Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2003-2004)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 59ème jour de séance, 150ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 4 FÉVRIER 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

LUTTE CONTRE LE SIDA 2

FONDS STRUCTURELS EUROPÉENS 2

POLITIQUE ÉCONOMIQUE 3

GRIPPE AVIAIRE 4

VISITE DE M. SARKOZY EN CORSE 4

DISPOSITIF FACE À LA GRIPPE AVIAIRE 5

SITUATION DE L'EMPLOI 5

FILIÈRE PORCINE 6

ASSISTANTES MATERNELLES 7

GRÈVE A RADIO FRANCE 7

CONTINUITÉ TERRITORIALE 8

AGRICULTURE BIOLOGIQUE 9

APPLICATION DU PRINCIPE
DE LA LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS (suite) 9

RECTIFICATION 35

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

M. le Président - Comme chaque premier mercredi de chaque mois, les quatre premières questions seront consacrées en principe à des thèmes européens.

LUTTE CONTRE LE SIDA

M. Jean-Claude Lefort - Une Europe à la pointe de la lutte contre le sida, ce ne devrait pas être un rêve mais la réalité. Mais on en est loin comme le constatent les membres du groupe d'études sur le sida de notre Assemblée. Tous soulignent l'insuffisance des moyens consacrés à la recherche d'un vaccin.

Certes, le budget de l'ANRS s'élève à 8 millions d'euros, mais les instituts américains comparables bénéficient de 750 millions de dollars.

Des recommandations ont été faites pour qu'avance le consortium européen EUROVAC, mais depuis septembre 2000, l'Europe n'a présenté aucun plan d'organisation et de mobilisation. L'ANRS comme EUROVAC doivent se tourner aujourd'hui vers des financements non communautaires et souvent privés, qui ne peuvent se substituer à l'engagement public de l'Europe.

Quelles décisions allez-vous prendre, rapidement, pour engager l'Europe de façon déterminée dans la lutte contre le sida ? A quand un plan européen de recherche sur le sida ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Je tiens à souligner le dynamisme de l'ANRS, qui consacre 12 % de son budget à la recherche d'un vaccin. Mme la ministre déléguée à la recherche fera tout pour que la recherche continue, en 2004, dans les meilleures conditions, d'autant plus que les résultats sont encourageants : depuis 1999, 12 essais ont été conduits avec des réponses immunitaires chez plus de 80 % des volontaires.

Mais il est vrai que ces efforts demeurent insuffisants. Il faut reconnaître que l'Union européenne n'a pas été capable de mobiliser plus de quelques dizaines de millions dans cinq ou six pays susceptibles de mener ces recherches. L'impulsion de septembre 2000 n'a été suivie d'aucune avancée réelle. Le Président de la République s'en est ému et la France a saisi de nouveau la Commission européenne pour que la recherche clinique de phases 2 et 3 devienne une priorité. Ne doutez pas, Monsieur le député, de la détermination du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

FONDS STRUCTURELS EUROPÉENS

M. Jean-Luc Warsmann - Les fonds structurels européens permettent à la France de subventionner des projets d'investissements très importants. C'est notamment le cas dans ma région Champagne-Ardennes.

En 2002, Monsieur le ministre de la réforme de l'Etat, vous avez annoncé que la Commission risquait d'annuler une partie des crédits destinés à la France, faute d'une consommation assez rapide, en raison notamment de lourdeurs administratives.

Ce risque est-il écarté ? Quelles garanties la France peut-elle avoir quant à ces fonds alors que l'Europe s'élargit à dix nouveaux membres ?

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire - En effet, nous risquions de perdre des fonds structurels européens car à notre arrivée, le taux de programmation était seulement de 15 % au lieu des 30 % souhaitables. J'ai engagé une réforme des procédures en déléguant notamment les crédits à l'échelon régional et en soutenant les porteurs de projets. En un an et demi, le taux de programmation est passé à 55 %, ce qui représente plus de 3 milliards d'euros. Le champ des projets a été élargi aux nouvelles technologies. Non seulement, aucune région ne sera frappée du dégagement d'office, mais l'Europe affectera à la France une dotation supplémentaire au titre des réserves de performance. Ce bilan confirme l'efficacité de l'Etat lorsqu'il simplifie les procédures et fait confiance aux acteurs du terrain.

Concernant l'élargissement, nous sommes conscients de la fragilité de l'éligibilité de certaines zones françaises, notamment métropolitaines. Or, nous devons poursuivre notre politique de cohésion territoriale. Le 27 février, je confirmerai la position française (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

POLITIQUE ÉCONOMIQUE

M. Didier Migaud - Les résultats de votre gestion viennent d'être connus pour 2003. Ils sont très mauvais (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Le déficit et la dette publique explosent. Tous les records historiques sont battus. Six milliards d'euros de crédits ont été annulés.

Pour 2004, les signes sont inquiétants : le chômage continue d'augmenter, notre économie stagne alors que la prévision de croissance mondiale atteint désormais 4 %.

Tout ceci est le résultat d'une loi de finances insincère et d'une politique douce pour les forts, dure pour les faibles (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Déjà, la Commission européenne pointe du doigt vos prévisions irréalistes. Vous allez devoir imposer de nouveaux sacrifices aux Français et augmenter les prélèvements, mais vous n'annoncerez ces mesures douloureuses qu'après les élections.

Vous préparez également une nouvelle « régulation » budgétaire, c'est-à-dire, en clair, de nouvelles annulations de crédits. Si les ministères régaliens sont épargnés, les coupes budgétaires porteront-elles à nouveau sur la recherche, l'éducation, l'emploi, le logement ?

Trois questions donc. Préparez-vous effectivement de nouvelles annulations de crédits ? De quel montant ? Quand le Parlement en sera-t-il informé ? Présenterez-vous un collectif budgétaire afin de répondre aux attentes des chercheurs ? Allez-vous enfin tirer les conséquences de vos mauvais résultats et renoncer à votre politique économique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Comme vous êtes un bon spécialiste des finances publiques, vous devriez au contraire féliciter le Gouvernement d'avoir rendu les comptes aussi rapidement devant votre commission des finances. Et le bilan est exemplaire, puisque les dépenses ne se sont pas accrues de plus d'un euro par rapport à ce que vous aviez autorisé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Les déficits publics comprennent les comptes de l'Etat, mais aussi ceux de la sécurité sociale, des collectivités locales et des administrations centrales : je ne serai en mesure de vous informer sur cet ensemble que le 1er mars.

Concernant 2004, le Gouvernement réitère son engagement solennel : on ne dépensera pas un euro de plus que ce que vous aviez autorisé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Afin qu'il en soit ainsi, une concertation interministérielle est actuellement engagée.

Mais en matière de record, Monsieur le député, vous avez la mémoire courte : en 1993, le déficit public que vous aviez laissé à la France était de 6 % du PIB. Vous avez donc confirmé l'adage selon lequel il n'est pas bon de vous succéder (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Julien Dray - Et le déficit Balladur ?

GRIPPE AVIAIRE

M. Stéphane Demilly - Hier, les Etats membres de l'Union ont décidé de prolonger jusqu'en août l'embargo sur les produits à base de poulet, ainsi que les oiseaux de compagnie importés des pays d'Asie touchés par la grippe aviaire. L'inquiétude de nos concitoyens grandit en même temps que l'épidémie, que vous avez vous-même qualifiée de réelle menace, Monsieur le ministre de la santé. Au-delà de l'embargo, quelles mesures l'Union et la France ont-elles arrêtées pour prévenir une diffusion en Europe ? Quel est l'état des connaissances sur la transmission du virus à l'homme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - L'Union européenne n'a jamais véritablement intégré la santé publique dans ses compétences communes ou partagées, en dépit de l'article 152 du traité de Maastricht. Les épidémies de l'encéphalopathie spongiforme bovine ou du SRAS ont suscité une nouvelle réflexion, dans laquelle la France a pris une part déterminante. Elle a ainsi souhaité que les compétences de l'Union soient étendues, et obtenu la création d'un centre européen de prévention et de contrôle des maladies transmissibles pour 2005. C'est une grande première.

En ce qui concerne la grippe aviaire, la France est en contact régulier avec les pays de l'Union, la Commission européenne et l'Organisation mondiale de la santé. Il faut régler ensemble les problèmes aux frontières, les déplacements des personnes et des marchandises, l'harmonisation des stratégies de prévention, la mutualisation des traitements préventifs et la recherche et la production en matière de vaccins. La France va saisir la Commission européenne pour un conseil des ministres de la santé, comme elle l'a fait au printemps pour le SRAS : c'est un destin commun qu'il nous faut assumer ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

VISITE DE M. SARKOZY EN CORSE

M. Camille de Rocca Serra - Nous connaissons tous la volonté du Gouvernement de résoudre les difficultés auxquelles la Corse est confrontée. Nous saluons la fermeté dont il fait preuve à propos des clandestins et de la lutte contre les systèmes mafieux, soutenue par l'immense majorité des Corses et les élus. C'est d'une mobilisation de tous pour son développement économique et culturel que la Corse a besoin. La semaine dernière, vous avez présidé, Monsieur le ministre de l'intérieur, une réunion sur le développement culturel à Ajaccio puis rencontré les agriculteurs à Bastia sur la question du désendettement. Quel est le bilan de votre déplacement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - La question de la Corse dans la République est loin d'être simple. Depuis Aléria, tous les gouvernements ont pu s'en rendre compte. J'observe cependant trois signes encourageants. D'abord, le système mafieux est en train de rendre des comptes à la justice. En s'attaquant non seulement aux poseurs de bombes, mais aussi à leur argent, la police et la justice ont mis au jour une partie de leurs réseaux. Ce n'est pas suffisant, mais c'est un début. Il va de soi que le Gouvernement veillera à ce que l'assainissement de l'économie corse aille à son terme.

Ensuite, les Corses ne se sentent plus abandonnés par l'Etat. Ils commencent à parler. Comment aurait-ce été possible, à une époque où l'Etat ne semblait pas le moins du monde décidé à agir ? Les Corses relèvent la tête. La peur recule sur l'île, mais après tant d'années de déceptions, ils se demandent si cela va durer.

Enfin, le développement progresse. Nous avons signé avec 85 % des organisations agricoles de l'île l'accord sur le désendettement des agriculteurs ; élaboré une convention avec l'université de Corte qui devrait ouvrir l'île sur l'extérieur et y attirer des étudiants du continent ; et M. Aillagon et moi-même menons un projet de télévision numérique en Corse.

Tout n'est pas fait, mais, pour la première fois depuis longtemps, l'on peut reprendre espoir. Le Gouvernement a tiré toutes les conséquences du référendum et cette politique ne s'arrêtera pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

DISPOSITIF FACE À LA GRIPPE AVIAIRE

M. Pierre Morange - L'épizootie qui sévit en Asie fait des ravages. Les autorités de dix pays ont déjà abattu des millions de poulets et craignent que le virus ne se soit propagé à des êtres humains, faisant douze morts en Thaïlande et au Vietnam. La vingtaine de spécialistes internationaux réunis au siège de l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture - FAO - depuis mardi à Rome ont-ils élaboré un plan d'aide pour répondre à l'urgence et prévenir l'évolution de la maladie ? Comment s'articule-t-il avec votre propre dispositif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - La grippe aviaire en Asie constitue une menace sanitaire mondiale. La contamination interhumaine n'est pas encore démontrée, mais la France, en liaison avec ses voisins, ainsi qu'avec l'OMS, la FAO et l'organisation internationale des épidémies animales se prépare à faire face à une éventuelle extension de l'épidémie. Les ministères de l'agriculture, de la consommation et de la santé ont déjà pris diverses mesures : veille sanitaire accrue, restriction des importations en provenance d'Asie et information régulière de l'opinion publique et des professionnels. C'est la première phase d'un plan de prévention et de lutte plus global. La direction générale de la santé et l'institut de veille sanitaire sont totalement mobilisés. La vigilance est de rigueur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SITUATION DE L'EMPLOI

M. Jean-Claude Bateux - En 2003, le chômage a enregistré une détestable augmentation de 6 %. Il n'a pas baissé de rythme en décembre, contredisant l'optimisme de façade du Gouvernement. Au cours de l'année, 140 000 de nos concitoyens ont rejoint les rangs des sans emploi, s'ajoutant aux 100 000 de 2002. Ainsi, 2 870 000 Français sont-ils aujourd'hui sans travail ou en activité réduite. Le chômage de longue durée a augmenté de 13 % et celui des moins de 25 ans de 7 % ; 80 % des emplois proposés sont précaires. Depuis votre arrivée, on compte 10 000 chômeurs de plus chaque mois ! En outre, depuis janvier, 140 000 d'entre eux ont également perdu les allocations ASSEDIC. Beaucoup basculent dans les RMI. Les associations caritatives sont débordées.

Mais les grands groupes poursuivent leurs restructurations. Le plan de réduction des effectifs de Schneider à Grenoble, Dijon, Rueil, et j'en passe, prépare un millier de chômeurs supplémentaires. L'OPA Sanofi-Synthélabo commence par la mise en vente de son établissement de Notre-Dame-de-Bondeville en Seine-maritime. Ce ne sont pas la suspension de la loi de modernisation sociale, la remise en cause des 35 heures et du code du travail et les succès du Medef qui permettent aux Français d'espérer, et ce ne sera pas la prochaine loi de mobilisation pour l'emploi qui améliorera les résultats de dix-huit mois de libéralisme débridé. C'est la précarité qui attend les Français.

Plusieurs députés UMP - La question !

M. Jean-Claude Bateux - Elle est très simple : allez-vous prendre conscience de la réalité et mener une véritable politique de lutte pour l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle - Permettez-moi de vous répondre au nom de François Fillon, qui est actuellement au Sénat. Le droit individuel à la formation est une des meilleures réponses à l'investissement sur le capital humain dont la France a besoin. C'est votre politique qui a poussé la France à l'immobilisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). C'est votre politique qui a empêché la France de faire face au ralentissement de la croissance et au retour du chômage à partir de 2001 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Aujourd'hui, les premiers signes du retour de la croissance sont là. L'augmentation du chômage s'infléchit, les nouvelles demandes d'emploi passant de 95 000 au premier semestre à 44 000 au second (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cependant, l'observation des cycles économiques montre toujours un décalage de plusieurs mois entre les signes de la reprise et leur traduction dans le domaine de l'emploi. Le Gouvernement n'a donc ménagé aucun effort : l'activation des dépenses sociales, l'accord courageux signé par les partenaires sociaux sur l'assurance chômage, l'exonération de la taxe professionnelle l'illustrent (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cette exonération va permettre de développer l'investissement productif pour les dix-huit prochains mois. Enfin, ce sera l'objectif de la loi de mobilisation pour l'emploi.

S'agissant de Schneider, un accord de méthode a été passé avec les partenaires sociaux. Il est fondé sur le départ volontaire de 600 personnes dans les deux ans qui viennent. Le Gouvernement est bien entendu particulièrement attentif à ce dossier.

Pour ce qui concerne Synthélabo, la cession envisagée est en effet importante. Le Gouvernement sera là aussi soucieux de la qualité du dialogue social. S'il y a cession, c'est aussi la marque de la puissance industrielle de votre région dans ce domaine (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

FILIÈRE PORCINE

M. Yves Simon - Monsieur le ministre de l'agriculture, depuis votre prise de fonctions, vous avez eu à affronter de nombreuses crises agricoles de toutes origines. Le monde agricole apprécie la qualité de votre écoute et la rapidité de vos décisions : jamais vous n'avez laissé dégénérer une situation délicate.

