Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2003-2004)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 87ème jour de séance, 216ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 12 MAI 2004

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

            DIVORCE (CMP) 2

            EXPLICATION DE VOTE 8

            AUTONOMIE FINANCIÈRE
            DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES (suite) 8

            RAPPEL AU RÈGLEMENT 8

            EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (suite) 8

            QUESTION PRÉALABLE 11

            ORDRE DU JOUR DU JEUDI 13 MAI 2004 33

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

          DIVORCE (CMP)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au divorce.

M. Patrick Delnatte, rapporteur de la CMP - Nous voici au terme d'une discussion engagée il y a près de deux ans et demi, ce qui nous aura permis de légiférer de manière quasi-consensuelle. Le Sénat a d'ailleurs rendu hommage au travail d'approfondissement et de clarification auquel s'est livrée notre Assemblée. Nous avions adopté en première lecture une cinquantaine d'amendements et le texte issu de la CMP a peu évolué.

Parmi les modifications les plus importantes que nous avions introduites, la CMP a approuvé le dispositif d'éviction du conjoint violent, auquel la Délégation aux droits des femmes était particulièrement attachée.

Nous avions également proposé une nouvelle définition du divorce pour altération définitive du lien conjugal afin de lier la cessation de la communauté de vie à la séparation des époux. Je suis heureux que la CMP l'ait retenue car cela lèvera toute ambiguïté. J'espère que cette nouvelle procédure permettra d'apaiser des conflits anciens et donnera l'occasion aux conjoints séparés sans aucun accord de reconstruire leur vie.

Nous avions aussi essayé de définir le plus clairement possible les modalités de la prestation compensatoire, dans le prolongement de la loi du 30 juin 2000 qui avait fait du versement d'un capital la règle et de celui d'une rente viagère l'exception. Soucieux de préserver l'équilibre entre créanciers et débiteurs, nous sommes revenus aux critères actuels d'octroi d'une rente viagère, ce qui facilitera le travail de la justice.

Nous avions également précisé que le juge qui refuserait la substitution d'un capital à une rente devrait rendre une décision spécialement motivée et modifié le régime de déduction de la pension de réversion de la rente afin de tenir compte de la réforme des retraites votée l'été dernier.

La CMP a également adopté le dispositif fiscal proposé par le Gouvernement, qui accompagnera utilement la réforme de la prestation compensatoire.

Outre une modification du dispositif concernant Mayotte, la CMP n'a modifié que trois dispositions que nous avions retenues. Ainsi sera-t-il possible de substituer un capital à une rente, même si celle-ci a été décidée par convention entre les parties pour un temps limité. Le Sénat a ici retenu un amendement du Gouvernement visant à coordonner ces dispositions avec celles du projet de loi relatif aux prestations compensatoires. Je vous proposerai d'adopter cette modification, d'harmonisation.

Concernant l'article 255, qui faisait l'objet de rédactions différentes de la part des deux assemblées, la CMP a précisé que le juge pourra désigner tout professionnel qualifié pour dresser un inventaire estimatif et formuler des propositions relatives aux intérêts pécuniaires des époux. Elle a décidé en revanche que seule serait prévue la possibilité pour le juge de désigner un notaire afin d'élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager.

La CMP a enfin débattu des conditions d'organisation d'une seconde comparution en cas de divorce par consentement mutuel. L'Assemblée avait ouvert aux parties la possibilité de demander, ensemble, une seconde audience. La CMP a craint que cette demande ne fausse l'esprit du divorce par consentement mutuel, estimant qu'en cas de désaccord, les époux doivent envisager une autre procédure de divorce. Elle a donc préféré s'en tenir au dispositif du projet de loi qui permet au juge de refuser d'homologuer la convention, une nouvelle convention devant alors lui être présentée dans un délai de six mois.

Ce projet de loi sur le divorce est très attendu, des couples - 120 000 en effet divorcent chaque année - comme des professionnels de la justice. Les avocats ont su nous expliquer les nouveaux outils dont ils avaient besoin et les juges aux affaires familiales apprécient particulièrement les dispositions visant à favoriser l'accord des parties. La loi entrera en application le 1er janvier prochain. Espérons que les intentions du législateur auront été assez claires et précises pour aider les juges et les auxiliaires de justice à pacifier le divorce, dans le respect de l'équité et de la protection des personnes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Le vote définitif, ce soir, du projet de loi relatif au divorce consacre un travail de grande qualité, et nul doute que cette réforme du divorce fera date dans notre pays. Son élaboration par un groupe de travail pluridisciplinaire, associant députés, sénateurs, universitaires et professionnels de justice, puis les débats, riches et sereins, auxquels elle a donné lieu, ont permis d'aboutir à un texte d'une grande cohérence, salué par tous pour son caractère équilibré et consensuel.

L'Assemblée nationale a amélioré le texte du Gouvernement sur plusieurs points. Ainsi a-t-elle clarifié les conditions du divorce pour altération définitive du lien conjugal, qui devrait permettre, à l'avenir, de limiter considérablement le recours à la procédure de divorce pour faute. Le constat d'une séparation depuis deux ans lors de l'assignation suffira à justifier le prononcé du divorce.

L'Assemblée a approuvé, je m'en félicite, la mise en place d'un tronc commun procédural, qui préserve notamment les chances de rapprochement des époux pendant la phase de conciliation, et de fait interdit la production de tout élément de preuve obtenu par violence ou fraude.

La rédaction retenue, qui intègre les moyens modernes de communication, donnera une plus grande dignité au débat judiciaire.

C'est sur les effets du divorce que la contribution de votre assemblée a été la plus déterminante. Ainsi, les conditions d'octroi d'une rente viagère seront maintenues dans leur rédaction issue de la loi du 30 juin 2000.

Autre amélioration : l'interdiction d'attribuer à titre de prestation compensatoire la propriété d'un bien que le débiteur aurait reçu par donation ou succession, sans qu'il y consente expressément.

La modification des conditions d'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266, en cas de divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal, est pleinement justifiée. En effet, seul doit pouvoir en bénéficier l'époux à qui est imposée cette procédure alors que lui-même n'a formé aucune demande en divorce.

Je pense enfin à l'heureuse adaptation du mécanisme de déduction des pensions de réversion, en considération de la réforme des retraites récemment intervenue.

En outre, le texte garantit la sécurité juridique, dans l'intérêt même des personnes concernées. Ainsi, l'accord donné par l'un des époux, dans le cadre de la procédure de divorce, au maintien de certaines donations ou avantages matrimoniaux qu'il aurait consentis à son conjoint, sera irrévocable.

De même, la conversion d'une séparation de corps prononcée par consentement mutuel en divorce supposera, sauf demande formée unilatéralement sur un autre fondement, l'accord des deux époux.

En dernier lieu, je me félicite de la réflexion menée en faveur de l'époux victime de violences conjugales. Votre commission des lois s'est attachée, dans ce domaine sensible, à accroître l'efficacité du nouveau dispositif en adaptant le régime applicable en matière d'expulsion et en permettant au juge de statuer, dans une seule et même décision, sur la contribution aux charges du mariage. Ces dispositions essentielles s'inscrivent dans l'action du Gouvernement en matière de prévention et de traitement de ce phénomène préoccupant, la violence.

Je ne serais pas complet si je n'évoquais l'important travail de coordination réalisé par votre commission, qu'il s'agisse de la suppression de la référence à la déduction des sommes versées en cas de substitution d'un capital à la rente après le décès du débiteur, ou de l'extension de ce nouveau mécanisme aux prestations fixées par convention, en l'absence de dispositions particulières.

Ces avancées témoignent d'une réelle convergence de vues du Gouvernement et du Parlement.

Je salue tout particulièrement l'investissement remarquable de votre rapporteur, Patrick Delnatte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Ses qualités humaines, son attention constante aux droits de chaque époux et à la protection du plus faible, ont dominé nos travaux. Je lui en suis vivement reconnaissant.

Sa volonté, partagée par le Gouvernement, d'instituer un droit du divorce empreint de mesure et d'humanité, plus protecteur de la dignité des couples et des liens essentiels de parenté, est pleinement respectée.

Une telle réforme a toute sa place dans le cadre d'une politique ambitieuse visant à aider les familles à assumer, en toutes circonstances, leur mission fondamentale d'éducation à la citoyenneté et à la responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Il faut regretter que le Gouvernement ait choisi de déclarer l'urgence. Une deuxième lecture, Monsieur le Garde des Sceaux, aurait certainement été profitable.

L'article 232 du code civil donne au juge la faculté d'homologuer la convention et de prononcer le divorce lorsqu'il a la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que le consentement est libre et éclairé.

L'alinéa 2 ouvre au juge la faculté de refuser l'homologation et de ne pas prononcer le divorce lorsqu'il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l'un des époux.

Chacun reconnaissait que cette procédure reposait d'abord sur la volonté des époux, qu'elle exigeait d'eux l'anticipation des solutions qu'ils attachaient aux conséquences de leur choix, l'unicité d'audience consacrant la primauté du choix des époux.

Dans notre hémicycle, plusieurs amendements émanant de différents groupes visaient à donner aux époux la possibilité de solliciter du juge une seconde comparution. Pour le groupe socialiste, cette possibilité permettait de réduire les risques inhérents à l'unicité d'audience.

L'Assemblée avait adopté un deuxième alinéa de l'article 232 aux termes duquel « si les parties le demandent, une seconde comparution peut être ordonnée par le juge. Dans ce cas, le divorce ne peut-être prononcé qu'à l'issue de cette audience ».

En CMP, le Sénat, courroucé, s'est fortement opposé à l'introduction de cet alinéa. La majorité s'est ralliée à la sa position. Nous le regrettons vivement.

Nous admettons parfaitement l'intérêt d'une audience unique, suffisante dans la majorité des procédures par consentement mutuel. Pourtant, quand les époux entendent s'inscrire dans le consentement mutuel, bien que de nombreuses questions doivent être réglées, demander un ajournement était parfaitement légitime. Le juge, dans la rédaction de la CMP, peut ne pas décider l'ajournement, alors que dans la rédaction de notre Assemblée, il était tenu par l'intention des époux.

Si nous n'introduisons pas une certaine souplesse dans la procédure de divorce par requête conjointe, l'audience unique risque de dissuader les conjoints d'en faire usage, ce qui sera contraire à l'intention du législateur.

Par ailleurs, l'article 12 du titre III contient différentes mesures que le juge peut prendre à titre provisoire pour assurer l'existence des conjoints et de leurs enfants jusqu'à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée. Parmi ces mesures, était prévue dans la rédaction du Sénat, à l'alinéa 9, la désignation d'un notaire ou de tout autre professionnel qualifié pour dresser un inventaire ou faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux.

Notre assemblée a supprimé la référence au notaire, en considérant que la mention « tout professionnel » intégrait l'ensemble des personnes qualifiées. La CMP a accepté cette solution.

