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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 60ème jour de séance, 152ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 5 FÉVRIER 2004

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ
      DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS
      (suite) 2

      ERRATA 30

La séance est ouverte à neuf heures trente.

APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ
DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS (
suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics.

M. Patrick Roy - Alors que ce projet agite ostensiblement, voire visiblement, notre pays j'étais, la semaine dernière, aux côtés de 200 salariés d'une entreprise de ma circonscription. Il ne m'ont pas parlé de ce projet, mais uniquement de la disparition de leur entreprise, annoncée quelques semaines après le passage en fanfare du Président de la République dans le Valenciennois. Ils ne m'ont parlé que de l'assassinat de leur entreprise pourtant bénéficiaire, un crime décidé au nom du « toujours plus de profit » pour les actionnaires. Ils ne m'ont parlé que de leur angoisse face à l'avenir, au chômage, aux coupes sombres que ce gouvernement pratique dans les acquis sociaux, à l'insécurité sociale.

Le présent débat a été provoqué pour parler d'autre chose, pour masquer en fait les résultats catastrophiques de la politique sociale et économique du Gouvernement.

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République - Bravo. Ça commence bien...

M. Patrick Roy - De plus, cette loi, telle qu'elle est rédigée, ne résout rien, donc ne sert à rien. Pour être applicable, une loi doit être claire. Face aux extrêmes, la République ne doit pas rougir de sa volonté de défendre la laïcité. Dans ce domaine, le compromis ouvre la porte à l'intolérance. La loi que nous voterons ne doit pas s'opposer aux croyances et aux consciences mais ne doit avoir qu'un seul objectif : protéger l'école, qui doit rester un lieu de neutralité, le c_ur de notre pacte républicain. Pourquoi, après tant de mois de débat, proposez-vous une loi aussi tiède, aussi fade ? Son vocabulaire flou suscitera des conflits. Tous les chefs d'établissement que j'ai rencontrés m'ont fait part de leur déception. Vouloir interdire les « signes religieux ostensibles », c'est introduire la confusion. Faudra-t-il une règle pour mesurer la taille tolérable d'une croix ? Faudra-t-il calculer la surface d'un foulard ? Faudra-t-il que je me rase la barbe, même partiellement ?

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Ce serait dommage (Sourires).

M. Patrick Roy - Je souhaite bien du plaisir aux équipes enseignantes qui devront distinguer les signes ostensibles de ceux qui ne le sont pas.

La définition de la laïcité n'est pas subjective, mais républicaine. Il faut remplacer l'adjectif « ostensible » par « visible ». C'est ce que demandent les chefs d'établissement. Nous pouvons nous mettre d'accord sur ce changement clair, simple, applicable, également préconisé par la mission parlementaire de l'Assemblée nationale.

La loi que nous voterons doit favoriser le dialogue, meilleur remède aux conflits, et doit donc indiquer clairement qu'il s'impose.

Enfin, notre assemblée doit envoyer un message clair au pays : la loi que nous voterons n'est pas une loi sur le voile, mais sur le port des insignes religieux à l'école. Elle doit être égale pour tous et n'a pas à privilégier une religion par rapport à une autre. La laïcité ne saurait se résumer à l'interdit : c'est d'abord l'intégration.

Si une partie du pays se mobilise contre cette loi, c'est d'abord parce que l'intégration est en panne. Il n'est pas acceptable qu'un nom, qu'une couleur de peau soient des obstacles à l'embauche, à l'obtention d'un logement. Il n'est pas acceptable que notre télévision nationale ne reflète pas la France d'aujourd'hui. Enfin, il n'est pas acceptable que, dans le pays des droits de l'homme, une vraie liberté de culte ne soit pas autorisée.

Je ne suis d'aucune religion.

M. René Dosière - Dommage !

M. Patrick Roy - Si je pense que l'école est le lieu privilégié de la neutralité qui est au c_ur de notre pacte républicain, je suis aussi convaincu que chacun, en France, doit pouvoir pratiquer, dans des lieux adaptés, le culte de son choix. Quand certains peuvent utiliser de superbes constructions, souvent historiques, au c_ur des villes, et que d'autres doivent pratiquer leur culte dans des caves d'immeubles, ne soyons pas étonnés de la montée des frustrations.

J'attends de la France une loi claire, une loi de dialogue, et une relance objective de l'intégration, au nom de la laïcité. Monsieur le ministre, donnez-moi une raison de voter votre loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Claude Guibal - La question du voile a donné lieu à un vacarme médiatique qui, outre le fait qu'il a assuré la promotion de MM. Ramadan et Latrèche, a révélé la profondeur de notre crise d'identité.

Ne saurions-nous plus à ce point qui nous sommes pour ne pas savoir arbitrer entre les valeurs d'une République laïque et les exigences d'un intégrisme théocratique ? Aurions-nous à ce point laissé s'obscurcir notre jugement pour ne pas voir que le port du voile à l'école relève d'une stratégie politique radicale plutôt que d'une pratique religieuse ?

La France est une République laïque, c'est-à-dire neutre à l'égard des religions. Elle en respecte les pratiques et en garantit le libre exercice, mais ne s'associe pas à elles, ni ne prend parti entre elles. Fondatrice d'un espace public a-religieux, elle ne peut être indifférente à l'égard de ceux qui tenteraient d'en faire le champ clos de leur prosélytisme et de leurs affrontements. Cet espace laïque n'est pas l'espace public tout entier, mais il est là où la République diffuse ses valeurs, c'est-à-dire d'abord à l'école. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cet espace doit être considéré comme sacré. Accepter qu'il soit violé par l'exhibition de signes ostensibles d'appartenance religieuse reviendrait pour la République à se laisser imposer d'autres valeurs que les siennes.

Les chrétiens - pourtant très majoritaires dans notre pays - ont accepté que le crucifix disparaisse des salles de classe. Les juifs ont toujours, par respect, enlevé leur kippa à l'entrée de l'école républicaine. Au nom de quelle conception pervertie de la liberté, ou plutôt au nom de quelle lâcheté, la République ferait-elle une exception pour des intégristes, sous prétexte qu'ils sont musulmans ? Si notre Etat est laïque, notre société est de tradition judéo-chrétienne, et la République serait malvenue de l'oublier.

La République de notre c_ur ne cède pas quand il s'agit de protéger les libertés. Elle lutte contre tous les intégrismes, y compris laïques, mais respecte les libertés religieuses et, plus généralement, la dimension spirituelle et l'inquiétude métaphysique qui font la singularité et la grandeur de l'être humain. De ce point de vue, l'islam mérite d'autant plus notre respect qu'il a démontré tout au long de son histoire, sa capacité civilisatrice. Cela ne l'empêche pas de courir le risque, comme toutes les religions, d'être dévoyé dans des luttes de pouvoir.

Or c'est bien de cela qu'il s'agit : une minorité d'intégristes se sert de l'islam pour nous imposer ce qu'ils croient être la volonté de leur Dieu. Que l'ultragauche soutienne leur offensive ne devrait étonner personne, dès lors que celle-ci contribue à ébranler le consensus républicain. Mais que d'autres, et en nombre, puissent assimiler l'islam, religion de tolérance, à cette rage provocatrice et conquérante, qu'ils puissent ne pas voir dans l'affaire du voile l'instrumentalisation d'une religion à des fins politiques en dit long sur notre aveuglement.

Le voile est un drapeau, celui du combat politico-religieux de l'islamisme radical, visant à exercer un contrôle social sur les cinq millions de musulmans qui vivent en France. Les femmes musulmanes en sont les premières victimes, mais toute la communauté musulmane aura à subir les conséquences d'un amalgame facile et souhaité par certains.

La République pose le principe de l'égalité des citoyens devant la loi lequel exige de chacun une vraie volonté d'intégration. Or le voile, qui affiche une appartenance communautaire, exprime le refus provoquant de s'intégrer. Rien n'est plus subversif de l'ordre républicain que le communautarisme, dont le voile est l'étendard. Les manifestations organisées par M. Mohamed Latreche ont démontré que les islamistes ne se reconnaissent pas dans la République. D'ordinaire si pointilleux, ils ont oublié cette recommandation du Prophète à celui qui séjourne plus de quarante jours dans une tribu, d'en adopter les usages.

Encore faudrait-il que nous remettions en marche la machine à intégrer, depuis si longtemps en panne. Il est temps de nous souvenir de qui nous sommes et d'en être fiers. Comment intégrer si l'on ne dit pas à quoi ? Comment donner envie de s'intégrer, si l'on n'offre pas un surplus d'estime de soi à ceux à qui on le propose ?

En attendant, nous devons veiller à ce que l'école, lieu d'intégration par excellence, redevienne le sanctuaire qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, cet « asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » selon la belle formule de Jean Zay. Pour cela, comme le préconise le rapport Stasi, il faut une loi et il est bon que la nécessité en ait été affirmée par la plus haute instance de nos institutions.

Une circulaire, non plus qu'un arrêt du Conseil d'Etat, ne sauraient suffire. Il faut en effet donner aux chefs d'établissement un support juridique incontestable. Il faut en outre adresser aux Français, y compris à la majorité des musulmans, un signal convaincant que nous les avons entendus et compris, et qui doit donc se situer au niveau le plus élevé de notre droit.

Dans sa formulation, le projet répond à la double nécessité de ne pas porter atteinte à l'expression discrète de convictions religieuses et de permettre aux chefs d'établissement de lutter contre des comportements susceptibles d'en troubler la sérénité. Interdire les signes visibles d'appartenance religieuse aurait abouti à concéder une première victoire aux islamistes, en effaçant les symboles discrets des religions apaisées. Quant à ceux qui hésitent à « ouvrir la boîte de Pandore », ils devraient s'inspirer de nos prédécesseurs de 1905, à qui il fallut un autre courage pour affronter la très puissante Eglise catholique de l'époque.

M. Alain Néri - Très bien !

M. Jean-Claude Guibal - C'est maintenant qu'il faut mettre un coup d'arrêt à la subversion islamiste. Certes, ce texte ne suffira pas à préserver notre conception de la démocratie et de la liberté des femmes, à l'école mais aussi à l'hôpital et dans les services publics. Mais, voté massivement aujourd'hui et appliqué demain avec fermeté - ce qui n'exclut pas le discernement et le dialogue -, il signifiera avec force que la République sait se défendre et que ni la société française, ni aucune de ses composantes, ne sont à conquérir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Bertrand - Le 20 janvier dernier, à l'occasion du débat sur l'école, nous reconnaissions unanimement la nécessité de réaffirmer les valeurs républicaines dans notre pays, prioritairement dans nos écoles, nos collèges et nos lycées. Par ce texte simple et clair, le Gouvernement nous donne l'occasion de passer du v_u de principe à l'acte politique.

Le texte qui nous est proposé est le fruit d'une longue réflexion souhaitée par le Président de la République. L'Assemblée nationale y a été étroitement associée, par l'intermédiaire de la mission parlementaire présidée par Jean-Louis Debré, dont l'avis a été déterminant. Je ne reviens pas sur le remarquable travail réalisé par la commission Stasi qui a permis, au-delà des clivages partisans, d'aboutir à une prise de position claire et argumentée.

Oui, une législation est devenue indispensable parce que, pendant trop d'années, sur cette question, le politique s'est défaussé et a laissé penser qu'il ne s'agissait que d'une affaire juridique ou qu'elle concernait seulement quelques cas isolés.

Or la laïcité, comme tout principe républicain, est bel et bien une affaire politique, au sens noble du terme. C'est pourquoi il nous faut aujourd'hui adresser un message politique, un message ostensible, oserais-je dire : une loi.

M. Alain Néri - Visible serait suffisant !

M. Xavier Bertrand - C'est en conscience que je prends position sur ce débat, après avoir dialogué à Saint-Quentin avec des responsables des différentes religions. Et j'ai la conviction qu'il nous faut revenir aux valeurs fondamentales sur lesquelles s'appuie notre République, les « blocs de granit » dont parlait Napoléon. D'ailleurs, elles sont le fruit d'une longue histoire : lorsque Philippe le Bel conteste la prééminence de la papauté sur le pouvoir temporel, c'est en quelque sorte le point de départ de la séparation de l'église et de l'Etat ; l'idée de laïcité qui en découle s'est affirmée au siècle des Lumières pour trouver une consécration à la Révolution, affirmant l'irréductibilité de la nation à toute communauté.

Assumons notre responsabilité vis-à-vis des responsables de la communauté éducative, confrontés quotidiennement au développement du communautarisme. Ils nous demandent d'agir : ne les décevons pas.

Contre cette entrave à la citoyenneté et au savoir que constitue la montée des communautarismes, il faut un texte de référence qui ne laisse plus place aux rapports de force, voire aux arbitraires locaux.

Il n'y aurait rien de pire pour les enseignants et chefs d'établissement qui défendent la laïcité en allant parfois jusqu'à l'exclusion de l'élève, de se voir contredits par une décision de justice. Qu'en serait-il de leur autorité, fondement même de l'institution scolaire ?

Du reste, si ce texte est adopté, ce dont je ne doute pas, nous aurons une responsabilité tout aussi importante : sa parfaite application.

Ce sont les signes qui manifestent « ostensiblement » l'appartenance religieuse qu'il faut interdire.

Certains ont critiqué ce choix, jugeant qu'il ne faisait que reconduire l'ambiguïté reprochée à l'avis du Conseil d'Etat. L'adverbe « ostensiblement » vise pourtant une réalité bien déterminée : celle de la revendication publique d'une appartenance. Le port du voile islamique, de la kippa ou de certaines grandes croix, entre dans cette catégorie, inscrivant l'appartenance religieuse dans l'espace social. Beaucoup d'autres tenues sont moins univoque : le fameux bandana peut ainsi revêtir une multiplicité de significations. La plupart des signes ne sont pas en eux-mêmes ostensibles ; ils le sont par l'intention de ceux qui les portent.

