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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 27ème jour de séance, 69ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 19 NOVEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      REVENU MINIMUM D'INSERTION
      ET REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      DISCUSSION GÉNÉRALE 11

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 20 NOVEMBRE 2003 29

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

REVENU MINIMUM D'INSERTION ET REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Hélène Mignon - Le revenu minimum n'a été instauré en France que tardivement par rapport à d'autres pays. Un rapport officiel, présenté par M. Oheix, avait pourtant osé parler de la nouvelle pauvreté dès 1980. Le chômage de longue durée, sa mauvaise indemnisation et les évolutions du cadre familial étaient autant de facteurs de déstabilisation pour des personnes qui n'étaient pas spécialement fragiles, mais qui se trouvaient entraînées dans la spirale de l'exclusion. Le rapport du père Joseph Wresinski sur la grande pauvreté et la précarité économique et sociale, discuté au Conseil économique et social en février 1987, a amené le gouvernement de Michel Rocard à légiférer enfin. Ainsi se terminait une période d'initiatives certes intéressantes, mais limitées : plans d'urgence, plans pauvreté pour l'hiver, expériences de revenu minimum... L'insertion de quelques milliers de personnes avait été réussie, mais le phénomène s'amplifiait. Les bénévoles et les associations caritatives ont tiré la sonnette d'alarme. Le gouvernement Rocard a tiré les conséquences de cette réflexion et le texte relatif au RMI a été promulgué en décembre 1988.

Le RMI pose le principe d'un revenu à caractère subsidiaire et complémentaire, qui vient compléter l'ensemble des autres revenus individuels. Mais il comprenait un volet d'insertion, sans lequel il n'aurait rien été d'autre que de l'assistanat, ce que n'auraient voulu ni le Gouvernement, ni le législateur, ni les acteurs de terrain. L'association de l'insertion au revenu minimum a soulevé des oppositions assez fortes et les débats n'ont pas manqué pour définir ce qui se profilait derrière le I de RMI. Certains clamaient « hors du travail, point de salut ». D'autres ne pensaient pas que tout travail mérite salaire, mais que toute solidarité nationale doit être remboursée. Mais pour les associations et les travailleurs sociaux qui travaillaient tous les jours sur le terrain, d'autres priorités s'imposaient : les problèmes familiaux, de logement, de troubles psychiques et d'atteintes physiques...

L'aggravation de la situation nous a conduits, suivant les mêmes analyses, à voter en 1998 la loi de lutte contre les exclusions, résultat d'une très large concertation avec les associations. Nous avons également fait le point avec elles trois ans après le vote de la loi pour améliorer le dispositif, ce qui avait donné lieu à l'instauration du programme TRACE ou de la bourse à l'emploi par exemple. C'est de cette époque que date le profond respect que je porte à tous ces bénévoles et ces professionnels qui agissent tant dans les quartiers défavorisés qu'en milieu rural. Ils apportent un soutien indispensable à ceux dont on veut faire croire qu'ils recherchent et se complaisent dans l'assistanat (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Monsieur le ministre, vous n'auriez pas présenté un tel texte si vous aviez réellement mené la concertation avec les associations. Elles vous demandent d'ailleurs de le reporter parce qu'il n'est pas à la hauteur des enjeux et qu'il n'assure pas l'articulation nécessaire entre exclusion, activité, insertion et emploi (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Vous êtes déterminé à ce que cette loi entre en vigueur dès le 1er janvier, et le président de la commission des affaires sociales l'a confirmé tout à l'heure. Mais pensez-vous à l'intérêt des exclus, ou à gagner des électeurs à quelques mois d'échéances électorales ? Vous risquez en tout cas d'entretenir le sentiment que les RMIstes ne sont que des fainéants subventionnés.

Votre politique est dangereuse. Elle culpabilise les sans-emploi. Vos décisions scandaleuses accréditent l'idée qu'il existe un chômage volontaire et que pour le diminuer, il suffirait de pousser les gens au travail. Il faut arrêter de dénigrer ces personnes en difficulté, de les culpabiliser, d'imaginer qu'elles ont choisi d'être au chômage ou au RMI.

Mme Elisabeth Guigou - C'est évident !

Mme Hélène Mignon - Ne dressons pas le reste de la population contre eux...

M. Patrick Roy - Il faut retirer le texte !

Mme Hélène Mignon - Ce fantasme du chômage volontaire est contredit par les études de l'INSEE. Un tiers de ceux qui ont repris un emploi n'y ont aucun intérêt financier, et 12 % estiment même y perdre. Mais, malgré le chômage et la précarité, dans lesquels vous avez une large part de responsabilité, le travail demeure source de dignité. Ainsi qu'en témoigne un allocataire du RMI, « ce qu'on veut d'abord, c'est travailler pour pouvoir vivre et élever sa famille grâce à l'argent qu'on gagne. Travailler, ça change tout ! Dans la tête, ça va bien, ça donne du dynamisme, on sert à quelque chose, on se sent utile, respecté, responsable, ça fait un équilibre, une hygiène de vie !». Je ne pense pas qu'il dirait la même chose du RMA !

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Pourquoi ?

Mme Hélène Mignon - Le Secours catholique note que la pauvreté est fortement ancrée sur l'ensemble du territoire. Les chômeurs sans droits sont en hausse constante. Qu'en sera-t-il dans les mois qui viennent, avec les restrictions d'indemnisation et la réforme de l'ASS ?

En 1989, on avait estimé à 300 ou 400 000 le nombre d'allocataires du RMI. Ils sont actuellement plus d'un million en France métropolitaine. En tenant compte des ayants droit, environ deux millions de personnes doivent leur survie à cette allocation. Si l'on ajoute les départements d'outre-mer, c'est finalement 10 % de la population qui en appelle à la solidarité nationale. Or, celle-ci ne sera plus au rendez-vous lorsque la majorité aura adopté ce texte.

L'impôt sur la fortune devait permettre de faire face aux dépenses du RMI. Vous transférez aujourd'hui cette dépense aux départements, en leur attribuant une partie de la TIPP. La fiscalité locale, déjà notoirement injuste, risque d'augmenter et les collectivités locales vont connaître des difficultés financières. Faut-il vous rappeler pourtant tout ce que vous avez dit au sujet de l'APA ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) Les conseils généraux sont inquiets, et certains de leurs présidents vous diront pourquoi mieux que je ne saurais le faire. Mais je sais que le pari est plus que risqué pour les départements les plus pauvres. Y aura-t-il une péréquation ? Ne confondons pas décentralisation et désengagement budgétaire de l'Etat.

La loi initiale date de 1988. Elle ne concerne pas des bâtiments, lycées ou collèges, mais des hommes et des femmes dont nous souhaitons tous la réinsertion. En quinze ans, la société a évolué et les contraintes économiques aussi. Des outils d'aide à l'insertion ont fait leurs preuves et des acteurs se sont professionnalisés. Il faut davantage faire appel à eux. Les structures d'insertion par l'activité économique sont pour beaucoup un passage obligatoire, encore faut-il que leur rôle et leur savoir-faire trouve une traduction financière ! Ce n'est hélas pas le cas dans le budget qui vient d'être examiné. Faisons un bilan, département par département. Sachons reconnaître les échecs et les réussites qui peuvent servir de modèle, en se basant sur l'appréciation des intervenants et des services de l'Etat dans les territoires.

Nous verrons que certains départements ont mis en place les outils nécessaires pour répondre aux demandes d'insertion et faire des propositions adaptées aux besoins, alors que d'autres n'ont pas pris les mesures qui s'imposaient. Des crédits ont été sous-consommés. Souvenons-nous toutefois que le contrat d'insertion n'était pas exclusivement tourné vers l'emploi. La solution de problèmes sociaux ou de santé prime souvent sur la recherche d'emploi, et elle n'est par forcément officialisée dans le contrat. Ces personnes sont dans de telles difficultés qu'on n'avance qu'à pas comptés vers les solutions.

Mme Elisabeth Guigou - Il fallait le rappeler.

Mme Hélène Mignon - Les enquêtes de l'INSEE, de la DRESS et de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale montrent qu'une partie des bénéficiaires, très proches de l'emploi, ne passent que quelques semaines dans le dispositif. Vous avez vous-même souligné, Monsieur le ministre, que lorsque les uns entrent dans le dispositif, d'autres en sortent. Ces allocataires mènent leur recherche sans faire appel à un travailleur social, et donc sans contrat d'insertion. Certains sont en attente d'une autre prestation, la retraite par exemple. Mais n'oublions pas ceux qui sont complètement désocialisés, repliés sur eux-mêmes. Ils ont eux aussi droit à la dignité. Il faudrait réfléchir aux lacunes du dispositif actuel avant d'envisager sa décentralisation. Votre précipitation empêche de répondre aux graves difficultés que les familles de RMistes rencontrent au quotidien du fait de la non-individualisation du RMI.

Vous connaissez certainement ce témoignage cité par un président d'association, vous en avez sûrement entendu de similaires dans vos permanences : « Si on a le RMI, on ne sait rien de demain. J'ai un fils de 21 ans diplômé bac+2. Il a trouvé un boulot comme animateur de centre aéré, payé 22 € par mercredi. Le RMI chute pour nous du fait de son boulot, il passe de 609 à 507 €. Le loyer reste le même, mais les APL ont chuté de 102 € à cause du quotient familial modifié parce que mon fils a atteint 21 ans. Depuis que mon fils travaille les mercredis, il est radié des ASSEDIC et quand il a voulu s'inscrire, on lui a dit : « Mais vous travaillez maintenant ! ». Je n'ai pas le c_ur de lui dire : « Tu as travaillé, je prends l'argent et toi tu ressembles à un misérable auprès de tes amis qui ont étudié avec toi ». Il n'est pas compté à ma charge, mais il est bel et bien à ma charge ! ».

Nous devons nous demander pourquoi un allocataire sur deux touche le RMI depuis au moins trois ans. C'est à partir de ce constat que le sénateur Sellier, dans son rapport, a demandé la décentralisation du RMI, afin de réduire les effets de l'imbrication administrative. Si celle-ci est réelle, je ne suis pas sûre qu'elle soit seule à l'origine des dysfonctionnements auxquels on prétend s'attaquer.

Si la départementalisation du RMI peut être bien accueillie par les collectivités locales, qui n'auront plus de compte à rendre aux représentants de l'Etat, mais aussi par les associations qui recherchent la proximité et la simplification, elle présente toutefois des risques pour le volet insertion.

Le RMI est un bon dispositif, très imparfaitement appliqué, mais nous ne nous sommes pas tous fortement mobilisés pour lutter contre les exclusions et l'engagement réciproque de la collectivité et des bénéficiaires dans le contrat d'insertion n'a pas toujours été le souci premier des travailleurs sociaux, qui devaient faire face à l'urgence. L'échec du RMI est donc dû en partie à une mauvaise mobilisation des acteurs. C'est ici qu'il faut accentuer nos efforts.

Les conditions de la décentralisation du RMI préconisées par le Gouvernement dans le texte que nous étudions aujourd'hui sont incontestablement de nature à susciter l'inquiétude.

Même si les montants et les conditions restent fixés au plan national, la décentralisation peut aboutir à remettre en cause l'égalité du traitement avec la possibilité ouverte à chaque département de choisir ses pauvres. Avec votre philosophie, nous entrons dans une ère de soupçon envers ceux qui ne sont pas dans la norme.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires sociales - Allons, Madame Mignon !

Mme Hélène Mignon - J'ai le droit de dire ce que je pense ! Je vous ai écouté sans vous interrompre.

Les départements auront-ils à distinguer les bons pauvres des mauvais pauvres, les vrais chômeurs des faux chômeurs, ceux qui méritent notre attention et ceux qui doivent assumer leur situation ? Chaque département aura la possibilité de suspendre le versement de l'allocation pour non-respect des engagements prévus dans le contrat d'insertion « sans motif légitime ». Il est dangereux de s'en remettre à une appréciation subjective. Il serait intéressant de définir ce qu'est le mot légitime.

Nous savons qu'il faut donner du temps à certains bénéficiaires pour qu'ils réussissent leur réinsertion. Ils sont souvent, psychologiquement, familialement, fragiles. Selon le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, 200 000 allocataires du RMI sont dans l'incapacité psychologique et physique d'assurer un emploi. Ne faisons pas planer sur eux la menace d'une rupture de contrat qui va encore les inquiéter.

Nous ne pouvons pas faire comme si nous ignorions que les allocataires du RMI sont deux fois plus touchés par des problèmes de santé que la population dans son ensemble. Quand on est isolé de sa famille, l'obligation de garder les enfants peut amener à refuser un stage, une formation...

