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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 41ème jour de séance, 105ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 16 DÉCEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

        FORMATION PROFESSIONNELLE
        ET DIALOGUE SOCIAL (suite) 2

        ART. 35 2

        ART. 36 2

        ART. 37 9

        APRÈS L'ART. 37 15

        RÉUNION D'UNE CMP 15

        ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 17 DÉCEMBRE 2003 16

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

FORMATION PROFESSIONNELLE ET DIALOGUE SOCIAL (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

ART. 35

M. Maxime Gremetz - L'amendement 112 vise à appliquer le principe majoritaire pour la validation d'avenants portant révision d'une convention ou d'un accord. En l'état, l'article 35 renvoie les règles de révision des accords à l'article L. 132-2 du code : seules les organisations syndicales signataires de l'accord initial ou qui y ont adhéré sont habilitées à le réviser. Nous proposons que la révision des accords ne puisse se faire que par voie d'accord majoritaire.

M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Cet amendement a été rejeté pour les mêmes raisons qu'à l'article 34.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Même avis.

L'amendement 112, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 35, mis aux voix, est adopté.

ART. 36

M. Maxime Gremetz - Le principe de faveur est un principe fondamental du droit du travail. Il a été formalisé par un arrêt du Conseil d'Etat de 1973, qui précise qu'une convention ou un accord peuvent être négociés pour améliorer les droits du salarié, mais sans jamais porter atteinte aux garanties minimales fixées par le code du travail. Une convention collective ou un accord de branche doivent donc être plus favorables que la loi, et un accord d'entreprise plus que l'accord de branche. Ce minimum intangible fonde l'ordre public social, que le législateur a déjà écorné en 1982, en autorisant des accords dérogatoires. Vous amplifiez le mouvement en réduisant encore la portée du principe de faveur.

Par ailleurs, le terme « dérogatoire » est juridiquement contestable : toute négociation est en effet dérogatoire, puisqu'elle a pour but de fixer une règle nouvelle. Ce terme vise simplement à faire comprendre que la négociation pourra désormais aggraver le sort des salariés. Il n'est d'ailleurs pas toujours évident de savoir si une règle est favorable ou non. Un accord sur les 35 heures qui augmente l'amplitude de la journée de travail peut satisfaire le salarié qui souhaite davantage de jours de congé, mais désavantager celui qui veut aller chercher ses enfants à l'école... La négociation collective va donc devenir un simple outil de gestion de l'entreprise, qui l'aidera à s'adapter à son environnement économique au détriment des salariés. Les accords « donnant-donnant » vont se généraliser, entretenant le mythe selon lequel employeur et salariés auraient un pouvoir égal. Pourtant, le salarié est dans une situation d'infériorité fondamentale que la négociation ne permettra plus de corriger.

Le volet consacré au dialogue social, qui reprend les grandes lignes de la position commune, revisite de fond en comble le droit de la négociation collective, pilier de la construction d'un droit du travail autour de règles de bon sens. Entre le puissant et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Entre la loi sociale et le contrat de travail était venue s'intercaler une norme d'un type particulier : la convention collective. La loi fixe le seuil de la protection applicable à tous et les deux niveaux suivants ne devraient rien pouvoir en retrancher. La loi protège en effet l'individu y compris contre lui-même, contre les concessions qu'il pourrait être amené à faire sous la contrainte ou par crainte de perdre son emploi. C'est avec ces avancées que rompt l'article 36.

M. Francis Vercamer - Depuis le début du débat, le groupe UDF soutient ce texte. Il tient toutefois à alerter solennellement le Gouvernement et l'ensemble de l'Assemblée sur les conséquences de l'article 36, qui fait voler en éclats le principe de faveur et risque de mener à l'anarchie sociale. La négociation d'entreprise va donc pouvoir déroger à l'accord de branche. Quand celui-ci ne l'interdira pas, l'UDF proposera par amendement qu'au moins elle ne le puisse qu'à condition que la norme supérieure l'ait autorisé, en fixant un cadre précis.

Le salarié ne sera pas seul pénalisé par les dispositions que vous proposez : lorsque deux entreprises d'une même branche appliqueront des systèmes sociaux différents, on peut craindre une concurrence déloyale qui risque de menacer la vie même d'une des entreprises. L'UDF n'est pas totalement opposée à ce nouveau système, à condition qu'il soit strictement encadré.

M. Maxime Gremetz - Notre amendement 113 tend à supprimer l'article 36 qui remet en cause le principe de faveur. Nous demandons un scrutin public. Cet article, comme l'a dit M. Blondel, de Force Ouvrière, le patronat en rêvait depuis 1936 : vous l'avez fait ! C'est une remise en cause généralisée du principe de faveur. Cet article aura de graves conséquences, préjudiciables aux garanties que la négociation collective peut apporter aux salariés.

Le principe de faveur trouve ses sources dans quatre règles particulières du code du travail : les relations entre la loi ou le décret et la convention collective, à l'article L. 132-4 ; la relation entre les accords collectifs, objet des articles L. 132-13 et L. 132-23 ; enfin, la relation entre accords collectifs et contrat de travail, visée à l'article L.135-2. Outre ces textes, ses sources résident essentiellement dans la jurisprudence, et d'abord celle du juge constitutionnel. Le Conseil constitutionnel considère en effet que le principe selon lequel la convention collective de travail « peut mentionner des dispositions plus favorables aux travailleurs que celles des lois et règlements en vigueur » doit être rangé au nombre des principes fondamentaux du droit du travail placés dans le domaine de la loi. A cela s'ajoute la jurisprudence administrative, en particulier l'avis du 22 mars 1973. Pour le juge administratif, le principe de faveur est un « principe général du droit ». Vous battez en brèche toute cette jurisprudence, remettant donc en cause un point fondamental de notre législation sociale. L'application du principe de faveur a déjà été partiellement remise en cause, notamment par l'ordonnance du 16 janvier 1982 sur le temps de travail et les salaires. Aujourd'hui, après les tentatives de « refondation sociale » du Medef, la modification des règles d'élaboration du droit du travail par la mise à l'écart généralisée du principe de faveur reste d'actualité.

