiques ou religieuses, doit pouvoir se réfugier dans un pays respectant les droits de l'homme. Le Gouvernement souscrit pleinement à cette déclaration, que les dispositions du projet de contrarient en rien.

Comme l'a dit M. Vanneste, en face de l'humanisme rhétorique, le projet tend à mettre en _uvre un humanisme réel. L'asile constitutionnel n'est nullement affecté. Toute personne persécutée en raison de ses convictions et de son action en faveur de la liberté continuera de pouvoir trouver refuge en France ; il eût été choquant qu'il en fût autrement. La réforme est respectueuse de la Convention de Genève et des engagements internationaux de la France. En élargissant la place du HCR au sein de l'OFPRA, le Gouvernement reste fidèle à des engagements pris voilà plus de cinquante ans.

M. Folliot et M. Pinte ont évoqué la présence du HCR dans la commission de recours. C'est pour des raisons juridiques que le texte a été rédigé ainsi sur ce point. La commission est une juridiction administrative qui juge au nom du peuple français. Il n'était pas possible d'introduire une autorité internationale dans cette juridiction nationale qui exerce ses compétences dans un domaine non conventionnel. Mais, comme l'ont remarqué M. Folliot et d'autres orateurs, le HCR pourra continuer d'apporter son concours au fonctionnement de la commission, puisque le dispositif, élaboré de façon à éviter tout risque réel d'inconstitutionnalité, le permettra. Le concept de pays d'origine sûr, évoqué par M. Blisko, n'est contraire ni au principe d'égalité devant la loi, ni à la Convention de Genève. Le Conseil constitutionnel exige en effet que soit garanti l'examen au fond du dossier personnel des demandeurs. Le projet, loin de remettre en cause cette condition, pose le principe d'un entretien durant lequel le demandeur pourra faire valoir ses arguments. Etre originaire d'un pays sûr n'ôte rien à cette possibilité. Le Conseil constitutionnel accepte que la loi établisse des règles différentes à l'égard de personnes se trouvant elles-mêmes dans des situations différentes. Une personne provenant d'un pays sûr pourra légitimement être traitée différemment d'une personne provenant d'un pays en crise.

A vos yeux, Monsieur Blisko, le Gouvernement agirait sous l'empire d'une crainte obsessionnelle de la fraude. Comment ignorer pourtant le détournement dont est victime le droit d'asile, et qui le met en danger ? Le réfugié au sens du droit d'asile est une personne victime ou sous la menace de persécutions à raison de ce qu'elle est ou de ce qu'elle croit et non de sa situation économique ou sociale. Pour faire face aux situations de détresse économique ou sociale, il faut utiliser d'autres moyens appropriés et non pas élargir à l'infini le champ du droit d'asile. Mme Jacquaint, M. Blisko et M. Pinte ont estimé que la notion d'asile interne réduirait la portée pratique du droit d'asile. Or, cette notion est le corollaire de l'abandon du critère jurisprudentiel de la nature étatique des agents de persécution. Elle tend donc à ouvrir de nouvelles garanties, compte tenu d'un environnement international qui se transforme. Si un demandeur peut avoir accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine et que l'on n'ait aucune raison de craindre qu'il puisse y être persécuté, pourquoi lui accorder le statut de réfugié dans un pays très éloigné ? C'est le bon sens même. Les garanties inscrites dans le projet initial ont été renforcées par le Sénat. L'asile interne, qui figure dans les directives que le Conseil de l'Union européenne devrait adopter prochainement, recueille l'accord de tous les Etats membres. La protection par des acteurs non étatiques, comme l'ONU, les agences ou les organisations régionales comme la CDAU, est une réalité qui peut justifier le rejet d'un demandeur d'asile dont on est assuré qu'il n'a rien à craindre pour sa personne. Retarder l'application de cette notion nouvelle conduirait à différer une réforme tendant à rapprocher des législations européennes dont les différences ont des effets néfastes.

Le consensus réunit les Etats membres sur les notions que je viens d'évoquer.

S'agissant du rôle du ministère de l'intérieur, je pense avoir répondu en partie à vos interrogations lorsque j'ai répondu à la question préalable de M. Gerin. Je m'étonne qu'on regrette la disparition de l'asile territorial, qui n'était accordé qu'à 1 ou 2 % des demandeurs, alors que la protection subsidiaire assurera des droits plus substantiels à ceux qui ne relèvent pas de la Convention de Genève.

