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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 37ème jour de séance, 94ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 9 DÉCEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      BIOÉTHIQUE -deuxième lecture- (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      RÉUNION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE 27

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 10 DÉCEMBRE 2003 28

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

BIOÉTHIQUE -deuxième lecture- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif à la bioéthique.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - J'ai été l'un des ministres qui ont élaboré et fait adopter par l'Assemblée nationale, le 22 janvier 2002, le projet de loi de bioéthique.

Nous avions alors recherché et obtenu un très large consensus. Il n'y a pas, en effet, une éthique de gauche ou une éthique de droite. Il y a une éthique commune que nous devons définir ensemble. Sur de telles questions, personne ne détient la vérité. Chacun doit la rechercher avec modestie et dans le respect d'autrui.

325 députés contre 21 avaient alors voté cette loi : les clivages habituels avaient été dépassés puisque des députés UDF et 51 députés RPR avaient voté comme les députés de gauche.

Mais, au lieu de soumettre rapidement ce texte au Sénat, le gouvernement actuel ne l'a fait qu'en janvier 2003, soit un an après son adoption par les députés, puis il a fallu attendre à nouveau une année avant qu'il ne revienne devant l'Assemblée nationale.

Le Gouvernement, qui est maître de l'ordre du jour, aura donc fait perdre près de deux ans à ce texte, pourtant déterminant pour les malades et la recherche française.

Je cite le professeur Brechot, directeur général de l'INSERM : « Le paysage international de la recherche en biologie a évolué de manière spectaculaire, en particulier en ce qui concerne les cellules souches humaines. Douze pays participent à un forum international sur ce thème organisé par le Medical Research Council britannique. Un club international de recherche vient d'être créé qui réunit les meilleures équipes. Hors de cet espace, la recherche ne pourra bientôt plus exister. Les pays qui adhèrent à ce club sont notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, le Canada, Israël, Singapour, les Pays-Bas, la Finlande, la Suède et l'Allemagne.

« Nous risquons d'être de plus en plus exclus car tout indique que les pays qui, du fait de leur législation, n'auront pas accès aux cellules souches embryonnaires, ne pourront se maintenir.

« Sans loi de bioéthique, la recherche française ne sera plus compétitive. ».

La lenteur du Gouvernement est donc préoccupante, mais il y a pire.

Le Gouvernement a en effet déposé ou accepté au Sénat des amendements qui ont dénaturé ce texte consensuel, s'agissant en particulier des recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Pourtant, les enjeux sont la médecine régénératrice et les thérapies cellulaires qui pourraient apporter des solutions aux maladies neuro-dégénératives, cardiaques ou hépatiques.

Il existe aujourd'hui en France environ 40 000 embryons surnuméraires conçus par FIVE et qui ne font plus l'objet d'un projet parental.

La loi de bioéthique de 1994 dispose que ces embryons cesseront d'être conservés au-delà d'un délai de cinq ans. Plutôt que de les détruire, ne faudrait-il pas permettre leur utilisation pour la recherche, comme l'ont recommandé toutes les instances consultées ?

Le texte voté en janvier 2002 autorisait cette recherche dans un cadre très strict.

Elle ne pouvait être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple concerné, dans le respect de ses convictions éthiques, spirituelles ou religieuses.

De plus, cette recherche ne devait être menée qu'en l'absence de méthode alternative d'une efficacité comparable.

Enfin, elle ne pouvait être entreprise qu'après autorisation du Haut Conseil de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.

Cette recherche n'aurait été menée que sur des embryons n'ayant pas atteint le stade de la différenciation tissulaire qui intervient vers le sixième jour après la fécondation.

Alors que le texte voté en janvier 2002 posait en principe l'autorisation des recherches sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires, le texte voté en janvier 2003 par la majorité sénatoriale pose en principe leur interdiction. Ces recherches ne pourront être autorisées que « par dérogation » et « pour une période limitée à cinq ans », à compter de la publication de décret en Conseil d'Etat prévu par la présente loi.

Ce renversement de perspective constitue une régression préjudiciable à la fois à la recherche française et aux droits des malades.

En décidant que ces recherches seront totalement interdites à l'issue de ce délai transitoire de cinq ans, en décidant qu'elles ne pourront plus être menées même à titre dérogatoire dans cinq ans, vous semblez souhaiter les remplacer à terme par des travaux sur les cellules souches adultes. Chacun partage ce souhait. Ministre de la recherche, j'avais engagé l'INSERM à développer ces travaux, mais chacun sait que les cellules souches adultes n'ont pas les mêmes potentialités que les cellules souches embryonnaires. Dès novembre 2000, le professeur François Gros m'avait remis un rapport dans lequel il soulignait que ces cellules n'ont pas les mêmes capacités de multiplication et de différenciation que les cellules souches embryonnaires.

Monsieur le ministre de la santé, vous êtes d'abord le ministre des malades. Peut-on négliger leur droit à être soignés, leur droit à voir les recherches progresser ? Toute société se doit de contribuer à faire reculer la souffrance et la mort. C'est là un impératif éthique que vous semblez oublier.

Entraver la recherche comme vous le faites, c'est aussi pénaliser les chercheurs français.

Alors que ces recherches se développent déjà dans une douzaine d'autres pays, les chercheurs français seront distancés et dépassés dans la compétition scientifique internationale.

A ce propos : y a-t-il encore un ministre de la recherche ? Faut-il lancer un avis de recherche pour le retrouver ? Son absence me semble paradoxale, à moins qu'il ne soit passé à la Trappe, cet ordre dans lequel on fait v_u de silence ?

Ces obstacles risquent de plus d'inciter certains chercheurs français à s'expatrier que ce soit aux Etats-Unis ou dans des pays de l'Union européenne. Vous risquez de provoquer une « fuite des cerveaux ».

La recherche est d'ailleurs la mal-aimée de votre gouvernement. Son budget a baissé en 2003, cependant que 10 % des crédits de paiement étaient annulés et que 700 emplois statutaires étaient supprimés. On ne bâtira rien de solide avec des laboratoires paupérisés et des chercheurs précarisés !

Nous avons donc déposé des amendements pour rétablir le texte voté par 325 députés de gauche comme de droite en janvier 2002, texte de raison et d'équilibre qui permet de faire progresser la recherche et le droit des malades, dans le respect des convictions éthiques de chacun.

Ce texte avait par ailleurs établi l'interdiction du clonage reproductif - bien évidemment inacceptable - en créant à cet une nouvelle incrimination, punie de 20 ans de réclusion criminelle, le Sénat ayant du reste porté la peine encourue à 30 ans de détention. Vous avez cru bon de créer la notion de crime contre l'espèce humaine, sur laquelle on peut légitimement s'interroger, et Mme Pecresse ne s'en est pas privée. Je doute de l'opportunité de cette création car, si par malheur, une opération de clonage reproductif était un jour réalisée, cette qualification risquerait de jeter le discrédit aussi sur l'enfant né de ces pratiques.

De plus, afin que le clonage reproductif soit pénalement sanctionné dans tous les pays, les gouvernements Jospin et Schröder avaient déposé ensemble en 2001 un projet de résolution auprès de l'ONU, tendant à élaborer une convention internationale interdisant le clonage reproductif. Las, la conclusion d'un tel texte tarde. En novembre 2003, la commission juridique de l'assemblée générale de l'ONU a voté, par seulement 80 voix contre 79, le report à 2005 de toute décision relative au clonage humain. On connaît les raisons de ce très regrettable report : les Etats-Unis et une cinquantaine d'autres pays voudraient interdire toute forme de clonage, qu'il soit reproductif ou thérapeutique. La France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique et plusieurs autres pays sont favorables à une interdiction du seul clonage reproductif, le clonage thérapeutique ouvrant des perspectives pour l'amélioration de la santé de l'humanité.

Cette position, proclamée par la France à l'ONU, est la bonne. Curieusement, notre gouvernement ne soutient pas au plan interne la position qu'il défend dans les instances internationales. Il semble souffrir d'un certain dédoublement de la personnalité. A l'ONU, notre ministre des affaires étrangères ne proscrit pas le clonage thérapeutique ; à l'Assemblée nationale, le ministre de la santé l'interdit ! Bref, quand M. de Villepin dit blanc à New York, M. Mattei dit noir à Paris !

Certes, le texte voté en 2002 n'autorisait pas le transfert de noyaux de cellules somatiques - souvent injustement appelé « clonage thérapeutique ». Mais le Haut Conseil de l'Agence de biomédecine était chargé « d'assurer une veille sur le développement des connaissances et des techniques et de proposer au Gouvernement les orientations et les mesures qu'elles appellent ». La réflexion scientifique se poursuivant sur le transfert nucléaire, celui-ci aurait donc pu être autorisé à terme à l'occasion d'un aménagement ponctuel de la loi de bioéthique ou de sa révision périodique.

La nouvelle rédaction, adoptée par la majorité sénatoriale et inspirée par vous-même, proscrit formellement le transfert nucléaire à des fins de recherche et à des fins thérapeutiques et le rend passible de sept ans d'emprisonnement. Pourtant, le Comité national consultatif d'éthique, dès le 18 janvier 2001, et l'Académie des sciences, dans son rapport du 23 janvier 2003, ont préconisé son autorisation.

Là aussi, le groupe socialiste a déposé un amendement pour revenir à l'esprit du texte initial de 2002, lequel ne légalisait pas le transfert nucléaire dans l'immédiat, mais laissait ouverte la perspective de son éventuelle autorisation, en fonction des résultats de la mission de veille scientifique exercée par le conseil d'orientation de l'Agence de biomédecine. Cet amendement est ainsi conçu : le premier rapport annuel de l'agence publié un an après la publication du décret prévu à l'article L. 1418-8 du code de la santé publique, comprend un avis du conseil d'orientation médical et scientifique sur l'opportunité d'autoriser la recherche sur des embryons constitués par transfert de noyau de cellules somatiques à des fins thérapeutiques, et sur les conditions de mise en _uvre d'une telle autorisation. Le transfert nucléaire constitue une pratique complexe, techniquement difficile à mettre en _uvre et comportant encore des zones d'incertitudes. En outre, elle nécessiterait aujourd'hui l'utilisation de nombreux ovocytes.

Cependant, plusieurs communications scientifiques, faites en avril et juin 2003, ont fait apparaître la possibilité de produire des ovocytes à partir de la maturation in vitro d'une cellule souche embryonnaire. Progressera-t-on dans cette voie ? L'avenir le dira. Avec notre amendement relatif au rapport annuel de l'agence, le Gouvernement et le Parlement pourraient donc être appelés à examiner de nouveau cette question, au vu de l'évolution des connaissances scientifiques.

J'en reviens aux recherches sur les cellules souches embryonnaires, issues d'embryons surnuméraires, que vous décidez d'interdire, sauf à titre dérogatoire et transitoire pendant une durée limitée à cinq ans. Monsieur le ministre, il apparaît que, sur ce point, vous ne reflétez pas la position de votre propre camp.

Etes-vous d'accord avec le Président de la République ? Non. En février 2001, à Lyon, M. Chirac a dit publiquement non aux recherches sur le clonage thérapeutique, oui aux recherches sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires devenus sans projet parental. De surcroît, l'actuel secrétaire général adjoint de l'Elysée, M. Salat-Baroux, est l'auteur du rapport du Conseil d'Etat remis dès 1999 et qui préconisait d'autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Etes-vous d'accord avec les autres ministres de ce gouvernement ? Non plus. Huit ministres du gouvernement Raffarin, alors députés, ont voté en janvier 2002 notre projet de loi qui autorisait ces recherches. Parmi eux, les numéros deux et trois du Gouvernement : MM. Sarkozy et Fillon !

Par ailleurs, Mme Noëlle Lenoir, aujourd'hui - on ne le sait pas assez ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) - ministre des affaires européennes, avait publié en novembre 2000, alors qu'elle était présidente du groupe européen d'éthique, un rapport préconisant les recherches sur ces cellules souches. Je doute qu'elle ait déjà changé d'avis !