En revanche, l'alinéa 10, dans la rédaction du Sénat, prévoyait la désignation d'un notaire pour liquider le régime matrimonial et former les lots à partager. Notre Assemblée avait contesté cette rédaction, considérant que l'intervention d'un notaire n'était nécessaire que si le patrimoine concernait des biens immobiliers, dont la mutation ne peut se faire que par acte notarié.

La sollicitation obligatoire d'un notaire dans tous les cas est contraire à nos objectifs de rapidité et d'allègement des coûts.

Le Sénat a imposé à la CMP de revenir à sa propre rédaction. C'est incompréhensible et, je le dis avec le respect qu'inspire cette grande et honorable profession des notaires, pour des raisons inavouables, éminemment corporatistes. C'est dit et c'est écrit. Il y avait déjà eu, après la loi de 1975, une tentative de placer les notaires au c_ur du règlement des effets patrimoniaux et pécuniaires du divorce, lorsqu'ils avaient exprimé l'idée d'être rédacteurs de la convention définitive.

Avec la nouvelle loi, le juge devra solliciter un notaire pour élaborer le projet de liquidation du régime matrimonial même si celui-ci ne contient que des éléments mobiliers.

Il est extrêmement regrettable que la CMP - et je lui en fais le reproche courtois mais sévère - ait cédé au corporatisme.

En CMP, à l'exception des deux dispositions que je viens d'évoquer, les sénateurs se sont largement ralliés aux modifications apportées par les députés. Ce constat ravive notre regret que notre assemblée n'ait pas été saisie la première. Nous aurions pu légiférer dans une démarche plus volontariste. Saisis les premiers, les sénateurs ont pu imposer le maintien d'une définition extensive de la faute, contrairement à votre intention initiale. Lié par ce vote de la majorité sénatoriale, vous avez renoncé à défendre une diminution du champ de la faute. C'est là, selon nous, l'erreur majeure de cette réforme.

Sur notre proposition de réduire la faute aux seules « violations graves » des devoirs et obligations du mariage, notre Assemblée s'est trouvée à parité le 8 avril dernier. Je suis persuadé, Monsieur le Garde des Sceaux, que si nous avions examiné ce texte avant les sénateurs, vous auriez pu compter sur une majorité de députés pour adopter une définition restrictive de la faute conforme à votre projet initial. Vous auriez ainsi mis en place le divorce du XXIe siècle.

M. Jean Lassalle - Manifestement, le droit de la famille est revenu au c_ur de l'actualité, Monsieur le Garde des Sceaux.

Il y a un mois, nous examinions ce projet.

En première lecture, je m'étais permis de rappeler qu'avant un divorce, il y a eu en général de l'amour, de l'enthousiasme, le désir de fonder une famille, de constituer un patrimoine... Et puis un jour ceux qui se sont tant aimés se déchirent. Je regrette que le débat technique occulte quelque peu l'aspect avant tout humain du problème et je voudrais dans cette affaire que l'on songe moins aux notaires - pour lesquels j'ai le plus grand respect, d'autant que l'on ne sait jamais de qui l'on peut avoir besoin (Sourires ) - et plus aux êtres humains concernés.

Je regrette aussi que la CMP n'ait pas gardé la possibilité de seconde comparution, qui aurait pu pourtant offrir une dernière chance de sauver le couple. Sachant que dans 25 % des cas, la procédure est abandonnée, pourquoi renoncer à une disposition qui avait recueilli une large approbation dans cet hémicycle ? N'est-ce pas fragiliser un peu plus ce colosse aux pieds d'argile qu'est devenu le mariage dans des sociétés où la communication a fait des progrès considérables - internet, fax, téléphone mobile - sauf, malheureusement, au sein des couples ?

Mais je ne puis qu'approuver l'esprit général du texte qui est de moderniser, d'apaiser et de simplifier les procédures. Je me félicite également des mesures visant à protéger davantage l'époux victime de violences conjugales. C'est une avancée importante pour les femmes, principales victimes de ces violences.

S'agissant des relations patrimoniales post-mariage, sujet sur lequel le groupe UDF avait déposé des amendements, je constate que le conflit reste vif entre les associations des débiteurs de prestations compensatoires, qui se considèrent condamnés à perpétuité, et les associations de créanciers, qui revendiquent une rente. Bien sûr, la loi ne peut pas tout résoudre et il appartient au juge d'exercer son pouvoir d'appréciation, mais il n'en demeure pas moins que certaines situations auraient mérité des souplesses législatives. La généralisation de la prestation sous forme de rente aurait sans doute permis à de nombreuses divorcées de ne pas être confrontées à des situations pécuniaires délicates.

Ce texte n'aura de portée historique qu'à partir du moment où aucune des deux parties n'aura le sentiment de devoir traîner un boulet durant des années du fait de son divorce. Je crois que malgré ses petites imperfections, le texte auquel nous sommes parvenus rendra les procédures de divorce moins douloureuses et je tiens à féliciter le Garde des Sceaux, le président et le rapporteur de la commission pour le travail de concertation qu'ils ont fourni très en amont. Dans nos sociétés complexes, il faut du temps pour faire se rencontrer des points de vue divergents. C'est d'ailleurs ce qui m'amène à souhaiter que l'on s'appuie davantage à l'avenir sur les fameux « facilitateurs », dont le rôle est d'aider tous ceux qui sont confrontés à des situations humaines délicates et qui se sentent désemparés. Moins d'avocats, autant de notaires (Sourires), mais beaucoup plus de facilitateurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et bancs du groupe UMP)

M. Michel Vaxès - La commission mixte paritaire nous propose aujourd'hui un texte qui diffère finalement peu de celui adopté par la majorité de cet hémicycle le 14 avril dernier. Deux divergences essentielles subsistaient entre le Sénat et notre assemblée et, sur ces deux points, la rédaction souhaitée par les sénateurs a finalement été retenue.

Il s'agissait tout d'abord de l'article 2, concernant le divorce par consentement mutuel. Dans la version votée par notre assemblée, une seconde comparution des époux pouvait être ordonnée par le juge si les parties le demandaient. Raisonnablement, à mon sens, la commission mixte a choisi de revenir au texte des sénateurs qui n'envisageait cette seconde comparution qu'à l'initiative du juge. L'objectif de la réforme étant de simplifier les procédures, donc d'éviter qu'elles soient longues et coûteuses, il convient de faire confiance au juge aux affaires familiales, professionnel qui ne prononcera pas le divorce s'il estime que l'une des parties est en situation de faiblesse.

A l'article 12, qui a trait à l'élaboration du projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager, Il a finalement été retenu que le juge peut seulement désigner un notaire pour ce faire, et non tout autre professionnel.

Pour le reste, c'est l'essentiel du texte de notre assemblée qui a été approuvé par la commission mixte paritaire. Les remarques que nous avions faites lors de la première lecture demeurent donc. Le groupe des députés communistes et républicains approuve certes l'effort de simplification et d'allégement des procédures de divorce et constate que la rédaction initiale a été améliorée sur quelques points, en particulier en ce qui concerne l'éviction du conjoint violent du domicile.

Cependant, nous aurions pu aller plus loin en élargissant ce dispositif aux concubins et aux couples ayant souscrit un Pacs, comme le suggérait, par exemple, Mme Pecresse. Et surtout je considère qu'il aurait fallu donner à l'acteur essentiel, devant lequel se joue ce drame qu'est en général un divorce, je veux parler du juge, les moyens de remplir au mieux sa mission. Le juge aux affaires familiales est en effet celui qui peut permettre que cette épreuve se passe le moins mal possible Mais il a besoin pour cela de temps. Or, ce qui manque aujourd'hui le plus à ces magistrats, c'est précisément le temps. La question de leurs effectifs est donc celle qu'il convient de résoudre en priorité.

Dans la majorité des cas, les femmes sont les premières victimes du divorce, ce sont elles qui souffrent le plus, matériellement et moralement, de la séparation. Lorsqu'elles divorcent, les discriminations et les inégalités qu'elles subissent se font encore plus vives et plus difficiles à supporter. Etant entendu que les divorces sont plus répandus dans les familles économiquement modestes, un texte à la hauteur de l'enjeu sociétal qu'est le divorce aurait dû s'accompagner de dispositions tendant à réduire ces inégalités. Il n'en contient pas. Pire, les réformes successives du Gouvernement aggravent toujours plus ces inégalités. Le groupe des députés communistes et républicains s'abstiendra donc sur ce texte.

M. André Chassaigne - Très bien.

Mme Valérie Pecresse - C'est une réforme courageuse et particulièrement nécessaire que nous abordons à nouveau ce soir, avec ce projet consensuel et très attendu, qui a mis plus de deux ans et demi à mûrir. Fruit d'une large concertation, il a ensuite pris corps dans cet hémicycle et dans celui du Sénat au travers des riches discussions que nous avons menées et des amendements que nous avons votés.

L'échec croissant des mariages et la forte proportion d'assignations fondées sur une faute justifiaient à tout le moins la recherche de procédures pacifiées, simplifiées et plus rapides afin de ne pas ajouter à la douleur du divorce le découragement au mariage.

Pour réaliser un véritable équilibre entre la rupture inévitable du lien conjugal et la préservation indispensable des intérêts des époux, le texte assouplit le dispositif de la prestation compensatoire et les conditions de révision des rentes, et simplifie les procédures de divorce en réduisant le champ du divorce pour faute. Pour autant, simplification ne rime ni avec facilitation ni avec déresponsabilisation. Il n'est pas question de transformer le divorce en simple répudiation, ni de laisser l'un des époux dans le dénuement.

Il s'agit de mettre un terme à une situation matrimoniale qui n'a plus lieu d'être, sans dévaloriser l'institution républicaine du mariage. Plutôt que de prolonger tensions et souffrances, il est sage de tirer les conséquences de la situation au plan matériel sous le contrôle du juge. Dans le même esprit, le texte pose le principe du versement de la prestation compensatoire sous forme de capital, mettant ainsi un terme à la transmission des rentes aux héritiers du débiteur, parfois pendant plusieurs générations.

Outre la protection financière ainsi assurée, le texte garantit une véritable protection en faveur des femmes victimes de violences conjugales grâce au « référé violence ». Je remercie le Garde des Sceaux de s'être engagé devant nous à donner instruction au parquet d'évincer les concubins violents du domicile familial ; car les violences de couples se produisent aussi en dehors du mariage.

Le consensus recueilli pour ce texte a été confirmé en CMP. Je me félicite qu'ait été supprimée la possibilité d'une deuxième comparution devant le juge à la demande des parties dans le cas du divorce par consentement mutuel. Cette demande ne pourrait être recevable que dans la procédure du divorce accepté. Enfin il est sage que la liquidation du régime matrimonial, dont dépend en partie l'avenir des enfants, soit confiée à un notaire.