Monsieur Blisko, l'OFPRA constate en effet un nombre croissant de demandes d'asile présentées par des mineurs isolés. Il traite ces dossiers avec une attention toute particulière, mais cette tâche est rendue plus difficile par le fait que beaucoup de ces mineurs approchent de l'âge de la majorité. D'autre part, la loi requiert qu'ils soient assistés par un représentant légal. La loi du 2 mars 2002 y a pourvu en prévoyant la désignation d'un administrateur ad hoc. La création d'une section « transversale » n'a pas été retenue, mais, au sein de l'office, chaque division géographique comporte des officiers de protection spécialisés.

En ce qui concerne les ascendants, Monsieur Pinte, le Gouvernement n'entend pas modifier les règles du regroupement familial actuellement applicables aux réfugiés. Aux termes de l'article 15, 10°, de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers, une carte de résident valable dix ans est accordée au conjoint et aux enfants mineurs du réfugié. Pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire, ce sera comme pour ceux de l'asile territorial le droit commun du regroupement qui s'appliquera : les membres de la famille recevront une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », valable pour un an. Je ne vois dès lors pas la nécessité d'étendre automatiquement à son conjoint ou partenaire, ainsi qu'à ses enfants et ascendants la protection accordée à un demandeur d'asile.

Discuté de façon approfondie, précisé et amélioré par les deux assemblées, ce projet reste fidèle à notre objectif qui était de conforter la vocation de toujours du droit d'asile, d'accélérer la réponse aux demandes et d'offrir des garanties solides, telles que le contrôle de toutes les décisions par le juge. C'est pourquoi le Gouvernement vous invite à l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - J'appelle dans le texte du Sénat les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte commun.

ARTICLE PREMIER

M. André Gerin - Nous sommes résolument opposés à toute restriction du droit d'asile. Or cet article promeut, avec l'asile interne et la protection subsidiaire, une protection au rabais, contraire à notre tradition d'accueil et de générosité. D'où l'amendement 34, de suppression.

Cette défense vaut pour tous nos autres amendements.

M. le Rapporteur - Rejet : l'amendement viderait le projet de son sens, puisqu'il interdirait de constituer l'OFPRA en guichet unique et supprimerait la protection subsidiaire qui représente un progrès important par rapport à l'asile territorial.

M. le Ministre délégué - Même avis, pour les mêmes raisons.

L'amendement 34, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - L'amendement 35 est donc défendu.

L'amendement 35, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Etienne Pinte - Remplaçant l'asile territorial par la protection subsidiaire, l'article ne retient pas, au nombre des motifs ouvrant droit à celle-ci, la menace pesant sur la « liberté » du demandeur. Pourtant, aux termes de la loi du 11 mai 1998, le candidat à l'asile territorial devait établir que « sa vie ou sa liberté » était « menacée dans son pays » ou qu'il y était « exposé à des traitements contraires à l'article 3 » de la convention des droits de l'homme. L'amendement 27 vise à maintenir les mêmes motifs de protection.

Comme vous n'avez pas répondu à mon interrogation de tout à l'heure, Monsieur le ministre délégué, je la répète : quelle sera, à partir de janvier prochain, la situation des Algériens bénéficiant de l'asile territorial ? Va-t-on les renvoyer chez eux ou vont-ils bénéficier de la protection subsidiaire ? Le Conseil des églises chrétiennes de France a interrogé le Gouvernement, mais sa lettre est restée sans réponse...

M. le Rapporteur - Avis défavorable à l'amendement. La protection subsidiaire marque, je le répète, une avancée considérable par rapport à l'asile territorial. Evitons, d'autre part, de prêter à une confusion entre cette protection et l'asile constitutionnel, dont la portée doit être préservée.

Enfin, dès lors que quelqu'un a déposé une demande d'asile territorial, il se trouvera automatiquement demandeur de la protection subsidiaire. Le Sénat a d'ailleurs précisé ce point qui figurait déjà dans le projet.

M. le Ministre délégué - Rejet. Les critères pour accorder la protection subsidiaire sont en effet plus précis que ceux qui étaient retenus pour l'asile territorial, mais l'OFPRA aura désormais compétence liée en la matière : dès lors que ces critères seront satisfaits, il sera tenu d'accorder cette protection.