Etes-vous d'accord avec votre propre majorité parlementaire ? Pas davantage. En janvier 2002, les personnalités politiques les plus importantes de ce qui allait devenir l'actuelle majorité ont voté notre projet de loi, qu'il s'agisse de M. Debré ou de M. Juppé.

Etes-vous d'accord avec les autres spécialistes des problèmes de santé de votre majorité ? Non plus. M. Dubernard et M. Accoyer ont voté eux aussi notre texte de janvier 2002 !

Mme Christine Boutin - N'oubliez pas ceux qui s'y sont opposés !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Monsieur Mattei, vous paraissez donc bien seul dans votre propre camp à défendre l'interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Pourquoi défendre une telle position ?

En réalité, les positions sur ces questions varient souvent en fonction des convictions spirituelles et philosophiques de chacun et c'est normal. Pour certains, l'embryon de six jours est déjà un être humain, pour d'autres ce n'est qu'une personne humaine potentielle, pour d'autres enfin, ce n'est qu'un ensemble de cellules indifférenciées. Mais comme le rappelle l'article premier de notre Constitution, la France est une « République laïque ». Le législateur ne peut donc privilégier telle conception philosophique ou religieuse par rapport à telle autre.

En 1975, sous la présidence de M. Giscard d'Estaing, M. Chirac, alors Premier ministre, avait déposé et fait voter la loi Veil sur l'IVG, bien qu'elle pût heurter les convictions de certains parlementaires. Il l'avait fait parce qu'il était attentif à l'impératif de laïcité inscrit dans notre Constitution. En effet, dans un Etat laïque, on ne peut pas confondre, comme vous semblez le faire, article de foi et article de loi.

Le Premier ministre Lionel Jospin s'était engagé à saisir le Conseil constitutionnel de la loi de bioéthique avant sa promulgation. J'espère que M. Raffarin fera de même. D'ailleurs, s'il ne le faisait pas, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi par le Président de l'Assemblée nationale - comme M. Seguin l'avait fait en 1994 pour les précédentes lois de bioéthique - et si tel n'était pas le cas, cette saisine pourrait être exercée par soixante députés ou soixante sénateurs.

Si vous maintenez votre article de loi interdisant les recherches sur les cellules souches embryonnaires, celui-ci sera très probablement censuré par le Conseil constitutionnel. En effet, dans sa décision du 27 juillet 1994 sur les actuelles lois de bioéthique, il a considéré que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie ne s'applique pas aux embryons fécondés in vitro.

Par contre, le Conseil constitutionnel s'attachera certainement à deux autres principes de valeur constitutionnelle qui s'imposent au législateur.

D'abord, le principe du droit à la protection de la santé, qui figure dans le préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le préambule de celle de 1958. A son onzième alinéa, le préambule de 1946 dispose : « La nation garantit à tous... la protection de la santé ». Dans ses décisions du 22 janvier 1990 et du 8 janvier 1991, le Conseil constitutionnel a reconnu que le principe de protection de la santé a valeur constitutionnelle. Protéger la santé, c'est notamment rendre possibles les recherches menées à des fins thérapeutiques ; c'est aussi respecter les droits des malades à être soignés et ceux des personnes atteintes d'affections graves et souvent incurables à voir les recherches progresser et développer de nouvelles thérapeutiques, susceptibles de soulager leur souffrance et de leur offrir des chances de guérison.

Second principe que le Conseil constitutionnel pourrait souligner : le droit à la liberté de la recherche, qui peut se déduire de l'article XI de la déclaration des droits de l'homme de 1789, aux termes de laquelle « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi ».

Dans sa décision du 20 janvier 1984, le Conseil constitutionnel a jugé que le principe de la liberté de communication s'applique notamment aux « fonctions d'enseignement et de recherche ». Bien sûr, la liberté de la recherche ne peut s'exercer que si elle ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine. L'embryon de six ou sept jours, souvent qualifié de « pré-embryon », est-il déjà un être humain ou, à défaut, une personne humaine potentielle ? Les diverses religions et philosophies apportent des réponses dissemblables à cette question. Mais même si l'on admet avec vous que l'embryon est une personne humaine potentielle, cela ne peut valoir que pour l'embryon lui-même et non pas pour les milliers de cellules souches embryonnaires.

En effet - et je vous ai souvent entendu, Monsieur le ministre, développer cette thèse tout à fait fondée -, on ne peut parler d'embryon que lorsqu'il y a implantation dans l'utérus. Il n'est donc pas légitime de soumettre au même régime d'interdiction l'embryon et les cellules souches embryonnaires créées in vitro, conservées par congélation sans être réimplantées.

Il y a donc tout lieu de considérer que le Conseil constitutionnel censurera l'interdiction des recherches sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires devenus sans projet parental. Je dis cela notamment à l'attention de M. Leonetti, qui s'inquiétait de savoir sur quels arguments nous fondions l'exception d'irrecevabilité qu'a défendue M. Claeys (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

Le Conseil constitutionnel le fera en considérant que ces recherches ne transgressent aucun principe constitutionnel puisqu'elles ne portent pas atteinte aux droits de la personne humaine. A l'inverse, leur interdiction contreviendrait aux deux principes de valeur constitutionnelle que sont la liberté de la recherche et le droit à la protection de la santé.

Si je défends cette question préalable, c'est parce que je pense que la meilleure solution serait de rétablir par amendements le texte qui a été voté par 325 députés et qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur un texte qui est totalement différent et qui constitue en quelque sorte une chimère...

M. le Rapporteur - C'est intéressant, les chimères.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Mais laissons-là la tératologie. J'ai beaucoup d'estime pour vous, Monsieur le ministre, pour la part que vous avez prise dans ce débat et pour la fonction éminente que vous occupez. Celle-ci consiste à protéger la vie des patients et à favoriser les progrès de la recherche médicale, non à désespérer les malades et à décourager les chercheurs ! Quand il s'agit d'offrir des chances supplémentaires de survie aux patients, le législateur se doit de ne pas se transformer en Monsieur Niet. Il doit au contraire laisser la voie de l'espoir ouverte. Soyez donc le ministre de la santé et non pas celui des entraves à la recherche médicale !

Puisque vous avez cité Aristote, permettez-moi de citer Platon, qui n'était pas l'apôtre du juste milieu et qui disait : « L'art de la politique consiste à rechercher la vérité ». L'art de la politique scientifique, ce doit être à peu près la même chose : ne mettons donc pas d'entraves à la vérité et aux progrès de la connaissance de l'homme sur l'homme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Je vous remercie des propos aimables que vous avez eus à mon égard, mais je vais vous répondre fermement sur certains points.

A la suite de M. Claeys, vous avez continué la polémique sur le retard. Permettez-moi donc de vous rappeler que la loi de 1994 devait être revue au bout de cinq ans, soit en 1999. Vous étiez alors au pouvoir depuis un an et demi et vous auriez parfaitement pu mener la révision de bout en bout entre 1999 et 2002. Vous ne l'avez pas fait, ne venez donc pas nous parler de retard !

Vous nous reprochez d'avoir attendu un an après la première lecture par l'Assemblée, mais enfin, nous ne sommes arrivés aux responsabilités qu'en juin : or, traditionnellement, l'Assemblée ne siège pas l'été et la session d'automne est occupée par le budget et par le PLFSS...

M. Jean-Marie Le Guen - La preuve !

M. le Ministre - Nous avons inscrit cette deuxième lecture dès que cela a été possible. Je n'accepterai donc plus les critiques sur le sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - Très bien !

M. le Ministre - Vous avez d'autre part critiqué l'absence de Mme Haigneré. Je vous informe donc qu'elle était jusqu'à ce soir au Japon pour défendre le projet ITER : j'estime que c'était sa place. Bien entendu, elle sera parmi nous quand le sujet l'exigera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Vous croyez déceler une contradiction entre, d'une part, les positions du Président de la République et de M. de Villepin, d'autre part, celles du ministre de la santé. Il n'en est rien. Nous pensons tous qu'il faut interdire le clonage et si nous avions été suivis sur ce point, nous aurions aujourd'hui une disposition internationale en ce sens. Mais nous ne mettons pas sur le même plan le clonage reproductif - qui constitue, dans la loi, un crime - et le clonage thérapeutique - qui n'y apparaît que comme un délit.

M. Jean-Yves Le Déaut et M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Pourquoi ?

M. le Ministre - Vous-mêmes l'avez considéré comme tel !

M. Jean-Yves Le Déaut et M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Non !

M. le Ministre - Si vous vous reportez aux explications de vote d'alors, par exemple celle de M. Dubernard, vous verrez que notre attitude était une attitude d'ouverture. Nous ne voulions en effet ni fermer le débat, ni, à trois mois des élections, faire une utilisation polémique d'un sujet qui ne l'est pas.

Vous avez cité le rapport du Conseil d'Etat : La bioéthique, cinq ans après. Figurez-vous que je le connais aussi et que je l'ai lu. Il est exact qu'il fait une ouverture concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais en se situant très exactement dans la logique d'exception qui est celle de la loi de 1975, à savoir : une cellule embryonnaire et un embryon ne constituent pas a priori un matériau dont on peut disposer, mais comme ils peuvent être utilisés pour un principe d'intérêt égal, on peut, à titre exceptionnel, autoriser ce type de recherche.

J'ai moi-même fait un long chemin sur le sujet, en m'en expliquant très honnêtement, et je suis aujourd'hui le ministre qui vous propose d'ouvrir la recherche sur les cellules embryonnaires, conformément au principe d'exception.

Il n'a jamais été dit qu'au bout de cinq ans, le rideau serait fermé, mais simplement que nous ferions alors le bilan et que nous verrions si ces recherches doivent être continuées ou non.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Ce n'est pas la rédaction du Sénat.

M. le Ministre - Vous laissez entendre que les chercheurs vont être stoppés dans leur élan, mais c'est faux ! Si les recherches doivent continuer, elles continueront.

M. Jean-Marie Le Guen - Votre loi ne tiendra pas cinq ans, de toute façon.

M. le Ministre - Si je n'ai pas à répondre au sujet de mes convictions personnelles, qui n'ont rien à faire dans cet hémicycle républicain, je n'accepte cependant pas que vous fassiez passer le médecin que je suis pour un homme refusant de soigner les malades, alors que dans mon domaine, j'ai contribué à l'émergence et au développement d'une spécialité qui n'existait pas, la génétique, et que j'ai encouragé le diagnostic prénatal ainsi que bien d'autres techniques nouvelles !

Le texte que nous présentons aujourd'hui est un texte équilibré, qui fait les ouvertures nécessaires, y compris sur les recherches embryonnaires. Dès la promulgation de la loi, un dispositif transitoire les permettra. C'est un engagement que j'ai pris à la tribune et que je confirmerai.

Vos critiques étaient donc excessives. Je voulais rétablir la vérité et je souhaite maintenant que le débat se poursuive dans la sérénité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Claeys - Personne ne met en cause vos convictions personnelles. Je les respecte, mais vous êtes ici un ministre de la République.

M. le Ministre - C'est ce que j'ai dit.

M. Alain Claeys - Au sujet du retard, on peut polémiquer longtemps...

M. le Ministre - Je ne le souhaitais pas.

M. Alain Claeys - Il n'en demeure pas moins que M. Jospin, alors Premier ministre, a eu le courage, en janvier 2002, de porter le sujet devant l'Assemblée, en toute transparence, et de prendre lui-même, à quelques mois de l'élection présidentielle, des positions très claires.

M. Jean Leonetti - Il aurait mieux fait de prendre position sur les retraites.

M. Alain Claeys - Nous n'avons donc pas joué avec le calendrier. Après avoir pris l'avis d'un certain nombre d'instances - dont notre mission d'information, qui a duré un an et à laquelle vous avez participé, Monsieur le ministre -, nous avons été collectivement en mesure d'affirmer que nous étions favorables à la recherche sur l'embryon. Nous l'étions pour les raisons que j'ai rappelées tout à l'heure - intérêt des malades et de la recherche fondamentale - et cette disposition était parfaitement claire pour celles et ceux qui l'ont votée. Celles et ceux qui ne l'ont pas votée se sont, aussi, exprimés clairement.