Cette remise en cause trouve son aboutissement dans le présent projet. Votre article 36 prévoit, sans la remettre en cause grossièrement, que l'articulation des niveaux de négociation pourrait être assouplie afin d'accroître le domaine et la liberté de négociation de chaque niveau. L'accord de branche pourrait prévoir explicitement la possibilité pour l'accord d'entreprise, ou pour le niveau local de négociation, de comporter des dispositions différentes de l'accord de branche et, le cas échéant, aménager le principe de faveur. Cette faculté laissée aux négociateurs vise à favoriser la conclusion d'accords collectifs, à tous les niveaux de négociation, adaptés aux diverses situations des branches et des entreprises. Cette disposition va directement à l'encontre des décisions de justice qui ont justement fait respecter l'ordre public social. Elle atomise le droit du travail en créant autant de règles que d'entreprises. C'est l'anarchie dont parlait notre collègue Vercamer.

La tentative de remettre en cause le principe de faveur par le biais de la négociation collective ayant échoué, grâce à l'intervention en justice des organisations syndicales non signataires et au raisonnement juridique retenu par le juge, c'est par le biais de la loi que cette tentative est réitérée.

Vous voulez qu'un accord d'entreprise puisse prévoir des « dispositions différentes », c'est-à-dire, en fait, des dispositions moins favorables pour les salariés que celles contenues dans l'accord de branche. Le principe de faveur n'aurait plus qu'un caractère supplétif.

La fonction initiale et essentielle de la négociation collective s'en trouve pervertie. En effet, cette fonction était de rétablir une certaine égalité entre l'employeur et le salarié, qui sont dans une situation d'inégalité économique et juridique.

Déjà, la loi du 3 janvier 2003 dont vous êtes l'auteur, Monsieur le ministre, sur la réforme des procédures de licenciement pour motif économique, révisant la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, renvoie aux « partenaires sociaux » la possibilité de conclure des accords sur le déroulement de la procédure de licenciement. Ceux-ci pourraient donc être moins favorables aux salariés que la loi.

Devant la commission, Monsieur le ministre, vous avez nié qu'il puisse y avoir effet rétroactif, et donc mise en cause des 35 heures, contrairement à ce que le Premier ministre disait ce matin dans Le Parisien, où il admet que les accords pourront remettre en cause la réduction du temps de travail.

Par ailleurs, même si c'est un autre débat, il reconnaît qu'au moment de la canicule, il aurait pu se bouger un peu plus... Je salue sa franchise.

Mme Martine Billard - Notre amendement 162 tend également à supprimer cet article. Celui-ci met fin au principe de faveur, et introduit en fait un principe de défaveur. Vous mettez à bas des décennies de droit social, résultat des luttes des salariés dans les entreprises et dans les branches, et parfois au niveau national, qui ont permis d'améliorer le code du travail grâce aux conventions de branche. Si nous sommes parvenus à un certain niveau de protection des salariés, c'est bien grâce à ces conventions : les accords obtenus dans les secteurs où les salariés jouissaient d'un rapport de forces équilibré pouvaient ensuite se diffuser dans les branches où les conditions étaient moins favorables. A ce jour, 95 % des salariés sont couverts par des accords de branche.

Demain le chantier social, avec des accords de branche, d'entreprise et même d'établissement, va devenir chaotique. Au sein d'une même entreprise, des salariés pourront avoir des droits différents, y compris sur des points aussi importants que le treizième mois, par exemple.

Déjà, depuis une vingtaine d'années, les contrats d'embauche ne mentionnent plus le lieu de travail. De la sorte, le salarié qui refuse sa mutation à l'autre bout de la France est considéré comme démissionnaire, et non plus, comme autrefois, comme licencié... De façon générale, nous pourrons avoir des accords d'établissement différents au sein d'une même entreprise : en cas de mutation, les salariés vont soudain perdre ou gagner des droits. Cela introduit une instabilité supplémentaire dans les droits des salariés.

Plutôt que d'introduire ce chaos, il eût été plus simple d'aller au bout de ce que demandait le Medef, en disant : il n'y a plus que le code du travail. Il est vrai que le Medef demande aussi de pouvoir déroger au droit du travail... Pour l'instant on permet seulement de déroger aux accords de branche. Mais toutes les avancées sociales qui ont permis ces accords risquent de se transformer demain en reculs, face à une volonté massive des chefs d'entreprise de réduire le coût du travail. Cela ouvre un avenir bien sombre pour les salariés.

M. Alain Vidalies - Voici l'un des articles les plus lourds du projet. Il vient s'ajouter à une réforme que nous approuvions partiellement ; du moins avions-nous salué son origine, l'accord interprofessionnel. S'ajoutant à un projet timide, et de ce fait dangereux, sur la réforme des règles du dialogue social, il en dénature totalement le sens et suscite beaucoup d'interrogations, notamment sur votre volonté de lier la réforme du mode d'élaboration des accords collectifs et cette remise en cause qu'apportent les articles 36 et suivants.

Vous remettez en cause le principe de faveur. Vous nous direz, certes, qu'il n'est pas remis en cause dans son rapport avec la loi, ni dans le rapport entre le contrat et la convention : dont acte, en l'état. Mais vous remettez en cause le principe de faveur applicable aux relations des accords collectifs entre eux, c'est-à-dire la hiérarchie entre accord d'entreprise, accord de branche et accord interprofessionnel. La protection devient l'exception, la règle sera la possibilité de dérogation.