D'autre part, si l'on réintroduit la notion de liberté, on risque d'assister au détournement de la procédure par des personnes privées de liberté, ou menacées de la perdre, pour des faits de droit commun.

J'ai déjà précisé, d'autre part, que toutes les personnes dont la demande est en instance d'examen seront réputées avoir présenté celle-ci sous l'empire des nouvelles dispositions. Elles ne se retrouveront donc pas en situation de non-droit.

Quant à la lettre à laquelle vous faites allusion, la réponse est déjà partie. Je pensais même qu'elle vous était parvenue...

M. Etienne Pinte - Il s'agit d'une lettre du Conseil des églises chrétiennes envoyée le 10 octobre au Premier ministre et au ministre des affaires étrangères...

M. le Ministre délégué - Je croyais qu'il s'agissait d'une lettre envoyée par vous-même. De celle-ci, je ne sais rien, mais je m'informerai.

L'amendement 27, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - L'amendement 36 a été défendu.

M. Etienne Pinte - Par les amendements 28 à 30, je demande d'étendre explicitement le bénéfice de la qualification de réfugié et de la protection subsidiaire au conjoint marié ou au concubin, aux enfants mineurs et aux ascendants à charge.

S'agissant de ces derniers, la pratique de la commission de recours était de prendre en compte leur demande d'asile, mais le Conseil d'Etat s'y est opposé il y a quelque temps et l'on peut craindre que cette jurisprudence ne prévale en l'absence de mention explicite dans la loi.

M. le Rapporteur - Avis défavorable : comme l'a dit le ministre délégué, le droit commun du regroupement familial est applicable aux réfugiés, cependant qu'il n'apparaît pas souhaitable de modifier l'ordonnance de 1945.

M. le Ministre délégué - Même avis.

Les amendements 36 et 28 à 30, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Les amendements 37, 38 et 39 de M. Gerin ont été défendus.

Les amendements 37, 38 et 39, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

M. le Président - L'amendement 40 de M. Gerin a été défendu.

L'amendement 40, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

ART. 4

M. le Président - L'amendement 41 de M. Gerin a été défendu.

M. Etienne Pinte - Le 2° du projet met fin à la représentation directe du Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés au sein de la commission des recours des réfugiés. Or, dans sa décision du 5 mai 1998, le Conseil constitutionnel a déjà validé la présence d'un représentant du HCR au sein de la CRR. Malgré cela, le projet ne parle que d'une « personnalité qualifiée nommée par le vice-président du Conseil d'Etat sur proposition du Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés ». Cela n'est pas satisfaisant car cette personnalité ne pourrait être, comme c'est actuellement le cas, un haut fonctionnaire international, dont le statut l'empêche d'être nommé par une administration française. Par ailleurs, cette personne ne serait pas directement liée au HCR.

Voilà pourquoi je propose, par l'amendement 31, la présence d'un représentant du haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, nommé par lui sur avis conforme du vice-président du Conseil d'Etat.

M. le Rapporteur - Personne ne conteste l'importance du rôle du représentant du HCR au sein de la commission de recours, mais le dispositif retenu garantit la constitutionnalité. Cela étant, la différence est minime entre la rédaction du projet et celle des deux amendements qui, à mon sens, sont satisfaits.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Etienne Pinte - Je ne partage pas du tout votre interprétation, car il existe une différence juridique manifeste entre une personnalité qualifiée nommée par le vice-président du Conseil d'Etat sur proposition du Haut commissaire et un représentant du Haut commissaire nommé par lui-même. D'ailleurs, le HCR ne s'y est pas trompé !

L'amendement 41, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 31.

M. Etienne Pinte - Le projet attribue au président de la Commission et aux présidents de section un pouvoir dont ils ne disposaient pas auparavant : celui de déterminer, seuls, si une demande d'asile « ne présente aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur » de l'OFPRA. Les présidents prendront cette décision solitaire à la suite d'une « instruction » dont nous ignorons les caractéristiques, en attendant le décret en Conseil d'Etat qui les déterminera.

Cet accroissement du pouvoir des présidents nous semble nuisible aux droits des demandeurs d'asile. Il fait d'abord l'impasse sur le caractère juridique de la procédure devant la commission.