Mais aujourd'hui, la situation diffère car nous sommes dans l'ambiguïté. Comment faire comprendre aux chercheurs que nous leur faisons confiance, aux couples que nous répondons à leurs préoccupations, si l'on refuse toute recherche sur l'embryon...

M. le Ministre - C'est faux !

M. Alain Claeys - ...et si l'on fixe un moratoire de cinq ans ? Pis, vous posez comme condition à cette recherche qu'elle ait des applications thérapeutiques. Comment savoir si des recherches fondamentales aboutiront à une application thérapeutique ? Il faut autoriser la recherche à partir de cellules souches embryonnaires parce qu'elle est indispensable pour comprendre certains mécanismes et qu'elle peut aussi avoir des applications thérapeutiques.

M. le Président - Il faut conclure.

M. Alain Claeys - Quant à l'importation des cellules souches embryonnaires, vous aviez la possibilité de l'autoriser.

Pour toutes ces raisons, nous voterons cette question préalable.

M. Yves Bur - Je regrette le ton inutilement politicien que prend ce débat. Nous avions engagé, de notre côté, voici deux ans, un débat serein sur le fond de cette question. Or, en soulignant le retard, en accusant le ministre de donner peu de chances aux malades ou à la recherche, vous vous trompez de débat et vous vous éloignez de ce qui fut, en première lecture, un grand moment pour l'Assemblée nationale.

J'ai voté, il y a deux ans, ce texte, et je ne puis accepter vos reproches, pas plus que je ne tolère les suspicions que vous faites peser sur notre ministre.

Par ailleurs, il n'y a pas de consigne de vote au sein de l'UMP, et chacun se prononcera en son âme et conscience (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La défense tant de l'exception d'irrecevabilité que de la question préalable a révélé la confusion qui règne au sein de l'opposition. Le Sénat a usé de son droit d'amender ce texte, profitons de ce débat pour l'améliorer encore, en gardant présent à l'esprit que l'opposition ne détient pas la vérité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean Leonetti - La science explique des phénomènes, la religion révèle une vérité, la morale et la loi posent des règles, l'éthique seule s'interroge. Cette interrogation est d'autant plus d'actualité que les progrès de la science et des techniques sont foudroyants.

La question de la « classification » de l'humain ne peut que se poser dans une société qui pratique la congélation des embryons humains et maintient une chaleur artificielle dans des cadavres sur lesquels on va prélever des organes.

Désormais, l'homme se sert de l'homme pour guérir l'homme. Comment le faire sans que le but et le moyen ne se confondent ?

Par ailleurs, la loi du marché nous pousse à tirer profit des découvertes scientifiques, ouvrant ainsi la porte à une compétition internationale : « Si vous n'autorisez pas telle pratique, nous dit-on, d'autres pays le feront, et vous paralyserez nos chercheurs. ».

Ce texte de loi ne peut donc être que le fruit d'un compromis entre la nécessité de favoriser les découvertes scientifiques et l'obligation de respecter chaque être humain.

Concernant les dons et greffes d'organes, je me réjouis que des dispositions pallient la pénurie d'organes dont souffre notre pays. Le don cadavérique sera ainsi favorisé par rapport au don du vivant qui peut poser problème lorsqu'il n'est pas le fait des géniteurs. La règle du « consentement présumé » est souvent détournée, aujourd'hui, par le recueil du témoignage familial. La proposition de M. le rapporteur d'interroger les proches sur la volonté du défunt, et non sur la leur, associée à mon amendement sur une information des jeunes lors des journées d'appel de préparation à la défense, devraient réduire le déficit de greffons.

Pour ce qui est des dons d'organes par des personnes vivantes, il convient de prévenir toute pression de l'entourage. Au-delà, il est vrai que le greffé peut vivre ce don comme une dette imprescriptible à l'égard du donateur.

Concernant la brevetabilité du génome humain, j'ai soutenu M. le ministre pour contester l'article 5 de la directive européenne qui soulevait des difficultés éthiques. Votre texte est conforme à l'idée que l'invention est brevetable - mais non la découverte - à condition que sa finalité ne soit pas contraire à la personne humaine.

Quelle est la destinée d'un embryon créé dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation et qui n'est plus l'objet d'un projet parental ? Sur le plan du droit, il devrait disparaître avec celui-ci, et je tiens, à cet égard, à souligner la charge affective qui pourrait peser sur l'enfant d'un père déjà mort.

Certains pourraient s'étonner de la prudence mise à prélever des cellules souches sur des embryons qui, sans projet parental, sont destinés à être détruits. En fait, l'exigence de la qualité des équipes scientifiques, la limitation dans le temps de cette possibilité et l'ouverture de perspectives thérapeutiques justifient une disposition transitoire qui reste une transgression.

Espérons que les travaux sur les cellules souches adultes permettront d'abandonner cette voie qui pourrait remettre en cause notre conception de l'humain et l'article 16 du code civil qui rappelle le respect dû à la vie dès sa conception.

Enfin, le clonage thérapeutique, c'est-à-dire le transfert nucléaire sur un ovocyte, est interdit. Cette technique ne devrait pas s'appliquer à l'homme dans les années à venir, pourquoi l'interdire ? Pour éviter toute commercialisation des ovocytes, mais aussi pour empêcher la mise en _uvre du clonage reproductif, dont il est la première étape.

Le clonage reproductif est condamné dans ce texte avec la plus grande fermeté puisqu'il constituera un « crime contre l'espèce humaine ». Cette expression ne signifie pas crime contre l'aspect biologique de l'homme, mais contre l'essence même du principe d'humanité. A côté du crime contre l'humanité qui existe déjà, et répond à une définition internationale, le crime contre l'espèce humaine est un crime contre l'humanité qui est en chaque homme.

Même si aujourd'hui un charlatan italien et une secte en mal de publicité ne peuvent pas mettre leur projet à exécution, il convient que, sur le plan européen et international, toutes les dispositions soient prises pour éviter des dérives monstrueuses.

Nous devons être évolutifs, réactifs et vigilants. C'est la raison pour laquelle dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, le texte prévoit un suivi des enfants conçus par ces techniques. Quant à la création de l'Agence de biomédecine, elle permettra de regrouper dans une seule instance les agences existantes, en élargissant leur champ d'action. Notre réactivité doit être permanente. C'est la raison pour laquelle, au lieu de fixer un délai de cinq ans au terme duquel les lois de bioéthique devraient être révisées, il serait préférable de pouvoir intervenir chaque fois que c'est nécessaire.

Ce projet est un compromis, dans le bon sens du terme, entre la volonté du législateur de ne pas limiter la recherche scientifique et l'exigence morale qui doit dominer la technique. Aucun progrès n'a été obtenu sans transgression des règles, des interdits, des tabous, mais aucune science ne peut s'affranchir de la conscience humaine. « Une société montre son degré de civilisation dans sa capacité à se fixer des limites », disait Cornelius Castoriadis.

Monsieur le ministre, vous l'avez dit, les décisions que nous allons prendre doivent obéir à deux vertus : le respect et la prudence.

Le respect, c'est considérer que la vision de l'autre est elle aussi respectable, mais c'est encore respecter la part d'humanité qui est en chacun d'entre nous.

La prudence, c'est à la fois la lucidité et la modestie, c'est accepter l'incertitude de l'avenir et considérer l'homme dans sa fragilité. Mais la prudence ne paralyse pas l'action, elle la guide et permet d'appliquer des lois imparfaites et temporaires à des hommes qui le sont également (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Déaut - La recherche ne doit pas être guidée par le conservatisme. La science française est en train de se faire distancer dans le domaine des biotechnologies parce que, depuis dix ans, nous n'avons pas pris les décisions qui s'imposaient.

Dès 2002, nous pouvions nous inquiéter de ce que nos chercheurs n'avaient décrypté qu'un seul des 23 chromosomes humains, alors qu'ils étaient en avance sur le bornage du génome dix ans plus tôt. La France est aujourd'hui absente de la scène scientifique mondiale.

Il ne suffit pas de se payer de mots, comme l'a fait le Président de la République à Barcelone, mais aussi pendant la campagne présidentielle en promettant de porter l'effort de recherche à 3 % du PIB. C'est un doux rêve.

M. Jean Leonetti - C'est mieux que de promettre « zéro SDF » !

M. Jean-Yves Le Déaut - Nous aimerions d'ailleurs que Mme Haigneré vienne s'exprimer au cours de ce débat (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Nous souffrons aussi de votre lenteur législative. Il ne suffit pas de s'énerver, Monsieur le ministre. Nous débattons d'un texte examiné en commission au printemps. Il aura fallu neuf mois pour aboutir. Malheureusement, nous ne travaillons pas dans les mêmes conditions de sérénité qu'en 1993 et 1994. Les amendements adoptés par la majorité témoignent en effet d'un retour à l'ordre moral (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Nous avions prévu, en 1994, que la loi serait révisée tous les cinq ans, reconnaissant que les avancées de la science pouvaient modifier les règles. Cette vision était conforme à celle du philosophe Hamburger, pour qui « les données scientifiques contemporaines se révèlent impropres à obéir à une morale qui est née sans les connaître ».

Mme Christine Boutin - Quelle vanité !

M. Jean-Yves Le Déaut - Aujourd'hui, vous succombez aux voix les plus rétrogrades de votre majorité (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - Elevez le débat !

M. Jean-Yves Le Déaut - Au lieu de clarifier le débat, vous le rendez confus.

Les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne sont pas, comme certains membres de la majorité tentent de le faire croire, des recherches sur l'embryon. Ce sont des recherches sur des cellules dérivées d'embryons conçus in vitro.

Nous avons eu tort, en 1994, de ne pas autoriser les recherches sur ce type de cellules. Il y a dix ans, la recherche française était en avance dans le domaine de l'embryogenèse et de la différenciation cellulaire. Nos chercheurs sont aujourd'hui freinés par des règles sans fondement. Notre avance est perdue. Un certain nombre de nos meilleurs chercheurs ont d'ailleurs quitté la France.

Nous allons autoriser la recherche à tous les stades de la vie, l'expérimentation sur l'homme sain comme sur l'homme malade, le prélèvement sur la personne morte, mais vous refusez les recherches au premier stade de la vie.

Monsieur le ministre, vous le savez, la première cellule contient les mêmes informations que les mille milliards de cellules qui nous constituent. Pour des raisons que nous ne connaissons pas, il se produit des phénomènes de différenciation qui déterminent l'apparition des cellules nerveuses et épithéliales.

M. Jean Leonetti - C'est un cours de vulgarisation !

Mme Christine Boutin - C'est magistral !

M. Jean-Yves Le Déaut - Cette recherche aux premiers instants de la vie, vous la refusez. La majorité a une position aussi hypocrite que celle du président américain George Bush (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

En 2001 en effet, George Bush a interdit dans la recherche publique les expérimentations qu'il laisse faire à la recherche privée. Il a cédé d'un côté à la pression de son électorat réactionnaire tout en refusant de limiter le capitalisme pharmaceutique.

Il est temps d'autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires.

L'absence de tout débat sur l'utilisation des embryons surnuméraires est révélatrice du conservatisme ambiant.

Deux conceptions s'opposent. Certains considèrent que l'embryon n'est qu'un amas cellulaire dépourvu de fin en soi, d'autres lui accordent une valeur intrinsèque dès la conception.

C'est d'ailleurs ce débat qu'on retrouve à l'origine de l'amendement Garraud (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). L'exemption de protection constitutionnelle de l'embryon in vitro a été en permanence affirmée par le droit constitutionnel ou par les différentes juridictions, qui ont refusé l'incrimination pénale d'homicide pour la mort accidentelle d'un f_tus. L'amendement Garraud visait, par des voies détournées, à reposer le problème du statut de l'embryon.

Le malheur est que ces arguties juridiques, ces man_uvres de freinage à répétition ont eu des incidences majeures sur la qualité de la recherche française. Je souhaite donc qu'on reconnaisse la liberté du chercheur, notamment dans les domaines où aucune considération éthique ne justifie l'abandon des recherches.

