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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 35ème jour de séance, 89ème séance

3ème SÉANCE DU JEUDI 4 DÉCEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC
      DES TÉLÉCOMMUNICATIONS ET FRANCE TÉLÉCOM 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 7

      QUESTION PRÉALABLE 14

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 29

      RÉSOLUTION ADOPTÉE
      EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
      DE LA CONSTITUTION 35

      ORDRE DU JOUR DU VENDREDI 5 DÉCEMBRE 2003 36

La séance est ouverte à vingt deux heures trente.

OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC DES TÉLÉCOMMUNICATIONS
ET FRANCE TÉLÉCOM

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - L'examen par votre assemblée du projet de loi sur le service universel des télécommunications et France Télécom est un moment important pour l'entreprise et pour l'Etat. Pour l'entreprise, d'abord, car après une période de crise grave, elle se redresse, grâce aux efforts de ses dirigeants et de ses salariés. Pour l'Etat, ensuite, car ce texte marque une nouvelle étape de l'évolution du secteur des télécommunications, depuis une administration dans les années 1980 jusqu'à une société ayant vocation, après l'adoption de ce projet, à exercer des missions concurrentielles. Cette évolution historique a été rendue possible par les performances de l'entreprise et par la dynamique de changement dans laquelle se sont placés ses personnels.

La discussion de ce projet de loi me donne aussi l'occasion de rappeler la politique du Gouvernement dans le secteur des technologies de l'information et de la communication. L'avènement de ces technologies constitue une nouvelle révolution industrielle, le secteur représentant désormais 7 % du PIB européen. Son développement repose sur des applications issues d'un effort permanent de recherche. La faculté d'innovation, démontrée au cours des quarante dernières années a modifié tous les secteurs de l'activité humaine. A l'avenir, la croissance sera largement fonction de la capacité de cette industrie à maintenir un rythme soutenu d'innovation.

Bien que confronté à une situation délicate ces dernières années, j'ai confiance dans le fait que la reprise de l'investissement et de la consommation dans le domaine des TIC soit possible en Europe. D'abord, parce que la dépense globale en TIC y est sensiblement plus faible qu'aux Etats-Unis. Le secteur dispose donc d'un potentiel de rattrapage. Notre écart d'investissement avec les Etats-Unis a du reste permis à l'économie américaine de connaître une croissance plus élevée. Ensuite, parce que le Gouvernement a pris des mesures énergiques pour favoriser cette reprise. Avec le gouvernement allemand, nous lui avons ainsi réservé une place majeure dans l'initiative de croissance que nous proposons à nos partenaires. Le déploiement de réseaux de télécommunications large bande, la recherche en semi-conducteurs, les satellites de géolocalisation, ou encore les services d'information dans les transports, font partie des dix projets qui la composent. Au plan national, notre politique tend à soutenir le développement des services sur des réseaux à haut débit, dans un environnement favorable à la concurrence.

En lançant le plan RESO 2007, le Premier ministre a fixé l'objectif ambitieux - mais réalisable - de dix millions d'abonnés au haut débit d'ici 2007. Pour dynamiser ce marché naissant, j'ai suscité une baisse des tarifs de vente en gros de l'ADSL, qui a marqué un tournant majeur dans le développement du marché français, en permettant d'abaisser les tarifs grand public de 45 à 30 € par mois. Cependant, de nouveaux acteurs sont apparus sur ce marché et ils proposent des services innovants grâce au succès du dégroupage. Je constate avec satisfaction que cette technique d'accès progresse à un rythme élevé puisqu'elle concerne déjà près de 200 000 abonnés.

Ces différentes actions ont enclenché un cercle vertueux, suscitant l'apparition de nouveaux services à des tarifs qui se situent parmi les moins chers d'Europe. Le marché de l'internet à haut débit atteint aujourd'hui près de 3 millions d'abonnés et connaît une croissance annuelle de 150 %. A ce rythme, nous sommes « en ligne » pour réussir le pari du plan RESO 2007 ! Dans ce contexte, les industriels peuvent investir dans des projets à long terme, les coûts pouvant être amortis sur un grand nombre d'utilisateurs.

C'est pourquoi j'ai réuni en février dernier six dirigeants d'entreprises françaises leaders dans les industries de communication, en vue de les inciter à développer ensemble de nouveaux services sur les infrastructures ADSL. Cette initiative commence à porter ses fruits puisque ces industriels - dont France Télécom - se sont associés pour commercialiser la diffusion de la télévision sur la ligne téléphonique d'ici la fin de cette année.

Bien entendu, ces initiatives sont bénéfiques à l'ensemble de l'économie numérique. Le taux d'équipement des ménages en micro-informatique a augmenté de 20 % en un an. En matière de commerce électronique, le montant des transactions a connu un développement de 60 %. Le Minefi en a aussi bénéficié puisque plus de 600 000 personnes ont transmis cette année leur déclaration de revenu par internet, soit cinq fois plus qu'en 2002.

A la fin de l'année, une campagne de communication gouvernementale associant plusieurs industriels sera lancée en faveur de l'équipement informatique. Elle renforcera l'effet des offres commerciales traditionnelles, lesquelles consistent à proposer des promotions sur les abonnements au haut débit, tout en proposant de nouveaux services. Plusieurs pays européens prévoient de préparer, dès 2004, des offres UMTS à grande échelle. Il s'agit du prochain défi majeur pour le secteur des TIC.

L'essor économique que je viens de décrire s'accompagne d'une modification profonde de notre législation à travers trois textes essentiels : le présent projet de loi, le prochain projet de loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à transposer par ordonnance les directives du « paquet télécom », et enfin la loi pour la confiance dans l'économie numérique. C'est ce dernier texte qui couvre le champ le plus large. Tous les sujets concernant la régulation des télécommunications pourront y être traités, et, en particulier, le rôle des collectivités locales, la couverture du territoire en téléphonie mobile et la révision de la loi relative à la liberté de communication.

France Télécom est naturellement l'un des principaux vecteurs industriels du développement des TIC en France et en Europe. Son rôle historique, sa capacité de recherche, d'innovation et de développement en font un des atouts majeurs de notre pays. De tels atouts ne la mettent cependant pas à l'abri d'une crise. L'entreprise en a connu une sérieuse en 2002 - en même temps que la plupart des grands opérateurs de télécommunications en Europe.

On peut estimer que l'entreprise est aujourd'hui sur la bonne voie. Son refinancement a été mis en _uvre en début d'année, notamment grâce au succès de l'augmentation de son capital de 15 milliards, très bien accueillie par le marché. La dette, qui atteignait 70 milliards fin 2002, a diminué de 20 milliards.

Ces derniers jours, France Télécom vient de réussir une nouvelle opération stratégique pour l'équilibre du groupe, avec le succès de l'offre d'échange qui lui permet de détenir 99 % du capital de sa filiale Orange.

Le chemin à parcourir reste difficile et l'entreprise France Télécom doit encore faire face à plusieurs défis : poursuivre son désendettement en améliorant sa rentabilité - sans renoncer aux investissements UMTS -, assurer la satisfaction de ses clients, innover pour développer des services plus performants. L'entreprise dispose des compétences et de la volonté nécessaires pour réussir.

L'histoire de France Télécom montre sa capacité à surmonter les difficultés. En quinze ans, au terme d'un formidable parcours, les personnels de ce qui était encore une administration ont su transformer leur outil de travail en un opérateur compétitif, regroupant 250 000 personnes dans 35 pays, et exerçant tous les métiers des télécommunications. Peut-on douter, devant un tel résultat, de la capacité de l'Etat - et de ses personnels - à se réformer ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Notre performance future réside dans notre capacité à changer dès aujourd'hui. Tel est l'esprit qui guide le présent projet. Aujourd'hui, plus de sept ans après la transformation de France Télécom en société anonyme, il convient de procéder à une nouvelle évolution du statut de l'entreprise pour lui permettre de s'adapter aux futurs marchés européens. La directive européenne relative au service universel des télécommunications remet en cause l'attribution par la loi des missions de service universel à France Télécom, laquelle justifiait son appartenance au secteur public et la présence de fonctionnaires dans l'entreprise.

Je souhaite insister sur les trois points essentiels du texte qui vous est soumis : le service public, le statut des fonctionnaires, le capital de l'entreprise.

La continuité du service public est le premier principe retenu par le Gouvernement dans ce texte. La loi de 1996 qui désignait France Télécom comme opérateur chargé du service universel n'étant plus compatible avec la législation communautaire, il est désormais prévu que l'ensemble des missions de service universel seront assurées à la suite d'un appel à candidatures.

Ce service universel comprend la fourniture d'un service téléphonique de qualité à un prix abordable, une offre de tarifs sociaux, un service de renseignements et d'annuaire, l'accès à des cabines téléphoniques sur le domaine public. Son coût sera financé par les opérateurs de télécommunications qui abonderont un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations. Afin de favoriser le développement de l'accès à internet, la répartition s'effectuera désormais au prorata du chiffre d'affaires. La répartition au volume de trafic était devenue pénalisante pour les fournisseurs d'accès à internet par rapport aux autres opérateurs.

Je sais que certains d'entre vous se posent la question d'une éventuelle extension du périmètre du service universel à des services plus avancés que le simple téléphone classique. Je partage l'idée qu'il est nécessaire d'apporter ces nouveaux services au plus grand nombre des Français. Mais ce projet ne m'apparaît pas le meilleur vecteur d'une telle réforme, car la directive « service universel » ne permet pas d'étendre le champ du service universel.

Cette impossibilité juridique n'a pas empêché votre assemblée d'émettre des propositions qui ont généralement été suivies par le Gouvernement. C'est ainsi que s'agissant du haut débit, le collectif budgétaire en cours d'adoption contient une disposition qui permettra aux entreprises de déduire de leurs résultats imposables un amortissement exceptionnel en cas d'acquisition de terminaux pour l'accès à l'internet à haut débit par satellite. Concernant la téléphonie mobile, une convention a été signée le 15 juillet 2003 entre l'Etat, les trois opérateurs et les associations d'élus locaux pour couvrir dans une première phase 1 600 communes. L'Etat participera à ce programme par un financement de 44 millions d'euros. Cette convention a été rendue possible grâce à la proposition de loi discutée il y a un an au Sénat qui a créé les conditions économiques d'un tel programme. Les opérateurs ont ainsi accepté de se répartir les zones non rentables pour diminuer le coût total du projet concernant le haut débit. Enfin, je proposerai au cours du débat que la gratuité du service de localisation géographique des appels d'urgence soit applicable à l'ensemble des opérateurs de téléphonie fixe et pas seulement aux opérateurs chargés du service universel. Après une courte phase de concertation avec les industriels, cette disposition pourra être intégrée dans le projet de loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à transposer le « paquet télécom » par ordonnance.

L'évolution des conditions d'attributions du service universel rend nécessaire une adaptation du statut de France Télécom.

Une société cotée, à l'implantation mondiale, dans un environnement totalement concurrentiel, mais aussi une société qui emploie plus de 100 000 fonctionnaires, dont les derniers ne devraient partir que vers 2035 : telle est la situation tout à fait particulière de France Télécom. Elle appelle nécessairement une solution exceptionnelle.

Le principe que s'est fixé là encore le Gouvernement est celui de la continuité : les personnels resteront fonctionnaires de l'entreprise, les dispositions principales du statut de la fonction publique leur demeureront applicables. Mais certains d'entre eux peuvent par exemple souhaiter poursuivre leur carrière dans une administration. Nous avons voulu faciliter de tels projets professionnels, en rendant plus accessibles, pour ceux qui le souhaitent, les « passerelles » entre l'entreprise et les fonctions publiques. Le Sénat a adopté le dispositif proposé par le Gouvernement concernant l'intégration de ces fonctionnaires, sur la base du volontariat, dans leurs administrations d'accueil. Nous vous proposerons de modifier à la marge ce dispositif pour tenir compte du résultat d'expertises complémentaires.

J'en arrive au dernier objet de ce projet : lever l'obligation juridique d'une détention majoritaire du capital par l'Etat. Le fait d'avoir l'Etat pour actionnaire majoritaire n'est ni un atout, ni un handicap particulier pour France Télécom. En revanche, le fait de voir son capital figé par une obligation juridique peut devenir un handicap stratégique pour l'entreprise. N'oublions pas que l'obligation de détention majoritaire du capital par l'Etat a été l'une des causes de la crise traversée par France Télécom dans la mesure où elle a empêché l'opérateur de financer sa croissance autrement que par de la dette.

M. François Brottes - Cela reste à prouver !

M. le Ministre - L'approfondissement de la concurrence et les évolutions réglementaires, technologiques et stratégiques à venir dans le secteur européen des télécommunications impliquent que France Télécom soit placée dans un cadre juridique aussi proche que possible de celui de ses concurrents et puisse réagir rapidement. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite mettre fin à l'obligation de détention majoritaire publique du capital de France Télécom (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur de la commission des affaires économiques - Ce projet a deux objets principaux, qui concernent tous deux l'avenir de France Télécom, mais à une échéance différente. D'une part, il transpose la directive « service universel » et met en place une procédure concurrentielle d'attribution des missions de service universel. Normalement, cette transposition aurait déjà dû intervenir avant le 25 juillet 2003. Il y a donc urgence. D'autre part, il lève la contrainte de la détention majoritaire du capital par l'Etat. En ce domaine, il y a moins urgence qu'une situation pendante à régler : ce texte en fournit une excellente occasion.

La transposition de la directive ne pose pas de problème en soi, d'autant que la nouvelle procédure d'attribution ne devrait guère changer les choses quant au résultat, puisque France Télécom reste l'entreprise la mieux placée pour deux des trois composantes du service universel, à savoir la couverture en téléphonie fixe de tout le territoire et l'entretien du parc des cabines publiques. Quant à la troisième composante, à savoir l'annuaire universel et le service universel de renseignements, sa production est libéralisée depuis le décret du 1er août 2003 et le marché pourrait y pourvoir spontanément, si bien que je propose un amendement pour rendre son attribution facultative, après analyse du besoin.

Le véritable enjeu lié à la transposition de la directive tient à ce que France Télécom ne pourra plus être considérée comme une entreprise ayant pour « objet essentiel » de remplir des missions de service public, puisque ces missions ne lui seront plus dévolues en vertu de la loi, mais au terme d'une procédure d'attribution au résultat par principe aléatoire.

M. François Brottes - C'est contradictoire avec votre affirmation précédente.

M. le Rapporteur - La justification principale - donnée par l'avis du Conseil d'Etat du 18 novembre 1993 - du maintien d'une population de 106 000 fonctionnaires dans une entreprise au statut de société anonyme s'en trouve ainsi fragilisée. D'où l'importance du titre II du projet, qui vient consolider la situation juridique des fonctionnaires de France Télécom.

Cette consolidation passe par la reconnaissance par la loi des pouvoirs du président de France Télécom - pouvoirs qui font de lui un véritable chef d'administration. En premier lieu, un pouvoir de nomination et de gestion. Il partage ensuite avec le ministre chargé des télécommunications le pouvoir de prononcer les sanctions disciplinaires, ce dernier pouvant seul prononcer la mise à la retraite d'office et la révocation. Il peut déléguer son pouvoir de nomination et de gestion et en autoriser la subdélégation. Enfin, il peut instituer des indemnités spécifiques. Il exercera ces fonctions « durant une période transitoire, liée à la présence de fonctionnaires dans l'entreprise », c'est-à-dire jusqu'en 2035, année du départ en retraite du dernier fonctionnaire. En effet, la population des fonctionnaires est en constante diminution, puisque les recrutements sont interrompus de fait depuis le 1er janvier 1997, et en droit depuis le 1er janvier 2002.

Le titre III du projet lève l'obligation de détention majoritaire du capital par l'Etat et organise le transfert progressif de l'entreprise au secteur privé. Cette préparation juridique d'une privatisation ne revêtait aucun caractère d'urgence et ne sera pas forcément suivie dès la promulgation de la loi d'opérations de cession du capital. Il s'agit en fait de poursuivre le processus de redressement entamé par Thierry Breton. Après une période d'audit, celui-ci a lancé le programme des « trois fois 15 » - 15 milliards de refinancement, 15 milliards d'augmentation de capital, 15 milliards d'économies - qui a déjà permis à l'entreprise de ramener sa dette financière nette de 70 milliards d'euros durant l'été 2002 à moins de 50 milliards d'euros aujourd'hui.