Pourquoi, et pourquoi maintenant ? Vous avez été aux responsabilités il n'y a pas si longtemps, avec la même approche politique ou « idéologique », et jamais vous n'aviez remis en cause le principe de faveur. C'est qu'il est un élément de stabilité de notre histoire sociale, mais aussi un élément de stabilité du fonctionnement de notre économie. Dans les grandes entreprises en effet, où les salariés sont organisés et où le rapport de forces permet souvent un dialogue fructueux, il n'y a sans doute pas matière à inquiétude majeure. Mais que produira la remise en cause de ce principe dans les petites entreprises ? Demandaient-elles vraiment cette modification ? Votre projet suscite l'opposition des organisations syndicales de salariés, mais aussi celle de l'UPA, qui rejoint nos arguments sur ce point.

Il s'agit du besoin ressenti par le chef d'entreprise et par le salarié d'une certaine sécurité juridique et économique. Or vous faites place à la loi de la jungle. Si, dans un secteur en difficulté, un chef d'entreprise parvient à faire signer un accord supprimant le treizième mois, tous ses concurrents devront faire de même. Outre l'autorisation du droit du travail induite par la loi, vous risquez de créer des distorsions de concurrence conduisant à l'application de la règle minimale. Alors que l'élargissement de l'Europe va placer nos entreprises en concurrence avec d'autres dont le niveau des salaires et des charges est très différent, l'appel à une adaptation par le bas va devenir très puissant. Et cette tendance s'aggravera du fait que la modification ainsi introduite ne porte pas sur un point précis, mais s'applique en principe et de façon générale. De sorte que le renvoi aux partenaires sociaux, en application de l'article 34, donnera lieu à des négociations dépourvues de tout cadre normatif, c'est une révolution à rebours que vous allez ainsi provoquer. Il s'agit là d'un moment grave de notre histoire sociale !

M. le Rapporteur - Avis défavorable aux amendements. Les articles 36 et 37 tendent à assouplir la hiérarchie entre les normes conventionnelles de façon à ce que la négociation se déroule au plus près des besoins des salariés et des entreprises. L'opposition s'inquiète du maintien du principe de faveur. Or ce dernier est maintenu sans aucun changement s'agissant des relations entre la loi et les normes conventionnelles. Le champ des dérogations légales ouvert en 1982 n'est absolument pas modifié. Comme ne l'est pas davantage l'article 135-2 du code du travail qui permet au salarié dont le contrat comporte des clauses plus favorables que les conventions et accords collectifs d'en conserver le bénéfice. En fait, l'assouplissement introduit par le texte est encadré à la fois par la loi et par le contrat de travail.

Enfin le principe de faveur continue de s'appliquer entre les différents niveaux de conventions. Il est toujours possible à un accord de niveau inférieur de fixer des dispositions plus favorables que celles du niveau supérieur.

L'assouplissement permettra à l'accord de niveau inférieur de déroger aux accords de niveau supérieur à la stricte condition que ceux-ci ne l'interdisent pas. L'existence de ces garanties et le caractère limité de l'assouplissement introduit ont conduit la commission à rejeter les amendements, qui remettaient en cause le second axe du titre II, expressément souhaité par les partenaires sociaux dans la position commune de juillet 2001.

M. le Ministre - Avis également défavorable. L'article 36, je le répète, ne remet pas en cause le principe de faveur. Un accord collectif ne pourra en aucun cas déroger à la loi sauf si cette dernière lui en a expressément donné la possibilité.

M. Maxime Gremetz - Et voilà !

M. le Ministre - C'est un mécanisme que vous connaissez bien, Monsieur Gremetz, puisqu'il a été adopté en 1982. L'article 36 tend à fixer les conditions dans lesquelles les dispositions des accords interprofessionnels s'imposent ou non aux accords de branche ; ni plus ni moins. L'inquiétude de l'opposition me paraît injustifiée. Vous raisonnez de façon théorique et déterministe. Mais la négociation ne fonctionne pas comme cela. Ainsi le récent accord sur la formation professionnelle fixe un cadre général, qui s'impose à tous, mais il renvoie à des modalités particulières de mise en _uvre, fixées par accords de branche ou d'entreprise. On ne parle pas en l'espèce de principe de faveur, mais d'articulation des niveaux de négociation et d'autonomie des accords de branche et d'entreprise.

M. Gaëtan Gorce - Ce n'est pas une façon de nous rassurer. On comprend bien que vous ne remettiez pas en question le principe de faveur au regard de la loi. Le problème se pose au niveau des accords. En faisant en sorte que la dérogation devienne le principe, vous inversez complètement l'ordre des choses. Jusqu'à présent, les règles contenues dans un accord s'appliquaient automatiquement aux accords de niveau inférieur ; maintenant elles devront le prévoir expressément. Ce faisant, vous faites barrages à l'onde de progrès social que pouvait représenter un accord de niveau supérieur. De même vous modifiez l'équilibre de la négociation. En effet ce qui devait être le principe devenant la dérogation, les partenaires sociaux devront obtenir qu'une règle qui devait s'appliquer d'elle-même soit expressément prévue comme devant s'appliquer au niveau inférieur. Les organisations syndicales seront ainsi placées en position de faiblesse. Vous bouleversez ainsi l'ordre juridique applicable à la négociation sociale.

Nous ne sommes pas seuls à nous inquiéter. C'est aussi le cas de l'UDF, et même de certains membres de la majorité, comme en témoigne l'amendement de M. Meslot.

Nous ne sommes pas hostiles à des dérogations qui tiennent compte de la réalité, à condition qu'elles soient strictement encadrées et qu'elles constituent bien une exception. Mais en inversant l'ordre des choses, vous placez notre ordre juridique cul par-dessus tête. Ce n'est plus du Kama-Sutra, c'est de l'indécence sociale !

M. Maxime Gremetz - Puisque nos arguments techniques sont impuissants à convaincre le ministre, je vais essayer du bon sens. Le principe de faveur signifie que les accords d'entreprise ou de branche sont toujours plus favorables que la loi pour les salariés.