Ce texte réforme en profondeur le divorce dans son ensemble, dans le double souci de préserver l'équité entre les parties et d'adapter notre droit aux évolutions de la société. Aussi le voterons-nous avec détermination (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Président - Avant de mettre aux voix le texte de la CMP, conformément à l'article 113-3 du Règlement, j'appelle l'Assemblée à statuer sur l'amendement dont je suis saisi.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Il s'agit de l'amendement 1, que j'ai également déposé au Sénat suite à la CMP, et qui est de coordination. J'en profite pour informer l'Assemblée de l'état de préparation des textes d'application du présent projet, s'il est adopté. Deux décrets sont nécessaires. Le premier, que vous connaissez, porte sur les modalités de substitution d'un capital à une rente dans le versement de la prestation compensatoire. Ce document est prêt. Le deuxième, relatif à la procédure civile, tendra à tenir compte du tronc procédural commun. Ce décret devrait être prêt en septembre, si bien que les textes de loi et d'application, qui doivent entrer en vigueur le 1er janvier prochain, seront connus suffisamment tôt pour que l'information et éventuellement la formation aient lieu dans des conditions satisfaisantes.

M. le Rapporteur de la CMP- La CMP n'a pas examiné cet amendement de coordination, auquel je donne un avis favorable à titre personnel.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATION DE VOTE

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je rappelle que le groupe socialiste s'abstient, conscient que le projet comporte des avancées sensibles, mais regrettant que vous n'ayez pas traité du domaine de la faute. Il sera impossible de considérer que ce texte aura réduit la place du divorce pour faute dans notre code de procédure. Pourtant vous aviez bien posé le problème au départ.

L'ensemble du projet, compte tenu du texte de la CMP modifié, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 22 heures 20, est reprise à 22 heures 25.

AUTONOMIE FINANCIÈRE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Augustin Bonrepaux - Mon rappel au Règlement tend à vous demander, Monsieur le Président, dans quelles conditions va se dérouler notre débat. Cet après-midi, la séance a été tôt levée pour des raisons que nous comprenons fort bien, mais ce qui a conduit à saucissonner le vote sur l'exception d'irrecevabilité. La discussion se trouve ainsi tronquée.

Nous voulons donc savoir si nous pourrons travailler dans des conditions correctes, et je souhaite que vous en informiez le Président de l'Assemblée nationale. Ce débat est important. Nous devons y consacrer le temps nécessaire. Nous ne pensons pas pouvoir terminer dans la nuit de demain. Nous sommes disposés à reprendre les travaux lundi soir, pour terminer dans la nuit.

M. le Président - Merci de votre compréhension pour la suspension de séance de tout à l'heure. Nous allons travailler ce soir jusqu'à une heure et demie. L'ordre du jour de demain matin est consacré à une niche parlementaire. Nous reprendrons donc la discussion demain après midi et pourrons aller assez tard pour la terminer, puisque l'Assemblée ne siège pas le lendemain matin.

M. Augustin Bonrepaux - Nous sommes prêts à siéger demain soir assez tard, mais pas trop tard ! A deux ou trois heures du matin, si l'on se rend compte qu'on ne peut pas terminer avant des heures impossibles, il faudra prendre la décision de renvoyer la discussion à lundi. Nous avons d'autres engagements, que nous prenons en fonction de l'ordre du jour qui nous est communiqué ! Nous ne voulons pas retarder la discussion, mais débattre en toute sérénité.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (suite)

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote.

M. Denis Merville - Nous avons écouté M. Bonrepaux avec attention, mais malgré la vigueur de ses propos, il ne nous a pas convaincus. D'abord, en effet, ce projet de loi organique est la déclinaison de la réforme de la Constitution de mars 2003.

M. Augustin Bonrepaux - Ce n'est pas moi qu'il faut convaincre, c'est vos concitoyens !

M. Denis Merville - Il constitue une avancée pour la démocratie locale, la libre administration des collectivités et la responsabilité de leurs élus. Déposer cette exception d'irrecevabilité s'apparente à un détournement de la procédure parlementaire.

Cher collègue, je connais vos compétences en matière financière, mais je m'étonne des propos que vous avez tenus aujourd'hui, alors que le gouvernement que vous souteniez a régulièrement porté atteinte à la fiscalité locale ! La réforme des droits de mutation en 1998, la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle en 1999... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux - Ce sera dur à expliquer !

M. Denis Merville - ...la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et de la vignette en 2000 ont touché des pans entiers de la fiscalité locale, sans d'ailleurs la moindre concertation.

M. Augustin Bonrepaux - Vous n'étiez pas là lorsque j'ai parlé !

Plusieurs députés UMP - Si !

M. Denis Merville - J'ai eu l'honneur de présider la commission des finances de l'association des maires de France. Je me souviens d'une réunion, en 1998, avec M. Strauss-Kahn, ministre de l'économie de l'époque, sur le pacte de stabilité et de croissance. En nous y rendant, nous avons appris par Le Monde la réforme de la taxe professionnelle. Bel exemple de concertation ! Toutes ces mesures ont fait passer la part de l'Etat dans les ressources des communes de 22 % en 1990 à 35 % en 2003. Globalement, l'autonomie des collectivités locales s'est dégradée de 12,6 points, à une époque où elles devaient supporter les 35 heures, la CMU, la réforme du SDIS, les emplois-jeunes et l'APA !

Vous pensez que la décentralisation est le moyen pour l'Etat de transférer des charges sur les collectivités locales. C'est ce qui se passait lorsque vous étiez au pouvoir ! J'ai l'honneur d'appartenir à la commission d'évaluation des charges depuis 1984. Le principe est que l'Etat transfère les ressources qu'il consacrait à une compétence à un moment donné, mais la seule fois où la commission a réellement obtenu satisfaction sur le montant des dotations, c'est lors du transfert des lycées, entre 1986 et 1988 ! Le reste du temps, il est arrivé bien souvent qu'elle ne soit pas réunie, ou que des transferts insidieux ne soient pas soumis à son appréciation...

Le gouvernement que vous avez soutenu n'a pas réformé la fiscalité locale. Nous avons réalisé la réforme des valeurs locatives dans les communes, et nos administrés la payent toujours. Vous n'avez pas eu le courage de l'appliquer ! Vous avez beaucoup dénoncé la hausse des impôts locaux, mais c'était un mauvais thème de campagne, puisqu'en 2003 il n'y a pas eu de transfert de compétences ! Ceux qui ont augmenté les impôts locaux ne peuvent donc pas accuser la décentralisation, mais plutôt l'APA, la réforme du SDIS ou les 35 heures.

La Constitution contient dorénavant des garanties. Contrairement à vous, nous faisons confiance aux élus locaux, acteurs de proximité et nous sommes donc pour la décentralisation. C'est pourquoi le groupe de l'UMP ne votera pas cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. René Dosière - Le très intéressant exposé de M. Bonrepaux, même s'il nous paraît déjà loin, après toutes ces interruptions, permet de bien comprendre votre texte. Il a notamment démontré qu'un impôt partagé, comme la TIPP, n'est pas différent d'une dotation de l'Etat. Il n'y a que le Gouvernement pour oser prétendre qu'un impôt partagé est un impôt local ! Ce texte va donc créer un précédent dangereux : si la commission décide demain de supprimer la taxe professionnelle et de la remplacer par un impôt partagé, c'est un pan supplémentaire de la fiscalité locale qui sera aux mains de l'Etat ! Nous ne devons pas accepter ce premier pas.

Ensuite, tout le monde se souvient de cet interminable débat, lors de la révision constitutionnelle, sur la signification du mot « déterminant ». Ségolène Royal avait brillamment démontré qu'il ne voulait rien dire. On lui répondait qu'il était indispensable... Et aujourd'hui, on nous apprend que ce mot signifie simplement que cela suffit à préserver la libre administration des collectivités locales... c'est-à-dire l'interprétation depuis toujours du Conseil constitutionnel ! Votre texte ne change donc strictement rien. Seule innovation : la fixation d'un seuil d'autonomie, calculé par le rapport entre les ressources propres et les ressources totales des collectivités. Mais si le degré d'autonomie descendait en dessous, que ferait-on ? Il n'y a que deux solutions : diminuer les dotations de l'Etat ou augmenter les recettes fiscales de façon autoritaire... Votre proposition est donc totalement irréaliste.

Votre texte est profondément idéologique. Vous considérez que l'autonomie financière se réduit purement et simplement à l'autonomie fiscale. Mais celle-ci n'en est qu'une partie ! Lorsque nous avons décidé que l'exécutif des collectivités ne serait plus le préfet, mais les présidents des départements et des régions, ne croyez-vous pas que cela a beaucoup joué sur l'autonomie financière des collectivités ? C'est donc un sujet beaucoup plus vaste, et vous ne l'avez pas traité en entier. Et à supposer que l'on s'en tienne à la seule autonomie financière, il faut garder à l'esprit qu'elle va forcément de pair, à cause des inégalités entre collectivités, avec la péréquation. Or, il n'y a rien dans ce texte à ce sujet.

Votre projet de loi organique va en fait dégrader l'autonomie financière des collectivités locales.

M. le Président - Veuillez conclure, Monsieur Dosière.

M. René Dosière - On va assister à une augmentation des impôts locaux restants : le foncier bâti et la taxe d'habitation. Vous aurez baissé l'impôt sur le revenu et les collectivités seront obligées d'augmenter la taxe d'habitation ! C'est la raison pour laquelle nous voterons cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles de Courson - Nos collègues socialistes seraient un peu plus crédibles s'ils avaient appliqué au pouvoir les idées qu'ils défendent aujourd'hui ! Mais cela ne vaut pas que pour eux : la majorité à laquelle j'ai appartenu fait de même, et j'ai combattu tous ses gouvernements sur ce point. La différence est que les socialistes, pendant cinq ans - durant lesquels MM. Bonrepaux et Migaud ont tenu certaines fonctions à la commission des finances - ont considérablement aggravé une dérive qui existait déjà. Mais on peut se convertir jusqu'à l'heure de sa mort ! Je me réjouis donc de la conversion des socialistes et je les en félicite.

Toutefois l'ardeur des nouveaux convertis ne doit pas être excessive, Monsieur Bonrepaux ; par conséquent n'en rajoutez pas trop, alors que vous avez fait l'inverse.

Sur le fond, ce texte pose deux problèmes de constitutionalité. Il y a tout d'abord la question de savoir si la fiscalité partagée est un élément d'autonomie financière. Tout esprit de bon sens dira que non. Si le Gouvernement avait raison sur ce point, on pourrait remplacer tous les impôts locaux à autonomie de taux et d'assiette par un versement représentatif de l'impôt sur le revenu, de la TVA ou de tout autre impôt d'Etat, sans pour autant faire baisser l'autonomie financière ! Ce raisonnement par l'absurde montre qu'il y a un problème. Je le dis au Gouvernement : vous prenez un risque constitutionnel réel.

Il y a un autre risque constitutionnel, que n'a pas relevé M. Bonrepaux : c'est le problème de la compatibilité entre le projet du Gouvernement et le principe de libre administration des collectivités territoriales. Car jusqu'où pourrait aller un gouvernement - pas le vôtre, bien sûr, Monsieur le Ministre, mais un autre - qui substituerait des impôts d'Etat « partagés » à une part prédominante d'impôts locaux ? Dans la logique du Gouvernement, il faudrait alors fixer un deuxième seuil, interdisant que les impôts partagés dépassent un certain pourcentage des ressources propres ; sans quoi il n'y a plus aucune autonomie.