Parallèlement, plus de 18 milliards d'euros de dotation pour dépréciation d'actif ont été passés sur l'exercice comptable 2002 afin de solder les opérations financières malheureuses du passé, au premier rang desquelles les prises de participation hasardeuses dans l'allemand Mobilcom et le britannique NTL.

Cette remise en ordre place maintenant l'entreprise en situation de poursuivre son redressement sur des bases assainies. La hausse de la valeur de l'action - passée de 8 € en septembre 2002 aux environs de 22 aujourd'hui - illustre d'ailleurs la confiance des marchés dans ce redressement.

La levée de la contrainte de la détention majoritaire du capital - qui avait obligé l'entreprise à payer ses acquisitions industrielles par un surplus d'endettement (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) - vient parachever ce processus.

Cette mesure n'était pas urgente, mais elle devait intervenir un jour ou l'autre et la résolution du problème juridique soulevé par l'entrée en vigueur de la directive « service universel » constitue une excellente occasion de la prendre. Grâce à la disparition de cette clause, toutes les hypothèques institutionnelles sur le développement de l'entreprise vont être levées et France Télécom ne devra plus désormais son destin qu'à sa capacité à exploiter ses marchés et à s'adapter rapidement aux évolutions de l'offre à l'échelle internationale. Rien n'exclut d'ailleurs, si rien ne l'annonce, que l'entreprise use de cette liberté nouvelle, car dans les opérations industrielles la discrétion est souvent un gage de réussite.

Mais une autre justification a pu intervenir : la nécessité, non urgente mais incontournable, de permettre à l'ERAP de vendre des parts du capital, afin de rembourser l'emprunt de 9 milliards d'euros contracté pour participer à l'augmentation de capital du 15 avril. La fraction du capital de France Télécom que détient l'ERAP en vertu de la loi du 31 mars 2003 - qui dispose que la participation de l'Etat peut être détenue indirectement - est en effet, avec les éventuelles plus-values issues d'une appréciation du titre, sa seule ressource pour financer ces remboursements. La levée de la contrainte d'une détention majoritaire du capital renforce donc la crédibilité de l'ERAP en tant que débiteur, et lui facilitera l'accès à des ressources de refinancement. C'est un aspect secondaire, mais concret, de la disparition de l'obstacle à une plus grande ouverture du capital de France Télécom.

En dehors des trois piliers qui font la matière des trois premiers titres, à savoir la transposition de la directive « service universel », la consolidation du statut des fonctionnaires, la suppression de l'obligation d'une détention majoritaire par l'Etat, le projet comporte des dispositions annexes. C'est d'abord la fixation d'une nouvelle clé de répartition pour la compensation du coût net du service universel. La question s'est posée du choix de la première année de mise en _uvre, car la rétroactivité risque de nuire aux entreprises et d'être condamnée par le Conseil constitutionnel, qui ne l'admet en matière fiscale qu'en cas d'intérêt général suffisant.

C'est ensuite la nécessité d'offrir aux services de sécurité un accès gratuit aux moyens de localiser les appels d'urgence, donc, au moins, aux annuaires téléphoniques inversés. Un rattachement aux obligations de service public serait incompatible avec le droit européen. Je vous proposerai donc un amendement qui atteint autrement le même but.

C'est en troisième lieu la consolidation du nouveau régime des sociétés de diffusion hertzienne terrestre, dans la foulée de la suppression du monopole de TDF. On s'est demandé si cette disposition n'était pas un cavalier législatif. Je ne pense pas néanmoins qu'il faille aller jusqu'à supprimer l'article 2bis, qui est un apport utile du Sénat.

C'est également l'idée d'une séparation comptable de la gestion du réseau et des activités de services au sein de France Télécom, pour assurer la transparence des coûts. Celle-ci est favorable au déploiement de la concurrence, mais aussi protectrice de France Télécom, là où le carcan tarifaire résultant de sa position de monopole pourrait l'entraver sur des segments de marché ouverts à la compétition. Dans ce domaine, n'oublions pas le travail de clarification déjà conduit sous le contrôle de l'ART, et l'affinement de la régulation, y compris tarifaire, que permettra la transposition du paquet télécoms.

Enfin la question de la revente en gros de l'abonnement a provoqué, à la suite des annonces faites le 18 novembre devant la commission par M. Breton et M. Mer, une réaction consensuelle pour supprimer l'article additionnel introduit au Sénat.

M. François Brottes - C'est vrai.

M. le Rapporteur - Nous avons ainsi voulu laisser se dérouler sereinement, à la faveur de l'accord symbolique entre France Télécom et Cégétel, sur une facturation pour compte de tiers, la procédure d'analyse prévue dans le paquet télécoms, que l'ART a déjà anticipée.

Nous reparlerons sans doute de ces points. Je rappelle toutefois que ce texte n'est pas un véhicule pour débattre des problèmes généraux des télécommunications...

M. Jean Dionis du Séjour - Quand même !

M. le Rapporteur - ...mais essentiellement le moyen d'adapter le cadre juridique de France Télécom à son environnement concurrentiel, et de consolider la situation du personnel fonctionnaire jusqu'à son départ en retraite.

La commission, dont le président Ollier a dirigé les travaux de manière consensuelle, a souhaité, à partir du projet initial et des apports du Sénat, parvenir à un texte équilibré. Il l'est parce qu'il permet le développement de France Télécom tout en confortant un redressement qui s'amorce et qui est à l'honneur de l'équipe dirigeante et du personnel. Il l'est parce qu'il desserre le carcan tarifaire, trop sclérosant dans un monde concurrentiel où France Télécom doit pouvoir jouer ses atouts. Il l'est enfin parce que les fonctionnaires voient leur situation clarifiée, et l'ensemble du personnel ses efforts récompensés et inscrits dans la durée.

Nous avons fait le choix du meilleur service de télécommunications pour nos concitoyens, celui de la cohésion sociale pour les usagers et les personnels, celui de la dynamique économique et du développement industriel pour France Télécom. Ce sont des choix délibérés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, aliéna 4, du Règlement.

M. Jacques Desallangre - Le Gouvernement mène depuis un an et demi une déconstruction méthodique de tout ce qui fait l'originalité de la France. Hier nos retraites, aujourd'hui nos services publics. Demain ce seront les piliers conceptuels de notre droit du travail et notre régime de sécurité sociale.

Or, Monsieur le ministre, cette originalité française que vous nous présentez comme un archaïsme, qui devrait être « modernisé » pour devenir « euro-compatible », loin d'être un handicap, est une chance pour notre nation et notre économie. En effet la force d'un peuple ne peut se réduire à la production de richesses économiques. Une nation, c'est aussi une histoire, des valeurs. Or, les services publics que vous souhaitez balayer hors de notre champ juridique font partie de notre construction sociale et des valeurs patiemment élaborées depuis un siècle.

Votre volonté de tordre le modèle français pour l'adapter au moule de la construction libérale européenne risque à terme de se heurter aux Français, et c'est pourquoi vous redoutez plus que tout de recourir au référendum pour ratifier la pseudo constitution européenne. Mais elle risque de se heurter aussi à notre Constitution, et plus précisément au préambule de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Son neuvième alinéa est des plus explicites : « ...Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Dans le cas présent, nous avons bien un service public national : le législateur, de 1990 à 2003, n'a cessé de le réaffirmer. Aujourd'hui encore vous inscrivez dans le titre de votre projet la notion de « service public des télécommunications », même si un titre moins hypocrite eût été : « Privatisation de France Télécom et abandon du service public ». Néanmoins cette reconnaissance officielle impose que l'exploitation de ce service public national reste la propriété de la collectivité, comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 16 janvier et 11 février 1982.

On pouvait donc espérer vous voir conforter le caractère public de France Télécom pour parfaire son redressement et lui permettre de relever les défis technologiques qui l'attendent. Or, vous persistez dans la voie du libéralisme le plus extrême, en proposant, à travers ce projet la privatisation totale de l'entreprise.

Peut-être s'agit-il, sous l'apparence d'une opération stratégique pour l'opérateur, d'une man_uvre de désengagement de l'Etat, désireux de brader le bien appartenant à la nation, pour boucler le budget d'un gouvernement qui multiplie pourtant les cadeaux aux plus riches. Mais vous risquez de vous faire censurer par le juge constitutionnel, comme en 1986. Déjà à cette époque la vision dogmatique de votre majorité vous avait conduits à une large vague de privatisations. Le Conseil constitutionnel avait alors émis des réserves d'interprétation sur votre dispositif d'évaluation du prix lors de la cession des actifs d'entreprises publiques au privé. La Constitution s'oppose à ce que des biens ou des entreprises publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur. Cette règle découle du principe d'égalité : elle se fonde sur les dispositions de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 relatives au droit de propriété et à sa protection, qui ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers, mais tout autant celle de l'Etat et des autres personnes publiques.

La question de posera donc au Gouvernement d'évaluer la juste valeur des actifs et donc des parts cédées au privé. Votre logique libérale vous conduira sans doute à retenir un prix proche du cours de bourse de l'action. Mais elle s'opposera à la logique juridique constitutionnelle : le Conseil a déjà rappelé en 1986 que l'évaluation de la valeur de l'entreprise doit être faite par des experts indépendants des acquéreurs éventuels. Or votre soumission à la « corbeille » contrevient par définition à ce principe, car ce sont précisément les acquéreurs éventuels qui déterminent la valeur de l'entreprise.

Par ailleurs, comment peut-on considérer que le cours d'une action reflète la valeur d'une entreprise ? Ce prix peut fluctuer de 80 % en moins d'un an. Il est économiquement absurde de prétendre que l'entreprise a perdu ou acquis 80 % de sa valeur sur cette période ! Ainsi le titre France Télécom a pu passer de 14 € à 24 € en un an...

Rien dans la loi n'indique que vous allez procéder à une évaluation objective de la valeur de l'entreprise. Au contraire tout laisse croire que vous vous en remettez au seul marché. C'est faire le choix délibéré de l'inconstitutionnalité, car la valeur d'une entreprise ne se réduit pas à sa capitalisation boursière.

La nation, grâce à l'impôt, a constitué un bel établissement, avec un réseau de qualité et un personnel qualifié. C'est la nation qui a consenti les investissements qui ont permis ce résultat. Et alors qu'aujourd'hui l'entreprise réalise d'importants bénéfices, il faudrait, pour des raisons purement idéologiques, que ce soient des actionnaires privés qui en recueillent les fruits ? La nation aurait pu utiliser ces bénéfices au profit d'un développement du service public et du projet industriel. Mais vous préférez écarter le triptyque citoyen-contribuable-usager au profit de cet autre : actionnaire-dividende-client...

Cette vente des bijoux de famille a des raisons budgétaires, mais aussi une portée idéologique : on veut banaliser le service public, en faire un produit de consommation comme un autre, soumis aux seules règles de la concurrence et du profit privé maximum. Il s'agit de réduire au minimum les obligations d'intérêt général pesant sur France Télécom, afin de mettre sur le marché une entreprise à nouveau attrayante pour des intérêts capitalistiques.

Nos constituants de 1946 avaient perçu ce péril de captation par des intérêts privés d'une entreprise ou d'un établissement chargé d'un intérêt général. Ils ont ainsi refusé de soumettre nos services publics au seul jeu du marché et aux impératifs financiers immédiats. Ils pressentaient que la logique du marché, qui vise le plus grand profit à court terme, est incompatible avec la logique de service public, qui induit la notion de déficit compensé.

Nous ne pouvons cautionner une telle man_uvre, qui mettra à mal le principe constitutionnel d'égalité. D'ailleurs, la mauvaise foi dont est empreint l'exposé des motifs est à elle seule inconstitutionnelle. N'est-ce pas de la malhonnêteté intellectuelle de prétendre que la crise traversée par France Télécom est imputable au fait que l'Etat détient la majorité de capital dans l'entreprise ? Soyons sérieux ! C'est justement parce que France Télécom avait un actionnaire sûr et stable, l'Etat, qu'elle a échappé à la folie spéculative !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Et les contribuables paient !

M. Jacques Desallangre - Parce qu'une dérive s'était déjà engagée, et que l'Etat a laissé M. Bon faire les acquisitions les plus folles !

M. le Président de la commission - C'était vous, l'Etat !

M. Jacques Desallangre - On a laissé France Télécom agir comme une société privée ! Je n'étais pas d'accord avec cette orientation, que j'ai condamnée. Les premières difficultés sont nées de l'acquisition de sociétés européennes et internationales à des prix exagérés, avec pour unique objectif la croissance externe, au mépris du danger que représentait la bulle boursière...

M. Jean-Paul Charié - Personne ne l'avait prévue !

M. Jacques Desallangre - Au lieu de s'attacher au développement industriel de l'entreprise, France Télécom anticipait malheureusement ce qui risque de se passer maintenant. De fait, c'est après l'ouverture de son capital que l'entreprise s'est développée à l'échelle internationale comme n'importe quelle entreprise capitaliste. Mais, loin de renforcer l'entreprise, cette stratégie d'expansion irraisonnée n'a fait que la fragiliser en l'endettant de 68 milliards, en provoquant des pertes de 20 milliards et des frais financiers de quelque 4 milliards.

Si l'entreprise offre encore aujourd'hui quelques gages de stabilité, c'est essentiellement parce que l'Etat est toujours présent dans son capital. Vous dites vouloir crédibiliser l'entreprise, mais votre préoccupation réelle est de la rendre plus présentable pour mieux la vendre.

Pour tenter d'éviter l'inconstitutionnalité, le début de l'exposé des motifs est d'ailleurs essentiellement consacré au recensement des prétendues raisons qui rendraient nécessaire l'évolution du statut de France Télécom, en autorisant une ouverture supplémentaire de son capital.

Vous n'avez reculé devant aucun moyen, depuis un peu plus d'un an, pour justifier la livraison de pans entiers du secteur public au secteur privé et, en particulier, pour discréditer France Télécom, allant jusqu'à utiliser la commission d'enquête sur la situation financière des entreprises publiques de notre assemblée pour appliquer le proverbe selon lequel « lorsque l'on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage ».

Je ne vois pour ma part dans les « raisons » invoquées, que des justifications dogmatiques sans réelle consistance. Les préoccupations de court terme qui consistent à la fois à tenter de doper les marchés financiers par la vente d'actions publiques et à conforter les finances de l'Etat l'ont donc emporté sur des considérations de plus long terme visant à assurer à France Télécom un développement assis sur un véritable projet industriel.

A cela s'ajoutent les pressions idéologiques qui exigent de l'Etat français qu'il se replie sur ses fonctions régaliennes entendues au sens le plus étroit. Mais vous redéfinissez le principe de subsidiarité de façon encore plus caricaturale que la Commission européenne ou l'OMC : selon vous, l'Etat doit se réduire à ce dont le marché ne peut s'occuper. Ces orientations poussent à abandonner au marché tous les services publics qui assuraient l'accès de tous aux biens dits publics et permettaient ainsi de corriger les inégalités sociales et territoriales.

L'Etat ne conserverait alors que le quasi monopole de la contrainte par la loi ou la force, et la charité pour les plus pauvres. Tout le reste serait, selon les v_ux de votre majorité, soumis au marché : les télécommunications, l'électricité, la Poste, la culture, la santé... (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous protestez ? On verra bien quelle sera l'évolution ! Prenons date !

L'objectif principal de ce projet est donc bien de rendre possible à tout moment la privatisation totale de France Télécom puisqu'aucune limite n'est fixée quant à la part qui resterait à l'Etat.

Pourtant, le maintien d'une participation majoritaire de l'Etat au capital permet la poursuite du redressement financier, et le développement de l'entreprise autour du concept d'opérateur global en relançant la recherche-développement et en renouant avec des partenariats. Le caractère public de l'entreprise n'a jamais empêché France Télécom de mener la stratégie qu'elle estimait judicieuse : n'a-t-elle pas procédé au rachat de la société Orange ?

Il est vrai que cette acquisition a eu pour conséquence de diluer la part de l'Etat. Ce fut donc une pré-privatisation faite sans autorisation législative et au moyen d'un montage financier destiné à éviter que la part de l'Etat ne passe sous le seuil des 50 %.

