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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 32ème jour de séance, 80ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 27 NOVEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

        PÉNALISATION DES PROPOS
        À CARACTÈRE DISCRIMINATOIRE 2

        EXPLICATIONS DE VOTE 15

La séance est ouverte à neuf heures trente.

PÉNALISATION DES PROPOS À CARACTÈRE DISCRIMINATOIRE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Patrick Bloche, Jean-Marc Ayrault et plusieurs de leurs collègues portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire.

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des lois - La proposition de loi du groupe socialiste vise à franchir une nouvelle étape sur le long chemin de l'égalité des droits.

Parce que nous sommes tous des républicains, nous nourrissons le même attachement pour le principe constitutionnel d'égalité proclamé dès l'article premier de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Or, ce principe fondateur du pacte républicain est bafoué par l'existence de pratiques discriminatoires. Stigmatiser les personnes pour ce qu'elles sont constitue pourtant une atteinte intolérable à leur dignité et à leur citoyenneté.

Le risque pour notre « vivre ensemble » est que les individus ou les groupes sociaux qui en sont victimes se replient sur eux-mêmes, voire s'inscrivent dans une démarche communautariste. A cet égard, la lutte contre les discriminations participe de notre mobilisation collective en faveur de la laïcité, qui a retrouvé toute son actualité et renforce la cohésion nationale.

La France a renforcé ces dernières années une législation sur la non-discrimination au premier rang de laquelle se trouvent les dispositions relatives à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Demeurent cependant des discriminations liées au sexe, à l'état de santé, au handicap ou à l'orientation sexuelle. La présente proposition de loi a donc pour objet de réprimer les propos d'exclusion en harmonisant et en complétant notre législation.

Si les différentes formes de discrimination sont sanctionnées par le code pénal et le code du travail, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime les seuls propos discriminatoires à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. Elle laisse ainsi subsister une discrimination là où on voudrait la combattre.

Il faut donc combler ce vide juridique en pénalisant l'ensemble des propos et écrits à caractère discriminatoire, sans hiérarchiser les discriminations ni aggraver les peines existantes - un an d'emprisonnement et/ou 45 000 € d'amende.

Il ne s'agit pas d'imposer une sorte de « politiquement correct » ou un « ordre moral à l'envers ». Nul esprit de censure ou de restriction de la libre critique ne nous anime. La promotion de l'égalité ne saurait se faire au détriment de la liberté. Seules sont donc visées l'injure, la diffamation, la provocation à la discrimination, à la haine ou la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes. C'est la force de notre démocratie de refuser la logique non restrictive du premier amendement de la constitution américaine. Notre référence demeure la grande loi de 1881, qui assure l'équilibre entre la liberté d'expression et la sanction de ses abus. Il ne s'agit pas de réprimer toute opinion discutable, mais de sanctionner les débordements expressément prévus par la loi.

Encouragée par une résolution de l'Union européenne, la France a construit en faveur de la non-discrimination un édifice juridique dont la consolidation se poursuit. Au c_ur de ce dispositif figure l'article 225-1 du code pénal, qui définit la discrimination et dont la rédaction a été régulièrement enrichie.

Des progrès récents ont été enregistrés en matière de discrimination fondées sur le sexe ou l'orientation sexuelle : inscription de la parité dans la Constitution en 1999, la loi du 8 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, loi du 15 juin 2000 autorisant les associations qui combattent les discriminations fondées sur le sexe ou les m_urs à exercer les droits reconnus à la partie civile.

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a ensuite modifié le code du travail sur un terrain particulièrement sensible. Enfin, la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure a inséré dans le code pénal, à la suite d'un amendement de Pierre Lellouche repris par le groupe socialiste, un article 132-77 constituant le mobile homophobe en circonstance aggravante de certaines infractions pénales. A cette occasion, le ministère de l'intérieur a reconnu la nécessité de lutter « contre toute forme d'homophobie », reprenant ainsi un engagement du Président de la République qui l'avait jugée, lors de la campagne présidentielle, « aussi condamnable que le sexisme ou le racisme ».

Le Garde des Sceaux lui-même a assuré, dans une réponse à une question écrite de notre collègue Emmanuel Hamelin, que « les modifications législatives à venir permettront de parfaire la protection des homosexuels aussi bien dans le domaine des discriminations qu'en cas d'agressions physiques ou verbales à caractère homophobe, et permettront aux associations de lutte contre l'homophobie de remplir au mieux leurs missions ». Le 2 octobre, au Sénat, il est allé jusqu'à exprimer le v_u de voir le Parlement « légiférer sur cette question dans les tout prochains mois ».

Dois-je enfin rappeler l'engagement pris par le Premier ministre le 18 juillet, de mettre à l'ordre du jour un projet de loi permettant de finaliser les propos à caractère discriminatoire ?

Le fait est que si la pénalisation des actes discriminatoires à raison du sexe, des m_urs, de l'orientation sexuelle, de l'état de santé ou du handicap a progressé, celle des propos ou écrits de nature discriminatoire reste à réaliser.

Et si, de manière exemplaire, le tribunal de Charleville-Mézières a condamné deux jeunes gens à deux mois de prison ferme pour violences à caractère homophobe commises en réunion, l'arrêt de la Cour de cassation du 30 janvier 2001 nous rappelle a contrario que la pénalisation des propos discriminatoires visés par la présente proposition se heurte à un vide juridique, ces propos ne pouvant être sanctionnés sur le fondement de l'article 24, huitième alinéa, de la loi de 1881.

Le législateur se trouve donc directement interpellé, et l'initiative du groupe socialiste vise à combler ce vide juridique. Elle s'inscrit dans une démarche globale de lutte contre les discriminations. Les propos discriminatoires à l'égard des handicapés ou des personnes malades requièrent la même vigilance que les propos sexistes ou homophobes ; ils participent de cette intolérance que la République doit combattre. Le soutien apporté à notre proposition par de nombreuses associations, est à cet égard plus qu'un encouragement : c'est un signe fort adressé à la représentation nationale.

Le texte que nous examinons vise à modifier six articles de la loi de 1881. Il complète le délit de provocation par les motifs de discrimination suivants : le sexe, l'état de santé, le handicap les m_urs et l'orientation sexuelle. Il inscrit ces motifs comme circonstance aggravante des délits de diffamation et d'injure, comme c'est déjà le cas lorsque ces délits sont commis à raison de l'origine, l'appartenance ou la non-appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Il modifie les règles de poursuite pour ces délits aggravés. Il permet enfin aux associations ayant pour objet de combattre ces discriminations de se porter partie civile.