La filière porcine traverse actuellement une très grave crise. A défaut de soutien, l'ensemble de la production est menacé, et il est à craindre que de la viande en provenance de pays tiers n'envahisse le marché européen. Dans notre pays, la crise est générale. Pour autant, toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne. Dans l'Allier, le nombre de coopératives porcines a été divisé par six en vingt ans - la seule coopérative restante recouvre une quinzaine de départements. Or, paradoxalement, l'Auvergne ne produit pas assez de porcs pour ses salaisons.

Pourriez-vous nous indiquer les grandes lignes de votre plan d'action, qu'il s'agisse de l'image de la production porcine, des perspectives d'amont et d'aval ou des adaptations de l'offre et des structures ? Enfin, alors qu'en Hollande, au Danemark et en Espagne, la filière porcine contrôle l'abattage, la découpe et la transformation, en France, elle ne contrôle que les deux premières étapes, les moins rentables. Dans ces conditions, comment peut-on envisager l'avenir ? Comment faire comprendre aux distributeurs que les producteurs ne peuvent seuls assumer le prix de la crise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - En effet, notre filière porcine traverse une grave crise, depuis maintenant plus de deux ans. Des réponses de nature conjoncturelle y ont déjà été apportées : nous avons obtenu de Bruxelles des mesures de stockage privé, et la semaine dernière, des subventions à l'exportation indispensables à l'équilibre du marché.

Au-delà, des mesures structurelles sont nécessaires. J'ai annoncé aux professionnels un plan d'action doté de 15 millions d'euros par l'Etat, qui pourra être abondé par les conseils régionaux et les conseils généraux concernés. Quels en sont les principaux axes ? Tout d'abord, sauvegarder l'emploi et maintenir le potentiel de production car, contrairement à une idée reçue, nous ne produisons pas plus de porcs que nous n'en consommons. En deuxième lieu, alléger les charges en améliorant les circuits de commercialisation et en incitant les organisations de producteurs à se regrouper. Ensuite, mieux inscrire la production dans une perspective de développement durable - nous avons à cet égard, Roselyne Bachelot et moi, travaillé à la simplification des procédures. Enfin, faciliter la reconversion des producteurs de porcs qui le souhaiteraient : une panoplie d'outils a été mise en place à cet effet.

Le problème, pour le porc comme pour la volaille, est que ces productions ne bénéficient pas d'une organisation commune de marché. J'ai obtenu le 26 juin dernier à Luxembourg que la Commission fasse des propositions avant la fin 2004 en matière de gestion de crise pour les productions qui ne sont pas sous OCM (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ASSISTANTES MATERNELLES

Mme Brigitte Barèges - Monsieur le ministre délégué à la famille, vous avez présenté ce matin en Conseil des ministres un projet de loi portant réforme du statut des assistantes maternelles, lequel était très attendu des nourrices comme des familles qui accueillent des enfants placés au titre de l'aide sociale à l'enfance. Ce texte ambitieux vise à redonner de l'attrait à ce métier. Quelles sont vos principales propositions ? Qu'est-ce qui va changer demain pour les familles qui recherchent ou emploient une assistante maternelle ?

M. le Président - Merci de cette question brève et précise.

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - Lors de la dernière Conférence de la famille, le Premier ministre avait exprimé le souhait de renforcer l'offre de garde, collective et individuelle, des jeunes enfants. Un nouveau plan Crèches a ainsi été mis en place le 1er janvier, qui comporte la création de 20 000 places supplémentaires. Il a également été décidé de donner un véritable statut aux assistantes maternelles, qui le réclamaient depuis longtemps sans jamais avoir été entendues jusque là. Outre une réforme de la procédure de leur agrément, les assistantes maternelles bénéficieront désormais d'un contrat de travail écrit, d'une caisse de prévoyance maladie et accidents du travail, et pourront valider leurs acquis professionnels. Elles recevront ainsi l'équivalence d'un CAP Petite enfance, qui leur permettra de s'orienter vers d'autres métiers de la petite enfance mais aussi d'avoir accès aux concours de la fonction publique. Cette réforme, très attendue, est particulièrement appréciée des organisations syndicales et professionnelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

GRÈVE A RADIO FRANCE

M. Didier Mathus - Ma question s'adresse au ministre de la culture et de la communication. Je lui précise qu'il s'agit bien d'une question d'actualité qui porte sur sa politique. Je le remercie donc par avance de ne pas céder au tic habituel du Gouvernement consistant à se défausser de ses responsabilités (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et à rechercher systématiquement la polémique partisane (Même mouvement). La mise en cause de l'héritage, comme le fusil à éléphant, ne peut servir qu'une fois ! Merci donc, Monsieur le ministre, de me répondre sans remonter à Léon Blum ou Gracchus Babeuf ! (Même mouvement)

Depuis neuf jours, les journalistes de toutes les antennes de Radio France sont en grève. Après avoir refusé la nomination d'un médiateur, vous avez renvoyé la responsabilité de la négociation au président de Radio France, lequel semble n'avoir aucune marge de man_uvre budgétaire. L'échec des négociations hier soir risque de faire s'éterniser le conflit si vous vous refusez encore longtemps à prendre une initiative. Votre immobilisme dans ce dossier, après deux ans d'attaques incessantes contre la télévision publique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) m'amène à conclure, et les cris que j'entends sur les bancs opposés me confirment dans ce sentiment, que décidément vous n'aimez pas l'audiovisuel public et que son sort vous est, au mieux, indifférent. Notre radio publique est pourtant l'une des grandes réussites du service public à la française. Le dernier budget de la communication n'est du reste qu'un affichage puisque, chacun le sait, il manque au bas mot dix millions d'euros pour qu'il soit normalement exécuté.

M. le Président - Posez votre question, je vous prie.

M. Didier Mathus - La radio publique a pour seul actionnaire l'Etat. Vous ne pourrez pas jouer beaucoup plus longtemps les Ponce Pilate. Quand prendrez-vous enfin vos responsabilités, Monsieur le ministre ?

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - En matière de polémique partisane, vous êtes assurément un maître, Monsieur le député de la Saône-et-Loire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je ne suis pas sûr de pouvoir faire aussi bien que vous !

La concertation en cours à Radio France entre la direction et les syndicats se poursuit. Elle entre dans une phase décisive et nous devons la soutenir. Comme je l'ai dit hier, la nomination systématique d'un médiateur n'est pas une bonne chose, en ce qu'elle fragilise les directions des entreprises publiques. C'est au sein des entreprises que doit avoir lieu le dialogue social, pas dans les cabinets ni les ministères (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C'est là ma conviction. Je ne joue nullement les Ponce Pilate.

Sur le fond, l'alignement des salaires de tous les journalistes de l'audiovisuel public ne me paraît pas pertinent. D'ailleurs, il n'est pas prévu dans la convention collective, laquelle fixe seulement des minima, qui sont respectés à Radio France. Les métiers de la radio et de la télévision ont évolué de façon telle qu'une convergence n'est tout simplement plus fondée. Quant à la situation salariale des journalistes de Radio France, s'est-elle dégradée ces dernières années ?

Plusieurs députés socialistes - Oui !

M. le Ministre - Non. Si le point d'indice n'a pas été réévalué, les augmentations personnelles et collectives accordées se situent à un niveau supérieur à celui de l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Enfin, la négociation salariale en cours autorise-t-elle a dépasser l'enveloppe budgétaire de Radio France ? Non, pour des raisons que chacun comprendra aisément (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

CONTINUITÉ TERRITORIALE

M. Joël Beaugendre - Madame la ministre de l'outre-mer, la continuité territoriale entre les neuf collectivités d'outre-mer et la métropole est un principe voulu par le Président de la République, très attendu de nos populations qui doivent supporter le coût exorbitant de la desserte aérienne de l'outre-mer. Nos collectivités étant toutes, à l'exception de la Guyane, des îles ou des archipels, seul un pont aérien les relie à l'hexagone. Ce gouvernement a fait en dix-huit mois, plus que tout autre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Après le passeport mobilité pour nos jeunes, encore étendu cette année par la loi-programme qui non seulement réaffirme le principe de la continuité territoriale, mais permet de le mettre en _uvre concrètement, avec par exemple des exonérations de charges pour les entreprises de transport aérien, et au moment où la région Guadeloupe vient d'adopter un cahier des charges pour accompagner cette mise en _uvre, pouvez-vous, Madame la ministre, faire un bilan d'étape ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer - Je vous remercie d'évoquer le problème de la continuité territoriale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), devenu insupportable pour nos compatriotes ultramarins, qu'ils résident outre-mer ou en métropole.

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a le premier pris des mesures pour réaliser concrètement la continuité territoriale. Il a ainsi créé le passeport mobilité, dont ont profité l'an dernier 11 000 jeunes de 18 à 30 ans. Il a exonéré de charges sociales les compagnies aériennes qui desservent l'outre-mer : quatre compagnies desservent désormais La Réunion, et une compagnie supplémentaire dessert depuis peu les Antilles-Guyane. Votre rapport d'information va nous aider à poursuivre notre action pour faire baisser les tarifs aériens.

Enfin une dotation de continuité territoriale a été inscrite dans la loi de programme. Le décret d'application en a été publié le 31 janvier. L'arrêté qui répartit la dotation entre les neuf collectivités a également été pris. Il appartient maintenant aux assemblées locales de fixer les critères destinés à identifier les populations concernées. La région Guadeloupe a déjà beaucoup travaillé depuis le mois d'octobre. Je déplore que la région Réunion n'ait pas fait de même (Protestations de Mme Huguette Bello). Dès que je serai saisie des délibérations des assemblées locales, les dotations seront versées.

Cette dotation de continuité territoriale permettra chaque année à plus de 200 000 passagers de bénéficier d'une réduction de 30 % en moyenne pour un trajet entre la métropole et l'outre-mer (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ce n'est pas rien ! Quand l'opposition était au pouvoir, ce dossier n'a pas avancé ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

AGRICULTURE BIOLOGIQUE

M. Antoine Herth - L'agriculture biologique est un mode de production respectueux de l'environnement et du développement durable que les Français ont largement plébiscité. On ne compte plus les marchés et magasins présentant des produits bio reconnaissables au Label AB. Cependant notre collègue Martial Saddier, dans un rapport remis en juillet 2003, souligne les faiblesses d'une filière mal organisée et imparfaitement soutenue. Alors que la France, premier pays agricole européen, était logiquement en tête il y a vingt ans, elle se place aujourd'hui au 13e rang européen, avec seulement 1,4 % de sa surface agricole consacrée à la production biologique. Pourtant ce mode d'élaboration de nos aliments constitue un véritable outil de promotion et de développement économique de nos territoires ruraux. Lundi, à Herbeys dans l'Isère, vous avez annoncé un plan en faveur du bio. De quoi s'agit-il au juste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Vous l'avez dit, la France est le premier pays agricole européen, et pourtant nous ne sommes qu'au 13e rang pour la production biologique, alors que nous avions été précurseurs.

Le rapport Saddier nous a incités à mettre en _uvre un plan d'action pour la filière bio. Nous allons ainsi favoriser la conversion par le biais des contrats d'agriculture durable, et maintenir la production de bio là où elle existe, en concertation avec l'Union européenne.

Il faut ensuite renforcer la communication, et en particulier l'utilisation du logo ; une campagne va être lancée à ce sujet. L'enseignement et la recherche agricoles doivent se tourner davantage vers le bio. Enfin, une approche interprofessionnelle s'impose ; c'est à quoi tend un amendement de M. Saddier au projet de développement des territoires ruraux.

Au total plus de 60 millions sont mobilisés pour la filière bio. Nous avons bon espoir que ce plan permette de reconquérir le terrain perdu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La séance, suspendue à 15 heures 50 est reprise à 16 heures 5.

APPLICATION DU PRINCIPE DE LA LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES,
COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics.

M. Patrick Braouezec - Cette loi n'est pas opportune, et elle n'est pas de nature à régler les questions auxquelles elle est censée s'attaquer. A un an du centième anniversaire de la loi de 1905, mieux aurait valu engager un débat quant à l'effet des mutations sociales sur la laïcité. S'il était alors apparu que la loi devait être refondée, nous l'aurions fait, alors, dans un tout autre contexte, sans enjeu et sans calcul électoraliste.

Je tiens à préciser, tant il se dit et s'écrit d'énormités à ce sujet, que la laïcité n'est pas un droit de l'homme fondamental ; à préciser aussi que la laïcité ne nie pas les religions mais qu'elle tend, au contraire, à préserver l'égalité de traitement des cultes et leur liberté d'expression dans le respect du principe de séparation des églises et de l'Etat. Même si la République porte nos valeurs essentielles, elle peut ne pas constituer le seul référent, et il serait absurde de considérer la laïcité comme marquant une séparation étanche entre espace public et espace privé, sauf à condamner les esprits religieux à la schizophrénie. Il n'empêche : la laïcité doit permettre que toutes formes de singularités, de modes, de religions et de cultures puissent s'exprimer sans entraver la liberté d'autrui.

Un débat de fond aurait d'ailleurs permis de traiter de toutes les aliénations - puisque c'est aussi de cela qu'il s'agit -, et de toutes les formes d'ostentation, qui sont loin d'être seulement religieuses. Notre collègue Huguette Bello a d'ailleurs évoqué éloquemment les signes ostensibles ou ostentatoires liés à la dictature des marques et à la « cléricature de l'argent ».

Mais la volonté du Gouvernement était-elle vraiment que le débat porte sur tous les volets de la laïcité ? Je ne le crois pas. Je le crois d'autant moins que cela aurait signifié, aussi, de s'interroger sur la réalité de la devise républicaine, dont les principes sont toujours plus virtuels et sans lesquels, pourtant, il n'est pas de laïcité possible.

Sous l'habillage sémantique, la question est bien celle du foulard ou du voile que portent des jeunes filles musulmanes à l'intérieur des établissements scolaires et l'habillage sémantique se double d'une belle tartufferie puisque la seule question qui vaille, celle de la liberté des femmes à disposer de leur être, n'est pas traitée de la bonne manière. Pire : loin de régler la question de la condition de la femme, ce texte l'aggravera.

Le Gouvernement tente aussi de réduire la question à un « pour ou contre le voile » qui tend rapidement à se déformer en « qui est contre la loi est pour le voile ». De la même manière, d'autres tentent de démontrer que ceux qui s'opposent à la politique américaine ou à celle de Sharon sont du côté des terroristes ou des antisémites. Je ne me laisserai pas enfermer dans ce faux choix, d'autant que, j'en suis convaincu, nous sommes presque tous partagés entre deux opinions, qu'il est difficile de trancher, et que la méthode que vous employez ne permet pas de le faire dans de bonnes conditions.