Le thème du clonage thérapeutique doit également faire l'objet de ce débat. Au nom de quelle morale pouvez-vous interdire qu'on fasse des recherches sur la reproduction de cellules embryonnaires pour ensuite les maintenir en culture, en vue de fabriquer des tissus, voire des organes destinés à être greffés ? Certes cet horizon thérapeutique est aujourd'hui très lointain. Il est vrai aussi que, dans le premier stade de développement du clonage thérapeutique, on fabrique un embryon, mais son développement est ensuite stoppé pour utiliser certaines cellules qui vont éventuellement se différentier et pouvoir être implantées chez un malade, sans risque de rejet immunitaire. Nous n'aurions pas dû non plus, sans doute, employer le terme de thérapeutique. Mais il n'est pas sain de rejeter la possibilité du clonage thérapeutique, au prétexte qu'il y a possibilité de dérive vers le clonage reproductif. Personne ne pourra empêcher le docteur Antinori ou les Raéliens de transgresser la loi, car la loi n'empêche jamais l'irresponsabilité. En conséquence, s'il m'apparaît logique de demander l'avis de l'Agence de biomédecine avant de procéder à ces expérimentations, il ne m'apparaît pas normal de les considérer comme un délit et de punir d'un emprisonnement toute personne qui y procéderait.

En conclusion, tout ce qui pourrait aujourd'hui brider la recherche n'est pas tolérable. Par définition, la recherche est une terre inconnue. On ne peut fixer d'avance ses résultats par la loi. Nous aurons l'occasion, dans ce débat, de revenir sur ces questions de recherche de clonage thérapeutique, de brevetabilité du vivant, de médecine prédictive. Nous espérons, Monsieur le ministre, que vous ne serez pas le ministre du retour en arrière, et que, comme en 1993 et 1994, nous aurons un débat serein (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Olivier Jardé - Nous arrivons au terme du processus législatif sur les lois bioéthiques. Nous avons pris notre temps et je n'en suis pas choqué. Ce sont des lois importantes, qui ne s'improvisent pas. Même si le Conseil d'Etat a remis son rapport dès 1998, nous allons aboutir à des textes qui assureront à la fois le développement de la recherche et le respect de la personne humaine.

En 1994, et c'est une fierté française, nous avons voté des lois bioéthiques qui ont rapidement été reprises par de nombreux pays, et qui nous ont permis d'encadrer notre recherche. Les lois d'aujourd'hui nous permettront de répondre à des questions que ne traitent suffisamment ni les conventions du Conseil de l'Europe, ni les positions de l'UNESCO, ni la charte des droits fondamentaux, comme celle de savoir s'il faut permettre le clonage. Souvenons-nous qu'il y a un an, sur nos écrans, une jeune femme, Brigitte Boisselier, disciple de Claude Vorillon, annonçait la naissance du premier bébé cloné... Si l'annonce était farfelue, il n'y a pas moins derrière elle des équipes de chercheurs qui s'efforcent vers cet objectif. Peut-on protéger l'homme contre l'inhumain ? Faut-il tomber dans le discours du « C'est mon droit » ? Faut-il protéger l'individu contre lui-même ? A-t-on le droit de donner de la ritaline à nos enfants pour améliorer leurs performances scolaires ? Mais nous-mêmes ne prenons-nous pas des pilules pour moins souffrir ? On vend aujourd'hui des pilules pour le bonheur.

Mme Christine Boutin - Le viagra...

M. Olivier Jardé - Je suis d'accord avec vous, Monsieur le ministre : il faut interdire le clonage reproductif, qui entend fabriquer un être au destin génétique programmé, et détruit les rapports de filiation qui sont au fondement de toute société. Vous avez bien fait de créer la notion de « crime contre l'espèce humaine ». Je regrette qu'on n'ait pu l'intégrer au « crime contre l'humanité », ce qui aurait permis de recourir au tribunal pénal international (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mais cette incrimination était nécessaire, et je suis sûr qu'elle sera reconnue par les autres pays.

Le clonage thérapeutique présente en revanche des connotations positives, en créant l'espoir de traiter des maladies neurodégénératives contre lesquelles nous sommes aujourd'hui désarmés. Il faut bien voir cependant que ce type de thérapeutique ne marche pas, même chez l'animal ; or il faut bien commencer par l'animal, hormis le cas de certaines maladies spécifiques à l'homme. Se pose en outre le problème d'autoriser ou non la recherche sur l'embryon. Il faut absolument qu'elle ne porte que sur des embryons surnuméraires. On ne saurait travailler sur des embryons produits pour la recherche. Le délai de cinq ans ne nous choque pas, car tout programme de recherche appelle des évaluations périodiques. Si donc en 1994 la recherche sur les embryons surnuméraires a été interdite, il faut la permettre et envisager sa validation ultérieure.

Il est intéressant de regrouper dans une Agence de biomédecine les établissements français compétents. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'y avoir intégré les associations : il serait dommageable qu'une telle agence soit limitée aux experts.

Sur la brevetabilité du gène, je dois dire que je suis gêné par l'article 5 de la directive de 1998, car une invention peut être brevetée, mais non une découverte. Il sera donc important de revoir cette directive. Quant au don d'organe, la carte vitale 2 permettra d'enregistrer un éventuel refus.

Ce qui me gêne, c'est la position des scientifiques. En 2001, l'Académie de médecine refusait le clonage thérapeutique avec cet argument, un peu surprenant : cela ne marche pas. La décision du 23 janvier 2003 est différente, puisqu'on considère que le clonage thérapeutique peut être envisagé. Et il est vrai qu'Axel Kahn, que j'ai vu récemment, envisage de telles recherches. Nous sommes là à la jonction entre droit, science et philosophie. Et nous allons nous trouver face à une forte volonté des chercheurs de refuser tout ce qui peut limiter leurs recherches.

Ce projet convient au groupe UDF, qui le votera avec sérénité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Jacqueline Fraysse - La présente révision des lois bioéthiques aura eu un parcours singulier : ce travail, engagé en 2001, sous la précédente législature, nous revient seulement aujourd'hui en seconde lecture. Est-ce le résultat de difficultés réelles pour répondre à certaines questions soulevées ? Est-ce le témoignage d'un conflit de plus en plus vif entre les valeurs humanistes et les pressions économiques ? Sans doute un peu des deux...

Il s'agit de sujets essentiels, car ils touchent à la personne humaine à son essence, à son devenir. Ces questions posées nous interpellent individuellement et collectivement. Y répondre exige un sens élevé des responsabilités qui nous implique tous avec nos convictions et nos valeurs. Il faut donc faire l'effort d'une vraie réflexion, par delà les clivages politiques partisans, pour promouvoir des règles de fonctionnement garantissant le respect de l'être humain, de son intégrité, de sa dignité et de sa liberté.

Facile à dire, plus difficile à faire... particulièrement dans cette société où l'argent apparaît de plus en plus comme une fin en soi, où la connaissance évolue à une vitesse jamais atteinte, promettant d'immenses applications, immédiates ou à terme. Comment concilier les nouvelles connaissances, toujours plus intimes, des mécanismes de fonctionnement de l'humain, avec le respect de la personne et les libertés fondamentales ? Comment encadrer les recherches, pour éviter les dérives, sans en gêner la poursuite au service de l'humanité ? Tels sont les défis qui nous sont lancés.

Mais nous n'en sommes pas les seuls dépositaires. Je souligne ce point essentiel car il met en jeu la démocratie. Celle-ci appartient aux citoyens, elle est vivante et évolue avec les sociétés. La nôtre est à reconsidérer, si l'on ne veut pas voir s'approfondir le fossé entre les citoyens et les élus, si l'on ne veut pas voir progresser l'abstention et les extrémismes.

Mme Christine Boutin - C'est vrai.

Mme Jacqueline Fraysse - Il suffit d'ailleurs de considérer la composition de notre honorable assemblée pour se rendre compte qu'elle n'a pas grand-chose à voir avec la société que nous sommes censés représenter, ni dans sa répartition hommes/femmes, ni dans sa répartition sociale...

L'absence d'information sérieuse est à mes yeux une difficulté majeure dont les effets négatifs se font sentir dans tous les domaines, et particulièrement dans celui qui nous occupe, parce qu'il concerne chacun sans exception, face à la connaissance de ses propres mécanismes vitaux et de ce qu'il est désormais possible d'en faire. Ce débat ne peut s'engager uniquement entre experts, hommes politiques ou intellectuels. C'est l'affaire de toute la société. Il faut à ce propos mesurer le déficit d'information, l'absence de débat sérieux qui ne peuvent que conduire à alimenter la peur du progrès scientifique.

Nous nous attacherons à tout faire, avec mes collègues du groupe communiste et républicain, pour que ces questions soient largement débattues avec nos concitoyens.

Nous proposons un amendement pour ouvrir le conseil d'orientation de l'Agence de biomédecine aux usagers et à des personnalités qualifiées ainsi que pour la mettre sous la double tutelle du ministère de la santé et de la recherche.

Concernant les dons et les greffes d'organes, je pense là encore qu'il est nécessaire d'informer et, ensuite, de faire confiance.

Nous souffrons d'un manque cruel d'organes à greffer, et nous n'avons pas fait tout ce qui était possible pour modifier cette situation. Je pense en particulier au consentement donné de son vivant pour d'éventuels prélèvements en cas de décès. Cette question devrait être abordée tôt dans la vie, de façon systématique.

Nous proposons d'aller plus loin que le consentement présumé en invitant chaque assuré social à mentionner, par exemple sur sa carte Vitale, son acceptation ou non du prélèvement.

Je regrette que l'un de nos deux amendements allant en ce sens ait été repoussé, et nous l'avons du reste redéposé.

Enfin, concernant les éléments et produits du corps humain, nous sommes attachés à la gratuité, au bénévolat et à l'anonymat.

Les produits du corps humain ne sont pas des marchandises, c'est la règle dans notre pays. Veillons à empêcher les dérives, face notamment aux développements technologiques.

La question des conditions de brevetabilité des éléments du corps humain, du génome en particulier, est fondamentale. La transformation en « propriété privée » de ces avancées scientifiques universelles serait lamentable.

Notre responsabilité est lourde. Elle n'avait pas échappé à M. Mattei, du temps où il n'était que député. Je voudrais être sûre que sa promotion au rang de ministre n'a pas altéré sa détermination à ne pas transposer en l'état l'actuelle directive européenne dans le droit français, afin d'empêcher le brevetage du génome.

La loi de 1994 précisait : « Le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d'un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l'objet de brevets ». Nous étions réticents quant à l'expression « en tant que tels », mais notre amendement de suppression n'avait pas été retenu.

L'avenir devait confirmer que la menace de breveter les gènes humains demeurait réelle, avec l'adoption de la directive sur la protection juridique des inventions biotechnologiques en 1998. M. Mattei avait même pris l'initiative d'une pétition pour sa renégociation, dont nous étions nombreux ici à être signataires.

M. le Ministre - C'est vrai.

Mme Jacqueline Fraysse - Lors de l'examen en première lecture, notre assemblée a adopté à l'unanimité un amendement des députés communistes qui précise qu'« un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable ».

Je ne souhaite pas polémiquer mais je constate que M. le ministre a trouvé ce texte inutile lors de l'examen par le Sénat. Une fois aux affaires, la volonté de renégocier la directive a été remisée aux oubliettes et l'amendement voté à l'unanimité balayé par la majorité de droite du Sénat.

Nous proposerons d'amender le texte en ce sens.

L'homme et les animaux ayant en commun de très nombreux gènes, interdire le brevetage du génome humain en autorisant celui de la plupart des gènes qui le composent parce qu'ils sont communs au vivant, limiterait considérablement la portée de l'amendement que tous les groupes ont voté en première lecture.

La recherche sur les embryons surnuméraires et le clonage fait également l'objet de vives controverses.

Le débat est pourtant tranché concernant le statut de l'embryon et la définition de l'humain depuis la loi de 1974 sur l'IVG.

C'est pourquoi, je ne crois vraiment pas opportun de remettre en cause une législation qui a constitué une indiscutable avancée.

Je regrette, à ce propos, que le Garde des Sceaux ait accepté, dans un premier temps, l'amendement déposé par M. Garraud. Le faire à la sauvette, lors d'une navette et sur un texte concernant la grande criminalité, ce n'est ni courageux ni brillant. Ce n'est pas non plus se montrer respectueux des femmes.