M. le Ministre - Cela ne change pas.

M. Maxime Gremetz - Alors, réfléchissez à ceci (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : comment se fait-il que, vous référant fréquemment à la position commune signée par quatre syndicats sur cinq, vous ne soyez pas sensible au fait que ces syndicats soient tous d'accord pour condamner votre projet parce qu'il met en cause le principe de faveur ? Qu'un syndicat seul puisse se tromper, je peux l'admettre, mais que cinq syndicats soient dépourvus d'intelligence et d'information, c'est difficile à croire.

D'autre part, lorsque le Medef (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) crie « enfin ! », cela signifie, comme l'indique Force ouvrière, que ce qu'il n'espérait plus depuis 1936, vous le lui offrez : la mise en cause du principe de faveur.

A la majorité de 42 voix contre 9, sur 51 votants et 51 suffrages exprimés, l'amendement 113 n'est pas adopté, non plus que les amendements 162 et 226.

M. Francis Vercamer - Je ne demande pas la suppression de l'article, mais sa modification.

En effet, si cet article est adopté en l'état, une organisation du droit social différente au sein d'entreprises d'une même branche peut entraîner une concurrence déloyale et, à terme, remettre en cause l'existence même de l'entreprise, donc l'emploi.

Au lieu de considérer que l'accord d'entreprise peut déroger à l'accord de branche si celui-ci ne l'interdit pas, nous proposons, par l'amendement 141, que cette dérogation soit expressément autorisée.

On peut ainsi imaginer, par exemple, que les buralistes frontaliers, qui connaissent en ce moment des difficultés, puissent déroger ponctuellement et temporairement aux accords de branche.

La position commune évoque « une articulation dynamique et maîtrisée des niveaux de négociation ». Il ne s'agit pas pour l'entreprise de faire ce qu'elle veut dès lors que le niveau supérieur ne l'interdit pas.

L'UDF propose cet amendement non pour embêter le Gouvernement, mais pour lui éviter de commettre une erreur.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Il ne s'agit pas de permettre à une convention de niveau inférieur de comporter uniquement des dispositions moins favorables pour les salariés. Ce serait une remise en cause directe du principe de faveur, ce qui serait socialement inacceptable.

M. le Ministre - Il n'est pas souhaitable de revenir au dispositif en vigueur depuis l'accord interprofessionnel de 1995. Ce que nous proposons est conforme à l'esprit de la position commune : il s'agit de donner à chaque niveau la possibilité de choisir. Les branches pourront ainsi choisir si elles veulent ou non que des accords de niveaux inférieurs puissent être dérogatoires. Les partenaires sociaux devront désormais s'interroger sur le caractère normatif ou supplétif des dispositions qu'ils arrêtent.

La pauvreté du dialogue social tient à sa stérilisation par les normes supérieures, à l'exception toutefois de la durée du temps de travail, où la dérogation est la règle depuis 1982.

M. Gaëtan Gorce - Le dispositif n'est pas le même. Concernant la durée du temps de travail, c'est la loi qui prévoyait expressément la possibilité de dérogations.

Vous faites un faux parallélisme en inversant l'argumentation.

M. Alain Vidalies - En application de la loi sur les 35 heures, un certain nombre d'accords de branches sont intervenus.

Si votre loi est votée, quelles seront les possibilités de renégociations ? Il est d'autant plus urgent de répondre à cette question, que M. le Premier ministre a parlé aujourd'hui de la « possibilité de déroger au niveau de l'entreprise aux dispositions sur la durée du temps de travail fixées par accords de branche ».

Cela sera-t-il possible ?

M. Maxime Gremetz - Evidemment.

M. Alain Vidalies - Ou M. le Premier ministre n'a pas compris ou vous ne dites pas la vérité.

Le respect de l'Assemblée appelle une réponse de votre part.

M. le Ministre - J'ai déjà répondu.

Le texte prévoit qu'il ne sera pas possible d'appliquer les nouvelles règles aux conventions passées.

Le Premier ministre parle des conventions à venir, auxquelles, bien entendu, ce projet de loi sera applicable mais il n'aura pas d'effet rétroactif.

L'amendement 141, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - Cet article, dites-vous, Monsieur le ministre, ne remet pas en cause la primauté de la loi. Il maintient la possibilité d'accords plus favorables que les accords de branche. Personne n'a dit le contraire.

Où nous ne sommes pas d'accord, c'est que dorénavant, tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. Il suffira donc que l'accord de branche n'interdise pas les accords dérogatoires moins favorables pour que ceux-ci soient autorisés. C'est tout le problème.

Vous avez imputé la pauvreté du dialogue social à la hiérarchisation des normes. C'est votre opinion.

Mais comment prétendre qu'il n'y a plus de dialogue social dans notre pays alors qu'un syndicat comme la CGC souligne lui-même que les thèmes de la négociation collective ont été très nombreux au niveau des branches en 2002 : durée du travail, formation, apprentissage, primes, congés, santé au travail, emploi... ? A moins que, de votre point de vue, il n'existe pas de dialogue social quand le patronat voit ses demandes refusées par les syndicats... Evidemment, avec cette conception-là, des blocages sont possibles car dans certaines branches, le rapport de forces est défavorable au patronat.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que l'on en reste aux dispositions actuelles. D'où notre amendement 163 qui supprime le I de l'article.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement pour les mêmes raisons que tout à l'heure.

M. le Ministre - Même avis.

M. Francis Vercamer - Comme j'ai été sevré tout à l'heure de temps de parole...

M. le Président - Je ne peux pas vous laisser dire cela. Personne n'a été ici par trop limité dans son temps de parole, surtout pas vous, qui avez largement dépassé le vôtre.

M. Francis Vercamer - Le groupe UDF votera cet amendement. En effet, si tout accord dérogatoire est autorisé dès lors qu'il n'est pas interdit par un accord de branche, ce sera la jungle entre les entreprises. Et cela leur sera très préjudiciable.