La commission a relevé que la proposition ne reprend pas l'ensemble des motifs de discrimination énoncés à l'article 225-1 du code pénal. Il est en effet apparu nécessaire d'analyser la pertinence des motifs figurant dans cet article au regard de l'expression publique. Par ailleurs, comme l'a très justement souligné le Garde des Sceaux, au Sénat, le 2 octobre, des motifs tels que les activités syndicales ou les opinions politiques ne peuvent faire l'objet d'une pénalisation sans porter atteinte à la liberté d'expression.

De la même façon, invité à introduire un motif de discrimination supplémentaire fondé sur le genre, votre rapporteur exprime le souhait que ce motif spécifique aux personnes transsexuelles soit préalablement défini à l'article 225-1 du code pénal.

Les types de discrimination qu'il vous est proposé d'insérer dans la loi de 1881 sont justifiés par leur actualité et leur acuité. Par cette proposition, nous contribuons à d'autres luttes : le combat, auquel nous sommes tous sensibilisés, contre les violences faites aux femmes ; la campagne des Nations unies contre la stigmatisation et les discriminations liées au sida - les malades du sida n'étant naturellement pas les seuls à subir des discours de rejet du fait de leur état de santé ; en cette année européenne du handicap, la protection des personnes handicapées contre les discriminations. Enfin, le meurtre d'un jeune homme, à Reims, en septembre a rappelé jusqu'où pouvait conduire l'homophobie.

Il y a donc urgence. Pourquoi alors tarder à légiférer en un domaine où majorité et opposition, au gré des alternances, ont su se retrouver pour faire vivre la devise de la République ?

Il y a quelque paradoxe pour notre rapporteur à informer notre assemblée, en conclusion, que la commission a rejeté l'article unique de la proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice - La conception républicaine du respect de la personne justifie la répression de toutes les formes de discrimination. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité la création d'une autorité administrative indépendante chargée de combattre ce fléau. Et, dans le même esprit, le Premier ministre a dit que le Gouvernement est favorable à ce que les auteurs de propos ou d'écrits homophobes puissent être condamnés. La création dans la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, a la suite d'un amendement de M. Pierre Lellouche, d'un article du code pénal prévoyant de retenir une nouvelle circonstance aggravante lorsque certains crimes ou délits ont été commis à raison de l'orientation sexuelle de la victime montre la détermination du Gouvernement en cette matière. La circulaire d'application invite les magistrats du ministère public à retenir systématiquement cette circonstance aggravante, à faire preuve de la plus grande fermeté et à veiller à ce que les associations concernées puissent se porter partie civile. Cette évolution se poursuit dans le projet portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité en cours d'examen par votre assemblée, qui étend la circonstance aggravante d'homophobie - ainsi que celle de racisme - à d'autres infractions, comme les menaces ou les extorsions.

Il demeure qu'en matière de loi sur la presse, le droit actuel n'est pas pleinement satisfaisant. En effet, aucune infraction pénale n'est constituée si les propos ou les écrits discriminatoires mettent en cause un groupe de personnes indéterminées individuellement comme, par exemple, la communauté homosexuelle dans son ensemble. Il en est de même en matière de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence.

C'est pourquoi, à la demande expresse du Premier ministre, un groupe de travail interministériel a été constitué pour réfléchir aux modifications législatives souhaitables, s'agissant spécialement de la loi du 29 juillet 1881.

Fidèle à sa méthode de travail, le Gouvernement souhaite traiter les questions de société de façon approfondie et sur la base d'un diagnostic partagé, issu d'une large concertation avec les acteurs intéressés.

La question est en effet complexe, car il n'est évidemment pas envisageable de porter atteinte à la liberté d'expression, sous peine d'exposer notre pays à des condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme, comme cela s'est, hélas, déjà produit.

D'une manière générale, toute modification de la loi de 1881 sur la liberté de la presse doit se faire de façon réfléchie et équilibrée et le groupe socialiste n'avait d'ailleurs pas manqué, en première lecture du texte sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité de s'émouvoir du fait que le Gouvernement envisage de modifier le texte de la loi de 1881.

Les question juridiques qui doivent être réglées avant de modifier la loi de 1881 sont en effet nombreuses.

Doit-on mettre sur le même plan la répression des provocations à la discrimination, à la haine et à la violence, d'une part, et celles des injures et des diffamations, d'autre part ? Le premier délit apparaît en effet sensiblement plus grave que les deux autres.

Quel doit être le champ de l'extension de la répression des messages discriminatoires ? Les messages sexistes ou dirigés contre des personnes en raison de leur handicap ou de leur état de santé doivent être pris en considération au même titre que les messages homophobes.

Pour autant, tous les critères de discrimination prévus par l'article 225-1 du code pénal réprimant les comportements discriminatoires ne peuvent à l'évidence pas être repris dans la loi sur la presse, au risque, sinon, de compromettre l'équilibre entre la protection des intérêts légitimes des personnes et la liberté d'expression. Il faut donc délimiter soigneusement les contours de l'extension envisagée.

Doit-on par ailleurs se limiter à compléter les articles de la loi sur la presse réprimant actuellement le racisme, ou créer des articles distincts ? La première solution aurait pour conséquence de prévoir des peines privatives de liberté. Il n'est donc pas inutile de se demander si la volonté de combler un vide juridique doit signifier que des peines d'emprisonnement seront encourues par les auteurs d'injures ou de diffamations.

Je rappelle en effet que, dans la loi du 12 juin 2000, à l'initiative du Sénat, le législateur a estimé opportun de supprimer toutes les peines d'emprisonnement prévues par la loi de 1881, à l'exception de celles prévues pour les infractions racistes.

Enfin, comment encadrer le droit donné aux associations d'engager elles-mêmes des poursuites pour ces nouvelles infractions, pour ne pas risquer de « privatiser » l'action publique, sauf à réserver le monopole des poursuites au procureur de la République ?

C'est à ces différentes questions, dont la complexité n'échappera à personne, que le groupe de travail doit répondre. Il comprend les représentants des ministères de la justice, de l'intérieur, de la parité et de l'égalité professionnelle, de la culture et de la communication.

Lors de sa dernière réunion, au début de cette semaine, il a entendu un représentant des associations concernées par la lutte contre l'homophobie, qui a fait part de ses propositions. Seront prochainement auditionnés d'autres représentants d'associations luttant contre les discriminations sexistes et les discriminations envers les handicapés, ainsi que des personnalités représentatives de la presse, qui ne saurait être tenue à l'écart de cette réflexion.

Les travaux du groupe incluant, bien évidemment, l'examen de cette proposition de loi, qui lui a été communiquée lors de sa dernière réunion.

Au vu des conclusions du groupe de travail, le Gouvernement préparera un projet de loi. Il nous semble donc prématuré de légiférer aujourd'hui, même si je remercie le rapporteur de nous aider à honorer les engagements pris par le Premier ministre.