M. René Dosière - Qui en jugera ?

M. Xavier Bertrand - Sans doute pourrait-on interdire tous les signes « visibles ». Mais ce serait franchir une ligne blanche, et risquer de verser dans une hostilité envers toutes les croyances religieuses, et plus généralement envers tout ce qui relève de l'intimité de la personne, sur quoi l'Etat n'a aucun droit.

Ainsi le port de signes discrets doit-il demeurer autorisé. Au reste, la loi ne vise aucune religion, et permettra au contraire de pratiquer celle de son choix dans le respect de la tolérance. Il est souhaitable, pour donner à notre décision toute sa portée, de développer l'enseignement du fait religieux. C'est en effet de l'ignorance que naît l'intolérance, de la méconnaissance le racisme, l'une et l'autre inacceptables partout, mais plus encore à l'école.

En votant ce projet, nous adresserons un message politique de soutien de la République à nos compatriotes issus de l'immigration, qui ne demandent qu'à s'intégrer.

Le port de signes religieux à l'école n'est qu'un élément d'un vaste mouvement qu'il serait dangereux d'ignorer. Le principe républicain de laïcité permet d'y faire face en apprenant à nos enfants à vivre dans le respect de l'autre. Il n'est pas tolérable que des jeunes Français s'agressent entre eux pour des motifs religieux, la religion étant alors politisée et instrumentalisée. C'est à l'école que se forment l'esprit critique et la citoyenneté : elle doit donc offrir un espace de neutralité et de sérénité, où les consciences s'élèvent par le savoir.

Avec cette loi, nous réaffirmons notre choix de société. D'autres pays acceptent les signes religieux visibles dans la sphère publique. Nous avons fait un choix différent, et nous l'assumons. C'est celui de l'intégration, contre le communautarisme. De fait, près des deux tiers des Français voient dans l'acceptation des signes religieux un risque pour la cohésion nationale.

Notre débat met en lumière l'idée que nous nous faisons de la nation française. Celle-ci n'est pas un mythe dépassé, mais une réalité vivante fondée sur des valeurs communes, qui ne sont pas négociables.

Retrouvons-nous pour les défendre. Le consensus, qu'Alain Juppé appelait hier de ses v_ux, donnerait toute sa force à notre message, qui est celui de la République tout entière (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Néri - La République a fondé l'école publique gratuite, obligatoire et laïque, qui accueille, rassemble, et refuse toute discrimination. Elle est obligatoire pour tous, car elle offre à tous les enfants les moyens de développer leurs capacités et d'épanouir leur personnalité.

M. Patrick Roy - Très bien !

M. Alain Néri - Elle est l'école de la libération des esprits, et joue le rôle d'ascenseur social. Rendons hommage à « la Laïque » et à ses maîtres, à quoi nous devons d'être ce que nous sommes. « Les hommes naissent libres et égaux en droits », proclame la déclaration des droits de l'homme. Mais l'égalité des chances n'existe pas dans les faits. L'influence du milieu pèse d'un poids déterminant dans l'avenir qui s'ouvre devant chaque enfant. Ainsi l'école laïque a-t-elle pour mission d'égaliser les chances et de réaliser la justice sociale, de même que la laïcité est le ferment de la République sociale, comme l'affirmait Jaurès.

Une discrimination positive doit donc permettre de donner aux enfants de milieu modeste ou défavorisé une éducation de meilleure qualité. Platon, dans La République, écrit que la justice est juste entre égaux, et que l'inégalité est juste entre inégaux. Autrement dit, la justice consiste à donner plus à ceux qui ont moins. Cette justice-là n'a rien à voir avec une discrimination positive telle que la conçoit M. Sarkozy, qui consiste à promouvoir certains citoyens selon leurs origines. Cette démarche anti-républicaine confine au racisme (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Elle était de pratique courante dans l'Ancien régime, où la noblesse, qui constituait en quelque sorte la France d'en haut, était favorisée par sa seule naissance. Plus tard, en une triste époque, certains Français furent victimes de l'exclusion en raison de leur race ou de leur religion. La discrimination positive ainsi conçue, je la dénonce ici, où bat le c_ur de la démocratie. Les seuls critères de promotion qui vaillent en République sont le mérite et le talent.

M. René Dosière - Et Alain Néri a du talent !

M. Alain Néri - L'école laïque est le creuset de la citoyenneté et le ciment de l'unité sociale, surtout depuis la fin du service national. Nous nous souvenons, chers collègues, de nos copains de régiment et, mesdames, de nos camarades de classe. La mixité des classes fut un grand pas dans la voie de la parité et de l'égalité.

Nous ne pouvons pas accepter qu'un signe de soumission, fût-il religieux, crée une nouvelle discrimination. L'école de la République traite à égalité les filles et les garçons. L'école laïque ne peut rassembler tous les enfants sans distinction qu'en évitant tout signe qui pourrait blesser des consciences ou exercer des pressions perverses. Si demain chacun allait à l'école en affichant un signe d'appartenance religieuse, ce serait la porte ouverte aux clans et au communautarisme. Imaginons des cours d'école où des enfants se regrouperaient par affinités religieuses, s'ignorant et finissant par s'affronter. Ce serait la mort de l'idéal républicain et laïque. Si l'évolution civique est un devoir impérieux de l'école, l'éducation religieuse relève du seul choix des familles. Le congé du jeudi, plus tard du mercredi, a été organisé à cette fin. C'est ainsi que se vit la liberté de choix.

Aussi bien, pendant longtemps, les heurts ont-ils été évités, par le dialogue bien conçu, et des remarques du genre « ta croix », - qu'il n'était pas besoin le pied à coulisse pour mesurer - « ta main de Fatma, rentre-la dans ta chemise », et tout rentrait dans l'ordre.

Aussi le groupe socialiste a-t-il proposé d'introduire dans la loi le recours au dialogue avant toute sanction. Je me félicite que le Gouvernement ait retenu cette disposition.

La loi fondatrice de 1905 ne doit pas être révisée. Mais il apparaît que l'avis rendu par le Conseil d'Etat en 1989 ne suffit plus. Puisqu'une piqûre de rappel s'avère nécessaire, donnons aux responsables de l'enseignement les moyens de faire respecter par tous, dans la sérénité, les lois de la République. Il y faut un texte clair et facile à appliquer, pour ne pas susciter plus de contentieux qu'il n'en règlera. De ce point de vue, le sens ambigu du terme « ostensible » risque d'entraîner des procédures déstabilisatrices, qui feraient que le remède serait pire que le mal. Ainsi, Monsieur le ministre délégué, portez-vous votre cravate de façon ostensible ou de façon ostentatoire ? Les exégètes peuvent s'épuiser à ce sujet dans des discussions byzantines ! Alors qu'en fait votre cravate est simplement visible, et du reste très jolie.

M. le Ministre délégué - La vôtre n'est pas mal non plus !

M. Alain Néri - Remplacer « ostensible » par « visible » rendrait la loi efficace et incontestable.

J'insiste donc pour que cette loi fasse l'objet d'une évaluation au bout d'un an d'application, comme l'a demandé Jean Glavany au nom du groupe socialiste.

Ne prenez pas le risque d'avoir à regretter de ne pas nous avoir écoutés, faites la preuve de votre volonté de dialogue en acceptant de remplacer « ostensibles » par « visibles ». Le risque d'incompréhension sera alors écarté, cette loi qui a valeur de symbole sera aisément applicable et assimilable par tous. Dans un esprit de concorde républicaine, vous aurez rendu service à l'école, à ses élèves et à ses maîtres, et à la République.

Notre devoir est de défendre la laïcité et la liberté contre le venin mortel de l'intégrisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Chantal Brunel - Longtemps, la laïcité, principe fondateur de notre République, a semblé bien établie. Ce temps apparaît révolu : le compromis trouvé il y a cent ans pour protéger l'Etat de la religion catholique n'est plus adapté à une époque où, au sein d'un islam devenu la seconde religion de notre pays, se développent des pratiques cultuelles qui posent problème à notre société.

La laïcité n'est pas dirigée contre les religions . Au contraire, elle repose sur la neutralité de l'Etat dans ces questions, sur l'idée que la croyance est quelque chose d'intime que l'on n'a pas à manifester, mais qui doit être respecté. Ni aide, ni prosélytisme, ni incitation, par conséquent.

Chaque citoyen est libre de croire, de pratiquer, de prier. La laïcité veut qu'on s'accepte les uns les autres, qu'on soit juif, musulman, chrétien ou athé. Mais elle demande aussi qu'avant d'être croyants, nous soyons Français, respectueux des lois de la République. Sur ce point, nous ne saurions transiger : tous doivent être égaux devant la loi.

Notre pays a toujours été heureux d'accueillir des gens venus d'ailleurs et a su intégrer cette différence pour en faire richesse. Choisir la France, c'est accepter son histoire, ses coutumes, ses lois sans pour autant renier ses origines ni les oublier.

L'affaire du « foulard » n'est que la pointe visible d'un iceberg. A terme, si nous n'y prenons garde, notre société risque d'être déstabilisée, notre identité de disparaître, notre unité de se briser.

Quand certains transgressent notre conception de la laïcité, défiant la République, nous ne pouvons rester inertes sous prétexte que notre pays est le pays des droits de l'homme. Nous allons donc agir pour rassurer les Françaises et les Français.

Oui, notre école est menacée. Il faut défendre sa neutralité d'autant que, dans certains quartiers, elle est la seule institution de la République encore respectée. Il n'est pas normal que des enfants y affichent leur religion, que des salles de permanence soient prêtées aux jeunes musulmans pour faire leur prière pendant les heures de cours, que des enseignants de biologie, de sciences naturelles ou d'histoire soient obligés d'occulter certaines parties du programme. L'école doit continuer à remplir sa mission d'éducation et rester le lieu où l'on enseigne la tolérance, l'esprit de dialogue, le respect de l'autre. Loin des contraintes extérieures, familiales et religieuses, les jeunes filles doivent pouvoir y construire leur personnalité dans une neutralité propice.

On ne peut soutenir que des adolescentes soient à même d'apprécier tout ce qu'implique le port du voile. Femme, je ne puis être qu'extrêmement sensible au problème des relations entre islam et place de la femme. En France, ces soixante dernières années ont été marqués par des progrès notables vers l'égalité entre les sexes : les femmes ont acquis le droit de vote, ont fait des études, ont été admises dans les grandes écoles ; elles accèdent progressivement à tous les métiers ; des lois ont été adoptées en faveur de la parité en politique... Comment dès lors tolérer que des filles soient traitées différemment de leurs frères et placées dès leur enfance en situation d'infériorité ?

La République se doit de protéger les préadolescentes : les muettes, les silencieuses, les sans-défense, particulièrement exposées aux pressions des frères et des autres hommes de la famille, aux recommandations des religieux du quartier, aux regards réprobateurs des autres filles voilées. Il faut qu'elles sachent que leur corps n'appartient qu'à elles-mêmes, qu'elles sont les égales de leurs frères et qu'elles sont libres au sein de notre démocratie.

Jamais la femme voilée ne pourra incarner la libération de la femme : le voile est au contraire le symbole de la soumission à l'homme. Le porter, c'est aller à contre-courant de notre société, c'est oublier le long combat des femmes pour l'égalité, c'est nier ce qu'endurent toutes celles qui prétendent résister à l'intégrisme.

Quand on vit dans un pays, il convient d'en respecter les principes fondateurs. En France, l'égalité des sexes en est un. Nous ne pouvons donc tolérer la violence faite aux femmes, plus fréquente qu'on ne croit dans certains quartiers, mais souvent cachée. Nous devons également dire non à la ségrégation qui se fait jour dans certaines municipalités, par exemple lorsqu'on réserve des heures de piscine aux femmes. Non aussi à ces hommes qui exigent qu'à l'hôpital leurs épouses restent voilées et muettes, et qu'elles soient soignées uniquement par des femmes. Non encore aux fonctionnaires voilées.

Mais nous ne devons pas non plus laisser se propager l'idée selon laquelle nous montrerions du doigt une religion. Ce sont souvent la pauvreté, le découragement et le mal-être qui poussent vers l'intégrisme. Dès lors, il faut conforter les actions en faveur de l'intégration et continuer de faire en sorte que les Français d'origine musulmane puissent accéder à tous les emplois. Si nous y parvenons, le champ ne sera plus libre pour un extrémisme soutenu par des puissances étrangères et dont l'objectif est de combattre la liberté individuelle et l'égalité entre sexes.

Nous devons aussi veiller à ne pas favoriser l'extrême droite raciste et xénophobe, qui ne cherche qu'à attiser les haines et les peurs et essaie de se présenter comme le seul rempart contre l'extrémisme religieux. Faisons-lui donc barrage en votant une loi qui fera respecter les valeurs de notre République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Armand Jung - De la confusion naît le malaise. C'est ce malaise que j'ai ressenti à constater que ce débat, qui ne porte que sur le voile à l'école, prenait un tour quelque peu surréaliste. La laïcité à l'école est actuellement l'objet de toutes les passions, alors même que le terme est absent des autres constitutions européennes et que la chose est vécue chez nos voisins plus paisiblement et en meilleure intelligence.