Ces deux opinions, quelles sont-elles ? Je les illustrerai par deux citations relevées dans le même hebdomadaire, le 15 mai 2003. Pour Wassila Tamzani, présidente du forum des femmes de la Méditerranée, « ce voile ostentatoire cache des positions idéologiques réactionnaires : contre l'émancipation des femmes, contre la libération des individus, contre les autres cultures ». Elle ajoute : « Sur une question aussi grave que l'avortement, est-ce que le Gouvernement a fait semblant d'écouter les intégristes ? Non, il a été ferme sur sa position. Pourquoi ne le serait-il pas sur l'interdiction du voile à l'école, afin de garantir aux filles l'égalité des chances devant l'éducation ? »

Mais l'opinion du sociologue Farhad Khosrokhavar est tout autre : « Ne fantasmons pas sur la déferlante islamique, dont le foulard serait le symbole triomphant ! Le retour du religieux est une réalité, l'islam a le vent en poupe, il a souvent l'attrait du fruit défendu. Mais sur le long terme, partout en Occident, c'est la sécularisation qui gagne du terrain. Une partie de la population se sent aujourd'hui cantonnée aux marges et se recroqueville sur les identités fermées. Les filles portant le foulard ne sont pas si éloignées des mouvements régionalistes, homosexuels ou féministes. Le foulard est pour elles un moyen de s'enraciner dans une identité intermédiaire entre l'identité personnelle, qui ne suffit pas, et l'appartenance nationale, devenue floue.

Etre plus tolérant me paraît le meilleur moyen d'empêcher ces adolescentes musulmanes de se jeter dans les bras des intégristes. »

Si opposées qu'elles apparaissent, ces deux opinions convergent sur un point : la nécessité de combattre tout ce qui peut asservir la personne. Mais est-ce de cela qu'il s'agit dans cette loi ? Evidemment pas, et c'est pourquoi je parle d'hypocrisie ou de tartufferie. S'il fallait légiférer, c'était bien plutôt sur les violences faites aux femmes ou sur l'âge légal du mariage.

Chacun comprend que cette loi en entraînera d'autres, visant d'autres espaces publics que l'école. Elle ne fera qu'aggraver l'incompréhension, le rejet et les tensions. Elle sera difficilement applicable, en particulier dans les lycées où nombre de jeunes sont majeurs. Elle est discriminatoire, au détriment des jeunes filles - et, à cet égard, je partagerais l'avis du ministre de l'éducation nationale sur le port ostensible de la barbe si l'on n'entrait là dans le domaine du subjectif et de l'absurde !

Pour résumer, cette loi n'est pas raisonnable, au sens premier du terme : elle ne fait pas appel à la raison. Celle-ci devrait au contraire nous conduire à nous interroger sur le rôle émancipateur de l'école, sur la façon dont notre société peut respecter la diversité, sur l'égalité de traitement... C'est seulement en répondant à ces questions, et certainement pas en adoptant une loi inadaptable, discriminatoire et potentiellement totalitaire, que nous ferons progresser la laïcité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Alain Juppé - Ce débat est un débat fondamental en ce sens qu'il porte sur la République, sur ses valeurs essentielles et sur les droits de la personne.

Notre République est laïque, en vertu d'un choix des Français, en vertu du pacte qui les unit. Cependant, il arrive qu'à l'étranger, on comprenne mal la signification de cette notion de laïcité. Je commencerai donc par poser que la laïcité n'est pas un combat : elle est le respect. De ce point de vue, et au risque de surprendre, je serais prêt à souscrire à la définition qu'en donne le pape Jean-Paul II, « la laïcité est le respect de toutes les croyances de la part de l'Etat, qui assure le libre exercice des activités spirituelles, cultuelles et caritatives des communautés de croyants », étant entendu que sont concernées là toutes les religions, y compris l'islam, grande religion de France - et je veux redire ici ce que j'ai dit au Bureau du Conseil français du culte musulman : cette loi n'est pas une loi de combat contre l'islam.

Mais la laïcité, c'est aussi la séparation entre la sphère politique et la sphère religieuse. L'idée est ancienne - « rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »-, mais s'est cristallisée à la fin du XIXe et au début du XXe siècle à la faveur d'un rude conflit avec l'Eglise catholique, conflit heureusement révolu. Au XXIe siècle, elle nous fait obligation, à nouveau, de refuser tout mélange du politique et du religieux, toute conception théocratique du pouvoir politique, tout envahissement de la religion par des menées politiques (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Myard - Très bien !

M. Alain Juppé - Or, ce n'est pas faire preuve de paranoïa que de dire que nous sommes aujourd'hui confrontés à la montée d'un fanatisme politico-religieux qui veut faire de la loi religieuse la loi civile et fonder sur la foi la légitimité du pouvoir politique. Cette conception est incompatible avec la République ! (Même mouvement) Elle conduit à des dérives inacceptables : antisémitisme, révisionnisme et négationnisme historiques, racisme, auxquelles nous devons donner un coup d'arrêt.

Cette loi n'y suffira pas, nous objecte-t-on, et c'est un fait. Mais ce n'est pas parce qu'elle ne sera pas suffisante qu'elle n'est pas nécessaire. Elle constitue en effet un signal, un symbole et elle s'applique à des lieux qu'il s'impose de protéger particulièrement car les enfants y forment leur conscience, leur esprit critique, leur libre arbitre.

Cette loi vise un prosélytisme religieux dont la proximité avec le militantisme politique est avérée. Mais elle doit être appliquée dans un esprit de dialogue et d'apaisement car, je le répète, la laïcité n'est pas le combat, mais le respect. L'histoire de la loi de 1905, devenue loi de référence pour ceux mêmes qui l'avaient farouchement combattue, montre qu'une évolution est possible.

Une seconde valeur de la République est aujourd'hui mise en cause : l'égalité des sexes et la dignité de la femme. Nous avons tous entendu dans nos rues des femmes musulmanes protester contre une interdiction du voile où elles voient une stigmatisation. Mais il ne s'agit pas d'interdire le port du voile : seulement d'établir des espaces de neutralité et de paix où l'affirmation ostensible de l'appartenance religieuse ne peut trouver place. D'autre part, si l'on commence à écouter la rue, il faut tout entendre et, notamment, entendre ces femmes musulmanes qui demandaient : « Aidez-nous à résister aux pressions qu'on exerce sur nous lorsque nous refusons de nous voiler. Aidez-nous à partager les valeurs de la République ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La République ne peut rester sourde à cet appel, d'autant que notre réponse est attendue dans le monde. On nous a beaucoup répété que nous allions choquer le monde arabo-musulman mais, pour m'être rendu récemment dans le Maghreb, j'ai entendu beaucoup d'hommes et de femmes qui attendaient de nous un signal - surtout parmi ceux qui ont payé un lourd tribut au fanatisme religieux, comme en Algérie. Ces hommes et ces femmes comptent sur la France pour rappeler les grands principes des Lumières et le principe de laïcité. (Même mouvement)

Loi nécessaire mais non suffisante : notre action ne peut être purement défensive. Quelle crédibilité aurait notre discours sur la laïcité comme respect de toutes les convictions religieuses si, dans le même temps, nous laissions perdurer d'insupportables discriminations - dans le logement, dans l'emploi, dans les loisirs mêmes. Le délit de sale gueule existe dans notre société, hélas ! C'est pourquoi nous devons, en même temps que nous légiférons, mettre en place une haute autorité chargée d'assurer l'intégration et l'égalité républicaine des chances (Même mouvement).

Ce texte a été préparé de manière exemplaire et je veux rendre hommage à la commission Stasi ainsi qu'à la mission parlementaire. Nous pouvons nous appuyer sur une vraie concertation, un dialogue. D'où une loi d'équilibre. Je formulerai donc un v_u pour conclure : puissions-nous, pour une fois, dépasser les clivages partisans ! Un vote massif constituerait le meilleur signal de cohésion et de détermination républicaine que nous puissions adresser à la nation tout entière ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

M. le Président - La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Le Gouvernement a demandé la parole.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Je tiens à saluer la qualité des interventions entendues depuis hier... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Le Gouvernement peut s'exprimer quand il veut. Laissez parler M. le ministre !

M. Paul Quilès - Quelle élégance, répondre avant que notre groupe se soit exprimé ! (De nombreux députés socialistes quittent l'hémicycle).

M. le Ministre - Je rends également hommage à la qualité des travaux des commissions Debré et Stasi.

J'ai bien entendu les réserves ou les réticences exprimées hier. Pour certains, la loi va trop loin et est peut-être inutile. Pour d'autres, elle ne va pas assez loin et ses termes exigeraient d'être clarifiés. Je vais donc exposer un certain nombre d'arguments qui m'ont convaincu du bien-fondé de ce texte.

Pour ce faire, je partirai du contexte. Comme l'a souligné le Président de la République le 17 décembre, le communautarisme ne peut être le choix de la France. Cependant, notre tradition républicaine n'est pas hostile au communautarisme en soi, comme on le croit souvent à l'étranger : elle rejette seulement les dérives communautaristes dans la mesure où elles conduisent au dogmatisme et à l'enfermement des individus. Quand on parle de la montée du communautarisme, il faut avoir à l'esprit les chiffres : de 2000 à 2002, les actes antisémites ont été multipliés par 20, les actes à caractère raciste non antisémites ont quant à eux augmenté de 205 %.

Il est de la responsabilité des adultes de faire en sorte que les élèves ne se regroupent pas, dans les établissements scolaires, en fonction de leur appartenance religieuse ou politique. Telle est la finalité première de la loi, sa seule finalité peut-être. Il ne s'agit pas, en effet, de viser une religion, mais les dérives communautaristes.

J'invoquerai un deuxième argument. J'ai rencontré un millier de chefs d'établissements : tous veulent une clarification. Leurs difficultés tiennent non au fait que tel ou tel élève apparaisse avec des signes religieux ostensibles, mais aux conflits entre enseignants et élèves qui résultent de cette situation. Or en l'état actuel du droit, les chefs d'établissements sont parfois amenés à désavouer les professeurs plutôt que les élèves. Ceux qui pensent que la loi ne servira à rien se trompent.

M. Jean Glavany - C'est vous qui vous trompez !

M. Luc Ferry, ministre - En effet, certains signes religieux qui étaient autorisés seront demain clairement interdits de telle sorte que la circulaire prise par M. Bayrou en 1994 aura force de loi.

Enfin, - c'est un troisième argument - des jeunes filles croyantes mais qui ne portaient pas de signes religieux, subissaient des pressions que l'autorité républicaine devait faire cesser.

Nous devons prendre en compte la singularité française. Notre conception de la laïcité repose sur trois piliers. D'abord, avec la création du Parlement, il a été établi que la source de la loi n'était plus religieuse mais se fondait sur la raison et la volonté humaines. C'était la fin du théologico-politique.

M. Philippe Vuilque - Il est très rasoir !

M. Luc Ferry, ministre - En second lieu, la déclaration des droits de l'Homme de 1789 a posé le principe selon lequel le respect dû à l'être humain n'est pas lié à une appartenance communautaire. C'est ce que l'on a appelé à juste titre l'humanisme abstrait.

M. Philippe Vuilque - C'est vous qui êtes abstrait !

M. Luc Ferry, ministre - Enfin, l'abolition des privilèges, la nuit du 4 août, a témoigné de ce que le droit n'est pas lié à des appartenances communautaires. Ce modèle français, parfaitement légitime, doit s'appliquer à l'école.

L'autorisation des signes religieux discrets est conforme à la tradition française. Nous ne pouvons en effet les interdire, dès lors que le fait de les porter ne porte pas atteinte à l'ordre public.

Mieux : la grande tradition républicaine française implique de les respecter.

Les problèmes qui se poseront dans l'application de la loi seront résolus si nous proposons aux responsables religieux de passer des signes ostensibles aux signes discrets, et de favoriser ainsi le passage de l'espace communautaire à l'espace personnel.

Je propose également que le dialogue, la pédagogie, la concertation soient inscrits dans la loi, comme le précise je crois un amendement adopté par la commission. J'ai donné des instructions en ce sens aux recteurs et aux chefs d'établissements.

Nous préparerons de plus une circulaire d'application et je recevrai, dans cette optique, toutes les communautés religieuses concernées.

L'interdit n'est pas le seul moyen de faire passer l'idéal républicain dans nos établissements. Je proposerai bientôt un Guide républicain qui renouvellera l'éducation civique.

Enfin, il faudra développer l'enseignement du fait religieux.

M. Jean Glavany - Et l'enseignement de la laïcité ?

M. Luc Ferry, ministre - Au-delà de nos divergences sémantiques, ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare. Je présente donc ce projet avec confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

M. Laurent Fabius - Il y a près d'un an, j'avais souhaité qu'une loi écarte les signes religieux à l'école publique. C'est pourquoi, j'apprécie que le Gouvernement ait choisi d'en proposer une, mais encore faut-il que son contenu aide à régler les problèmes.

En décembre 1989, dans un contexte où les manifestations d'intégrisme religieux dans nos écoles publiques restaient très limitées, l'avis du Conseil d'Etat n'avait pas permis d'apporter de réponse stable aux difficultés. Or, l'essentiel, dans une république laïque, c'est de ne pas confondre la liberté religieuse, qui doit être respectée, avec la manifestation des convictions religieuses qui n'a pas sa place dans l'école publique.

Ceux qui instrumentalisent les élèves à travers le port des signes religieux tel qu'il s'est développé, visent non seulement à perturber les enseignements mais à tester la capacité de résistance de ceux qui sont attachés à la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Outre que ces signes manifestent un intégrisme religieux, ils maintiennent les femmes dans une situation d'inégalité inacceptable.

N'oublions pas que de l'autre côté de la Méditerranée, des militantes de la liberté ont payé de leur vie leur refus de le porter. Dans notre République laïque, la foi doit être respectée, mais elle ne peut pas être supérieure à la loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UMP).

C'est pourquoi le groupe socialiste, fidèle à son engagement laïque et à son amour de l'école, a déposé une proposition de loi. Les travaux de la mission d'information parlementaire présidée par Jean-Louis Debré ont conclu dans le même sens. Le Gouvernement, lui, propose d'insérer dans le code de l'éducation un article de loi ainsi rédigé : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes et tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

La rédaction initiale du texte ne prévoit aucun dialogue. Or, cette loi doit être un bouclier, non un couperet. Demain, si une difficulté d'application apparaît, il doit revenir à l'équipe pédagogique et au chef d'établissement d'engager une concertation avec l'élève. Neuf fois sur dix, cette démarche permettra de maintenir les élèves dans l'enseignement public, ce qui est hautement souhaitable. Nous avons déposé un amendement en ce sens. Le Premier ministre a dit hier qu'il l'acceptait. C'est une sage décision.

Point plus délicat, le terme « ostensiblement » introduit un élément de subjectivité : avec votre projet, ce n'est pas le port du signe religieux qui serait interdit, mais le fait que l'élève qui le porte manifeste « ostensiblement » une appartenance religieuse. On risque de déboucher sur des interprétations et des contestations. Or, personne ici ne veut se défausser de ses responsabilités sur les chefs d'établissement, les enseignants ou les juges. Nous voulons une loi utile. Le Gouvernement répond que l'emploi des termes « visible » ou « apparent », proposés par la mission Debré, risqueraient d'être censurés par le juge constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme, mais il n'en fait aucune démonstration !

Plusieurs députés socialistes -Aucune !

M. Laurent Fabius - Il ajoute que l'exposé des motifs de la loi précise les signes religieux interdits - le voile, la kippa ou la grande croix - et qu'elle sera donc simple à appliquer. Mais deux difficultés sérieuses au moins existent.