M. Jean Le Garrec - C'est vrai !

Mme Hélène Mignon - Le problème du déplacement est un facteur aggravant de la précarité en milieu rural (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Nadine Morano - Et qu'avez-vous fait ?

Mme Hélène Mignon - Vous êtes au pouvoir depuis plus d'un an. Nous pouvons demander votre bilan. Le caractère unilatéral de la sanction est choquant. Les obligations devraient être réciproques, la collectivité ayant le devoir de fournir un emploi.

Supprimer comme vous le faites l'obligation d'inscrire des dépenses d'insertion dans les budgets des départements - ils devraient jusqu'à présent dépenser au moins 17 % des sommes consacrées par l'Etat en matière d'insertion - est symptomatique de l'idéologie implicite du Gouvernement, qui fait peser obligations et sanctions sur les seuls bénéficiaires du RMI.

Mme Elisabeth Guigou - Ce qui est parfaitement scandaleux !

Mme Hélène Mignon - L'immense majorité d'entre eux souhaitent travailler, mais ils sont victimes de la pénurie d'emploi. A cet égard, je m'interroge sur une de vos récentes déclarations, Monsieur le ministre. Vous dites vouloir réduire de 100 000 le nombre d'offres d'emplois non satisfaites d'ici fin 2004.

M. le Ministre - Vous délirez !

Mme Hélène Mignon - Je vous pose la question, car le rapprochement m'a paru s'imposer. Si votre ambition est de répondre à ces offres par les RMA, vous prouvez encore que vous ne maîtrisez pas la question de l'insertion et vous vous exposez à de fortes déconvenues. Quelle est donc cette idée qui consiste à penser qu'un chômeur, s'il tient à travailler, doit être prêt à accepter n'importe quel emploi ? Un échec sur ce nouveau poste de travail dans le cadre du RMA serait catastrophique (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste). On ne repartira pas à la case départ : le regard que portera sur lui-même le bénéficiaire passager du RMA sera lourd et handicapant pour lui et les siens. Un espoir de plus sera déçu.

On ne peut d'autre part esquiver le débat relatif aux licenciements et aux patrons voyous. Qu'en est-il de la loi de modernisation sociale et du fameux amendement « Michelin » ? Pourquoi l'avoir mis en sommeil, Monsieur le ministre, si l'emploi vous préoccupe tellement ?

Le Gouvernement a abandonné la politique de l'emploi. Le secteur privé et marchand est certes créateur d'emplois, mais il y a d'autres chemins à explorer. Quelles sanctions pourrait-on envisager pour les départements qui ne rempliraient pas leurs obligations ou qui radieraient trop facilement les bénéficiaires ?

M. Patrick Roy - Bonne question !

Mme Hélène Mignon - Oui, un RMI territorialement différencié risque de voir le jour, malgré l'encadrement prévu. Un clivage risque d'apparaître entre les départements qui consacrent déjà plus au RMI qu'ils n'y sont contraints et ceux qui voudront diminuer la dépense d'insertion pour des motifs idéologiques ou plus simplement pour dissuader l'accueil de nouveaux bénéficiaires, comme cela s'était vu avec le PSD.

M. le Ministre - Soyez prudent sur ce point. Méfiez-vous des chiffres.

Mme Hélène Mignon - Je redoute des stratégies restrictives dans l'attribution de la prestation, par l'allongement de la phase d'instruction du dossier, la multiplication des formalités administratives ou des exigences d'insertion qui dépassent les capacités des allocataires.

Les inégalités constatées en matière d'insertion pourraient donc s'accroître.

Votre texte n'apporte pas suffisamment de garanties et ne réaffirme pas le rôle de garant de l'Etat. Le président du conseil général devient autonome en matière d'organisation territoriale de l'insertion. Il élabore seul le programme départemental d'insertion. Il peut supprimer les commissions locales d'insertion définies par la loi actuelle, pour laisser à ses services l'entière responsabilité du contrôle et du suivi des bénéficiaires.

Les CLI ne seront plus chargées de valider les contrats d'insertion. Si elles doivent se prononcer sur d'éventuelles suppressions de l'allocation, comment pourront-elles juger du bien-fondé de ces décisions ?

La définition du contrat d'insertion a été réduite par ce projet, puisque l'accent est mis sur les activités et les stages. Où est le bilan de compétences ? Quelle place donne-t-on à l'autonomie sociale et la socialisation ? Ne considère-t-on plus le logement décent comme indispensable à la réinsertion ? Qu'en est-il de l'accès aux soins, à la santé ? Comment considérera-t-on des projets culturels du point de vue de la réinsertion ? Autant de questions, Monsieur le ministre, que nous sommes en droit de nous poser et de vous poser.

Mme Elisabeth Guigou - Et qui montrent que ce projet est mal ficelé !

Mme Hélène Mignon - Pour nous, le premier acte de la décentralisation libérale est en train de se jouer sous la forme d'un traitement différencié des bénéficiaires de l'insertion. Monsieur le ministre, qui validera les contrats d'insertion ? Quelles en seront les règles générales ? Qui sera compétent en cas de contentieux ? Les demandeurs du RMI, en cas de difficulté, pourront-ils demander l'aide des associations concernées ?

Votre projet, Monsieur le ministre, laisse trop de zones d'ombre. Les exclus sont aussi des hommes et des femmes. Ils ont droit à notre respect. Nous en avons tous rencontré, dans nos permanences, de ces gens qui se déclaraient contre le principe du RMI et qui, à un moment de leur vie, se retrouvent allocataires. Le destin ne les a pas épargnés.

Confier l'attribution du RMI aux seuls départements constitue une rupture dans la logique des minima sociaux financés par l'Etat au nom de la solidarité nationale. Cette prestation traduit pourtant un droit inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946.

Mais vous allez plus loin avec la création du revenu minimum d'activité. Le projet de loi de finances que vous nous avez soumis prévoyait déjà ce RMA. Peu importe que la représentation nationale n'ait pas encore débattu, vous vous êtes déjà acquitté de cette contrainte parlementaire en essayant de passer en force, puisque vous prévoyez d'appliquer le nouveau dispositif dès le 1er janvier 2004. Des circulaires sont arrivées dans les départements au début du mois de novembre.

M. Patrick Roy - Ce qui est stupéfiant !

Mme Hélène Mignon - Même si vous vous en défendez, vous instaurez le workfare à la française : l'obligation de travail contre une prestation sociale serait ouverte au secteur marchand ! En clair : l'allocataire doit travailler gratuitement ou presque pour rembourser son RMI.

Ce projet très idéologique vise à mettre fin à ce que vous appelez l'inactivité subventionnée. Dans le même état d'esprit, vos amis avaient déjà imaginé plusieurs projets similaires. Je pense à la proposition de Philippe Marini et d'Alain Lambert, alors sénateur, en 2000. Pour eux, il faudrait laisser le marché du travail suivre son cours et le salaire se fixer en fonction de l'offre et de la demande, en prévoyant un complément social versé par l'Etat si ce salaire est jugé insuffisant, par exemple inférieur au SMIC. On retrouve le même mécanisme dans le RMA.

Pour votre gouvernement, si insertion il y a, elle doit impérativement passer par un retour forcé à l'emploi dans le secteur marchand. Peu vous importe que le parcours vers la réinsertion passe souvent par d'autres étapes.

Le revenu minimum d'activité est destiné à l'allocataire du RMI inscrit depuis au moins deux ans ; il lui permettrait de bénéficier d'un prétendu contrat de travail pour vingt heures hebdomadaires. Rémunéré sur la base du SMIC horaire, le nouveau travailleur pauvre permettra à son employeur d'être remboursé de l'équivalent du RMI (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Lequel employeur n'aura à payer que 130 €, soit 1,6 € de l'heure, plus les charges. D'ailleurs, les charges sociales ne sont calculées que sur la différence entre le SMIC et le RMI. L'assiette de cotisation sociale que vous prévoyez est donc dérogatoire au code du travail et son étroitesse implique qu'il faudra au bénéficiaire du RMA au moins trois fois plus de temps pour ouvrir ses droits par rapport à un autre salarié.

M. Patrick Roy - Quelle régression !

Mme Hélène Mignon - C'est tout simplement scandaleux !

Le salaire proposé dans la version « 20 heures par semaine » de votre RMA ne dépasse pas les 500 € nets, c'est-à-dire qu'il sera en deçà du seuil de pauvreté ! Les pauvres sans travail deviendraient-ils des travailleurs pauvres ?

Alors que la logique de votre texte semble consister à inciter les RMistes...

Mme Christine Boutin, rapporteure de la commission des affaires sociales- Non : des bénéficiaires du RMI !

Mme Hélène Mignon - ...à exercer une activité professionnelle, le mécanisme actuel apparaît plus intéressant, puisque le bénéficiaire du RMI qui trouve un emploi de 20 heures hebdomadaires au SMIC conserve pendant le premier trimestre le bénéfice de l'intégralité du RMI, puis en perçoit la moitié pendant les trois trimestres suivants.

On aurait pu imaginer d'inviter les entreprises à proposer des contrats à temps plein, mais quel intérêt y auront-elles lorsque la subvention versée sera identique pour un contrat à temps partiel et pour ces contrats à temps plein ?

Autre grave défaut : l'absence de vrai contrat de travail. Lorsqu'un allocataire bénéficiera d'une mesure d'accès à l'emploi dans le cadre du RMA, l'employeur ou le prestataire n'auront à adresser au référent qu'une attestation trimestrielle, qui tiendra lieu de contrat d'insertion.

Le RMA risque de ne pas intéresser les employeurs, déjà peu attirés par ce public et guère en mesure de dispenser un accompagnement social. En revanche, ce sous-contrat sera source d'abus dans des secteurs qui font habituellement appel à une main-d'_uvre peu qualifiée - je pense aux entreprises de nettoyage. Ne risque-t-il pas d'entraîner la suppression de CDD, donc de pousser vers le chômage des gens qui ont un travail ?

Comme l'a dit une représentante du mouvement national des chômeurs, « avec le RMA, ce sont les employeurs qui sont des assistés » ! Ils le seront d'autant plus que l'article 35 semble leur accorder bien des facilités.

Nous courons donc le risque de voir se créer au sein des entreprises des « secteurs RMA ». En effet, vous ne posez aucune limite à ce recours et, une fois les dix-huit mois du premier contrat d'insertion écoulés, l'entreprise pourra recruter d'autres personnes sur ce même poste avec ce même sous-contrat car rien ne les incite à embaucher le premier bénéficiaire.

M. le Ministre - Et les conventions qui seront passées avec les départements ?

Mme Hélène Mignon - Les entreprises qui emploient du personnel qualifié ne seront pas concernées par cet effet d'aubaine. Le dispositif n'est donc pas de nature à les enthousiasmer, et l'absence de mesures d'accompagnement témoigne de bien du mépris pour les politiques d'insertion. Il aurait fallu, au moins, doubler le RMA d'une convention exigeant cet accompagnement social et le confiant à d'autres qu'à l'employeur. Vos garanties sont insuffisantes, s'agissant du tutorat, du suivi individualisé et de la formation : vous vous contentez de renvoyer à la convention passée avec le département, sans obligation.

Quant au référent, quelle sera sa qualification ? De combien de personnes devra-t-il s'occuper ? Que prévoit-on pour assurer une bonne entente, si j'ose dire, entre lui et la personne accompagnée ? Suivra-t-il le bénéficiaire du RMA quand celui-ci sera en entreprise ? L'accompagnement ne doit pas s'arrêter à la porte de cette dernière, et vous feriez bien de méditer ce que disait un jeune suivi par un tuteur en entreprise. « Vous savez ce que ça fait, un tuteur ? Eh bien, il vous dit de voir avec un chef, c'est tout. Et des fois, le chef, il dit : Ah ! C'est toujours sur moi que ça tombe ! J'en ai marre de m'occuper des gens comme çà. Je vais lui donner quelque chose à faire, et puis après il se débrouille ! ». L'accompagnement doit donc vraiment être assuré par des professionnels.

Si le RMA ne doit pas être imposé, mais proposé, il n'est pas exclu non plus que, dans certains départements peu enclins à favoriser l'insertion des plus exclus, le RMI soit suspendu ou supprimé à ceux qui refuseraient le contrat proposé, et ce sans contrôle de l'Etat ni possibilité de recours. En effet, le projet subordonne le droit à l'allocation à la mise en _uvre du contrat d'insertion, mais prévoit également qu'en cas de non-respect de l'engagement d'insertion et en l'absence de motif légitime, le versement de l'allocation peut être suspendu.