L'article premier de notre Constitution déjà garantit la laïcité quand il dispose que « la France est une République laïque, (...) qui respecte toutes les croyances ». La loi du 9 décembre 1905, portant séparation des Eglises et de l'Etat, reconnaît à chacun la liberté de conscience. Mais cette « laïcité à la française » ne fait pas l'objet d'une interprétation uniforme ni ne bénéficie d'une définition unique - chacun la conçoit en fonction de son vécu, de ses opinions philosophiques ou religieuses. N'ayant personnellement pleinement adhéré à aucune des définitions proposées de Condorcet à Jules Ferry, je me suis alors tourné vers d'autre sources et je vous soumettrai ainsi une conception, inspirée de la magnifique chanson de Jean Ferrat, intitulée « Nuit et Brouillard » : « Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers (...) Ils s'appelaient Jean, Pierre, Natacha ou Samuel. Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vishnou. D'autres ne priaient pas. Mais qu'importe le Ciel, ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux... ».

Les personnes citées dans cette chanson, réduites à l'état d'« ombres », allaient ensemble vers leur destin, tendues vers un seul et même but : mener leur existence dans la dignité et le respect mutuel. Peu leur importait si Pierre croyait en Jésus ou si Natacha était athée. Seul comptait pour eux « de ne plus vivre à genoux ». Aujourd'hui, ceux qui vivent à genoux, les « vingt et cent », les « milliers », ce sont les 140 000 nouveaux chômeurs de 2003, les 200 000 personnes prématurément radiées de l'assurance chômage, les bénéficiaires du RMI qui vont voir leurs allocations diminuer, les familles qui attendent désespérément d'être relogées.

La laïcité doit être une laïcité d'intégration, non une laïcité d'exclusion. Elle doit demeurer une valeur positive et humaine. Or la confusion règne dans tous les esprits : hier encore, une habitante de Strasbourg, voilée, s'est étonnée que je la salue.

Prenons garde à ne pas ouvrir une boîte de Pandore, en adoptant une loi qui discrimine, une loi d'opportunité, une loi hypocrite !

Ce texte discrimine car, sous prétexte de lutter contre le voile, ce sont les femmes que l'on fragilise, en mettant en péril leur droit d'accéder à la culture et à la connaissance, et donc leurs chances d'épanouissement personnel et professionnel.

Ce texte est d'opportunité car il stigmatise des individus en particulier. Une loi interdisant les signes religieux à l'école ne règlera pas le grand problème de la société française, qui est celui des inégalités sociales.

La solidarité, ciment de la société française, doit garder tout son sens. Une loi sonnerait le glas de la négociation et de la médiation. La laïcité doit demeurer la clé du « vivre ensemble ». Quand on sait que notre pays compte davantage d'entreprises qui ferment et licencient que de femmes voilées, entendre le ministre de l'éducation nationale dire que « la question de la violence à l'école relève d'une approche éducative et pédagogique », me consterne. 76 000 actes de violence ont tout de même été recensés par le ministère pour l'année scolaire 2002-2003, mais vous faites une loi pour quelques dizaines de jeunes filles voilées ! Un sondage paru dans Le Monde du 5 février révèle que 91 % des enseignants n'ont pas d'élèves voilées. Vous voulez donc légiférer pour 9 % des établissements scolaires ! Votre projet est hypocrite. La question de la laïcité se pose aujourd'hui dans la sphère scolaire. Elle se posera demain dans tout espace public. Faudra-t-il à nouveau légiférer ? Je ne le souhaite pas à notre pays, déjà montré du doigt.

Après la laïcité, à quel grand principe s'attaquera-t-on ? Votre projet de loi ne clarifie en rien l'ancien cadre juridique fixé par le Conseil d'Etat. Que signifie l'adjectif « ostensible » ? Auparavant, le terme « ostentatoire » lui était préféré. « Visible » serait, à mes yeux, un meilleur compromis, et, surtout, permettrait un égal traitement des religions.

M. René Dosière - C'est vrai !

M. Armand Jung - En tant que député de Strasbourg, permettez-moi d'évoquer le modèle apaisé de la laïcité qu'est celui du droit local alsacien-mosellan.

M. René Dosière, député de l'Aisne, a été l'un des premiers à appréhender le régime local des cultes, dans son rapport relatif au projet de loi de finances de 2002, qui fait encore autorité aujourd'hui.

M. René Dosière - Je rougis.

M. Armand Jung - Il a été très justement conclu, à propos du régime local des cultes, qu'« on ne peut trouver meilleure illustration du fait que la République n'est nullement menacée par une diversité qui, au contraire, l'enrichit et la consolide ».

Alors que se construit l'Europe, et que l'islam est la deuxième religion en France, le régime alsacien-mosellan aurait pu servir de modèle. André Malraux doit se retourner dans sa tombe, lui qui avait prédit que « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ». Or, pas plus le Premier ministre que le président de la commission des lois n'ont fait référence à ce droit local. Votre projet de loi a vocation à s'appliquer en Alsace-Moselle, tout en précisant que le droit local reste en vigueur ! C'est contradictoire !

M. Gérard Léonard - Mais non !

M. Armand Jung - En effet, le statut local autorise l'enseignement de la religion dans les écoles, contrairement à votre loi. Qu'en sera-t-il ? On évoque une prochaine circulaire pour préciser les choses. Mais depuis quand une circulaire peut-elle trancher entre deux textes à valeur législative ?

Finalement, la grande ambition du Gouvernement se résume à quelques lignes d'un projet de loi qui a ému l'ensemble des médias, des intellectuels, et de tous ceux qui s'intéressent à la chose publique. Vous utilisez l'arme législative là où des textes réglementaires auraient suffi. Vous faites croire, des trémolos dans la voix, que la République est en danger. Ce qui est ostentatoire aujourd'hui, c'est le côté surréaliste et absurde de votre projet de loi.

M. Axel Poniatowski - Il y a quelques mois, j'étais réservé sur la nécessité d'une loi sur le port du voile, estimant que l'article 2 de la Constitution - « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » - assurait déjà, par le refus de toute religion officielle, l'égalité des citoyens en matière de croyance et la liberté de conscience.

Que de jeunes enfants aillent à l'école de la République revêtus d'un voile est contraire à l'esprit et aux valeurs d'égalité et de liberté enseignés dans nos établissements scolaires. C'est contraire au respect dû à la femme.

Pour autant, n'allait-on pas ouvrir la boîte de Pandore en légiférant sur le sujet ? Car il ne s'agit pas du port du voile en soi, qui a existé dans presque toutes les religions - perses, grecques, hindoues et chrétiennes.

Il est parfois, du reste, encore utilisé dans les lieux de culte comme signe de respect, ou dans la vie de tous les jours comme marque de pudeur, et cette liberté-là est respectable. Le choix de la tenue vestimentaire doit être admis dès lors qu'il ne porte pas atteinte au respect du vécu des autres. C'est cela qui nous distingue des régimes autoritaires ou autocratiques.

En réalité, le problème qui se pose est celui de la frontière entre la sphère privée et la sphère publique, des règles qui doivent régir les comportements et la vie en commun dans les lieux et services publics, notamment dans les établissements scolaires.

Nous avons fait le choix de permettre à tous les enfants vivant en France d'aller à l'école gratuitement, sans distinction de religion, de classe sociale, ou d'appartenance communautaire. Cette école, nous l'avons voulue laïque et obligatoire, garante de l'égalité des chances.

Ce choix, nous le réaffirmons aujourd'hui. L'école ne doit pas être marquée par des différences de castes, de religions. C'est à cet âge que l'on apprend le respect et la tolérance.

La vie en communauté est faite de libertés et de droits, mais elle est aussi faite d'obligations et de devoirs. C'est à cette assemblée qu'il appartient de les déterminer.

Du fait de l'ampleur du débat, une simple circulaire serait insuffisante.

La communauté musulmane compte près de cinq millions de citoyens, aujourd'hui en France. Elle est issue d'une immigration récente, avec tous les problèmes d'intégration que l'on connaît. Prête à adhérer aux règles de la République, cette communauté nous demande aussi de respecter sa culture et ses valeurs.

Pour toutes ces raisons, je voterai cette loi. Puisse-t-elle rassembler les Français sur l'essentiel des valeurs, des symboles et des comportements nécessaires à l'idéal républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. Manuel Valls - Une loi est nécessaire pour rappeler que la République est laïque et que l'école ne saurait être le lieu d'expression d'une quelconque appartenance religieuse.

Une loi est nécessaire parce que l'école est le creuset d'une identité française attaquée par la poussée identitaire et théocratique.

Une loi est nécessaire pour protéger un modèle d'émancipation pour tous, au nom de l'égalité des chances.

Une loi est cependant insuffisante parce que ce débat, passionné, reflète d'abord la crise de notre pacte républicain, et l'échec de notre modèle d'intégration.

Comment, aujourd'hui, espérer que les nouveaux arrivants se laissent gagner par un sentiment d'appartenance à une nation que personne ne sait plus définir ?

Le triptyque républicain « Liberté, Égalité, Fraternité » apparaît trop souvent comme une simple déclaration d'intention.

Le blocage de l'ascenseur social, la ségrégation sociale, ethnique et territoriale, l'échec scolaire, le chômage créent un sentiment d'injustice sur lequel prospèrent l'extrémisme et le fondamentalisme.

Trop d'incompréhension demeure, notamment sur le passé colonial de la France. Le clarifier est un préalable à l'apaisement du débat.

La sémantique jonglant entre immigrés, intégration, musulmans, maghrébins, français issus de l'immigration, au gré des besoins du moment empêche notre pays de s'accepter comme une terre d'immigration.

Cela crée des crispations qui se retrouvent dans la politique d'immigration française, complexée, presque honteuse, qui n'ose pas dire que l'immigration est aussi une chance pour la France, ce qui n'est pas contradictoire avec des politiques nationale et européenne de gestion des flux migratoires.

L'immense majorité des immigrés qui arrivent en France croient à une sorte de « rêve français ». Ils veulent réussir. C'est la perspective d'une vie meilleure qui crée l'adhésion aux valeurs de la terre d'accueil, la capacité de cette terre à faire d'eux des citoyens à part entière. Or, la plupart des immigrés, de leurs enfants, de leurs petits-enfants et plus globalement, tous les exclus de notre système social sont coincés dans des quartiers où personne, a priori, ne voudrait vivre.

Il faut casser le ghetto territorial et symbolique. Notre priorité nationale doit être la reconstruction des quartiers populaires et la mixité sociale par une méthode plus poussée que la sanction financière prévue dans la loi SRU. Du développement de programmes d'habitat à la réforme de notre fiscalité locale, absurde et injuste, il est des mesures qui changeraient la donne dans les quartiers.

La seule réponse policière apportée par le Gouvernement montre déjà ses limites. L'éducation et l'emploi ne sont pas dotés dans ces quartiers de moyens exceptionnels. Oui, l'école doit être au c_ur de l'ambition nouvelle pour les quartiers populaires. Monsieur le ministre, vous ne l'avez pas encore compris !

Le ghetto symbolique enfin doit être abattu. Les discriminations à l'embauche, au logement, doivent être sévèrement condamnées. Mais il faut aller plus loin.

L'action positive - terme bien préférable à celui de discrimination positive - est une voie à explorer. Les critères doivent être territoriaux et sociaux, au nom du mérite et de l'égalité de traitement. La République doit s'employer à réparer l'ascenseur social. Parce qu'ils constituent une part importante des classes populaires, et qu'une écrasante majorité d'entre eux appartiennent à ces classes populaires, les citoyens issus de l'immigration extra-européenne, souvent de confession musulmane, seront les premiers concernés par l'application de telles mesures. Ils cumulent les handicaps : relégués, exclus, discriminés. Comment, dans ces conditions, réclamer qu'ils s'identifient à la République ? Comment ne pas comprendre que des enfants issus de l'immigration, Français pour la plupart, se cherchent et se tournent vers une autre identité ?

L'action positive, comme elle est pratiquée de manière expérimentale à Sciences Po, pourrait dans l'enseignement supérieur ou dans la fonction publique, constituer une action a posteriori, une correction tardive et néanmoins nécessaire des inégalités.

La laïcité garantit le libre exercice de toutes les religions. Depuis 1905, le paysage spirituel s'est enrichi d'une plus grande diversité. Or, depuis des décennies, nous avons fait comme si l'islam n'existait pas. Notre pays rechigne encore à donner aux musulmans des carrés confessionnels dans les cimetières, à leur reconnaître le droit d'avoir accès à un abattoir lors de l'Aïd-El-Kébir, d'être aidés dans la formation d'imams et de clercs francophones, et surtout d'avoir le droit de pratiquer leur religion ailleurs que dans des caves. L'édification de lieux de culte pour les dernières vagues d'immigration doit être financée par les pouvoirs publics, pour mettre fin aux interventions de groupements intégristes et de gouvernements étrangers.

La France peut être le lieu d'éveil d'un islam moderne.

Comme l'a souligné Jean-Marc Ayrault, il y a une logique, une cohérence à s'opposer à une croisade fondée sur le mensonge en Irak, à chercher une solution juste, durable et équilibrée au Proche-Orient, à organiser le culte musulman dans notre pays, à rendre obligatoire la formation de nos enseignants à l'étude du fait religieux, à faire vivre la laïcité et, à travers la loi, à protéger l'école.

Il nous faut un pacte national d'intégration, connu de tous, liant clairement la France à ses immigrés. La citoyenneté de résidence, sas vers la naturalisation et véritable catalyseur de l'intégration, doit remplacer la carte de séjour de dix ans en ouvrant le droit de vote aux élections locales et en garantissant l'accès aux droits. C'est ainsi que nous ferons aimer notre pays, sa langue et ses couleurs.