M. Alain Vidalies - Monsieur le ministre, la déclaration du Premier ministre à laquelle je faisais allusion tout à l'heure, n'est pas rédigée au futur, mais au présent de l'indicatif qui a valeur impérative. Pourquoi ? Tout simplement, parce que l'objectif fixé sera bien atteint par l'application conjuguée des deux articles 36 et 38 du présent texte. En effet, l'article 38 prévoit d'étendre le domaine des accords d'entreprise ou d'établissement à celui des conventions ou accords de branche. Ainsi deviendra-t-il possible de déroger par simple accord d'entreprise sur des questions aussi essentielles que la durée maximale annuelle, hebdomadaire et quotidienne du travail, la durée minimale quotidienne de onze heures de repos... le contingent d'heures supplémentaires, sur lesquelles aujourd'hui seul un accord de branche permet de déroger. Et, comme l'article 36 remet en question le principe de faveur, on voit bien où il sera possible d'en venir.

L'amendement 163, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies - L'amendement 227 est en quelque sorte un amendement de repli. La dérogation ne peut pas devenir la règle. Pour un texte sans ambiguïté, il importe que les négociateurs indiquent expressément ce à quoi il est possible de déroger. On ne peut se contenter, comme vous le faites, de dire qu'est autorisé tout ce qui n'est pas interdit, faute de quoi on rendrait extrêmement difficile que les négociations aboutissent, par crainte que quelque domaine n'ait été oublié.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement qui maintiendrait une grande rigidité entre les différents niveaux de normes.

M. le Ministre - Même avis.

M. Maxime Gremetz - L'expérience apprend que les loups sont prompts à s'engouffrer dans les brèches et, de là, à causer des dégâts considérables. Il n'y a besoin de dérogations que parce qu'on refuse le principe de l'accord majoritaire, je l'avais déjà dit en 1982 quand a précisément été ouverte la brèche des accords dérogatoires. Je ne peux pas soutenir cet amendement car il ne devrait tout simplement pas y avoir de dérogations. Dès lors qu'elles sont permises, inévitablement, elles deviennent la règle et le principe de faveur l'exception.

M. Francis Vercamer - Je vais m'efforcer une dernière fois de convaincre le Gouvernement.

J'approuve cet amendement qui respecte tout à fait la position commune et va dans le sens de ce que nous souhaitons - je regrette d'ailleurs que ce soit les socialistes qui l'aient déposé... Je répercute ici les récriminations de la CG-PME qui est tout à fait opposée au texte du Gouvernement sur ce point. Cela étant, celui-ci prend ses responsabilités. Au moins l'aurai-je prévenu.

M. le Président - Il n'est heureusement pas de mandat impératif au Parlement. Chacun vote en son âme et conscience.

L'amendement 227, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 352 est de précision.

M. le Ministre - Avis favorable.

L'amendement 352, mis aux voix, est adopté.

Mme Martine Billard - L'amendement 164 supprime le II de l'article qui revient sur le principe de faveur. En effet, bien peu d'organisations syndicales prendront la peine de négocier des accords plus favorables au niveau des branches si elles savent que ceux-ci risquent d'être remis en question au niveau des entreprises, où il n'y a bien souvent pas de délégués syndicaux, notamment dans les PME. Alors que l'un des objectifs de ce texte est, dites-vous, de renforcer le taux de syndicalisation et le pouvoir des syndicats, afin d'aller vers un syndicalisme, non plus de protestation, mais de proposition et de réforme, le résultat sera l'inverse. Les organisations syndicales risquent de concentrer leur action dans les secteurs où elles sont les mieux implantées. A côté de quelques bastions syndicaux, cela risque d'être la jungle dans la plupart des entreprises où, dans un contexte de fort chômage, le rapport de forces est rarement favorable aux salariés.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, pour des raisons sur lesquelles je ne reviens pas : le débat a déjà eu lieu.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 164, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies - Je réponds aux remarques de M. Gremetz sur l'amendement 227. Il n'y était pas question des accords dérogatoires, mais seulement du principe de faveur. La possibilité de dérogation doit être expresse : c'est l'objet de notre amendement 228.

L'amendement 228, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Maxime Gremetz - Nous voterons contre l'article 36.

L'article 36 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 37

M. Maxime Gremetz - En vertu du principe de faveur, qui organise l'ordonnancement des normes du droit du travail, c'est la norme la plus favorable au salarié qui doit être appliquée. En faisant voler en éclats cette philosophie, cet article nous ramène cinquante ans en arrière. Votre révolution est en réalité une véritable régression... Vous généralisez la possibilité d'accords dérogatoires et permettez ainsi la remise en cause dans les entreprises de toutes sortes d'accords interprofessionnels ou de branche. Ce faisant, vous adoptez un point de vue favorable au patronat et contraire à la position commune, selon laquelle la possibilité de dérogation doit être mentionnée au moment de la conclusion de l'accord. Vous ouvrez la boîte de Pandore en vous faisant le complice du Medef, pour ne pas dire son bras armé. Les organisations syndicales redoutent toutes la fin des garanties collectives que la loi apportait aux salariés. Monsieur le ministre, vous allez associer votre nom à la fin du code du travail ! Vous êtes le Père Noël du Medef... Tout devient du domaine du dérogatoire, du négociable, du « bradable ».

M. Francis Vercamer - Je retire l'amendement 142.

Mme Martine Billard - Mon amendement 165 tend à supprimer cet article, qui permet de déroger à tout, sauf à ce qui concerne le salaire minimum - mais celui-ci est, dans certaines branches, inférieure au SMIC... -, les classifications - mais il y a un lien entre salaire minimum et classification... - et les garanties collectives - ce qui est la moindre des choses dans un contexte de réforme de la sécurité sociale défavorable aux salariés. Je regrette qu'on n'ait même pas ajouté à cette liste tout ce qui concerne la formation professionnelle, au-delà de la mutualisation des fonds !

M. Alain Vidalies - Mon amendement 229 a le même objet.

Le principe de faveur n'est pas de nature constitutionnelle, mais c'est un principe général du droit, renvoyant ainsi à la compétence du législateur. Celui-ci peut-il s'en tenir à des formulations générales et renvoyer l'exercice de sa compétence aux partenaires sociaux ?