Pour nous, il est fondamental que l'Etat puisse, par sa présence majoritaire dans le capital, rester le garant de l'accomplissement des missions d'intérêt général dans le secteur stratégique des télécommunications : accès au droit à la communication pour tous, aménagement du territoire, recherche-innovation, sécurité, défense. Or, l'éventualité de conserver une minorité de blocage, que l'on évoquait encore dans les rangs de la majorité il y a quelque temps et qui aurait permis à l'Etat d'assurer un contrôle minimal, n'est même plus envisagée, au motif qu'elle serait susceptible d'entraver le futur développement de l'entreprise dans la compétition mondiale.

Pensez-vous réellement que la privatisation mette demain France Télécom à l'abri de crises financières plus qu'elle ne l'est aujourd'hui, alors que la logique de marché réduit la stratégie des groupes industriels à une perspective de court terme fondée sur la rentabilité immédiate ?

Nous voyons aujourd'hui se télescoper deux attentes contradictoires. Celle de l'entreprise elle-même, avec sa direction, ses salariés, son intelligence, sa culture, qui tend à développer un projet industriel à moyen et long terme pour assurer sa survie et son extension. Cette logique capitaliste-là, qui prévalait il y a vingt ans encore, présentait le mérite d'être fondée sur un projet et de susciter une réelle création de richesses. Aujourd'hui, le pouvoir est entre les mains d'un actionnariat plus volatile et toujours plus cupide de fonds de pension qui réclame une rentabilité financière toujours plus forte. Ce nouvel actionnariat se moque du projet industriel, il ne s'intéresse qu'aux cours de Bourse et aux dividendes et n'hésite pas à évincer les dirigeants qui se focalisent sur l'avenir de l'entreprise plutôt que sur la rentabilité immédiate du capital. Voilà pourquoi France Télécom sera contrainte à des opérations de croissance externe, sans relation avec un projet industriel. Déjà, par sa stratégie d'acquisitions internationales, France Télécom est devenue l'un des plus grands opérateurs mondiaux de télécommunications. Mais à cause de la carence de l'Etat, qui n'a pas toujours joué son rôle de contrôle, cette stratégie s'est traduite par un endettement record de 65 milliards et par une perte historique de 8,3 milliards pour l'exercice 2001. Cet endettement faramineux aurait très probablement conduit France Télécom à sa perte si l'Etat n'avait pas été son actionnaire majoritaire. L'entreprise aurait alors probablement été obligée de vendre ses activités les plus rentables pour récupérer de la trésorerie et elle aurait été dépecée comme l'ont été d'autres fleurons de l'industrie française, comme Alstom, à cause d'erreurs de gestion calamiteuses.

Voilà ce que la présence de l'Etat a évité. Cependant, les concurrents de France Télécom, frustrés de n'avoir pu la dépouiller, tentent par tous les moyens de le lui faire payer en multipliant les contentieux. L'entreprise est donc malheureusement conduite, pour se désendetter et rationaliser les coûts, à opérer des choix qui grèvent sa capacité de développement interne et la poussent à des coupes claires dans les investissements. La diminution de la part du budget de la recherche-développement consacrée à la recherche fondamentale est symptomatique. Alors que, dans les années 1980, 70 % de ce budget lui étaient consacrés, cette part est tombée à 15 % aujourd'hui, et l'on estime qu'elle n'atteindra plus que 7 % en 2005, tandis que le développement du service commercial ne cesse de s'accroître.

Une telle orientation est révélatrice de l'abandon de toute vision de long terme. De plus, on peut s'interroger sur les choix techniques et, par exemple, sur le peu d'intérêt pour la fibre optique qui semble pourtant constituer l'un des enjeux économiques de demain.

La logique libérale à l'_uvre ne répond pas aux besoins de notre société.

Dans le domaine des télécommunications, comme dans d'autres domaines hélas, nous assistons à un véritable gâchis financier. En témoigne la multiplication des réseaux concurrents d'opérateurs qui, aux dires même des libéraux, est une absurdité.

Ce projet, à l'opposé d'une démarche volontariste, s'inscrit dans une logique purement libérale qui conduit notre pays à renoncer à disposer, par le biais d'une politique industrielle, de la maîtrise publique de son secteur des télécommunications. C'est pourquoi de nombreuses dispositions du texte affaiblissent encore le rôle de l'Etat et annulent toute possibilité de contrôle sur les options choisies.

Ainsi, la disposition qui fait perdre à l'Etat le droit de contrôle et d'opposition à la vente par France Télécom de ses infrastructures de réseaux de télécommunications. De ce fait, rien n'empêchera France Télécom privatisée de vendre tout ou partie de ses réseaux aux collectivités territoriales les plus puissantes ou aux opérateurs privés, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer quant à la pérennité de notre service public de télécommunications, car le réseau est la substance du service. En privatisant le réseau sans vous assurer de sa pérennité, c'est le service public que vous hypothéquez !

Avec une telle politique libérale, seront remis en cause le droit à la communication pour tous et en tous points du territoire ainsi que l'égalité d'accès de tous les citoyens aux nouvelles techniques de communication. Désormais, les obligations de service public seront définies indépendamment des opérateurs. Le Gouvernement a fait le choix d'un service universel minimal, libérant ces opérateurs du souci de maintenir un service public répondant aux besoins du XXIe siècle. Une telle conception est totalement opposée à celle du service public à la française, à laquelle le Gouvernement se dit pourtant attaché.

Le service public des télécommunications, tel que le définit l'article 35 du code des télécommunications, comporte en effet un service universel, un service obligatoire et des missions d'intérêt général ; il est fondé sur les principes de continuité, d'égalité et d'adaptabilité. Cette conception nous convient : nous sommes pour l'égal accès de tous à ces services, quel que soit le revenu ; nous sommes pour la solidarité, gage de cohésion sociale et territoriale grâce à la péréquation tarifaire et à l'obligation de fournir le service sur l'ensemble du territoire ; nous sommes pour la maîtrise citoyenne, qui passe par des politiques publiques et par un contrôle démocratique.

Il est clair aussi que nos concitoyens sont attachés à un service public ainsi conçu. Mais tout cela n'est pas conciliable avec la logique de marché qui marque ce projet. Le service public ne peut se réduire à une prestation de biens et de services, il doit être aussi producteur de lien social et de citoyenneté, il doit viser à satisfaire l'intérêt général.

Si les enjeux économiques sont cruciaux, l'enjeu politique est également majeur : ce n'est rien de moins que l'instauration d'une société de l'information, et cela exigerait donc un vrai débat public. Or, en adoptant la notion européenne de service universel, au titre premier, vous ramenez le service public aux dimensions d'une peau de chagrin, d'autant qu'on peut douter de votre volonté d'enrichir cette notion en ajoutant la téléphonie mobile et l'internet à haut débit d'ici à 2005.

En effet, avec d'autres pays, la France avait officiellement demandé cet ajout, conforme au principe d'adaptabilité, mais pourquoi attendre le 24 juillet 2005 ? A quoi s'engage exactement le Gouvernement sur ce point, sachant qu'il propose de supprimer l'article du code des postes et télécommunications qui prévoit un rapport au Parlement pour faire évoluer la notion de service universel ? Alors que la directive laisse aux Etats la possibilité d'élargir le contenu de celui-ci, vous réduisez son périmètre au strict minimum : accès au téléphone fixe, aux appels d'urgence, à l'annuaire, aux services de renseignement et aux cabines téléphoniques, délaissant le haut débit.

Si l'objet des directives est certes d'ouvrir à la concurrence, vous les lisez à travers le prisme de l'ultralibéralisme et en faites une application zélée qui dépasse bien souvent les frontières de l'extrapolation !

Pourquoi ne pas donner plutôt l'exemple en organisant sur l'ensemble du territoire un réseau à haut débit, sous la responsabilité de France Télécom ? Si l'on veut éviter la fracture numérique, il faut donner à chacun accès aux moyens d'information et de connaissance.

Vous ne légiférez pas sous contrainte européenne, mais guidés par l'idéologie. Rien dans les textes européens ne vous impose cette vision étroite du service public ; rien ne vous y oblige à privatiser France Télécom, à violer les principes constitutionnels d'égalité de propriété ni à vous montrer plus dogmatiques que la très libérale Commission !

Nous entrons dans une ère où tout devient possible, surtout le pire, comme en Grande-Bretagne après la privatisation du réseau ferré, ou aux Etats-Unis avec la pénurie d'électricité et l'obsolescence des réseaux. Déjà, depuis 1996, l'entrée en vigueur de la loi de réglementation a produit dysfonctionnements et carences : inadaptation du dispositif destiné aux personnes en difficulté, oubli des handicapés, dégradation de la maintenance des cabines, allongement des délais d'intervention, et surtout, hausse de la facturation. En effet, si les pouvoirs publics contrôlent théoriquement les tarifs du service universel, les particuliers ont subi une forte hausse, tous services confondus : entre 1995 et 2003, les tarifs de mise en service ont augmenté de 89 % et l'abonnement du téléphone fixe de 86 %. La seconde prise et les dépannages, jusqu'alors gratuits, sont maintenant facturés 46 et 68 €, cependant que le moindre retard de paiement coûte 9,48 €.

Si des tarifs ont baissé, ce sont essentiellement ceux des communications « longue distance », sur les liaisons les plus utilisées, mais cette baisse s'est accompagnée d'un « rééquilibrage » au détriment de la grande masse des usagers. Les tarifs des communications locales ne se sont pas ressenti des gains de productivité, subissant une hausse relative d'autant plus marquée qu'elle s'accompagne d'une nouvelle tarification, inégale et peu transparente. Un article relève ainsi que Wanadoo s'apprête à offrir un abonnement ADSL à prix variable selon la localisation de la ligne et que la baisse des nouvelles offres, de 40 % dans les grandes villes, se réduira à 20 % dans le milieu rural, où le signal sera en outre trop affaibli pour permettre l'accès au réseau télévisé et à la téléphonie haut débit. Mais, ajoute l'auteur de cet article, il est vrai que France Télécom est soumise à une concurrence assassine de la part d'opérateurs qui lui dament le pion dans les zones à forte rentabilité, de sorte que de nombreux clients n'ont plus d'autre relation avec l'ex-opérateur public que l'abonnement de base à 13 €, abonnement qui est d'ailleurs voué à augmenter... Voilà où mène la concurrence sauvage !

Ce projet nous fait craindre d'autres dégradations dans la qualité du service - le fractionnement des composantes du service universel notamment.

Nous ne pouvons renoncer à exercer la compétence que nous confie le peuple sans méconnaître la Constitution. Nous devons donc veiller à ne pas laisser se dégrader la qualité du service rendu, et cela suppose que le Parlement contrôle cette qualité. Il serait dangereux de laisser fixer les conditions de fourniture du service universel et les obligations tarifaires en dehors de ce contrôle, par le biais d'une délégation excessive au pouvoir réglementaire ou à l'organe régulateur.

Parce que vous n'avez pour la France d'autre dessein que de la soumettre au diktat des marchés et de la Commission, quitte à réduire l'Etat à ses seules prérogatives régaliennes, votre projet va directement contre le bloc de constitutionnalité, seul barrage restant contre cette vision minimaliste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Président de la commission - On sentait dans votre propos la nostalgie d'une époque révolue (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) alors que nous cherchons, nous, à donner à l'entreprise France Télécom les moyens d'une efficacité et d'une compétitivité accrues. Cela étant, vous avez eu le mérite de défendre une vraie exception d'irrecevabilité, conforme à la définition de l'article 91, alinéa 4, de notre Règlement. Ce n'est pas si fréquent et cela vaut donc qu'on le salue.

Néanmoins, votre argumentation ne résiste pas à l'examen. Rien dans le projet ne dit que France Télécom va être totalement privatisée (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). N'agitez donc pas ce chiffon rouge !

Selon vous, la privatisation du service public national serait contraire au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert le caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». Que n'avez-vous les arrêts du 25 et du 26 juillet 1986, où le Conseil constitutionnel a clairement affirmé que ce principe ne concernait que les services nationaux dont la nécessité découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle ? Aux termes du considérant 53, la détermination des autres activités à ériger en services publics nationaux est laissée à l'appréciation du législateur ou de l'autorité réglementaire, selon les cas. Il s'ensuit que le fait qu'une activité ait été érigée en service public par le législateur sans que la Constitution l'ait exigé ne fait pas obstacle au transfert au secteur privé de cette activité ou de l'entreprise qui en est chargée !

Toute la question est donc de savoir si le caractère de service public des télécommunications découle de principes ou règles ayant valeur constitutionnelle, ou seulement de la loi - auquel cas ce service peut éventuellement être transféré au secteur privé. Or, la jurisprudence du Conseil n'établit pas une équation entre service public et entreprise publique : la notion de service public correspond essentiellement aux fonctions régaliennes de l'Etat.

On peut donc conclure que l'activité de France Télécom ne relève pas d'un service constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs reconnu dans sa décision du 23 juillet 1996, suite à un recours contre la loi de 1996 relative à l'entreprise, que l'abandon de la participation majoritaire de l'Etat ne pourrait résulter que d'une loi ultérieure. Nous sommes dans ce cadre. Ce service public n'est donc pas de ceux exigés par la Constitution et il peut - éventuellement - être transféré au secteur privé si la loi en ouvre la possibilité.

Je crois avoir démontré (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) que M. Desallangre est peut-être sincère, mais il n'a pas lu les arrêts du Conseil constitutionnel après 1982. C'est pour cela que je parlais de nostalgie, et que je vous demande de rejeter cette exception d'irrecevabilité.

M. Alain Gouriou - Le groupe socialiste votera cette motion. Nous expliquerons ensuite pourquoi nous sommes complètement opposés à ce projet, sur la forme et sur le fond. Le service public des télécommunications est tout à fait stratégique, il touche à la recherche et au développement social et culturel. Le privatiser comporte des risques que nous ne voulons pas encourir.

M. Jean Dionis du Séjour - Je ne suis pas un grand constitutionnaliste et j'ai donc écouté avec respect l'orateur et surtout le président de la commission. Ce que j'ai perçu chez M. Desallangre, c'est une vision manichéenne opposant les défenseurs du service public aux promoteurs du statut de société anonyme, à la fois craints et diabolisés. Pour l'UDF, les choses sont un peu plus complexes. Défense du service public et liberté de la concurrence peuvent aller de pair. C'est pourquoi nous voterons contre la motion.

M. Daniel Paul - Evidemment, nous soutenons cette motion. Deux conceptions s'affrontent, Monsieur Ollier. Vous faites le choix du tout libéral..

M. Pierre Cardo - L'Etat est encore présent.

M. Daniel Paul - ...même avec des précautions oratoires. Nous ne faisons pas le choix du tout collectif mais nous disons que dans notre société certaines activités doivent être complètement maîtrisées par l'Etat. On sait d'expérience à quoi conduit la privatisation d'entreprises publiques : à un dépeçage avant la mise à mort. Nous ne le voulons pas pour France Télécom.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. François Brottes - En pensant aux victimes des inondations, je veux d'abord rendre hommage à ceux qui, dans l'urgence et dans le risque, interviennent pour sauver des vies et pour limiter la détresse, et qui, au nom de la continuité du service public, sont en train de remettre en marche les réseaux d'énergie et de télécommunications.

M. Jean-Paul Charié - Très bien.

M. François Brottes - C'est la grandeur des entreprises publiques que de réagir, sans rechigner, et avec compétence et un grand sens du devoir, pour être à côté de ceux qui souffrent (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission - Nous ne pouvons qu'approuver.

M. François Brottes - Plusieurs de nos collègues qui devaient intervenir dans la discussion générale sont dans leur circonscription, en raison des périls qu'encourent les populations.

Ce jour est bien noir pour le service public. Le pacte républicain repose sur des valeurs communes ; le droit à l'emploi, le droit d'asile, le droit de grève ou le droit syndical en font partie, et ils sont remis en cause par ce gouvernement. Après avoir ébréché - tué, dit M. Monti - le pacte européen, vous entaillez sérieusement le pacte républicain en fragilisant, pour ensuite le brader, l'un des fleurons du service public, ce service public qui assure l'égalité des citoyens et la continuité du territoire, dont le marché n'a que faire.