Il y a enfin un troisième risque constitutionnel, plus subtil. Si on continue à financer par des impôts partagés les transferts de compétences, vous augmentez ainsi le taux d'autonomie financière. Mais comment respecterez-vous la jurisprudence constitutionnelle dans le temps ? S'il s'agit d'un impôt dont le taux et l'assiette sont fixés par les assemblées locales, vous pouvez ajuster rapidement, année après année. Mais si vous procédez à coup de fiscalité partagée, dont le montant est fixé annuellement par le Parlement, comment ferez-vous, puisqu'il faut cinq ans, dans votre mécanisme, pour redresser la barre ? Vous prenez donc trois risques d'inconstitutionnalité, alors qu'en suivant les sages préconisations de l'UDF vous n'auriez aucun de ces problèmes...

Mais le groupe UDF ne votera pas l'exception d'irrecevabilité, car nous pensons que le Gouvernement aura peut-être un peu de sagesse pour écouter, sans attendre un désastre. Et il y aura les sénateurs, dont on peut espérer qu'ils resteront fidèles au texte de M. Poncelet, et qu'ils ne se dédiront pas, eux.

M. André Chassaigne - Cette loi organique ouvre-t-elle un vrai débat de fond sur les finances locales ? La réponse est évidemment non. Propose-t-elle, au moins dans ses intentions, une remise à plat des finances locales ? Là encore, non. J'ai écouté attentivement M. Bonrepaux, et quelques-uns de ses arguments ont achevé de me convaincre. Tout d'abord, il a manifestement raison d'estimer qu'on se moque du monde, et de parler d'imposture. C'est bien le cas quand on nous dit que la TIPP sera une ressource propre, et donnera de nouveaux moyens d'action aux collectivités, favorisant ainsi leur libre administration - alors qu'elles ne pourront pas jouer sur cette taxe.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - C'est faux : la région pourra voter le taux.

M. Augustin Bonrepaux - Ce n'est pas garanti.

M. André Chassaigne - M. Bonrepaux m'a également convaincu quand il a dit que ce texte était un piège. Qu'il soit ou non adopté, il faudra bien ensuite assumer l'explosion des impôts locaux résultant des compétences transférées. En fait, l'objet essentiel du projet est d'abandonner les collectivités locales, en leur confiant des compétences considérables qui limiteront leur libre administration.

J'ai retenu un troisième argument : qui croira au respect de l'autonomie des collectivités locales ? Il s'agira bien plutôt d'un asservissement. Contrairement à ce qu'affirme le rapporteur de la commission des lois, ce texte n'apporte aucune garantie d'autonomie financière.

Enfin j'ai été convaincu... par M. Copé, quand il a dit que nous aurions désormais le verrou de la Constitution. Ce propos traduit-il une mauvaise foi, ou un acte de foi ? C'est en tout cas une formule pompeuse, mais vide de sens. En réalité ce projet n'apporte nulle garantie, que ce soit en matière de ressources, de libre administration, de péréquation. Il ne règle rien, parce qu'il fait l'impasse sur l'essentiel : la nécessaire remise à plat des finances locales. Le groupe communiste et républicain votera donc l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Chassaigne - La décentralisation de M. Raffarin est un véritable coup de force. C'est sans débat véritable ni consultation des Français que votre majorité a décidé d'engager notre pays sur cette voie dangereuse. Ce projet traduit la volonté d'institutionnaliser des rapports de concurrence entre les collectivités territoriales. Il vise, au sein de l'Europe libérale, à affaiblir l'Etat et les systèmes de protection sociale qui lui sont attachés. Dans ce schéma, les collectivités territoriales, notamment les régions, sans pouvoir politique digne de ce nom, doivent simplement donner l'illusion qu'il existe encore, malgré l'emprise croissante des institutions européennes, des marges de man_uvre politique.

Il est des mots qui parlent à nos concitoyens. L'égalité est de ceux-là. Ce principe, même dans son acception la plus réductrice, ne résistera pourtant pas à la réorganisation que vous imposez à notre architecture administrative et institutionnelle à travers ces lois successives, aux dénominations aussi diverses qu'originales, mais qui toutes concernent cette trop fameuse décentralisation. Je le dis, au risque de vous déplaire : il s'agit bien d'actes de démolition de notre République.

La République a su s'affermir, parce que les communes de notre pays, depuis la grande loi de 1884, ont donné forme et contenu à la notion de liberté. Cette définition de la libre administration : « le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune », qui valait pour la commune, vaut, aujourd'hui, pour le département et la région. Mais elle ne vaudra plus demain. Comment espérer qu'un conseil régional puisse régler, par ses délibérations, les affaires de la région, si tout son budget doit passer à gérer les blocs de compétences abusivement transférés ! Ce n'est pas par leurs compétences obligatoires que les collectivités affirment leur libre administration, mais bien plutôt par les initiatives qu'elles prennent de façon facultative, par leurs interventions dans des domaines toujours plus diversifiés - notamment, dans le cas des conseils généraux et régionaux, les politiques de soutien au développement local conduites par les EPCI et les communes.

Les propos tenus tout à l'heure par le président de la commission des finances, mettant en cause les promesses des nouvelles majorités régionales, révèlent la volonté du Gouvernement de porter atteinte à la libre administration. Il affirme en effet que les promesses de ces majorités de gauche ne pourront pas être tenues, parce que désormais les compétences obligatoires entraîneront des dépenses qui empêcheront toute libre administration des collectivités !

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Ce n'est pas du tout ce qu'il a dit !

M. André Chassaigne - Il nous a ainsi révélé ce qu'il y a au fond de votre décentralisation. Celle-ci va saper peu à peu les piliers de notre République. Oui, il s'agit bien d'une entreprise de démolition ! Aujourd'hui, avec ce débat sur l'autonomie financière, la représentation nationale a la possibilité de ralentir ce processus destructeur.

A votre majorité de prouver qu'elle ne souhaite pas mettre à bas les principes fondamentaux de notre République. Mais cela supposerait, en premier lieu, de réformer en profondeur les finances locales. En effet, les transferts de compétences, conjugués à une très faible péréquation, conduiront à ce que les collectivités les plus pauvres n'aient plus les moyens d'assumer leurs responsabilités et de s'administrer librement. Les écarts de pression fiscale entre collectivités grandiront.

Il est donc urgent de remettre à plat les finances locales. Nous n'avons cessé de répéter, depuis le vote de la loi constitutionnelle, que la question financière est primordiale, à quoi il nous a été maintes fois répondu qu'elle serait abordée dans le cadre de la loi organique. Or, on se limite aujourd'hui à l'interprétation d'un alinéa mineur de la Constitution, en éludant l'essentiel du sujet. La question de savoir si les ressources propres des collectivités constituent une « part déterminante » de leurs recettes, à laquelle vous souhaitez réduire le débat, est certes importante, mais non centrale.

M. Clément nous a fort bien expliqué lors de l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales qu'une réforme des finances locales ne pourrait être abordée que dans le cadre d'une loi de finances. Alors, pourquoi ne pas, dans cette attente, surseoir aux transferts de compétences ? Ou bien, si vous êtes pressés, pourquoi ne pas déposer un projet de loi de finances rectificative ?

Enfin, comment faire débattre le Parlement de l'autonomie financière des collectivités territoriales tout en le laissant dans le flou le plus total quant à l'avenir de la taxe professionnelle ?

M. Gérard Bapt - Tout à fait.

M. André Chassaigne - Le Président de la République en a annoncé la disparition, alors qu'elle représente 44 % de la fiscalité locale.

M. le Rapporteur - Vous avez ouvert la voie !

M. Charles de Courson - Hélas !

M. André Chassaigne - Le Président a parlé de supprimer la taxe professionnelle sur les nouveaux investissements durant dix-huit mois. Qu'en est-il exactement ? Même si, compte tenu du décalage de deux ans dans la prise en compte des bases, la mesure ne fera sentir ses effets qu'à partir de 2006, nous sommes en droit de savoir dès aujourd'hui comment s'effectueront les compensations.

M. Michel Bouvard - Par dégrèvements, cela a été dit clairement.

M. André Chassaigne - Dans la mesure où le Président a assuré qu'il n'y aurait aucune perte pour les collectivités, il ne peut en être autrement. C'est donc l'Etat qui paiera à la place des industriels. Mais la question demeure posée d'un dégrèvement total.

On le voit, vos arguments techniques ne tiennent pas. En réalité, vous n'avez pas la moindre envie de réformer les finances locales. La fiscalité locale sera pourtant, inévitablement, la variable d'ajustement financière de la décentralisation. Pourquoi le cacher et refuser de s'interroger sur les conséquences économiques et sociales de son augmentation ? D'autant que les impôts locaux, chacun en convient, sont particulièrement archaïques. On ne les appelle pas les « quatre vieilles » pour rien !

Les bases des taxes d'habitation et foncières n'ont pas été révisées depuis le début des années soixante-dix. Malgré le vote de la loi de 1990, la révision des bases n'est jamais intervenue, faute de courage politique...

M. Michel Bouvard - De la part de qui ?

M. le Rapporteur - Vous avez eu cinq ans pour le faire !

M. André Chassaigne - Les élus locaux se souviennent pourtant des nombreuses réunions qui ont eu lieu sur le sujet. Que de temps, d'énergie et d'argent perdus, le projet ayant été abandonné !

M. Michel Bouvard - Quel réquisitoire contre le gouvernement Jospin !

M. André Chassaigne - C'est en réalité en 1993, alors que M. Sarkozy était ministre du budget, que la réforme n'a pas été appliquée.

M. René Dosière - Tout à fait.

M. André Chassaigne - Vous souhaitiez en effet à l'époque, comme aujourd'hui, éviter tout transfert de charges sur les entreprises. Or, la réévaluation des bases risquait d'alourdir leur taxe foncière.

M. Charles de Courson - Mais non !

M. André Chassaigne - Ces bases sont totalement déconnectées de la valeur locative réelle des logements, ce qui est source de graves injustices, en particulier pour les habitants de logements sociaux. Mais cela ne semble pas être votre problème...

Ces bases sont en outre déconnectées du revenu des contribuables, si bien que les impôts locaux sont de fait dégressifs. Ce sont les plus riches qui paient le moins au regard de leurs revenus et de leur patrimoine ! La taxe foncière et la taxe d'habitation représentent une dépense importante pour les plus modestes, une goutte d'eau pour les plus aisés. Il serait urgent de prendre en compte les revenus dans le calcul des impôts locaux.

Enfin, comment accepter que, du fait des inégalités de richesse fiscale, les impôts puissent, d'une commune à l'autre, varier du simple au triple, voire davantage. Ce sont ces injustices criantes qui rendent si impopulaires ces impôts. Or, ces injustices vont encore s'aggraver avec votre décentralisation.