Une loi est donc nécessaire pour redonner du sens aux valeurs de la République, en particulier l'égalité entre les hommes et les femmes. Aucune loi n'interdit à une femme de circuler voilée dans l'espace public ou privé. C'est sa liberté absolue. Mais quand cette apparence devient un symbole politique, quand elle manifeste une identité de repli indiquant la soumission de la femme, alors c'est la liberté de la République qui est menacée. Les femmes sont les premières victimes de la violence, qui prend d'ailleurs d'autres formes que le voile. C'est insupportable. La République ne peut les abandonner.

Une fois votée, la loi devra être appliquée dans un esprit de dialogue et de médiation. Son application devra faire l'objet d'une évaluation.

Comme toute loi, elle ne peut prévoir toutes les situations, et elle donnera lieu à des interprétations administratives qui s'appuieront sur nos débats, puis sur la jurisprudence.

Cette loi, respectueuse de nos principes, donnera aux chefs d'établissement et aux enseignants les moyens d'action supplémentaires dont ils ont besoin.

La laïcité est un principe qui s'acquiert, qui se transmet. L'interdiction n'est pas une fin. La République souffrirait si la laïcité continuait à être vécue comme une contrainte. Une contrainte ne créera jamais une manière d'être et parce qu'elle est subie, ne sera pas un facteur d'adhésion.

La République laïque ne peut donc pas se passer de la République sociale. La politique du Gouvernement nous éloigne malheureusement de cet objectif.

J'ai évolué, comme beaucoup d'autres. Une loi est nécessaire pour répondre avec fermeté à la menace que représentent pour notre République le repli identitaire et la tentation communautariste qui trouvent un écho, à droite parmi certains libéraux fascinés par le modèle anglo-saxon, à gauche parmi ceux qui rêvent d'une alliance avec « les porte-parole, nouveaux prédicateurs des déshérités ». Quelle faute !

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Manuel Valls - La République ne doit pas céder. Elle ne peut pas avoir peur ni laisser transparaître la moindre faiblesse ou hésitation.

Elle doit réaffirmer ses principes, pour restaurer le sentiment que nous partageons une communauté de destin. Tel doit être le sens, au-delà de ce qui nous oppose, d'une loi de concorde nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Valérie Pecresse - J'étais à l'origine farouchement opposée au vote d'une loi sur les signes religieux à l'école. La laïcité à la française, fruit de l'histoire et de nombreuses « guerres de religion », me paraissait un compromis équilibré entre le respect des convictions religieuses et le bon fonctionnement du service public.

Membre du Conseil d'Etat, j'avais observé avec quelle prudence le juge s'était saisi de la question du voile islamique ou de celle d'étudiants juifs refusant de passer des examens le samedi matin. Rapporteur d'un projet de décret obligeant les Français à poser tête nue sur leur carte d'identité, j'avais dû faire face aux sérieuses réticences de conseillers d'Etat qui m'opposaient les traditions culturelles et la pudeur des femmes musulmanes. Il était évident que la laïcité républicaine telle que nous la pratiquions depuis des décennies était respectueuse de l'autre, ouverte et tolérante.

A l'école, le Conseil d'Etat s'imposait une appréciation au cas par cas de chaque situation individuelle. Le port d'un signe religieux, quel qu'il soit, voile, kippa, grande croix, n'était pas en lui-même interdit dans l'enceinte scolaire. Ce n'est que s'il s'accompagnait d'un comportement qui portait atteinte aux règles fondamentales de l'enseignement public, le refus d'assister à certains cours par exemple, ou si les conditions dans lesquelles le signe religieux était porté s'apparentaient à de la provocation ou du prosélytisme, que le chef d'établissement pouvait réagir.

Cette position prudente, nuancée, qui avait cependant, en raison même de sa subtilité, pour effet pervers d'obliger parfois les chefs d'établissement à réintégrer des élèves indûment sanctionnés, avait permis de contenir, depuis la fin des années 1980, l'arrivée dans les écoles de signes religieux ostentatoires, notamment du voile islamique.

Devenue députée, je redoutais que l'intervention du législateur, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, ne vienne briser l'équilibre ainsi trouvé (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Goulard - Il y a ici quelques éléphants, en effet.

Mme Valérie Pecresse - Mais j'ai changé d'avis. Un maire de ma circonscription m'a appelé un matin pour m'avertir qu'une principale de collège se trouvait en difficulté. Des élèves, avant leur passage en conseil de discipline, s'étaient présentées devant elle avec leur avocat. La chef d'établissement était ainsi déstabilisée par ces jeunes qui connaissaient mieux le droit et la procédure disciplinaire qu'elle-même. Confrontée à cette situation, j'ai pris conscience que la jurisprudence du Conseil d'Etat n'était plus adaptée.

Il nous fallait une loi, claire, simple, sans fioriture, qui exprime la volonté de la nation, et vienne conforter l'autorité des chefs d'établissement. Nous ne pouvions rester indifférents à leur appel au secours.

La quasi-totalité des chefs d'établissement auditionnés par la commission Stasi demandaient une règle claire et objective qui soit prise et assumée par le pouvoir politique, afin de pouvoir remplir sereinement leur mission.

J'ai brutalement réalisé que les choses avaient changé. La jurisprudence du Conseil d'Etat ne permettait plus de faire face à la montée des revendications identitaires, aux affrontements dans les établissements autour des questions religieuses, ni à la radicalisation intégriste.

L'intégrisme musulman, en obligeant les jeunes filles à porter le voile à l'école, en édictant pour elles des règles de comportement différentes de celles des hommes, freine leur intégration à la société française, et entretient le repli communautariste. Il faut réaffirmer que l'école est le premier lieu d'émancipation de la femme. C'est par l'instruction que les femmes ont peu à peu conquis leur indépendance, en France comme en Turquie ou au Maghreb.

Notre Constitution pose le principe fondamental de l'égalité des sexes. Toutes les religions présentes sur notre sol doivent s'y plier. Je n'ai pas peur de dire qu'en France, la femme est un homme comme les autres !

C'est pourquoi je voterai ce projet qui interdit dans l'école « les signes qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse des élèves ». Plus besoin pour les chefs d'établissement de porter un jugement subjectif sur le comportement provocateur ou prosélyte de l'élève, rien qu'un constat objectif : cet insigne religieux trouve-t-il ou non sa place dans l'école laïque, celle de notre République ?

Le signe religieux qui sera interdit est celui qui exclut l'élève de la communauté scolaire, qui l'empêche de s'intégrer. Ce sont le voile, la kippa ou la grande croix.

En revanche, je suis hostile à une interdiction totale de tous les signes religieux « visibles », qui comprendrait les signes discrets, les petites croix, les étoiles de David, les corans miniatures... Une telle interdiction, trop rigide, serait contraire au principe constitutionnel de la liberté de conscience, qui doit être concilié avec celui de laïcité. En outre, l'enfant et surtout l'adolescent sont en quête d'identité et il n'appartient pas à l'école de s'immiscer dans cette réflexion intime.

Enfin, une telle interdiction serait purement et simplement inapplicable. Une blouse s'entrouvre et le signe religieux, d'invisible, devient visible. Faut-il l'interdire ? L'élève porte une médaille souvenir, mi-talisman, mi-héritage, sans connotation religieuse particulière. Faut-il la lui enlever ? Ce n'est pas le rôle des chefs d'établissement !

Rien n'est pire qu'une loi inapplicable : elle devient vite le symbole de l'impuissance de l'Etat, qui fait le lit de tous les extrémistes, particulièrement du Front national.

Pour toutes ces raisons, je voterai ce projet, seul à même de renforcer le pacte républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Nathalie Gautier - Depuis plusieurs mois le débat sur la laïcité s'est ouvert dans notre pays. La société française, dans son ensemble, s'est saisie de questions fondamentales : égalité des chances, lutte contre le racisme, l'antisémitisme, l'intégrisme, égalité entre hommes et femmes, place de l'islam.

Les principes de laïcité et d'égalité entre les sexes ne sont pas négociables. Au nom de ces principes fondamentaux, une loi me paraît nécessaire.

Je refuse pour ma part l'entrée du religieux dans l'école laïque. Elle appartient à la sphère publique et ne peut être assujettie à quelque forme de croyance que ce soit. Je refuse la discrimination à l'égard des femmes, qui s'exprime par le port du voile islamique. Je n'accepte pas qu'une jeune fille de quatorze ans soit privée de sorties sportives ou culturelles parce que c'est la loi du père ou du frère qui s'applique. Je n'accepte pas que de jeunes femmes employées à La Poste soient insultées parce qu'elles ne portent pas le voile.

J'ai reçu, hier soir, à Villeurbanne, dans ma circonscription, l'association Ni putes ni soumises. J'admire et je respecte ces filles et ces garçons qui dénoncent la souffrance de femmes qui vivent sous la dépendance des pères ou des frères, mais aussi la discrimination sociale. Ils refusent en effet d'entendre parler d'intégration, pour la deuxième ou troisième génération, parce qu'ils sont citoyens français à part entière. Ils ont osé dénoncer les tabous, la montée silencieuse de l'intégrisme. Les enseignants ont été les premiers témoins de ces dérives. Ils n'ont pas toujours été entendus.

Dans les cités plus qu'ailleurs, des adolescentes subissent des pressions quotidiennes à propos de leurs tenues, de leurs relations amoureuses ou de leur sexualité.

L'association VIF, dans ma circonscription, lutte également contre les violences faites aux femmes et témoigne de l'importante recrudescence des mariages forcés, multipliés par trois en un an.

Les témoignages recueillis par la mission Debré ont montré l'ampleur de l'intégrisme religieux, et l'urgence d'y mettre fin.

Ma circonscription est composée de vagues successives d'immigrants espagnols, italiens, arméniens, ashkénazes, séfarades, algériens, marocains, tunisiens, turcs, sénégalais, maliens. Ils ont tous trouvé dans l'école républicaine un espace commun. Cette intégration s'est combinée avec l'espoir d'un avenir meilleur, avec la certitude d'une promotion sociale. Mais le chômage de masse s'est durablement installé. Ces familles connaissent la précarité. L'ascenseur social est en panne, la désillusion a provoqué amertume et révolte, le repli identitaire a suivi. La loi que vous proposez, tout comme la politique de la ville, ne saurait régler tous les problèmes.

Je ne prône pas pour autant la discrimination positive. Oui, l'égalité des chances est une exigence. La République doit être sociale, faute de quoi, l'idéal qu'elle représente ne sera pas partagé par tous.

Hier soir, face à l'association Ni putes ni soumises, des jeunes filles voilées ont dénoncé avec virulence l'islamophobie dont elles seraient victimes. Leur prise de parole témoigne d'une grande confusion au sujet de la laïcité. Il est temps que les principes de notre République soient réaffirmés. C'est en luttant pour les valeurs démocratiques que nous construirons une République laïque respectueuse de tous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Grand - Une fois encore, le Gouvernement permet au Parlement de prendre les mesures qui s'imposent face à un problème de société.

La représentation nationale accepte-t-elle ou non le port du voile islamique dans nos écoles publiques ? La question est précise. Notre réponse ne peut que l'être également.

Le débat sur le voile et la laïcité recouvre un conflit entre une liberté individuelle - pouvoir exprimer sa foi en tous lieux et toutes circonstances - et une liberté collective - vivre au sein d'une nation unie et apaisée, sans conflit ethnique et religieux.

La laïcité est le concept philosophique que le peuple français a inventé pour que le droit de chacun à vivre dans une nation apaisée et citoyenne demeure la règle, sans pour autant opprimer l'expression de la foi.

Revendiquer le port ostensible de signe religieux revient à contester ses principes. C'est une atteinte intolérable à notre République.

Le déchaînement des passions à l'étranger prouve bien qu'à travers la question du voile, c'est le principe de laïcité que l'on veut atteindre. Les islamistes radicaux instrumentalisent la religion à des fins politiques. Face à cet islam-là, nous devons protéger notre nation.

Nous sommes le seul pays au monde à proposer le principe de laïcité comme principe de civilisation.

Je considère, dans cet esprit, que tous les signes religieux, ostensibles ou provocateurs, sont inadmissibles dans l'enceinte de l'école publique.

Cette position, largement partagée par nos concitoyens, n'exclut nullement la possibilité pour chacune et chacun de conserver sur soi des signes discrets d'appartenance confessionnelle.

Nous ne pouvons non plus transiger sur le principe de l'égalité des sexes. La liberté et la dignité de la femme demeurent des principes fondamentaux de notre civilisation. La religion ne peut être l'alibi d'un retour à des pratiques obscurantistes.

Tahar Ben Jelloul a récemment déclaré dans un journal du soir : « Si la France se laisse intimider par une minorité de gens qui se servent de l'islam pour rejoindre, dans un saut étrange, la régression que leurs parents ont laissée au pays, c'est qu'elle est en train de mettre en péril d'autres acquis, d'autres valeurs ».

Monsieur le ministre, je suis au nombre de ceux qui reconnaissent le courage politique du Gouvernement. En soutenant votre texte, nous partageons modestement l'honneur de ce courage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Je vous remercie.

M. Bruno Le Roux - Notre débat touche aux convictions de chacun. Militant de l'éducation populaire, j'ai toujours pensé que l'éducation est centrale dans l'émancipation des hommes et des femmes.

Il y a quelques mois, j'étais farouchement opposé à cette loi. Contrairement à d'autres, je ne sais pas si j'ai changé. Je suis heureux que nous ayons un débat, mais le restreindre à la question des insignes religieux à l'école ne me paraît pas la meilleure façon de répondre au problème de société auquel nous sommes confrontés. Je ne pensais d'ailleurs pas avoir à débattre d'un projet sur la laïcité un an avant le centenaire de la loi de 1905.