Je vous demande donc d'adopter les conclusions de votre commissions des lois (Applaudissements sur divers bancs).

Mme Marylise Lebranchu - J'ai souvent entendu, sous tous les gouvernements, ce genre d'arguments : un grand chantier est en cours de préparation, attendons pour légiférer.

Mais ce qui nous est proposé aujourd'hui, c'est de franchir - facilement ! - une étape dans la lutte contre les propos excluants qui se multiplient dans notre société. On en oublie notre devise - liberté, égalité, fraternité - et on commet aussi l'erreur de réduire la laïcité à la tolérance. Or la laïcité, c'est le respect profond de chaque individu dans sa sphère privée, mais c'est surtout la reconnaissance de l'espace public laïc.

A force d'affaiblir les notions les plus importantes de notre République, on en arrive à ne plus reconnaître l'autre en tant que citoyen.

Monsieur le ministre, vous qui vous occupez des établissements pénitentiaires, vous savez qu'on y trouve en concentré toutes les déviances de notre société. Une des difficultés majeures est d'y empêcher les propos racistes, les propos xénophobes ou les insultes contres les malades.

Dès lors que nous reconnaissons tous que notre société est totalement médiatisée, si nous écrivons ce matin qu'il n'y aura plus de propos excluants dans les médias, nous aurons fait un pas important pour le partage de la dignité et de la liberté.

C'est vrai que la liberté de la presse est difficile à encadrer. Mais des groupes de journalistes français et européens militent eux-mêmes pour qu'on puisse poursuivre les auteurs de certains articles diffusés dans la presse et sur internet, qui est un média particulièrement insidieux, puisque les textes peuvent y rester affichés très longtemps.

Je souhaiterais qu'après ce pas, on puisse demander à ceux qui ont des comportements « minoritaires » d'arrêter de plaider pour des discriminations positives. Si la République française, au terme des travaux du groupe dont vous avez parlé et que je respecte, ne trouve comme solution à l'exclusion que la discrimination positive, cela voudra dire que nous aurons baissé les bras et perdu le combat pour la liberté, l'égalité et la fraternité. Or on sent que les groupes militants, fatigués de se battre, en viennent à envisager cette fausse solution.

La société française doit réaffirmer, par ce texte, les valeurs d'égalité et de laïcité. Mais il y a plus : la France est une des rares démocraties fondées à la fois sur la liberté et la laïcité : certains de nos problèmes au niveau européen sont dus à la difficulté de combiner le droit des pays laïques et celui des pays qui ne le sont pas.

Si nous faisons ce travail de réécriture de la citoyenneté française, écornée aujourd'hui, nous contribuerons à fonder une citoyenneté européenne ainsi que le respect de chaque individu, quels que soient son sexe, son appartenance et son état de santé. C'est un chantier formidable, qui peut susciter une adhésion autre que le simple élargissement des marchés, et qui, surtout, nous permettrait d'aider les pays du Maghreb, du Proche-Orient, de l'Asie à avancer vers la laïcité du monde, seule garante de la paix à long terme.

A partir d'un texte qui semble restreint, ayons l'ambition d'affirmer que la liberté, c'est avant tout celle d'être un citoyen comme les autres en toutes circonstances (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Xavier de Roux - Le débat d'aujourd'hui est exemplaire. Le paradoxe de notre société, c'est qu'elle se veut libre et permissive : toute une génération - la nôtre - a proclamé qu'il était interdit d'interdire. Or aujourd'hui on veut introduire le droit pénal dans tous les comportements. Est-ce vraiment la bonne réponse ?

Notre droit positif est déjà vide en dispositions de lutte contre les discriminations. Le 4 février dernier, nous avons voté une proposition de loi aggravant les peines pour les actes à intention raciste. L'article 225-2 du code pénal interdit toute discrimination à raison de l'origine, du sexe, du patronyme, de la situation de famille, de l'apparence physique, de l'état de santé, des m_urs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, de l'opinion politique. Or on nous propose aujourd'hui d'introduire cette définition très large, mais qui s'applique à des actes, des faits positifs, dans la législation de 1881 sur la liberté de la presse. Or la presse, c'est la plume et l'opinion et nous entrons dans le subjectif. Il me semble que c'est une mauvaise façon de légiférer : on va ouvrir un processus que plus personne ne contrôlera. Il y a une hiérarchie des libertés et celle de la pensée, de l'opinion, de la plume est essentielle : on ne peut la soumettre à des appréciations subjectives.

Le Gouvernement a annoncé, avec sagesse, qu'un groupe de travail se penchait sur cette question très complexe. Elle mérite qu'on y réfléchisse avec beaucoup de soin. Il ne s'agit pas d'enterrer une idée louable...

M. Alain Vidalies - Elle n'est pas « louable », elle est juste !

M. Xavier de Roux - ...mais d'empêcher qu'au nom de la liberté on supprime la liberté. Le développement tous azimuts du droit pénal pose problème. C'est pourquoi la commission des lois et le groupe UMP demandent le rejet de cette proposition en l'état et font confiance au Gouvernement pour préparer un texte, qui, je l'espère, balaiera l'ensemble du dispositif. La présente proposition en revanche rendrait notre législation un peu chaotique, et l'on pourrait craindre que les auteurs de nos codes se retournent dans leur tombe.

M. Michel Vaxès - Le groupe communiste et républicain partage les intentions que porte cette proposition de nos collègues socialistes, et salue cette initiative, comme nous avons toujours salué toute prise de position contre les actes et les propos discriminatoires..

L'univers proprement humain est celui de l'échange, du dialogue, de la communication, entreprise toujours ouverte à travers laquelle l'humain est sans cesse en quête de lui-même dans la rencontre de l'autre. Aussi, quand il s'agit du sens de notre existence, nous découvrons vite que nous nous guidons sur des paroles. Mais l'homme peut pervertir sa parole et en faire un instrument de contrainte, dénaturant l'authentique langage humain. « Mets un mot sur un homme, et l'homme frissonnant sèche et meurt pénétré par la force profonde », disait Victor Hugo.