Si certains ici considèrent que ce propos est ringard, archaïque - « nostalgique », disait M. Ollier -, je les renvoie à notre cadre constitutionnel, qui dit clairement que toute entreprise dont l'exploitation a le caractère d'un service public national doit demeurer la propriété de la collectivité. La sécurité du pays est aussi l'un des enjeux de la maîtrise du réseau de télécommunications. Lorsque le Gouvernement se désengage d'une entreprise publique qui répond à des besoins vitaux, c'est bien qu'il ne veut plus qu'elle assure sa mission de service public. Il a le droit de faire des choix politiques, pas celui de bafouer ainsi nos valeurs fondamentales.

Votre plan de bataille est conçu en six actes. Premier acte : la majorité crée une commission d'enquête pour affaiblir la crédibilité de la gestion des entreprises publiques. France Télécom n'a pas échappé à quelques errements spéculatifs, mais elle est loin d'être l'entreprise la plus endettée...

M. Jean-Paul Charié - C'est la plus endettée du monde !

M. François Brottes - Pas du tout. Elle l'est moins que Deutsche Telekom. Et la commission d'enquête a volontairement oublié de rappeler que, dans les dix dernières années, France Télécom a largement plus rapporté à l'Etat que ce qu'il lui a apporté dans la période récente.

Deuxième acte : on veut nous faire croire que l'Europe oblige à la mise en concurrence pour assurer le service universel, bref, qu'elle impose la privatisation. C'est faux, car la directive indique clairement qu'un Etat peut désigner « une ou plusieurs » entreprises afin de garantir la fourniture du service universel et que c'est seulement s'il en désigne plusieurs qu'il y a appel d'offres. Rien ne vous empêchait de laisser France Télécom assurer le service public comme elle le fait actuellement.

Au troisième acte, vous entreprenez de saborder les missions de service public par une application a minima de la directive sur les services universels. Vous réduisez son périmètre, les amendements du rapporteur amoindrissent la portée normative des garanties de mise en _uvre du service universel et réduisent à la portion congrue le fonds de compensation ; vous envisagez de dépecer le service universel par type de service ou portion de territoire.

Au quatrième acte, supportant mal la démocratie parlementaire, vous demandez un chèque en blanc pour passer, sans rendre de comptes, l'engagement de l'Etat à moins de 50 % du capital de l'entreprise. Vous venez même d'annoncer que vous finirez le travail par ordonnance. Mais jusqu'où ira ce désengagement de l'Etat ? Quelles seront ses conséquences pour les personnels et pour les citoyens ? Nous attendons vos explications.

Cinquième acte, vous faites dans la discrétion. Le projet de privatisation, annoncé l'été, est discuté au moment de Noël. Mais personne n'est dupe. C'est la première privatisation d'un grand service public avant EDF demain, la Poste, puis la SNCF, qui sait ?

Au sixième acte, en fin stratège, vous organisez le piège idéal. Pompier pyromane, vous allumez la mèche de la privatisation, et vous essayez de faire croire aux 106 000 agents qu'ils sont protégés et que, même dans une entreprise entièrement privée, ils pourraient conserver durablement leur statut de fonctionnaire. Vous essayez ainsi d'acheter la paix sociale, sans offrir de garantie juridique. La meilleure de ces garanties, c'est de rester dans une entreprise publique.

Telle est votre démarche de casse du service public ! Et je veux dire à mes collègues de la majorité d'aujourd'hui qu'il ne faudra pas qu'ils viennent se plaindre si le service n'est plus rendu ou accuser les fonctionnaires d'en être responsables ! S'ils sont au bout du choix politique qui leur est proposé, qu'ils en assument toutes les conséquences, notamment en milieu rural !

Le texte qui nous est soumis traduit - en dépit d'un intitulé des plus trompeurs - votre volonté de privatiser l'opérateur historique. Vous faites le choix d'un désengagement total de l'Etat, ce qui n'a rien à voir avec une simple ouverture du capital ! Il est déjà loin le temps - et croyez bien, Monsieur Ollier, que j'ai la nostalgie de ce temps-là - où le rapporteur de la loi Fillon de 1996 - aujourd'hui député de l'UMP - défendait la présence de l'Etat dans une entreprise, dès lors que l'exécution d'un service public était en jeu. Las, l'influence ultralibérale qui sévit au sein de la majorité emporte tout sur son passage, y compris les convictions gaullistes que l'on croyait les mieux trempées !

Votre texte fait peser de graves menaces sur l'avenir même de France Télécom. Or, il n'a fait l'objet d'aucune concertation digne de ce nom, ni avec les partenaires sociaux, ni avec les usagers.

C'est pour toutes ces raisons - et vous voyez qu'elles sont nombreuses ! - que je défends au nom du groupe socialiste cette question préalable.

Malgré le titre du projet de loi, tendant à reconnaître l'existence d'un service public des télécommunications, il n'échappe donc à personne que son objet réel est de privatiser France Télécom. Etrange choix politique en vérité que celui qui conduit à préférer la main invisible du marché à celle de l'Etat pour assurer un service de qualité aux usagers ! A moins que vous ne cherchiez en réalité qu'à tirer de cette privatisation de nouvelles recettes pour réduire les déficits publics.

La privatisation de France Télécom va forcément fragiliser le service public. Le titre premier du projet de loi est éclairant, puisqu'il consacre un service universel interstitiel, « saucissonné » et attribué au moins-disant. Vous inventez avec ce texte le service public peau de chagrin ! Le service universel est pourtant la composante fondamentale du service public des télécommunications. Dans le principe, il consiste en la fourniture à tous d'un service de téléphonie fixe, de qualité et à un prix abordable. Il inclut par ailleurs l'acheminement gratuit des appels d'urgence, la fourniture d'un service de renseignements, d'annuaires imprimés et électroniques et la desserte du territoire en cabines téléphoniques. Il prévoit aussi des conditions techniques et tarifaires adaptées pour les personnes handicapées et pour celles qui disposent des revenus les plus modestes.

Le gouvernement Jospin avait demandé officiellement l'intégration du mobile et de l'internet à haut débit dans le champ du service universel, lors de la négociation de la directive. Cette position, bien que ralliée par plusieurs de nos partenaires, n'a pas été retenue. La France a cependant obtenu que la portée du service universel soit revue avant juillet 2005 - c'est demain ! Il y a tout lieu de regretter qu'une fois de plus, la construction du droit des télécommunications se fasse à la seule aune de celui de la concurrence ! La concurrence ne trouve d'intérêt que là où la clientèle lui donne la possibilité de faire des bénéfices. Elle se contrefiche de tout le reste !

Au reste, le rapport Larcher le montre bien, lorsqu'il retrace toutes les difficultés rencontrées pour étendre le service universel au mobile. Toutes ces difficultés ne sont d'ailleurs liées qu'au souci de respecter le droit de la concurrence. L'opérateur historique pourrait les résoudre. Il serait prêt à l'accepter s'il n'y avait pas d'appel à la concurrence. Mais l'instauration d'un monopole de France Télécom pour le mobile dans les zones mal desservies est considérée comme inacceptable au motif que cette activité a toujours été ouverte à la concurrence, et, surtout, qu'il existe d'autres opérateurs de mobile qui ne sont pas prêts, et qu'il ne faudrait pas mettre en difficulté. Bref, ce sont les acteurs du secteur qui, en fonction de leur position sur le marché, décident de l'évolution du service universel et non les responsables politiques, pourtant chargés de l'intérêt général !

L'exemple du processus de développement de l'internet est tout aussi édifiant : France Télécom avait proposé des tarifs très compétitifs pour le raccordement des écoles à internet. L'ART les a refusés au motif que ces tarifs faussaient la concurrence !

M. Jean-Paul Charié - Très bien !

M. François Brottes - L'échec de la mise en _uvre de la boucle locale radio, par excès de zèle du régulateur, résulte également d'une gestion pénalisante de la concurrence. Tout opérateur peut être chargé de fournir le service universel et les services obligatoires. Contrairement à une idée répandue, la loi ne réserve pas à France Télécom la fourniture du service universel, elle lui fait simplement obligation de les fournir. Tout autre opérateur peut fournir le service universel, s'il en a la capacité pour l'ensemble du territoire national. Dans les faits, les opérateurs privés ne se sont pas bousculés pour rendre ce service, aucun d'entre eux n'étant capable de le faire, aujourd'hui comme sans doute demain ! Seul Kertel avait envisagé de prendre à sa charge les tarifs sociaux, mais il a finalement renoncé.

La procédure d'attribution du service universel est bouleversée par ce projet de loi. Certes le Gouvernement n'a pas - encore - choisi de fractionner territorialement le service universel - comme la directive l'y autorise - mais il le décompose en trois entités - service téléphonique, renseignements et annuaires, cabines téléphoniques, chacune pouvant être attribuée à un opérateur différent. La rédaction proposée étant par ailleurs ambiguë, on peut penser que chaque composante pourra elle-même être fractionnée ! Ainsi, il serait envisageable de confier le service de renseignements à un opérateur et l'annuaire à un autre. Cela revient à abandonner l'unité du service universel, et à renoncer au concept d'opérateur intégré et global sur lequel France Télécom s'est construite.

Il n'est plus fait obligation à France Télécom de fournir le service universel et c'est là un changement capital car, en pratique, tant que demeurera l'obligation de fournir le service universel sur tout le territoire, seule France Télécom sera en mesure de l'assumer. Il y a donc quelque incongruité à supprimer à l'obligation faite à l'opérateur historique de fournir le service universel pour mettre en place un système d'appels d'offres auquel lui seul pourra répondre ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! Soit cette disposition est irresponsable, soit elle annonce la volonté de démantèlement que nous redoutons. La majorité prétend que la procédure d'appel à candidatures est imposée par la directive mais j'ai déjà démontré qu'il n'en était rien !

Monsieur le ministre, vous avez du reste reconnu - au Sénat - et je vous en sais gré - qu'il s'agissait là d'un choix politique.

Il est inutile de recourir à cette procédure pour respecter les exigences de la directive. La législation actuelle pouvait y pourvoir, puisqu'en ces domaines, France Télécom ne dispose pas de droits exclusifs. Aucune entreprise n'étant a priori exclue, il n'y a aucun risque de discrimination. Par ailleurs, le cahier des charges des opérateurs est établi de manière transparente et objective, l'ART et la CSSPPT rendant à son sujet un avis public. Il n'y a donc pas d'incompatibilité entre la directive et le fait que la loi nationale désigne France Télécom comme l'opérateur du service universel.

J'affirme donc qu'en choisissant la procédure d'appel d'offres, qu'en ouvrant la possibilité de rendre la part de l'Etat minoritaire - ou inexistante - dans le capital de France Télécom, le Gouvernement prend la responsabilité de fragiliser le statut des fonctionnaires de l'entreprise. Tous les critères qui justifient le maintien du statut de l'entreprise nationale pour France Télécom vont tomber et de l'aveu du président de France Télécom lui-même, devant notre commission, ces choix mettant à mal la présence de fonctionnaires parmi son personnel.

Il s'agit en fait pour le Gouvernement de banaliser le service public et d'en faire un produit de consommation ordinaire, soumis aux seules règles de la concurrence.

Il s'agit aussi de réduire au minimum les obligations d'intérêt général pesant sur France Télécom, afin de mettre sur le marché une entreprise on ne peut plus attrayante pour des intérêts capitalistiques.

Les conditions d'application du titre premier consacré au service universel sont simplement renvoyées à un décret en Conseil d'Etat. C'est laisser une bien grande latitude au pouvoir réglementaire !

Aucune sanction n'est prévue en cas de non-respect des obligations ou en cas de mauvaise qualité du service rendu. Il est à craindre, qu'une fois le service universel banalisé, les pouvoirs publics se désengagent de leur mission de contrôle, laissant carte blanche aux opérateurs.

Il n'est même pas réaffirmé que les conditions de fourniture de ce service et les obligations tarifaires doivent être fixées de manière à permettre l'accès de toutes les catégories sociales et selon le principe de péréquation géographique. On se dirige tout droit vers des télécommunications de villes et des télécommunications des champs ! Même si l'avis de la CSSPPT est tout de même requis, les cahiers des charges qui fixaient habituellement ces conditions sont supprimés. Il n'y aura donc plus que les cahiers des charges des appels à candidatures. Est-ce suffisant ?

La présence minoritaire de l'Etat dans le capital de France Télécom, ne peut qu'altérer la qualité du service rendu à l'usager. En effet, comment concilier les obligations de service public et la logique capitalistique de futurs actionnaires majoritaires, le meilleur service de l'intérêt général et le dividende le plus élevé, le rendement à court terme et la pérennité du service par des efforts soutenus de maintenance, de recherche et de formation ? (« C'est inconciliable ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

L'inquiétude est grande pour le service public ! En outre, l'absence d'ambition du Gouvernement pour tous nos services publics envoie un très mauvais signal aux institutions européennes. Lors du Conseil européen de Barcelone, des 15 et 16 mars 2002, il avait été envisagé de « préciser, dans une proposition de directive-cadre, les principes relatifs aux services d'intérêt économique général qui sous-tendent l'article 16 du traité dans le respect des spécificités des différents secteurs concernés et compte tenu des dispositions de l'article 86 du traité ».

Dans ce cadre, le 21 mai 2003, la Commission européenne a publié le « livre vert sur les services d'intérêt général », que la délégation aux affaires européennes de l'Assemblée, sur le rapport de M. Christian Philip, député UMP, a qualifié « d'avancée significative », en rappelant que la construction européenne doit s'appuyer à la fois sur un marché dynamique et sur des services d'intérêt général efficaces pour parvenir aux objectifs définis par la « stratégie de Lisbonne » et pour réussir le prochain élargissement.

Comme l'article III-3 du projet de traité constitutionnel l'y invite, la Commission européenne devrait donc prendre, avant l'entrée en vigueur de ce traité, l'initiative d'une proposition de directive-cadre définissant les principes et les conditions permettant aux services d'intérêt économique général d'accomplir leurs missions.

Mais après un tel renoncement de votre part, comment la France pourra-t-elle défendre une vision généreuse du service public ?

On ne peut par contre que constater la cohérence de la position du Gouvernement avec celle du Medef (Protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP), lequel se déclare défavorable à l'élaboration d'une directive-cadre, craignant qu'elle ne constitue un frein au processus d'ouverture des services d'intérêt général à la concurrence, et qu'elle instaure la pérennisation des aides accordées à ces services !

Le choix délibéré d'affaiblir le service public est d'abord politique. Du reste, l'ancien commissaire au plan, M. Guaino, énonce que « le fonctionnement du service public n'est pas économique, il est politique et moral. Si l'Etat choisit d'exercer certaines activités, c'est parce qu'il a considéré moralement qu'elles devaient s'adresser au citoyen plutôt qu'au consommateur. Si on ne considère plus que l'Etat doit garantir les conditions d'exercice de la citoyenneté et si on limite son rôle au service minimum, alors la notion d'égalité et donc de citoyenneté n'existe plus ».

Monsieur le ministre, il ne faut pas voir le service public comme une contrainte mais en défendre une vision positive et dynamique !

Mme Clara Gaymard, responsable auprès de vous de l'Agence française pour les investissements internationaux, nous a brillamment exposé, en commission, que la qualité du fonctionnement et les performances de nos services publics étaient un élément fort d'attractivité du « territoire France » pour les investisseurs étrangers (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; murmures sur divers bancs).

Le service public est une valeur d'avenir, porteuse de lien social, de développement économique et de création d'emplois. Son recul dans un contexte de crise est un contresens historique !

Il nous faut également nous opposer à votre projet parce que la participation majoritaire de l'Etat au capital de France Télécom, loin de constituer un frein a au contraire permis de rétablir la confiance, après l'éclatement de la bulle spéculative sur les nouvelles technologies.

Il est inutile d'arguer des textes européens pour justifier une décision purement dogmatique. Ce n'est pas servir l'Europe que de la rendre responsable du recul des services publics en France. L'autre justification que vous avancez est celle de l'endettement. Lors de la constitution d'une commission d'enquête relative à la situation financière des entreprises publiques, la majorité parlementaire avait déjà utilisé cet argument fallacieux pour mettre en cause la stratégie industrielle globale des entreprises publiques, dans le but de promouvoir leur privatisation.