On l'a dit, le risque est de stigmatiser davantage les RMistes qui ne bénéficieront pas du RMA, l'insertion professionnelle pouvant être un objectif lointain. A cela, votre projet n'apporte pas de réponse. Plus largement, vous ignorez les caractéristiques générales des politiques d'insertion. Votre ambition n'est que de justifier les dépenses liées au RMI, pas de leur donner sens. Il n'est donc pas étonnant que vous laissiez de côté tout ce qui peut favoriser la création d'emplois, le droit au logement ou l'accès aux soins.

Par ailleurs, il est regrettable que la mise en _uvre du « contrat unique d'insertion » ne soit plus à l'ordre du jour. Vous l'aviez pourtant vous-même annoncée à plusieurs reprises et les associations spécialisées y tenaient, estimant à juste titre que l'éclatement des dispositifs d'insertion n'est pas de nature à donner des repères au public concerné.

Votre analyse de « l'échec du RMI », pour reprendre votre expression, est idéologique mais fausse. Votre projet en devient compliqué, inutile et dangereux.

Votre politique ne vise qu'à culpabiliser les sans-emploi. Pour vous, la cause est entendue : les Français doivent se remettre au travail. « L'avenir de la France n'est pas un immense parc de loisirs », déclarait le Premier ministre cet été. « On ne peut pas indemniser le chômage indéfiniment », poursuiviez-vous. Comme vos décisions scandaleuses le prouvent, vous estimez qu'il existe un chômage volontaire et que, pour le réduire, il suffit de pousser les gens au travail !

M. le Ministre - Ne m'attribuez pas ce qu'à dit M. Rocard !

Mme Hélène Mignon - Votre projet s'adresse à ceux qui « choisissent la voie de l'insertion » - autrement dit, il y en a qui ne veulent pas s'insérer !

Nous ne vous laisserons pas nous enfermer dans la caricature qui ferait de nous les défenseurs de l'assistance. Il est indéniable que le retour au travail du plus grand nombre est souhaitable, mais il faut dans le même temps fournir les moyens d'une réinsertion sociale aux plus exclus. Or, dans votre projet, c'est une logique économique et budgétaire qui l'emporte sur la logique sociale.

Ce projet a été préparé dans la précipitation, sans aucune concertation avec les représentants du public concerné. Les associations vous ont demandé à plusieurs reprises de reporter ce débat afin que vous preniez le temps d'entendre leurs observations fondées sur l'expérience. Vous n'avez pas voulu les entendre.

La grande majorité des présidents de conseils généraux vous ont fait savoir qu'il n'était pas possible d'appliquer ce texte dans six semaines. Vous n'avez pas voulu les entendre !

M. le Ministre - Faux !

Mme Hélène Mignon - Le conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales a adopté un avis négatif. Vous n'avez pas voulu l'entendre !

La représentation nationale n'avait pas encore été consultée et ses amendements n'avaient pas encore été mis au vote que vous passiez en force, intégrant cette loi dans votre projet de loi de finances. Les députés vous avaient signalé cette incohérence. Vous n'avez pas voulu les entendre ! Vous continuez même de mettre la charrue avant les b_ufs puisque vous avez déjà adressé des circulaires aux préfets.

Votre philosophie vous conduit à faire de mauvais choix et à proposer un sous-contrat aux droits dégradés. Vous aggravez cette remise en cause de la solidarité nationale par votre empressement. Les élus socialistes estiment donc qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce texte de régression et vous appellent à voter cette question préalable (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis de la commission des finances - Votre propos était précis car, à l'évidence, vous connaissez bien le sujet de l'insertion, mais comment pouvez-vous parler de précipitation quand, depuis quinze ans, tous les rapports démontrent les imperfections et le semi-échec du RMI ? C'est vrai du rapport de la Cour des comptes, de celui de l'IGAS, de celui de l'observatoire de l'action sociale décentralisée... Dès lors, il apparaissait indispensable de remédier à ces dysfonctionnements. Pour autant, nous n'entendons évidemment pas supprimer le RMI ! Au contraire, il s'agit de faire vivre ce dispositif.

Quant au retour à l'emploi, vous n'avez sans doute pas remarqué comme nous que, pour 22 % des allocataires, le RMI n'a pas été une solution - et ce n'est sans doute pas un hasard si le langage commun fait des RMistes une catégorie à part.

Mme Elisabeth Guigou - Que faites-vous pour remédier à la situation ?

Mme la Rapporteure pour avis - L'esprit de la réforme est d'aider ces gens à retrouver un emploi, grâce à un temps partiel.

Certes, une part importante des crédits n'a pas été consommée, mais ne faudrait-il pas incriminer le copilotage ? Faisons confiance aux départements pour agir en faveur de l'insertion, et donnons-leur les moyens nécessaires !

M. Augustin Bonrepaux - Des moyens, oui !

Mme la Rapporteure pour avis - Quant aux 17 %, il faut en effet que nous en discutions ensemble. Les deux commissions ont d'ailleurs adopté des amendements sur ce point, ce qui prouve que le débat sur ce projet est utile !

Qui parle de supprimer les CLI ? Le texte prévoit seulement que leurs membres seront désignés par les présidents de conseils généraux.

Enfin, remettre en cause le RMA parce qu'on doute des capacités des entreprises en matière d'insertion devrait conduire à remettre pareillement en cause l'apprentissage, l'alternance et les ateliers protégés. Or, il s'agit de dispositifs qui ont fait leurs preuves et qui démontrent que l'entreprise est apte à favoriser le retour à l'emploi.

Je ne puis donc imaginer une seule seconde que nous renoncions à débattre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - Mme Mignon a émaillé son intervention d'affirmations très éloignées de la réalité du texte. Ainsi a-t-elle dit que le projet aurait été présenté « dans la précipitation »...

M. Augustin Bonrepaux - Parfaitement !

M. le Ministre - ...alors qu'il a été adopté par le Sénat en juillet... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux - Et l'Assemblée ?

M. le Ministre - Vous vous conduisez comme un voyou, et je n'ai aucune intention de polémiquer avec un groupe qui se conduit de la sorte (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Bernard Derosier - C'est scandaleux ! Voyou vous-même !

M. le Président - Le débat n'exclut pas la courtoisie...

M. Bernard Derosier - Ces propos sont inadmissibles !

M. le Président de la commission des affaires sociales - Ce débat, qui touche à l'humain, prolonge celui de 1988, dont M. Le Garrec a rappelé tout à l'heure dans quelles conditions il s'était déroulé, et dans quelle incertitude. Je vous demande de respecter le ministre...

M. Augustin Bonrepaux - Mais je le respecte !

M. le Président de la commission des affaires sociales - Je demande aussi à chacun de respecter ses collègues. Ce débat, très attendu par tous ceux de nos concitoyens qui vivent dans des conditions difficiles, doit se dérouler dans la sérénité, et vous n'aviez pas à couper la parole au ministre comme vous l'avez fait (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Augustin Bonrepaux - Rappel au Règlement. Je n'ai fait que dire au ministre que la précipitation est avérée, puisque les conseils généraux ne sont informés que depuis quinze jours des intentions des directives du Gouvernement en cette matière, alors que les crédits sont censés être débloqués à partir du 5 janvier ! Si ce n'est pas de la précipitation... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission des affaires sociales - J'apprécie la sérénité retrouvée et je vous rappelle qu'en 1988, le texte a été adopté le 15 décembre pour être appliqué le 1er janvier 1989. Ce projet a été adopté en mai - et non en juillet - par le Sénat...

M. Bernard Derosier - L'Assemblée ne sert donc à rien ?

M. le Président de la commission des affaires sociales - Vous ne m'entraînerez pas sur ce terrain-là, car je considère au contraire que l'Assemblée a un rôle prépondérant à jouer dans ce débat, qui doit retrouver sa sérénité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Voilà qui est fait. Nous allons donc entendre les explications de vote.

Mme Nadine Morano - Le groupe UMP ne votera pas la question préalable. Nous constatons que vous adoptez la même stratégie que pour les retraites : vous vous contentez de démonter le dispositif nouveau alors que vous savez que le RMI ne fonctionne pas. Sans doute est-ce que vous auriez aimé avoir fait ce que nous proposons... (« Ah non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) En tout cas, vous ne suggérez rien ! Pourtant, le sujet est grave, et des millions de gens sont concernés, qui vivent dans la précarité et qui doivent retrouver le chemin de l'emploi. Nous n'avons pas la même philosophie ; pour nous, il y a urgence, et nous prenons donc le problème à bras-le-corps, pour ne pas laisser plus longtemps s'enfoncer les plus fragiles. Chacun doit admettre que dans RMI, le « I » d'insertion n'ayant pas fonctionné, il faut lui substituer le « A » du RMA, l'activité. Là est le devoir du Gouvernement, qui peut naturellement compter sur l'appui de la majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Vidalies - Rien ne justifie que le ministre traite un député, président de conseil général, de voyou, et je souhaite que cet incident ne prenne pas une autre dimension.

Vous cherchez par tous moyens à nous présenter comme hostiles à un travail qui aurait été soigneusement préparé et qui ne suscite aucune réaction. Mais ces réactions viennent de tous bords ! Des syndicalistes, certes, mais aussi de personnalités politiques, y compris dans votre propre camp ! Voilà qui montre l'état d'impréparation du texte : il suscite plus d'interrogations que vous ne voulez le reconnaître.

La dernière en date de ces réactions émane de M. Voisin, président de la CFTC, qui a estimé le projet « scandaleux », ajoutant que « donner aux entreprises des employés qui ne leur coûtent rien est suicidaire » !

Et puis, que de contradictions dans vos propos successifs, aujourd'hui encore ! Le ministre commence par expliquer qu'il s'agit pas de modifier la philosophie du dispositif du RMI ; après quoi, on entend le président de la commission des affaires sociales expliquer que la montée en puissance du RMA « devrait diminuer le besoin d'insertion » ! Tiens donc ! Voilà qui éclaire singulièrement votre démarche !

Autre chose : outre le fait que beaucoup d'entre nous voient dans la disparition du 17 % une astuce destinée à faire admettre le nouveau dispositif aux présidents de conseils généraux, sans que nul ne sache précisément son mode de financement exact, il y a plus subtil. Comme chacun le sait, le RMI étant une allocation différentielle, tous les allocataires ne le perçoivent pas intégralement. Mais quand ils percevront le RMA, quelle somme les départements verseront-ils aux entreprises, sinon, à chaque fois, l'équivalent d'un RMI intégral ?

Mme Elisabeth Guigou - Très juste !

M. Alain Vidalies - Autrement dit, le transfert de charges sera bien plus élevé que vous ne le prétendez. Que d'incohérences et que d'interrogations, qui restent sans réponses !

Enfin, on voit assez bien venir le temps où l'on dira aux allocataires du RMI - dont c'est la seule ressource -, « ou vous travaillez, ou vous n'aurez plus aucun revenu ». Je ne suis pas sûr que, dans ce cas, on soit très loin du travail forcé au sens où l'entend l'OIT...

M. Hervé Novelli - N'importe quoi ! Quelle caricature !

M. Alain Vidalies - Je tiens à souligner pour conclure que ce n'est pas le RMI qui est la cause du chômage mais qu'il a fallu décider ce dispositif parce que le chômage et, avec lui, l'exclusion, ne cessaient de croître. Il n'y a pas lieu de stigmatiser les RMistes... (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Nadine Morano - Nous ne l'avons jamais fait ! Nous travaillons pour améliorer leur sort !

M. Alain Vidalies - Une autre approche aurait été possible, celle de la concertation. Ne serait-ce que pour cela, l'adoption de la question préalable s'impose. Ainsi les partenaires sociaux auront-ils le temps qui ne leur a pas été donné pour définir les conditions d'une véritable insertion en entreprise, sans que des abus, prévisibles, soient commis (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Rodolphe Thomas - Le groupe UDF ne votera pas la question préalable car il considère ce projet indispensable à une véritable réinsertion sociale et professionnelle. Il s'attachera, par ses amendements, à l'humaniser. Nos collègues des bancs socialistes et communistes n'ont pas le monopole de la solidarité républicaine (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) laquelle passe, aussi, par le RMA, dispositif attendu par beaucoup quoi qu'en disent les syndicats et les associations de réinsertion. Et à force d'entendre parler de Metaleurop me vient l'envie de rappeler que, dans mon département, sous la précédente législature, ce sont 3 000 emplois qui ont été balayés chez Moulinex !