Notre appréciation n'est donc pas de pure forme. Elle s'enracine dans nos plus solides convictions : la discrimination traduit toujours des logiques de domination et d'aliénation, des postures de suffisance, si ce n'est d'arrogance. Nous les combattons avec force, car ce combat est notre raison d'être. Imbus de leur prétendue supériorité, des groupes, des individus ne se content pas du pouvoir qu'ils détiennent. Pour l'asseoir durablement, il leur faut aussi diminuer l'autre, l'humilier, souvent jusqu'à le convaincre de son infériorité, jusqu'à l'exclure et parfois jusqu'à l'éliminer... C'est là pour nous l'essence même de la discrimination, qui, pour cette raison, nous est insupportable. En prenant le parti de la libération humaine, nous avons pris celui du combat contre toutes les discriminations. Permettre à chaque individu de s'épanouir dans sa singularité, dès lors qu'elle ne nuit pas à l'épanouissement de l'autre, donner à chacun le droit de vivre sa différence, dès lors qu'elle n'interdit pas à l'autre de vivre la sienne, c'est déjà donner corps à la noble ambition de construire un monde solidaire et fraternel, riche de ses diversités, un monde simplement humain... Discrimination et humanité sont antinomiques. Et nous disons avec Herbert George Wells : « Notre vraie nationalité est l'humanité ».

Certes, toutes les discriminations ne sont pas de même portée symbolique ni de même effet. Est-ce une raison pour les hiérarchiser ? Non. Le combat contre les discriminations doit se mener partout, toujours et sur tous ses supports. Il ne se hiérarchise pas : discriminer les discriminations, c'est déjà céder sur l'essentiel, refuser de mener jusqu'au bout le combat contre l'intolérance. C'est aussi pourquoi nous soutenons la proposition de nos collègues.

Faut-il en revanche hiérarchiser les peines ? Bien sûr, et le débat sur ce point peut s'ouvrir. D'autant qu'une justice rendue avec discernement permet toujours aux magistrats d'adapter la sanction à la gravité du délit, dès lors que sa pénalisation est prévue dans la loi, comme le propose ce texte.

Dans le compte rendu des travaux de la commission des lois, j'ai noté avec amusement la perfide allusion d'un collègue. Il reproche au groupe socialiste d'être incohérent quand il propose un texte utilisant le mot « race », alors qu'il a soutenu sans réserve la proposition de notre groupe, que j'ai défendue ici, tendant à supprimer ce mot dans notre législation. Mais toute proposition qui fait référence à un article existant comportant ce terme, ce qui est le cas de l'article 225-1 du code pénal, ne pourra que l'utiliser aussi, puisque ce collègue et la majorité à laquelle il appartient ont refusé de le supprimer. A cette majorité d'assumer ses responsabilités, au lieu de se réfugier derrière de mauvais prétextes pour éviter de dire clairement son opposition de fond à la présente proposition.

Un autre collègue ne s'embarrasse d'aucune précaution. Il considère que cette proposition de loi limiterait trop strictement la liberté d'expression. Mais au contraire, en s'attaquant non à la liberté d'expression, mais à la discrimination, ce texte favoriser la liberté d'expression de chacun en lui reconnaissant le droit à la différence, dès lors qu'elle n'atteint pas la dignité de l'autre. Notre collègue oppose ensuite égalité et liberté en soulignant sa préférence pour la seconde. En réalité, ce n'est pas à la liberté de tous que vous êtes attachés, mais à celle de quelques-uns, particulièrement à celle des gardiens du temple de la logique libérale. Or cette logique n'est autre que celle de la domination du plus fort sur le plus vulnérable, celle de l'intolérance, en particulier envers toute contestation de notre système et des discriminations et injustices qu'il génère : c'est celle du refus de la diversité qui fait pourtant la richesse des hommes et des peuples. La vérité, c'est que vous menez un combat sans merci pour discriminer sur l'essentiel : la justice et l'égale dignité entre les hommes. Pour cela, il vous faut ne pas aller trop loin dans le combat contre les discriminations que majoritairement la conscience réprouve.

Pour brouiller la perception de nos véritables intentions, vous créez un groupe de travail. Ou vous citez votre adage préféré : « Le mieux est l'ennemi du bien ». Pour bien faire, il faudrait ainsi renoncer à toute amélioration, sauf bien sûr celles qui servent vos choix, votre système, votre pouvoir, et qui préparent de dangereux reculs de civilisation.

C'est pour ces raisons que vous refusez la proposition, alors qu'elle pourrait être utilement amendée comme l'a proposé notre rapporteur. Encore faudrait-il que vous acceptiez d'ouvrir le débat, mais il vous effraie. Soyez cependant certains que, si nous ne pouvons l'ouvrir ici, nous le mènerons avec détermination partout ailleurs. Nous ne renoncerons jamais à concilier l'universel et le particulier, et nous lutterons sans relâche pour que chacun soit libre d'être pleinement lui-même, pleinement humain, et pour que grandisse l'adhésion aux valeurs universelles, garantie des libertés individuelles et des solidarités.

La pénalisation peut être un moyen : elle n'est pas une fin. La priorité est de tout faire pour que notre société garantisse à tous, sans discrimination, le droit à la santé, au logement, au travail, en un mot le droit de vivre dignement. Ce combat-là traduit un réel attachement à l'article premier de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : « Tous les humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont tous doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Si nous ne tirons pas les enseignements de cette déclaration, nous devrons alors méditer sérieusement le propos du pasteur Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Francis Vercamer - J'ai apprécié le travail mené sur cette proposition de loi, car la lutte contre la discrimination est un sujet auquel je suis très attaché. Je suis en effet député d'une circonscription, celle de Roubaix, où ce terrible phénomène est vécu quasi quotidiennement.

J'ai pourtant, d'emblée, un immense regret : cette proposition ne s'attaque pas au fondement du problème, ni à sa cause. Elle s'inscrit dans le seul cadre de la loi de 1881 sur la presse, et vise une catégorie de population qui subit, certes, des propos à caractère discriminatoire, mais qui hélas n'est pas la seule. On ne saurait se limiter à cet angle de vue, extrêmement restrictif, et qui de plus donne une désagréable impression de précipitation.

Loin de moi l'idée qu'une communauté doit avoir plus ou moins de droits qu'une autre. Des propos humiliants, diffamatoires, discriminatoires sont condamnables non pas en fonction de celui à qui on s'adresse, mais bien parce qu'on les adresse à un être humain. S'ils méritent d'être plus ou moins sévèrement sanctionnés, c'est donc selon leur degré de gravité.

On peut rêver d'un monde où le mot « communautarisme » disparaîtrait. Nous aurions su créer alors un climat de tolérance suffisant. Chacun s'épanouirait selon sa nature, mais aurait les mêmes droits et les mêmes devoirs. Mais ce n'est pas pour demain... Ce texte a sans doute la volonté de combattre toute forme d'homophobie. Mais il ne vise que les propos écrits. Même s'il souhaite garantir le respect des droits de l'homme, ce qui est tout à son honneur, il est trop limité.

Les ajouts proposés dans les articles de la loi de 1881 ne semblent pas poser problème a priori. Mais le code pénal, qui cite, déjà, dans son article 225-1 « le sexe, les m_urs, l'orientation sexuelle, l'état de santé et le handicap », ne sanctionne pas au même degré les propos discriminatoires. Il établit une hiérarchie, réservant la pénalisation la plus forte aux propos à caractère raciste. Les textes risquent donc de s'entrechoquer et de devenir incohérents si nous adoptions cette proposition.