Mais les auditions ont permis de rétablir la vérité des faits : sans la stratégie industrielle ambitieuse de croissance externe menée au cours des dernières années, la plupart des entreprises auditionnées accuseraient aujourd'hui un retard technologique et auraient une offre de services et une présence sur les marchés en totale inadéquation avec les nouvelles formes de concurrence.

M. Jean Dionis du Séjour - Ce n'était pas une raison pour emprunter à ce point !

M. François Brottes - Nous ne refusons pas totalement la concurrence, mais nous voulons l'encadrer, car comme l'a dit Proudhon, « la concurrence est juste dans son principe, mais ce sont ses conséquences qui sont injustes ».

M. Jean Dionis du Séjour - Il a dit aussi : « La propriété, c'est le vol ».

M. François Brottes - Même dans un contexte concurrentiel, il est nécessaire qu'un certain nombre d'entreprises conservent une part décisive de capital public. Celle-ci les protège des prédateurs extérieurs et permet à l'Etat de faire valoir un certain nombre d'objectifs, comme les missions de service public. De plus, elle empêche les ententes illicites propres à ce genre d'oligopole, ententes qui finissent en général par pénaliser les consommateurs.

France Télécom est une très belle entreprise publique, à la pointe de l'innovation technologique - issue, cela dit en passant, de la recherche publique - et elle est à l'origine de plusieurs projets industriels de très grande envergure - je pense notamment au site de Crolles II, inauguré il y a peu par le Président de la République et qui n'aurait pu voir le jour sans la complicité du CEA Leti et de France Télécom.

France Télécom peut compter sur le savoir-faire, l'éthique et le sens du service public de ses personnels. Le niveau d'excellence qu'elle a atteint dans la téléphonie fixe et mobile, mais aussi le haut débit, lui permettent d'enregistrer un forte croissance. Son rayonnement international, enfin, en fait un opérateur de télécommunications à part entière, alors qu'une stratégie de repli l'aurait réduite au rôle de sous-traitant de transport de télécommunications.

Mais sa transformation en acteur majeur des télécoms en Europe ne s'est pas faite au détriment du personnel, l'Etat actionnaire ayant toujours veillé à ce que l'expansion du groupe n'entraîne pas de licenciement. Il en est allé différemment chez d'autres opérateurs. France Télécom a assumé seule tous les risques du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans notre pays. Les efforts de recherche et développement ont été importants et les sauts technologiques tels qu'ils pourraient nous faire oublier les deux sortes de Français définies par Audiard « Il y a les Français qui attendent le téléphone et ceux qui attendent la tonalité ». Ce faisant, France Télécom s'est conformée à son rôle d'opérateur de service public et n'a fait qu'appliquer le principe d'adaptabilité du service public.

Alors, certes, la bulle spéculative a fait tourner la tête à tous les opérateurs, mais fallait-il attendre que la raison revienne pour prendre position sur les nouveaux marchés ? D'ailleurs, Vivendi ou Deutsche Telekom sont encore plus endettés que France Télécom, n'en déplaise aux détracteurs patentés de notre opérateur historique... N'oublions pas non plus l'inconséquence de la Commission européenne, qui a laissé tous les Etats se lancer dans une surenchère pour vendre les licences UMTS le plus cher possible, afin d'engranger ainsi des recettes exceptionnelles. Seule la France a fait preuve de sang-froid en dépit des pressions de plusieurs députés de droite, dont certains sont d'ailleurs devenus ministres... Tous ces pompiers-pyromanes n'ont pas été identifiés par la commission d'enquête, mais chacun sait pourquoi...

Bien sûr, on n'aurait peut-être pas dû libérer France Télécom de l'obligation de soumettre toute acquisition à l'étranger à l'accord préalable de l'Etat - mais n'est-ce pas un ancien Premier ministre, proche de la majorité actuelle, qui a coupé ce lien ?

Mais, il est vain de réécrire l'histoire. Reste que, dans la durée, France Télécom a déjà plus rapporté à l'Etat que ce qui est demandé à ce dernier pour conforter le plan préconisé par Thierry Breton. Si celui-ci a engrangé des premiers résultats et rétabli la confiance en l'opérateur, c'est aussi grâce à la présence de l'Etat qui a apporté sa garantie au plan.

Toutefois, ce plan continue de nous inquiéter, car il ne comporte que peu d'informations sur le volet social et rien sur les éventuelles incidences sociales des réorganisations prévues. Le Gouvernement a bien annoncé la création d'une mission « mobilité », qui a pour objet d'organiser le passage de fonctionnaires de l'opérateur dans d'autres fonctions publiques mais on peut douter de ses résultats, étant donné la volonté du Gouvernement de réduire les effectifs de la fonction publique.

Les syndicats redoutent que les 15 milliards d'économies à réaliser sur trois ans se fassent en utilisant l'emploi comme variable d'ajustement. Pourtant les salariés de France Télécom, notamment les fonctionnaires, n'ont jamais constitué un frein au développement de l'opérateur historique.

Enfin, il nous faut nous opposer à ce texte, parce que, pour la première fois depuis la Libération, est engagée une réforme importante du service public sans aucune concertation préalable, ni avec les partenaires sociaux, ni avec les représentants des usagers.

En guise de concertation, les partenaires sociaux ont eu droit à des séances d'information, faites par la direction de France Télécom, sur le contenu du projet de loi, mais pas à la moindre réunion préalable avec vous, Monsieur le ministre.

Il ne suffit pas de dire du bien du dialogue social, il faut le faire vivre en respectant l'ensemble des partenaires ! Cette absence de concertation est d'autant plus regrettable que le projet de loi suscite de réelles interrogations sur l'avenir du personnel de France Télécom. Quel sort pour les fonctionnaires d'une entreprise où la participation de l'Etat au capital est minoritaire ? Dans une entreprise qui peut, demain, ne plus avoir à assurer le service universel ?

Les usagers auraient mérité également d'être consultés, puisque l'histoire montre qu'ouverture à la concurrence et privatisation se traduisent rarement par des baisses de prix pour les consommateurs.

M. Jean-Paul Charié - Voyez ce qui se passe depuis 1996 !

M. François Brottes - En conclusion, faudra-t-il attendre la disparition de l'opérateur public pour que vous reconnaissiez sa grandeur, à l'instar d'Henri III qui déclarait après l'assassinat du duc de Guise « Mon Dieu, qu'il est grand ! Il paraît encore plus grand mort que vivant ».

C'est parce que nous souhaitons que le service public se développe encore et que tous les Français bénéficient de sa puissance d'innovation que nous voulons que France Télécom continue à prospérer comme une entreprise publique dont nous avons raison d'être fiers. C'est la raison pour laquelle je vous invite à adopter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - Nous sommes tout de même tous d'accord, Monsieur Brottes, pour dire que France Télécom est très endettée. Je ne sais pas si 70 milliards d'euros vous donnent un sentiment de légèreté, mais à moi, non ! Et même si cette dette a été ramenée en dessous de 50 milliards, la situation reste difficile, personne ne peut le nier. C'est l'obligation de payer ses acquisitions en liquide, à un moment où France Télécom suivait une stratégie de développement, qui est à l'origine de cet endettement dramatique.

M. Jacques Desallangre - Elle les a payées dix fois leur valeur !

M. le Ministre - Mais à ce moment-là, tout le monde montait en valeur et payait ses acquisitions dix fois trop cher. Mais justement, on n'échangeait que du papier. La seule entreprise qui était obligée de payer en espèces sonnantes et trébuchantes, c'était France Télécom. Moi qui voyais cela de l'extérieur, j'en étais ébahi ! Il était bien sûr tout à fait normal que l'entreprise veuille jouer le même jeu que ses concurrents, mais elle le faisait avec un bras attaché derrière le dos, puisqu'il lui était interdit de payer en monnaie de singe, c'est-à-dire en actions !

Croyez-moi, si toutes les entreprises avaient été obligées de payer cash, la bulle spéculatrice n'aurait jamais enflé ainsi ! Et je crois savoir un peu de quoi je parle...

M. Jacques Desallangre - Pour la sidérurgie, c'est l'Etat qui a payé !

M. le Ministre - Vous vous inquiétez pour le service universel. Les directives communautaires imposent qu'il soit attribué par appel à candidatures. Personnellement, cela ne m'empêche pas de dormir...

M. Jacques Desallangre - Vous faites même de beaux rêves !

M. le Ministre - ...car j'y vois plutôt un gage de transparence et de qualité.

Vous dites que le service universel est dépecé. Ce n'est pas sérieux, puisque le projet prévoit au contraire que toutes ses composantes seront affectées à l'échelon national, sans discrimination aucune.

Vous nous interrogez sur nos intentions. Mais je vous le dis clairement : nous ne sommes pas en train de privatiser en catimini !

MM. Jacques Desallangre et Daniel Paul - Non, non ! Ouvertement !

M. le Ministre - Nous faisons simplement en sorte que France Télécom ne soit pas obligée, si une opportunité conforme à son projet stratégique se présentait, de passer devant vous pour demander l'autorisation de faire passer la part de l'Etat en dessous de 50 %. Je vous le dis clairement, comme je l'ai dit au Sénat : il n'y a aujourd'hui - même si vous ne le croyez pas - aucune arrière-pensée.

Nous créons les conditions qui permettront à l'avenir à France Télécom de faire - avec l'autorisation préalable de son actionnaire - ce qu'elle croira devoir faire en matière d'acquisitions ou de fusions conduisant éventuellement à tomber en dessous des 50 %. Mais je ne vous dis pas que demain matin l'Etat va vendre l'essentiel de ses actions !

Vous affirmez que la concertation n'a pas été brillante. Pourtant tous les syndicats ont été reçus, sinon par moi, du moins par mes collaborateurs, qui sont tout à fait capables de dialoguer en mon nom. La concertation a donc bien eu lieu. Je n'ai du reste pas le sentiment que les fonctionnaires de France Télécom se plaignent de ce qui est proposé.

Vous évoquez alors un calcul machiavélique, consistant à acheter le silence des fonctionnaires en leur offrant la continuité du service, pour mieux privatiser. Un tel argument n'est pas correct. Nous avons voulu faire que les fonctionnaires puissent rester dans l'entreprise sans changer de statut, mais aussi, s'ils le veulent, revenir à leur corps d'origine, dans des conditions bien définies. Que pouvait-on faire de plus ? Le maintien du statut, et pour certains cela durera trente-cinq ans ; et le retour au bercail s'ils le veulent. Je ne vois pas ce qu'on peut demander de plus. J'espère en outre que la plupart de ces fonctionnaires, passionnés par leur travail dans une entreprise ambitieuse et qui réussit, n'auront aucune envie de réintégrer leur corps d'origine.

Quant au service public, j'ai passé quelques années au conseil d'EDF, et c'est l'expression que j'y ai le plus souvent entendue. Chaque fois je précisais que le service public, c'est le service du public. Il n'y a, c'est une conviction, aucune incompatibilité entre le service public et une entreprise compétitive et performante. Dès lors que cette entreprise, fût-elle privée, prend en charge des obligations de service public clairement définies par contrat, il n'y a pas de contradiction. Dans le cas de France Télécom, je n'ai pas le sentiment que le service public qu'elle assume soit mis en danger par l'évolution future de sa dimension capitalistique et géographique.

M. Daniel Paul - C'est un avis personnel.

M. le Ministre - Non, c'est une conviction.

Soyons lucides : nous avons une très belle entreprise. Nous voulons maintenir la qualité du service public. Je dis que la meilleure formule pour cela, c'est de le faire rendre par une entreprise très performante. Dès lors l'évolution que nous proposons pour France Télécom rendra tout à fait possible un service au public de plus en plus impeccable.

C'est ainsi que je vois l'évolution de France Télécom : elle démontrera à la fois qu'elle assume le service public au moins aussi bien qu'avant, et que cela ne l'empêche pas de devenir une grande entreprise internationale. Une entreprise publique est une entreprise avant d'être publique. Et le service public peut être assuré par n'importe quelle entreprise, dès lors qu'elle est bien gérée et que ses relations avec l'Etat, concernant les obligations de service public, sont bien définies (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Paul Charié - Merci, Monsieur le ministre, d'avoir rappelé, en réponse à M. Brottes, les trois points que je voulais aborder : la qualité de France Télécom, le maintien du service public, et l'ouverture à ce que notre collègue appelle la privatisation, et que j'appelle l'économie de marché (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Merci tout d'abord d'avoir salué cette merveilleuse entreprise de 250 000 salariés, dont 106 000 fonctionnaires, qui sert 114 millions de clients sur cinq continents et dans deux cent vingt pays. Merci d'avoir rappelé que France Télécom, tout en restant l'une des entreprises les plus endettées au monde, a réussi à réduire son endettement de 20 milliards, tout en développant ses compétences, la recherche, et l'investissement dans l'UMTS. Merci d'avoir rappelé aussi tout l'enjeu de l'économie numérique au profit des entreprises, donc des consommateurs et des travailleurs.

Tout comme vous, Monsieur Brottes, nous sommes très attachés au service public, au fait que la fourniture en téléphone fixe soit assurée à tous les usagers sur tout le territoire. Comme vous, nous sommes attachés aux tarifs sociaux, aux services de renseignements, à tout ce qui fait le service public et le service universel. Ce n'est pas ringard d'être fier de la qualité du service public développé en France, à la manière française. Ce qui l'est, c'est de ne pas voir que le monde change. Ce n'est pas ringard de vouloir un service public correct pour chaque Français : c'est de ne pas comprendre qu'autour de nous il se passe des choses, et que si l'on ne donne pas à cette entreprise publique les moyens financiers de réagir, ce sera au détriment du service public.

Quant à l'économie de marché, Messieurs les socialistes, ne continuez pas à nous faire croire que ce sont les pays étatisés, hyperadministrés qui apportent le plus de bien-être à leur population.

MM. Alain Gouriou et François Brottes - Caricature !

M. Jean-Paul Charié - C'est l'économie de marché, réglementée, qui offre la meilleure société de progrès pour l'homme.

M. Jacques Desallangre - Ce n'est pas dans les pays ultra-libéraux qu'on vit le mieux !

M. Jean-Paul Charié - Pour ces raisons, et en saluant la qualité du travail du rapporteur et des débats de la commission, nous voterons contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Paul - Ce qui vient d'être dit est lumineux. Il y a bien deux logiques. La droite aujourd'hui ne se cache plus : elle affiche clairement ses intentions. Je suis admiratif. Mais également inquiet... Vous parlez de politique industrielle : il s'agit en réalité de politique financière. Vous identifiez service public et service au public : c'est une évolution inquiétante. Considérez le secteur de l'eau. Dans ma ville, malgré les changements de municipalité, l'eau est restée sous la responsabilité de la commune.

M. Alain Joyandet - Ils ont bien raison.

M. Daniel Paul - Quand je compare les prix à ceux de communes de même importance où prévaut un autre système, je vois bien la différence. C'est cela que je refuse ici. Je n'ai évidemment rien contre le fait qu'une entreprise fasse des bénéfices : ce qui m'intéresse, c'est ce qu'on fait de ces bénéfices ! Et je suis opposé à ce que, pour faire des bénéfices, on sacrifie les objectifs du service public. Or c'est ce qui risque d'arriver, si l'on considère les objectifs du service universel tels qu'ils nous sont présentés. Il y a sacrifice du service à la population au profit d'actionnaires. Nous voterons évidemment la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Alain Gouriou - Nous la voterons également, bien sûr. Ne revenez pas trop loin en arrière, Monsieur Charié, en nous parlant des pays étatisés et suradministrés : nous ne les avons jamais défendus. Et les orateurs précédents n'ont jamais mis en cause la qualité de France Télécom. Son endettement est considérable, c'est vrai, Monsieur le ministre. Mais vous en connaissez les causes. France Télécom était-elle le seul opérateur européen endetté il y a trois ans, au plus fort de la crise ? Pas du tout. Deutsche Telekom l'était au moins autant ; Telefonica, British Télécom l'étaient. Tous ont été victimes du même piège, celui de la bulle internet, et de l'achat des licences UMTS, dont tous les opérateurs ont été victimes sans exception. L'achat de ces licences en Grande-Bretagne ou en Allemagne représente presque le tiers de l'endettement de France Télécom. Et je me souviens que certains députés de droite reprochaient au gouvernement d'alors de ne pas les vendre assez cher... Le marché, Monsieur le ministre, ne peut se réduire au système de Law.