Jusqu'à présent les dérogations visaient un texte particulier et, lorsqu'il s'est agi de vérifier si le législateur avait respecté ses compétences, le Conseil constitutionnel a répondu par l'affirmative. Mais ici, pour savoir les conséquences des dispositions que vous proposez, il faut aller puiser ici ou là dans le code du travail et les conventions collectives : nous n'exerçons pas notre compétence, qui est de mettre en _uvre les principes généraux du droit, en l'occurrence le principe de faveur.

M. le Rapporteur - Rejet. Le débat est le même que sur l'article 36. En outre, la convention de branche conserve son caractère impératif dans un certain nombre de domaines.

M. le Ministre - Avis défavorable. J'ai déjà répondu à M. Vidalies sur la question de la compétence négative du législateur.

Le projet encourage la négociation d'entreprise : c'est l'article 37. A l'article 38, il en généralise le champ en prévoyant que l'ensemble des sujets susceptibles d'être négociés au niveau de la branche peuvent l'être également au niveau de l'entreprise.

Les accords d'entreprise pourront prévoir des dispositions différentes de celles des conventions de branche, dans le respect de la loi et des dispositions impératives de ces conventions. Mais cela ne remet en cause ni la place de la loi ni la fonction de la branche. Celle-ci garde son rôle quasi-réglementaire dans les domaines des minima et des classifications ; elle peut, si elle le souhaite, encadrer la négociation d'entreprise et prévoir des dispositions applicables en l'absence d'accords d'entreprise, dans l'esprit de l'accord interprofessionnel de 1995 ; enfin, elle peut maintenir sur tout sujet les dispositions impératives nécessaires à la régulation des conditions de concurrence.

La position commune affirme elle-même que la négociation d'entreprise « permet de trouver des solutions prenant directement en compte les caractéristiques et les besoins de chaque entreprise et de ses salariés ». Elle indique bien qu'il appartient à la branche de choisir les dispositions qu'elle entend rendre impératives. Tout cela est dans la logique du rapport Robineau de 1997, dont Mme Aubry demandait aux partenaires sociaux de s'inspirer.

Les amendements 165 et 229, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard - L'amendement 166 est défendu.

M. Alain Vidalies - Vous avez cité plusieurs fois le rapport Robineau. Je voudrais en rappeler le texte. Il y est dit que la faculté de dérogation doit être expressément prévue par la disposition à laquelle elle porte atteinte, conséquence élémentaire du principe de la hiérarchie des normes. Plus loin, on trouve que le Parlement méconnaîtrait sa propre compétence si l'ampleur du champ ouvert à la négociation dérogatoire conduisait à trop restreindre le tronc commun du droit du travail, à savoir les principes fondamentaux visés à l'article 34 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que certains domaines, eu égard à leurs conséquences sur le champ d'application des procédures de conclusion d'accords collectifs du travail, relèvent en principe de la seule compétence législative. Le rapport conclut que l'accord dérogatoire comportant des clauses moins favorables doit être encadré par la loi de manière suffisante.

Il me semble que la démonstration du ministre est exactement contraire. Nous soutenons au contraire les conclusions du rapport, ce qui ne suppose, à ce stade, rien d'autre qu'une mise en conformité juridique. Si la dérogation doit être expresse, il faut préalablement en effet engager une discussion entre les partenaires sociaux sur chacun des points, puisque ce sont eux qui seront chargés de la mise en _uvre. Ils ne doivent pas être ensuite surpris par l'ampleur qu'aurait pris le texte. Toute la mécanique en serait affectée.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. L'impossibilité pour l'accord d'entreprise de déroger à la fois aux minima de branche et aux classifications fixées par la branche me semble répondre au souci exprimé par les deux amendements.

Les amendements 166 et 230, repoussés par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

La séance, suspendue à 23 h 5, est reprise à 23 h 15.

M. le Président - Je propose que nous levions la séance vers minuit (Assentiment).

Mme Martine Billard - Mon amendement 167 tend à refuser la possibilité de dérogations en matière d'indemnités de licenciement. Aujourd'hui, en effet, le plancher de ces indemnités est assez faible : de mémoire, je crois qu'il s'agit d'un dixième de mois à partir de deux ans d'ancienneté. Pour un salarié qui est depuis dix ans dans une entreprise, cela représente donc un mois de salaire : pour un smicard, c'est peu. Tel est du moins le plancher : certains accords de branche ont porté le niveau des indemnités à un tiers de mois par an, ce qui, pour dix ans, donne environ trois mois de salaire. Or nous traversons une période de grands bouleversements. Je sais que certaines restructurations sont nécessaires, et je ne suis pas pour l'interdiction de tous les licenciements. Mais n'ajoutons pas encore à la précarité qui règne actuellement en permettant une baisse des indemnités de licenciement !

M. le Rapporteur - Cet amendement et les sept suivants tendent à exclure du champ des dérogations un certain nombre de thèmes. La commission les a repoussés. Ils sont contraires à l'esprit même du texte. En outre, ils oublient que les thèmes évoqués bénéficient tous de garanties légales, qu'il n'est pas proposé de remettre en question.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 167, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - Mon amendement 168 tend à refuser la possibilité de déroger aux accords de branche quant à la durée des préavis de licenciement.

M. Alain Vidalies - Nous proposons par le sous-amendement 393 de préciser : « notamment pour les cadres ». Certaines dispositions conventionnelles spécifiques aux cadres risquent en effet d'être remises en cause. Quant au sous-amendement 394, il tend à remplacer « préavis » par « délai-congé ».

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre - Défavorable.

Le sous-amendement 393, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que le sous-amendement 394.