Oui, le RMA est nécessaire mais il faut aussi une volonté politique d'accompagner le développement économique. A nous de développer le tissu économique de nos entreprises et de créer de l'emploi.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Mme Martine Carrillon-Couvreur - L'exclusion sociale ne date pas d'aujourd'hui, hélas. Les hommes naissent libres et égaux en droits, mais nous sommes loin d'en avoir fini avec les vieilles discriminations à l'encontre par exemple des gens du voyage, des personnes issues de l'immigration, de celles de confession israélite, ou des homosexuels. Et aujourd'hui, nous devons en ajouter d'autres, le plus souvent liées au chômage.

Depuis plus de quinze ans, notre société tente de répondre à ceux qui, frappés par l'illettrisme, isolés, de santé précaire, et privés d'un logement décent, doivent accomplir des efforts insurmontables pour s'insérer.

La loi de 1988, votée sous le gouvernement de Michel Rocard, suivie, dix ans après, de la loi contre l'exclusion, répondait à ce défi, en intervenant sur les causes de la misère, et en reconnaissant, chez les exclus, la dignité de la personne humaine. A cette fin, un long processus de construction de dispositifs d'insertion s'est mis en place. Malheureusement, votre projet ne tend pas à les améliorer, il marque au contraire un recul de la solidarité nationale.

Comment laisser croire que les allocataires du RMI se complaisent dans leur situation ? Le RMI n'est pas un luxe, il ne suffit pas pour vivre décemment - du reste, l'écart entre le SMIC et le RMI s'est considérablement accru ces dernières années.

Il n'est pas non plus une rente, car son montant est imprévisible, et résulte d'un calcul complexe. Il est encore moins un dispositif pour les plus « paresseux », mais du fait de cette grande précarité matérielle et de l'absence d'accompagnement adapté, il est difficile de retrouver un emploi stable dans ces conditions.

Pourtant, l'aspiration des allocataires du RMI au travail est en général très forte, et elle les pousse parfois à accepter des emplois précaires, des conditions de travail pénibles, pour un gain financier dérisoire.

L'adaptation du RMI à l'évolution de notre société est pourtant nécessaire. Mais votre projet crée une nouvelle catégorie de main-d'_uvre à très bon marché, en reléguant une grande partie des allocataires du RMI à la marge de notre société.

Le bénéficiaire du RMA sera particulièrement désavantagé par rapport à un salarié de droit commun, et même par rapport au bénéficiaire d'un contrat emploi-solidarité.

Son salaire demeurera inférieur au seuil de pauvreté pour un travail à mi-temps, et ne sera pas intégralement assujetti au versement des cotisations sociales, retardant d'autant l'ouverture des droits pour le chômage et la retraite. Le droit à la formation n'existe pas, la référence à une durée minimale du temps de travail n'est pas précisée, et l'employeur n'a aucun intérêt à privilégier un temps complet, puisque le montant de la subvention est le même que pour un temps partiel.

L'insertion des personnes en difficulté s'inscrit dans un parcours, suppose un accompagnement et des actions en faveur de l'accès au logement, à la santé et à l'éducation. Nulle trace de tout cela dans votre projet. En revanche, vous diminuez, pour la deuxième année consécutive, les crédits nécessaires à une véritable politique de solidarité nationale.

En refusant d'aligner le salaire de ces contrats sur les conventions collectives des employeurs, en écartant le principe selon lequel toute heure travaillée doit apporter un supplément de revenu, en repoussant toute possibilité de formation adaptée, vous offrez au secteur marchand le plus beau des cadeaux de Noël : des subventions pour embaucher une main-d'_uvre à bas prix et docile, dont la moindre de ses revendications peut conduire à la dénonciation du contrat et à la suspension de la dernière allocation qui lui reste pour vivre.

Au-delà, votre projet relègue une grande partie des bénéficiaires du RMI à la marge de notre société.

En effet, par le contrat de RMA, vous engagez les allocataires à trouver un emploi. Mais si l'emploi fait défaut ? Dans la Nièvre, où les plans sociaux se succèdent depuis quinze mois, les RMmistes devraient s'engager à trouver un travail !

M. le Ministre - Où avez-vous lu tout cela ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur - Votre projet ne remédie pas aux faiblesses du RMI et marque un net recul dans les droits des personnes concernées. Il s'inscrit dans ce modèle de société où « il y a celles et ceux qui voyagent en première classe, celles et ceux qui voyagent en seconde, celles et ceux qui voyagent debout. Mais il y a aussi celles et ceux qui, n'ayant pas de place du tout, sont jetés sur le ballast ». Ces mots écrits il y a quinze ans dans le cadre de la préparation de loi sur le RMI, prendront demain tout leur sens.

Enfin, votre projet ouvre une nouvelle étape dans le démantèlement de la législation du travail. Aujourd'hui, vous expérimentez sur les personnes fragilisées un nouveau cadre, où la déréglementation s'impose en tant que « règle ». Vous étendrez demain ce cadre à l'ensemble des salariés.

Nous avons entendu et nous partageons l'inquiétude des associations et des institutions qui accompagnent au quotidien toutes celles et ceux touchés par les aléas de la vie. Je veux redire ici tout le respect que je leur porte pour la noblesse de leur tâche, et elles auraient mérité que leurs propositions soient retenues.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de différer votre projet, de renforcer les moyens de lutte contre les exclusions et de mener une réelle politique publique en faveur de l'emploi, à l'image de ce qui avait été réalisé sous le gouvernement de Lionel Jospin.

M. Rodolphe Thomas - Nous ne pouvons plus accepter qu'au XXIe siècle des familles entières soient paupérisées et privées d'emploi. Créé en 1988, le RMI n'est plus adapté à la recherche d'une activité professionnelle, surtout après de nombreuses années passées au chômage. Le volet « insertion » ne fonctionne plus. En effet, les contrats d'insertion ont un effet temporaire, qui consiste à favoriser l'accès aux emplois aidés du type contrat emploi-solidarité, sans augmenter vraiment les chances de regagner la vie active.

Nous devons relancer l'insertion de ces allocataires. Considérés à tort comme peu productifs et attractifs, les allocataires du RMI se trouvent dans une impasse. D'où l'idée du RMA pour inciter un retour effectif et durable à l'emploi !

Le RMA vise des personnes qui ne peuvent accéder à l'emploi dans les conditions ordinaires du marché du travail, et pour lesquelles un temps d'adaptation est nécessaire. Mais il n'a pas vocation à concerner l'ensemble des bénéficiaires du RMI ! Du reste, les 100 000 programmés pour 2004 doivent aussi absorber les allocataires de l'ASS.

Le Sénat a pris en compte cette diversité en modulant la durée de travail d'un bénéficiaire du RMA en fonction de ses capacités, de ses attentes et de son projet professionnel.

Plus flexible, le RMA s'adapte à la diversité des publics visés. Les chances d'insertion s'en trouvent nettement accrues. Et, pour un bénéficiaire d'un contrat insertion, n'oublions pas l'impact psychologique d'un vrai revenu du travail, au lieu d'une allocation. Permettre à toute une population trop longtemps laissée au bord de la route de bénéficier enfin du revenu d'un travail, c'est lui rendre sa dignité. Le RMA doit trouver place dans le cadre d'un véritable contrat de travail, ce qui signifie que son bénéficiaire doit avoir les mêmes droits que tout autre salarié, notamment en matière de protection sociale. C'est l'une des principales revendications des acteurs de terrain.

Votre projet ne met pas assez l'accent sur la reconnaissance sociale du bénéficiaire du RMA, au fondement pourtant de cette allocation. L'UDF souhaite, pour sa part, humaniser le dispositif en le dessinant au plus près des besoins, car ce sont d'hommes et de femmes, souvent isolés, désocialisés, cumulant les difficultés, dont il s'agit. Je me permets en tant qu'élu local d'insister sur ce point.

Notre réflexion doit s'inscrire dans un cadre plus large. Il nous faut prendre en compte les besoins et les attentes des bénéficiaires, qu'il s'agisse de protection sociale, de formation, d'accompagnement, de temps de travail ou de gain financier, afin de rendre le dispositif attractif aussi pour eux. J'ai déposé des amendements qui tiennent compte de ces attentes, comme celui qui incite les employeurs à embaucher sous contrat à durée indéterminée des personnes ayant au préalable contracté un contrat d'insertion-RMA - CIRMA. C'est dans le secteur marchand que l'on pourra pérenniser les emplois de demain, comme les contrats jeunes en entreprise l'ont montré. Les entreprises sont en effet les mieux à même de transmettre toute la valeur du travail bien fait. Il nous faut améliorer le texte sur ce point en permettant des embauches durables. Cela suppose, ne nous voilons pas la face, des aides incitatives. Nous avons déposé un amendement en ce sens. Les entreprises du secteur marchand, qui embauchent un allocataire du RMI sous CIRMA doivent bénéficier d'exonérations de charges sociales, au même titre que les structures du secteur non marchand. Il ne s'agit pas de faire un cadeau aux entreprises, comme certains le disent ici ou là, mais de les inciter à employer durablement des personnes depuis longtemps exclues sur le plan professionnel et social. Or, en l'état actuel du texte, les personnes qui ne seront pas embauchées en fin de CIRMA retourneront directement au RMI !

Le secteur marchand, certes porteur d'avenir, est aussi très concurrentiel. C'est pourquoi il est plus difficile aux entreprises d'intégrer des allocataires du RMI qui, pour certains, ont besoin d'un temps assez long pour se réadapter aux contraintes du travail. Il nous faut donc prévoir des incitations. Ne retombons pas dans les erreurs commises par le passé, comme avec les emplois jeunes pour lesquels n'avait été prévus ni dispositif de sortie ni formation vraiment valorisante (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Les bénéficiaires de CIRMA auront besoin d'une formation qualifiante, d'autant qu'un faible niveau de formation et de qualification est le plus grand obstacle dans l'accès à l'emploi.

Pour qu'une politique d'insertion réussisse, chacun doit tenir son rôle : les employeurs, les services sociaux chargés de l'accompagnement des bénéficiaires, les collectivités qui doivent mener des politiques novatrices et pragmatiques, mais aussi les associations et entreprises d'insertion, lieux privilégiés de resocialisation. Celles-ci, qui travaillent aussi en amont de l'exclusion, jouent un rôle déterminant dans l'insertion sociale, préalable indispensable à l'insertion professionnelle, étant entendu que le CIRMA vise bien cette double insertion. Le groupe UDF souhaite donner aux associations intermédiaires et aux entreprises d'insertion, qui effectuent un travail de terrain remarquable, toute leur place dans le dispositif.

Je conclurai en évoquant un sujet très controversé : l'obligation faite à chaque département de consacrer aux actions d'insertion dans son budget de l'année n des crédits représentant au moins 17 % du montant des allocations de RMI servies l'année n-1. La décentralisation ne doit pas augmenter la précarité de ceux qui se trouvent déjà en situation précaire ni entraîner de disparités dans le versement des minima sociaux.

Le groupe UDF salue la volonté du Gouvernement de relancer la politique d'insertion et de favoriser réellement l'emploi des personnes en difficulté par des mesures incitatives. Il faut en effet croire en la capacité de chacun de surmonter les accidents de la vie pour retrouver sa dignité et jouer un rôle dans la société.

Deux points restent à éclaircir : la date d'application du texte ainsi que les moyens, humains et financiers, qui seront dégagés. Notre vote dépendra du sort qui sera réservé à nos principaux amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Maxime Gremetz - Lorsque nous avons appris qu'allait être soumis au Parlement un projet de loi de décentralisation du RMI et de création d'un RMA, préparé à la hâte, sans réelle concertation avec les associations de lutte contre l'exclusion, les travailleurs sociaux et les universitaires spécialisés sur la question, nous avons été très sceptiques. S'il est incontestable que le volet insertion du RMI n'a pas fonctionné, s'il est de notre responsabilité d'élus de tout faire pour lutter contre l'exclusion économique et sociale des plus fragiles de nos concitoyens, nous ne pouvions faire abstraction du fait que cette initiative du Gouvernement venait, entre autres, après la remise en question des 35 heures, le refus de pérenniser les emplois-jeunes, l'abrogation des mesures antilicenciement de la loi de modernisation sociale, le dynamitage de notre système de retraite par répartition. Et aujourd'hui, force est de constater que nos inquiétudes étaient fondées et que nous avions même sous-estimé le danger.

Ce qui nous est proposé avec le contrat d'insertion-RMA est tout simplement du jamais vu en matière de régression sociale ! Voilà que le Medef, qui se bat depuis longtemps pour obtenir des CES dans le secteur marchand, obtient encore bien mieux ! Pour vingt heures payées au SMIC pendant dix-huit mois, renouvelables tous les six mois, l'employeur chargé de verser la totalité du RMA au bénéficiaire, soit 545 € nets par mois, percevra une aide du département équivalente au RMI pour une personne seule, diminuée du forfait logement, soit 362,30 €. La différence à sa charge ne sera donc que de 183 €, base sur laquelle seront calculées les cotisations sociales. Il fallait le faire !