La taxe professionnelle a elle aussi de multiples défauts. Ses bases sont extrêmement mal réparties sur le territoire, même si la multiplication des groupements de communes à TPU a permis de réduire les écarts. Il n'en reste pas moins que 90 % des bases sont concentrées sur à peine 10 % du territoire. D'où les très graves inégalités de richesse fiscale entre collectivités.

La taxe professionnelle est pourtant le seul impôt permettant d'ancrer une entreprise dans son environnement et donc de mettre en jeu, en partie, sa responsabilité sociale locale. De ce seul fait, elle ne peut être supprimée. Son assiette n'intègre plus aujourd'hui que les actifs réels des entreprises - immeubles, terrains, outillage -, ce qui pénalise l'industrie et profite au secteur des services. Mais surtout, dans la mesure où les actifs financiers n'y sont pas assujettis, cet impôt encourage la spéculation au détriment de l'investissement productif. Cette assiette injuste porte atteinte à l'égalité des entreprises devant l'impôt. Prenons l'exemple, d'ailleurs d'actualité, d'une entreprise pharmaceutique. Si celle-ci investit dans la recherche et ouvre de nouveaux laboratoires, ces investissements seront assujettis à la taxe professionnelle - ce qui est normal. Mais si elle préfère, multipliant les OPA, racheter ses concurrents un à un, multipliant les OPA, puis fermer des sites pour, comme on dit pudiquement, « éviter les doublons », en abandonnant toute politique ambitieuse de recherche, ses nouveaux actifs financiers échapperont à la taxe professionnelle. Comment justifier cette différence de traitement, qui incite les entreprises à ne pas investir et encourage la financiarisation de l'économie ?

Notre économie a changé, mais notre fiscalité ne s'est pas adaptée à ces mutations. Elle pénalise lourdement l'industrie, et ce constat n'est pas le seul fait de quelques communistes utopistes ! Il est largement partagé. Un ancien ministre du précédent gouvernement, M. Delevoye, faisait observer en 1995 que, lorsque l'économie était agricole, la richesse et la fiscalité étaient fondées sur le foncier ; puis, lorsque l'économie est devenue industrielle, elles l'ont été sur le travail et le capital ; mais aujourd'hui, alors que l'économie repose sur les services et la finance, ces secteurs sont « notoirement sous-fiscalisés ». Pourquoi ne pas étendre l'assiette de la taxe professionnelle aux activités financières ? Un prélèvement de 0,3 % sur les 2 620 milliards d'euros d'actifs financiers des entreprises non financières et les 2 050 milliards d'actifs des banques et institutions financières rapporterait quatorze milliards ! De surcroît, dans la mesure où ces actifs ne sont pas attachés à un site, contrairement aux immobilisations des entreprises, cet impôt pourrait alimenter la dotation nationale de péréquation, et donc profiter aux collectivités qui en ont le plus besoin.

On voit bien combien la fiscalité locale est aujourd'hui imparfaite ! Les contribuables paient d'autant plus qu'ils sont pauvres, et les entreprises d'autant plus qu'elles investissent et refusent le chantage de leurs actionnaires. A cela s'ajoute l'arbitraire total des taux d'imposition selon les communes, les départements et les régions, conséquence inévitable de la concentration des bases de ces impôts sur le territoire de certaines collectivités. Or qu'avez-vous trouvé pour réformer cette fiscalité ? Vous avez commencé par ne rien faire.

M. le Rapporteur - Vous aviez donné l'exemple !

M. André Chassaigne - Puis vous avez ergoté sur un adjectif : la part des ressources propres devait-elle être « déterminante » ou « prépondérante » ?

Enfin, vous transférez aux collectivités locales l'impôt le plus dégressif et le plus injuste, la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Je ne suis pas sûr qu'on renforce ainsi la légitimité de ces collectivités, ni qu'on améliore l'opinion qu'en ont nos concitoyens.

Mais la question de la fiscalité locale n'est pas votre seule omission. Toute la structure interne des dotations de l'Etat doit être repensée. En effet, ce système a été construit indépendamment de la fiscalité locale, si bien qu'il ne peut en corriger les dysfonctionnements.

M. le Rapporteur - C'est le procès du précédent gouvernement !

M. André Chassaigne - Compte tenu des inégalités de richesse entre collectivités territoriales, comment accepter que 90 % de la DGF des communes soient attribués au titre de la dotation forfaitaire ? Comment justifier que les dotations de compensation ne représentent qu'une part infime de budget communal ?

Je prendrai pour exemple ma petite commune du Puy-de-Dôme, Saint-Amant-Roche-Savine, 530 habitants. Son budget de fonctionnement s'élève à 583 000 €. Cette commune, comme la plupart des communes rurales, n'est pas très riche. Son potentiel fiscal par habitant ne représente que 60 % de la moyenne dans les communes de même dimension. S'agissant de la taxe professionnelle, le potentiel fiscal n'est que de 24 % de la strate.

Il serait donc normal que cette commune bénéficie des mécanismes de péréquation. Or, les crédits reçus à ce titre ne représentent qu'un cinquième de la DGF !

La péréquation est tout sauf une réalité. Chaque année, on nous promet une forte hausse des dotations de solidarité. Lors du débat sur le projet relatif aux territoires ruraux, M. Devedjian nous avait promis une hausse de 43,99 % des dotations de péréquation pour la nouvelle DGF régionale. Mais l'augmentation ne sera que de 24,8 %, soit un gain infime compte tenu de la faiblesse des dotations régionales.

Sans doute m'opposerez-vous les décisions prises par le comité des finances locales. Les élus qui le composent se sont accordés pour préférer une croissance des dotations forfaitaires, pérennisant ainsi le caractère inégalitaire de notre fiscalité locale. Je tiens cependant à saluer notre collègue Bonrepaux, qui a défendu la position inverse.

M. le Rapporteur - Contre Charasse !

M. André Chassaigne - Contre une personne que je connais bien, en effet.

Loin de réduire les inégalités, les dotations de l'Etat tendent à les renforcer. Cette question n'est pas seulement budgétaire : elle est éminemment politique, la libre administration des communes étant entravée par les contraintes financières. L'égalité des chances entre les collectivités n'est pas garantie.

Par cet exposé, je tenais à mettre en évidence les contradictions de notre fiscalité locale, mais aussi à montrer que nous nous égarons dans de faux débats. Je tenais à signaler les problèmes que ce projet aurait dû s'attacher à résoudre.

Dans une vision réductrice du débat, vous avez limité le débat aux relations financières entre l'Etat et les collectivités locales. Après avoir posé comme principe que la libre administration est garantie par une certaine part de ressources propres, vous affirmez, comme un acte de foi, que tout transfert de compétence s'accompagne mécaniquement de l'attribution des ressources correspondantes. Ainsi, vous avez fait de ces questions techniques le problème central des finances locales, oubliant la péréquation et les aspirations des citoyens.

Comment imaginer que ce soit la seule part relative des impôts locaux dans les ressources qui définissent le degré de libre administration ? En Espagne, 59 % des recettes des collectivités locales proviennent de l'Etat. En Allemagne, cette part est de 55 %. Prétendez-vous que les collectivités locales, dans ces deux pays, ne s'administrent pas librement ?

Voter l'impôt est une prérogative fondamentale de tout pouvoir politique responsable. Mais ce n'est pas une condition exclusive de la libre administration. Celle-ci suppose avant tout que les collectivités locales aient la maîtrise de leurs dépenses et des politiques à mener.

C'est pourquoi la multiplication des transferts de compétences n'est pas faite pour renforcer l'autonomie financière des collectivités territoriales. Nous trouvons même scandaleux qu'on nous fasse disserter sur cette prétendue autonomie que votre projet va encore compromettre.

Poser la question de l'autonomie financière des collectivités territoriales revient aussi à s'interroger sur les garanties de progression des dotations versées par l'Etat. Pourquoi n'évoquez-vous pas la question ? Peut-être parce que les élus locaux ont de biens mauvais souvenirs du pacte de stabilité financière, imposé par votre majorité à l'époque d'Alain Juppé... Quelles garanties pouvez-vous donner aux élus locaux, sur un prolongement à moyen terme du « contrat de croissance et de solidarité » des dotations sous enveloppes attribuées par l'Etat aux collectivités territoriales ? Ce contrat de croissance avait été conclu pour les années 1999, 2000 et 2001. Il est prolongé depuis 2002, assurant depuis une croissance des dotations sous enveloppes équivalant à l'évolution des prix et à un tiers de la croissance du PIB. Aujourd'hui, les élus restent dans l'incertitude, attendant chaque année l'engagement de l'Etat. Ils sont d'autant plus inquiets que leurs nouvelles charges, transférées abusivement par l'Etat, vont progresser à un rythme bien supérieur à celui des dotations.

Vous prétendez renforcer l'autonomie financière des collectivités territoriales en finançant les transferts de compétences que vous imposez par le transfert d'impôts nationaux, plutôt que par l'octroi de nouvelles dotations passives. Et voilà que les départements, et bientôt les régions, vont percevoir la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

Pourquoi cet impôt ? Il serait malhonnête, me diriez-vous, de penser que vous avez fait le choix de débarrasser l'Etat d'un impôt dont les bases sont particulièrement peu dynamiques, ce qui oblige les gouvernements à en augmenter régulièrement les taux pour en relever le produit. La TIPP est un véritable boulet. C'est bien la raison de son transfert. Une étude de DEXIA montre que le rythme annuel moyen de progression des différentes composantes de la TIPP - depuis 1993 - n'est que de 1 % par an, soit un rythme nettement inférieur à celui des postes de dépense que vous transférez. Il s'agit en outre d'une ressource que les collectivités locales ne maîtrisent en rien.

Surtout que les modalités du transfert du RMI auront été pour le moins problématiques. Je peux vous donner un exemple, qui n'est sûrement pas isolé. Dans l'Hérault, 30 fonctionnaires d'Etat travaillaient à l'instruction des dossiers du RMI : quinze seulement ont été transférés et compensés par l'Etat ; le conseil général sera donc dans l'obligation de supporter la charge des quinze autres postes.

On pourrait aussi parler des TOS. Notre rapporteur, qui a été proviseur, sait aussi bien que moi, qui étais principal de collège, que les postes à créer pour faire face aux besoins seront nombreux et que le transfert se fera sur une base fortement dégradée par les très nombreuses suppressions de postes auxquelles a procédé ce Gouvernement depuis deux ans. Croit-on vraiment qu'une augmentation moyenne de 1 % par an de la TIPP suffira pour couvrir des dépenses aussi dynamiques ? Ou bien tout cela cache-t-il la volonté de privatiser certains services dans les collèges et lycées ? Nous avions déposé un amendement visant à bloquer toute privatisation de ce type. La majorité l'a repoussé. Le Gouvernement peut-il donc aujourd'hui nous assurer qu'il ne privatisera pas les services de nettoyage ou de restauration des établissements scolaires ?