Pour définir les signes interdits, à l'article premier, le Gouvernement se réfère à l'intention des élèves, qui « manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Mais dans l'exposé des motifs, il écrit que les signes religieux interdits sont ceux « dont le port conduit à se faire reconnaître immédiatement par son appartenance religieuse » : l'élément intentionnel a subitement disparu. Enfin, le Gouvernement précise que les « signes discrets d'appartenance religieuse resteront naturellement possibles ». Mais ces signes discrets conduisent eux aussi à se faire reconnaître immédiatement pour son appartenance religieuse ! Bref, le Gouvernement fixe un critère à l'article premier - l'intention de l'élève, en fixe un autre dans l'exposé des motifs - la reconnaissance immédiate - et ajoute un exemple qui contredit tout cela... Enfin, je relève qu'est interdit non pas le port « des » signes et tenues mais « de » signes et tenues, ce qui accentue encore l'imprécision du texte. Nous ne demandons pas autre chose au Premier ministre que de faire disparaître ces zones d'obscurité.

En effet, cette rédaction introduit un risque sérieux de discrimination entre les religions. Je passe sur les grandes croix, qui sont moins souvent un signe religieux qu'un accessoire vestimentaire pour des tenues dont j'ai appris qu'elles étaient dites « gothiques ». Je passe aussi sur la kippa qui ne pose pas de grave problème, puisque les autorités juives n'ont jamais déclaré son port obligatoire dans les établissements scolaires. C'est bien le voile qui est visé par la rédaction actuelle. Or, nous ne voulons pas d'une loi contre l'islam. A la différence des autres signes religieux, le voile est souvent considéré comme contraire à l'égalité entre les hommes et les femmes et s'inscrivant dans un projet politique au-delà de sa signification religieuse. Mais, pour éviter tout sentiment de discrimination, au nom de l'égalité, il serait préférable d'employer les termes de port « visible » ou « apparent ». On poserait ainsi un principe d'ordre général, valable pour toutes les religions, toujours sans interdire les signes discrets portés entre peau et vêtement qui marquent l'intimité de la foi. Cette démonstration est aride, mais toute approximation aujourd'hui risque de conduire demain à des difficultés sérieuses (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Le projet gagnerait donc à être amélioré en ce qui concerne le dialogue, la clarté et l'égalité. Certains de nos compatriotes en effet, femmes ou hommes, mais en particulier musulmans, se sentent stigmatisés par la rédaction actuelle. On peut éviter cela en prévoyant des dispositions précises visant à mieux reconnaître l'égalité entre les religions, à mettre en _uvre l'égalité politique et à pratiquer une véritable égalité sociale.

A côté du catholicisme, se sont affirmés depuis longtemps dans notre pays le protestantisme et le judaïsme, lui-même victime parfois d'actes odieux. L'islam est, lui, d'implantation plus récente. Beaucoup de chemin reste à faire en sa direction. Ses fidèles manquent souvent de lieux de culte. Les municipalités ne doivent pas craindre d'autoriser la construction de mosquées ou de salles de prière. Il doit être possible d'organiser un financement public sans remettre en cause la loi de 1905, en ayant recours à des associations culturelles et à des baux emphytéotiques. Ce point n'est pas abordé par le Gouvernement. D'autres initiatives doivent être prises pour l'instauration de carrés musulmans dans les cimetières.

Plusieurs députés UMP - Ce n'est pas le sujet !

M. Laurent Fabius - Tout en restant globalement neutres, nos cimetières doivent être à l'image de la France : multiconfessionnels. Une évolution de la législation est indispensable. Vous n'en parlez pas plus que de la formation des imams et des aumôniers des prisons, questions pourtant soulignées par la commission Stasi.

D'une façon générale, pour améliorer l'intégration, il faut agir beaucoup plus fort contre les discriminations de toutes sortes, notamment à l'égard des Français issus de l'immigration et de nos compatriotes des DOM. Le Gouvernement a annoncé la constitution d'une Haute autorité indépendante, un comité interministériel, une conférence annuelle : fort bien, mais il n'y a encore rien de concret. Sur le plan civique, les parents et grands-parents qui n'ont pas acquis la nationalité française mais dont le lien avec la France est ancien et stable doivent avoir le droit de vote aux élections locales, qui existe déjà pour les résidents de l'Union européenne (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Richard Mallié - C'est hors sujet !

M. Laurent Fabius - Le politique doit prendre ses responsabilités. Vous n'y êtes manifestement pas prêts.

Mais c'est sur la question de l'intégration que je veux insister. Nos compatriotes « Français musulmans », qui éprouvent quelques inquiétudes, sont en majorité jeunes, habitant dans des quartiers en difficulté et en situation d'échec à l'école, dans l'emploi, pour le logement et les loisirs. Voilà où il faut agir. Mais les aides éducateurs des ZEP sont supprimés, les emplois-jeunes disparaissent, les budgets du logement social, de la politique de la ville et des transports collectifs sont réduits, ainsi que les crédits des clubs et associations sportives (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Cela peut vous déplaire, mais ce sont les faits ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Certains ministres ont proposé des discriminations positives, à raison de l'appartenance religieuse ou de l'origine ethnique. Ce serait une impasse. On ne nomme pas un préfet parce qu'il est musulman, juif, catholique ou agnostique, mais pour ses compétences ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) En revanche, il faudrait renforcer le ciblage des politiques publiques. Cela pourrait concerner notamment la future loi d'orientation pour l'école et les politiques du logement.

Ce projet de loi a beau être limité, il débouche sur une question de fond : quelle laïcité pour la France du nouveau siècle ? La grande loi de 1905, en veillant, selon Jules Ferry, à ce que « la République s'arrête au seuil des consciences », a posé les fondements de notre pacte laïc. On dit parfois de notre pays qu'il est isolé sur ce plan. Peut-être est-il plutôt en avance. Le bénéfice remarquable de cette loi, votée sur le rapport de Jaurès, est d'avoir ouvert une période de pacification entre la République et les Eglises que nous devons préserver précieusement. Pour autant, les questions se posent désormais en des termes différents. Nous devons être attentifs à la diversité de notre société, à son métissage. Il faut faire vivre ensemble dans une société ouverte au monde plusieurs religions, tout en garantissant aussi le droit de ne pas croire. Dans leur immense majorité, les croyants respectent le pacte laïc. Dans leur inspiration ouverte, les religions sont porteuses de paix et de dialogue. Il existe cependant, au sein des grands monothéismes, des courants fondamentalistes minoritaires mais très actifs. La République doit savoir être ferme.

Pour cela, elle doit pratiquer une laïcité sereine. Il n'est pas, par exemple, dans notre tradition républicaine que les dirigeants politiques fassent étalage de leurs convictions religieuses ou que les ministres s'appuient sur les tendances les plus extrêmes d'une religion. Discours laïc d'un côté, pratiques communautaristes de l'autre... ce jeu est dangereux, qui consiste à légitimer ceux qui se réclament d'une interprétation maximaliste de la religion en espérant un « bon procédé » en retour. La République, ce n'est pas cela. Une laïcité sereine implique aussi une certaine constance dans les positions. Le ministre de l'éducation nationale, dans ses positions successives, apparaît comme un personnage original, qui serait à la fois - c'est flatteur de ma part - un fils de Molière et de Beaumarchais : une sorte de Barbier Ridicule... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - C'est scandaleux ! Lamentable !

M. Laurent Fabius - Un de ses prédécesseurs déploie une forme originale de cohérence en étant à la fois l'auteur d'une circulaire qui prohibe le voile à l'école - et en en constatant l'échec - et en récusant toute loi, cependant qu'un autre ministre s'en va chercher le blanc-seing d'une autorité religieuse étrangère, procédé inédit pour un texte de loi... Si la loi doit être claire, le Gouvernement doit l'être aussi !

Nous souhaitons, avec une démarche de laïcité qui devrait être enseignée à tous, en commençant par les futurs enseignants, des mesures qui aillent au-delà de l'école. Le droit est souvent imprécis pour les usagers des services publics. La commission Stasi a indiqué des compléments nécessaires à la loi hospitalière. Vous avez promis de les apporter : nous verrons bien. Une charte devrait rappeler les principes laïcs dans les services publics. L'enjeu est de consolider le vivre ensemble. Les inégalités nourrissent chez nos compatriotes un scepticisme qui se change souvent en abstention et un repli sur soi qui peut mener au communautarisme.

Ces risques sont encore plus forts quand s'ajoute au sentiment d'injustice une panne d'avenir. L'école, l'Université, la promotion sociale apparaissent hors de leur portée à beaucoup. On leur parle de devoirs et de droits, mais ils ne voient pas les droits. La laïcité est un bon chemin pour préparer une société de l'égalité des chances et de la promotion des talents, qui permette à chacun d'accéder à l'emploi, à la formation, à un logement et à des responsabilités. Mais c'est la République sociale qui prolonge la République laïque.

Une fois de plus, notre République a donc rendez-vous avec la laïcité. L'objectif de votre projet, limité, est légitime. Nous souhaitons pouvoir le voter, mais le texte doit être amélioré et le contexte transformé.

C'est quand la République n'offre plus à tous ses enfants une communauté de réalités et de rêves, quand ce garant de la cohésion nationale qu'est l'Etat est mis en cause au lieu d'être cité en exemple, quand la nation est confondue à tort avec le chauvinisme, et l'Europe avec le laisser-faire, que les communautarismes prospèrent dangereusement.

C'est au socialistes et à la gauche qu'il reviendra, le moment venu, de reprendre le chemin...(Exclamations sur les bancs du groupe UMP), ne vous en déplaise, d'une laïcité vivante et, ce que vous n'admettez pas de ce côté de l'hémicycle, d'une égalité en actes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Ueberschlag - Affligeant !

M. François Baroin - Après la rédaction du rapport que j'ai remis au Premier ministre, donc chacun connaît les conclusions et qui a nourri ce débat utile à notre pays, je relisais quelques poèmes d'un grand classique. En voici un, intitulé Le Voile, composé en 1828 :

LA S_UR

Qu'avez-vous, qu'avez-vous, mes frères ?

Vous baissez des fronts soucieux.

Comme des lampes funéraires,

Vos regards brillent dans vos yeux.

Vos ceintures sont déchirées ;

Déjà trois fois, hors de l'étui,

Sous vos doigts, à demi tirées,

Les lames des poignards ont lui.

LE FRÈRE AÎNÉ

N'avez-vous pas levé votre voile aujourd'hui ?

LA S_UR

Je revenais du bain, mes frères,

Seigneurs, du bain je revenais,

Cachée aux regards téméraires

Des Giaours et des Albanais.

En passant près de la mosquée

Dans mon palanquin recouvert,

L'air de midi m'a suffoquée :

Mon voile un instant s'est ouvert.

LE SECOND FRÈRE

Un homme alors passait ? un homme en caftan vert ?

LA S_UR

Oui..., peut-être..., mais son audace

N'a point vu mes traits dévoilés...

Mais vous vous parlez à voix basse,

A voix basse vous vous parlez.

Vous faut-il du sang ? sur votre âme,

Mes frères, il n'a pu me voir.

Grâce ! tuerez-vous une femme,

Faible et nue en votre pouvoir ?

LE TROISIÈME FRÈRE

Le soleil était rouge à son coucher ce soir !

LA S_UR

Grâce ! qu'ai-je fait ? grâce ! grâce !

Dieu ! quatre poignards dans mon flanc !

Ah ! par vos genoux que j'embrasse...

Ô mon voile ! ô mon voile blanc !

Ne fuyez pas mes mains qui saignent,

Mes frères, soutenez mes pas !

Car sur mes regards qui s'éteignent

S'étend un voile de trépas.

LE QUATRIÈME FRÈRE

C'en est un que du moins tu ne lèveras pas !

Ce poème est de Victor Hugo.

J'aurais pu dire à cette tribune que cette loi était nécessaire parce que l'avis du Conseil d'Etat ne suffit pas ; parce que le président de la Cour européenne des droits de l'homme a levé l'ambiguïté sur le caractère conventionnel d'un texte de loi ; parce que les instances européennes indiquent qu'en matière de laïcité, et donc de liberté, il appartient à chacun des pays membres de l'Union de préciser son degré d'exigence. J'aurais pu vous dire également que même si l'obstacle constitutionnel a été levé, il faut rester prudent. J'aurais pu vous dire sur le plan politique qu'il fallait insister sur trois points : la situation des femmes, celle des enfants, celle rencontrée dans les hôpitaux - un texte viendra bientôt sur ce dernier sujet. Un code de la laïcité pour tous est nécessaire.

Ce débat est un moment important. Ce texte vise à faire obstacle au développement des communautarismes. Il répond à une certaine idée de la France, une certaine idée de la République, une certaine idée de l'intégration (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.

M. Jean Glavany - Les socialistes se veulent constructifs dans ce débat. Nous souhaitons pouvoir voter le texte qui nous est proposé, mais nous souhaitons aussi qu'il soit utile. Il a pour cela besoin d'être éclairci. Nous ne proposerons que trois amendements, simples et clairs. Du sort qui leur sera réservé dépendra notre vote final. Tout dépendra de nos débats, de vous, de vos réponses à nos questions.

Le Parlement a des droits. Sur ce point, je ne suis pas d'accord avec le président de la commission des affaires sociales qui nous a indiqué hier que « le Président s'étant exprimé, cela n'était pas négociable ». Le Parlement n'aurait donc pas le droit de débattre librement et d'amender ? Une telle vision de nos institutions est inacceptable.

Nous voulons une loi. Pourquoi ? Nous avons entendu trop de discours ces derniers mois, y compris au sein du Gouvernement - suivez mon regard -, selon lesquels on ne devait pas légiférer sur tout, la loi ne pouvait pas tout régler, était par essence inutile... Tous ces raisonnements « libertins-libertaires » qui dévalorisent l'idée même de loi, s'opposent à une conception plus républicaine, selon laquelle les lois de la République, expression de la volonté générale, sont protectrices et émancipatrices. Et cette loi a bien cette vocation.

Elle est protectrice pour les jeunes, les enfants dont les consciences doivent être protégées des influences religieuses afin qu'ils puissent construire la leur propre par le libre-arbitre, la rationalité et l'esprit critique. Les enfants doivent être égaux dans la classe, devant le maître qui n'a pas à connaître leurs origines religieuses. Souvenons-nous de Jules Ferry écrivant aux instituteurs : « L'instruction religieuse appartient aux familles, l'instruction morale à l'école (...) Le législateur a voulu distinguer deux domaines : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous ».

C'est loi est aussi émancipatrice pour les jeunes filles qui doivent accéder à l'égalité des sexes contre une culture religieuse qui, comme toutes les cultures religieuses, a toujours nié les droits de la femme. Les jeunes filles dans notre République, ne sauraient subir ce qu'a subi Chadort Chavan et ne sauraient être obligées de rejoindre le combat de millions de femmes qui, partout dans le monde, se battent pour ne pas porter le voile.

Elle est aussi émancipatrice et protectrice pour toutes celles qui ne portent pas le voile - elles sont les plus nombreuses - et qui nous crient de les aider.