La laïcité fait partie du pacte républicain. Il nous appartient de la défendre à chaque instant. Ces dernières années, nombreux sont ceux qui l'ont écornée en instaurant une confusion, parfois dramatique, entre la vie publique et la vie religieuse.

M. Yves Durand - Tout à fait !

M. Bruno Le Roux - Pour nous socialistes, la laïcité est aussi importante que la démocratie, les droits de l'homme, l'égalité entre les hommes et les femmes. Mais c'est une valeur vivante. J'ai la chance, depuis trois ans, de faire des cours d'instruction civique chaque semaine dans des CM2, dans des quartiers difficiles. J'explique aux élèves, dont souvent, très certainement, une proportion importante est d'origine musulmane, que je suis heureux de ne pas pouvoir, quand j'entre dans la classe, pointer du doigt les musulmans. Si j'en rencontre un qui porte un signe religieux, je lui dis que je souhaite qu'il le retire, en ajoutant que la force de son école, c'est de lui assurer un avenir, et par ailleurs, que la République assure la liberté de culte et qu'il doit être respecté comme musulman. Mais là, comme l'a souligné Manuel Valls, je me heurte à la question des carrés musulmans ou des mosquées. Il est indigne de laisser des gens prier dans des caves, et nous devons aujourd'hui, dans un élan républicain, le dire. Il faudrait aussi parler de la formation des imams.

La loi ne doit pouvoir être suspectée d'opérer la moindre discrimination, d'être partiellement dirigée contre une religion. Or si le titre de ce projet fait preuve de précaution, l'opinion publique, elle, a tranché : c'est une loi sur le voile que nous allons voter !

Eh bien moi, je ne souhaite pas voter une loi sur le voile. Je veux bien éventuellement voter une loi qui porte application du principe de laïcité, même si je préférerais que ce mot n'y figure pas, afin qu'en la matière on se reporte uniquement à la loi de 1905. Voter une loi ne me gênerait pas si je pouvais expliquer en sortant d'ici qu'elle est la même pour tout le monde, qu'elle n'est ni de circonstance ni dirigée contre un insigne religieux.

Or écrire « ostensible » c'est forcément renvoyer à la question du voile. C'est pourquoi, pour un motif politique, qui est de faire vivre la communauté nationale, je m'arc-bouterai sur la défense du mot « visible ».

Ce texte peut être une réponse à l'irruption d'une radicalité politique, qui se sert d'une religion pour intervenir dans le fonctionnement de notre République. Mais le signal est-il à la dimension de l'enjeu ?

J'espère que dans les prochaines semaines, lorsque nous débattrons sur le logement, sur la sécurité, sur l'école, nous aurons pour objectif la lutte contre les discriminations. Depuis deux ans en effet, je ne vois pas un seul signe positif dans les quartiers où s'empilent les difficultés. Si ce débat permet de modifier notre regard quand nous légiférons sur tout ce qui touche à la vie quotidienne de nos concitoyens, alors il aura servi à quelque chose.

« La laïcité n'est ni un culte, ni un credo. Elle est un art de vivre ensemble quand on se retrouve avec des gens de toutes convictions, et non plus simplement avec les porteurs des mêmes certitudes », a dit Jean Bauberot. Eh bien moi, je crains le poids de nos certitudes sur ce débat. Il n'y aurait rien de pire que de penser qu'en votant cette loi, nous allons faire un geste très important, alors qu'il n'est que symbolique - même sil est des gestes symboliques qui ont leur importance.

Je suis dubitatif sur l'amendement du groupe socialiste concernant l'évaluation. L'évaluation, c'est bien mais il faut évaluer tout le temps. On sait bien que cette loi sera très difficile à mettre en _uvre.

Permettez-moi d'ailleurs, Monsieur le ministre, un conseil sur l'idée de médiation. Elle est importante et je souhaite que vous la repreniez, mais je vous invite à vous appuyer sur le réseau des militants de l'éducation populaire, des militants associatifs : ne laissons pas les enseignants avec un texte nouveau, mais sans aucune capacité supplémentaire de conviction.

Pour le reste, je souhaiterais qu'avant ce délai d'un an, nous ayons su entamer le véritable débat sur ce que sont aujourd'hui la communauté nationale et la laïcité et sur le combat qu'ont à mener tous les Républicains (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Léonard - Ce texte n'est qu'une étape.

M. Philippe Auberger - Revenons au texte qui nous est proposé. Et posons-nous d'abord cette question : est-il justifié ? N'avons-nous pas déjà tous les instruments nécessaires ?

En réalité, cette question est largement dépassée. En effet il était évident, dès lors que l'Assemblée nationale avait décidé de constituer une mission et que le Président de la République avait installé une commission sur la laïcité, qu'on ne pourrait pas se contenter d'un rappel de la jurisprudence du Conseil d'Etat, d'un bilan de son application ni d'une simple circulaire. L'expression tranchée des divers points de vue rendait nécessaire une clarification par un texte de loi.

En outre, dès l'annonce de la préparation de ce projet, des manifestations ont eu lieu à Paris et dans certains pays étrangers. En abandonner l'idée serait apparu comme un recul devant ces manifestations assez hétéroclites mais marquées par un fort courant d'intégrisme.

Enfin, il n'aurait pas été possible de renoncer à une loi qui répond à une forte attente des responsables des établissements scolaires. Pour beaucoup d'entre eux, la jurisprudence du Conseil d'Etat est trop subtile pour pouvoir être aisément mise en _uvre ; il fallait donc un texte plus ferme et plus précis.

Mais l'adoption d'un tel texte ne peut suffire à régler tous les problèmes rencontrés, et surtout à les régler de la même façon sur l'ensemble du territoire.

Encore faut-il que ce texte soit aisément compréhensible, y compris des élèves et de leurs familles. La rédaction retenue ne doit comporter aucune difficulté d'interprétation. Beaucoup ont ainsi souhaité qu'il soit fait référence à des signes qui manifestent dès leur vue - plutôt qu'ostensiblement - une appartenance religieuse. En réalité, un texte répressif ne se justifie que si le port de ces signes ou tenues est de nature à troubler l'ordre public. La liberté de conscience n'exige pas en effet de garder secrète son appartenance religieuse, si cette dernière, même visible, ne compromet pas la sérénité des établissements scolaires. Aussi est-il nécessaire de faire référence, dans le texte ou dans son application, à la notion de trouble à l'ordre public, même si son interprétation peut donner lieu à des difficultés.

Faut-il limiter l'interdiction aux signes religieux, ou peut-on l'étendre à d'autres, qu'ils soient politiques, sectaires, associatifs, publicitaires ? Depuis 1905, il existe une tradition de laïcité au sein de l'école qui justifie l'adoption d'un texte particulier sur les signes religieux. Mais cette tradition n'empêche pas de réprimer le port d'autres signes, pour des raisons de neutralité.

Sans doute la tradition de la laïcité vaut-elle pour l'Etat tout entier, mais c'est d'abord à l'école qu'elle doit être respectée. Pour autant, la loi ne sera pas facile à appliquer. L'information, l'explication, le dialogue et la médiation devront précéder toute décision de sanction. Cette démarche éducative est d'ailleurs conforme au rôle dévolu à l'école.

Certains s'inquiètent du risque de transformer cette loi en un instrument de discrimination à l'égard de la religion musulmane, et aussi à l'égard des jeunes filles, auxquelles le port du voile vaudrait l'exclusion du système scolaire et donc du processus d'intégration. Ce risque existe. Mais cette intégration n'est pas seulement de la responsabilité de la collectivité nationale. Elle exige des efforts de la part des intéressés, pour respecter nos règles et nos traditions.

Le texte qui nous est proposé est un compromis, avec ce que peut avoir de contingent tout compromis. Mais face aux réalités de la situation actuelle, et pour confirmer l'autorité des chefs d'établissement et des enseignants, il est nécessaire de voter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Blazy - Nos concitoyens ont une impression de cacophonie, face au projet que nous examinons due aux déclarations parfois surprenantes de certains ministres, elle est aussi le fruit des ambiguïtés sémantiques issues de la mission Stasi et reprises par le Président de la République. Une loi interdisant le port de signes religieux a besoin d'être expliquée. Elle ne doit pas être discriminante, instrumentalisée à des fins politiciennes. Or le texte ne répond pas suffisamment à ces critères.

La laïcité ne peut être apaisée, car elle est un moyen, d'abord, de contenir les tensions qui détruiraient la République si chacun des termes de la devise républicaine allait au bout de sa propre logique : la liberté détruirait l'égalité, l'égalité absolue rendrait le manque de liberté insupportable. Mais elle régule aussi les tensions inévitables entre sphère religieuse et sphère temporelle, entre sphère publique et sphère privée. La laïcité depuis la Révolution française, s'est toujours réalisée dans une lutte dont nous redécouvrons aujourd'hui la formidable portée et que nous devons expliquer particulièrement à ceux qui doutent que la fin suprême de l'idéal républicain soit l'émancipation humaine. Oui, l'école républicaine aide le jeune à s'intégrer en même temps qu'à s'émanciper. Mais il ne suffit pas de décréter l'émancipation pour qu'elle s'accomplisse. Il faut protéger les élèves des pressions communautaires ou religieuses. La laïcité respecte l'autre avec ses différences mais refuse que la différence soit exaltée en droit à la différence, tout particulièrement à l'école. Le port de signes religieux est une revendication identitaire qui sous-entend la priorité des impératifs religieux sur ceux de la citoyenneté. Il contribue à maintenir les élèves dans une prison ethnico-religieuse. La religion doit être choisie librement pour être compatible avec l'idéal républicain. La foi n'est à aucun moment mise en cause, et les dogmes religieux n'ont pas à être discutés ici. Nous devons simplement nous attacher à les contenir dans un cadre privé et expliquer que la laïcité garantit les conditions d'objectivité nécessaires à tout processus éducatif.

La laïcité considérée à tort par certains comme un acquis, parler d'une laïcité « ouverte » ou « plurielle » vide cette notion de tout contenu. L'exigence laïque n'a pas besoin d'adjectif pour être comprise.

Ils sont bien souvent de gauche ceux qui, animés par de nobles sentiments, se voilent la face devant les difficultés actuelles. La mauvaise conscience liée au souvenir de la colonisation les conduit à considérer qu'une loi serait attentatoire aux droits de l'homme et porteuse d'exclusion. Or c'est bien le respect des droits de l'homme qui rend la loi nécessaire.

Les difficultés sociales, les discriminations et le racisme, si réels soient-ils, ne peuvent pas servir de prétexte à l'émergence d'un islam qui instrumentalise des jeunes filles et s'en prend aux valeurs de la République. Comme le souligne la romancière d'origine iranienne Chahdort Djavann, auteur de Bas les voiles, « c'est parce qu'un langage de fermeté n'a pas été tenu il y a une quinzaine d'années qu'un courant de pensée islamiste et anti-laïque a pu se développer. » En 1989, soyons clair, Lionel Jospin a sous-estimé les besoins et les tensions et voulu voir dans le règlement au cas par cas prôné par le Conseil d'Etat un moyen d'apaiser les tensions. Ce fut en vain parce que le contexte géopolitique s'est considérablement alourdi et que la fracture sociale est la cause première de l'exclusion. On ne peut plus accepter une République au cas par cas. Les enseignants ont besoin d'un signe fort de soutien.

La querelle sémantique sur « ostensible » opposé à « visible » est révélatrice de conceptions différentes de la laïcité. Interdire « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse », quelle belle formule, juridiquement incertaine et politiquement obscure, qui revient à dire : non au voile ! De fait, la focalisation de certains sur l'islam enferme le débat sur la laïcité dans un climat passionnel et délétère. Les populations issues de l'immigration, souvent paupérisées et marginalisées, se sont senties directement visées. Evidemment, la majorité des problèmes concerne le port du voile, qui est d'abord une forme de prohibition de la mixité, contraire aux valeurs de l'école républicaine. Mais le port d'une croix chrétienne ou d'une kippa pose les mêmes problèmes et heurte les républicains que nous sommes. Après le port de signes religieux, peut venir la mise en cause des contenus de certains cours. Et le dogmatisme en la matière n'est pas le monopole d'une religion.

Si le projet de la majorité est à ce point réducteur et discriminant, c'est d'abord en raison de l'influence que certaines églises chrétiennes exercent sur certains de nos collègues, ou du moins de l'influence que ces collègues leur prêtent sur l'électorat. Les sirènes vaticanes ont dernièrement rappelé à l'ordre les brebis égarées : dans son discours annuel au corps diplomatique, le pape a dénoncé « une attitude qui pourrait mettre en péril le respect effectif de la liberté de religion ». Auparavant, le président de la conférence épiscopale, Mgr Jean-Pierre Ricard, avait souhaité « la pratique d'une laïcité vigilante et accueillante » et même demandé que l'Etat prenne en compte « la dimension sociale et institutionnelle des religions dans la société ». Votre texte est donc un compromis ostensible, si je puis dire, entre cette volonté qu'ont les religions de prendre pied dans l'espace public et la nécessité de préserver la laïcité, en même temps qu'entre les républicains sincères de la majorité et ceux qui privilégient leur appartenance religieuse. La séparation du religieux et du politique est-elle si peu nette que certains se sentent obligés d'obtenir un adoubement religieux ? Car le Vatican n'est pas seul en cause : je suis tout aussi scandalisé de voir que le ministre de l'intérieur et des cultes a besoin de l'accord explicite du Cheikh Tantaoui, imam d'Al-Azhar en Egypte, pour affirmer ses convictions républicaines.