On peut bien entendu discuter du bien-fondé de cette hiérarchisation des sanctions dans le code pénal. Et ce débat serait très enrichissant. Mais faisons-le à l'occasion d'un projet ou d'une proposition de loi qui étudierait le problème sous toutes ses facettes. La discrimination est un sujet trop vaste pour être abordé par le petit bout de la lorgnette, ou découpé en tranches, comme on l'a trop fait à ce jour. Les personnes victimes de discriminations attendent mieux de nous, et veulent que l'on traite leurs difficultés une fois pour toutes dans toute leur dimension. Quand les parlementaires en auront débattu, on pourra alors compléter nos lois et adapter si nécessaire la loi sur la presse. Mais n'agissons pas par petites touches successives, comme on nous le propose aujourd'hui. Ce serait dangereusement réducteur.

En commission, notre collègue Patrick Bloche a d'ailleurs noté avec raison que la lutte contre les discriminations avait été l'objet de préoccupations constantes, y compris récemment. En 2000, la loi sur la liberté de communication a été modifiée pour renforcer les pouvoirs du CSA ; la loi relative à la présomption d'innocence a permis aux associations de lutte contre les discriminations de se porter partie civile ; la loi sur la sécurité intérieure a créé une nouvelle circonstance aggravante pour les crimes et délits commis à raison de l'orientation sexuelle de la victime et, à cette occasion, le ministre de l'intérieur a plaidé pour un renforcement de la lutte contre l'homophobie ; enfin, trois amendements au projet relatif à la criminalité organisée viennent de faire du mobile homophobe une circonstance aggravante...

Le rapporteur a lui-même admis qu'il convenait de changer l'ensemble des textes, donc la forme, après avoir débattu sur le fond, au lieu de faire le contraire. Et je suis d'accord avec lui pour dire que ce débat devait conduire à s'interroger sur l'application des grands principes républicains.

La proposition met minutieusement l'accent sur la répression des propos discriminatoires écrits. Or ces derniers, évidemment condamnables, sont très souvent condamnés, mais il n'en est pas de même des propos oraux, en raison de la difficulté qu'il y a à les prouver. Certains abusent ainsi de leur autorité ou de leur pouvoir pour injurier ou discriminer sans honte aucune. Le manque de témoignages, dû parfois à la peur, laisse les victimes à un sentiment de solitude et d'abandon. Et c'est parce que je connais leur souffrance que j'invite à cesser de les décevoir !

Corollaire du privilège accordé à la répression, la proposition néglige totalement la sensibilisation, l'éducation et la prévention - ce qui ne laisse pas de m'étonner venant d'un groupe qui reproche régulièrement la même lacune à la majorité. Or ce sont bien les mentalités et les comportements qu'il faut faire évoluer pour obtenir des résultats durables et nous devons donc nous y employer avec pugnacité. Le temps aidant, s'il existe une volonté politique pouvant s'appuyer sur une loi claire et sur des sanctions réellement applicables, nous ferons d'énormes progrès.

Mes arguments le démontrent : ma critique ne vise pas le fond de cette proposition de loi. Elle se veut avant tout constructive. Le texte qui nous est soumis me paraît manquer d'efficacité et ne pas répondre à la demande d'un certain nombre de nos concitoyens. Je crois plus sage d'éviter la précipitation et je demande au Gouvernement de réaffirmer, à la suite du Président de la République, sa volonté de nous présenter un projet complet, qui nous permettra d'étudier le problème de la discrimination sous toutes ses facettes et de tenter de le résoudre dans un esprit de fermeté.

Mme Martine Billard - Cette proposition a le mérite d'ouvrir le débat sur les discriminations à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap. En mars dernier, les députés verts ont eux-mêmes déposé une proposition visant l'homophobie, la lesbophobie et la transphobie. Le sujet paraissait même consensuel depuis les promesses du candidat Chirac, comme semblaient en témoigner les déclarations faites par le Garde des Sceaux ainsi que par le Premier ministre, en juillet. Malheureusement, les propos tenus en commission ou ici même montrent que le chemin à parcourir est encore long.

Si notre droit comporte des dispositions tendant à combattre les discriminations fondées sur la race, l'origine ethnique ou la religion, il est encore loin de sanctionner les propos homophobes, transphobes, sexistes ou méprisants pour les handicapés. Or il s'agit pour beaucoup d'une réalité de tous les jours : bien que notre société accepte de mieux en mieux la pluralité des orientations sexuelles et des identités de genre, les victimes de violences verbales ou physiques restent nombreuses. Des élus sont menacés, comme on l'a vu à Paris, et, chaque année, des personnes meurent d'agressions homophobes : ce fut le cas à Reims l'an dernier et à Nancy cet été. Et on nous parle de précipitation, de subjectivité !

Aujourd'hui, les diffamations et injures publiques, les provocations à la haine contre les homosexuels et transsexuels sont impunies. On peut accuser de pédophilie, d'inceste ou de zoophilie sans craindre de sanction ! Souvenons-nous par exemple de cette manifestation odieuse du 31 juillet 1999 où les anti-Pacs criaient « Les pédés au bûcher ! » Souvenons-nous des propos non moins orduriers tenus dans cet hémicycle même la même année : « Sales pédés, brûlez en enfer ! », ou de cet appel à stériliser les couples homosexuels ! Et il faudrait attendre ?

Certes, un dispositif juridique ne peut mettre un terme à ces propos odieux, mais il aurait l'avantage de poser clairement la limite entre l'acceptable et l'inacceptable et il donnerait à la société civile les moyens de contribuer à un combat patient. La liberté d'expression s'arrête là où commence l'appel à l'intolérance. D'ailleurs, harceler quelqu'un parce qu'il est homosexuel, est-ce de la liberté d'expression ?

Ce dispositif anti-discriminations devrait également viser le harcèlement sur les lieux de travail, la discrimination indirecte, la provocation à la discrimination ou la discrimination de la part d'organisations professionnelles. A ce propos, le Gouvernement compte-t-il transcrire pour le 3 décembre, comme il faudrait, la directive 2000/78/CE sur l'égalité de traitement en milieu professionnel ?

Ainsi complété, ce dispositif pourrait servir de base juridique à l'autorité indépendante et universelle de lutte contre les discriminations que le Président de la République a promise. Il faut donner à cette autorité tous les moyens nécessaires et la rendre accessible à tous ceux qui en auraient besoin. Toutes les discriminations doivent être combattues avec la même force, car aucune n'est tolérable.