Quelle serait donc le principe qui interdirait de fixer des règles et des interdits ? « Il est interdit d'interdire », formule absurde, couronnerait la loi de la jungle, la loi du plus fort, en l'espèce, la loi du religieux, du père, du grand frère qui dictent à ces jeunes filles leur conduite.

Nous voulons une loi pour une raison simple : la République, agressée, doit se défendre. Il ne faut certes pas surestimer cette agression ni ses risques de succès. La dramatisation de certains discours entendus depuis hier sur le thème « C'est la République qu'il faut sauver » est à la fois dérisoire et pathétique. Si la République est en danger, ce n'est pas à cause de cela principalement.

Mais il existe bien une agression politique des intégristes. Ceux-ci disposent même d'un guide pratique, celui du trop célèbre Dr Abdallah Milcent, face auquel l'éducation nationale, sous ce gouvernement, comme sous les précédents, n'a pas su organiser une riposte concrète. Il faut en tirer les conséquences.

La situation a changé de nature depuis 1989 et l'affaire du premier voile, à Creil. Les milieux intégristes sont en effet passés à l'offensive depuis quelques années, trois à cinq ans. Ils testent la République, ils veulent connaître sa capacité de résistance et c'est cela qui nous impose de changer de réponse.

C'est aussi cela qui fait qu'une circulaire est désormais dépassée. Même si certains peuvent penser qu'une circulaire bien rédigée, concrète, pédagogique, aurait pu régler ce délicat problème, il est trop tard parce qu'on ne peut plus prendre le risque d'un nouvel échec, de nouvelles tergiversations. Ce qui est attendu, c'est un geste fort, un coup d'arrêt ferme. Une loi donc. Il est trop tard parce qu'un défi public a été lancé il y a quelques semaines dans les rues de Paris par un homme extrémiste, raciste, homophobe et que, depuis ses propos, reculer serait trahir.

Il faut, dit-on, une « loi-symbole » et je fais mienne la formule. La force du symbole peut être nécessaire pour donner des repères à une société qui en manque singulièrement. Une loi citoyenne pour commencer, ou plutôt recommencer, à faire comprendre que la citoyenneté comporte des droits mais aussi des devoirs : en l'occurrence, le droit de vivre sa différence religieuse et le devoir de respecter la neutralité de l'espace public, notamment de l'école.

Tout au long de nos débats d'hier et de cet après-midi, je me suis parfois demandé si ne je rêvais pas. Comment certains d'entre nous peuvent-ils approuver aujourd'hui ceux qu'ils ont toujours combattus, notamment lors des deux grands derniers débats laïques, l'un perdu par la laïcité en 1984, l'autre remporté par elle en 1994, tandis que d'autres se sentent séparés aujourd'hui de leurs compagnons de combat de ces époques-là ? Comment le comité national d'action laïque peut-il être opposé à une loi qui se veut laïque ? Position aussi respectable que toutes les autres ou presque. Tout simplement, parce que la laïcité n'est pas une valeur simple ni univoque.

Elle est le produit de plus de deux cents ans d'histoire. N'oublions pas que le premier grand texte laïque est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que la seule vraie Constitution laïque a été celle des conventionnels de 1793, dont le calendrier républicain qui fait encore rêver les laïcs d'aujourd'hui. La laïcité a connu tout au long de ces deux siècles tant de combats, tant d'avancées et de reculs, qu'elle est aujourd'hui le fruit d'une sédimentation complexe. Cette histoire, longue et douloureuse, dément d'ailleurs la thèse défendue ici par certains d'une laïcité de concorde nationale. La laïcité est le fruit de combats violents, et la République l'a arrachée par la force.

Après la laïcité du conflit et de la séparation, après l'accouchement difficile du compromis, voici la laïcité face au pluralisme religieux avec l'irruption de l'islam, deuxième religion de France, qui pose à notre société un problème culturel qu'il ne faut pas sous-estimer.

La laïcité est une valeur complexe. Si on demandait aux 577 députés d'en donner une définition, on serait surpris de la diversité des réponses...

Je tenterai ici de la définir à ma manière. Il me semble qu'elle s'est construite autour de quatre piliers.

Le premier pilier est formé par la liberté de conscience, et par un corollaire, le respect de toutes les croyances, et aussi des non-croyances, car la grande majorité des Français n'est pas croyante. La grande loi de 1905 commence, rappelons-le, par affirmer la liberté de conscience.

Ce premier pilier ne suffit pas et je suis en désaccord avec Alain Juppé reprenant à son compte la définition de Jean-Paul II.

En effet, la laïcité, et là est le deuxième pilier, est aussi la clé permettant de vivre ensemble au sein de la République dans le respect de nos différences, sans que ces dernières dictent leur loi. La laïcité, c'est ce vivre-ensemble dans la République, selon la belle formule de Jean Baubérot.

Le troisième pilier est fait de la séparation des églises et de l'Etat : le religieux ne peut plus influer sur le politique, et réciproquement. Aussi suis-je mal à l'aise face à un gouvernement qui multiplie les messages religieux depuis l'espace public, ou les messages politiques depuis l'espace religieux, comme M. Raffarin au Vatican ; malaise aussi face à un ministre de l'intérieur qui, chaussant les bottes de Napoléon convoquant un grand sanhédrin, a composé un CFCM à sa manière, en infraction avec la loi de 1905, et en privilégiant curieusement les intégristes.

N'oublions pas le quatrième pilier : la laïcité est un combat séculaire de la raison et du libre-arbitre contre l'obscurantisme. Là encore, je suis mal à l'aise en entendant la majorité et le Gouvernement insister sur l'importance de la religion dans nos sociétés modernes, sur le besoin de spiritualité. Je pense, moi, que la société a surtout besoin de raison !

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois - Ce n'est pas incompatible.

M. Jean Glavany - Ne retenir de la laïcité que ce qui nous arrange peut être tactiquement utile, mais c'est politiquement vain. La laïcité n'a pas besoin d'adjectif, tel qu'ouverte, tolérante, moderne. Qualifier la laïcité, c'est risquer de la dévaloriser.

Nous avons besoin d'une loi humble.

Comment croire que le principe de laïcité se résumerait à interdire les signes religieux dans les écoles ?

M. le Rapporteur - Personne ne dit cela !

M. Jean Glavany - De plus en plus, les membres de la commission Stasi déplorent que l'on ait pu réduire leur travail à un texte si partiel. La laïcité réduite à l'interdiction des signes religieux est une valeur déformée. Pourquoi, devrait-on d'abord se demander, tous ces replis communautaristes ? C'est que l'intégration est en panne, et que les discriminations sont combattues bien trop timidement. La République n'aurait rien de plus ample et généreux à proposer que ce texte sans doute utile, mais partiel ? Pour nous, la laïcité, comme l'a dit Jaurès, c'est la lutte pour la République sociale. Oui, le combat pour la laïcité commence sur le terrain social, par un engagement résolu contre toutes les discriminations. Interdire les signes religieux à l'école ne peut être que le prolongement ponctuel d'une politique plus ambitieuse. A moins que ce texte ne soit de votre part, ce que je n'ose croire, qu'une man_uvre de diversion politicienne, alors que le chômage augmente, que les acquis sociaux sont démantelés, que l'exclusion progresse. Servir la laïcité, c'est d'abord être généreux sur le terrain social, et vous en êtes loin.

Même à l'école, l'interdiction des signes religieux ne suffit pas. Croyez-vous que le jeune lycéen Mouloud, à qui le chef de travaux a trouvé un stage en alternance, et qui se le voit pour finir refusé en raison de la consonance de son nom, puisse croire à la laïcité ? Que peut signifier la laïcité pour des milliers d'enfants quand elle est si peu enseignée ?

Quel sens peut-elle avoir dans une ZEP où l'on supprime des postes ? La laïcité est une valeur qui s'use quand on ne s'en sert pas ! Aussi avons-nous proposé d'élaborer une charte de la laïcité, autour de laquelle nous pourrions tous nous retrouver, et qui serait une clé d'accès à la citoyenneté.

Nous avons besoin aussi d'une loi ouverte. Pour un petit nombre de cas de port du voile mal réglés, des centaines d'autres sont résolus par le dialogue. De très nombreuses jeunes filles retirent leur voile parce que les équipes pédagogiques les en convainquent, et c'est tant mieux. Car l'école de la république n'a pas pour mission d'exclure, mais d'intégrer. La loi doit donc donner leur temps au dialogue et à la pédagogie avant toute sanction. La commission des lois a adopté, fort heureusement, un amendement dans ce sens.

La loi, enfin, doit être utile. Le Conseil d'Etat, appliquant la loi d'alors, a indiqué en 1989 que le port du voile n'était pas ostentatoire en soi. Dès lors, les chefs d'établissement et les enseignants se sont trouvés démunis et ont agi en ordre dispersé. A leur demande d'une règle claire et opératoire, le Gouvernement répond en transformant « ostentatoire » en « ostensible ». Comme l'a montré Laurent Fabius, la question n'est pas seulement sémantique. Elle touche à l'efficacité escomptée de la loi. En proposant d'interdire les signes « visibles », nous reprenons la position unanime de la mission d'information parlementaire. Le pouvoir devrait écouter un peu plus le Parlement !

Rien n'indique que le terme retenu soit contraire à la Constitution ni à la convention européenne des droits de l'homme. Cependant, si pour des raisons juridiquement incompréhensibles, vous refusiez le mot « visible », nous proposons de préciser dans la loi que l'application de celle-ci sera évaluée au bout d'un an, et que si elle se révèle inefficace et source de contentieux, nous remplacerons « ostensible » par « visible » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Sinon, nous n'adopterions qu'une loi symbolique, ce qui n'est pas rien, mais est loin du texte opérationnel et ambitieux dont nous avons besoin.

Montesquieu nous l'a dit : « Ne faites pas de lois inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires ». Cette loi est nécessaire. Veillons à ce qu'elle soit utile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Baroin remplace M. Debré au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

M. Olivier Jardé - La France a toujours nourri l'obsession de l'unité nationale. Cette obsession a fait des victimes : les langues régionales, les protestants, les corporations. A l'UDF, nous pensons que le pluralisme est un droit fondamental. Toute concentration excessive est en effet nuisible.

La laïcité signifie pour nous tolérance, pluralité, respect des autres, complémentarité des communautés. Ce projet soulève bien des questions dans son application. Les responsables de l'enseignement veulent une loi claire et incontestable.

La laïcité permettrait de soulager des jeunes filles placées dans une situation inacceptable, puisque le voile signifie pour elles l'infériorité et la privation de liberté personnelle. Ces notions sont incompatibles avec l'école de la République, gardienne des droits de l'homme.

Si le terme : « ostensible » est maintenu, je ne serai pas choqué par le port de petits pendentifs, qu'il s'agisse de croix, d'étoile de David, ou de main de Fatma.

M. Jean-Claude Lefort - La main de Fatma n'est pas un signe religieux.

M. Olivier Jardé - Une fois votée, la loi devra, bien sûr, s'appliquer, mais pas sans qu'un dialogue ait eu lieu, qui devrait permettre de convaincre que renforcer la laïcité, c'est permettre la diversité.

En ma qualité de membre du groupe UDF, je voterai ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Lefort - Un voile, un simple voile, et voilà que la laïcité serait menacée ! Une pilosité prononcée, celle de jeunes gens au teint mat seulement, et voilà que l'intégrisme musulman saperait l'école de la République ! Et c'est ainsi que la France étant atteinte en ses fondements, nous serions sommés - sous la dictée de médias qui diffusent des pamphlets sommaires, outranciers, extravagants sinon hystériques - de légiférer en urgence, avec, en quelque sorte, un revolver sur la tempe. Parce que des injonctions nous sont assenées de manière péremptoire, fondées sur l'idéologie exécrable du « choc des civilisations », une islamophobie maladive, et les relents d'un passé colonialiste non assumé, nous devrions nous plier à ces « ordres » !

Ces tirs croisés cachent mal une volonté politique particulièrement dangereuse tant pour la cohésion sociale de notre pays que pour son image sur la scène internationale.

Mes propos peuvent heurter, mais qui peut prétendre que la politique et une certaine idéologie n'ont rien à voir dans ce projet ? Ce n'est pourtant pas aux élections prochaines qu'il faut penser, mais aux générations futures.

Trois éléments font de ce texte une loi terriblement régressive et dangereuse.

S'agissant du principe de laïcité, qui doit, bien sûr, être respecté, je rappelle que la République doit tendre la main et non rejeter et exclure. Faut-il souligner, d'ailleurs, que ce n'est pas la tenue des élèves qui fait la laïcité, mais le contenu des programmes dispensés ? Mais, comme au bonneteau, on mélange les termes, et l'on ne parle que de la tenue des élèves. Et combien sont-ils, ces élèves dont la tenue rendrait la situation de l'école explosive ? Confirmant les propos du directeur des renseignements généraux le ministre de l'intérieur évoquait récemment « vingt cas litigieux et quatre exclusions », les autres cas ayant été réglés par « l'accommodement raisonnable » qui a marqué toute l'histoire de la laïcité. Devrions-nous y renoncer ?

Il ne s'agit pas d'accepter le voile sans réagir mais de privilégier le dialogue au lieu d'interdire brutalement. N'utilisons pas les procédés que nous dénonçons !

Pourtant, le Gouvernement a fait le choix de légiférer pour interdire - et de légiférer pour une vingtaine de cas ! On observera qu'au cours des quinze mille réunions qui ont porté sur la réforme de l'école, 6 % seulement des personnes ont évoqué la question du foulard.

Et s'il ne s'agissait vraiment que de laïcité, pourquoi ne parle-t-on pas de la situation en Alsace-Moselle ? Comment, encore, se justifie la référence aux hôpitaux dans un rapport censé porter sur la laïcité ? Le libre choix du médecin s'arrêterait-il là où commence le voile ? Les femmes voilées seraient-elles des sous-femmes ?

Le ministre délégué à l'enseignement scolaire n'a-t-il pas déclaré que « Si l'on n'aime pas la République française, il faut aller voir ailleurs ! ». Quelle effrayante reprise des propos de Jean-Marie Le Pen pour qui « La France, on l'aime ou on la quitte ! ».

M. Gabriel Biancheri - Quelle exagération !

M. Jean-Claude Lefort - N'est-ce pas, cela, du prosélytisme, et du pire ? Les jeunes visés par ces propos écoeurants sont Français comme vous et moi, et leur « ailleurs », c'est... ici ! Va-t-on aussi les déchoir de leur nationalité ?

J'en viens à la libération des femmes. Là encore, on simplifie à l'extrême pour mieux stigmatiser. Comment ignorer que de multiples raisons peuvent amener ces jeunes filles, françaises, je le souligne, à porter le voile ? Qui peut affirmer que c'est uniquement pour des raisons religieuses ou par intégrisme ? C'est tout simplement faux.

M. Gabriel Biancheri - Il faut commencer par écouter ce qu'elles ont à dire !

M. Jean-Claude Lefort - Et pensez-vous vraiment qu'à Ivry, à Vitry, à Gentilly je ne les écoute pas ?

Si les causes du port du voile sont diverses, un traitement unique n'est tout simplement pas approprié, et il aggrave les choses. C'est l'évidence même, sauf pour le Gouvernement

Qui peut soutenir qu'exclure une jeune fille d'un établissement d'enseignement pour port du voile, c'est favoriser son émancipation ? La renvoyer chez elle ou la pousser vers des établissements religieux où le port du voile sera autorisé, c'est cela qui la rendra plus libre et moins soumise ?