Je suis néanmoins satisfaite que le Gouvernement reconsidère sa position. Le Parlement est unanime pour interdire avec la plus grande fermeté le clonage reproductif. La position du Sénat nous convient donc.

Concernant le clonage à visée thérapeutique, le débat est plus complexe. Vouloir trouver des solutions pour traiter des maladies graves est légitime mais la création d'embryons humains à visée de recherche soulève de réelles questions et en premier lieu, celle de la facilitation du clonage reproductif dans le cas où les recherches aboutiraient à lever des obstacles communs aux deux techniques ; en second lieu, celle de la quantité d'ovocytes nécessaires au développement de cette recherche. Je ne peux en effet imaginer que ces ovocytes pourraient être obtenus en aussi grande quantité sur la base du volontariat et du bénévolat. Je redoute donc un développement des trafics, comme ce fut le cas pour les trafics d'organes.

De plus, selon l'immense majorité des chercheurs, l'application thérapeutique de telles techniques n'est pas à l'ordre du jour.

Enfin, d'autres voies prometteuses semblent se dessiner à plus court terme, notamment celle de la recherche sur les cellules souches adultes.

A ce stade, autoriser le clonage à visée thérapeutique me semble prématuré.

Il est, en revanche, urgent de donner notamment à la recherche publique tous les moyens nécessaires à son développement, pour que le pays de Pasteur, de Becquerel et de Curie conserve son autorité internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Jean Leonetti - Très bien !

Mme Christine Boutin - Députée depuis 1986, j'ai suivi tous les méandres des lois dites de bioéthique.

Dès 1987, François Mitterrand envisageait que les lois dites de « bioéthique » soient votées en 1989 afin d'être le point d'orgue du bicentenaire de la Révolution.

« Bioéthiques ? » A l'époque, beaucoup s'interrogeaient sur la signification de ce terme, sur son champ d'application.

1992, majorité socialiste, 1994, majorité de droite : les débats furent nombreux, les académies prirent position, et après bien des nuits passées à l'examiner, la loi fut enfin votée.

Aujourd'hui, le silence est assourdissant comme si la bioéthique était banalisée.

M. Jean-Marie Le Guen - Très juste !

Mme Christine Boutin - En 1992 et 1994, de nombreuses questions se posaient. Certains s'interrogeaient sur la procréation médicalement assistée qui impliquait la production d'embryons surnuméraires : l'embryon était-il porteur d'humanité, auquel cas les lois bioéthiques se devaient d'en tenir compte, ou fallait-il au contraire briser un interdit fondateur ?

Tout le monde sentait bien que ces lois engageaient particulièrement la responsabilité du législateur en posant les questions de l'éthique, du progrès, de l'interdit.

Pour ne pas prendre le risque d'isoler la recherche fondamentale française et pour amener l'opinion - et le législateur - à accepter l'inacceptable, on a présenté la PMA comme un acte simple et au succès garanti. L'expérience a révélé une réalité bien différente ! De même, pour faire accepter l'idée de production d'embryons surnuméraires, on l'a associée aux notions de don et d'anonymat. Mieux, on a parlé de « zygotes » pour éviter d'employer le terme d'embryon !

Pour obtenir l'adhésion finale du législateur, c'est aussi la souffrance des couples stériles - qui la contestera ? - qui a été mise en avant. C'est ainsi qu'a été autorisée la fabrication d'embryons surnuméraires, assortie de l'engagement formel qu'aucune recherche ne serait jamais autorisée à partir de cette ressource.

S'agissant du diagnostic préimplantatoire, nombre de chercheurs éminents ont posé la question du risque de dérive vers une sélection des embryons, laquelle renvoie à des époques de bien triste mémoire. Pour nous aider à l'accepter, on a alors promis que les lois bioéthiques seraient révisées cinq ans après leur adoption. Et nous voilà, presque dix ans plus tard, dans une configuration politique analogue : première lecture par un gouvernement de gauche, deuxième par un gouvernement de droite.

Quelle est la situation qui prévaut aujourd'hui ? Après avoir autorisé en 1994 la production d'embryons surnuméraires, nous sommes à la tête d'un « stock » dont on ne sait que faire. Au reste, cela ne doit surprendre personne : ayant privilégié une mauvaise approche, nous ne pouvions que nous placer dans une situation sans issue ! La réponse au problème qui se pose aujourd'hui ne peut être que mauvaise : soit on jette ces embryons - ce qui serait évidemment stupide -, soit on les utilise. De là vient la réponse qui jaillit spontanément à l'esprit - mais qui ne constitue en vérité qu'un tour de passe-passe fondé sur un raisonnement biaisé - : « Pourquoi ne pas les donner à la recherche ? » Alors que certains se sont plu à évoquer à cette tribune le respect fondateur qui lui est dû, nous en serions finalement réduits à accepter une conception utilitariste de l'embryon. Or, je rappelle que depuis dix ans, nul progrès n'est intervenu dans la recherche menée au plan mondial sur le matériau embryonnaire - et M. le ministre vient d'ailleurs de le confirmer ! Que dire du clonage ? En 1992, j'avais été le seul député à déposer un amendement visant à l'interdire. Que de sarcasmes, alors, vis-à-vis de cette initiative relevant, disait-on, de la science-fiction et du fantasme ! Aujourd'hui, nous y sommes : la technique existe et l'on nous propose de distinguer les clonages reproductif et thérapeutique pour les interdire tous les deux. Bien sûr, le clonage reproductif est impensable et scandaleux et le présent texte propose opportunément de créer le nouveau « crime contre l'espèce humaine ». Nous voici rassurés.

Bien qu'assorti du qualificatif magique de « thérapeutique », le clonage du même nom est lui aussi interdit, même si la gravité de l'incrimination prévue à ce titre est bien moindre. Pourtant, chacun sait que la technique employée est la même. Le clonage reproductif n'est que la poursuite du développement d'un clonage thérapeutique. Dès lors, est-elle bien justifiée ou bien tend-elle seulement à préparer les esprits à l'autorisation du clonage reproductif à brève échéance ? (« C'est inéluctable ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Pour gravir une marche supplémentaire, les mêmes ressorts qu'en 1992 et 1994 sont utilisés : la générosité, la gratuité, l'anonymat, la souffrance. Voici de beaux mots et de beaux sentiments, sans doute à même d'apaiser nos inquiétudes. Tout en saluant la compétence de nos deux rapporteurs, j'avoue qu'appeler « enfant sauveur-sauvé » - comme cela a été fait -, l'enfant créé pour soigner son frère relève du comble ! Il est vrai que le qualificatif de « sauveur-sauvé » est beaucoup plus acceptable pour nos consciences que celui, communément employé, d' « enfant médicament » !

Je déposerai plusieurs amendements tendant à bien mettre en évidence les enjeux de notre débat. Mais je veux vous dire qu'au-delà du vote que je pressens, je suis ce soir triste pour la France, car elle ne se montre pas à la hauteur de sa vocation de défenseur universel des droits de l'homme. Alors qu'elle a su parler d'une voix forte à propos de la guerre en Irak et que son discours sur les droits de l'homme est encore très écouté partout dans le monde, elle renonce aujourd'hui à sa mission humaniste. Je suis triste que l'on privilégie la recherche, au détriment des principes fondateurs de notre histoire. Assurément, le talent de nos chercheurs pourrait s'orienter avec succès sur d'autres champs que celui de l'embryon ! Pour ne pas accentuer le malaise, je demande enfin que les convictions philosophiques ou religieuses ne soient pas mises en avant, ou instrumentalisées pour tenter de justifier que - malgré elles - l'on soutiendra ce texte.

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

Mme Christine Boutin - Ce ressort-là a déjà été utilisé en 1992, et en 1994 et il est un peu trop facile ! Si je me permets de tenir de tels propos avec une certaine gravité, c'est parce que la fragilité du lien social dans notre pays me préoccupe. Quel rapport y a-t-il avec la bioéthique, me direz-vous ? Celui qui existe entre le faible et le fort, le pauvre et le riche, l'inclus et l'exclu. Je livre à votre réflexion le constat suivant. Chacun sait que la résistance d'une chaîne ne dépend pas de ses maillons les plus forts mais de la capacité des plus faibles à tenir l'ensemble. Cette chaîne, c'est notre corps social. Dès lors, on imagine bien que notre cohésion sociale dépend du sort que nous saurons réserver au plus faible et c'est tout l'enjeu de ces lois bioéthiques (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Martine Lignières-Cassou - Je tiens à souligner en préambule l'importance de l'Agence biomédicale, laquelle fait l'objet de peu de débats alors qu'elle occupe une place stratégique dans l'encadrement de l'AMP et de la recherche. A ce titre, le groupe socialiste n'est pas favorable à l'évolution de sa composition que propose aujourd'hui le Gouvernement. S'inspirant de l'exemple de la HFEA britannique, nous avions voulu que l'agence soit composée à parité d'experts scientifiques et de personnes choisies en raison de leur expérience personnelle des questions abordées ou de leur engagement associatif. Il convient en effet que les enjeux de bioéthique soient portés par l'ensemble du corps social, tant il est vrai qu'ils touchent à la nature même de l'humain. En janvier 2002, nous nous étions attachés à favoriser l'émergence d'une véritable démocratie scientifique et sanitaire. Las, vous ne privilégiez pas la même approche. Votre texte prévoit que les associations ne seront pas membres de l'agence et qu'elles ne pourront que la saisir, dans des conditions précisées par décret. C'est dire le peu de cas que vous faites de la capacité d'expertise du monde associatif !

L'agence britannique comporte également autant de femmes que d'hommes et ce point nous semble essentiel. N'est-ce pas en effet le corps des femmes qui est le plus directement soumis aux techniques d'AMP ? Bien entendu, votre projet ne prévoit rien de tel.

De même, la HFEA joue un rôle essentiel de diffusion de l'information scientifique et technique et anime véritablement le débat public en bioéthique en organisant régulièrement des consultations publiques. En France, on laisse les médias s'emparer d'enjeux qui les dépassent et le traitement qu'ont fait les télévisions des délires de la secte raélienne ou des expériences d'un trop célèbre gynécologue italien ne peut que nous scandaliser. Pour être responsable, le débat citoyen doit être mieux informé et nous considérons que l'agence peut jouer à cet égard un rôle essentiel.

Vous tendez à élargir le champ couvert par l'agence aux greffes et autres dons d'organes. Las, vous excluez de ses prérogatives les missions d'information et de contrôle des centres pratiquant l'AMP.

De même, vous ne reprenez pas l'idée que toute technique d'AMP nouvelle doit faire l'objet d'une évaluation préalable à sa mise en _uvre, en vue d'établir son innocuité. Il y a pourtant tout lieu de regretter que l'ICSI n'ait pas été soumise à une expérimentation préalable plus poussée ! Et l'interdiction des recherches sur l'embryon ne peut que favoriser une fuite en avant au profit des techniques les plus hasardeuses.

Puisque vous ne souhaitez plus légiférer sur la bioéthique que tous les cinq ans, il importe que l'agence nous permette de le faire à bon escient en nous informant de l'état d'avancement des recherches. Or, le texte dit simplement que l'agence « proposera des orientations ».

Je voudrais, pour conclure, évoquer le problème du traitement des ovocytes prélevés en vue d'une transplantation dans le cadre de l'AMP.

Cette technique progresse sans cesse, mais le nombre de donneuses reste faible, car le don d'ovocytes nécessite un acte médical lourd. Par ailleurs, le taux d'échec est important car, conformément au décret de novembre 1996, les embryons obtenus suite aux dons d'ovocytes sont systématiquement congelés, en vue d'une quarantaine sanitaire de six mois. Or, cette congélation systématique diminue les chances de succès du processus global. En effet, un tiers des embryons congelés ne résistent pas à la technique de décongélation et le taux d'implantation des embryons congelés est plus faible que celui des embryons n'ayant pas subi ce processus. Au total, la congélation diminue de près de moitié les chances de succès des patientes ayant recours à cette technique en France.