Il méconnaît, surtout, la situation réelle du demandeur d'asile qui, faute d'aide juridique, ne réussit pas, le plus souvent, à produire devant l'OFPRA un récit convaincant des persécutions qu'il a subies, ni à rassembler en temps voulu et à présenter d'une manière cohérente les preuves de ces persécutions. Le demandeur ne consulte un avocat, en règle générale, qu'après avoir reçu la décision de rejet du directeur de l'OFPRA.

Aussi, soit ces ordonnances seront prises, en réalité, sur la seule base du dossier déjà constitué devant l'OFPRA, ce qui reviendrait à écarter le caractère de recours de plein contentieux de la procédure devant la Commission. Soit elles seront prises suite à une véritable « instruction » qui devra nécessairement prévoir l'audition du requérant.

Voilà pourquoi je propose, par l'amendement 33, de supprimer le III de l'article.

M. le Président - L'amendement 42 de M. Gerin a été défendu.

M. le Rapporteur - Je conçois que la possibilité de statuer par ordonnance sur l'irrecevabilité d'un recours puisse sembler expéditive et, pour cela, susciter l'inquiétude. Il faut savoir qu'actuellement 98 % des demandeurs sont déboutés, et que 80 % des déboutés formulent des recours. Avec l'institution du guichet unique, l'OFPRA va connaître un afflux de demandes, qui susciteront à leur tour d'innombrables recours. Il est donc logique d'éliminer les demandes manifestement infondées, pour éviter l'engorgement de la CRR.

Je rappelle que toutes les juridictions ont des protections de ce type. Il s'agit, ici comme ailleurs, d'équilibrer efficacité et justice si l'on veut que les vrais demandeurs d'asile jouissent de leur droit. Or, la gauche et parfois vous, Monsieur Pinte, procédez par amalgame. Il ne s'agit pas, avec ce texte, d'accueillir des pauvres, mais d'octroyer un droit constitutionnel à ceux qui sont éligibles. Comment ne pas se doter de la procédure prévue dans cet article, alors que l'on peut s'attendre à 30 000 recours ?

M. le Ministre délégué - Même avis. La possibilité de statuer par ordonnance sur la recevabilité des recours est vitale pour le fonctionnement de cette juridiction.

Les amendements 33 et 42, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article 4, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 4

M. Serge Blisko - Les étrangers qui arrivent en France par la voie aérienne à Roissy et qui formulent, dans l'aéroport, une demande d'asile, sont placés en zone d'attente, zone déjà exorbitante du droit. C'est alors que se joue pour eux le quitte ou double de la demande d'asile : ou bien leur situation est claire ou semble mériter d'être éclaircie et ils ont accès à l'OFPRA, ou bien, trop rapidement, et sous le contrôle ténu des associations, ils sont refoulés et placés en zone de rétention.

Par les amendements 22 et 23, nous demandons que l'OFPRA puisse être présent en permanence, en particulier à Roissy, avec les moyens nécessaires. En effet, les procédures sont très particulières. Je ne cherche pas à encourager la fraude, que les officiers de protection de l'OFPRA savent du reste très bien détecter. Mais nous parlons d'un droit fondamental, constitutionnel et reconnu par la juridiction internationale qui peut être salvateur pour la vie et la liberté d'hommes et de femmes : il doit pouvoir s'exercer.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Nous ne sommes plus vraiment dans le cadre du texte, mais dans celui de l'admission sur le territoire, qui relève du ministère de l'intérieur assisté de l'OFPRA.

Vous venez de le reconnaître, l'OFPRA sait parfaitement faire la distinction entre les demandes d'asile qui ne sont pas fondées et celles qui pourraient l'être. Ses personnels peuvent donc être délégués sur place pour examiner la demande en cas de doute. Nous sommes ici à la limite de la loi.

M. Serge Blisko - C'est justement là que l'injustice doit être traquée, car c'est là que peut faire défaut une protection nécessaire.

M. le Ministre délégué - Nous sommes en amont de la demande de droit d'asile, et cela n'entre pas dans le cadre du texte. Avis défavorable sur les deux amendements.

Les amendements 22 et 23, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

ART. 6

M. le Président - L'amendement 43 est défendu.

L'amendement 43, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 6, mis aux voix, est adopté.