La route est longue vers une société sans discriminations. Cette proposition constituait une étape attendue. Nous avions déposé des amendements pour viser également la transphobie, mais nous la voterons en l'état. Lorsque M. Lellouche a défendu en février sa proposition tendant à aggraver les sanctions en cas d'infractions racistes, xénophobes ou antisémites, l'opposition a voté ce texte, estimant que le combat dépassait les clivages politiques. Aujourd'hui, votre refus est révélateur, au contraire, soit de préoccupations exclusivement politiciennes, soit d'une homophobie demeurée aussi vive que lors du débat sur le Pacs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Danielle Bousquet - Nous sommes fiers de vivre dans une République qui proclame sur ses frontons son idéal d'égalité. Mais qui ne mesure combien cette revendication se heurte encore à la dure réalité quotidienne ? Des discriminations multiformes atteignent aussi bien les handicapés, stigmatisés par des mots blessants, que le jeune beur qui se voit refuser l'accès à une boîte de nuit ou le couple homosexuel agressé verbalement. Perdure également la discrimination qui frappe les femmes, produisant des inégalités tantôt insidieuses, tantôt flagrantes. Cet état de fait a conduit le gouvernement Jospin à agir dans un domaine où cette discrimination était particulièrement forte et à réviser la Constitution pour y inscrire l'égalité entre hommes et femmes pour ce qui est de l'accès aux fonctions et mandats électoraux. Afin de combattre l'inclination des partis à évincer les femmes, nous avons voté la loi sur la parité, nous attaquant ainsi à l'un des bastions de la résistance à l'égalité entre sexes.

Nous avons ensuite ouvert le chantier des discriminations professionnelles, essayant d'abattre ce fameux « plafond de verre » auquel se heurtent les femmes, qu'il s'agisse de la rémunération, inférieure en moyenne de 27 % à celle des hommes, du temps partiel imposé, des possibilités de carrière ou des promotions. Parce que ces inégalités nuisent à la cohésion sociale et sont contraires à la dignité des femmes, la gauche a voté les lois Roudy, en 1983, et Génisson, en 2001.

Pour parvenir à l'égalité dans le domaine professionnel, il faut commencer par mettre en évidence les inégalités existantes, branche par branche, entreprise par entreprise. Il faut ensuite mettre en place des correctifs, négociés par les partenaires sociaux, puis à nouveau mesurer les écarts et définir de nouveaux dispositifs visant à les atténuer, cela sans trêve. Ces discriminations résistent en effet à l'effort, et les abattre nécessité une volonté politique constante.

Les dérives sexistes de la publicité vaudraient également que le législateur s'y intéresse. Il ne s'agit pas de toucher à la liberté d'expression, mais de s'opposer à des atteintes à la dignité. Je ne méconnais pas la difficulté de la tâche, tant les professionnels se montrent rétifs, mais un rééquilibrage s'impose entre liberté d'expression et combat contre la discrimination fondée sur le sexe.

C'est donc à toutes les formes de discrimination qu'il faut s'attaquer car le seul principe d'égalité ne fournit pas de garantie suffisante. Les actes de violence perpétrés par de jeunes voyous à l'encontre des filles sont de plus en plus fréquents dans les quartiers, dans les écoles. Les viols collectifs se multiplient dans les caves. En fait, les crimes sexistes collectifs en série se développent. Il faut donc affirmer haut et fort que ces désordres, ces violences n'ont pas leur place dans une République qui a inscrit l'égalité entre hommes et femmes dans sa Constitution.

Nous voyons bien qu'il faut trouver les moyens de lutter contre toutes les discriminations. C'est un formidable enjeu pour aujourd'hui et pour demain. C'est celui de l'intégration, de l'épanouissement, du respect de toutes et de tous dans une société mixte et plurielle.

Ayons le courage de le dire, de le faire, et votons ensemble cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Alain Vidalies - Cette proposition traite de l'un des principes fondamentaux de notre démocratie : la liberté d'expression.

Certains, au nom de la primauté de l'individu, du libre-arbitre, se refusent à limiter ce principe. Cette conception prévaut de manière quasi absolue dans les démocraties anglo-saxonnes, même si l'on a pu y observer, ces dernières semaines, de exceptions pour le moins surprenantes...

Dans la France républicaine, les enseignements de l'histoire ont conduit la représentation nationale à affirmer le principe selon lequel la liberté d'expression, comme toute liberté, ne peut pas aller au-delà de certains limites, en l'occurrence celles de la dignité et de l'intégrité de la personne humaine. La France est, sur ce point, en relative harmonie avec les autres grandes démocraties européennes.

Nous avons pu ainsi, ces deux dernières décennies, faire _uvre de fermeté pour renforcer notre dispositif de lutte contre les propos discriminatoires fondés sur l'origine, la race, la religion. Modifiée à de multiples reprises, la loi sur la presse du 29 juillet 1881 punit ainsi de peines de prison ferme et de lourdes amendes ceux qui, dans un organe de presse, se rendraient coupables de tels propos.

Mais cette législation ne réprime pas les propos portant atteinte à l'honneur des personnes ou à leur réputation à raison de leur sexe, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs m_urs et de leur orientation sexuelle.

Je pense, avec mes collègues du groupe socialiste, qu'il s'agit là d'une lacune de notre droit qui mérite d'être comblée. Mais je ne crois pas que nous soyons les seuls. Je suis même persuadé qu'une large majorité souhaite s'inscrire dans la philosophie des nombreux textes, en particulier européens, qui nous incitent à légiférer.

Ainsi, le Président de la République a affirmé que l'homophobie « est aussi condamnable que le sexisme ou le racisme » et qu'à « l'instar du dispositif mis en place pour d'autres phénomènes de rejet, il faut à l'évidence une condamnation de l'homophobie ». En écho, le Garde des Sceaux a récemment reconnu qu'en « l'état actuel du droit positif, la seule mention de l'homosexualité d'une personne n'est pas en soi pénalement sanctionnée, ce qui peut constituer une lacune juridique préjudiciable aux homosexuels ». Quel aveu !

Si l'opinion de l'exécutif est faite, si la détermination politique, à gauche et à droite, ne fait pas défaut, bref si tout le monde est d'accord, alors pourquoi entend-on au Sénat ou en commission des lois, que légiférer maintenant n'est pas possible et qu'il est urgent d'attendre ?

J'ai entendu qu'en réalité, les esprits ne sont pas encore mûrs à droite pour franchir le cap de la reconnaissance définitive du fait homosexuel dans notre pays, et que derrière les arguments techniques, juridiques ou d'opportunité, se cachait une réticence un peu honteuse... D'ailleurs, un conseiller ministériel n'a-t-il pas dit qu'il fallait faire _uvre de pédagogie auprès des députés UMP ?