M. Jean-Pierre Grand - En quoi cela serait-il gênant ?

M. André Chassaigne - Quel aveu ! On voit bien ce qui se profile ! Les députés de la majorité sont les bons soldats de l'Accord général sur le commerce et les services (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Conseil constitutionnel, pourtant si bien disposé à votre égard, a considéré que l'Etat devrait compenser les baisses éventuelles du produit des impôts nationaux qu'il transfère aux collectivités territoriales, considérant par-là même qu'un impôt transféré, comme la TIPP, n'était pas une ressource propre des collectivités territoriales.

Dans cinq ans, il sera évident pour tous les décideurs locaux que ce transfert n'aura rien été d'autre qu'un recul de leur libre administration, puisque le produit de la TIPP sera alors nettement insuffisant pour compenser les nouveaux postes de dépense. Seule une hausse brutale des impôts locaux - ou une privatisation de nombreux services - permettra alors d'équilibrer les budgets locaux.

En outre, chacun sait ici que le produit de la TIPP étant très mal réparti sur le territoire, le transfert de cet impôt aux collectivités territoriales aiguisera encore davantage les inégalités territoriales.

Votre analyse des finances locales paraît donc pour le moins biaisée. A tel point que j'ai la désagréable impression que les principes que vous souhaitez nous faire voter aujourd'hui n'ont surtout pas vocation à être appliqués. Et que la croissance des ressources propres au sein des ressources des collectivités territoriales vise surtout à dissimuler une forte atteinte à leur autonomie financière.

Ce texte ne fait que donner l'illusion de parler de finances locales, il en a la couleur sans en avoir la saveur, l'appellation sans la teneur. Vous mettez en _uvre la politique « Canada Dry ». Vous mettez l'accent sur les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales pour éviter d'aborder des questions plus fondamentales et de prendre en compte les préoccupations de nos citoyens. Vous faites comme si la fiscalité locale, la péréquation financière ou la libre administration n'étaient que des questions secondaires.

Votre conception de l'autonomie financière est particulièrement injuste, parce qu'elle interdit tout renforcement de la solidarité financière entre les collectivités, et parce que seuls les impôts, dont les bases sont particulièrement concentrées sur une minorité de communes, devront constituer l'élément décisif des budgets des collectivités territoriales. Les inégalités territoriales et le « chacun pour soi » en seront hélas renforcés. Nous ne voulons pas de cette institutionnalisation de l'individualisme néolibéral dans l'administration des collectivités territoriales. Et nous considérons que ce texte ne répond pas à l'obligation qui se fait de plus en plus pressante depuis des décennies : repenser les finances locales.

Permettez-moi de citer pour conclure ce qu'écrivait Camille Vallin à propos des impôts locaux : « Nos quatre vieilles s'apprêtent à entrer dans leur troisième centenaire, non pas allègrement, certes, car les opérations en tous genres qu'elles ont subies, les emplâtres successifs qu'elles ont reçus, les cures de rajeunissement qu'on a tentées pour les rendre présentables, n'ont rien réglé. Il n'est plus personne pour soutenir qu'elles n'ont pas fait leur temps. Elles ne survivent que parce qu'on prétend ne pas savoir par quoi les remplacer ». Il ajoutait : « Lorsque la fiscalité locale ne représentait qu'une part modeste des ressources communales, l'injustice de nos vieux impôts était supportable. Quand cette part atteint la moitié de ces ressources, elle ne l'est plus ». Et il en appelait à une réforme comportant deux volets inséparables : une redistribution des ressources fiscales nationales au profit des collectivités territoriales, une modernisation et une démocratisation de la fiscalité. On ne trouve pas cela dans le présent texte. C'est pourquoi nous ne voulons pas de cette loi organique, et nous vous invitons à voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur - En somme, vous invitez l'Assemblée à voter votre question préalable parce que vous estimez qu'il aurait fallu repenser l'ensemble des finances locales plutôt que de nous limiter à une seule question, en l'occurrence assez complexe et ô combien importante. Il nous fallait pourtant bien nous conformer à la Constitution, qui renvoie à une loi organique le soin de fixer les conditions dans lesquelles doit être mise en _uvre la règle qui veut que les recettes fiscales et autres ressources propres des collectivités territoriales représentent pour chaque catégorie de collectivité une part déterminante de l'ensemble de ses ressources.

L'heure n'est plus aux colloques mais à la décision après débat démocratique. Nous aurions certes pu tous nous répandre en d'abondantes considérations théoriques. Nous avons considéré qu'il fallait au contraire trancher et nous suivons pour cela un calendrier méthodique : d'abord le texte sur les transferts de compétences, puis le présent projet de loi organique, après quoi nous verrons la suite du volet financier, ce qui nous permettra de parler de péréquation, de la TIPP, de la taxe sur les conventions d'assurance, de l'avenir de la taxe professionnelle... J'évoquerai d'ailleurs demain les pistes sur lesquelles nous travaillons et sur lesquelles nous sollicitons le point de vue de cette assemblée.

Pour débattre, encore faut-il que la discussion se poursuive, et donc que la question préalable ne soit pas votée. C'est à quoi j'appelle vivement l'Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - Nous venons d'assister à un exploit remarquable : pendant cinquante minutes, un élu communiste a réussi à discourir sans citer le Medef. Je salue cette performance !

M. Jean-Pierre Brard - Vous voulez faire exclure André Chassaigne ?

M. le Rapporteur - En revanche, André Chassaigne a donné du propos du président de la commission des finances une interprétation inexacte. Je vais confronter les déclarations.

M. Jean-Pierre Brard - C'est de la littérature comparée !

M. le Rapporteur - C'est le rétablissement de la vérité ! Le président Méhaignerie a déclaré : « Puisque la loi organique garantira que, pour toutes les compétences nouvelles transférées, les collectivités recevront l'intégralité des moyens leur permettant de les assurer de façon pérenne, les augmentations de fiscalité qui pourraient être opérées par les collectivités le seraient au titre des promesses électorales qu'elles auraient faites dans le cadre de compétences non obligatoires ». Monsieur Chassaigne, vous avez travesti ces propos en disant que, puisque la Constitution posait un verrou sur les transferts de charges et les moyens correspondants, les collectivités territoriales seraient privées de ce que vous appelez leur libre administration, à savoir le libre choix d'agir en dehors des compétences transférées. J'insiste sur ce qu'a dit Pierre Méhaignerie, et que la majorité prend à son compte : si demain des collectivités augmentent leur fiscalité, ce ne sera pas au titre de transferts de compétences, mais de politiques volontaristes que vous financerez par le recours à l'impôt en nous faisant supporter la responsabilité de vos choix.

M. Augustin Bonrepaux - C'est faux !

M. le Rapporteur - Ce n'est pas acceptable !

André Chassaigne a évoqué un « terme mineur » d'un article de la Constitution. Il n'y a pas dans la loi fondamentale de terme mineur, surtout s'agissant d'un alinéa de l'article 72-2 qui précise les conditions dans lesquelles les ressources fiscales gérées par les collectivités locales peuvent leur être transmises avec possibilité d'en fixer le taux. C'est sur ce point que la discussion s'engagera à l'article 2.

M. Didier Migaud - Elle est déjà engagée.

M. le Rapporteur - C'est vrai, et ce point n'est pas du tout mineur ! Grâce à la réforme constitutionnelle et à la loi organique, enfin, le Conseil constitutionnel disposera de l'outil lui permettant de contrôler la réalité de la politique du Gouvernement en matière de transferts de charges et de moyens. Notre pays est considéré par le Congrès européen des pouvoirs locaux et régionaux comme étant plutôt en bonne position pour les capacités financières, mais comme vulnérable en raison de l'obsolescence de ses ressources et de ses taxes locales. Or, jamais, durant les cinq années où vous avez été associés au Gouvernement, vous n'avez entrepris de réforme dans ce domaine. Bien plus, quand l'opposition d'alors a demandé d'engager une déliaison des taux, le gouvernement de Lionel Jospin s'y est toujours refusé. Ce n'est qu'avec la loi de finances pour 2003 que s'est opéré un début de déliaison, permettant aux collectivités de progresser dans la voie d'une libre administration.

Votre tentative de travestir la décentralisation en l'assimilant à une privatisation ne pourra plus durer longtemps. Je suis le maire de droite d'une commune dont la restauration municipale est en régie : la municipalité voisine, qui est de gauche, a concédé sa restauration au privé. Balayez donc devant votre porte !

M. Jean-Pierre Brard - Et vos salades, elles sont privées ?

M. Michel Bouvard - Tout comme l'exception d'irrecevabilité, la question préalable a été dévoyée. Loin de démontrer qu'il n'y avait pas lieu de délibérer, André Chassaigne a réclamé en fait un supplément de délibération. Il a développé des observations très critiques à l'égard des gouvernements précédents, et soulevé des questions importantes, par exemple la faiblesse structurelle des mécanismes de péréquation, l'abandon de la révision des bases, l'ancrage local de la taxe professionnelle ; autant de sujets sur lesquels il nous faudra revenir, mais qui n'ont pas leur place dans le projet de loi organique. Je regrette que nous ayons passé beaucoup de temps à parler de questions hors sujet. C'est une première raison pour appeler à rejeter la question préalable.

La seconde est qu'il est impossible de souscrire aux orientations qu'André Chassaigne nous a proposées, même si nous avons échappé à la référence traditionnelle au Medef. Et quand il a évoqué la déliaison des taux, je me demande si ce n'est pas un peu sous l'influence du Medef que la majorité de l'époque l'a refusée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. René Dosière - André Chassaigne a soulevé des questions qu'il eût été préférable d'aborder plus tôt que le texte du Gouvernement, en particulier la compensation des transferts de compétences. Notre inquiétude se nourrit de notre expérience. Les insuffisances relevées par le rapporteur pour les établissements scolaires s'appliquent parfaitement aux TOS, qui vont être transférés en nombre insuffisant, qui ont été remplacés par des personnels payés moins cher. A lire la Constitution, l'Etat versera aux collectivités le montant des sommes qu'il verse à la date du transfert pour les salaires des TOS, comme en 1986 il a versé aux régions et aux départements les sommes qu'il consacrait à la construction des lycées et des collèges. Et c'est parce que nous nous somme aperçus que ces sommes étaient insuffisantes que nous mettions en garde. Or, non seulement vous avez repris la même formule, mais vous l'avez constitutionnalisée. Aussi, lorsqu'on s'apercevra que les moyens manquent, il faudra modifier la Constitution pour corriger le tir.

Notre inquiétude est d'autant plus vive que je n'ai pas trouvé un seul expert capable d'établir que la fiscalité partagée est une fiscalité locale.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Et les droits de mutation ?

M. René Dosière - Les droits de mutation, les collectivités avaient le pouvoir de les modifier ! Il ne s'agissait donc pas de ce type de fiscalité.

Nous sommes très inquiets sur le niveau de la compensation. Prenons l'exemple d'une collectivité qui mène une politique dynamique, comme Montreuil par exemple.