S'agissant de la directive, nous sommes en complet désaccord avec votre interrogation. Quant à la privatisation de France Télécom, sera-t-elle définitive ? On a assisté à des retournements de situation saisissants, et l'on a même connu un certain Gouvernement qui s'apprêtait sans états d'âme à vendre Thomson pour un franc...

M. François Brottes - Merci, la gauche, d'avoir été là !

M. Alain Gouriou - Enfin, les syndicats se sont plaints de l'absence totale de concertation avant l'élaboration de ce projet. Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous associer à notre collègue Brottes, et voter la question préalable.

M. Jean Dionis du Séjour - Je n'ai pas, dans la défense qu'il a faite de la question préalable, reconnu notre collègue François Brottes, habituellement ouvert au débat et à la modernité. Oublié, Jospin, le grand privatiseur ! Réécrite, l'histoire de l'acquisition d'Orange ! Mais j'ai l'espoir que ce manichéisme reculera au cours du débat.

M. François Brottes - Caricature !

M. Jean Dionis du Séjour - Rien, dans ce que j'ai entendu, ne traduit une vision d'avenir pour France Télécom dans le cadre européen. Comment l'entreprise pourrait-elle se développer avec un actionnariat d'Etat bloqué à 50 % ? J'espère que nos collègues socialistes retrouveront leur boussole européenne...

M. François Brottes - Vous ne m'avez pas écouté !

M. Jean Dionis du Séjour - Le texte du Gouvernement est une bonne base de travail et le groupe UDF votera contre la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean Dionis du Séjour - Alors que nous délibérons sur les obligations de service public des télécommunications et sur France Télécom, qu'il me soit permis, au nom du groupe UDF, de saluer le travail de redressement mené par les femmes et les hommes de France Télécom et en premier lieu par son équipe dirigeante, conduite par Thierry Breton. Rappelons-nous : en juillet 2002, France Télécom était dans une impasse financière qui pouvait devenir mortelle, avec une action au plus bas, et une dette de 70 milliards. Le chemin parcouru est impressionnant.

C'est ainsi qu'a été lancé un très important programme d'économies, que la dette du groupe est refinancée à hauteur de 15 milliards et qu'une augmentation de capital de 15 milliards a eu lieu avec une participation de l'Etat de 9 milliards. A cela s'ajoutent l'intégration d'Orange dans France Télécom et le lancement d'un plan internet haut débit.

Aujourd'hui, France Télécom va mieux : elle a perdu du ventre mais gagné du muscle avec de brillants résultats opérationnels, surtout en téléphonie mobile...

Ce redressement spectaculaire est aussi un succès personnel pour vous, Monsieur le ministre, et pour le Gouvernement, car la justesse du soutien apporté à France Télécom a été un élément décisif du redressement de cette entreprise. Au nom des députés UDF, je tenais à vous en féliciter.

M. François Brottes - Le groupe UDF rentre dans le rang !

M. Jean Dionis du Séjour - Pas si vite !

Ce soir, nous devrons éviter plusieurs écueils. La première tentation serait de considérer que France Télécom est définitivement sortie d'affaire. Avec 50 milliards de dettes, France Télécom reste l'une des entreprises les plus endettées au monde et ne doit donc pas s'endormir sur ses lauriers. Notre responsabilité de législateurs est de lui permettre de se placer en position de leader européen dans les années à venir.

L'autre écueil serait de n'avoir d'yeux que pour France Télécom et, ce faisant, d'oublier les autres acteurs de ce secteur stratégique pour le développement national.

Or, le groupe France Télécom domine encore largement la plupart des marchés de détail du service téléphonique et de l'accès à internet à haut débit, si bien que tout ce que nous ferons ce soir concernant son statut aura un impact direct sur les autres acteurs du secteur des télécommunications. Nous avons donc le devoir impérieux de légiférer de manière équilibrée, qu'il s'agisse de la revente de l'abonnement fixe, de l'assouplissement du contrôle tarifaire, de la séparation comptable et managériale des activités réseaux et services, ou de la refonte du service universel.

S'agissant du statut de France Télécom, le projet affiche trois objectifs que le groupe UDF approuve. Il s'agit en premier lieu de transposer en droit interne la directive relative au service universel en matière de télécommunications, qui exige l'attribution par appel d'offre alors que la loi française l'affecte automatiquement à France Télécom.

Le groupe UDF est favorable à l'ouverture à la concurrence en ce qui concerne les prestations de service universel. Cependant, pas moins de trois projets traitent actuellement de ses différents volets : réforme de son financement, contenu et modalités d'attribution. Voilà qui ne me paraît pas favorable à une transposition cohérente. C'est pourquoi le groupe UDF s'attachera, par le biais d'amendements, à rendre plus cohérent ce qui est parfois confus.

Le deuxième objectif consiste à abroger l'obligation d'une participation majoritaire de l'Etat dans le capital de France Télécom. Le groupe UDF y est favorable, car cette obligation était idéologique et archaïque. En empêchant l'achat d'Orange par échange d'actions et en imposant à France Télécom de financer cette acquisition stratégique par emprunt dans les plus mauvaises conditions, elle a eu des conséquences désastreuses sur l'endettement de l'entreprise.

La levée de cette contrainte permettra à la nouvelle équipe dirigeante de mener une politique d'alliance européenne, offensive et raisonnable.

Le troisième objectif est l'adaptation du statut des fonctionnaires de France Télécom au nouveau statut de l'entreprise. L'histoire de l'entreprise qu'il faut absolument respecter, aboutit à la situation très particulière d'un groupe de 240 000 personnes dont 100 000 fonctionnaires. Le projet tient les engagements pris par l'Etat. Le groupe UDF, très attaché au maintien du statut des fonctionnaires de France Télécom y est donc favorable.

Le texte prévoit la normalisation des instances représentatives du personnel. Ce point, très sensible, fera l'objet de débats importants, au cours desquels le groupe UDF soutiendra le retour de France Télécom dans le droit général des entreprises privées.

L'avant-projet de loi prévoyait que la nomination du président du conseil d'administration de France Télécom soit soumis à l'agrément du Premier ministre aussi longtemps que l'entreprise emploiera des fonctionnaires, c'est-à-dire jusqu'en 2035. L'UDF se réjouit que cette disposition ait été supprimée car elle introduisait un risque réel de confusion dans la gestion de l'entreprise.

Si le texte va dans le bon sens, il doit cependant être amélioré ce à quoi le groupe UDF s'emploiera. Ainsi, j'ai déposé avec mon collègue Jean-Paul Charié un amendement proposant la séparation comptable et de direction entre l'activité de mise à disposition du réseau pour d'autres opérateurs et l'activité propre d'opérateur des services. Il faut, comme c'est le cas pour les autres secteurs qui passent d'une situation de monopole historique à une ouverture à la concurrence, séparer les activités de gestion du réseau des activités de services à la clientèle. C'est le cas dans le domaine ferroviaire et dans celui de l'énergie. C'est en m'inspirant de ce dernier cas et de la récente loi relative aux marchés du gaz et de l'électricité que je vous propose de retenir le même dispositif pour France Télécom.

J'entends bien les interrogations, voire les critiques de certains collègues. Mais je reste persuadé de la pertinence et de la faisabilité d'une telle architecture. Et cette disposition est d'autant plus nécessaire que nous allons débattre de l'assouplissement du cadre tarifaire imposé par l'ART à France Télécom, disposition qui redonnera à l'entreprise toute sa liberté de compétiteur.

Il faut donc garantir les droits de la concurrence en veillant à ce que les ventes à perte et les prix prédateurs n'aient plus cours : c'est tout le sens de la séparation entre activité comptable et activité managériale que propose le groupe UDF, dans un souci d'équilibre et de transparence du marché.

Enfin, la question des personnels reclassés est loin de constituer un détail. L'honneur de l'Etat est d'une certaine façon engagé. En effet, ces personnels, qui ont choisi après 1990 de rester dans leurs grades d'origine, sont depuis douze ans maintenus dans un « placard » et voient leur carrière bloquée. Il serait inadmissible de laisser ces 5 000 fonctionnaires d'Etat dans l'impasse parce qu'aucun gouvernement n'aurait assumé ses responsabilités à leur égard. L'Assemblée s'honorerait donc en votant un amendement qui aligne leur régime sur celui des ingénieurs et administrateurs des télécommunications.

Il y a urgence à définir le cadre législatif dont France Télécom a besoin, mais cette entreprise ne saurait se borner au présent projet : elle exige aussi l'ordonnance « télécommunications » et le projet de loi sur l'économie numérique. Je vous demande donc, Monsieur le ministre, de veiller au respect du calendrier parlementaire, particulièrement en ce qui concerne la discussion de ce dernier projet, car nous avons besoin au plus vite de règles modernes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Daniel Paul - Vous êtes, Monsieur le ministre, un ministre en mission - je n'ose dire missionnaire, ce pourrait être mal interprété ! - et le présent projet en apporte la preuve : jamais un gouvernement n'avait mis à mal avec autant d'acharnement nos services et entreprises publics ! Vous laisserez le souvenir d'un gouvernement dogmatique qui, en quelques mois, aura bradé le patrimoine acquis au prix de luttes démocratiques, et cela tout en remettant systématiquement en question notre culture sociale.

Après que la commission d'enquête sur la situation financière des entreprises publiques vous a balisé le terrain, vous voulez aujourd'hui modifier le statut de France Télécom. Ce faisant, vous obéissez plus aux injonctions d'un catéchisme libéral qu'aux exigences de ce secteur stratégique qu'est la communication. Vous poussez au repli de l'Etat sur ses fonctions régaliennes, au recul devant les pressions du marché, abdiquant l'essentiel de vos pouvoirs de régulation et de correction des inégalités.

Pour notre part, nous combattons des directives qui ne visent qu'au rabougrissement des services publics, afin de fournir le privé en marchés rentables. Mais ces mêmes directives ne vous imposaient cependant pas d'aller à marche forcée vers la privatisation totale de FranceTélécom et à refuser même une minorité de blocage où vous ne voyez qu'entrave au développement de l'entreprise !

Vous prétendez protéger l'opérateur historique et assurer son avenir, mais les crises récentes montrent que l'instabilité est inhérente au fonctionnement même des marchés financiers, cependant que la recherche d'une rentabilité à court terme conduit à privilégier la croissance externe, au détriment de projets industriels à long terme. C'est cette stratégie qui a plombé France Télécom, amenant un endettement record de 65 milliards d'euros et une perte historique de 8,3 milliards lors de l'exercice 2001.

On connaît la suite. Sélectivité des investissements, diminution du budget de la recherche-développement, priorité donnée à la conquête de parts de marché et au marketing.

Peut-on sans être cruel rappeler les promesses de croissance des emplois dans un secteur libéré des carcans ? Aujourd'hui, il y a moins d'emplois qu'avant la déréglementation, tandis que les délocalisations s'intensifient, y compris pour des emplois induits comme ceux des centres d'appels.

Quant aux tarifs, les particuliers ont subi une hausse, tous services confondus. De 1995 à 2003, le coût de la mise en service a augmenté de 89 % et celui de l'abonnement au téléphone fixe de 86 %. La seconde prise et les interventions de dépannage, jusqu'alors gratuites, sont maintenant facturées 46 et 68 € et le moindre retard de paiement est sanctionné.

Ce projet de loi s'inscrit dans une démarche purement libérale et nous attendons toujours un bilan des déréglementations - mais votre silence sur ce point vaut aveu.

Contre l'idée de services publics, l'Europe a jusqu'ici avancé plusieurs notions : service universel, d'intérêt général, d'intérêt économique général. Un flou persistant entoure leur définition, révélateur des contradictions entre la volonté d'imposer le « tout marchandise » et l'impossibilité d'ignorer les attentes populaires.

Le concept de service public est étroitement lié à l'organisation solidaire de la société et nous entendons pour cette raison lui donner un contenu moderne, dépassant même le cadre national. Ainsi, nous nous prononçons pour que les services publics soient au c_ur d'un modèle social européen, contribuant à ouvrir d'autres perspectives à la mondialisation.

Nous ne séparons pas l'idée d'une telle réorientation antilibérale de la construction européenne, de la bataille menée pour un grand service public, moderne, des télécommunications.

Nous n'admettons pas le rabougrissement du service universel sur le téléphone fixe, les cabines téléphoniques, l'annuaire et les renseignements et nous refusons qu'il y ait autant d'opérateurs que de composantes de ce service, qui doit rester sous la pleine responsabilité de l'opérateur public.

Nous demandons l'intégration, dans le service universel, de la téléphonie mobile, de l'internet haut débit et du service de téléalarme. Nous souhaitons la relance du câblage optique et l'étude d'un programme européen de grands travaux.

Nous sommes pour que l'Etat puisse refuser toute vente des infrastructures de communication à des collectivités ou à des opérateurs privés. Nous souhaitons que tous les réseaux créés par d'autres entreprises publiques puissent contribuer à un maillage cohérent du territoire.

Les textes européens ne vous interdisent rien de cela, vous faites le choix d'une réduction des obligations de service public, afin de rétablir rapidement la rentabilité de France Télécom, comme si cette politique n'avait pas conduit, ces dernières années, à externaliser des activités, à développer la sous-traitance, à ne pas compenser les départs à la retraite et à précariser les personnels. Pour dégager 15 milliards de cash flow en trois ans, on a laissé se dégrader les services. Pour m'en tenir à ma région, je rappellerai la coupure, le 20 septembre 2001, de la liaison internet transatlantique, l'interruption des communications téléphoniques dans la zone de Lillebonne Gravenchon, classées Seveso, ou l'incident qui a privé de téléphone 124 000 abonnés de Basse-Normandie en septembre dernier. Depuis 1997, plus de 32 000 emplois ont été supprimés à la maison mère ; 13 500 suppressions sont programmées pour 2003. Ma région a ainsi perdu 423 emplois ces deux dernières années.

Quant aux 106 000 fonctionnaires de France Télécom, ils sont incités à passer sous contrat de droit privé ou à quitter leur entreprise. Vous mettez en place une assurance-chômage synonyme de précarisation accrue et vous développez l'individualisation des rémunérations. Vous voulez appliquer les règles du privé pour les institutions représentatives des salariés fonctionnaires.

Convaincus qu'il existe d'autres solutions et refusant que les personnels soient considérés comme des variables d'ajustement, nous demanderons la suppression du titre II et proposerons la titularisation de tous les personnels.

A l'opposé de vos orientations, nous sommes pour une réappropriation sociale de France Télécom. Cela suppose d'apurer la dette, mais aussi de dégager l'opérateur public de l'emprise des marchés financiers donc de viser, à terme, 100 % de capital public, en mobilisant pour cela les organismes financiers publics, mais aussi en demandant aux banques qui ont grassement profité de la bulle spéculative d'accepter un rééchelonnement et une baisse des taux d'intérêt. Le pôle public financier que nous préconisons de créer pourrait ici jouer tout son rôle !

Cette même politique pourrait être utilement suivie à l'échelle de l'Europe, pour constituer un réseau efficace de télécommunications avec l'appui de la BCE.

Nous sommes aussi pour que France Télécom devienne propriété de la nation, et pour la présence dans ses instances de représentants des salariés, des usagers et des élus.

Il est clair, Monsieur le ministre, que nous ne partageons pas les mêmes valeurs (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous êtes un libéral et, à ce titre, vous _uvrez pour que tout ce qui peut intégrer la sphère marchande quitte le secteur public, au risque de catastrophes qu'entraîne habituellement la déréglementation. En ce sens, vous répondez parfaitement aux attentes de vos amis du Medef (Même mouvement).

Vous voulez porter l'estocade au secteur public, fidèle en cela à la conduite observée par la droite depuis la Libération. Pourtant, comme d'autres entreprises publiques menacées, France Télécom reste associée, dans l'esprit des gens, aux valeurs de solidarité.

Vous êtes prêt à sacrifier cette entreprise aux exigences de rentabilité des actionnaires... et si l'opération « privatisation » peut rapporter de quoi réduire le déficit de l'Etat, ce n'en sera que mieux !