D'autre part, en craignant la réaction de certains pays arabes, aidons-nous ceux qui, dans les pays musulmans, aspirent à plus de liberté et de tolérance ? Le Gouvernement obéit en effet ici à des intérêts tactiques et politiciens. A l'approche des élections, certains se sentent brusquement obligés de brandir l'étendard de la laïcité contre le danger islamique, découvrant tout à coup les intérêts et les avantages d'une démarche républicaine. Ils devraient savoir, pourtant, à qui profite ce genre de crime : le Front national se frotte déjà les mains !

La proposition de loi du groupe socialiste, en faveur du terme « visible » ou « apparent », avait l'avantage de la clarté juridique mais, surtout, de ne pas viser une religion en particulier. De même, la mission présidée par Jean-Louis Debré a conclu à la nécessité d'une disposition législative compréhensible, applicable et non stigmatisante. Mais le Président de la République et le Gouvernement ont préféré une nouvelle fois ignorer et mépriser le travail du Parlement.

Je me félicite que la commission des lois ait retenu notre amendement visant à ménager le temps du dialogue, car il est souhaitable de réserver les mesures d'exclusion aux cas de refus obstiné.

Je regrette également que ce projet ne s'applique pas aux établissements privés sous contrat, qui font pourtant partie du service public de l'Education nationale. On retrouve là la relation ambiguë de la droite à certaines églises.

Je suis en définitive en total accord avec le philosophe Henri Pena-Ruiz lorsqu'il dit : « Si demeurent aujourd'hui dans l'espace public des privilèges en faveur de certaines religions, ce n'est pas en les étendant à une autre religion qu'on résoudra le problème, mais bien en les supprimant(...). Chaque religion sera ainsi ramenée à son statut d'option spirituelle, au même titre que l'humanisme athée ou la conviction agnostique ». Tout est dit.

Je terminerai en soulignant l'actualité de la phrase de Jean Jaurès déjà citée : « La République française doit être laïque et sociale, mais elle restera laïque parce qu'elle aura su rester sociale. » Ce n'est pas parce que la République n'est pas sociale qu'elle ne doit plus être laïque. De ce point de vue, le projet de loi a un sens : ce doit être un signal pour permettre à l'école républicaine de contribuer au mieux-vivre ensemble. Cependant, ce n'est pas la politique sociale de ce gouvernement qui permettra de réduire les inégalités sociales persistantes, bien au contraire et donc, si un texte est nécessaire, il ne saurait suffire à lui seul.

Faisons donc en sorte que celui qui nous est proposé soit au moins utile. Cela suppose que nous l'améliorions, pour en faire un projet de concorde nationale et républicaine (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je rappelle à tous la nécessité impérative de limiter son temps de parole à dix minutes.

M. Emile Blessig - Ce projet constitue un outil de bonne gouvernance pour l'école, dans la mesure où il fournit des références légales claires aux chefs d'établissement et à la communauté éducative. Visant à concilier, dans le respect des règles de la République, l'engagement religieux et la participation à l'école publique, il est aussi une réponse aux tentatives intégristes et communautaristes.

On l'a dit à juste raison, la mission de nos écoles est d'être des creusets de la paix civile. A cet égard, le projet ne peut résoudre toutes les difficultés d'une institution durement affectée par une insuffisante intégration et par la crise de nos quartiers. Comme l'a souligné René Rémond, l'enjeu central demeure d'intégrer les populations nouvelles en les convainquant d'accepter la loi commune. La laïcité doit donc être complétée par une politique d'intégration sociale et professionnelle. Mais faut-il rappeler que, l'été dernier, nous avons adopté une loi d'orientation pour la ville dont c'était précisément l'objet ? Le Gouvernement et sa majorité ne se bornent pas à des déclarations !

Mais la laïcité est aussi un outil exceptionnel, et spécifique à la France, en faveur de cette intégration. Reste à l'adapter aux évolutions sociales des cinquante dernières années, pour lui restituer tout son pouvoir. Au temps de la laïcité « fermée », chacun pensait que les religions s'effaceraient progressivement devant les acquis de la rationalité, qu'elles seraient cantonnées dans la sphère privée. Il n'en a rien été. Les options spirituelles des Français ont une dimension collective que l'Etat se doit de prendre en considération. D'ailleurs, la loi de 1905 n'avait-elle pas prévu des aumôneries dans les lycées et collèges ? Il faut par conséquent une laïcité ouverte.

Cette dimension collective, nous l'appréhendons aujourd'hui en ce qui concerne l'école, mais le champ de la laïcité est bien plus étendu, comme le montrent les interventions de ceux qui ont parlé des hôpitaux ou des prisons. Par conséquent, nous ne pouvons nous contenter d'un débat théorique.

Dans l'ensemble, les valeurs de laïcité sont bien acceptées dans ce pays, mais il existe des particularismes, à la Réunion ou en Guyane par exemple, mais aussi en Alsace-Moselle où les gens sont très attachés à cet héritage de leur histoire, qui contribue de fait au lien social dans ces trois départements.

Ce régime particulier existe depuis plus de deux siècles et a survécu à sept régimes. Grâce à une évolution progressive et concertée, l'Alsace-Moselle conjugue sans problème laïcité républicaine et reconnaissance officielle de certains cultes, le droit local étant conforme aux principes de liberté de conscience et de neutralité de l'Etat. Comme, d'autre part, il ne réglemente pas le port de signes religieux, l'application de la loi en cours de discussion ne devrait pas soulever de difficultés particulières.

Cependant, en raison de leur attachement à ce particularisme, et comme la commission Stasi et la mission d'information, les Alsaciens-Mosellans souhaitent que le Gouvernement réaffirme solennellement que ce texte ne porte en rien atteinte aux dispositions de l'article L. 484-1 du code de l'éducation, dispositions qui régissent l'enseignement dans ces trois départements (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Blazy - Nous ne sommes plus au temps de l'Empire allemand !

M. Emile Blessig - D'un point de vue plus pratique, nous souhaiterions aussi que la loi soit complétée par une nouvelle circulaire, rédigée après concertation avec les collectivités locales, afin de préserver l'esprit de consensus qui caractérise les relations entre religions dans notre région.

La défense du régime local est légitime, car il a fait ses preuves dans la pratique d'une laïcité ouverte. Cependant il nous faut aussi nous tourner vers l'avenir et nous pensons qu'à cet égard, il peut nous aider à mieux prendre en compte l'évolution sociale récente. Comme dans tout le pays, la religion musulmane est la seconde religion d'Alsace-Moselle et se pose dès lors la question d'introduire un enseignement de ce culte dans nos écoles publiques. La commission Stasi a avancé une proposition en ce sens et, de fait, dès lors qu'un enseignement religieux est organisé pour certaines confessions, on ne peut l'exclure a priori pour d'autres. Il conviendrait toutefois de mesurer au préalable la demande, de former des enseignants compétents, de définir des programmes et de prévoir un contrôle. Tout cela ne peut s'improviser.

Cette mesure aurait le mérite d'illustrer le principe d'égalité, de favoriser l'insertion des élèves concernés et de donner aux pouvoirs publics un regard sur cet enseignement, qu'actuellement ils ne contrôlent pas lorsqu'il est dispensé dans les cours de langues et cultures d'origine - je renvoie sur ce point au témoignage de M. Mariani.

D'autres évolutions peuvent être envisagées, notamment en ce qui concerne la formation des ministres du culte et je remercie à ce propos M. Dosière, bon spécialiste du régime local, d'avoir évoqué la possibilité d'une expérimentation pour laquelle nous pourrions nous appuyer sur nos deux facultés d'Etat de théologie.

La société change. Nous devons en tenir compte quand il s'agit de réaffirmer nos valeurs républicaines et la laïcité renouvelée doit devenir une chance d'inventer de nouvelles façons de vivre, de faire que l'étranger, le pauvre ou le jeune ne soit plus considéré comme une menace. L'Alsace-Moselle peut de ce point de vue devenir une terre d'expérimentation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Noël Mamère - Il est des controverses qui transcendent les frontières politiques. Cette discussion parlementaire en fait partie. Et voilà le premier paradoxe de notre débat : alors que la République ne parvient pas à résoudre les problèmes majeurs de notre société - chômage, pauvreté, précarité, crise écologique -, elle prétend légiférer pour s'imposer brutalement à une partie de ses enfants. Les proportions prises par la « crise du voile » en France étonnent du reste tous les observateurs extérieurs.

Nous n'entrerons pas dans des considérations ridicules d'ordre sémantique autour des termes « ostentatoire », « ostensible » ou « visible ».

M. Jean Glavany - Ce n'est pas sémantique, mais juridique !

M. Noël Mamère - Au regard des enjeux en cause, cette bataille d'Hernani frise l'indécence. Quand cette loi sera entrée en vigueur, ce seront les enseignants, les parents, les enfants, quelles que soient leurs opinions religieuses, philosophiques ou politiques, qui subiront les conséquences de cet épisode lamentable.

Cette loi est une loi de circonstance, dans un contexte électoral. Elle n'avait rien d'urgent, la République n'était pas menacée à Aubervilliers par deux jeunes filles.

Depuis 1994, grâce à la mission de médiation de Mme Cherifi, ces affaires sont passées de 2000 à 150. Mais sans doute voulez-vous, faute d'avoir isoler les problèmes d'intégration dans les quartiers difficiles, faute d'avoir investi dans un plan Marshall contre l'apartheid urbain et la ségrégation sociale, vous attaquer une nouvelle fois aux mêmes : les enfants d'immigrés. Vous passez de la répression version Sarkozy et Perben à la stigmatisation. Cette loi profitera au Front national !

C'est une loi d'exclusion sociale. L'école a la responsabilité d'accueillir la jeune fille voilée, de la soutenir, et de l'aide à se libérer du poids de son entourage. En la laissant seule face aux agents de l'exclusion, vous encouragez la multiplication des écoles coraniques et, de fait, agissez contre la laïcité. Vous devenez coupables de non-assistance à personne en danger.

Nous comprenons bien la difficulté de certains enseignants, mais pourquoi ne pas avoir simplement renforcé la circulaire par le recours à l'autorité du rectorat en cas d'impasse ?

Une loi discriminatoire ne règlera rien, au contraire ! Son interprétation donnera lieu à une guerre sans fin, et le principe de l'éducation pour tous aura été bafoué.

Cette loi détourne les principes de la laïcité, telle qu'elle a été définie par les lois de 1881, 1882, 1886 et 1905. La laïcité concerne les locaux, les programmes scolaires, le personnel enseignant, non les élèves. Cette loi ne vise pas à laïciser les institutions, mais à exclure les individus, en les privant du droit à l'éducation. Elle ne se rattache pas à la laïcité, mais à la tradition de l'anticléricalisme qui s'en prend là à la deuxième religion de France.

Il s'agit bien d'un affrontement entre une laïcité ouverte, moderne, émancipatrice, et un intégrisme laïc.

Cette loi est une loi d'exception, discriminatoire, visant de fait, une seule religion.

Ce ne sont pas les « signes religieux » que vous visez ici ; vous faites une loi sur le voile et l'islam, deuxième religion de France pratiquée par près de cinq millions de nos concitoyens. Ce faisant, vous alimentez l'islamophobie ambiante en stigmatisant, une fois de plus, les musulmans. M. Darcos l'a, du reste illustré, le 14 octobre quand, évoquant l'affaire d'Aubervilliers, il déclarait avec des accents dangereux : « Si l'on n'aime pas la République française, il faut aller ailleurs ». Il parlait pourtant de deux enfants nés en France, de nationalité française, dont les ancêtres avaient servi la France...

Cette loi renforce la fracture coloniale dont notre pays a tant souffert. Les conditions dramatiques de la décolonisation de l'Afrique du Nord et tout particulièrement de l'Algérie continuent de diffuser leur onde de choc dans la société française. Il s'agit non seulement du passé de la France coloniale et de l'outre-mer, mais aussi de son présent. La persistance d'un racisme postcolonial explique l'ampleur prise en France par la question du voile, traitée plus sereinement dans le reste de l'Europe.

Pour que la société française sorte par le haut de l'impasse dans laquelle ce débat l'a jetée, il faut se rendre à l'évidence : on ne combattra pas l'oppression des femmes par l'exclusion de quelques jeunes filles des lycées de la République. Partout où l'émancipation et le droit des femmes sont menacés, nous avons combattu avec fermeté, comme nous l'avons fait contre l'excision ou pour le droit à l'avortement libre et gratuit.

Plutôt qu'à une loi d'exclusion, travaillons à un pacte national contre les discriminations qui comprendrait la reconnaissance du droit de vote pour tous les étrangers extracommunautaires, la lutte contre les ghettos, contre les discriminations dans le logement, le travail et les loisirs, la lutte contre les violences faites aux femmes. Ce pacte s'inspirerait du rapport de la commission Stasi qui fait clairement apparaître que les discriminations raciales et sociales sont la cause de la montée du communautarisme.

En ignorant la réalité du mal français, vous prenez le risque de l'explosion sociale. Un jour, vous devrez rendre des comptes.

M. Jérôme Rivière - Si je me réjouis que nous légiférions enfin sur cette question, je regrette que nous y soyons poussés par des événements qui auraient pu, à de multiples occasion, être stoppés.

Pourquoi le gouvernement de l'époque n'a-t-il pas réagi avec fermeté dès 1989, lors de la première manifestation à Creil de la présence conflictuelle du voile islamique dans un établissement scolaire ?

Pendant de trop longues années, nos institutions se sont abritées derrière un avis du Conseil d'Etat. Or la loi ne doit pas se contenter de faire doublon avec cet avis. Nous devons réaffirmer la laïcité, mais surtout résoudre les problèmes posés par les jeunes femmes qui refusent d'enlever leur voile dans un établissement scolaire. Car là est bien le problème.