Il est particulièrement choquant que, pour la première fois de notre histoire sociale, une allocation à la personne soit versée à son employeur. Il n'est d'ailleurs pas certain que cette disposition soit conforme à la Constitution. Par ailleurs, ce revenu mixte, qui combine une prestation sociale et un salaire, fait d'une manière éhontée l'affaire des employeurs qui pourront disposer d'un salarié vingt heures par semaine en n'assumant que 47 % du coût afférent dans le secteur marchand et 37 % dans le secteur non marchand. On mesure aisément l'effet d'aubaine que cela représente dans des secteurs comme la grande distribution, le nettoyage ou la restauration, qui recourent massivement à une main-d'_uvre peu qualifiée. Demain, il sera beaucoup plus avantageux d'embaucher quatre salariés sur la base d'un CIRMA qu'un salarié à temps plein au SMIC horaire, que ce soit en CDI ou en CDD. Là où M. Seillière parle « d'assouplissement » du droit du travail, nous n'hésitons pas, avec les syndicats, à dénoncer, nous, sa flexibilisation à outrance.

Combien de salariés savent aujourd'hui que l'on ne peut en théorie embaucher sous CDD que pour répondre à une surcharge exceptionnelle de travail ou remplacer une employée en congé de maternité ? Bien peu d'entre eux, puisque ce type de contrat est désormais utilisé comme un moyen normal de gestion des ressources humaines. Bravo, Messieurs les DRH !

Le RMA, tel que conçu dans ce texte, ne fera qu'ajouter de la précarité à la précarité. Jamais contrat n'aura été aussi atypique, pour ne pas dire davantage, puisqu'il ne s'agit ni d'un contrat de travail, ni d'un contrat aidé. Son signataire n'est même pas considéré comme un salarié et la somme qui lui est versée est qualifiée de revenu, non de salaire.

Le gain net résultant de ce contrat dépassera à peine mille francs par mois. Or, reprendre une activité n'en vaut vraiment la peine que si le surplus escompté couvre les frais de transport, d'habillement et de garde des enfants. Le RMA n'a même pas l'ambition d'être incitatif sur le plan financier pour ses bénéficiaires. Ils ne bénéficieront même pas d'une couverture sociale complète, contrairement aux salariés à temps partiel. Rogner leurs droits à l'assurance chômage, maladie ou vieillesse est inacceptable. C'est une insulte à la dignité de ces personnes. Un an de RMA peut ne valider qu'un trimestre de retraite, contre quatre pour les salariés à mi-temps ! Est-ce concevable ? Sans parler de la récupération sur succession...

Mme Nadine Morano - Comment cela ?

M. Maxime Gremetz - Un décret peut être publié à tout moment ! Nous avons des pleines caisses de lois dont les décrets ne sont pas publiés, mais vos intentions rendent plutôt à craindre les décrets pris sans aucun débat au Parlement...

Le RMA, OVNI dans le droit commun, n'est pas un outil de lutte contre l'exclusion. Il demeure un contrat précaire de six mois, reconductible deux fois - ce qui constitue une nouvelle entorse au droit commun. Rien ne garantit un emploi stable par la suite. N'est-ce pas une curieuse manière de vouloir ramener les gens à l'emploi ?

M. Patrick Roy - C'est bien le problème ! 

M. Maxime Gremetz - Il y en a d'autres : tout le champ du droit du travail est concerné. Selon le sociologue Patrick Werquin, un emploi stable réunit plusieurs caractères : stabilité, durabilité, unicité de l'employeur, plein temps, rémunération au moins égale au SMIC, protection sociale, adaptation entre la formation et l'activité exercée. Cette définition n'a rien de révolutionnaire ! Mais le RMA ne possède quasiment aucune de ces caractéristiques... Pour les députés communistes et républicains, qui ont auditionné de nombreuses associations de lutte contre l'exclusion, insertion ne saurait rimer ni avec chômage, ni avec contrats de dix-huit mois sans avenir.

De surcroît, et compte tenu de l'état du marché de l'emploi, il est à craindre que le RMA ne s'adresse pas aux personnes qui devraient être les plus concernées, celles qui sont les plus éloignées de l'emploi. Derrière les chiffres officiels du chômage, qui tutoient la barre symbolique des 10 % et surtout qui sont largement minorés par des manipulations statistiques successives, se cache la réalité de l'explosion de l'emploi précaire. Entre 1982 et 2000, selon l'INSEE, le nombre de salariés à statut précaire a été multiplié par 3, le nombre de contrats d'intérim par 3,2 et celui des stages et des contrats aidés par 5,4 ! Le sociologue Serge Paugam fait observer que la précarité de l'emploi est un facteur explicatif du recours à l'assistance. Les salariés sont conduits à s'adresser épisodiquement aux services sociaux en raison de la faiblesse et de l'irrégularité de leurs revenus. Vous au contraire, ignorant tous les travaux sur la précarité et l'exclusion, du haut de vos préjugés qui témoignent de votre profonde méconnaissance de ces questions (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), vous affirmez que c'est l'excès d'assistance qui explique la montée du chômage ! L'assistance créerait l'assistance ? Tous les travaux démontrent que ce sont les emplois misérables qui créent l'assistance !

Au-delà de cette question de fond, on peut surtout redouter que les employeurs saisissent l'opportunité du RMA pour embaucher les salariés les plus employables, ceux qui ont le plus d'expérience, qui sont les plus diplômés ou qui sont les plus aptes à supporter les cadences de travail. Beaucoup de personnes naviguent entre des CDD de trois mois et le RMI : ce sont elles qui vont être embauchées au RMA ! L'on sait, par exemple, que 32 % des personnes qui s'inscrivent à l'ANPE viennent de terminer un CDD... Il n'en faut pas plus pour saisir les ambiguïtés de votre projet. Nombre de CDD à temps partiel vont être remplacés par des RMA, bien moins coûteux pour les employeurs. Les CDD qui durent depuis des années, au mépris de la loi, seront eux aussi transformés en RMA... Ce sont donc les moins exclus des exclus qui bénéficieront du dispositif. La lutte contre l'exclusion ne serait plus qu'un prétexte pour porter une nouvelle fois atteinte au droit du travail et plus généralement à la notion d'ordre public social.

Tous les moyens ne sont pas bons, même s'il s'agit de défendre de grandes causes. Dès lors, nous nous mettons au diapason de toutes les associations de lutte contre l'exclusion, seules à même de parler au nom de ceux qui n'osent plus dire leur souffrance, victimes de la conspiration du silence, parias sommés d'intérioriser leur sentiment de culpabilité ; nous réagissons conformément à nos valeurs et à une certaine idée du respect de la personne. Faute de pouvoir empêcher la mise en oeuvre de ce sous-contrat de travail, nous avons entrepris d'en réduire la nocivité par des amendements de deux types. Les premiers visent à ce que les signataires d'un RMA soient traités de manière aussi proche que possible des salariés de droit commun : droits sociaux identiques aux salariés à temps partiel, droit à la formation et dispositif de sortie vers un emploi stable... Les seconds cherchent à moraliser le dispositif et à limiter les effets d'aubaine : il faut interdire l'embauche d'un RMA lorsque l'employeur a procédé à un licenciement économique dans l'année précédente, ou pour occuper un poste résultant de la rupture d'un contrat à durée déterminée ; il faut observer un délai de carence de trois mois entre deux RMA et limiter le nombre total de ces contrats à 5 % des effectifs de l'entreprise...

Je tiens à saluer la qualité des travaux menés la semaine dernière en commission, dont le président a souligné la hauteur de vue, et l'implication de la rapporteure Christine Boutin. Nous avons cosigné certains de ses amendements et certaines de nos propositions ont été adoptées, et même parfois améliorées. L'ensemble des commissaires ont adopté une démarche résolument constructive. Le texte adopté par la commission est donc largement différent de celui déposé par le Gouvernement. Je vois que M. Estrosi en veut à Mme la rapporteure, mais nous allons la défendre !

M. Christian Estrosi - Au moins les choses sont-elles claires !

M. Maxime Gremetz - Le caractère primordial des mesures d'insertion sociale a été réaffirmé. L'obligation d'inscription de crédits d'insertion équivalant à 17 % des sommes versées par les départements au titre du RMI a été rétablie.

M. Christian Estrosi - Il faudra parler de la gestion des départements communistes !

M. Maxime Gremetz - Vous avez été battu, en commission. Rangez-vous à l'avis majoritaire !

La dignité des bénéficiaires est mieux assurée. L'avis conforme de la commission locale d'insertion sera requis en cas de suspension du RMI pour non-respect des clauses d'insertion. Le recours exercé contre la décision de suspension sera suspensif et pourra être exercé par les associations. Voilà ce que M. Estrosi ne supporte pas... Le principe d'un délai de carence entre deux contrats RMA est adopté. La protection sociale des bénéficiaires a été alignée sur le droit commun.

M. le Président - Monsieur Gremetz, je vous prie de conclure.

M. Maxime Gremetz - Le bénéficiaire du RMA se voit automatiquement reconnaître la qualité de bénéficiaire du RMI, ce qui est un filet de sécurité très important.

M. Michel Voisin - Et qui est nouveau !

M. Maxime Gremetz - Mais ce qui est nouveau avec vous nous tire vers le bas...

En outre, la commission a apporté des garanties en matière de décentralisation du RMI. Des amendements ont été adoptés pour assurer la compensation intégrale du transfert aux départements et repousser son entrée en vigueur, n'en déplaise à M. Estrosi.

Le projet initial du Gouvernement constituait la pire campagne de promotion de l'acte II de la décentralisation version Raffarin. Il aurait sévèrement aggravé les inégalités entre les départements. Les grands perdants auraient été les bénéficiaires du RMI et les contribuables locaux. Le dispositif dans son ensemble était inique et inadapté. L'exemple des mesures de compensation financière pour les charges transférées aux départements est éloquent. Le dispositif de l'article 3, complété par l'article 40 du projet de loi de finances pour 2004, est tout simplement inconstitutionnel. Monsieur le ministre, comprenons-nous réellement la même chose lorsque nous lisons l'article 72-2 de la Constitution, introduit à l'occasion de la révision constitutionnelle du 28 mars dernier ? Je ne le crois pas.

Cet article dispose, en effet, que « tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. »

Votre projet, Monsieur le ministre, sous-évalue sciemment les transferts financiers, occulte la question de la péréquation, donc de l'égalité territoriale, et méconnaît le principe d'expérimentation.

La commission des finances du Sénat a observé que l'instauration du RMA aura un surcoût pour les départements estimé à 14 millions d'euros dès la première année. De même, la contre-réforme de l'allocation de solidarité spécifique va faire basculer 130 000 personnes dans le RMI, sans compensation financière pour les départements. Ce texte ne prévoit pas non plus de compenser la traditionnelle « prime de Noël » dont le coût, si elle n'est pas remise en question, restera à la charge des départements. En outre, les dépenses administratives liées à la gestion du RMI, chiffrées à 193 millions d'euros par Mme Nicole Prud'homme, présidente de la CNAF, ne sont pas remboursées par l'Etat. Enfin, dans un contexte économique qualifié de « récessif » par le Premier ministre lui-même, je m'interroge sur votre choix de transférer une portion du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

Bref, ce projet constitue un parfait contre-exemple de ce que pourrait être la décentralisation.

M. le Président - Monsieur Gremetz, vous ne défendez pas une motion de procédure.

M. Maxime Gremetz - Finalement, même s'il est encore possible de renforcer les droits des bénéficiaires du RMA, les membres de la commission des affaires culturelles ont tout fait pour rendre le texte moins mauvais, en conjuguant sens de la responsabilité et humanité.

Faut-il pour autant tempérer notre opposition au projet ? Nous ne le croyons pas, et rien ne garantit que le ministre suivra la commission.

Même amendé, ce projet ne permettra pas de lutter contre l'exclusion. Il fait l'unanimité contre lui parmi les associations de lutte contre l'exclusion, les travailleurs sociaux et les universitaires.

Comme l'a dit en commission notre collègue Denis Jacquat, « le texte est loin d'être parfait ; il est même décevant en ce qu'il est décliné ni comme il était voulu, ni comme il était prévu ».

Les députés communistes et républicains, même s'ils ont conscience des insuffisances du volet insertion du RMI, s'interrogent sur l'opportunité d'un tel texte qui ne peut servir qu'à faire bénéficier les employeurs d'effets d'aubaine, au détriment des exclus et de la collectivité.