ART. 7

M. le Président - L'amendement 44 de M. Gerin a été défendu.

M. le Rapporteur - La commission partage la préoccupation de M. Gerin, mais elle n'a pu trouver de solution immédiate à ce problème.

Si seulement 2 % des étrangers hébergés à Sangatte demandaient l'asile en France, c'est parce qu'ils savaient qu'ils avaient la possibilité de travailler en Grande-Bretagne, mais pas en France. Toute disparité en matière de droit au travail modifie les flux migratoires à l'intérieur de l'Union européenne et risque d'avoir un effet contreproductif.

Nous avons envisagé avec M. Pinte d'octroyer ce droit au bout d'un an. Mais les délais d'instruction ont été considérablement raccourcis : l'objectif fixé par le Président de la République est en passe d'être atteint. Octroyer un droit au travail au réfugié au bout d'un an serait donc désespérer de cette loi ! Et le faire au risque de devoir le débouter de sa demande serait en outre inhumain.

En ce domaine, c'est à l'Union européenne qu'il revient de donner des directives. Je ne doute pas qu'elle saura faire émerger un droit au travail pour les demandeurs d'asile, mais la directive actuelle reste un peu hypocrite : tout en ouvrant le marché du travail aux demandeurs d'asile, elle autorise les Etats à appliquer la préférence communautaire, et donc à les en écarter. Nous espérons que le raccourcissement des délais et l'harmonisation européenne apporteront une solution à ce problème.

L'amendement 44, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Etienne Pinte - Je ne souscris pas à l'interprétation du rapporteur. On ne peut pas invoquer le droit communautaire quand cela nous arrange et le récuser dans d'autres cas. L'amendement 32 tend à transposer en droit interne les dispositions concernant le droit au travail des demandeurs d'asile de l'article 11 de la directive du 27 janvier 2003, qui devra être transposée de toute façon d'ici un an. Cette directive prévoit que « l'accès au marché du travail n'est pas refusé durant les procédures de recours, lorsqu'un recours formé contre une décision négative prise lors d'une procédure normale a un effet suspensif, jusqu'au moment de la notification d'une décision négative sur le recours ».

On ne peut ignorer la précarité des demandeurs d'asile, qui ne reçoivent actuellement de l'Etat que l'allocation d'attente, d'un montant avoisinant 300 €, versée en une fois, et une allocation d'insertion, d'environ 290 € par mois, versée pendant un an maximum. Ensuite, plus rien !

On peut certes espérer que l'accélération des procédures permettra de prendre la décision avant un an, mais l'amendement propose dans le cas contraire, une mesure conservatoire.

Je me permets de faire référence à la réforme de la double peine. Le ministère de l'Intérieur, si décrié ce soir, a décidé d'assigner les demandeurs à résidence avec droit au travail pendant toute la période d'instruction du dossier. Pourquoi le ministère des affaires étrangères reste-t-il, quant à lui, d'une intransigeance inhumaine ?

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - En droit administratif, l'absence de réponse de l'administration dans les deux mois vaut décision de refus et peut donc être attaquée devant, dans le cas présent, la commission de recours des réfugiés. Voilà qui garantit au demandeur qu'il ne restera plus longtemps, comme c'est le cas aujourd'hui, dans une situation d'attente. Cet amendement me semble donc satisfait.

M. Etienne Pinte - Il conserve à mon sens toute sa portée. Cette mesure conservatoire permettra à des hommes et à des femmes de travailler au cas où ils n'obtiendraient pas de décision de l'OFPRA ou de la commission de recours.

L'amendement 32, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 7, mis aux voix, est adopté.

Les articles 8, 11 et 13, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

M. Etienne Pinte - Je me suis abstenu.

M. le Président - Il n'y a pas d'abstention à main levée.

M. le Ministre délégué - Je remercie à nouveau l'Assemblée, la commission, son rapporteur et tous ceux qui ont participé à ce débat. Grâce à ce texte, nous allons pouvoir « recentrer » le droit d'asile et lui redonner toute son efficacité.

Prochaine séance cet après-midi, mercredi 19 novembre, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 30.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 19 NOVEMBRE 2003

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat (n° 884), portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Mme Christine BOUTIN, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

(Rapport n° 1216).

Mme Marie-Anne MONTCHAMP, rapporteure pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

(Avis n° 1211).

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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