M. Jean-Pierre Brard - Excellent exemple ! (Sourires)

M. René Dosière - Ses efforts se traduisent par des constructions de logements, qui engendrent des recettes de taxe d'habitation supplémentaire, ou par l'implantation d'entreprises, qui acquittent la taxe professionnelle. La collectivité a donc un retour sur investissement. Mais que retirera la collectivité la plus dynamique qui soit du partage de la TIPP ?

M. le Président - Monsieur Dosière, il faut conclure.

M. René Dosière - S'agissant de la révision des valeurs locatives, Monsieur Bouvard, je vous rappelle que le rapport sur les évolutions de la réforme est paru en novembre 1992, alors que la session parlementaire se terminait en décembre. En mars 1993, c'était une nouvelle assemblée qui se réunissait, qui avait tout le temps de mettre ce texte en application et qui ne l'a pas fait (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez pu noter que M. de Villepin n'est pas là...

M. le Rapporteur général - Il était là tout à l'heure !

M. Jean-Pierre Brard - Mais il est parti, parce qu'il sait qu'on ne peut être brillant que sur un bon dossier.

M. le Ministre délégué - Encore une amabilité !

M. Jean-Pierre Brard - On a entendu le ministre et le rapporteur égrener les sophismes. Le Gouvernement, par exemple, aurait pensé que l'heure n'était plus aux colloques et qu'il fallait trancher. Mais il faudrait vous accorder entre vous, pour cela ! La cacophonie règne au sein du Gouvernement. Un colloque ne serait pas de trop pour aligner vos points de vue !

Vous nous avez annoncé un volet financier. Nous savons que vous êtes facétieux et que vous essayez toujours de nous entraîner d'une chausse-trape à une autre, en nous promettant toujours qu'il n'y en a plus après ! Mais l'expérience nous enseigne qu'avec vous, on n'atteint jamais le fond... Vous nous avez promis que nous parlerions de la taxe professionnelle. Parlons-en ! Le Président de la République a annoncé qu'elle serait supprimée, puis d'autres membres du Gouvernement ont dit qu'il n'en était pas question. Si vous la supprimiez en effet, il faudrait la compenser, et où iriez-vous chercher l'argent, puisque vous avez vidé les caisses de l'Etat ?

M. le Ministre délégué - Cela vous va bien !

M. le Rapporteur - Quel culot !

M. Jean-Pierre Brard - Et dire que je vous croyais aussi lettré que M. Piron, qui fait régulièrement référence à Marguerite Yourcenar...

Vous nous promettez donc des discussions, alors que sur de tels sujets, il faut avoir une vision globale pour décliner ensuite les lois ! Quant au rapporteur, il a fort injustement reproché à André Chassaigne d'avoir qualifié certains termes de la Constitution de « mineurs ». Quel blasphème, contre ce texte sacré - qui l'est si peu que le Président de la République éprouve le besoin, sauf lorsqu'il change d'avis au dernier moment, de nous envoyer à Versailles pour le réformer ! L'avis d'André Chassaigne semble assez fondé... Enfin, vous avez osé lui dire qu'il travestissait la réalité, en lui opposant votre cuisine municipale. Restons-en aux affaires essentielles !

Vous dites, Monsieur le rapporteur, que j'ai du culot. Ne voyez pas les autres à votre image ! Qui donc a décidé la liaison des taux : un gouvernement de gauche ou de droite ? M. Lambert avait fait un petit geste, dicté par son expérience de maire. Bien qu'étant de droite, ce n'était pas un si mauvais ministre que cela ! Malgré la pression du Medef, il avait donc commencé la déliaison. Il a été renvoyé !

Entre les promesses du ministre et le travestissement de l'histoire de M. Geoffroy, il faut tout remettre à plat et la question préalable brillamment défendue par André Chassaigne est donc légitime (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Charles de Courson - Notre collègue n'a apporté aucun élément. Il a même alimenté le vote contre sa motion : le Conseil constitutionnel nous demande de légiférer depuis plusieurs années ! Il ne va pas, une nouvelle fois, définir à notre place le seuil d'autonomie des collectivités locales ! Le groupe UDF votera donc contre cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Encore une génuflexion devant l'UMP !

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Pierre Brard - Le texte censé assurer l'autonomie financière des collectivités territoriales est présenté par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et par le ministre délégué à l'intérieur, mais sur eux plane l'ombre envahissante de Bercy, qui ne s'est jamais illustré comme un défenseur acharné de l'autonomie des collectivités locales. Etant donné la situation des finances de l'Etat, la tentation est évidemment très forte de mettre en place une compensation financière a minima ! Il y a d'ailleurs des précédents, Monsieur le rapporteur : lorsque les lycées et collèges ont été transférés, c'était en l'état ! Et rappelez-vous l'ardoise qui s'en est suivi...

M. le Rapporteur - Vous m'auriez entendu le dire si vous aviez été là tout à l'heure !

M. Jean-Pierre Brard - Au lieu d'une ambitieuse réforme de la fiscalité directe locale, rendue plus urgente encore par la disparition programmée de la taxe professionnelle et qui devrait notamment ôter aux impôts pesant sur les ménages leur caractère injuste, archaïque et anti-redistributif, nous avons affaire à une loi organique dont le champ est très limité. Il ne s'agit que de préciser le troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, issu de la réforme de mars 2003 : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en _uvre ». Le texte qui nous est soumis a donc pour objet de définir chacun des paramètres de l'autonomie financière, c'est-à-dire les notions de catégorie de collectivités territoriales, de ressources propres, d'ensemble des ressources et de part déterminante. En revanche, rien ne concerne le cinquième alinéa de l'article 72-2, qui dispose que les dispositifs de péréquation sont prévus par des lois ordinaires.

On ne peut que regretter que cette dimension fondamentale de la péréquation ne soit pas traitée en même temps que l'autonomie financière, dont elle est pourtant le corollaire. Nous proposerons donc par amendement de définir la notion et l'ampleur de la péréquation, même si nous ne nous faisons aucune illusion sur le sort qui leur sera fait. Le projet de loi organique non seulement ne traite pas des critères et des mécanismes de la péréquation, mais il aboutit à ce que les transferts réalisés au titre de la péréquation entrent dans le calcul de l'autonomie financière d'une catégorie de collectivités !

Que l'objet de ce court texte soit strictement circonscrit ne doit pas conduire à le prendre à la légère. Ses implications sont en effet déterminantes. La question, techniquement complexe, est très lourde de conséquences sur la vie quotidienne de nos concitoyens. Le Gouvernement nous assure de la pureté de ses intentions, ce qui en soi est suspect ! Et en examinant le dispositif, on est en droit d'être inquiet. Ainsi, lorsqu'il s'agit de définir les ressources propres, l'article 2 vise tout à la fois les impositions de toutes natures, les redevances pour services rendus, les produits du domaine, les participations d'urbanisme, les produits financiers et enfin les dons et legs. Les termes « impositions de toutes natures » semblent devoir recouvrir des réalités très différentes, qui ne sauraient raisonnablement être rangées dans une même catégorie. D'un côté il y a le produit des impôts locaux ; de l'autre il y a le transfert de tout ou partie d'un ou plusieurs impôts nationaux. Selon le Gouvernement, ces deux réalités peuvent être regroupées dans une même catégorie, celle des impositions de toute nature, et partant elles relèvent de la notion de ressources propres. L'emploi distinct des deux concepts dans la Constitution ne serait donc qu'une coquetterie stylistique, sans portée juridique... Voilà qui fait injure à la Constitution, et n'est pas du tout convaincant. Cela peut conduire à des dérives préjudiciables pour la situation budgétaire des collectivités territoriales.

On ne saurait comparer le produit d'impôts locaux dont les organes des collectivités peuvent fixer le taux et modifier l'assiette, et le transfert d'un impôt national dont l'Etat seul définit les caractéristiques. Le Gouvernement met sur le même plan la part de la TIPP transférée aux départements pour compenser la décentralisation du RMI et la création du RMA, et le produit de la taxe d'habitation ou de la taxe foncière : tout cela est considéré comme des ressources propres. Ne faut-il pas plutôt penser que seuls les produits des impôts dont l'assemblée délibérante d'une collectivité -- qui tire sa légitimité du suffrage universel - peut fixer le taux ou le barème et déterminer ou moduler l'assiette, méritent d'être qualifiés de « ressources propres », dans la logique de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme ? J'en rappelle le texte : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Je suis curieux de voir comment vous allez justifier le transfert de la TIPP à la lumière de ce texte, fondamental et intangible - contrairement à la Constitution de la Ve République, que l'on révise régulièrement...

Le transfert d'une part de TIPP aux départements, sans que ces derniers puissent faire évoluer les taux en fonction des besoins en matière d'aide sociale, revient à créer une nouvelle forme de dotation qui n'a rien à voir avec une « ressource propre ». L'autonomie des collectivités ne se trouve-t-elle pas fragilisée lorsqu'elles perçoivent des subsides étatiques, qui sont en outre généralement inadaptés aux besoins, car insuffisamment évolutifs ?

Le rapport de la commission des finances sur le projet relatif aux responsabilités locales, établi par le secrétaire d'Etat Laurent Hénart lorsqu'il était encore député, ne laisse pas de place au doute et permet de comprendre pourquoi la fiscalité locale connaît une hausse constante depuis vingt ans. Je vous invite à le relire de près, car, à bien des égards, il a valeur de mise en garde contre les prétendues garanties d'autonomie qu'apporte le présent texte. J'en cite la page 11 : « Entre 1987 et 1996, la part des dépenses liées à l'exercice des compétences transférées dans les dépenses totales des collectivités territoriales est passée de 13,5 % à 17,8 % tandis que la part des ressources transférées dans les ressources totales des collectivités a diminué de 9,5 % à 8,3 %. De même, le ratio rapportant le coût des compétences transférées au montant des ressources transférées a diminué, pour les départements, de 1,26 en 1989 à 0,89 en 1996, et pour les régions de 0,96 à 0,66 sur la même période ». On voit ainsi clairement que les compensations fiscales et les subventions étatiques, qui ne diffèrent souvent que de nom, peuvent ne pas évoluer au même rythme que les dépenses. Pour nous convaincre de votre bonne foi, Monsieur le ministre, il vous faudra démonter les preuves fournies par notre ancien collègue...

Affirmer que l'autonomie financière des collectivités est garantie par une part prépondérante de ressources propres alors que, dans le même temps, l'essentiel de ces dernières peut prendre une forme qui les apparente à des subventions étatiques, c'est une supercherie. Au regard du principe, proclamé par l'article 3 du projet, selon lequel l'autonomie financière de chaque catégorie de collectivités territoriales s'apprécie en comparant le montant de ses ressources propres à celui de l'ensemble de ses ressources, il y a de quoi être inquiet. Parce qu'il assimile à des ressources propres des recettes qui ne peuvent à l'évidence être considérées comme telles, ce texte n'apporte aucune garantie digne de ce nom aux collectivités. Rien ne nous assure que demain, l'évolution des compensations financières suivra celle des dépenses liées aux transferts de charges, et donc rien ne garantit que l'autonomie des collectivités sera préservée.