Dans les pays qui n'imposent pas une congélation - Grande-Bretagne, Espagne, Belgique -, le taux de succès est nettement plus élevé. Or il existe aujourd'hui des techniques qui permettraient de rechercher les virus HIV, hépatite B et C sans recourir à la congélation systématique des embryons. Compte tenu de ces progrès, une révision du décret de novembre 1996 doit être envisagée, afin d'améliorer le taux de succès des fécondations issues du don d'ovocytes et de ne pas décourager les donneuses (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Bur - Les perspectives de la biomédecine suscitent fascination, crainte et nouveaux espoirs. Alors qu'un long chemin reste encore à parcourir avant que l'on puisse concrétiser ces espoirs, les scientifiques nous incitent à dépasser les réticences éthiques et l'encadrement législatif élaboré en 1994 pour atteindre l'eldorado biotechnologique, dont les enjeux économiques sont mondiaux. Face aux malades et à leur souffrance, face aux handicaps et aux imperfections d'une nature capricieuse, la compassion nous pousserait plutôt à élargir le champ des espoirs thérapeutiques. Pourtant, des règles sont indispensables, dans l'utilisation des sciences comme ailleurs, à moins de prendre le risque d'égarements tragiques pour l'humanité tout entière.

La loi ne doit pas être considérée ici comme un ensemble de prescriptions et d'interdits. Elle prend, s'agissant de la bioéthique, la forme d'une frontière qui encadre et protège. Le c_ur du débat est bien celui des limites que le législateur peut et doit imposer à la liberté de recherche scientifique, et ce alors que le principe le plus couramment admis est celui de la liberté absolue de celle-ci, au nom du progrès. Certains scientifiques voudraient même fixer eux-mêmes leurs propres règles. Mme Monette Vacquin illustrait cette prétention en disant que la passion scientifique sans limites pourrait faire sienne la devise « Périsse le monde pourvu qu'on en perce les secrets ».

Parce que nous savons qu'il y aura toujours des apprentis sorciers refusant toute limite à leur passion, parce que nous sommes investis par le suffrage populaire, nous n'avons pas le droit de n'être que des spectateurs.

Nous avons été nombreux à regretter que le débat législatif n'ait pu être engagé plus vite. Aujourd'hui, pourtant, nous avons toujours le sentiment que, sur certains points, il serait prématuré d'édicter des normes législatives.

L'Assemblée nationale et le Sénat ont condamné sans appel toute tentation d'explorer le clonage reproductif, car la « photocopie d'être humain » est moralement inacceptable : c'est en effet la négation du caractère unique de tout être humain. L'incrimination de « crime contre l'espèce humaine » permet de donner beaucoup de solennité à cette condamnation.

Il s'agit à présent de faire partager à l'ensemble de la communauté internationale la même volonté d'interdire le clonage reproductif et de condamner sévèrement et partout dans le monde tous les apprentis sorciers qui oseraient s'affranchir de cet interdit. Une telle condamnation universelle constituerait, avec la convention d'Oviedo, un premier pas vers l'adoption d'une charte éthique internationale propre à accompagner le développement futur des biotechnologies.

C'est une fois de plus autour du statut de l'embryon humain que se noue le débat. La loi a pour objet de protéger les êtres humains, mais ce devoir de protection n'est pas un principe intangible. On y a renoncé avec l'autorisation d'interruption volontaire de la grossesse au nom d'un principe de détresse médicale ou sociale. On y a renoncé avec le diagnostic prénatal ou préimplantatoire, qui permet d'interrompre le développement d'un embryon présentant des anomalies. Nous y avons renoncé une fois encore et j'y étais favorable, lorsque nous avons décidé en première lecture d'autoriser la recherche sur les embryons surnuméraires.

D'un côté, le principe kantien veut qu'un être humain ne soit jamais utilisé seulement comme moyen, mais toujours aussi comme fin. D'un autre côté, nous ne savons que faire des dizaines de milliers d'embryons maintenus en congélation, alors que leurs concepteurs ont renoncé à leur donner vie, qu'ils n'ont pu être implantés chez une mère d'accueil et qu'ils n'ont pas été détruits à la suite d'un diagnostic préimplantatoire défavorable ou d'une décongélation ratée.

Comme en première lecture, je considère que les embryons surnuméraires orphelins de tout projet parental sont déjà condamnés : ils ont de fait un statut de « morts congelés ». Dès lors, la seule alternative est celle du laboratoire ou de l'incinérateur.

Avec une majorité de collègues, j'ai fait le choix de les confier à la recherche, après accord des géniteurs et dans un but exclusif et encadré de recherche médicale. Il ne saurait cependant être question de créer des embryons dans le seul but de pourvoir aux besoins de la recherche scientifique. Les dispositions proposées limitent ce risque et l'on peut penser que les progrès des techniques limiteront à l'avenir le nombre des embryons surnuméraires. J'ajoute que les cellules souches adultes présentent l'avantage de pouvoir contourner les barrières immunitaires.

Je souhaite que nous assumions nos choix concernant les embryons surnuméraires, étant entendu que personne ne renoncera au progrès que pourraient constituer les cellules souches, et qu'il faut refuser l'hypocrisie qui consisterait à se limiter à importer des lignées de cellules souches d'origine embryonnaire ou à attendre que d'autres pays aient réalisé le travail de recherche.

S'agissant du clonage à vocation thérapeutique, il faut éviter toute précipitation. En effet, le recours au transfert nucléaire sur des ovocytes pose une série de problèmes éthiques graves, à commencer par le recueil en nombre d'ovocytes dans un but, non pas de procréation assistée, mais de recherche. Ces techniques peuvent être nocives et la conservation par congélation des ovules est loin d'être au point. De plus, se poserait inévitablement la question de l'indemnisation de la donneuse et même de la commercialisation des ovocytes, qui nous paraissent inacceptables, à moins de remettre en question le principe selon lequel le corps humain est inaliénable.

Accepter le clonage à vocation thérapeutique, c'est aussi et surtout transgresser la règle de la reproduction sexuée, consubstantielle à l'humanité de l'être humain et à son caractère unique. Nous ne mesurons pas encore les conséquences d'une telle décision, qui serait une révolution anthropologique. Il n'existe à ce jour aucune indication impérieuse pour franchir ce pas.

La question de fond est peut-être de savoir si les cellules issues d'un transfert nucléaire doivent être considérées comme un simple amas cellulaire ou comme un embryon porteur des potentialités de l'humain. Est-ce que le seul fait de n'être pas le fruit d'une reproduction sexuée ôterait à cet amas cellulaire le droit d'exprimer sa puissance d'être ?

Ce débat n'est pas entamé, mais si d'autres pays arrivent à prouver la réalité des espoirs thérapeutiques placés dans ces recherches, il est probable que notre législation évoluera à nouveau.

Pour ma part, j'ai abordé ce débat qui transcende les clivages politiques en ayant en permanence à l'esprit cette phrase de Hans Jonas : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre ».

Parce que j'ai considéré en conscience que les principes d'humanité n'étaient pas remis en cause par le présent projet et que nous avions bien encadré les pratiques en les mettant au service d'une démarche authentiquement thérapeutique, je voterai ce texte, comme je l'avais fait en première lecture, mais en étant très réservé sur l'extension du cercle des donneurs vivants potentiels, qui entrouvre la porte à diverses dérives, y compris mercantiles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Noël Mamère - Rarement un texte voté à l'Assemblée nationale aura autant engagé l'avenir de générations futures et autant abordé de questions - greffes, recherche sur les cellules souches, clonage - qui bouleversent le rapport même à la vie. Ce débat concerne chaque Français individuellement et la société collectivement. Il ne doit pas être confisqué par les seuls scientifiques, ni utiliser la douleur de ceux qui sont victimes de maladies rares.

Ce qui est en jeu dans ce débat, c'est bien l'éthique de responsabilité. Face à ces nouvelles réalités, les frontières traditionnelles de la droite et de la gauche vacillent, même si, derrière le paravent s'agitent des fous qui voudraient remettre en cause les avancées émancipatrices. L'épisode de l'amendement Garraud en témoigne. Sous prétexte d'un prétendu vide juridique, cet amendement tentait de nous engager sur la voie d'une redéfinition du statut de l'embryon, pour la plus grande joie des lobbies intégristes qui se réjouissaient de cette brèche ouverte dans le dispositif de la loi Veil.

Pour ces raisons, nous devons rester vigilants face aux progrès de la recherche et aux ambitions du complexe médico-industriel. Il convient de délimiter prudemment le périmètre des recherches bioéthiques et de nous doter de pouvoirs de sanction contre ceux qui voudraient nous projeter dans un monde où l'eugénisme deviendrait la norme, ce que le professeur Testaud appelait en 1990 « l'eugénisme démocratique » et le philosophe allemand Jürgen Habermas, dix ans plus tard, « l'eugénisme libéral ».

En première lecture, nos deux assemblées ont fait du clonage un crime contre l'espèce humaine, et interdit de faire d'un élément du corps humain une invention brevetable. La France entend ainsi s'opposer à la marchandisation du vivant.

Si les brevets sont un moteur de la recherche, on ne peut laisser des firmes pharmaceutiques s'approprier le patrimoine génétique de l'humanité. La France s'inscrit dans la ligne de la convention des Nations Unies sur la biodiversité, et de la déclaration de l'UNESCO sur le génome humain. L'ouverture d'un droit à la recherche sur l'embryon humain ne doit pas être systématiquement rejetée, mais il faut la restreindre aux seuls domaines où la recherche sur l'animal aura suffisamment avancé.

Pour ce qui est des embryons surnuméraires, nous approuvons le compromis auquel le Sénat a abouti, à condition que la recherche soit strictement encadrée en la matière. Il faut notamment s'assurer qu'une autorisation de recherche de cinq ans sur les surnuméraires voués à la destruction ne soit pas un prétexte pour créer plus d'embryons que nécessaire. Néanmoins, l'hypothèse d'une autorisation de la recherche sur l'embryon, à titre expérimental, est sur le fond un faux-semblant.

La question de la recherche sur l'embryon représente un enjeu considérable en termes de valeurs et il convient de s'interroger sur l'opportunité de remettre en cause l'interdit de l'instrumentation de la vie humaine, alors même que d'autres solutions que l'utilisation de cellules embryonnaires seront possible demain. Malgré nos réticences, et compte tenu des avancées obtenues au Sénat, les députés verts s'abstiendront sur ce texte.

M. Dominique Richard - Ce débat, attendu depuis quatre ans, est, en réalité, vieux comme le monde, la question de l'éthique est au c_ur même du serment d'Hippocrate, et se pose à l'homme depuis le jour où il s'est enquis de remédier aux aléas de sa santé.

Mais jusqu'à la fin du XXe siècle, la question de la manipulation génétique à fin thérapeutique ne se posait pas de la même façon. Le décodage du génome humain en l'an 2000 et les avancées des nouvelles thérapies géniques et cellulaires font naître des espoirs considérables face aux souffrances humaines.

Comment concilier le devoir du responsable politique de mettre au service de ses concitoyens les avancées de la science et la nécessité de sauvegarder une vision éthique du respect de l'homme ?

C'est l'extrême difficulté du sujet et, à cet égard, nous devons respecter nos divergences. C'est la richesse d'une démocratie d'accepter l'avis différent comme un enrichissement de la réflexion commune, aussi saluerai-je le travail remarquable des rapporteurs qui ont fait preuve d'humanité sur un sujet si délicat.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - C'est vrai !

M. Dominique Richard - Mon approche de la question se situe dans la droite ligne d'Emmanuel Mounier pour qui « la démocratie doit servir l'Homme par-dessus l'homme, et non son simple bien-être ».

La seule question est bien de savoir à partir d'où et jusqu'où l'on peut utiliser le corps humain dans un objectif de santé sans s'orienter vers une réification de la vie, prélude aux dérives les plus odieuses comme la commercialisation des organes.