L'amendement 168, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - L'amendement 169 nous semble très important. En effet les salariés croient que le fait que les jours fériés sont chômés et payés figure dans la loi. Ils découvriront demain avec stupeur que ce n'est pas le cas : c'est dans les conventions collectives. Il pourra donc y avoir des dérogations : les accords d'entreprise pourront stipuler que les jours fériés ne sont plus payés, ou ne sont plus chômés. Il s'agit là d'un droit acquis depuis très longtemps, au moins depuis 1968, quand a été introduit - au moins pour une grande majorité des salariés - le principe de la mensualisation, qui veut que le salaire soit le même chaque mois, quel que soit le nombre de jours travaillés. Cette avancée ne doit pas pouvoir être remise en cause.

M. Alain Vidalies - Le sous-amendement 392 traduit notre interrogation devant les conséquences de la nouvelle organisation sur le problème du travail dominical. Ce dernier est acceptable quand il est encadré au niveau des branches. Mais si des dérogations sont possibles entreprise par entreprise, on peut craindre une déréglementation générale. J'aimerais savoir si cette question entre dans le nouveau champ de négociation de l'entreprise.

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre - Je veux rassurer M. Vidalies. La question du travail du dimanche relève de la loi, et il n'est pas question d'y déroger. Quant aux arguments de Mme Billard, ils me permettent de rappeler que les conventions collectives déjà signées ne sont pas concernées. Pour que l'hypothèse qu'elle redoute se réalise, il faudrait d'abord que les partenaires sociaux décident de renégocier une convention. Il faudrait ensuite qu'avec les règles majoritaires ils acceptent d'inclure dans le champ des dérogations la question des jours fériés. Et il faudrait enfin que, dans l'entreprise, une majorité accepte de revenir sur ce point... Vous le voyez : entre les craintes que vous exprimez et le dispositif que nous proposons, il y a un fossé.

M. Maxime Gremetz - Ce qu'on oublie, dans tout cela, ce sont vos intentions pour la suite... Ainsi vous avez chargé M. Virville d'une mission pour examiner de plus près le code du travail. Je suppose que ce n'est pas pour rien, et que ce n'est pas sans lien avec la création du RMA, au statut si dérogatoire et indéfinissable. Comme le dit Bernard Thibaud, vous vous apprêtez à détricoter le code du travail... Alors vous dites que ce n'est pas dans le présent projet : certes, mais il faut resituer les choses dans leur mouvement. J'observe aussi que vous avez mis à l'étude un nouveau contrat de mission permettant d'embaucher du personnel pour six, huit, dix jours... Sans garanties sociales, et pour beaucoup moins cher qu'un CDD. Je prends en compte tout cela. Et les syndicats aussi : ils voient bien le sens général du mouvement.

Le sous-amendement 392, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 169, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - Nos craintes, Monsieur le ministre, viennent de la pratique. Aujourd'hui, dans certaines PME, les salariés peuvent refuser de déférer à des demandes qui se situent à la limite de la légalité, en s'appuyant sur le code du travail et les conventions. Considérons la branche des bureaux d'études, couverte par la convention Syntec. Il y a cinq ans, les ingénieurs et cadres qui n'avaient pas de fonctions d'encadrement avaient un contrat de travail, à l'époque, de trente-neuf heures. Mais dans les PME de l'informatique ce chiffre était largement théorique... Cependant les salariés pouvaient se battre pour limiter les excès, refuser de travailler le 1er mai, par exemple, ou de travailler tous les dimanches. Je ne fais pas du Zola, Monsieur le ministre : telle est, ou du moins telle était, avant l'explosion de la bulle, la réalité dans bien des PME de ce secteur. Un des moyens de résister est de s'appuyer sur le code du travail, les conventions collectives, et parfois l'inspection du travail - même si, en raison de la faiblesse de ses moyens, il est parfois difficile d'obtenir son intervention.

Notre amendement 170 tend à exclure la possibilité de dérogations relatives à l'ancienneté. Celle-ci donne droit à des jours de congé supplémentaires - un jour après dix ans, deux après quinze ans - ou à une prime d'ancienneté. L'un ou l'autre de ces acquis pourraient demain être remis en cause dans le cadre des dérogations. Si je me souviens bien, l'une des critiques de la droite contre les trente-cinq heures était qu'elles avaient occasionné une baisse ou une stagnation des salaires. Vous risquez de produire le même effet si vous permettez une remise en cause des primes d'ancienneté.

M. Alain Vidalies - Vous m'avez répondu sur le travail du dimanche, Monsieur le ministre, en disant que c'était dans la loi. Il y a en effet l'article L. 221-6. Mais il reste la question du travail dominical effectué par des équipes de suppléance. Sur ce point, l'article L. 221-5-1 exige à la fois un accord de branche et un accord d'entreprise. Désormais ce dernier suffira. On mesure ainsi les conséquences pratiques auxquelles nous serons confrontés. Voilà le sens de mon sous-amendement 398.

Le sous-amendement 398, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 170.

Mme Martine Billard - Comme la majorité des salariés ne se rend sans doute pas bien compte des conséquences qu'entraînent pour elle les dispositions que nous examinons, je tiens à les exposer. Mon amendement 171 tend à exclure du champ des dérogations les négociations relatives à l'allocation maladie. La législation actuelle impose trois jours de carence non payés, sauf si, en vertu d'un accord, l'entreprise les prend en charge. Il en va de même pour les arrêts de maladie prolongés. Nous voulons, dans ce domaine aussi, prévenir tout risque de régression sociale.

L'amendement 171, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - L'amendement 172 est défendu.

M. Alain Vidalies - Les sous-amendements 396 et 395 sont également défendus.

Les sous-amendements 396 et 395, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 172, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - L'amendement 173 est défendu.

M. Alain Vidalies - Le sous-amendement 397 est également défendu.

Le sous-amendement 397, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'amendement 173, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - Le code du travail n'accorde qu'un minimum de congés pour événements de famille, alors qu'aujourd'hui les familles sont souvent dispersées. Des conventions permettent d'y ajouter quelques jours. Ne les laissons pas mettre en cause. Tel est l'objet de l'amendement 174.

L'amendement 174, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Bernard Depierre - L'amendement 191 est défendu.