Et puis, nous qui donnons volontiers des leçons, ne devons-nous pas nous interroger sur l'image de la femme que propose notre société ? Des femmes exposées de façon dégradante ou reléguées en position d'infériorité sociale : est-ce cela le modèle que vous avez à proposer ? Il résulte de la méthode choisie que l'inégalité et la soumission de la femme ne sont pas choquantes en soi, elles le sont quand il s'agit de femmes musulmanes. Pauvre République française, dont vous niez la force libératrice ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Les propos d'Aristide Briand, père de la loi de 1905, auraient dû vous guider, lui qui déclarait à l'encontre des prêcheurs d'oppression « la seule arme dont nous voulions user vis-à-vis de vous, c'est la liberté ! ». C'est un chemin inverse qui est choisi aujourd'hui, et vous défigurez la France (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

De plus, votre loi va aggraver la montée des intégrismes.

Le port du voile connaît, c'est incontestable, un certain regain parmi des jeunes Françaises, regain que les sociologues attribuent à des causes diverses mais toutes liées à la question sociale au sens large. Mais de cela, vous ne parlez pas. Vous ne voyez qu'une « menace islamique » procédant du complot et, à l'inverse de Jaurès, vous ne considérez pas qu'il faille « apaiser la question religieuse pour poser la question sociale ». Sur celle-ci, vous jetez un voile car elle met en cause votre politique. Réduire obstinément les causes à une seule, clairement connotée, voilà qui vous transforme en Charles Martel ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

La génération précédente pouvait trouver un emploi et ainsi s'émanciper. Cette autonomie est rendue aujourd'hui plus difficile. A cela s'ajoutent racisme et discriminations. Voilà qui explique le repli communautariste, et les intégristes y trouvent évidemment un terrain propice.

En stigmatisant davantage, on provoquera un repli identitaire encore plus net. C'est très dangereux !

Rappelons-nous les événements du 11 septembre 2001. Sur tous les bancs de cette assemblée, nous avons condamné l'effroyable. Et, tous, nous avons dit : attaquons-nous à ce qui a pu favoriser pareille folie. Nous avons parlé de la misère à éradiquer, des conflits à éteindre - notamment au Proche-Orient -, nous avons parlé de ce monde qui projette la force comme mode d'existence, et nous avons rejeté ce choix des civilisations auquel on veut nous pousser.

Tout cela est aujourd'hui oublié, alors que l'enjeu est majeur. Vous avez choisi, plutôt que d'assurer la cohésion sociale et l'égalité des chances, la radicalisation et la focalisation contre l'islam, pour de sombres raisons politiciennes.

En aucun cas je ne peux vous suivre sur ce chemin. Contre tous les obscurantismes je choisis d'écrire un seul mot : liberté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Eric Raoult - Je connais Vitry, Ivry et Gentilly, Monsieur Lefort !

M. Jean-Claude Lefort - Et le Kremlin-Bicêtre ?

M. Eric Raoult - Et le Kremlin-Bicêtre ! Même, si vous consultiez le fichier de votre parti, vous y retrouveriez les noms de mes deux grands-parents. Sachez toutefois qu'ils n'auraient pas apprécié votre intervention. Le département de la Seine-Saint-Denis, que gèrent vos amis...

M. Jean-Claude Lefort - Ce n'est pas une intervention politicienne, ça ?

M. Eric Raoult - ...connaît de nombreuses et graves difficultés, et vous le savez. Or, dimanche matin, venu avec quelques amis élus saluer les musulmans de ma circonscription qui fêtaient l'Aïd-el-Kebir au gymnase Henri-Vidal de Montfermeil, j'ai constaté que les jeunes filles qui entraient retiraient leur voile. Pour elles, le gymnase est un local où l'on fait du sport, non un local religieux !

Pour élaborer ce projet, nous avons tenu compte de ce qu'ont à dire les élus de banlieue, qui se trouvent au c_ur de la confrontation. Sur cette base, nous nous sommes d'abord interrogés ; puis est venu le temps de l'action. Vient enfin, grâce à cette action, le temps de l'espoir.

La République s'est interrogée, suivant en cela la voie ouverte par le chef de l'Etat. De cette interrogation est sortie une certitude : la laïcité n'est pas un acquis inaliénable, mais une valeur à défendre, dans le cadre du combat pour la République ! C'est d'ailleurs ce que nous rappelle l'actualité, et ce au moment où l'on s'apprêtait à fêter le centième anniversaire de la loi de 1905. Mais faisons quand même ce retour sur notre histoire : au début du siècle dernier, la France se déchira en polémiques violentes entre la « soutane » et les partisans de la laïcité. Des lieux de culte furent détruits et pillés, des religieux insultés et même parfois agressés. Des régions entières se divisèrent sur la question religieuse. Pourtant, à force d'écoute et de dialogue, cette France divisée recouvra la paix. Ce fut l'_uvre de la loi de 1905, loi d'équilibre qu'on peut ainsi résumer : la République ne reconnaît et ne privilégie aucun culte pour en laisser le libre exercice à chacun. Ce fut le choix de la neutralité, dans une laïcité pacifiée.

Veut-on faire revenir le temps des divisions ? La France n'en a nul besoin. Elle ne souhaite que jouer son rôle de toujours, celui d'une nation qui intègre ses citoyens sur le fondement du pacte républicain. Là est notre seul signe d'appartenance ! La nation doit continuer de garantir à chacun le libre exercice du culte de son choix, ce qui implique que personne n'impose sa religion aux autres et que les collégiennes de Clichy-sous-Bois, de Bobigny ou de Drancy ne soient pas obligées de porter le voile.

De la première affaire de foulard, à Creil, en 1989, jusqu'à l'affaire des deux adolescentes d'Aubervilliers, nous avons assisté à l'instrumentalisation parfaitement choquante de jeunes filles.

M. Gérard Léonard - Il est bon de le rappeler.

M. Eric Raoult - Deux jeunes filles ont « testé » l'Etat alors même que 200 000 de leurs amis de Seine-Saint-Denis préféraient la liberté, l'égalité et la fraternité. Quand la provocation fait ainsi diversion, il faut faire passer la raison avant la passion. C'est ce qu'a fait le Président de la République en se prononçant clairement, à Valenciennes puis à Paris. Il a rappelé que ne rien faire serait une faute - suivi en cela par le Premier ministre, lors du dîner annuel du CRIF, le week-end dernier. Le silence vaut négligence.

Après le temps de l'interrogation vient celui de l'action. Celle-ci obéit à un principe simple : quand chacun fait sa loi à l'école, il faut édicter une loi pour toutes les écoles ! En effet, les travaux de la mission d'information de l'Assemblée comme sur ceux de la commission Stasi aboutissaient à une conclusion commune : une loi est nécessaire, une loi affirmant qu'à l'école la République doit l'emporter sur toutes les considérations religieuses et la neutralité est la condition de l'égalité de tous.

Toutes les auditions ont révélé l'embarras où les chefs d'établissement étaient plongés du fait du cadre juridique actuel. Tous ont demandé une intervention du législateur, seule à même d'arrêter les revendications alimentaires excessives ou d'endiguer le refus d'assister à certains cours. De fait, comment accepter que certaines classes de collège refusent de se rendre à la Cité de La Muette, à Drancy, de peur de la confrontation avec les images de la déportation ? Comment accepter que continuent les affrontements entre communautés ou qu'une école juive soit incendiée ? Et c'est en France, non ailleurs, que s'est créée l'association « Ni putes ni soumises »... Les chefs d'établissement ont donc besoin d'un texte clair et précis, ce qui n'est pas le cas des circulaires administratives. En effet, comme M. Clément l'a montré, le régime actuel est ambigu et la circulaire de 1994 ne prévoit qu'un traitement au cas par cas, alors que la règle doit être : à situation égale, conséquences égales. Dans la Seine-Saint-Denis, il y a autant d'interprétations de ce texte que de groupes scolaires. Au mieux, les chefs d'établissement prennent des sanctions - mais ils se retrouvent alors isolés face aux familles. Au pire, ils laissent faire - mais ils sont tout aussi fortement critiqués. La communauté éducative en sort blessée et divisée tandis que perdure la déresponsabilisation de la hiérarchie, qui ne veut pas avoir à trancher.

Le renvoi des deux jeunes filles du lycée d'Aubervilliers a permis de « lever le voile ». Pour une fois, les instances éducatives ont clairement pris position en appelant l'attention de l'opinion - ce faisant, elles ont aussi appelé le législateur au courage et il est heureux qu'elles aient été entendues, comme en témoigne ce projet, à la fois court, précis et équilibré.

Nous devions agir : quand il n'y a plus d'espoir, c'est l'intégrisme qui devient le seul et dernier espoir. Dans certains territoires perdus de la République, la main secourable n'est pas toujours celle du député ou du maire. C'est souvent celle d'un intégriste, mais qui n'est représentatif d'aucune communauté.

Des manifestations sont organisées contre cette loi, en vue d'instrumentaliser les musulmans de France contre la République et contre la communauté nationale : il y a quinze jours, des filles soumises ont parcouru Paris et les organisateurs ont agité l'argument de l'exclusion, de la stigmatisation. Celui-ci n'a pas plus de sens que les arguments de M. Lefort : légiférer nous permettra au contraire de rassurer les Français et Françaises d'origine étrangère qui en ont assez des provocations telles que celles des deux jeunes filles d'Aubervilliers, de la fonctionnaire de la Mairie de Paris ou de la jurée de Bobigny et qui ne veulent pas être assimilés à leurs auteurs. Cette loi ne gênera qu'une infime partie des musulmans : les autres continueront à fêter l'Aïd, à pratiquer le ramadan, à partager le mouton. Comme me l'a dit une petite fille, « tu sais, mon voile, moi, je l'ai dans ma tête ». La majorité soutiendra le principe d'une loi car elle en a assez d'être assimilée aux manifestations intégristes.

Défendre la laïcité à l'école, c'est protéger la République, pas la communautariser ; promouvoir l'égalité, pas le repli sur soi ; respecter les religions, pas l'exclusion.

La loi doit être accompagnée d'un effort pédagogique.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Eric Raoult - Elle est la même pour tous, et nous sommes tous attachés au respect de la République dans ses principes de progrès social, d'intégration et de laïcité.

La mission de l'école est de transmettre des valeurs communes. Il faut rétablir un climat de confiance. Le respect de la République doit être notre seule référence commune.

Nous voterons cette loi qui favorise le dialogue et l'échange, l'écoute et la compréhension.

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. Eric Raoult - La laïcité reste d'actualité. 2005 doit nous offrir l'occasion de célébrer un centenaire réussi et pacifié de la loi de 1905.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Eric Raoult - L'école est un sanctuaire républicain, a dit le Président de la République. En votant cette loi, nous redéfinirons ses règles sacrées (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

M. René Dosière - Fallait-il une « loi sur le voile ? Et qu'attendre de celle qui nous est proposée ? J'emploie l'expression à dessein, car c'est bien de la place de l'islam dans la France d'aujourd'hui qu'il s'agit, comme l'a reconnu, dans Le Figaro, le président de la conférence des évêques de France...

L'application du principe de laïcité est la réponse la mieux adaptée aux problèmes que rencontre l'école.

Les pratiques communautaristes, depuis plusieurs années, se sont intensifiées, parfois favorisées par des mouvements fondamentalistes organisés. Des jeunes filles voilées, assistées d'avocats, d'imams, d'experts, argumentent ainsi avec conviction sur la jurisprudence du Conseil d'Etat, qu'ils connaissent à la perfection pour mieux en exploiter les failles. Il est regrettable, a contrario, que l'éducation nationale ait laissé les chefs d'établissements démunis et isolés, sans la moindre assistance juridique.

Constatant, de plus, que le port du voile manifeste le conditionnement social des femmes et leur enfermement dans un statut d'infériorité, tous les membres de la mission ont conclu à la nécessité d'une disposition législative, d'abord pour des raisons de sécurité juridique.

En effet, la mise en _uvre de l'avis de 1989 du Conseil d'état et de sa jurisprudence s'est révélée complexe au point de favoriser l'apparition d'une sorte de « droit local ».

M. le Rapporteur - Très juste !

M. René Dosière - Des chefs d'établissement ont ainsi accepté le port du voile en bandeau, d'autres l'ont autorisé dans la cour et non dans la classe... Les juristes nous ont au demeurant confirmé qu'au regard de la Convention européenne des droits de l'Homme une loi était indispensable.

Les dégâts créés par ces situations sont considérables dans les équipes éducatives. Les enseignants espérant qu'une loi vienne clarifier le droit, il était impossible de rester sourd à leur appel. Cette loi devra également réaffirmer l'égalité entre les hommes et les femmes, car la multiplication des situations de ségrégation est en effet inquiétante et inacceptable.

La laïcité affirme l'autonomie de la conscience individuelle et soustrait la société à la tutelle de l'église, et ce, depuis la loi de séparation de 1905, dont il faut d'ailleurs souligner que son article premier protège les religions (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Si elle fut, à l'époque, source de conflits, l'église catholique reconnaît aujourd'hui qu'elle est une chance pour son développement. Pour la même raison, faire référence à la laïcité, c'est respecter l'islam, garantir le libre exercice du culte musulman - ce qui suppose au passage de revoir les problèmes liés au financement des lieux de culte, ou à l'implantation d'aumôneries. Le statut de l'Alsace-Moselle pourrait d'ailleurs servir utilement à expérimenter la formation d'imams ou l'organisation de l'instruction religieuse islamique. Sans doute pourrait-on même inscrire - seulement inscrire - sur les calendriers les fêtes de l'Aïd-El-Kébir et de Kippour, et non pas seulement les fêtes catholiques...

Mais, de son côté, l'islam doit renoncer à vouloir diriger la société civile. Il doit se séculariser. C'est un vaste chantier à offrir aux musulmans. De ce point de vue, la présente loi est un point de départ, comme l'a dit le Premier ministre, et non un aboutissement.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. René Dosière - Il est légitime de mettre en _uvre le principe de laïcité à l'école en limitant le port de signes religieux. Le « vivre-ensemble » implique d'insister sur ce qui rassemble, non sur ce qui différencie.

Ce texte pèche néanmoins en autorisant l'exposition des signes religieux discrets, donc des petites croix, alors que le voile sera toujours exclu. La proposition du groupe socialiste, faisant référence au « port visible », a le mérite de mettre toutes les religions à égalité et je regrette que le Gouvernement semble avoir cédé aux pressions insistantes de la hiérarchie catholique...

La laïcité ne se limite pas à l'école. La mission Stasi a d'ailleurs formulé plusieurs des propositions concernant le monde du travail ou l'hôpital. Quand un candidat à un emploi se rend compte que son nom constitue un obstacle, il ne peut qu'éprouver un sentiment d'injustice. C'est là un échec des politiques d'intégration. L'action du Gouvernement est-elle de nature à corriger ces discriminations ? Je n'en suis pas sûr.

Le combat pour l'intégration sera le socle de la laïcité rénovée. La mission Debré a bien insisté sur le fait que des dispositions devaient être prises, parallèlement à cette loi, en matière d'enseignement de la laïcité et du fait religieux. Qu'entendez-vous faire, Monsieur le ministre, à ce propos ?