Vous êtes prêt à faire payer les usagers, les collectivités locales et les personnels.

Nous rejetons avec la plus grande détermination votre projet, contraire aux intérêts des usagers, des personnels, des territoires. Beaucoup en France et dans le monde cherchent des alternatives au libéralisme. En rejetant catégoriquement votre projet, nous nous situons dans cette autre vision de la société, qui donne priorité aux valeurs humaines sur les valeurs boursières.

Mme Catherine Vautrin - J'interviens en ma qualité de rapporteure pour avis du budget des postes et télécommunications. De 2000 à 2002, la plupart des opérateurs de télécommunications ont traversé une crise profonde. Avec 70 milliards d'endettement net, France Télécom détenait alors un véritable record ! En quelques mois, le nouveau président, Thierry Breton, a rétabli une situation beaucoup plus saine et lancé un plan de redressement ambitieux - 15 milliards d'économies, 15 milliards d'augmentation de capital, 15 milliards de refinancement - qui a permis de ramener la dette à moins de 50 milliards.

Mais tout n'est pas réglé, il faut poursuivre le redressement. Ce projet y concourt. Il vise à transposer les dispositions relatives au service universel du « paquet télécom », ouvre la possibilité d'une privatisation et consolide le statut des fonctionnaires.

L'obligation d'une participation de 50 % de l'Etat au capital a limité l'accès de l'entreprise au marché financier quand elle en avait besoin. Désormais, elle sera placée dans les mêmes conditions que ses concurrents.

Les 106 000 agents sont l'âme de l'entreprise ; de leur mobilisation dépend son succès. Elle ne recrutera plus de fonctionnaires mais le statut de ceux qui le sont est garanti jusqu'au départ du dernier en 2035. L'Etat, par son engagement, a témoigné de sa confiance à toute l'équipe de France Télécom. De son côté, le secrétaire général a annoncé que la situation des 6 000 reclassés serait rapidement traitée. Tout est donc fait pour rassurer le personnel dans cette période de changement.

La transposition de la directive du 7 mars 2002 conduit à modifier les règles de désignation de l'opérateur de service universel. Ce n'est plus France Télécom a priori et un appel d'offres sera lancé pour assurer le service universel dans toutes ses composantes. Le Président Thierry Breton a déjà annoncé que France Télécom sera candidate.

La modification des règles de financement du service universel, telle que nous l'avons envisagée, tend à une plus grande neutralité du prélèvement. S'agissant des tarifs, il faut éviter les concurrences déloyales. Nous avons bien travaillé en commission, et je soutiens l'amendement visant à limiter les tarifs du service universel pouvant faire l'objet d'un contrôle de l'ART.

Pour ce qui est de la revente de l'abonnement, France Télécom a déjà négocié avec Cegetel et mieux vaut laisser cet aspect dans le cadre du contrat.

D'autre part, le Président de France Télécom a décidé de consacrer 600 millions supplémentaires pour accélérer le déploiement de l'ADSL. Hier l'entreprise annonçait qu'au second semestre 2003, 4 500 nouvelles communes bénéficiaient de cette technologie. Je le répète, l'effort doit porter sur les zones les moins peuplées, les plus isolées. Beaucoup reste à faire pour que chaque Français ait accès à l'ADSL, qui est pourtant indispensable pour l'emploi, pour l'entreprise, pour l'équilibre territorial. Le Président Breton a la volonté de développer le haut débit en partenariat avec les collectivités locales et de renforcer les moyens consacrés à la recherche-développement. On ne peut que s'en féliciter.

Ce projet permet à France Télécom de poursuivre son redressement dans un secteur très concurrentiel, et de le faire dans un climat social apaisé grâce à la garantie de statut des fonctionnaires. Enfin la transposition de la directive favorisera la concurrence dans la gestion du service universel. Répondant à la volonté des opérateurs, fruit d'une véritable volonté politique, ce texte équilibré permettra à la France de conserver une place prépondérante dans ce secteur stratégique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Charasse - Qu'on ne s'y méprenne pas, on nous propose ce soir trois textes en un, et l'obligation de transposer la directive est un prétexte commode pour introduire des dispositions qui vont bien au-delà des demandes de la Commission. D'autre part, une procédure d'infraction ayant été ouverte en juillet dernier contre huit pays, dont la France, pour non transposition de quatre directives du « paquet télécom », nous pensions débattre en priorité du projet adopté par le conseil des ministres du 31 juillet qui vise à cette transposition.

Mais vous avez préféré présenter d'abord la modification du statut de France Télécom, ainsi que des dispositions sur le service universel et le statut du personnel. En fait, le débat sur le service universel est ainsi tronçonné et vous légiférerez le plus possible sur ce sujet par ordonnance. Nous avons donc peu goûté le discours du Gouvernement sur le grand débat qui aurait lieu dans le pays. Dans ce cadre, vous avez saisi la commission supérieure du service public des postes et télécommunications le 11 juillet, en lui donnant dix jours pour rendre un avis...

Nous avons aussi des objections sur le fond. Je me limiterai à deux points.

D'abord, je demande par amendement que fasse partie du service universel l'obligation de fournir à titre gratuit aux services chargés de traiter les appels de secours et d'urgence les données comprenant l'annuaire universel et permettant la localisation géographique des appels. Vous savez quelle est la situation financière des SDIS. Vous avez certes une propension à transférer les charges aux collectivités, mais dans ce cas le service doit être financé par péréquation entre les opérateurs, sur la communauté des utilisateurs.

En second lieu, j'insiste sur l'aménagement du territoire. L'ultra-libéralisme avec lequel vous engagez la transposition de la directive provoquera des inégalités entre ville et campagne, pour le GSM, l'ADSL ou demain le CPL. Le Gouvernement doit inscrire dans la loi l'impérieuse nécessité qu'il y a à fournir à tous un accès de qualité au même prix. Les obstacles à lever sont politiques et non techniques.

Le vote des députés radicaux de gauche dépendra de vos réponses à ces deux questions.

M. Alain Joyandet - Nous avons beaucoup parlé de service public et de concurrence. J'essaierai d'évoquer quelques points qui pourraient être consensuels. Sommes-nous d'accord pour dire qu'actuellement nos concitoyens ne sont pas égaux, par exemple pour l'accès au portable, qu'une entreprise urbaine a le choix entre les technologies, tandis qu'une entreprise rurale se demande si elle doit rejoindre un centre où elle disposera du numérique à haut débit ? Nous le sommes certainement. Sommes-nous d'accord pour dire que, l'Education nationale étant passée à côté du sujet, les écoles câblées sont celles des collectivités locales qui ont pris le sujet en mains, et que les jeunes de quartiers sensibles n'ont pas accès aux nouvelles technologies comme ceux des beaux quartiers ?

C'est ainsi que certains territoires disposent de quatre voies privilégiées d'accès au savoir, à la formation et au développement économique, alors que d'autres en sont totalement privés !

Cette situation, je la constate comme vous tous depuis vingt ans - dont quinze de gouvernement socialiste -...

M. François Brottes - Vous oubliez la loi de 1996 !

M. Alain Joyandet - ...et nous en sommes arrivés là aussi grâce à France Télécom, grande entreprise publique...

M. François Brottes - Ce sera pire demain !

M. Alain Joyandet - Que nous disent nos collègues de gauche : « pour que tout aille mieux, ne changeons rien ! » A l'évidence, les dispositions du présent texte vont dans le bon sens...

M. Daniel Paul - On en reparlera !

M. Alain Joyandet - Au reste, si France Télécom va mieux aujourd'hui...

M. Daniel Paul - C'est grâce à la droite ! (Sourires)

M. Alain Joyandet - C'est aussi parce que l'on force naturellement un peu l'allure lorsqu'on sait qu'il faudra bien sortir de la situation de monopole tranquille dans laquelle on était maintenu. Je prends le pari que le retrait progressif de l'Etat de France Télécom va contribuer à la réduction de la fracture numérique... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Daniel Paul - Ça, il faut oser le dire !

M. François Brottes - On en reparlera !

M. Alain Joyandet - Si rien n'avait été fait pour libérer la Poste et France Télécom de leurs carcans respectifs, elles auraient étouffé ! France Télécom a besoin de liberté ! Certes, il y a des dangers. Tout doit être fait pour continuer d'assurer le service au public et le respect de la parole de l'Etat exige que l'on sécurise les fonctionnaires sur l'évolution de leur statut. Le service universel va prendre le relais, et je propose que l'on fasse preuve d'ambition dans la détermination de son périmètre. Je défendrai plusieurs amendements - parfois d'appel - en ce sens. Nous ne pouvons nous résoudre au fait que tous nos jeunes n'aient pas accès à la téléphonie mobile et au haut débit. Le service universel ne doit pas se résumer au maintien de cabines téléphoniques sur le domaine public !

En somme, il y a ici, ce soir, deux catégories de députés : ceux qui font de vibrantes déclarations d'amour à France Télécom et ceux qui l'ont sauvée en 2002, en réagissant vite à ses difficultés par des mesures appropriées (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Brottes - L'Etat a joué son rôle. Sera-t-il en mesure de le faire demain ?

M. Alain Joyandet - Mais non content de l'avoir sauvée, le Gouvernement se propose aujourd'hui de libérer France Télécom en nous soumettant un projet équilibré...

M. François Brottes - Vos propos, eux, ne le sont guère !

M. Alain Joyandet - Chers collègues de gauche, vous n'avez pas le monopole de l'attachement au service public. Je fais partie des maires qui ont maintenu dans leur commune une gestion de service public de l'eau (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) et je considère que le service public continue de s'imposer pour gérer les services de première nécessité, ou lorsque la situation de monopole est naturelle. Je ne suis pas un libéral à tout crin !

M. François Brottes - Pas encore !

M. Alain Joyandet - Sauvée puis libérée, préservée et aiguillonnée par la concurrence, France Télécom, grâce à ce texte, va faire gagner la France ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

La discussion générale est close.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Alain Gouriou - L'importance stratégique des télécommunications dans les pays développés, l'évolution constante des NTIC, la croissance de l'économie numérique dans toutes les branches de l'activité conduisent tous les pays à légiférer en ces domaines et l'Union européenne à prendre des directives. Personne ne conteste cette nécessité ou cette obligation. Le Gouvernement nous propose de légiférer sur trois textes : confiance en l'économie numérique, le présent texte et un troisième à venir, relatif au « paquet Télécom » et qui pourrait être présenté dès 2004.

Comme l'indique son titre III, le texte dont nous débattons a pour objet principal de privatiser France Télécom. Notre opposition radicale à ce projet justifie le renvoi en commission que je vais défendre à présent.

Nous déplorons en premier lieu, la volonté du Gouvernement de précipiter les choses. La décision de privatisation apparaît début juillet 2003 et les procédures de concertation sont accélérées. Alors qu'elle n'a été saisie que le 11 juillet, la CSSPTT est sommée de rendre son avis pour le 22 juillet. Puis, le Conseil des ministres adopte le projet de loi le 31 juillet.

Le prétexte avancé pour tenter de justifier cette précipitation est la nécessité de transposer la directive européenne du 7 mars 2002 et on profite de l'occasion pour annuler la disposition de la loi de 1996 empêchant l'Etat de détenir moins de la moitié du capital de France Télécom.

Pourquoi, Monsieur le ministre, n'avez-vous pas choisi de débattre d'abord du « paquet Télécom » - adopté lors du même Conseil des ministres du 31 juillet -, lequel traitait largement du service universel. Au lieu de cela, les différents aspects du service universel sont éparpillés dans trois textes au risque d'entretenir la confusion ou d'adopter des dispositions contradictoires.

Parallèlement, les partenaires sociaux sont simplement informés du contenu du projet de loi réformant le statut de leur entreprise par la direction, sans avoir été consultés préalablement, ni conviés au ministère de l'industrie pour négocier au moins les dispositions concernant leur statut ! Est-il opportun de proclamer l'importance du dialogue social, comme le fait à l'envi M. Fillon, si aucune concertation n'existe sur des projets de loi aussi importants pour l'avenir de centaines de milliers de salariés ?

Dans son rapport de 2002, le sénateur Larcher écrivait « Si privatisation il y a un jour, l'intervention du législateur devra être postérieure à une concertation approfondie entre les partenaires sociaux. S'agissant de France Télécom, entreprise nationale, l'Etat devra annoncer clairement ses grands arbitrages. Mais les modalités de mise en _uvre de ces derniers n'auront pas à être fixées d'emblée par ses soins ; il reviendra aux organisations représentatives du personnel et aux dirigeants de l'entreprise d'en débattre au préalable ».

M. François Brottes - Il va être exclu de l'UMP !

M. Alain Gouriou - En pratique, les personnels ont appris les grands arbitrages de l'Etat par voie de presse et les institutions représentatives du personnel n'ont toujours pas obtenu de rencontrer leurs ministres de tutelle.

Votre démarche ne peut que souffrir de la comparaison avec la réforme de 1990. Michel Rocard avait alors chargé Hubert Prévot - ex-commissaire au plan - de préparer l'évolution de l'administration des Postes et Télécommunications. Celui-ci lança donc un processus associant les postiers et les personnels des télécommunications à la réflexion sur l'avenir du secteur. En dix-huit mois eurent lieu plus de cinq mille réunions d'agents par petits groupes. Les organisations syndicales ont apprécié cette forme de procédure car elle prenait en compte leur avis - même si certaines ne partageaient pas le but à atteindre.

On aurait pu espérer que le travail en commission des affaires économiques permette de rattraper ce déficit de démocratie sociale en auditionnant les partenaires sociaux. Malheureusement, les auditions se sont limitées au président de France Télécom et à vous-même, Monsieur le ministre !

Seconde angoisse qui motive ce renvoi : quelle sera la situation du personnel après la minoration du rôle de l'Etat dans la conduite de l'opérateur historique ?

On ne peut que louer la formidable capacité d'adaptation du personnel de France Télécom - et notamment de ses fonctionnaires. Il y a treize ans existait encore un ministère des postes et télécommunications, administration d'Etat, et ses fonctionnaires n'effectuaient aucune opération commerciale. Ce personnel a permis à France Télécom de devenir une grande entreprise, présentant à l'échelle mondiale une excellence technique et des compétences opérationnelles reconnues. Et, il faut le reconnaître, la présence de 106 000 fonctionnaires sur les 140 000 salariés en France, véritable point d'ancrage de la culture de l'entreprise, n'a jamais constitué un frein à son développement.

Aujourd'hui vous prenez le risque de fragiliser le statut des personnels. Vous qualifiez d' « innovantes » et de « sécurisantes » les dispositions relatives au statut des personnels, lesquelles viseraient, selon vos propres termes, à « sanctuariser » le statut des fonctionnaires de France Télécom. La vérité, c'est que nous n'avons aucune assurance de la validité juridique du dispositif arrêté ou de sa pérennité. Il n'est pas établi qu'une entreprise privée répondant à un appel d'offres pour exercer tout ou partie du service universel puisse employer des fonctionnaires pour exercer ses missions.

La « sécurisation » du statut des personnels de l'opérateur historique est un objectif que nous partageons. Mais nous ne sommes pas naïfs et nous avons bien perçu le tour de passe-passe qui consiste à compenser la privatisation par le maintien d'un statut de fonctionnaires, pour mieux laisser sans doute à l'opposition et aux juges la possibilité de déstabiliser ce fragile équilibre ! Cela ne serait d'ailleurs pas pour déplaire à nombre de nos collègues de la majorité. Mais si l'on voulait éviter de prendre le personnel en otage, il suffisait tout simplement de renoncer au dogme de la privatisation.

Avant de délibérer sur ce projet, il aurait fallu étudier l'impact du texte sur l'aménagement du territoire et sur la lutte contre la fracture numérique. Ne va-t-on pas sacrifier certaines zones du territoire à des impératifs de rentabilité ? Qu'en sera-t-il de la présence des agents de l'opérateur historique, si appréciée en cas de catastrophe naturelle comme celle que nous avons connue en 1999 ou celle que les nombreux départements du sud connaissent en ce moment même.