Ce texte pose un certain nombre de garde-fous. Va-t-il pour autant assez loin ? Malheureusement non et je partage l'avis du député Mattei qui, le 15 janvier 2002, affirmait que « l'honneur de la France » serait « de mettre en _uvre tous les moyens de recherche sur les cellules souches d'origine adulte afin d'être dans le wagon de tête sur ce sujet plutôt que de se glisser dans le fourgon de queue de la recherche sur les cellules embryonnaires ». Il ajoutait : « Qu'on le veuille ou non, l'utilisation de cellules d'embryons surnuméraires n'est pas sans conséquences sur nos repères essentiels ».

C'est vrai, le texte ne prévoit qu'une période expérimentale, strictement encadrée. Mais en quoi le principe kantien qui fait de l'homme une fin et jamais un moyen peut-il être appliqué à géométrie variable ?

N'est-ce pas avec des exceptions que l'on met le doigt dans un engrenage dont personne ne peut dire où il nous mènera ?

La question semble différente pour les « bébés médicaments », d'autant plus que les prélèvements s'opèrent sur le cordon ombilical.

Si je ne méconnais pas les souffrances profondes qui peuvent naître de ces situations, elles ne suffisent pas à emporter mon adhésion, notamment parce que le résultat n'est pas garanti et que rien n'empêche qu'il faille recommencer. Et alors, quelles conséquences pour les enfants ainsi conçus ? Où nous mènera ce premier pas, généreux, mais qui pourrait bien confirmer que l'enfer est pavé de bonnes intentions ?

Le manque de certitude devrait nous inciter à la plus grande prudence.

Vous avez indiqué, Monsieur le ministre, lors du débat de 2002, que, sur de telles questions, la liberté de vote s'impose selon la conscience personnelle. C'est la liberté que je prends, tout en le regrettant, tant cette loi comporte de réelles avancées par ailleurs.

M. le Rapporteur - C'est tout à fait normal !

M. Serge Blisko - Beaucoup de choses ont été dites ce soir, qui montrent combien ce débat est compliqué.

Permettez-moi de centrer mon propos sur la recherche, car ce texte va conditionner la recherche française dans les domaines de la médecine, de la biologie, et d'autres disciplines annexes. Or, la recherche française est aujourd'hui au plus mal.

Nous ne lui consacrons que 2,2 % de notre PIB et l'objectif de 3 % pour 2010, outre qu'il a peu de chances d'être atteint, demeure bien trop faible.

Les chercheurs représentent moins de 1 % des fonctionnaires, mais 10 % des 4 500 postes supprimés dans la fonction publique en 2004. Un brevet sur onze dans le monde était français en 1985. Il n'y en a plus qu'un sur quinze aujourd'hui. Un chercheur de 30 ans, avec plusieurs publications à son actif, gagne 2 140 € par mois.

Faut-il s'étonner, dans ces conditions, qu'en 2003, seuls 9 800 étudiants sur deux millions soient inscrits en DEUG de sciences, contre 130 000 en 1998 ?

Enfin, lorsque nous envoyons des étudiants d'Europe en postdoc aux Etats-Unis, 75 % s'y installent, contre moins de 50 % en 1990.

Voilà le visage de la recherche française que ce gouvernement a, de surcroît, mise au régime sec. Projets abandonnés, ou suspendus, l'INSERM et le CNRS sont en quasi-faillite.

Les matériels en panne ne sont pas réparés, faute de crédits. Vous imaginez dans quel état d'esprit travaillent les laboratoires de recherche !

Les emplois sont supprimés en masse. Nos cerveaux, que nous avons formés à grands frais, ont tendance à s'expatrier définitivement aux Etats-Unis.

Le Gouvernement a proclamé la science grande cause nationale, mais le budget n'a pas suivi. Or, pendant que la France réduit son effort de recherche, nos concurrents européens et américains accentuent le leur, malgré leurs propres difficultés budgétaires. L'Etat, en France, ne joue plus son rôle. Il se repose sur la recherche privée.Vous préférez la rentabilité à court terme à la recherche de demain.

C'est pourquoi nous sommes en train de décliner au plan international. La situation de la recherche française est, de ce point de vue, un indicateur beaucoup plus probant que les analyses de M. Baverez.

S'agissant de la recherche sur l'embryon, je suis frappé par la méfiance, par l'esprit anti-scientifique qui domine depuis dix ans. Dans les journaux, les colloques, les discours de certains collègues, on retrouve sans cesse ces lieux communs sur la science sans conscience, sur le chercheur qui doit être bien encadré par la loi et que vous menacez de sept ans d'emprisonnement. J'en connais qui doivent trembler.

Au moment où notre recherche se dégrade, où les jeunes se détournent des études scientifiques et médicales, vous adoptez un langage de défiance.

Je ne suis pas chercheur, je suis seulement médecin, mais je m'inquiète d'entendre certains parler de « savants fous ».

M. le Président de la commission - N'exagérez pas !

M. Serge Blisko - Monsieur le président de la commission, vous qui êtes un grand chercheur, ne pensez-vous pas qu'écrire : « La recherche sur l'embryon humain est interdite » va pousser certains chercheurs à mettre la clé sous la porte et à partir à l'étranger ?

La disposition sur laquelle vous revenez n'était pourtant que dérogatoire. Vous n'accordez quant à vous de dérogation que pour cinq ans, si la recherche en question est susceptible de déboucher sur un progrès thérapeutique majeur et à condition qu'elle ne puisse être poursuivie par une méthode alternative d'efficacité comparable.

Pensez-vous que les chercheurs ou même l'Agence biomédicale soient capables de définir ce qu'est « un progrès thérapeutique majeur ». Il arrive qu'un progrès mineur débouche sur une innovation majeure. En outre, la science ne progresse pas de manière linéaire. Elle prend parfois des chemins de traverse. La recherche sur les cellules souches peut être décevante sur le développement de l'embryon, mais capitale pour la cancérologie.

Quant au recours aux méthodes alternatives, je n'ai pas le sentiment que l'agence puisse vraiment faire des comparaisons. Il y a un problème d'évaluation.

En janvier 2002, un grand nombre d'entre nous avaient voté, ou n'avaient pas refusé de voter le texte prudent et cohérent que nous avions examiné.

Personnellement, j'avais voté ce texte de compromis, même si j'estimais qu'il n'allait pas assez loin.

Le projet qui nous revient du Sénat n'honore pas le Parlement. Il est marqué par la défiance, par la haine du savoir. En définitive, ce n'est plus le même texte. Ce projet dessert la science, il va à l'encontre du progrès médical. Demain, il sera examiné dans tous les congrès scientifiques internationaux. Il va donner une image déplorable de la France. Je souhaite que vous en ayez conscience (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Le Guen - La question fondamentale de la recherche sur l'embryon a été posée. Ce débat n'est pas récent, puisqu'il avait déjà eu lieu au Parlement en 1994.

Des changements importants sont intervenus depuis, comme la fécondation in vitro et le diagnostic prénatal. Le texte en tient compte. En quelques années, la recherche sur les cellules souches embryonnaires ainsi que la naissance des premiers mammifères clonés ont fait progresser de façon extraordinaire nos connaissances scientifiques. La guérison de nombreuses maladies affectant les enfants ou les personnes âgées peut être envisagée.

En 1994, le législateur avait interdit la recherche sur l'embryon, tout en prévoyant des dérogations. Mais rien n'avait été décidé sur le sort des embryons surnuméraires. Dans le nouveau texte, nous ne nous privons pas des progrès qui peuvent résulter de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais nous approuvons l'interdiction du clonage reproductif et l'aggravation des sanctions en la matière. Il faut aussi se féliciter de l'initiative prise par la France et l'Allemagne en vue de l'adoption d'une convention internationale mettant hors la loi le clonage reproductif.

La recherche sur l'embryon, qui sera très encadrée, ne peut être que thérapeutique. Mais il n'y a aucune raison de limiter les chercheurs à l'utilisation des embryons en stock. C'est pourquoi je soutiens l'amendement de la commission visant à autoriser la recherche sur les embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental.

Il est en outre prévu que ces recherches soient menées sous le contrôle de l'Agence de biomédecine. Mais ne craignez-vous pas de susciter un sentiment de frustration chez les chercheurs en les encadrant de la sorte ?

Nous sommes favorables à la recherche embryonnaire, à condition que des limites soient posées. Il faut adresser un signal fort aux chercheurs en encourageant la recherche sur les cellules souches embryonnaires et les embryons surnuméraires.

Je veux par ailleurs évoquer la non-brevetabilité du génome humain. Le vivant ne doit pas faire l'objet de brevets parce qu'il appartient au patrimoine biologique de l'humanité. Cependant, je suis satisfait qu'on ait voulu, de manière pragmatique, combler le fossé entre la législation nationale et la directive européenne : si aucun gène ne peut être breveté, le procédé qui permet de parvenir à ce gène pourra l'être. Nous soutenons les dispositions techniques adoptées par la commission.

S'agissant enfin des dons d'organes, ne peut-on revoir le dispositif ? Je suggère de demander à tous les Français majeurs, au moment de la mise à jour de la carte Vitale, s'ils acceptent de donner leurs organes après leur mort. Cela nous évitera de solliciter des familles en deuil, qui ont tendance à refuser.

Je soutiens l'idée avancée par M. Fagniez pour empêcher le contournement du dispositif de « consentement présumé ». Au lieu d'interroger les familles, mieux vaut vérifier si le défunt s'était clairement opposé à tout don d'organe.

Au total ce projet établit un équilibre entre valeurs éthiques et progrès scientifiques ; c'est pourquoi je le voterai (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Guibal - Les sciences de la vie ont connu des développements spectaculaires. L'homme prométhéen est aujourd'hui face à lui-même, objet plus que sujet de son propre pouvoir. Et la question se pose à lui de savoir quelles limites il doit fixer à ce pouvoir. A ce jour les hommes ont toujours mis en application leurs découvertes. Cela doit-il encore être le cas, quand la technoscience peut agir sur l'humain au risque de le modifier ? A ce stade on ne peut plus s'abandonner à l'euphorie technicienne, quand bien même elle prétendrait ne viser que le « bonheur » de l'humanité.

Quant au législateur, il ne saurait se prononcer sans s'être d'abord interrogé sur les valeurs auxquelles il se réfère, et sur la capacité des normes qu'il édicte à les faire respecter. A cet égard, il n'est peut-être pas certain que, depuis que nous légiférons sur la bioéthique, nous n'ayons pas transgressé, par glissements successifs, ce que nous tenions initialement pour des interdits... Ce dont il s'agit, en l'occurrence, c'est de dire ce qu'on entend par « être humain », rien de moins. Et ce n'est pas simple. Notons au passage que la science, et la technique moins encore, ne nous sont en l'espèce d'aucun secours. Elles peuvent décrire l'humain, le modifier ou le tuer : elles ne peuvent en donner une définition.

Restent les disciplines théologiques, métaphysiques ou morales qui fondent nos valeurs. Et je reconnais que dans ces domaines la difficulté reste grande. Comment, dans des sociétés démocratiques qui ont ouvert l'espace public au débat critique, faire émerger un choix éthique partagé ? Comment concilier Hans Jonas et Peter Sloterdijk ? Devons-nous maintenir une conception « humaniste » de l'homme, fondée sur l'unicité que lui confère la loterie génétique, ou devons-nous opter pour sa « domestication » par des manipulations génétiques ?

Pour moi, le choix est clair . La grandeur et la dignité de l'homme tiennent à sa singularité, c'est-à-dire à sa liberté. Celle-ci est indissociable du caractère unique de l'individu. Tout ce qui réduit sa singularité réduit sa liberté. Quoi qu'il advienne demain, nous devons résister aujourd'hui à nos tentations d'apprentis sorciers. C'est pourquoi ce texte me semble bien inspiré quand il inverse la tendance de ceux qui l'ont précédé, marque un coup d'arrêt face aux dérives possibles et ouvre un délai nécessaire à l'approfondissement de la réflexion éthique.