Nous discutons aujourd'hui d'un aspect fondamental de notre République. Les républicains de tous bords devraient pouvoir se retrouver sur un tel sujet. Le signe donné aux intégristes de toutes les religions en serait d'autant plus fort. C'est également le souhait du président Clément, qui l'a mis en pratique dans la conduite des travaux de la commission, contribuant à ce qu'un de nos amendements sur le dialogue nécessaire soit accepté. Etendons cette idée : dialoguons, dans l'hémicycle, pour améliorer ce texte qui en a besoin ! Jean Glavany a fait, tout à l'heure, une proposition très intéressante.

La laïcité, c'est le « vivre-ensemble » ; faisons les efforts nécessaires pour pouvoir voter ce texte ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Très bien !

Mme Martine Aurillac - « Vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience de l'enfant ». Cet extrait de la célèbre lettre de Jules Ferry aux instituteurs peut être utilement rappelé aujourd'hui.

C'est peu dire que le présent projet de loi a fait l'objet de multiples controverses, dans un contexte à la fois médiatique et passionnel. Le débat a été très large et je puis assurer, pour avoir fait partie de la mission Debré, que toutes les opinions ont été entendues. S'il s'est centré sur la question du voile, c'est que celle-ci recouvre, par un glissement pervers du religieux au politique, le prosélytisme, voire le fanatisme islamique, qui vise à déstabiliser le pacte républicain et à remettre en cause l'identité de la France, fondée sur l'universalisme, l'égalité et l'humanisme. Cette question dépasse l'école et se pose désormais dans certains services publics comme les hôpitaux.

Est-il opportun de légiférer ? Le rapporteur et Eric Raoult en ont fait la brillante démonstration : la loi était devenue nécessaire, et pas seulement du point de vue juridique, comme l'a montré la manifestation du 17 janvier (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Nous ne pouvons pourtant ignorer les écueils : la loi ne saurait stigmatiser une religion ; elle sera difficile à appliquer, et sans doute à interpréter parfois. Mais, parce que l'école ne doit distinguer personne en fonction de critères religieux, sociaux ou raciaux, la laïcité n'est pas négociable, et l'égalité ne l'est pas davantage. D'où la nécessité de légiférer, même si j'aurais préféré le faire dans le cadre de la future loi sur l'école plutôt que dans un texte spécifique ; d'où également la nécessité de donner un contenu concret à ces principes, par des circulaires et par le règlement des établissements.

Cette loi claire, précise et limitée à l'école est totalement respectueuse de la liberté de conscience. Elle n'est aucunement contre une religion désignée, elle préserve le dialogue et devrait réduire l'inégalité entre les établissements scolaires. Elle est au service de la cohésion et de l'intégration, et il n'est pas interdit de penser qu'elle sera aussi un moyen de protéger l'islam contre le dévoiement du fondamentalisme. Pour autant, elle ne nous dispense pas d'un devoir de médiation et de dialogue, de pédagogie et de mesures d'accompagnement. En particulier, il faudra mieux enseigner le fait religieux, l'histoire des religions et leur rapport à notre société, et mettre en place une formation approfondie dans les IUFM. Restera alors l'essentiel : une vraie politique d'intégration, seule capable de tenir l'enjeu du vivre ensemble dans une République qui respecte toutes les familles de pensée.

Des avancées ont déjà eu lieu, avec la loi sur la ville et les contrats d'intégration, dont 8 000 ont déjà été signés. L'islam de France est compatible avec la République. Encore faut-il intégrer pleinement les jeunes issus de l'immigration, par le biais des filières d'excellence, de certaines nominations et des politiques d'accès à l'emploi et au logement. L'immigration massive des années 1950 et 1960 a en effet compromis leur intégration à égalité avec les autres citoyens. Encore faut-il que les droits et devoirs soient équilibrés, car une identité frustrée pousse à la radicalisation. La cohésion de la nation exige des efforts de part et d'autre, de la volonté et du temps. Le débat organisé mardi prochain me paraît à cet égard particulièrement bienvenu.

Conçue il y a un siècle dans un climat combatif, la laïcité est aujourd'hui synonyme de tolérance, de respect des autres et de liberté pour tous dans un contrat entre la République et les cultes. Cet équilibre rare et précieux de la loi de 1905 nous vaut aujourd'hui encore une vie en commun relativement apaisée. La laïcité doit donc être protégée, singulièrement à l'école, creuset où se forgent les valeurs citoyennes et où s'apprend la mixité. C'est ce que vous faites, Monsieur le ministre. Je souhaite que les mesures d'accompagnement ne soient pas oubliées et fassent de ce texte une étape sur la voie d'une meilleure intégration (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Je me félicite du retour dans l'hémicycle de notre doyen Georges Hage, qui en avait été éloigné pour des raisons de santé (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Georges Hage - Vous me permettrez de vouloir apporter une touche de cette sagesse qu'on attend d'un doyen, encore qu'elle ne soit pas le privilège de l'âge, et encore moins celui du sieur Hage (Sourires).

Monsieur le ministre, de vous à moi : trois jours de discussion pour ce projet que le Premier ministre a défendu lui-même, est-ce bien raisonnable ? Nous aurions pu mener un échange approfondi sur le concept de laïcité, son actualité et sa pérennité. Nous aurions pu le faire l'an prochain, en fêtant le centenaire de la loi de 1905 consacrant la séparation de l'Eglise et de l'Etat. C'eût été une heureuse occasion, pour un débat digne de notre assemblée.

Las ! On nous propose aujourd'hui un texte sur l'interdiction du port des signes religieux à l'école publique. Cette initiative, qui provoque tant de bruit et de fureur, se fonde exclusivement sur le voile que portent quelques dizaines de jeunes filles dans les établissements scolaires - 1 000 à 2 000 adolescentes, selon les renseignements généraux, sur les deux millions de jeunes filles scolarisées. Et nous voilà mobilisés par une discussion interminable... Quelle dérision, alors que le Premier ministre semble prêt à légiférer par ordonnances pour mettre à bas notre système de protection sociale ! Un tel enjeu mériterait, lui, un débat parlementaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Rien ne nous aura été épargné, jusqu'aux divagations, confinant au ridicule, invitant les chefs d'établissement à distinguer les barbes religieuses et laïques des adolescents à la pilosité naissante... (Rires) Pourquoi tant de tapage ? Pour constituer une diversion face à une société malade et à une politique qui ne fait qu'aggraver son mal. André Malraux prophétisait que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas. Je précise, pour ma part, que je ne pratique pas le prosélytisme athée : le marxisme n'est pas un athéisme ! Le sentiment religieux et le besoin de spiritualité sont d'abord une quête personnelle de sens.

La loi garantit la liberté d'exercice de la pratique religieuse. L'article premier de la Constitution précise que la République assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion et respecte toutes les croyances. Mais tout différent devient le sentiment religieux lorsqu'il s'apparente à un engagement politique et prétend donc organiser le société. C'est à quoi tendent les intégrismes religieux et les communautarismes. La laïcité nous en préserve.

La Constitution définit la France comme une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Le préambule de la Constitution de 1946 précise d'autre part que la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme.

Il dispose également que chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi, et que nul ne peut être lésé en ce domaine en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. A ces textes s'ajoute, dans une autre sphère, la célèbre circulaire de Jean Zay, le ministre de l'Education nationale du Front Populaire. Nous disposons ainsi de tous les outils nécessaires pour défendre le principe de laïcité, c'est-à-dire d'égalité entre tous les citoyens.

Ce qui manque à ceux qui trouvent aujourd'hui dans la ferveur religieuse ce que la société ne leur offre pas, c'est de l'espoir et du sens. Le capitalisme règne en maître sur le monde - ou y prétend -, accroît les inégalités, fait se creuser le fossé entre riches et pauvres. Des millions d'individus restent sur le bord du chemin et notre pays, à lui seul, compte sept millions de personnes vivant dans la pauvreté et la précarité. Et il ne se dégage aucune alternative visible - pour ne pas dire ostensible (Sourires)- à cette société-là.

Julien Green écrivait : « Nous vivons sur une planète dangereuse. La religion est là pour nous aider à supporter notre condition. Si on la supprime, on jette l'humanité dans le désespoir. » Quel sens donner à sa vie quand on a pour seul horizon des lendemains imprévisibles et qu'aucun objectif ne semble accessible ? Que faire, si ce n'est chercher ailleurs que dans la société, un idéal pour donner un peu de sens à une vie qui n'en a pas ? Je pense aux jeunes issus de l'immigration, dont les parents et grands-parents ont connu le colonialisme et se méfient, sinon se défient, de ceux qui ont colonisé leur pays. Les conteurs africains disent : « Si tu veux savoir où tu vas, il te faut savoir d'où tu viens. » Beaucoup de ces jeunes ignorent l'un et l'autre. Ils ne sont pas déracinés, ils n'ont pas de racines. Quel sens peut avoir leur vie tant qu'ils demeurent ainsi exclus ? L'exclusion est un terreau fertile pour tous les intégrismes.

Une loi ne conduira qu'à stigmatiser des populations fragiles et les poussera au communautarisme. C'est ainsi que l'on fera se multiplier les voiles... tandis que la loi permettra alors d'exclure encore davantage ceux qui le sont déjà souvent.

Le droit au travail, pourtant garanti par notre Constitution, est bafoué pour trois millions de nos concitoyens demandeurs d'emploi et sept millions voués à la précarité. Travailler, c'est être utile à la société, qui, en retour, vous confère un statut social. Voilà ce qui serait la réponse au manque de sens et d'espoir, douloureusement ressenti par trop de nos concitoyens. Votre politique, hélas, n'en prend pas le chemin. C'est bien pourquoi je disais que ce texte n'est qu'une diversion.

Permettez-moi de citer à cet instant la Critique de la philosophie du droit de Hegel de Karl Marx (Murmures sur les bancs du groupe UMP) A ceux d'entre vous qui, à ma droite, ricanent, je tiens à dire qu'il s'agit d'un texte admirable, que je conserve comme un précieux trésor dans un coin de ma mémoire. Même s'il ne vous intéresse pas, écoutez-le cependant : « La misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans c_ur de même qu'elle est l'esprit d'un état de choses où il n'est point d'esprit. » Je vous invite à méditer l'actualité de ce propos, trop souvent résumé, de façon caricaturale, par la formule : « La religion est l'opium du peuple » (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Ce projet de loi, disais-je, n'est qu'une diversion dérisoire. Procédant avant tout d'un « état de choses où il n'est point d'esprit », il traite de manière tout à fait inadéquate d'un fait social majeur. Je ne voterai ni pour ni contre. Je ne m'abstiendrai pas non plus. Je ne participerai pas au vote (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Léonard - C'est avec une émotion certaine que je m'exprime ici après le président Hage. Même si nous ne partageons pas toujours les mêmes idées, je respecte son engagement et rends hommage à la fidélité de ses convictions. Faire de la politique, n'est-ce pas s'engager au service de son pays au nom d'idéaux et de convictions, quels qu'ils soient ? (« Très bien ! » sur de nombreux bancs)

Notre débat d'aujourd'hui est particulièrement sensible. Faut-il ou non légiférer sur le port des signes religieux - ou autres - dans les établissements publics scolaires - ou autres ? Si oui, quelle portée donner à la loi ? Quels doivent en être le champ et la rigueur ?

Le choix de légiférer ne répond pas à des considérations d'opportunité. Il est dicté par une certaine vision des valeurs républicaines qui fondent nos institutions.

La laïcité est l'un des piliers de notre République, l'une des composantes essentielles de notre pacte républicain. Comment, dès lors, accepter qu'elle soit bafouée dans le creuset citoyen par excellence qu'est l'école ? Comment, sous prétexte de ne pas attiser les passions et d'éviter les conflits, céder peu ou prou sur le principe, ce qui équivaudrait à y renoncer à terme et à renier notre modèle républicain ?

Si notre assemblée a éprouvé le besoin de créer une mission d'information, si le Président de la République a souhaité recueillir l'avis d'une commission de sages présidée par M. Stasi, c'est que tous ont pris conscience des risques que les coups de boutoir portés de façon répétée à la laïcité faisaient courir à nos valeurs.

La situation a beaucoup évolué depuis 1989, date à laquelle le Conseil d'Etat forgeait sa doctrine. Il est d'ailleurs significatif que beaucoup de ceux qui étaient au départ hostiles à une loi en sont aujourd'hui des défenseurs, sinon enthousiastes, du moins résignés. Je ne reviendrai pas sur les changements qui expliquent cette évolution. Le Premier ministre et plusieurs orateurs, au premier rang desquels le président Clément, les ont fort bien exposés. Fidèle à notre philosophie républicaine, humaniste et respectueux des croyances de chacun, très rigoureux sur le plan juridique, le président de la commission des lois nous a présenté un excellent rapport, qui fait honneur à la représentation nationale.

L'idée majeure qui en ressort, et qui devrait recueillir un large consensus sur nos bancs, comme c'est déjà le cas dans l'opinion publique, est que certains comportements traduisant un prosélytisme religieux ne sont pas compatibles avec l'exigence de laïcité, autrement dit d'égalité.

Comme en dispose l'article premier de notre Constitution, la France est une République laïque qui « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. » Ni plus, car la République respecte toutes les croyances, ni moins car les croyances relevant du domaine privé ne sauraient s'imposer à elle. L'égalité entre les hommes et les femmes est un droit garanti par notre Constitution.

Il appartient à la loi de garantir les libertés, mais aussi l'égalité, dont la laïcité est une expression forte. Le Président de la République a eu raison de le proclamer solennellement : « Ne rien faire serait irresponsable, ce serait une faute, ce serait laisser ouverte la voie au communautarisme. »

Une fois posée cette nécessité d'une loi, reste à en préciser les modalités. Il serait vraiment regrettable, c'est un euphémisme, qu'étant d'accord sur le principe, nous nous divisions sur la mise en _uvre. Notre démarche en serait amoindrie et nos désaccords seraient assurément perçus comme un aveu de faiblesse. Comme l'a fort bien dit le président Clément, « cette loi doit être le drapeau de tous les républicains. » Si j'en juge par l'excellent climat qui a régné pendant les travaux de la commission, nous n'en sommes pas loin. Ce qui nous sépare encore n'est pas d'ordre idéologique ni philosophique : ayant dépassé ces querelles d'un autre âge, notre laïcité apaisée reconnaît la légitimité des croyances...

M. Jean-Pierre Blazy - Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Gérard Léonard - Cela veut dire qu'on ne se tape plus dessus ! (Rires)

Dans cet esprit, la rédaction du projet, reprenant les termes retenus par la commission Stasi, semble la plus pertinente, même si à première vue, le caractère « visible » des signes religieux paraît plus clair et plus pratique (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Mais, en réalité, comme le président Clément l'a rigoureusement démontré, la formulation retenue par notre mission d'information se heurte à des risques sérieux d'inconstitutionnalité.