Et je crains que la rédaction de ce texte ne soit empreinte d'hypocrisie, d'une peur de s'éloigner du politiquement correct.

Il est faux de prétendre que la laïcité, la République seraient en danger. Aucune communauté religieuse ne remet en cause le principe de la laïcité. En revanche, des groupuscules utilisent et détournent, pervertissent l'esprit d'une religion à des fins politiques. Les raisons vont de l'échec de l'intégration à notre refus de montrer du doigt, sans haine, mais sans fausse pudeur, ce qui est inacceptable dans telle communauté religieuse.

Ces individus qui prêchent un repli communautariste contraire à la tradition de la France perturbent gravement notre société, et donnent une image rétrograde de l'islam. Mais ils ne sont pas aussi nombreux qu'ils veulent en avoir l'air. François Bayrou nous rappelait hier que, ministre, il connaissait à l'unité près le nombre de problèmes posés par le port du voile dans des établissements scolaires. Nous savons pourtant tous, que la première qualité de l'administration de l'Education nationale n'est pas de tenir des comptes précis sur ses effectifs !

Le problème est plus politique que religieux, en ce que le port du voile marque, outre l'asservissement de la femme à l'homme, une tentative d'asservissement de nos lois à une loi divine ou prétendue telle.

La loi ne pouvait être que très large pour traiter l'ensemble des problèmes liés à l'intégration ou très étroite pour se substituer à la circulaire ministérielle qui n'a jamais été prise.

Large, sa rédaction ne devait pas se contenter de réaffirmer la laïcité qui figure dans notre Constitution.

Etroit, ce texte aurait pu se limiter au problème posé par l'inaction des politiques successives. En précisant dans le texte de la loi l'interdiction du voile et non pas des signes religieux, nous n'aurions pas stigmatisé l'islam.

C'est en cachant son visage au regard des autres que se manifeste l'asservissement de la femme. Mais si nous interdisons le port de signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse, comment ferons-nous demain si des jeunes gens se font tondre sur la chevelure un motif en forme de croix, d'étoile de David ou de main de Fatima ?

Que dirons-nous à ceux qui exhiberont des tatouages ostensiblement religieux sur les mains, les avant-bras ou les jambes ? Si ce n'est pas à l'Etat de définir une religion ou une croyance religieuse, c'est bien à l'Etat de marquer les limites de la religion et de rappeler qu'elle ne peut prescrire des règles comportementales aux usagers d'un établissement public.

En choisissant le thème de la laïcité à l'école, j'ai l'intime conviction que nous risquons de tomber dans le piège tendu par des groupuscules intégristes qui veulent mêler la politique et la religion. Le problème du foulard islamique demandait à la fois un acte d'autorité du Gouvernement et une loi sur l'intégration, sur l'assimilation des populations étrangères qui se sont durablement installées en France.

Enfin, et ce n'est pas le moins important, il nous est par avance reproché de ne pas proposer de solutions nouvelles aux chefs d'établissement confrontés au problème du voile.

Je proposerai donc dans un amendement de prévoir la possibilité de sanctionner une infraction à cette loi par une amende.

M. Jean Glavany - Oh ! Et pourquoi pas une peine de prison ?

M. Jérôme Rivière - Il deviendrait ainsi possible d'associer les parents à la sanction. Je trouve injuste que la seule sanction soit l'exclusion, qui ne frappe que le mineur. Il est logique que les parents, responsables de la conduite d'un enfant mineur, soient aussi sanctionnés.

Mais surtout, j'y vois une véritable protection du mineur. En effet, en matière pénale, c'est le juge pour enfant qui sera saisi. Ce dernier sera capable d'identifier les affaires de mineurs en danger. Nous sentons bien que les cas les plus emblématiques sont orchestrés par des parents qui abusent de leur autorité parentale. Quand j'entends une jeune fille de quinze ans qui revendique la liberté de porter le voile invoquer la jurisprudence du Conseil d'Etat, je ne peux m'empêcher de penser - aussi brillante soit-elle - que derrière elle se dissimulent des « moins jeunes », ceux-là mêmes qui considèrent que la loi des citoyens doit être une loi divine. La justice disposerait, selon les circonstances, de toutes les palettes de mesures adaptées à la protection des mineurs.

Le reproche ne pourrait pas nous être fait de n'avoir rien réglé avec notre texte. Nous pourrions dire haut et fort que les politiques ne se contentent pas de proclamations d'intentions.

Cependant, je me fais peu d'illusion, et je crains, si vous m'autorisez le mot, que la messe ne soit dite. Nous devrons choisir entre une loi qui risque d'ajouter à la confusion et l'inaction. J'ai choisi : je voterai ce texte, afin de ne pas participer à la désagrégation du politique. Mais si je le vote, c'est dans l'espoir que notre majorité le prolonge par des décisions plus courageuses encore dans les hôpitaux et dans la fonction publique. Il faudra aussi veiller à ce que le voile n'apparaisse pas dans le cadre des fonctions électives. C'est ainsi que nous répondrons aux attentes de nos concitoyens, qui désirent voir fonctionner de nouveau l'intégration, l'assimilation par la France des populations étrangères qui souhaitent s'y établir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Comme femme, le symbole de soumission que représente le voile me gène, me révolte. Derrière le voile, se cache l'idée selon laquelle les femmes sont des objets de tentation dont il faut se prémunir. En ce sens, revendiquer le port du voile, c'est remettre en cause la dignité même des femmes. C'est revenir sur le combat difficile qui a été mené depuis des décennies, ici et ailleurs, afin de reconnaître aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes.

Pourtant, je n'étais pas certaine de la nécessité de légiférer sur le port de signes religieux à l'école. Aujourd'hui encore, il m'apparaît toujours légitime de s'interroger sur les conséquences que ce projet loi aura sur la société française. C'est une politique de justice sociale, de lutte contre le chômage, de résorption des ghettos urbains qui serait bien sûr le meilleur moyen d'empêcher l'intégrisme de gagner du terrain. Mais l'intégration, c'est aussi la citoyenneté, ce qui implique le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales.

Nous avons tous notre part de responsabilité. Mais votre politique contribue comme jamais à creuser le fossé des inégalités.

Pendant une année, cette question du voile a dominé l'ensemble du débat politique, occultant d'autres questions au moins aussi importantes. Ce débat doit avoir une issue, celle d'une loi claire, qui serve à quelque chose, comme l'a très bien dit notre président de groupe Jean-Marc Ayrault.

Ainsi, l'emploi du mot « visible », plutôt que le terme « ostensible », n'est pas neutre. J'ai entendu les explications pseudo-juridiques du Gouvernement. Mais je continue de penser, comme la commission parlementaire présidée par M. Debré, que le terme « visible » a le mérite de la clarté et prêterait à une interprétation moins subjective.

M. Jean Glavany - Evidemment !

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Il garantirait une application égale dans tous les établissements. C'est cela que réclament de nous les chefs d'établissement et les enseignants.

Si, à cause d'un mot ambigu, aucun changement concret n'intervenait après la prochaine rentrée scolaire, si la loi nouvelle ne permettait pas de faire respecter la laïcité à l'école, alors le politique serait gravement discrédité. Les extrémistes de tous bords en profiteraient. Soyons vigilants, notre responsabilité est lourdement engagée. C'est pourquoi nous demandons une évaluation annuelle par le Parlement.

Je suis l'élue d'un quartier de Paris qui s'appelle Belleville. Ce quartier a accueilli, depuis le XIXe siècle, de nombreuses vagues d'immigration. C'est un lieu où « vivre ensemble » a toujours eu une signification. Son histoire montre l'extraordinaire capacité d'intégration de la France, qui ne nie pas pour autant les identités culturelles et religieuses. Ne donnons pas une image défavorable et fausse des Français musulmans, en focalisant l'attention sur des situations certes réelles mais rares. Ce serait une faute de notre part de ne pas affirmer haut et fort que la plupart des Français issus de l'immigration se reconnaissent dans la République et ses valeurs fondamentales.

Une loi sur le respect de la laïcité, il est de notre devoir d'en faire une loi d'intégration et non une loi d'exclusion. C'est pour cette raison que l'exigence d'un dialogue, sous l'égide du chef d'établissement, est loin d'être accessoire. Il serait particulièrement irresponsable de chasser de l'école des jeunes filles qui portent le voile, sans avoir entrepris un travail de conviction pour qu'elles se conforment aux principes qui régissent la vie scolaire. L'école publique et laïque est, depuis un siècle, le lieu privilégié pour faire reculer l'obscurantisme et vivre les valeurs républicaines. Il doit le rester.

Ce travail de dialogue est mené depuis des années par les chefs d'établissement et les enseignants. N'oublions pas qu'il porte ses fruits dans la plupart des cas. Nous devons l'encourager dans la loi, sinon nous rejetterons de l'école et nous enverrons dans les bras des fondamentalistes des enfants qui auraient pu devenir ceux de la République.

Sur ces questions, écoutons attentivement un mouvement comme Ni putes ni soumises. Ses responsables se sont investies ces derniers mois pour affirmer leur volonté d'émancipation et elles nous demandent de les aider dans leur revendication de liberté et d'égalité. Elles sont courageuses et leur avis a contribué à forger mon opinion. Elles méritent d'avoir obtenu hier le prix Claude-Erignac, du nom de ce grand serviteur de l'Etat.

N'oublions pas, enfin, les problèmes sociaux qui expliquent le repli communautaire et la sclérose de la société française actuelle. Je crains, à cet égard, que le Gouvernement prenne la question de la laïcité par le petit bout de la lorgnette. Les membres de la commission Stasi ont pourtant été clairs. Ils ont avancé des propositions intéressantes qui auraient mérité d'être prises en compte. Il faut en effet que l'islam ait demain la place à laquelle il a droit lui aussi : lieux de culte dignes et suffisamment nombreux, formation adéquate des imams, carrés musulmans dans les cimetières... Cette religion doit enfin être reconnue dans notre pays. Le Gouvernement aurait tort de ne pas avancer dans ce sens.

En vous présentant son projet mardi, le Premier ministre nous a affirmé que ce texte n'était qu'un point de départ. Mais je doute que la majorité actuelle veuille avancer vraiment sur la voie de l'intégration. Cette loi doit être l'une des pierres de l'édifice à construire. Si elle restait la seule, alors le but recherché ne serait pas atteint. Au contraire, elle renforcerait le sentiment de stigmatisation que ressentent beaucoup de Français du fait de leur origine.

Monsieur le ministre, pour les raisons que j'ai évoquées, je souhaite pouvoir voter cette loi. Mais je vous le dis aussi avec gravité : pour être une vraie loi de conquête républicaine, elle doit absolument s'accompagner d'une action sans précédent en faveur de l'égalité. Si rien ne changeait de ce côté-là, c'est la crédibilité de notre engagement politique commun qui serait alors en cause (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Decocq - Votre projet, Monsieur le ministre, est profondément républicain : il consolide cette construction qu'est la laïcité, une construction qui n'est jamais finie. Une fois de plus, nous devons faire preuve de lucidité et de courage pour combattre ceux qui voudraient faire prévaloir la différence. J'ai vu une banderole, déployée au cours de la manifestion en faveur du voile, selon laquelle « le communautarisme va sauver la République » !

La laïcité garantit notre capacité à vivre ensemble au sein d'une communauté nationale dans laquelle chacun est accepté pour ce qu'il est et non pour ce qu'il représente. Selon Condorcet, « celui qui, en entrant dans la société, y porte des opinions que son éducation lui a données n'est pas un homme libre ».

L'école n'est pas un lieu aseptisé. C'est le dernier lieu de l'intégration républicaine. Nous avons reçu un mandat sacré de la nation : nous devons permettre à nos jeunes concitoyens de forger leur libre arbitre.

Génération après génération, c'est à l'école que s'est construit le socle républicain. Je pense en cet instant à mon instituteur républicain et au journal qu'il composait avec nous : son titre était Tous ensemble.

Oui, la mission de l'école est de former des hommes et des femmes libres, des citoyens éclairés et, je l'espère, des élus responsables.

Selon Régis Debray, la loi n'a pas qu'une fonction répressive, elle une vertu expressive.

M. Manuel Valls - Oui !

M. Christian Decocq - Ce n'est pas une loi de circonstance que nous allons voter, mais une loi de cohésion nationale. Nous devons préserver ce qui est au fondement du pacte républicain. Une posture morale, un acte réglementaire ne suffiraient pas. Seule la loi a l'autorité nécessaire pour restaurer le pacte avec la nation.

En rénovant le fil d'or de la confiance entre les citoyens et les élus, votre loi conforte la laïcité.

Enfin, elle refuse le communautarisme, qui fissure notre pacte républicain. A Lille, ville dont je suis l'élu, je suis témoin du cheminement d'un certain nombre de femmes musulmanes qui créent des ateliers théâtre, des cours d'alphabétisation. Mais dans le même temps, elles demandent des créneaux horaires réservés pour la piscine municipale. C'est là une démarche ségrégative. Accepter cette exigence, c'est faire des lieux publics des lieux de revendication. L'intégration ne peut se faire au détriment de la République. Au contraire, nous ne combattrons les discriminations de toutes sortes qu'en étant fermes sur le respect de nos valeurs.

Je voterai cette loi, Monsieur le ministre, inspirée par l'esprit de Montesquieu lorsqu'il déclarait : « Il faut éclairer l'histoire par des lois, et les lois par l'histoire. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Bourguignon - « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu » : il aura fallu de nombreux siècles - et la Révolution française - pour mettre à l'ordre du jour cette séparation entre le spirituel et le temporel.