Au demeurant, les salariés titulaires d'un RMA seront pénalisés par rapport aux dispositions de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre l'exclusion. Cette loi qui, à ma connaissance, n'est pas encore abrogée, autorise le cumul des minima sociaux et de revenus d'activité, afin d'aider les personnes les plus en difficulté à assumer les dépenses induites par le retour à l'emploi. L'évaluation des effets de cette loi est absente du dossier fourni par le ministère comme du rapport. Il n'est nulle part fait mention de la demande des associations en faveur d'un contrat unique d'insertion. La multiplicité des statuts n'a d'autre but que la « flexibilisation » du droit du travail.

Cependant, notre opposition à ce projet est constructive : il ne s'agit pas de mettre un point final à nos travaux. Il faut faire un travail de fond, en concertation avec les associations, les travailleurs sociaux, les départements et les organismes instructeurs, afin d'apporter des solutions pertinentes à l'exclusion. C'est dans cet esprit que nous défendrons demain une motion de renvoi en commission.

M. le Président - Vous avez dépassé de 50 % votre temps de parole.

Mme Nadine Morano - Depuis dix-huit mois, le Gouvernement a su prendre à bras-le-corps les deux préoccupations principales des Français : l'insécurité, qui tend à disparaître grâce à une politique offensive, et l'emploi, qui appelle, dans un contexte économique difficile, une politique volontaire.

L'emploi, c'est d'abord la compétitivité de nos entreprises que nous avons voulu garantir en assouplissant les 35 heures.

M. Patrick Roy - Plans sociaux sur plans sociaux !

Mme Nadine Morano - Pour défendre l'emploi, il faut définir des objectifs ciblés. Pour les jeunes, nous avons prévu le contrat d'entreprise, dont le cent millième vient d'être signé. C'est un succès (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Pour les plus modestes, nous avons augmenté la prime pour l'emploi et harmonisé par le haut les six différents niveaux de SMIC issus de l'application de la loi sur les 35 heures. Nous donnons ainsi un treizième mois à plus d'un million de personnes modestes. Je comprends que cela vous dérange ! Pour nos citoyens les plus en difficulté, nous avons relancé les contrats initiative emploi, dont le nombre sera augmenté de moitié en 2004.

La politique de l'emploi est un choix de société. Nous plaçons le travail, le droit au travail et l'accès au travail au c_ur de notre action.

M. Maxime Gremetz - Alors, il faut donner du travail aux chômeurs !

Mme Nadine Morano - Le travail est une valeur fondatrice de notre pacte social. Mais il a été dévalorisé par l'application dogmatique des 35 heures et sacrifié à la vision électoraliste à court terme du précédent gouvernement, qui a gaspillé les fruits de la croissance (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Dans un pays où l'ambition personnelle et professionnelle étaient découragées, nous entendons les demandes récurrentes des Français qui préfèrent le travail à l'assistance.

Conformément aux engagements du Président de la République, vous nous présentez, Monsieur le ministre, une réforme d'ampleur. Ce projet aidera les personnes en difficulté, grâce à un accompagnement personnalisé, à faire le difficile chemin du retour à l'emploi.

M. Patrick Roy - Baratin !

Mme Nadine Morano - Permettez-moi de saluer l'excellent travail de Christine Boutin, qui a su nourrir le débat, preuve, s'il en était besoin, de la grande diversité des élus de l'UMP (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Je veux aussi saluer, Monsieur le ministre, votre esprit d'ouverture qui permettra à la représentation nationale d'enrichir ce texte.

Chacun reconnaît que le RMI ne remplit pas sa mission d'accompagnement vers l'emploi. Ce qui était conçu comme une prestation temporaire est devenu, pour plus du tiers des allocataires, un revenu permanent d'existence.

Votre projet vise à favoriser la réinsertion plutôt que le maintien dans l'exclusion.

Selon un récent sondage, 67 % des personnes interrogées se prononcent pour un soutien dégressif aux chômeurs en fin de droits. Cela ne signifie nullement que notre pacte social doive être remis en question. Nos concitoyens ont tout simplement compris qu'il était inacceptable de laisser indéfiniment une personne en marge de la société. La solidarité nationale est vaine lorsqu'elle confine à l'ostracisme.

Sous de fallacieux prétextes, certains refusent tout changement et rejettent le processus décentralisateur qu'ils ont eux-mêmes engagé il y a vingt ans. Pourtant, l'intérêt réel des allocataires du RMI n'est certainement pas le maintien du statu quo. Nous ne pouvons pas succomber à la tentation de l'immobilisme.

Lorsque près de deux millions de nos concitoyens sont dans la difficulté, notre devoir est de tout faire pour améliorer leur quotidien et leur redonner confiance en l'avenir.

M. Patrick Roy - Plans sociaux sur plans sociaux !

Mme Nadine Morano - Le RMI a parfois été décrit comme une trappe à inactivité. Ce projet offre des solutions pour que notre société ne laisse plus personne sur le bord de la route.

La décentralisation du RMI donnera plus de cohérence et de proximité au dispositif d'insertion. Dans le même temps, la création du RMA répondra aux attentes de nombreux bénéficiaires du RMI.

Depuis 1988, les adaptations successives du dispositif n'ont jamais donné au RMI une efficacité réelle en termes d'insertion. Alors qu'en 1996, 21 % des contrats aidés étaient signés par des allocataires du RMI, ce ratio est tombé à 13 % en 2001. Cette dégradation est la preuve irréfragable des insuffisances des politiques publiques en ce domaine.

Ce texte se fonde sur un diagnostic largement partagé, ayez l'honnêteté de le reconnaître. Il est le fruit d'une réelle concertation qui a duré plus de six mois. Toutes les critiques ont été prises en considération.

Notre deuxième ambition s'inscrit dans la continuité de la révision constitutionnelle adoptée en mars dernier : rendre le dispositif plus efficace par la proximité.

Le maquis du copilotage, dans lequel nombre d'allocataires se sont perdus, est en grande partie responsable de l'inefficacité du volet insertion, comme le souligne un rapport de l'ODAS de 2003. Le projet, dans un esprit de clarification, confie l'ensemble des compétences, s'agissant des décisions individuelles, au président du conseil général.

Là où certains s'inquiètent d'une « concentration » des pouvoirs, le groupe UMP voit une marque de confiance, une volonté de responsabilisation et la juste reconnaissance du travail de proximité accompli par les exécutifs départementaux.

Plusieurs députés UMP - C'est vrai !

M. Patrick Roy - Et les impôts supplémentaires ?

Mme Nadine Morano - L'hypocrisie consiste à défendre un système prétendument intangible (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) quand tous savent que le RMI est un échec partiel. L'efficacité exige une redéfinition claire des rôles et depuis le président du conseil général jusqu'à l'allocataire du RMI, chacun aura le sien, au service de cette priorité qu'est l'insertion durable.

Les critiques portées par la Cour des comptes ont été entendues puisque les CLI se consacreront avant tout à l'animation de l'offre locale d'insertion, la charge d'enregistrer les contrats individuels étant transférée aux conseils généraux.

Un amendement de la rapporteure tendait, d'autre part, à soumettre la décision de suspendre le versement de l'allocation à un avis conforme de la CLI. La majorité du groupe UMP a jugé cette disposition contraire à l'esprit du texte en ce qu'elle va contre la décentralisation puisqu'elle confie un pouvoir de décision à un organisme nommé. Mais nous allons en débattre...

M. Alain Vidalies - Oui, parce que ce n'est pas clair !

Mme Nadine Morano - La création du référent permettra à l'allocataire du RMI d'avoir un interlocuteur unique pour l'assister efficacement et de façon personnalisée dans son retour à la vie active.

Quand deux tiers des allocataires restent plus d'une année dans le dispositif, il est clair que les contrats aidés traditionnels sont inadaptés aux besoins spécifiques de personnes prisonnières d'une spirale de l'exclusion.

Notre ambition est aussi d'accorder aux plus fragilisés le droit à la dignité par le travail. Le RMA est le chaînon qui manquait entre une complète assistance et le salariat. C'est une innovation sans précédent pour les bénéficiaires du RMI de longue durée. Il s'agit d'un contrat accompagné, adapté et incitatif.

Sa création procède d'un constat simple : les publics en difficulté ne sont pas une population homogène.

L'erreur des précédentes politiques aura été de concevoir des contrats aidés identiques pour tous les allocataires de minima sociaux. Le RMA rompt avec cette tradition. En effet, certains allocataires sont suffisamment proches de l'emploi pour en retrouver un, seuls ou avec l'assistance de l'ANPE - un tiers sort du dispositif moins d'un an après y être entré. Pour d'autres, le retour à un emploi ordinaire s'avère illusoire en raison de leur situation personnelle ou d'un handicap, par exemple. Mais il existe une catégorie intermédiaire pour laquelle rien n'était prévu jusqu'à présent et à laquelle le RMA s'adresse : ceux qui, éloignés de l'emploi, ont besoin d'une aide progressive pour se resocialiser.

Les anciens bénéficiaires de l'allocation spécifique de solidarité pourront également signer un RMA sans condition de durée et le groupe UMP se réjouit de l'engagement pris par le ministre de réexaminer la base de la compensation financière, à la fin de 2004, pour tenir compte d'une éventuelle augmentation du nombre d'allocataires liée à la réforme de l'ASS.

M. Didier Migaud - Réexaminer ? Cela ne veut pas dire grand-chose !

Mme Nadine Morano - Rien n'est prévu pour obliger l'allocataire du RMI à accepter un CIRMA. La réinsertion suppose en effet une volonté et une motivation sans faille.

M. Maxime Gremetz - Mais le président du conseil général pourra décider de lui supprimer le RMI !

Mme Nadine Morano - Le projet comporte de nombreuses incitations à la reprise d'activité. En premier lieu, le signataire d'un CIRMA bénéficiera d'un véritable contrat de travail à temps partiel. Ce point est conforme à l'avis que donnait Jean-Baptiste de Foucauld, président d'une association d'insertion, lors de l'examen en 1988 du projet créant le RMI : « Ce n'est pas la même chose que d'accomplir vingt heures de travail par semaine en contrepartie d'une allocation et sous un statut mal défini, et d'être employé vingt heures, en bénéficiant d'un contrat qui confère des droits et des devoirs reconnus ». L'obtention d'un contrat de travail est une étape essentielle dans la resocialisation.

Ce contrat prévoira en second lieu un accompagnement renforcé, une formation professionnelle et un suivi individualisé.

Enfin, les droits connexes au RMI, tels que la CMU, les aides au transport seront maintenus.

L'attrait du CIRMA dépend notamment du gain procuré par la reprise d'activité. L'élargissement de l'assiette des cotisations sociales réduirait fortement la rémunération nette du bénéficiaire et il est préférable de considérer que la rémunération n'est pas un salaire, mais bien un revenu.

Le RMA est un contrat aidé original (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) en ce qu'il sera appliqué de manière identique dans le secteur privé et dans le secteur public. Il est trop facile de multiplier les emplois aidés en les mettant à la charge des collectivités, mais c'est le secteur marchand qui crée les emplois durables ! Et vous avez donc tort de stigmatiser les employeurs, Monsieur Gremetz ! Et vous ne pouvez parler d'effet d'aubaine à propos d'un engagement réciproque entre l'employeur et le salarié, engageant le conseil général. En contrepartie de ses obligations de tutorat et de suivi, l'employeur bénéficie d'un allégement de charges sous forme d'une aide départementale.

C'est pour rendre plus vite leur dignité aux plus fragilisés que nous avons choisi d'agir dès le 1er janvier prochain. Il nous serait en effet intolérable de les laisser sur le bord de la route ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Le groupe UMP soutient un projet qui pose les principes d'une véritable politique de l'emploi : du réalisme, de la volonté, des outils, mais aussi du c_ur !

L'efficacité d'une politique sociale ne se mesure pas au nombre de personnes aidées, mais au nombre de celles qui n'ont plus besoin d'être assistées. Tel est l'enjeu aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Merci d'avoir respecté votre temps de parole à la seconde près ! (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Quinze ans après sa création par le gouvernement de Michel Rocard, vous nous proposez de confier la gestion du RMI aux départements. Je fais partie de celles et ceux qui croient à l'idée de décentralisation, mais celle-ci me semble mise en _uvre de façon peu satisfaisante, de sorte que votre projet appelle plusieurs remarques.