M. le Rapporteur - Avis favorable.

M. le Ministre - Avis également favorable.

Mme Martine Billard - Le Gouvernement a repoussé tous nos amendements. Mais celui qui tend à accroître les possibilités de dérogations, il l'approuve ! Il est vraiment très inquiétant de limiter ainsi à l'extrême les interdictions de dérogations.

M. Alain Vidalies - Voilà un amendement qui est présenté sans être défendu, que la commission et le Gouvernement approuvent sans explication, alors qu'il marque un recul par rapport au projet, lui-même réputé exprimer la volonté des partenaires sociaux. Nous attendons des explications. Aurais-je eu raison, Monsieur le ministre, de vous déclarer adepte de la marche arrière ?

M. le Ministre - Pas de faux procès ! Il s'agit d'un amendement de précision. Les partenaires sociaux, dans leur position commune, indiquaient que les accords mutualisant les risques en matière de prévoyance ne pouvaient pas faire l'objet de dérogations. L'amendement précise ce que sont ces accords, et clarifie ainsi les intentions des partenaires sociaux.

L'amendement 191, mis aux voix, est adopté.

Mme Martine Billard - Dans le titre I relatif à la formation professionnelle, un article dispose que les articles à venir au titre II ne remettent pas en cause l'accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle. Mon amendement 175 tend à préciser que les dispositions légales concernant la formation professionnelle ne peuvent pas faire l'objet de dérogations par accords d'entreprise.

L'amendement 175, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - Les articles à venir autorisent des dérogations au niveau de l'entreprise ou, ce que je désapprouve, de l'établissement. Mais si vous ne précisez pas, à cet endroit de l'article 37, que l'ensemble des protections s'appliquent y compris dans l'établissement, ce serait laisser croire qu'à ce niveau puissent être autorisées des dérogations relatives au salaire minimum, aux classifications... Avec mon amendement 294, je tends presque une perche au ministre !

M. le Rapporteur - Je regrette que, peut-être par mégarde, la commission ait repoussé cet amendement, car il apporte une précision utile. J'y suis donc personnellement favorable.

M. le Ministre - Je saisis la perche qui m'est tendue. Avis favorable.

L'amendement 294, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Beau succès, Madame Billard !

Mme Martine Billard - J'aurais préféré qu'il s'agisse d'un autre amendement !

M. Frédéric Dutoit - Notre amendement tend à supprimer le dernier alinéa de l'article. On ne pourra pas dire que nous n'avons pas alerté les salariés et l'opinion publique sur le dispositif relatif au principe de faveur ! Vous ouvrez grand les vannes à l'atomisation de la société, à l'instauration de la loi de la jungle, à l'avènement d'une société voulue par le patronat, auquel vous donnez tous les gages.

Comment concevoir de balayer ainsi cinquante ans d'une législation sociale qui a fait la grandeur de la France ? Avec ce texte, vous organisez la décadence de notre pays. Le baron Seillière doit être satisfait du travail de cette majorité !

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre - Rejet.

M. le Président - Sur l'amendement 114, je suis saisi par le groupe communiste d'une demande de scrutin public.

La séance, suspendue à 23 heures 40, est reprise à 23 heures 45.

A la majorité de 39 voix contre 10 sur 49 votants et 49 suffrages exprimés, l'amendement 114 n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - Mon amendement 176 vise à supprimer le mot : « établissement » dans le dernier alinéa de l'article.

Il est en effet dangereux d'avoir, au sein d'une même entreprise, des niveaux de protection différents. Cela créera des inégalités, notamment en ce qui concerne le contrat de travail.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Cet amendement est contradictoire avec l'amendement 294 que nous venons d'adopter.

M. le Ministre - Le code du travail ne distingue pas les accords d'entreprise et d'établissement.

La négociation collective au sein d'un établissement distinct permet d'établir en effet des différences de traitement entre les salariés d'une même entreprise, mais c'est le cas depuis 1982. Je n'ai pas souhaité modifier les règles.

L'amendement 176, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 353 est de précision.

L'amendement 353, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Alain Vidalies - L'amendement 231 est un amendement de repli. La dérogation ne peut devenir la règle. Il importe au moins que les négociateurs, lorsqu'ils aborderont cette question, puissent dire sur quoi s'appliquera la dérogation.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Le débat a déjà eu lieu.

L'amendement 231, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Francis Vercamer - Par l'amendement 144, je propose de compléter l'article 37 par l'alinéa suivant : « Lorsque les dispositions dérogatoires prévues par l'accord d'entreprise sont justifiées par la situation économique de cette dernière, l'accord d'entreprise doit être renégocié dans un délai d'un an après sa conclusion ».

M. le Rapporteur - Avis défavorable. La notion de « situation économique » est imprécise. De plus, l'obligation d'une renégociation un an plus tard porte atteinte à l'autonomie des partenaires sociaux.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 144, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 37 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 37

M. le Président - Je crois que l'amendement 199 est défendu...

M. le Rapporteur - Avis défavorable. L'article L. 132-24 du code du travail, que cet amendement propose d'abroger ne constitue pas une simple disposition rédactionnelle.

La dérogation en matière salariale permise par l'article n'est pas sans condition. Il faut notamment que la masse salariale au niveau de l'entreprise soit au moins égale à celle qui résulterait de l'application de la convention de branche.

M. le Ministre - Avis défavorable.

Les articles 37 et L. 132-24 se complètent en laissant à l'entreprise une marge de souplesse, dans le respect des dispositions fixées par la branche.

L'amendement 199, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

RÉUNION D'UNE CMP

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant qu'il avait décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2003.

Prochaine séance mercredi 17 décembre, à 15 heures.

La séance est levée à 23 heures 55.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 17 DÉCEMBRE 2003

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 1233) relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

M. Jean-Paul ANCIAUX, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Rapport n° 1273.)

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2004.

M. Gilles CARREZ, rapporteur. (Rapport n° 1285).

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 1233) relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

M. Jean-Paul ANCIAUX, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Rapport n° 1273.)


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