Considérons ainsi le clonage reproductif. Forme extrême de l'eugénisme, il réifierait l'être humain, donnerait naissance à des non-individus voués à d'immenses souffrances psychiques, et diminuerait l'adaptabilité de l'espèce en réduisant sa diversité génétique. Il est désormais, et c'est bien, qualifié de crime contre l'espèce humaine. Cependant, pour éviter toute transgression, même dans un avenir lointain, il faut en faire un tabou aussi puissant que l'inceste. Son interdiction est nécessaire, mais ne sera peut-être pas suffisante, même si elle est internationale. Et d'ailleurs, l'interdit légal ne saurait se substituer à celui de l'éthique. Le droit doit être un moyen de faire respecter l'éthique, pas de l'occulter. C'est pourquoi l'éducation doit prolonger la règle de droit en introduisant son commentaire dans les programmes scolaires.

Bien que le clonage thérapeutique ait également fait l'objet d'une interdiction, la recherche sur les cellules souches embryonnaires résultant d'une procréation médicalement assistée a été autorisée, à titre expérimental, pour une durée de cinq ans. Il faut qu'à l'issue de cette période, cette interdiction soit strictement respectée, notamment afin que la recherche sur ces embryons surnuméraires ne compromette pas celle sur les cellules souches adultes pluripotentes.

Le droit a toujours été en retard sur la technoscience, et placé par elle devant le fait accompli. Il est temps qu'il anticipe, et qu'il encadre certaines formes de recherche afin de ne plus être confronté à leurs résultats avant même qu'un cadre éthique et législatif ait pu être défini. Compte tenu de la puissance de biotechnologies, de l'aspiration à la liberté de la recherche, des enjeux économiques, mais aussi de l'interaction entre l'éthique et la science, notre responsabilité est de veiller à ce que la recherche du mieux-être ne soit pas d'un coût exorbitant pour l'humanité de l'homme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - Bien que je réserve l'essentiel de mes arguments pour la discussion des articles, je veux dire un mot à chacun de vous, tant j'ai senti que, dans vos interventions, vous livriez tous un peu de vous-mêmes, et que nous étions à un moment privilégié de la discussion législative.

Après quelques échanges un peu vigoureux, Monsieur Leonetti, vous avez tenté de rendre au débat un peu de hauteur de vue, et je vous en remercie. Vous l'avez fait sans compromis mais en appelant à la conciliation et ce terme est important.

M. Le Déaut, et d'autres orateurs, se sont malheureusement enferrés dans un raisonnement circulaire autour de la recherche, qui finit par ne déboucher sur rien et n'apporter au débat aucun élément positif. J'ai eu le sentiment, comme en écoutant M. Blisko, que vous vous étiez préparés à affronter une majorité qui aurait campé sur des positions immuables et qui n'aurait fait preuve d'aucune ouverture. Vous étiez tellement habitués à cette idée que, face à un projet qui ouvre la recherche sur les cellules embryonnaires, vous vous retrouviez démunis d'arguments, et que beaucoup de vos propos sont tombés à plat. Vous dites que les chercheurs ne peuvent pas chercher sur les cellules embryonnaires : c'est faux. Vous dites qu'ils seront obligés de partir à l'étranger : c'est faux. Vous dites qu'il faut leur permettre de se lancer dans des recherches importantes : cela sera possible - mais pas n'importe quoi, pas n'importe où, pas n'importe comment ! Pas sans contrôle ni évaluation.

Dans certains propos, d'ailleurs, où vous semblez avoir voulu forcer le trait, vous êtes allés beaucoup plus loin que ce que vous-même aviez proposé en janvier 2002. Ainsi quand j'entends M. Blisko ou M. Le Déaut proclamer que la recherche doit être sans entraves, sans limites... Voilà qui dépasse de loin le projet de 2002, dont vous avez d'ailleurs reconnu - en cela vous êtes cohérents - qu'il vous avait laissés sur votre faim. Mais une société qui a besoin de ses chercheurs, qui a besoin de science, a toutefois besoin aussi de comprendre, et de poser des limites, qui doivent, avant d'être franchies, faire l'objet d'une évaluation prudente.

M. Jardé a eu raison de rappeler que la recherche doit être accompagnée. Il a traduit, je crois, la pensée de tous sur le clonage reproductif - même si dans une ou deux interventions j'ai senti quelque réticence à rejoindre cet unanimisme. Il a eu raison aussi de souligner la nécessité du bilan à cinq ans pour la recherche sur les cellules embryonnaires. Comme il s'exprimait au nom du groupe UDF, je remercie celui-ci de son soutien.

Vous avez tenu, comme souvent, Madame Fraysse, des propos d'une grande qualité. Vous avez commencé avec l'humilité qui sied au médecin et au chercheur, comme au législateur, qui ne devrait toucher aux lois que d'une main tremblante... Vous avez rappelé les difficultés - on en perçoit dans le texte - et l'existence d'enjeux contradictoires, entre une recherche orientée vers de meilleures thérapeutiques et le poids des enjeux économiques : ce sont bien là les limites que nous devons prendre en compte. Vous avez eu raison aussi de rappeler l'opposition, bien connue depuis Max Weber, entre l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité. Chacun de nous est animé de ses propres convictions, et revendique le droit de vivre conformément à elles. Mais dès lors que nous sommes une société pluraliste, que la loi est faite pour tous, le législateur comme le ministre sont tenus d'assumer l'éthique de la responsabilité.

Si je vous réponds sur ce point, ce n'est pas essentiellement pour traiter de la brevetabilité du génome. Il est vrai pourtant que la directive européenne sur les biotechnologies a été adoptée ; que la France fait l'objet d'un recours en manquement ; et que la directive, non transposée dans les délais, s'impose maintenant à notre droit. Ma conviction - vous avez bien voulu le rappeler - est qu'il faut lutter contre toute forme d'appropriation du vivant et de l'humain - nous le verrons à propos des organes, nous l'avons déjà fait sur les tissus et les cellules. Je ne renie rien de mon combat contre la brevetabilité du génome. Je me rappelle cette pétition soutenue par la quasi-totalité de votre groupe et par d'autres, sur tous les bancs, ainsi que dans les mouvements anti ou altermondialistes : il y avait là une réunion de la plupart de ceux qui veulent écarter l'humain du commerce. Nous nous trouvons devant un fait accompli, Madame Fraysse. Je dois assumer mes responsabilités, les responsabilités du Gouvernement de la France. Une directive a été acceptée en 1998. J'assume la continuité de l'Etat.

Cela ne m'a pas empêché de faire le tour des capitales européennes pour voir dans quelle mesure une nouvelle négociation était possible. Mais il faut d'abord transposer la directive.

J'espère que la rédaction du Sénat permettra de distinguer la directive sur les biotechnologies, qui conditionne le développement et la recherche, et l'article 5, qui comporte des alinéas contradictoires. Nous acceptons, en définitive, de breveter la technologie, et pas le bio. Ainsi, une technique concernant un gène peut être brevetée, en incluant le gène, mais le gène doit rester accessible aux chercheurs susceptibles de mettre au point des techniques concurrentielles. Tel est le compromis que le Gouvernement vous propose et qui, je l'espère, nous rassemblera.

Si nous n'acceptions pas de transposer des textes européens, alors il faudrait en tirer les conséquences. Quand des règles sont établies, il faut s'y plier tout en essayant de les changer. Je n'ai pas renoncé, Madame Fraysse.

Je rends hommage, Madame Boutin, à vos convictions. La constance est une qualité qu'il faut savoir saluer.

Mais vous avez dit qu'en 1994, nous avions autorisé la fabrication d'embryons surnuméraires. C'est faux. La fécondation in vitro date de 1982. En 1994, il y avait déjà 60 000 embryons congelés. L'insémination artificielle était pratiquée depuis vingt ans. Dès lors, il était difficile de tout arrêter. Nous avons veillé à encadrer, avec toutes les précautions possibles des pratiques déjà existantes.

Mme Lignières-Cassou a parlé de l'Agence de biomédecine en faisant allusion à l'agence britannique. Je suis persuadé qu'elle votera l'amendement du Gouvernement qui vise en effet à ce que le conseil d'orientation de l'Agence de biomédecine comprenne au moins pour moitié des gens issus de la société civile.

M. Bur a dit qu'il confirmait ses choix. Il porte un regard optimiste et enthousiaste sur l'avenir de la science et a qualifié le projet d' « avancée raisonnée », ce dont je le remercie.

M. Noël Mamère a parlé d' « eugénisme démocratique ».

Un rapport vient de paraître sur le diagnostic prénatal : sur 800 000 grossesses par an en France, 80 000 diagnostics de ce type sont posés, et 800 avortements se produisent du seul fait de la technique de l'amniocentèse. Avorter d'un f_tus normal apès un diagnostic prénatal suscite des drames. La prudence, la sagesse, le bon sens sont parfois des guides utiles.

Quoi que nous en pensions, notre société pratique de fait l'eugénisme, même si la loi le condamne et que nous nous apprêtons à le qualifier de « crime contre l'espèce humaine ». Ainsi, 95 % à 98 % des femmes, après un diagnostic prénatal, choisissent de ne pas garder un f_tus porteur d'anomalies.

M. Dominique Richard s'est inspiré du personnalisme chrétien, dans la lignée d'Emmanuel Mounier et de la philosophie de Gabriel Marcel. Vous avez eu raison d'énoncer ainsi vos convictions, mais la situation est un peu différente lorsque l'on est médecin et que l'on doit répondre aux demandes d'hommes, de femmes, de couples.

Notre société change. Nous vivons une époque de bouleversements sans doute comparable à celle de Galilée, de Darwin. Nous devons reformuler les questions de la liberté, de la responsabilité, de la dignité. Tout choix éthique est un déchirement et nous devons assumer nos responsabilités. Je reviendrai sur le problème du « bébé médicament » lorsque nous examinerons l'amendement de la commission à ce sujet.

J'ai regretté, Monsieur Blisko, que la première partie de votre discours relevât plutôt d'une discussion budgétaire sur la recherche.

Je comprends que vous ayez axé votre intervention sur la recherche et je ne doute pas de la sincérité de votre v_u de la voir poussée et libérée. S'agissant cependant du diagnostic prénatal, je vous mets en garde contre toute tentation de précipiter les choses.

De même, certains écarts de langage m'ont blessé. Vous avez ainsi prétendu que ce texte pouvait laisser transpirer une forme de haine du savoir. Médecins, chercheurs, nous sommes nombreux ici à faire de notre mieux pour nous mettre au courant des évolutions de notre société. Vous ne pouvez pas dire que nous avons, de quelque manière que ce soit, la haine du savoir ! La vérité, c'est que nous devons faire en sorte d'utiliser au mieux tous les nouveaux savoirs que l'avancée des connaissances nous procure.

Méfions-nous en toute occasion de ceux dont les certitudes semblent inébranlables. Au reste, l'on m'a donné acte d'avoir cheminé au cours des douze dernières années. En 1992, on ne parlait ni de clonage, ni d'ICSI. Aujourd'hui, tous nos modes de raisonnement ont dû s'adapter.

Monsieur Dominique Richard, l'éthique, ce n'est pas la morale car la morale est intangible. Les règles qu'elle énonce n'évoluent pas dans le temps. A l'inverse, les progrès de la connaissance scientifique nous placent chaque jour devant de nouvelles situations, lesquelles nous amènent à faire des choix, eux-mêmes à l'origine d'autant de questionnements. Adopter une démarche éthique, c'est se demander inlassablement ce qu'il faut faire face à la nouveauté.

Monsieur Blisko, je vous incite, pour finir de vous répondre, à ne pas oublier le principe de précaution. Certains de vos propos m'ont paru bien audacieux.

En bon médecin, vous avez conduit, Monsieur Jacques Le Guen, une réflexion tournée vers l'avenir et centrée sur les questions de recherche, de brevets et de don d'organe. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Le mot de la fin revient à Jean-Claude Guibal, qui nous a renvoyés, au terme d'une intervention philosophique de haute tenue, à notre devoir d'humanité. Je fais mienne cette exigence (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

RÉUNION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de provoquer la réunion d'une CMP chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2004.

Prochaine séance cet après-midi, mercredi 10 décembre 2003, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 50.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 10 DÉCEMBRE 2003

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 593) relatif à la bioéthique.

M. Pierre-Louis FAGNIEZ, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

(Rapport n° 761)

Mme Valérie PECRESSE, rapporteure pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République

(Avis n° 709).

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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