En premier lieu, dans quel cadre peut-on confier aux collectivités locales la lutte contre l'exclusion et la politique d'insertion, sans risque de remettre en cause la solidarité nationale ? On ne peut éluder la question après que le Sénat a supprimé l'obligation faite aux conseils généraux de consacrer 17 % des crédits aux actions d'insertion. En effet, si certains départements ont fait preuve de dynamisme, d'imagination, de créativité, d'autres n'ont pas consommé les crédits inscrits à leur budget.

Pourtant, votre projet de décentralisation n'encourage pas les départements à mener des politiques volontaristes. En alignant la loi sur le comportement des moins dynamiques, il marque un retour en arrière.

Si les allocataires du RMI ne doivent pas être les victimes de cette évolution, les collectivités locales n'ont pas davantage à faire les frais de la décentralisation. Or elles se montrent légèrement inquiètes, puisque les transferts de ressources prévus correspondent à un nombre de bénéficiaires qui devrait malheureusement s'accroître rapidement dans les mois à venir, en raison des restrictions apportées au versement de l'ASS. On parle certes de réexamen, mais que prendra-t-on en compte exactement ? Dans mon département, ce sont 10 000 à 15 000 personnes supplémentaires qui pourraient percevoir le RMI en 2004, pour un surcoût de l'ordre de 50 à 70 millions d'euros à la charge de Paris.

Les conditions sont donc réunies pour une augmentation importante des dépenses des départements, sans que les dotations de l'Etat évoluent parallèlement. Cela aurait au moins justifié un report du dispositif, au lieu de cette précipitation motivée par des raisons strictement budgétaires.

M. le Ministre - Comptez-vous donc pour rien le souci de combattre sans tarder la précarité ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Il est évident que l'emploi est la condition d'une insertion durable des individus. Mais, en créant le RMA, le Gouvernement cède à un raccourci trompeur et dangereux : il privilégie une approche démagogique, martelant pour l'opinion l'idée que l'on serait au RMI par « choix » et qu'il suffirait de « remettre au travail » les bénéficiaires de ce qui n'est - pourtant - qu'un revenu de survie.

Pour avoir siégé pendant six ans dans une commission locale d'insertion, je sais que les parcours des allocataires sont très divers. Beaucoup ont eu une vraie carrière professionnelle avant de subir une longue période de chômage. Et, dans la plupart des cas, leurs difficultés sont loin d'être toutes liées à la seule question de l'emploi. Or vous réduisez l'insertion à l'exercice d'une activité, oubliant qu'elle est d'abord un processus, souvent long et difficile. Pour renouer avec l'emploi, recouvrer des droits essentiels est souvent un préalable et cela exigerait de ne pas négliger, comme vous le faites, le logement et la santé.

Ce processus d'insertion se heurtera à un obstacle supplémentaire lorsque la personne titulaire d'un contrat RMA échouera, pour une raison ou pour une autre, dans sa tentative de revenir à l'activité. Son insertion s'en trouvera compromise.

Le retour vers le travail salarié est pour beaucoup de personnes dans cette situation un aboutissement. Créer un RMA pour le réserver aux allocataires du RMI les plus anciens et donc souvent les plus fragiles socialement, c'est mettre la charrue avant les b_ufs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Francis Vercamer - Ce dont il s'agit, c'est d'exprimer notre solidarité, à toute une frange de population laissée pour compte, en tentant de lui redonner un avenir. Toutefois, ce projet suscite des inquiétudes. En premier lieu, décentraliser ne doit pas être l'occasion, pour l'Etat, de se défausser sur les départements pour réaliser des économies.

Décentraliser, c'est faire le choix de la « proximité ajoutée » et efficace, mais les transferts de charges doivent être intégralement compensés selon une évaluation précise et annuelle tenant compte de la nouvelle charge induite par l'inexorable flux des bénéficiaires de l'ASS.

Il faut également ne pas augmenter la fracture départementale entre les collectivités riches et pauvres. A cette fin, nous devons soit rétablir l'obligation faite aux départements d'inscrire au budget au minimum 17 % des sommes consacrées l'année précédente au financement du RMI et des actions d'insertion, obligation que le Sénat a supprimée, soit définir un système de péréquation, permettant à la solidarité nationale de s'exercer harmonieusement sur tout le territoire. Ainsi évitera-t-on le risque d'un traitement inégalitaire et arbitraire des allocataires pour des raisons purement géographiques.

Une autre inquiétude tient au dispositif d'insertion prévu. Si le RMI a bien servi de filet de protection, la moitié des allocataires se sont pris les pieds dans ses mailles et n'ont pas bénéficié de contrats d'insertion. Une rumeur dévastatrice prétend que ceux qui n'ont pas de contrat d'insertion ne veulent pas travailler. Ce discours insupportable ne tient aucun compte des disparités géographiques et humaines. On le tolère encore moins quand on vient, comme moi, d'une agglomération qui a perdu plus de 1 500 emplois depuis janvier.

M. Maxime Gremetz - Exactement !

M. Francis Vercamer - Quand on vit dans la précarité depuis des années, quand on est sous-qualifié, comment décrocher un emploi, même précaire, alors que les chômeurs « récents » n'en trouvent pas ? Cela tient de l'exploit !

Osons dire clairement que l'insertion a connu un échec, à la fois parce que les moyens accordés pour l'accompagnement ont été dérisoires, et parce que le marché de l'emploi a périclité.

La conclusion s'impose : il faut dégager des moyens humains et financiers à la mesure de l'ambition affichée, faute de quoi nous courons, une fois encore, à l'échec. Seule une évaluation régulière et personnalisée de l'allocataire, par un référent unique, peut permettre une orientation adaptée et un cheminement vers l'emploi durable.

Notre troisième inquiétude porte sur la création du RMA.

Sur le fond, nous regrettons que le projet n'ait pas créé un dispositif unique. On continue d'empiler des dispositifs qui vont forcément se télescoper, et l'on alourdit le droit du travail, déjà complexe.

Chaque dispositif présentant des avantages différents, on peut craindre qu'employeurs potentiels ou allocataires « fassent leur marché » et choisissent le plus « rentable ». Un système unique, un guichet social unique, une enveloppe financière unique apporteraient la souplesse nécessaire à des parcours d'insertion personnalisés, et redonnerait une véritable chance à chaque allocataire. Le groupe UDF a déposé un amendement en ce sens.

Par ailleurs, le RMA ne doit pas être un nouveau moyen de dégonfler artificiellement les chiffres du chômage : ce doit être un véritable tremplin vers l'emploi durable.

Ce ne sont pas des chiffres que l'on vise, mais bien l'efficacité. Ce ne sont pas des chiffres que l'on traite, mais des hommes et des femmes. Pourquoi, alors ne pas rendre l'accès du RMA immédiat, dès lors que les conditions sont remplies ? Pourquoi faire attendre encore dans les couloirs de l'exclusion ? Je suis sûr, Monsieur le ministre, que ce n'est pas pour gagner du temps ! Pourtant, tout le monde sait que plus le temps passe, plus la réinsertion est longue, ardue et coûteuse...

Ce contrat, parce qu'il est attrayant financièrement, incite à la reprise d'activité. Mais il ne faut pas confondre politique d'insertion et politique de l'emploi. Une politique de l'emploi incite l'entreprise à embaucher notamment en allégeant ses charges, pour favoriser la création d'un maximum d'emplois. Une politique d'insertion amène des personnes en situation de précarité à accéder, notamment grâce à des formations qualifiantes et à un accompagnement social, aux emplois créés et à les occuper durablement.

Or, à la lecture du texte, on peut craindre que le RMA soit utilisé pour recruter des personnes dont l'employabilité ne justifie pas le recours à ce dispositif. Contre ces abus, le texte ne contient pas de véritable garde-fou.

M. Maxime Gremetz - Très bien !

M. Francis Vercamer - De même, certains allocataires risquent de continuer leur longue marche, de contrats précaires en contrats précaires, le texte permettant à certaines entreprises d'officialiser une valse permanente de personnels à bas prix.

M. Maxime Gremetz - Et ce n'est pas moi qui ai écrit son discours ! (Sourires)

M. Francis Vercamer - Pour l'UDF, le RMA doit être un véritable contrat de travail, avec un véritable salaire et une indispensable protection sociale. Faute de quoi, il sera considéré comme un nouveau contrat au rabais, et ne réduira nullement la fracture sociale.

Ne tombons pas dans le piège du dispositif « emplois-jeunes » qui a laissé pour compte, cinq ans plus tard, des milliers de jeunes. Ne reproduisons pas les erreurs que nous avons reprochées naguère à l'opposition !

Le groupe UDF propose de déjouer l'effet Kleenex en prévoyant une pérennisation de l'emploi enfin de contrat RMA, compensée par une incitation fiscale.

Bien sûr, cette contrainte peut être considérée comme un frein pour un entrepreneur... Mais nous ne parlons que de 50 000 postes marchands pour un public dont les effectifs sont malheureusement bien plus nombreux. A minima, faisons en sorte, Monsieur le ministre, que ces postes garantissent des contrats RMA de qualité.

Laisser le texte en l'état, c'est aussi prendre le risque grave de voir des bénéficiaires du RMA travailler dix-huit mois d'arrache-pied pour se retrouver sur le pavé. Ils seraient alors « cassés à vie », comme le dit ma collègue, Anne-Marie Comparini.

Réinsérer une personne que les aléas de la vie ont conduit de l'ASSEDIC à l'ASS, puis du RMI au RMA, ce n'est pas seulement lui proposer un emploi précaire. C'est lui adresser un signe d'espoir et de confiance, cette confiance retrouvée qui lui permettra de se construire un avenir. Or, cette confiance en l'avenir, elle ne l'aura qu'avec un contrat pérenne.

Le groupe UDF a toujours considéré que rapprocher le pouvoir des citoyens était le meilleur gage de l'efficacité, à condition de leur garantir l'égalité. Cela est particulièrement vrai quand il s'agit de la solidarité nationale.

Le groupe UDF a toujours considéré que l'insertion sociale devait être l'une des priorités d'une République fraternelle, comme beaucoup d'entre vous dans cet hémicycle. Je ne doute pas qu'elle soit aussi la vôtre, particulièrement dans la conjoncture économique que notre pays subit.

Nous comptons donc sur vous, et nous espérons que nos amendements seront adoptés (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Martine Billard - Quinze années de RMI ont permis des améliorations du dispositif fondées sur l'expérience et les remarques des associations d'insertion, mais il reste beaucoup à faire. Or, vous n'avez pas entendu ces associations lorsque vous avez élaboré ce projet.

M. le Ministre - Ce n'est pas exact.

Mme Martine Billard - CES, CIE, TRACE, chantiers d'insertion... Au fil des ans, les dispositifs se sont empilés, avec les habituels effets de seuil. Mais, au lieu de créer un contrat unique d'insertion, comme le recommandent les associations, vous avez jugé bon de créer deux nouveaux dispositifs, CIVIS et RMA. Est-il donc si déshonorant d'améliorer l'existant ? Et comment pouvez-vous parler de « tradition de l'assistanat », alors que le montant du RMI est de 411 € ? Il est vrai que ceux qui n'ont que cette somme pour tout revenu finissent par perdre toute énergie, à force de quémander, de toujours répéter la même histoire, de se demander comment ils vont payer l'eau et l'électricité, comment ils vont faire pour ne pas se trouver à la rue, pour que la DASS ne leur enlève pas leurs enfants... Voilà quelle est leur vie quotidienne ! Et malgré cela, il y a toujours l'espoir de s'en sortir, mais aussi la déception de formations refusées. Alors, oui, ils perdent courage, surtout lorsque le chômage augmente et qu'à la cohorte des RMistes va se joindre celle des « recalculés de l'ASSEDIC », des intermittents du spectacle, des chômeurs sortant de l'ASS... Oui, ils veulent un emploi, mais faut-il encore qu'il y ait des emplois !

Vous vous prononcez en faveur d'un droit au travail, mais vous en avez une vision singulièrement restrictive quand vous acceptez les licenciements boursiers !

Vous décentralisez le RMI sans accéder aux demandes des associations, qu'il s'agisse du sort des jeunes à la rue, ou des mères isolées. Cette décentralisation à marche forcée limitera le rôle des associations et, par ailleurs, les départements devront faire l'avance des fonds nécessaires jusqu'en 2005.

Le RMA offrira une main-d'_uvre précaire et bon marché aux entreprises ; c'est, en fait, un mauvais CES que vous leur offrez, assorti d'une protection sociale dérogatoire au droit commun. De ce fait, vous maintenez dans l'assistance des gens qui, au sortir du RMA, n'auront acquis aucun droit.