Il faudrait nous dire quelle est la véritable explication de votre refus. Le ministre nous a dit qu'il n'avait aucun reproche à faire à la proposition de Patrick Bloche mais qu'il la jugeait prématurée. Puis vint l'unique orateur du groupe UMP, qui ne s'inscrivit pas dans cette démarche mais qui considéra que faire entrer une partie de l'article 225-1 dans la loi de 1881 était une mauvaise manière de légiférer.

M. Xavier de Roux - Absolument !

M. Alain Vidalies - Or le ministre a dit exactement le contraire... (M. le Secrétaire d'Etat fait un geste de dénégation)

M. de Roux est allé plus loin encore, et ce fut un moment délicieux (Sourires), se demandant si la pénalisation de la société était une réponse adaptée.

M. Xavier de Roux - Eh oui !

M. Alain Vidalies - Cela a une certaine saveur de la part du groupe qui, depuis quelques mois, n'a rien trouvé de mieux en application de ce principe que de créer une multitude de délits supplémentaires, comme le regroupement des jeunes dans les cages d'escalier, le racolage passif ou, il y a à peine quelques heures, l'allongement de la garde à vue pour mineurs... Autant nous pouvions comprendre les arguments du ministre, autant ceux de l'orateur du groupe UMP devront être assumés...

Pourquoi donc continuez-vous à nous exhorter à la prudence pour reporter ce débat ? Pourquoi vouloir gaspiller du temps ? Les orientations ont été fixées avec le Président de la République, alors en campagne électorale, il y a plus de dix-huit mois. Le Gouvernement issu des élections de 2002 a eu maintes occasions de répondre aux vexations et aux humiliations subies par ceux qui souffrent d'une inégalité de traitement liée au silence de la loi sur leur situation particulière. Force est de constater qu'en dépit de l'attitude constructive de la gauche, il n'est toujours pas prêt à tendre la main à toutes les victimes de propos discriminatoires.

C'est d'autant plus regrettable que la préoccupation prioritaire du sort des victimes...

M. Charles Cova - Il fallait bien, vous les aviez négligées !

M. Alain Vidalies - ...a guidé toute votre action de lutte contre l'insécurité et de réforme de la justice. Mais pour donner la leçon, il faut être soi-même irréprochable. Votez donc ce texte pour montrer que vous ne tenez pas un double langage, faites aujourd'hui ce que vous promettez de faire plus tard !

Notre arsenal de lutte contre les discriminations, qu'il soit d'origine européenne ou nationale, est pratiquement complet. Il suffit d'opérer les modifications proposées par Patrick Bloche pour parachever l'ouvrage. Il est totalement incompréhensible qu'au lieu de manifester avec enthousiasme votre préoccupation du sort de ceux qui attendent qu'on leur offre une protection égale à celles que méritent toutes les victimes, vous vous réfugiez derrière des arguments inintelligibles pour ne rien faire d'autre qu'attendre, simplement parce que c'est mieux d'attendre.

M. Jean-Paul Garraud - Démagogie !

M. Alain Vidalies - Peut-être avez-vous, Mesdames et Messieurs de la majorité, des modifications à opérer. Personne n'a la science infuse, pas plus les députés socialistes que les autres. Si nous sommes tous déterminés à lutter contre les discriminations et à tenir compte du sort de toutes les victimes, eh bien travaillons et amendons ce texte, s'il doit l'être, ce dont je doute. Rien n'interdit d'imaginer des solutions encore meilleures. Si vos hésitations vous conduisent à rejeter notre proposition pour attendre je ne sais quels jours meilleurs, cette impression diffuse que votre retenue masque en réalité un malaise bien plus profond, ne se dissipera pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Je veux rappeler à mon tour où nous en sommes, où en est la réflexion du Gouvernement, ce qui permettra de calmer certains, en particulier M. Vidalies.

Dans une réponse à une question écrite parue au Journal officiel le 1er septembre dernier, le Garde des Sceaux s'est engagé à ce que les modifications législatives à venir permettent de parfaire la protection des homosexuels contre les discriminations et les agressions physiques et verbales, mais aussi aident les associations qui luttent contre l'homophobie à remplir leur mission. Une réponse similaire a été faite à M. Hamel au Sénat.

Conformément à cette orientation, un groupe de travail associant les ministres de l'intérieur, de la culture, de la parité et de la justice a été constitué. Une première audition a eu lieu lundi dernier. La question est donc de savoir si l'on considère a priori que ses propositions seront inutiles, ou si ses conclusions permettront de déboucher sur un projet de loi à la mesure du problème à résoudre. Votre intention est louable, Monsieur Bloche, mais votre texte gagnera à être enrichi par le travail en cours. Il faut en effet s'assurer que cette nécessaire adaptation de notre droit soit sans effet sur la liberté d'expression : c'est l'argument qu'a avancé - sans être bien compris - Xavier de Roux. La pertinence du problème soulevé justifie notre débat de ce matin. Mais celui-ci ne doit être qu'un prélude au débat sur le texte que déposera le Gouvernement. Je souhaite donc que la discussion ne s'engage pas et que l'Assemblée, conformément à l'article 94 de notre Règlement, soit appelée à se prononcer sur les conclusions de rejet de la commission.

M. le Rapporteur - J'ai été très sensible aux propos de Mme Lebranchu, de M. Vaxès, de M. Vidalies, de Mme Bousquet et de Mme Billard. Mme Lebranchu a rappelé que de nombreux groupes sociaux étaient fatigués d'attendre, ce qui justifierait l'adoption de ce texte.

Citations de Victor Hugo, de Wells et de Martin Luther King à l'appui, Michel Vaxès a mis en garde contre une hiérarchisation des discriminations. L'article 225-1 du code pénal n'en fait pas. Pourquoi cèderions-nous à cette tentation qui n'aboutirait qu'à une discrimination supplémentaire ? Vous l'avez fort bien dit, Monsieur Vaxès, la pénalisation n'est pas une fin mais un moyen.

Mme Bousquet, dont l'engagement en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes reste constant, a rappelé ce que certains discours sexistes pouvaient avoir d'insultant pour les femmes, notamment dans le domaine si complexe à réguler de l'image. Elle a évoqué les violences verbales, qui débouchent malheureusement souvent sur des violences physiques.

Mme Billard a rappelé que des propos contestables avaient pu être tenus jusque dans cet hémicycle et insisté sur l'urgence qu'il y a à légiférer. La loi de 1881 est du reste régulièrement modifiée, et nous avons redéposé cette proposition de loi précisément pour prendre en compte l'évolution de notre droit. Notre collègue a rappelé que l'opposition avait su dépasser les querelles partisanes pour voter la proposition de loi de Pierre Lellouche au début de cette année. Quant à vos amendements sur le genre et l'identité de genre, Madame Billard, j'y ai, en présentant mon rapport, répondu par anticipation : il faut d'abord définir ces notions et prendre en compte la discrimination à l'égard des transsexuels et de la transphobie dans l'article 225-1 du code pénal.