Alain Joyandet, député UMP et rapporteur spécial pour les télécommunications, reconnaissait lors de l'examen de la loi de finances pour 2004 qu' « avec France Télécom et La Poste, l'Etat a des atouts en mains pour moderniser notre service public et réduire la fracture numérique ». C'est tout à fait vrai. Malheureusement, les moyens ne suivent pas. Les programmes de développement des communications figurant aux contrats de plan accusent en effet des retards inquiétants... Pourtant, comme l'indiquait le projet de résolution adopté par la 109e assemblée de l'Union interparlementaire et rapporté par notre collègue Martin-Lalande, « sans une politique publique appropriée, les nouvelles technologies de l'information et de la communication ne peuvent être un facteur de progrès partagé ».

France Télécom a depuis quarante cinq ans assumé un effort colossal d'innovation et de recherche, qui a permis à la France de passer d'un niveau de pays sous-développé à une position de leader européen. Les avancées technologiques en matière de réseaux, le minitel, les fibres optiques, les écrans plats, les réseaux numériques, la synthèse vocale, inventés et mis au point par les chercheurs de France Télécom, ont soutenu une croissance exceptionnelle des industries de l'équipement en télécommunications.

De 1991 à 2001, l'entreprise a investi 22 milliards d'euros dans le réseau national, ce qui relativise singulièrement les aides apportées par l'Etat à l'opérateur lors des phases récentes de difficultés.

France Télécom a en fait assuré la quasi-totalité de l'effort de recherche publique dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Et nous nous réjouissons que Thierry Breton veuille le poursuivre. Sans cet effort, l'entreprise dépendrait rapidement des innovations de ses concurrents étrangers et serait éliminée des marchés. De nouveaux champs s'ouvrent aujourd'hui à la recherche, par exemple les services à nos concitoyens handicapés ou isolés. Du dynamisme de cette recherche dépendra la croissance de nos équipementiers.

Malheureusement, l'Etat donne le mauvais exemple en diminuant de 25 % les crédits de soutien à la diffusion des nouvelles technologies dans les PME, en réduisant ses actions en faveur de l'innovation, en baissant les crédits de recherche du groupe des écoles de télécommunications...

Quatrième raison de renvoyer ce texte en commission : il serait utile d'auditionner l'Agence des participations de l'Etat issue des travaux du rapporteur Barbier de la Serre sur la gouvernance des entreprises publiques. Contrairement à ce que ce dernier préconisait, vous avez choisi, Monsieur le ministre, de placer l'Agence sous votre autorité. Quoi qu'il en soit, dès lors qu'elle exerce les missions de l'Etat actionnaire, il serait intéressant de savoir ce qu'elle ferait dans l'éventualité d'une cession importante des parts détenues par l'Etat. Comment va-t-elle conjuguer les intérêts capitalistiques recherchés par tout actionnaire avec les obligations de service public attribuées à France Télécom ? Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à intervenir pour rappeler que le service public ne doit pas être sacrifié à la recherche de dividendes toujours plus élevés ?

Cinquième raison de renvoyer le texte en commission : il serait également très utile de définir, sous la responsabilité du Parlement, un contrat d'objectifs entre la nation et France Télécom, puisque de l'aveu même du Gouvernement, l'opérateur sera attributaire du service universel.

Ce contrat d'objectifs mentionnerait expressément, sous une forme législative, la nature du service public rendu. Il comprendrait un véritable cahier des charges, y compris dans des domaines comme la tarification qui ont souvent souffert de la légèreté de l'Etat.

Le respect de ce cahier des charges pourrait faire l'objet d'un contrôle permanent du Parlement et conduire à la publication d'un rapport annuel.

Dès lors, ce contrat devrait nous obliger à mener une réflexion approfondie sur l'avenir du service public des télécommunications. Parce qu'il est synonyme de long terme, qu'il est une garantie d'indépendance et un vecteur de croissance, ainsi qu'un facteur de solidarité, parce qu'il n'est pas exclusif de partenariat industriel et n'est pas un modèle figé, pour toutes ces raisons, nous ne devons pas légiférer sans connaître les conséquences pour l'usager. Nous ne devons pas faire du toujours moins un principe d'égalité entre les plus faibles.

Ce n'est pas le monopole que nous voulons préserver, mais les conditions satisfaisantes de fonctionnement du secteur public. Ce n'est pas le statu quo que nous défendons, mais l'emploi et l'égalité sociale.

Enfin, ce renvoi en commission est nécessaire, parce qu'il nous semble indispensable d'avoir un peu plus de lisibilité juridique et économique à propos du secteur des télécommunications avant de fixer la nouvelle règle du jeu. Devant un paysage mondial des télécommunications très instable, un débat national contradictoire s'imposait, avant tout dépôt de texte. Ce débat aurait permis de constater les effets de la déréglementation - en France et dans les pays développés - et de dégager des orientations stratégiques. C'était l'ambition affichée par le projet de loi sur la société de l'information. Or, vous ne nous offrez qu'une approche fragmentée. Vous aviez pourtant, vous-même, Monsieur le ministre, souligné en commission la nécessité de mieux prendre en compte les évolutions de long terme dans les politiques publiques.

Le droit français des télécommunications est complètement dans l'inconnu depuis un an. Depuis février 2003, le projet de loi relatif à l'économie numérique est en discussion au Parlement. Un autre projet de loi a été présenté en conseil des ministres le 31 juillet, relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle.

Ce projet de loi s'inscrit dans une vaste réforme de la réglementation engagée au niveau européen en 1999, et qui s'est traduite par l'adoption de six directives et d'une décision, regroupées sous l'appellation de « paquet télécom ». En commission, vous nous avez appris que ce projet serait scindé en deux, une partie devant être introduite par amendement dans le projet de loi relatif à l'économie numérique, et l'autre adoptée par ordonnances. Où est la lisibilité juridique ?

Néanmoins, vous persistez à vouloir fragiliser le service public des télécommunications avant de consolider le droit applicable. La remarque vaut aussi au regard de l'enquête formelle ouverte par la Commission européenne sur le plan de sauvetage de France Télécom. Une décision telle que celle préconisée par Mario Monti pour EDF, risque de changer complètement la donne pour l'opérateur historique.

En conclusion, il ne faut pas négliger l'impact des télécommunications sur la vie quotidienne des habitants. Toute évolution en la matière peut avoir des conséquences sociales dramatiques.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons un renvoi en commission avant de légiférer définitivement sur l'avenir de France Télécom.

M. le Ministre - Quelques mots pour répondre brièvement aux différents intervenants.

Je remercie M. Trassy-Paillogues pour la qualité de son rapport. Toutes les questions qu'il a posées seront discutées dans le cadre de l'examen des articles.

Nous sommes d'accord, Madame Vautrin, pour dire qu'il faut que le haut débit se généralise, car c'est un gage de développement économique. Le Gouvernement a donc pris dès l'été 2002 les mesures qui s'imposaient : elles ont encouragé France Télécom et ses concurrents à faire bon nombre d'investissements, ce qui a permis à la France de rattraper son retard sur la Grande-Bretagne ou l'Allemagne. Nous avons aujourd'hui 3 millions d'abonnés et leur nombre augmente de 200 000 par mois.

Nous sommes déterminés, Monsieur Charasse, à transposer rapidement le « Paquet Télécom », ce qui nous amène à proposer de procéder par ordonnances. Les directives pourront ainsi être transposées au premier semestre.

M. François Brottes - C'est bien, pour le Parlement !

M. le Ministre - Il faut savoir ce que l'on veut ! Si l'on veut aller vite, il faut s'en donner les moyens.

La présentation que vous avez faite de la situation de l'emploi est un peu caricaturale, Monsieur Paul. Vous oubliez en effet de parler de tous ceux qui ont été créés dans les nouvelles activités de télécommunications. Comme si le téléphone mobile et internet n'existaient pas ! Et pour ce qui est de France Télécom, quand bien même l'effectif aurait diminué, si c'était le résultat de la productivité et de l'utilisation des nouvelles technologies ? Cela signifie que l'entreprise est devenue plus performante. Et vous avez une étrange idée de la croissance, si vous n'avez pas compris que c'est la somme des performances des entreprises, l'amélioration de la productivité de chacun, qui crée la croissance d'un pays - à moins de miser sur la croissance démographique...

Quant aux valeurs humaines, pourquoi ne trouveraient-elles pas place dans une entreprise privée ? Une entreprise privée, c'est simplement une entreprise détenue par des épargnants, c'est-à-dire vous et moi.

M. Daniel Paul - Vous peut-être, pas moi.

M. le Ministre - Pourquoi ne pratiquerait-elle pas les mêmes valeurs humaines qu'une entreprise détenue par les contribuables ?

M. François Brottes - Parce que ce n'est pas son intérêt.

M. le Ministre - Croyez-vous que les contribuables sont plus sensibles aux valeurs humaines que les épargnants ? Pas moi.

M. Daniel Paul - Nous n'avons pas les mêmes valeurs.

M. le Ministre - Nous sommes tous d'accord, Monsieur Joyandet, sur la diffusion des nouvelles technologies et la réduction de la fracture numérique. Les mesures que nous avons prises ont déjà permis de couvrir 1 500 communes de plus grâce à la convention signée par l'Etat. Quant au renouvellement des licences GSM, l'ART mène une consultation publique, qui permettra l'année prochaine de définir les conditions d'octroi, en tenant compte des critères de qualité du service et de couverture du territoire.

A l'égard des reclassés non reclassifiés, Monsieur Dionis du Séjour, le comportement passé est ce qu'il est, mais le comportement futur est entre les mains du patron. Or, celui-ci s'est engagé devant votre commission à avoir envers ces personnels le comportement normal que peut-être ses prédécesseurs auraient dû avoir, à savoir, les faire évoluer dans l'entreprise en fonction de leur seul mérite.

Quant à la loi sur l'économie numérique, je peux vous répondre : ce sera les 7 et 8 janvier. Enfin la séparation des réseaux me semble une fausse bonne idée. Un réseau de télécommunications ne peut être assimilé à un réseau routier, ferroviaire ou électrique. Il y a monopole dans un cas, non dans l'autre. Dans le cas d'EDF et de RTE, il faut de toutes façons, pour des raisons liées au transport d'électricité venant de l'extérieur, que les comptes de RTE restent isolés, y compris dans une filiale, mais qui à mes yeux doit rester détenue à 100 % par EDF. Quoi qu'il en soit, je n'imagine guère de transférer le dispositif RTE dans le domaine des télécommunications.

Je suis admiratif, Monsieur Gouriou, devant le nombre des raisons que vous avez trouvées pour étayer votre motion de renvoi, et je ne prétends pas répondre à toutes. Si dans le passé La Poste a été une pompe à finance, j'aimerais savoir quand et où, et je serais heureux de savoir où est la pompe,... cela pourrait servir ! (Sourires)

M. François Brottes - Elle paie les aides à la presse pour l'Etat !

M. le Ministre - Quant à la concertation, je répète que tous les syndicats ont été reçus et écoutés. Ceci a d'ailleurs permis d'améliorer le texte, notamment sur le droit d'option, introduit au Sénat. Et cette concertation se poursuivra, dans le cadre défini par la loi, en particulier sur les modalités de représentation du personnel dans l'entreprise.

Voilà les quelques commentaires que je souhaitais faire à l'issue de cet échange intéressant.

M. le Rapporteur - J'affirme que rien n'a été bâclé, ni dans la préparation du texte, ni dans les travaux de la commission. Nos conceptions, Monsieur Gouriou, sont un peu éloignées. La concertation a eu lieu, comme l'a dit le ministre ; toutefois nous sommes favorables à la concertation, non à la cogestion. J'ai d'ailleurs dans ma circonscription de nombreux salariés de France Télécom : ils sont soulagés du changement de direction...

M. Alain Gouriou - Je veux bien le croire !

M. le Rapporteur - ...mais aussi de ce texte et des nouvelles perspectives qu'il ouvre à l'entreprise.

En relisant les comptes rendus de notre réunion du 26 novembre, je constate qu'en commission vous êtes d'accord avec nous sur la plupart des points. Dans l'hémicycle vous êtes contre tout, et j'ai l'impression de ne plus avoir affaire au même Alain Gouriou... Le travail de fond a réellement été fait en commission, et rien ne justifie le renvoi.

M. Pierre Micaux - Je m'inscris contre le renvoi en commission. Je ne suis pas partisan de mettre un problème au placard : mieux vaut le traiter franchement. Je m'inscris dans la ligne des directives européennes, et du besoin d'assainissement de France Télécom.

Ce texte s'intitule par ailleurs : « Obligations de service public des télécommunications et France Télécom ». Ce qui m'importe, c'est d'abord le service public, et dans le débat je serai très attentif à cet aspect. Par rapport à Bruxelles, à l'eurocratie, et à notre propre technocratie, je tiens à ce que l'ART sache que nous serons attentifs aux règles de la concurrence face à France Télécom, qui doit être un égal, et ne pas être défavorisé face à ses concurrents. Nous avons trop souffert d'une mauvaise gestion de cette entreprise. Il faut que cela cesse, et qu'elle ait les moyens d'une bonne gestion, mais dans des conditions égales (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Daniel Paul - Aux six raisons de renvoi invoquées par M. Gouriou, j'en ajouterai une septième. Nous souhaiterions un bilan de ce qui s'est fait depuis dix ans en Europe en fait de dérégulation des services publics. Nous avons maintenant assez de recul pour pouvoir dire si les effets en ont été positifs pour les citoyens, les usagers, les personnels. Ainsi nous pourrions voter en connaissance de cause sur une opération comme celle que vous proposez. Mais vous refusez depuis des mois ce que demandent pourtant les partenaires syndicaux des entreprises publiques, et que nous avons demandé ici même sous la forme d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information. Nous n'avons pas de réponse, ce qui constitue en quelque sorte une septième raison d'approuver la motion de renvoi.

M. le Ministre - L'idée d'un tel bilan sur dix ans me paraît intéressante. Je pense que nous allons en définir le contour, et que d'ici quelques mois vous aurez satisfaction.

M. Jean Dionis du Séjour - Dans le propos de M. Gouriou j'ai perçu deux ensembles d'arguments un peu contradictoires. D'un côté il demande qu'on se rapproche de la loi sur la société de l'information, et qu'on organise un grand débat national sur les services publics. De l'autre, il indique - avec raison - que le secteur a besoin d'un nouveau cadre juridique, et que ce chantier n'avance pas assez vite. Je pense pour ma part qu'il est urgent de mettre en place un cadre juridique complet, articulant le projet de loi sur France Télécom, la loi sur l'économie numérique et les ordonnances sur les télécommunications. Il faut travailler sur tout le paquet. Je suis donc opposé au renvoi en commission.

M. François Brottes - Je n'ai jamais entendu Alain Gouriou dire qu'il fût d'accord avec la privatisation de France Télécom, Monsieur le rapporteur ! En revanche, il a parfaitement décrit la situation, l'insécurité dans laquelle vous allez placer France Télécom, l'absence de financement durable... Chacun aura d'ailleurs entendu l'angoisse sous-jacente dans l'intervention de notre collègue Micaux. Vous avez de fortes convictions, Monsieur le ministre, mais aucune certitude. Malgré cela, vous avez refusé toute concertation avec les syndicats. Pourquoi, lorsque le Gouvernement traite de l'agriculture, reçoit-il les dirigeants de la FNSEA au niveau du ministre, et refuse-t-il le dialogue avec les syndicats lorsqu'il s'agit de France Télécom ? C'est bien « deux poids, deux mesures » ! Il faut remettre l'ouvrage sur le métier, et renvoyer ce texte en commission. Je sais votre désir intime de légiférer par ordonnances, mais dans ce cas, pourquoi organiser des élections ? Ce serait l'honneur de l'Assemblée que d'adopter la motion de renvoi en commission.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

RÉSOLUTION ADOPTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION

Mme la Présidente - J'informe l'Assemblée que, en application de l'article 151-3, aliéna 2, du Règlement, la résolution sur la proposition de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, adoptée par la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, est considérée comme définitive.

Prochaine séance ce vendredi 5 décembre, à 10 heures 30.

La séance est levée à 2 heures 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU VENDREDI 5 DÉCEMBRE 2003

A DIX HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat (n° 1163), relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom.

M. Alfred TRASSY-PAILLOGUES, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. (Rapport n° 1248).

A QUINZE HEURES : 2ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


© Assemblée nationale