Le plus sage aurait été de retirer ce texte, comme les associations vous l'ont demandé, qui n'ont rien d'irresponsables - sauf à penser qu'ATD Quart monde le soit. Vous l'avez refusé. Nous avons donc déposé des amendements pour éviter le pire. Malheureusement, certains - y compris ceux de notre rapporteure - ont été écartés au titre de l'article 40, et vous semblez ne pas vouloir les reprendre, ce qui est inquiétant.

Il n'y a aucun doute : le Gouvernement est beaucoup plus prompt à concéder des exonérations de charges patronales qu'à envisager des dispositions favorables aux plus pauvres (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Christian Estrosi - La loi créant le RMI en 1988 était-elle une mauvaise loi ? Non. Est-elle allée au bout de son ambition ? Hélas non et nous nous accordons tous à dire que le volet insertion n'a pas atteint son but. On pourrait presque parler de RNI, revenu de « non-insertion ».

Les lois Defferre de décentralisation étaient-elles bonnes ? J'aurais été député à cette époque, je les aurais votées. Grâce à elles, la France a fait beaucoup de progrès. Etaient-elles pour autant parfaites ? Non, car elles ont atteint leurs limites, notamment dans le domaine des transferts de charges, ce qui a conduit à une hausse de la fiscalité locale parfois insupportable dans certaines régions.

Ce soir, nous faisons un grand pas en avant, avec ce projet qui pose la première pierre de l'acte II de la décentralisation (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Nous allons permettre le retour à l'activité des plus démunis et, grâce à la loi constitutionnelle votée au printemps dernier, transférer aux conseils généraux les moyens financiers, matériels et humains d'assumer ces nouvelles charges.

Je ne comprends pas que ceux qui furent à l'origine des lois de décentralisation ou de la loi sur le RMI stigmatisent ce nouveau pas en avant.

Voici deux ans, vous présentiez la réforme de l'APA, que je ne conteste pas sur le fond, mais sans prévoir de compensation suffisante pour les collectivités locales.

Nous avons aujourd'hui la même démarche intellectuelle mais, en plus, nous assumons les transferts financiers.

M. Augustin Bonrepaux - Mais c'est faux ! Lisez donc le rapport !

M. Christian Estrosi - Vous n'avez cessé d'évoquer les risques financiers pour les conseils généraux ! Mais lesquels ! Le Gouvernement apporte la garantie...

M. Augustin Bonrepaux - Laquelle ?

M. Christian Estrosi - ...que, pour le seul RMI, sur la base du compte administratif 2003, seront transférés les moyens financiers, matériels et humains, sans parler de clauses de revoyure prévues courant 2004. Il n'y a plus aucun risque financier, et vous devriez vous engager à nos côtés.

Il est paradoxal de constater que ceux qui s'opposent le plus énergiquement à ce dispositif dirigent justement des départements communistes, comme la Seine-Saint-Denis, où les taux de signatures de contrats d'insertion sont les plus faibles.

Président du conseil général, je signe 75 % de contrats d'insertion dans mon département, alors que la moyenne nationale est de 48 %. Je remercie à cet égard M. Le Garrec de l'avoir relevé.

Pourquoi retarder ce dispositif d'un an, alors que, dès le 1er janvier, nous pourrions remédier à tant de difficultés sociales ?

Grâce aux lois de décentralisation de 1982, et sans transfert de moyens conséquents, les dépenses des départements en faveur de l'action sociale ont augmenté.

M. Maxime Gremetz - Les impôts locaux aussi !

M. Christian Estrosi - Pourquoi cette frilosité à propos des 17 % ? On accorde notre confiance ou non !

Mme Nadine Morano - Exactement !

M. Christian Estrosi - Ne pénalisez pas ceux qui, parce qu'ils seront plus performants, verront leurs crédits gelés à cause d'un seuil de 17 %. C'est vrai, je peux aborder sans complexe cette question, car j'ai moi-même inscrit dans mon budget 20 % de crédits en faveur de l'insertion.

Je suis favorable à cette réforme...

M. Augustin Bonrepaux - Mais pas la majorité !

M. Christian Estrosi - ...car, grâce à l'anticipation sur mon budget 2004 et à l'organisation de mes services, je sais que ces 20 % en faveur de l'insertion seront redéployés vers le RMA, pour promouvoir le retour à l'activité.

La Cour des comptes, dans son rapport 2001, s'inquiétait elle-même de la difficulté des départements à consommer les crédits en matière d'insertion, ce qui les obligeait à les reporter d'une année sur l'autre.

Madame la rapporteure, vous avez souhaité la suspension du RMI par le président du conseil général à un avis conforme, et non plus motivé, de la CLI. Le président du conseil général serait-il un tyran qui s'amuserait à suspendre, au gré de ses humeurs cruelles, les allocations des RMistes ? Revenons à la réalité !

Mme Christine Boutin rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Christian Estrosi - Rendons aux présidents de conseils généraux leur rôle dans le pilotage du RMI, et laissons aux CLI, comme l'a dit Mme Morano, le soin d'évaluer les besoins locaux et de formuler des propositions pour améliorer l'offre d'insertion.

Ce projet est tourné vers l'insertion professionnelle, et je me réjouis à cet égard que, dans mon département, plus de 40 % des crédits d'insertion y soient consacrés.

Est-ce à dire pour autant que l'insertion sociale est négligée ? Non ! Les sénateurs, mais aussi Mme la rapporteure ont apporté des précisions importantes, afin que les contrats d'insertion comportent des prestations d'accompagnement social. Dans mon département, les personnes les plus en difficulté sont suivies de près par des mesures d'accompagnement social renforcées, et je suis fier du combat que je mène dans la lutte contre l'illettrisme.

Ces actions existent du reste dans nombre d'autres départements. Pourquoi alors affirmer que nous nous désintéressons du volet social ? C'est vrai, le RMA sera un formidable outil pour les départements. Jusqu'à présent, les conseils généraux travaillaient surtout dans le cadre de contrats aidés type CES ou CEC, c'est-à-dire dans le secteur non marchand.

Le RMA permettra à présent de mobiliser le secteur marchand. Le but n'est pas de permettre aux méchants patrons d'employer presque gratuitement des miséreux, mais de permettre à des bannis, à des exclus de sortir définitivement du système RMI grâce à l'insertion par le travail.

M. Maxime Gremetz - C'est le monde à l'envers.

M. Christian Estrosi - Le RMA sera une première étape avant l'emploi durable pour les plus éloignés du marché du travail et il est à cet égard essentiel d'en réserver le bénéfice à ceux qui sont allocataires du RMI depuis un certain temps.

Les entreprises ont un rôle majeur à jouer en la matière. C'est vrai, Monsieur le ministre, il faut encourager le secteur marchand, seul à même de créer des emplois véritablement durables.

Pourquoi tant de méfiance à l'égard des entreprises ?

M. Maxime Gremetz - Et les plans de licenciement économique ?

M. Christian Estrosi - J'ai conclu, dans mon département, de formidables partenariats avec le monde de l'entreprise, dans les domaines les plus divers. Des entreprises recrutent avec enthousiasme des handicapés, des sapeurs-pompiers volontaires, et nous devons leur rendre justice.

M. Maxime Gremetz - Dans quel monde vit-il ?

M. Christian Estrosi - Pourquoi votre texte, du reste, ne prévoirait-il une exonération de charges totale qu'en faveur des administrations ou des secteurs non marchands ?

J'ai d'ailleurs déposé un amendement tendant à exonérer totalement de charges les entreprises du secteur marchand, dans les mêmes conditions que celles du secteur non marchand (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Si le Gouvernement transfère des compétences aux départements, c'est parce qu'ils pensent qu'elles seront exercées plus efficacement à cet échelon plus proche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Maxime Gremetz - Vous êtes vraiment un altermondialiste. Vous vivez dans un autre monde ! (Sourires)

M. Alain Vidalies - Avec ce texte, le Gouvernement nous demande, une fois de plus, de porter un mauvais coup aux relations du travail dans notre pays. Les objectifs poursuivis par les éléments les plus libéraux de la majorité seront, hélas, atteints, si le Parlement ne modifie pas profondément ce projet.

Sous prétexte de lutter contre l'exclusion d'une part croissante de la population - que la suppression de l'allocation spécifique de solidarité à des centaines de milliers de chômeurs va encore accroître -, vous créez avec le RMA un monstre juridique, dans les rets duquel les plus fragiles de nos concitoyens se trouveront soumis à un régime radicalement différent de celui des autres salariés. Curieuse conception qui vous conduit à substituer aux exclus du travail des exclus dans le travail ! Le contrat d'insertion-RMA ne fera que stigmatiser davantage ceux qui souffrent déjà de la précarité.

Vous auriez pu améliorer les dispositifs existants, vous avez préféré les mettre à mal. Vous auriez pu conduire une politique économique visant à réduire le chômage, vous avez préféré privilégier les plus aisés. Vous auriez pu chercher à garantir une sécurité aux gens que la crise - et votre politique - ont réduits à vivre de l'assistance, vous ne leur proposez, sans doute comme vous l'ont médiocrement suggéré vos spécialistes en démagogie de la France d'en bas, que de choisir - si cela peut s'appeler un choix -, entre la misère totale et un travail au rabais, quasiment gratuit pour l'employeur.

Votre texte n'exigeant aucun suivi des RMistes, puisque cette faculté est laissée à l'appréciation discrétionnaire des conseils généraux, vous fournissez, aux frais du contribuable, une main-d'_uvre gratuite à des secteurs déjà friands des contrats précaires autorisés par notre droit du travail. Le RMA est-il une aubaine pour les RMistes ou pour les employeurs ? La réponse est, hélas, sans ambiguïté. Les structures du secteur non marchand seront totalement exonérées de charges ; les entreprises du secteur marchand se verront rembourser par les départements trois quarts du salaire net, sans parler de la possibilité donnée aux départements, qui en auraient les moyens, de leur rembourser la totalité du salaire. Il faudra, à cet égard, nous préciser la portée de la nouvelle rédaction de l'article 322-4-15-9 qui semble permettre une telle prise en charge totale.

Enfermé dans vos certitudes, recherchant, dans la précipitation, une solution-miracle, vous n'avez pas daigné écouter les acteurs de terrain qui vous avaient pourtant mis en garde et expliqué qu'il n'était rien de pire pour une personne déjà éprouvée par le chômage et la pauvreté que de se retrouver dans une situation d'inégalité avec ses collègues de travail. J'espère qu'une partie de votre majorité parviendra à vous convaincre de corriger ce qui, dans ce texte, aggrave ces inégalités. Il est tout de même sidérant que les membres de la commission des affaires sociales, plus avisés que leurs collègues sénateurs, aient dû adopter plusieurs amendements pour rétablir des principes élémentaires de notre droit du travail !

Votre texte est inacceptable à plusieurs titres. Tout d'abord, il stigmatise les plus pauvres. Ensuite, il amorce en catimini le désengagement de l'Etat en matière d'emploi et d'insertion, comme en témoigne d'ailleurs la baisse drastique des crédits de votre ministère. Enfin, il aggrave les inégalités au travail en fournissant une main-d'_uvre quasi gratuite à des employeurs parfois peu scrupuleux.

Si vous souhaitez vraiment lutter contre l'exclusion, offrez aux exclus le minimum de sécurité que la reprise d'un travail exige. Au lieu de les désigner du doigt, permettez-leur de franchir les obstacles qui les empêchent d'accéder à une vie professionnelle normale. Vous aimez, Monsieur le ministre, évoquer le conflit latent qui existerait entre les salariés pauvres et les pauvres privés de salaire. Ce n'est pas une politique digne de la France ! Vous aimez à prôner la concertation et la négociation, pour vous en exonérer aussitôt. L'insertion professionnelle aurait pu être un objectif largement partagé. Sa réussite supposait une large concertation préalable avec les partenaires sociaux afin de définir les conditions d'accueil des allocataires du RMI dans les entreprises. Or, le Gouvernement n'a pris aucune initiative en ce sens. En ce domaine comme dans tant d'autres, quelle fracture entre ses discours et ses actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Maxime Gremetz - Je souhaite faire un rappel au Règlement ou, plus exactement, demander une suspension de séance afin d'exprimer symboliquement notre solidarité avec la rapporteure, Mme Boutin, qui déclare en substance espérer faire comprendre qu'il existe à l'UMP des personnes qui, même si elles sont minoritaires, ont des préoccupations sociales, et se fait traiter d'irresponsable.

M. le Président - Dans ces conditions, je lève la séance.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce matin, jeudi 20 novembre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 25.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 20 NOVEMBRE 2003

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat (n° 884), portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Mme Christine BOUTIN, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Rapport n° 1216).

Mme Marie-Anne MONTCHAMP, rapporteure pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan. (Avis n° 1211).

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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