Alain Vidalies a rappelé que l'on ne pouvait traiter différemment les victimes en ne réprimant que certaines agressions. Il nous a exhortés, avec raison, à ne pas avoir peur de l'initiative parlementaire. Votre propos, Monsieur le ministre, est resté modéré. Vous avez évoqué le groupe de travail qui, fort opportunément, n'a pas encore rendu ses conclusions. Il faut espérer qu'il le fera un jour. Je m'étais d'ailleurs permis de rappeler les engagements pris par le chef de l'Etat et par le Gouvernement. La commission a rejeté l'article unique de la proposition et nous allons voter sur ses conclusions. Les adoptera-t-elle ? J'ai encore quelque espoir que ce débat ne s'achève pas aussi piteusement.

Monsieur de Roux, M. Vidalies vous a en partie répondu. Je ne reviens pas sur la pénalisation de notre société. Vous avez fait référence à l'article 225-1 du code pénal, qui dresse la liste des discriminations. C'est une longue litanie ô combien nécessaire. Pourquoi seulement sur une partie des motifs ? Parce que nous n'avons pas voulu reprendre dans une proposition de loi les opinions politiques et les activités syndicales. Le Garde des Sceaux a exprimé un souhait en ce sens au Sénat le 2 octobre au nom de la liberté d'expression. Nous n'avons pas davantage voulu nous limiter à l'orientation sexuelle et consacrer ce texte à la seule lutte contre l'homophobie. Nous avons visé expressément le sexe, l'état de santé, le handicap et l'orientation sexuelle. Je fais le pari que le texte du Gouvernement s'inscrira dans la même philosophie.

Les rapports entre l'égalité et la liberté sont un vieux débat. Pourquoi hiérarchiser lorsqu'elles peuvent se concilier ? Comment se satisfaire de la persistance de discriminations ? Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, où le premier amendement de la Constitution interdit de fermer les sites internet néo-nazis. La loi sur la liberté de la presse garantit chez nous la liberté d'expression et d'information tout en l'encadrant. J'ai déposé au mois de septembre une autre proposition de loi qui vise à concilier le droit à l'image et la liberté d'expression. Je me permets de vous y renvoyer, Monsieur de Roux. Le droit à l'image absolu qui tend à s'imposer contraint de plus en plus les photographes et les photoreporters à s'autocensurer pour ne pas être traînés devant les tribunaux : c'est une vraie dérive. Ma proposition de loi vise donc à ne pas laisser altérer la liberté d'expression.

M. Vercamer a sans doute entendu réaffirmer l'appartenance de l'UDF à la majorité. Je le regrette. Il faudrait, si j'ai bien compris, rejeter cette proposition de loi parce qu'elle ne serait pas assez ambitieuse. Il ne semble pas que notre démarche aurait permis de donner plus qu'un signe. Les dispositions que nous proposons sont attendues avec impatience. Vous avez regretté l'absence dans notre texte d'un volet « prévention ». Je vous renvoie à la conclusion de mon rapport, que je me permets de citer : « Si la pénalisation des propos discriminatoires est une nécessité républicaine, il convient cependant de garder à l'esprit les limites de la répression. De même que la sanction des propos racistes n'a pas éradiqué le racisme en France, la condamnation des propos discriminatoires doit s'accompagner d'une pédagogie pour faire vivre la devise de la République. » Il est évident qu'il faut faire _uvre de persuasion et de pédagogie.

Je m'adresse en conclusion à nos collègues de la majorité. Ils feraient bien de s'appliquer à eux-mêmes les principes de cohérence et de précaution. Il serait incompréhensible que vous votiez ce matin contre cette proposition de loi au seul motif qu'elle a le tort d'être présentée par l'opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine Billard - Très bien !

M. le Président - La commission des lois ayant conclu au rejet de l'article unique de la proposition, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 2, du Règlement, est appelée à statuer sur ces conclusions. Sur ce vote, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public. Nous allons entendre deux explications de vote.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Alain Vidalies - Les arguments du rapporteur, la déclaration du Président de la République et les engagements du Premier ministre devraient inciter chacun à voter immédiatement la proposition de notre collègue Bloche. D'ailleurs, la réponse écrite de M. Perben devrait y suffire, puisque le Garde des Sceaux indique qu'en l'état de notre droit, le délit n'est pas punissable. La seule réaction possible est donc de modifier la législation ; toute autre serait incompréhensible.

Quant à la procédure suivie, elle ne peut que susciter l'inquiétude. On peut comprendre, même si on ne l'approuve pas, que le Gouvernement tienne à garder l'initiative. Mais de là à ce que la commission rejette la proposition !

M. le Président de la commission - Bis repetita !

M. Alain Vidalies - Il est utile que ces choses soient dites et entendues ! Peut-être le groupe UMP, ayant pris conscience des dégâts que cause sa prise de position, va-t-il subitement revenir sur son rejet pour clore ce débat de manière moins piteuse qu'en commission ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; M. Léonard proteste) Oui, Monsieur Léonard, je maintiens que votre décision a été piteuse, et c'est pourquoi nous allons voter contre les conclusions de la commission, en espérant que le groupe UMP fera amende honorable (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier de Roux - La grande différence entre M. Bloche et M. Vidalies est que ce dernier, comme à son habitude, procède par injonctions, alors que le rapporteur s'attache à expliquer sa proposition avec des arguments qui ne manquent pas d'intérêt.

Le président de notre commission a indiqué que le Gouvernement étudie la question, et que se posent différents problèmes juridiques. Le premier est de savoir s'il faut adopter un texte autonome, relatif à la répression des propos homophobes ou s'il est préférable d'inclure une telle disposition dans l'article 225, alinéa premier, du code pénal, qui serait, ainsi modifié, inséré dans la loi de 1881. Mais M. Bloche lui-même a souligné les difficultés d'une telle solution, les activités syndicales ou les opinions politiques ne pouvant être pénalisées sans porter atteinte à la liberté d'expression.

Etant données ces difficultés, et parce que nous sommes appelés à rédiger la loi et non des tracts électoraux (M. Emmanuelli proteste), il faut suivre la commission et rejeter la proposition.

A la majorité de 49 voix contre 20 sur 69 votants et 69 suffrages exprimés, les conclusions de rejet de l'article unique sont adoptées. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 20.

                  Le Directeur du service
                  des comptes rendus analytiques,

                  François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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