M. Jean Glavany - Absolument pas !

M. Gérard Léonard - Imaginons l'effet que produirait une annulation du texte par le Conseil constitutionnel ?

M. Jean Glavany - A la suite d'un recours déposé par qui ?

M. Gérard Léonard - De plus, interdire les signes « visibles » pourrait être ressenti comme une agression contre les croyances religieuses, ainsi que l'attestent les réactions quasi unanimes des représentants des différentes religions. Cette interprétation erronée irait à l'encontre de notre objectif, qui est d'apaisement et d'ouverture.

C'est bien dans cet esprit que j'ai déposé un amendement rendant obligatoires, avant toute sanction, la concertation et le dialogue. René Dosière ayant déposé un amendement analogue, nous sommes aisément parvenus, sous la houlette éclairée du président Clément (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste), à une rédaction commune, et je me réjouis que la commission l'ait adoptée.

Soyons convaincus de la très grande importance que revêtira notre vote. La force de notre message, celui d'un attachement aux principes républicains, est défendu. Le projet ne règlera pas tout, et nous aurons à débattre à nouveau, peut-être pour élaborer un texte embrassant l'ensemble des droits et des devoirs attachés à la valeur républicaine de laïcité.

Nous marquons aujourd'hui une étape dans ce qui pourrait constituer un nouveau code de la laïcité, comme l'a préconisé François Baroin. Cette étape n'est pas simplement une nouvelle mesure technique. Il s'agit d'un pas considérable dans une démarche qui nous oblige ardemment et dont, j'en suis sûr, nous saurons nous montrer dignes (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

M. Yves Durand - Nous l'avons dit, une loi est nécessaire. Mais ce n'est pas du principe même de laïcité que nous débattons. La laïcité est un fondement de notre République depuis que la liberté de conscience a fini par l'emporter sur tous les cléricalismes. L'équilibre construit par la loi de 1905 sous l'impulsion de Jean Jaurès et d'Aristide Briand permet à chacun de vivre en toute sécurité sa foi ou son absence de foi. La République veut ne reconnaître aucun culte pour pouvoir les connaître tous.

La laïcité est désormais un fait qu'il convient d'appliquer en procurant un outil juridique aux enseignants, que l'avis du Conseil d'Etat de 1989 a laissés démunis, et dont les décisions pourront désormais s'appuyer sur la force de la loi.

Aussi regrettons-nous que le titre du projet - incluant le terme de laïcité -, sa présentation et les commentaires qui l'ont accompagnée aient provoqué une certaine confusion. Aussi proposons-nous, par un amendement, de modifier ce titre pour limiter le champ de la loi à son objet précis.

Il s'agit bien d'un texte sur l'école. Si l'école n'a pour mission que de transmettre les croyances des parents et d'enseigner le respect des traditions ancestrales, il n'est nul besoin de demander à un élève de garder pour lui l'expression d'un choix religieux. En revanche, si la nation exige de son école qu'elle soit le lien d'apprentissage de l'esprit critique et de la liberté de conscience, alors nous avons raison de demander aux élèves et à leurs familles de laisser tout signe religieux à la porte de l'école (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

Cette exigence ne porte nullement atteinte à la liberté religieuse. L'école, en effet, n'est pas le terrain où pourraient s'affronter des opinions et des croyances argumentées et procédant d'un libre choix. Elle doit demeurer un espace protégé où l'enfant puisse se forger lui-même, avec l'aide des enseignants, sa propre part de vérité, même si elle contredit celle de son milieu d'origine.

Dans cette conception laïque de l'école, le port visible d'un insigne religieux est contraire à la liberté de choisir sa propre croyance, parce qu'elle peut provoquer chez d'autres élèves un choc en retour, la classe devenant alors une mosaïque de communautés religieuses interdisant l'expression de la liberté individuelle. Surtout, porter un signe religieux visible à l'école signifie qu'on appartient d'abord à une communauté de croyance dont rien ne pourra jamais vous faire dévier, l'élève avertissant en quelque sorte le professeur que son enseignement est voué par avance à l'échec. Accepter le port visible d'insignes religieux constituerait une négation de la notion même d'éducation.

La démarche qui inspire le projet est compliquée, et requiert un souci permanent d'égalité. Tout ce qui pourrait faire croire que l'on désigne une religion plutôt qu'une autre irait à l'encontre du principe même de laïcité, et provoquerait le repli sur soi de ceux qui auraient un tel sentiment.

Aussi souhaitons-nous reprendre l'adjectif « visible », retenu par la mission Debré, plutôt que l'adverbe « ostensiblement », qui laisse croire que seul le voile est visé, surtout si vous y ajoutez le substantif « tenues ». C'est malheureusement bien ainsi que l'ont compris la presse et l'opinion publique. Si nous ne parvenons pas à convaincre que notre démarche s'adresse à tous et non pas aux seuls musulmans, cette loi produira le résultat inverse de celui que nous recherchons.

Pour être comprise, la loi doit être claire et simple. Pour être admise elle doit être expliquée. Son application ne peut pas tomber comme un couperet, sans avoir été précédée du dialogue et de la pédagogie. L'honneur de l'école laïque est de rassembler, et non d'exclure. Une sanction non comprise sera ressentie comme une brimade et une frustration, entraînant un repli communautariste, voire une dérive intégriste.

Avant de sanctionner, il faut d'abord expliquer. La commission Stasi a formulé des préconisations dans ce sens. Bien sûr, si tout a échoué, la sanction s'impose. Mais alors ce n'est plus l'école qui exclut, ce sont l'élève et sa famille qui s'excluent eux-mêmes d'une école qui a tout tenté pour les accueillir. Voilà pourquoi nous avons déposé un amendement faisant leur part à la discussion et à la pédagogie.

Hier, le Premier ministre a accepté de prendre cet amendement en compte, ce dont je me réjouis. Encore faut-il ne pas s'en tenir là : l'amendement ne doit pas être pris pour une simple clause de style, mais avoir, pour chacun de nous, le sens d'un engagement, celui de faire vivre la laïcité. Cette exigence ne finit pas avec le vote d'une loi.

M. le Rapporteur - C'est exact.

M. Yves Durand - Faire vivre la laïcité, c'est en faire comprendre le sens et nous aurons tous à répondre aux questions des jeunes qui vivent trop souvent les inégalités comme une atteinte à ces valeurs de la République que nous proclamons.

C'est pourquoi il serait mortel pour la laïcité que nous l'imposions en oubliant la question sociale, celle de l'égalité, sans laquelle il ne peut exister de véritable liberté de choix.

C'est pourquoi, aussi, on ne peut extraire la discussion sur votre projet de son contexte social.

La laïcité, c'est avant tout l'égalité offerte à tous de disposer librement de sa vie et de construire son propre destin comme il le veut. La laïcité, c'est la volonté de faire que chaque petit Français, chaque petite Française, ait la même chance de réussite, quelles que soient son origine et sa religion. La laïcité, c'est la lutte inlassable contre toutes les discriminations, et d'abord les discriminations devant le savoir. Or, il faut bien avouer, sans esprit polémique, que la politique que vous menez, notamment en matière d'éducation, ne va pas dans le sens de la lutte contre les discriminations, tant s'en faut.

M. Jean Glavany - C'est le moins que l'on en puisse dire !

M. Yves Durand - La lutte contre les discriminations exige qu'on bâtisse une école dont chacun aura la garantie de sortir avec un socle commun de connaissances ou une qualification.

Cela implique que l'obligation scolaire s'applique à tous les jeunes sans distinction et aussi que l'on refuse d'exclure certains élèves prématurément du système scolaire sous prétexte qu'ils ne seraient pas faits pour poursuivre des études, comme certaines déclarations ministérielles le laissent entendre.

La lutte contre les discriminations, c'est une pédagogie de la réussite ce qui impose d'engager plus de moyens pour ceux qui en ont le plus besoin, et d'affecter dans certaines écoles plus de maîtres que de classes. La lutte contre les discriminations mérite donc mieux et plus qu'un débat à la faveur d'une niche parlementaire opportunément placée le matin même du vote solennel de mardi prochain...

La laïcité, c'est d'abord la lutte contre les injustices sociales qui nourrissent le communautarisme et le repli identitaire. Comment exiger d'un adolescent ou d'une jeune fille qu'ils abandonnent les signes de leur appartenance religieuse quand ils entrent à l'école, alors que dans le même temps, il ou elle constate que les voies d'excellence leur sont fermées, qu'ils sont confinés dans des collèges ghettos parce qu'ils habitent des ghettos, que fuient tous les autres élèves ? Comment, dans ces conditions, leur faire comprendre que la laïcité, qui, quelquefois, doit interdire, est aussi, pour eux, la laïcité qui émancipe ?

Nous commettrions une grave erreur si nous pensions avoir répondu par cette loi à la soif d'égalité et de reconnaissance de tous ces jeunes auxquels nous demandons de respecter nos règles. Ce texte nous impose d'ouvrir le plus vite possible les portes de l'intégration à ceux qui se sentent exclus.

Nous voulons, par cette loi, renforcer la laïcité à l'école ; nous n'y parviendrons réellement que si nous savons aussi la faire aimer en renforçant, aussi, l'égalité des chances. A cette exigence, c'est au Gouvernement de répondre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 19 heures 5, est reprise à 19 heures 15.

Mme Martine David - Sans doute aurait-il fallu que ce débat intervienne plus tôt : nous aurions évité certains conflits, certaines incompréhensions, voire certains mauvais coups. Mais la question est désormais à l'ordre du jour, et de longues discussions, des auditions riches et variées, ainsi que le travail des groupes, de la mission d'information et de la commission Stasi nous mettent en état de dépasser nos présupposés, si bien que je crois très sincèrement à la possibilité de parvenir à une loi équilibrée et juste. Certes, ces dernières semaines ont été marquées par une agitation passionnée et par des manifestations de tous ordres, mais je suis persuadée que ce débat peut précisément convaincre ceux qui doutent que la laïcité est une chance pour tous, parce que respectueuse de chacun.

De fait, la défense des valeurs qui la fondent à l'école ne saurait être parasitée par un quelconque calcul politique. Il nous incombe donc d'élaborer une loi qui illustre notre attachement commun au principe de neutralité, afin de rendre à l'école son rôle de creuset. Mais, dans cette entreprise, nous ne devons jamais perdre de vue un projet plus vaste : la réhabilitation, contre le communautarisme, du modèle laïc et républicain d'intégration.

Cet effort d'écoute et d'ouverture, le groupe socialiste l'a indéniablement consenti et il est prêt à approuver un texte qui fournirait certaines garanties. D'abord circonspects pour certains sur la nécessité d'une loi, nous nous sommes ralliés à cette idée afin de donner aux équipes pédagogiques l'appui juridique dont elles ont besoin, l'avis du Conseil d'Etat de 1989 s'étant révélé insuffisant pour contrer certaines revendications virulentes et pour donner un coup d'arrêt à un intégrisme qui instrumentalise la religion à des fins politiques. Au reste, tous les Républicains, y compris un grand nombre de musulmans de ce pays, conviennent maintenant de l'intérêt d'une loi consacrée au port de signes religieux à l'école pour faire cesser ces dérives.

Les six derniers mois ont mis en évidence une autre exigence : cette loi doit avoir une portée générale afin de ne pas stigmatiser telle ou telle religion. Il convient donc d'interdire tous les signes religieux, pour montrer que la République ne favorise aucun culte et permet à chacun de pratiquer la religion de son choix. Pour tous les musulmans de ce pays, la laïcité doit apparaître comme un gage de liberté de conscience, comme l'assurance que l'islam a sa place dans la République.

Troisième élément indispensable : la clarté. Tous les enseignants entendus par la mission l'ont réclamée et j'insiste par conséquent pour que l'on emploie l'adjectif « visible », moins susceptible d'être interprété et de prêter à contentieux qu'« ostensible », qui implique une intention et donc une appréciation inévitablement subjective.

A ce propos, je ne puis qu'écarter une prétendue contradiction avec la déclaration des droits de l'homme : à l'automne, M. Jean-Paul Costa, vice-président de la Cour européenne des droits de l'homme, n'a-t-il pas indiqué que les Etats ont toute latitude pour organiser leurs rapports aux religions pourvu que ce soit par la loi ? (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste) Ne prenons pas le risque de légiférer pour rien, sinon pour alimenter les contentieux ! Cela ne pourrait nous valoir qu'un sévère discrédit. Prenons au moins la précaution suggérée par M. Glavany et prévoyons un bilan qui nous permettra éventuellement de corriger la loi.

Quatrième nécessité : la pédagogie. Pour être comprise par tous et, d'abord, par les jeunes, la loi doit prévoir une phase de médiation, de persuasion. Nous pouvons nous appuyer à cet effet sur le travail de Mme Cherifi et sur l'expérience des enseignants et des chefs d'établissement qui, au fil des ans, ont su faire prévaloir l'apaisement, évitant des exclusions définitives. Je me réjouis que cette idée fasse désormais consensus parmi nous.

Ce souci pédagogique doit aussi se manifester par un enseignement renforcé de la laïcité : sensibilisation des futurs maîtres au sein des IUFM, mise en place d'enseignements spécifiques, élaboration d'une Charte solennelle de la citoyenneté et de la laïcité.

Enfin, il est essentiel que nous gardions présent à l'esprit le combat pour l'égalité entre hommes et femmes. Certains signes religieux, et je pense précisément au voile, constituent une véritable injure à l'adresse des femmes. Ils renvoient à un statut juridique et social inférieur. Comme l'a écrit l'essayiste Liliane Kandel, « le foulard est aujourd'hui pour des millions d'êtres humains un signe de contrainte, de violence, souvent de terreur. Dans l'Hexagone, de plus en plus souvent, c'est pour se protéger des agressions que de nombreuses jeunes musulmanes se résignent à le porter. Et c'est aussi parce que les unes s'y soumettent que celles qui le refusent sont systématiquement harcelées, humiliées... ». Quand la cause de l'égalité entre les sexes ne progresse que bien lentement dans ce pays, je ne comprendrais pas que nous renoncions aux avancées déjà enregistrées, uniquement pour complaire à des communautarismes liberticides. Non, la pudeur n'oblige pas la femme à masquer sa chevelure. Non, la femme n'est pas une tentatrice calculatrice qui doit se sacrifier au confort moral de l'homme. N'existe-t-il pas d'ailleurs, dans la tradition islamique, des régions ou des mouvements qui préconisent le dévoilement ? Je ne me résoudrai jamais à ce qu'on oblige des petites filles à intérioriser une prétendue infériorité de leur sexe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe UMP et du groupe UDF)

Nous avons sans doute été trop confiants, persuadés que la laïcité était acquise à jamais. Hélas, coups de canif après petites entorses, elle s'est faite plus fragile. Nous devons nous la réapproprier, l'enseigner à nouveau, la faire valoir. Une loi peut être l'instrument de cette réhabilitation - non le seul, certes, mais quel symbole que de commencer par l'école ! Prouvons donc ensemble que la laïcité n'est pas interdiction, mais tolérance et liberté pour chacun et que l'école est son lieu d'exercice privilégié (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 25.

                  Le Directeur du service
                  des comptes rendus analytiques,

                  François GEORGE

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

RECTIFICATION

au compte rendu analytique de la 3ème séance du mardi 3 février 2004.

Page 22, 5ème paragraphe, 2ème phrase, rétablir comme suit :

« Gardons-nous, par exemple, de toute tentative de dévoyer le texte en y englobant les signes politiques. »

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


© Assemblée nationale