Le chemin a été long, jusqu'à la loi de 1905. La laïcité est l'une des grandes conquêtes de notre République.

La séparation des églises et de l'Etat, c'est la distinction ente l'homme et le citoyen, l'espace privé et l'espace public.

Dans notre République, chacun se définit comme citoyen, et tous les citoyens composent la nation. Dans notre République, les hommes sont égaux parce qu'ils ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Dans notre République, le Président prête serment sur la Constitution votée par le peuple et non, comme aux Etats-Unis, sur la Bible qui émane du Très Haut.

Notre République n'a pas de maire noir, de préfet juif, de ministre protestant ou de proviseur athé. Elle a des députés, des ministres, des serviteurs de l'Etat.

La République doit protéger contre tous les activismes communautaristes, mais force est de constater que, aujourd'hui, la distinction est de moins en moins claire entre la loi civile et les préceptes religieux, ce qui permet à certains de réclamer une loi privée spécifique !

Autant il n'est pas question de remettre en cause la liberté de conscience et la pratique religieuse, autant il est impossible de concéder aux religions et aux communautés la régulation des comportements personnels dans l'espace public.

Certes, la France a changé, notamment avec l'apport de populations d'origine musulmane qui font de l'islam la deuxième religion de notre pays.

Nous le constatons, la pression identitaire est plus forte car notre société ne fournit plus des normes, des repères, du sens.

C'est alors que ressurgit la conscience ethnique, qui confine parfois au fanatisme religieux.

Si nous acceptions l'introduction de signes religieux visibles dans nos écoles, cela signifierait que la laïcité n'est plus une exigence d'égalité, qu'elle ne serait plus un instrument de lutte contre le racisme, l'exclusion, le cléricalisme, l'intégrisme, la domination de l'argent. Or, notre principe de laïcité conserve toute son actualité pour répondre aux nouveaux défis.

Depuis 1789, nous avons proclamé notre foi dans l'égalité et nous avons combattu pour la justice sociale. Aujourd'hui, nous continuons de nous battre pour conserver et consolider nos droits face aux coups de boutoir du Gouvernement et de l'entrisme religieux.

C'est pourquoi nous devons être vigilant : face à une réaction idéologique, qu'elle soit politique ou religieuse, nous n'accepterons pas le moindre recul sur nos conquêtes sociales et sur la condition féminine.

Le port du voile islamique dans nos écoles n'est pas seulement un défi lancé à la laïcité, c'est aussi l'affirmation de devoirs spécifiques qui incombent à la femme en vertu de sa nature : la femme doit cacher ses cheveux pour ne pas susciter le désir. Si elle ne les recouvre pas, elle porte l'éventuelle responsabilité des violences sexuelles dont elle pourrait être victime.

Si l'on admettait, au nom de la tolérance, que ces jeunes filles portent le voile à l'école, à quel titre refuserait-on demain le tchador ?

M. Manuel Valls - Très bien !

M. Pierre Bourguignon - Ces jeunes filles demandent de l'aide. Afin de dépasser le retour du religieux, nous devons retrouver du sens ainsi que nos grands engagements politiques. Nous devons également pallier le processus d'individualisation auquel nous sommes confrontés.

Oui, notre école est et doit demeurer mixte et neutre.

M. Jacques Myard - Très bien !

M. Pierre Bourguignon - Je le dis avec force : ni croix, ni voile, ni kippa dans les enceintes de la République.

M. Jean Glavany - Très bien !

M. Pierre Bourguignon - La laïcité suppose une triple séparation : avec les religions, la distinction sociale, la politique. Croyances, préjugés et politique partisane doivent en effet rester à l'écart de l'école qui fait accéder à l'universel.

La laïcité mérite une loi qui interdise tout port apparent de signes religieux, politiques ou philosophiques au sein de l'école publique, parce qu'une telle loi réaffirmera la séparation de l'espace public et de l'espace privé, parce qu'elle libérera toutes les jeune filles du choix de porter ou non le foulard, parce qu'elle permettra aux chefs d'établissement et aux équipes pédagogiques de disposer d'un cadre juridique incontestable, parce qu'elle exigera un dialogue avant toute éventuelle sanction, parce qu'elle contribuera, enfin, à l'intégration sociale et professionnelle des nouvelles populations.

Pour que vive la République indivisible, laïque, démocratique et sociale, n'abandonnons pas l'héritage des Lumières ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Glavany - Très bien ! Voilà un député qui parle haut et fort !

M. Jacques Myard - Beaucoup a déjà été dit. Je me reconnais d'ailleurs dans bien des propos qui ont été tenus.

Je suis fermement attaché à la laïcité, dont les enjeux internationaux sont importants.

Nous vivons en effet dans un monde globalisé, multipolaire, transnational, où se multiplient les échanges, mais aussi les confrontations.

En effet, les hommes sont peut-être plus près les uns des autres grâce aux moyens de communication, mais ils ne se sont pas pour autant rapprochés, loin s'en faut. Les naïfs bavards qui ont cru à la fin de l'histoire sont passés à côté de l'essentiel : la formidable rupture Nord-Sud, démographique, économique, mais aussi et surtout culturelle, politique et existentielle.

Le Sud, c'est bien sûr l'Afrique, mais c'est d'abord la Méditerranée et l'islam. Ces dernières années, peu d'esprits ont compris ce qui s'y passait. Certains ont même cru que l'islam serait un rempart contre le communisme et l'ont instrumentalisé à cette fin et à leurs dépens.

M. Jean-Pierre Blazy - C'est vrai !

M. Jacques Myard - Pire encore, débarrassés du boulet de l'affaire algérienne, les gouvernements successifs et l'opinion publique ont voulu tourner la page et tourner le dos à ces hommes identifiés à des événements douloureux, dont la venue sur notre sol n'était souhaitée que pour remplir les tâches les plus pénibles. C'était oublier que les hommes ne sont pas des marchandises, des outils, mais des cultures.

C'était oublier le renouveau de l'islam, qui a commencé en Egypte dans les années vingt avec les Frères musulmans.

Ceux-ci professent le retour à la lettre du Coran. Pour ces doctrinaires, plus on s'éloigne du temps du prophète, qui est l'âge d'or, plus l'humanité se dégrade : le progrès n'existe pas.

Le fondamentalisme est récurrent dans l'islam. Il a mis un terme à chaque tentative des Modernes musulmans de rénover le message coranique. Avicenne et Averroès en ont fait tous les deux les frais.

Fait moins connu et plus récent, au Maghreb, quelques années après la décolonisation, les gouvernements, surtout en Algérie, ont décidé d'arabiser leur pays. Le gouvernement algérien s'est tourné vers le gouvernement égyptien pour obtenir des professeurs d'arabe. Le Caire a envoyé au début des années 1970 des milliers d'instituteurs qui se sont limités à psalmodier le Coran et à diffuser l'image idéalisée de la société du prophète, celle du VIIe siècle en Arabie.

Alors que renaissaient sur la rive sud de la méditerranée cette foi dans un monde théocratique, ce dogmatisme totalitaire, la société française érigeait en dogme le primat de l'individualisme et de l'hédonisme, prônait le droit à la différence dans tous les domaines au nom de la liberté, et faisait passer au second plan ce qui rassemble. « Les hommes ont le choix entre cultiver leur différence et approfondir leur communion », disait Malraux. La rencontre de ces deux mondes ne pouvait engendrer qu'au mieux l'incompréhension, au pire l'affrontement.

Il ne sert à rien d'espérer que l'eau est le feu soient compatibles. Si le lecture totalitaire du Coran l'emporte sur une vision plus rationnelle de l'islam, l'affrontement est certain !

A gauche comme à droite, certains évoquent l'intégration en la ramenant à la résolution des problèmes du chômage et des inégalités économiques et sociales. Certes ceux-ci sont bien réels, mais on ne saurait, dans une analyse économico-marxiste, y trouver la seule explication au repli communautariste. Les fondamentalistes les plus actifs, voire les plus virulents, sont en règle générale aisés, intégrés et ont atteint le niveau des études supérieures.

Le port du voile cache un enjeu politique : l'instauration d'une société formatée conformément à la charia, où certes la femme est enfermée dans un statut inférieur, mais dont ce n'est pas la seule caractéristique.

Le pire, toutefois, n'est jamais inéluctable. Il y a une alternative possible, sous deux conditions : la clarté et la fermeté.

La France a toujours admis des étrangers sur son sol et continuera de le faire. Mais elle a une histoire et des lois : le pacte républicain n'est pas une auberge espagnole, il est fondé sur des principes forts dont l'égalité des sexes, la neutralité des services publics et la laïcité ; il n'est pas négociable. On entre en France et on y demeure avec sa liberté de conscience et de pensée, mais les lois civiles sont votées par le peuple et ses représentants. Il ne saurait y avoir de dogmes religieux supérieurs aux lois de la République, tout simplement parce qu'ils ne régissent pas les mêmes sphères : aux lois civiles, la société temporelle ; aux dogmes religieux, l'âme et la foi. C'est en réaffirmant avec force cette distinction que nous pourrons garantir la liberté de conscience de chacun. C'est bien là le fondement de la laïcité, et c'est pourquoi nous devons être intransigeants sur ses règles. Souvenons-nous de ce que revendiquaient les Anciens : « défendre nos lois plus fort que nos murailles ». C'est à ce prix que la France restera un exemple pour le monde.

Il est possible que la tâche soit rude, et nous n'aurons pas épuisé le sujet avec le vote de cette loi ; je suis persuadé qu'il conviendra d'y revenir, et notamment d'encadrer l'action des partis politiques, afin qu'ils respectent le principe de laïcité ; j'ai fait à ce propos une proposition de modification de la Constitution. Les extrémistes savent avancer masqués et utiliser toutes les ressources de la démocratie que nous leur offrons : ils nous réclameront la liberté au nom de nos principes, pour nous la refuser au nom des leurs ! Mais il n'y aura pas que les naïfs pour entrer dans leur jeu.

Pas d'irénisme avec les ennemis de la laïcité ! Appliquons fermement nos lois, pour la paix civile et le bonheur de tous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques-Alain Bénisti - Peu de projets de loi auront suscité aussi peu d'amendements : dix au total, à comparer aux 13 500 déposés sur la réforme des retraites... C'est significatif de la quasi-unanimité sur le réel besoin d'une loi.

Pourquoi donc autant d'interventions si nous sommes tous d'accord sur le fond ?

Certes, il y a ceux qui veulent apporter leur pierre à l'édifice républicain en réaffirmant leur attachement à la laïcité. Il y a aussi ceux qui profitent de ce débat passionnel et sensible pour faire passer leurs messages idéologiques et politiques complètement hors sujet. Il y a enfin ceux qui tentent d'attiser les tensions par la démagogie, et ceux qui de toute façon n'auraient jamais voté ce texte et avancent des explications capillotractées pour masquer leur volonté de nuire au Gouvernement et au Président de la République.

Mais nous sommes tous intimement persuadés qu'au-delà des clivages politiques, nous devons voter ce texte dans l'intérêt des générations futures. Je ne parlerai pas de la place fondamentale de la laïcité dans nos valeurs républicaines, beaucoup avant moi l'ont déjà fait. Je ne parlerai pas non plus de l'égalité des sexes, ardemment réaffirmée. Mais je voudrais insister sur trois points.

D'abord, le débat sémantique auquel se livrent certains me semble inutile et fait perdre de vue l'objectif essentiel. Il s'agit bien, par ce texte, de préserver la neutralité de l'école et de condamner les pressions politico-religieuses dont elle fait l'objet, ainsi que les attitudes provocantes qui ne sont pas des signes de piété mais bien de provocation et de discrimination. C'est pourquoi le mot « ostensible » me semble parfaitement approprié : « visible » insuffisamment précis, n'apporterait pas la clarté nécessaire pour permettre aux chefs d'établissement d'appliquer sans contestation possible le concept laïc de l'école française.

Ensuite, notre but est d'affirmer la neutralité de l'école, qui doit retrouver un climat serein de travail. Son rôle est de former les futurs citoyens de demain en leur apprenant les principes fondamentaux qui régissent notre nation, loin des pressions politiques, religieuses et communautaires. Il s'agit de donner aux adultes qu'ils deviendront un bagage républicain qui leur permettra de faire des choix en conscience. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les universités ne sont pas concernées par ce texte.

Enfin, je regrette que nous ayons adopté en commission un amendement introduisant de façon expresse dans le texte une procédure de dialogue préalable à la sanction. C'est en effet une précision inutile, qui tend à désavouer toute la communauté éducative, et prouve une réelle méconnaissance par certains du fonctionnement des établissements scolaires, où la culture du dialogue est déjà profondément ancrée.

Ne perdons pas de vue que ce texte vise à faire barrage aux tentatives communautaristes visant à déstabiliser l'école. Il s'agit de réaffirmer le droit de chacun à pratiquer ou non un culte, dans le respect des convictions intimes de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

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ERRATA

- au compte rendu analytique de la 3ème séance du mardi 3 février 2004.

Page 47. Dans le premier paragraphe de l'intervention de M. Lionnel Luca, remplacer la dernière phrase par la phrase suivante : « Ce sont du reste eux qui, très majoritairement, ont demandé la promulgation d'une loi leur permettant de réaffirmer le principe de laïcité. ».

- au compte rendu analytique de la 1ère séance du mercredi 4 février 2004.

Page 24. À la dernière ligne de l'intervention de M. Eric Raoult, lire :

« De la première affaire de foulard, à Creil, en 1989, jusqu'à l'affaire des deux adolescentes d'Aubervilliers, nous avons assisté à l'instrumentalisation parfaitement choquante de jeunes filles. »


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