Pour éviter tout malentendu, je dois affirmer ici une position de principe. Supposons, même si l'on n'en prend pas le chemin, que l'essentiel des transferts de compétences doive être compensé par la transformation d'impôts nationaux en impôts locaux : cela même ne serait pas acceptable dans n'importe quelles conditions. Imaginons par exemple que la TIPP soit désormais perçue par les départements et les régions. Ces collectivités devraient logiquement se voir confier le soin d'en fixer le taux, si Bruxelles y consentait. Mais cela pourrait engendrer de profondes disparités du prix des produits pétroliers d'une région à l'autre, puisque les taux de la TIPP pourraient varier fortement : qu'on se rappelle la vignette. Une telle évolution ouvrirait la voie au dumping fiscal à grande échelle, tout en créant des incertitudes sur la localisation de nombre d'activités économiques.

A cette analyse on objectera que l'autonomie financière des collectivités est assurée de manière solennelle et intangible, puisque le principe s'en trouve inscrit dans la Constitution. Un gouvernement, nous dira-t-on, ne saurait aller contre la volonté du constituant sans risquer d'être sanctionné. Le raisonnement est formellement convaincant. Mais répond-il à la réalité ? Un interdit constitutionnel est-il aussi dissuasif que le prétend le Gouvernement ? Ce serait naïveté, vraie ou feinte, que de le soutenir. En effet, pour qu'il y ait censure du Conseil constitutionnel, il faut d'abord que celui-ci soit saisi.

M. le Rapporteur - On compte sur vous !

M. Jean-Pierre Brard - Encore faut-il avoir assez de députés.

M. le Rapporteur - Il y a vos amis socialistes.

M. Jean-Pierre Brard - Je ne peux décider à la place du groupe socialiste - pas même au nom du groupe communiste, auquel je ne suis qu'apparenté... (Sourires) Mais surtout l'histoire dément l'idée selon laquelle la Constitution serait systématiquement et universellement respectée. Ainsi le droit au travail et le droit au logement font partie du bloc de constitutionnalité : pourtant, hélas, ils ne sont pas mis en _uvre concrètement dans notre société. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, montrant que l'on peut ignorer, durablement et en toute impunité, la lettre et plus encore l'esprit de la Constitution. Dans ce domaine, l'existence du Conseil constitutionnel ne saurait être à nos yeux une garantie suffisante.

Ce qui renforce ces constatations, c'est le fait que l'article 72-2 de la Constitution, qui est au c_ur de nos préoccupations, a déjà été malmené par deux textes législatifs : la loi portant décentralisation du RMI et création du RMA, et la loi de finances pour 2004. A cet égard, les rapports du sénateur Bernard Seillier et de notre collègue Christine Boutin se caractérisent par une honnêteté intellectuelle qu'il faut reconnaître, d'autant qu'elle est rare. Étudiant l'impact financier de ces textes pour les départements, les deux rapporteurs ont pointé les carences du dispositif de compensation imaginé par le Gouvernement. Ils ont montré que les transferts financiers étaient sciemment sous-évalués, la question de la péréquation dramatiquement occultée, et le principe d'expérimentation méconnu. Même si, lors de la première lecture au Sénat du projet de loi de finances pour 2004, le Gouvernement a dû revoir sa copie, et même si le Président de la République et le Gouvernement ont reculé, après les élections régionales, sur l'exclusion de centaines de milliers de chômeurs du bénéfice de l'ASS, on est encore loin du compte.

M. le Président - Il est temps de conclure.

M. Jean-Pierre Brard - En effet, la question des dépenses administratives liée à la gestion du RMI par les DDASS et les caisses sociales n'est pas réglée. Or elle n'est pas anodine : selon Nicole Prud'homme, présidente de la CNAF, ces dépenses, chiffrées à 193 millions d'euros par an, n'ont jamais été remboursées par l'Etat ; et il est à craindre que demain il en soit encore ainsi.

Je pourrais citer bien d'autres exemples mais, pour ne pas encourir les foudres de notre président, je vais aller tout droit à la fin de mon propos.

Ce texte ne comporte finalement qu'un seul point positif. Le premier alinéa de l'article 4 prévoit en effet qu'un rapport sur l'évolution de l'autonomie financière des collectivités locales sera transmis chaque année au Parlement, ce qui, sous certaines conditions, devrait permettre à celui-ci de mieux exercer son pouvoir de contrôle. Mais cette transmission, qui ne sera même pas suivie d'un débat, ne suffit pas à masquer les dangers et le manque de souffle de ce projet de loi organique. Le voter reviendrait à réduire les garanties d'autonomie financière, au détriment des élus locaux. Attachés à une véritable autonomie financière des collectivités, les députés du groupe communiste et républicain voteront donc contre (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Michel Bouvard - Ce projet de loi organique constitue une étape importante de l'acte II de la décentralisation, dans la mesure où il donne, de manière irréversible, la possibilité aux élus de gérer pleinement les collectivités dont ils ont la charge.

Le groupe UMP est particulièrement attaché à la réussite de l'acte II de la décentralisation. Nous pensons en effet que pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens et rendre la dépense publique plus efficace, il est indispensable que notre pays soit géré de manière plus décentralisée. Nous sommes également convaincus que les collectivités territoriales constituent les cellules vivantes de la démocratie, et que celle-ci a besoin d'élus responsables.

Les précédentes étapes de la décentralisation ont toujours abouti à une amélioration du service rendu aux citoyens, mais se sont aussi, hélas, toujours traduites par une hausse de la fiscalité locale sans que, parallèlement, la fiscalité nationale diminue. C'est parce que nous sommes conscients du risque que représente pour les collectivités, et donc pour la démocratie locale, la règle selon laquelle plus de décentralisation signifierait nécessairement plus d'impôt, que nous appuyons ce texte doublement vertueux. Il l'est en effet parce qu'en transférant aux collectivités une ressource fiscale, il évite à l'Etat la tentation de verser une dotation, dont le montant pourrait varier avec le budget et l'oblige à se réformer. Dès lors qu'une compétence aura été transférée, les structures qui n'auront plus lieu d'être disparaîtront. Vertueux, il l'est ensuite parce qu'il responsabilise les élus en liant clairement dépenses et imposition.

Sur ces points, chacun devrait, me semble-t-il, s'accorder. Je regrette donc les critiques sévères de nos collègues de l'opposition sur un texte qui représente une étape supplémentaire dans le long cheminement des collectivités vers l'autonomie financière, et une avancée incontestable pour tous ceux qui, comme moi depuis vingt-deux ans, gèrent une collectivité. Il est vrai que M. Laignel, nouveau secrétaire général de l'AMF et porte-parole du parti socialiste au sein de cette association, ne nous a jamais habitués à la modération de ses propos. Plus étonnants sont ceux de l'ancien Premier ministre, Laurent Fabius. J'aurais aimé que l'on s'attache dans ce débat à discuter des modalités des transferts de compétences et du socle de ressources à prendre en compte plutôt que d'en profiter pour remettre en question cette nouvelle étape de la décentralisation et intenter par anticipation un procès au sujet des moyens.

Pour avoir dit haut et fort certaines insuffisances du projet de loi relatif aux responsabilités locales et constaté les améliorations qui lui ont déjà été apportées et qu'il faudra conforter en deuxième lecture, je me réjouis, au nom de l'UMP, que le vote de cette loi organique confirme la volonté du Gouvernement de ne pas faire de la décentralisation une réforme à moindre coût pour l'Etat au détriment des collectivités.

Enfin, si je devais trouver une raison supplémentaire de voter ce texte, je l'ai trouvée lundi lors de la réunion organisée par la Commission européenne sur le thème de la cohésion territoriale où plusieurs élus italiens, de sensibilités politiques très différentes, m'ont dit tout leur intérêt pour une démarche qu'ils nous envient.

J'en viens maintenant au concept même d'autonomie financière. Comme tout élu local, je ne peux que constater la diminution des ressources propres des collectivités ces dernières années. L'article 29 de la loi de finances pour 1999 supprimait ainsi la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux, alors même qu'ils représentaient 10 % des recettes fiscales des régions, et réduit de façon arbitraire ces mêmes droits pour les départements. L'article 44 de cette même loi supprimait la part salariale de la taxe professionnelle dont le produit représente environ la moitié des recettes fiscales directes des collectivités. L'article 9 de la loi de finances pour 2000, pour sa part, unifiait les taux départementaux des droits de mutation, avant que le projet de loi de finances rectificative de la même année ne supprime, par son article 11, la part régionale de la taxe d'habitation, laquelle représentait 15 % des recettes fiscales totales des régions et 22 % du produit des quatre taxes.

M. le Rapporteur général - C'est éloquent !

M. Michel Bouvard - Enfin, les articles 6 et 24 de la loi de finances pour 2001 supprimaient l'essentiel de la vignette automobile parce qu'entre-temps, le prix du pétrole ayant augmenté, il fallait bien compenser cette augmentation pour l'automobiliste. C'est ainsi que l'archaïque redevance audiovisuelle fut sauvée et les départements privés d'une ultime ressource !

M. le Rapporteur général - Il était bon de le rappeler.

M. Michel Bouvard - Selon un rapport de l'Observatoire des finances locales paru en juin 2003, de 1997 à 2002, la part des recettes fiscales propres par rapport aux recettes totales est passée de 58,2 % à 54,7 % pour les communes, de 58,3 % à 52,2 % pour les départements et de 57,8 % à 36,5 % pour les régions. Il fallait donc avoir un sacré culot pour prétendre lors des dernières élections régionales que c'était la nouvelle vague de décentralisation qui allait mettre en péril les régions, et faire l'impasse sur ce qui s'était passé sous la précédent législature ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Les départements ont vu, sur la base des comptes administratifs, la part des dotations et compensations de l'Etat dans leurs recettes de fonctionnement passer de 20,6 % en 1997 à 22 % en 1998, 27,5 % en 1999, 34,9 % en 2000, 40 % en 2001 et 43,1 % en 2002. Dans mon propre département de la Savoie, j'ai fait le même constat, l'accroissement de la dépendance budgétaire vis-à-vis de l'Etat étant même encore plus marqué. Le bilan financier des départements et des régions que vient de nous adresser Dexia corrobore d'ailleurs ces données. Je vous invite à consulter les tableaux très parlants donnés en pages 16.

M. Jean-Pierre Balligand - Il est dommage que vous n'ayez pas consulté d'autres pages !

M. Michel Bouvard - S'agissant des départements, il convient de prendre en compte l'impact de la réforme de la CMU sur leur action sociale.

Certes, toutes ces évolutions ne sont pas le seul fait de la majorité en place de 1997 à 2002. Des mesures plus anciennes avaient déjà enclenché ce mouvement de dépendance : abattement pour charges de famille en matière de taxe d'habitation, abattement sur la taxe foncière, abattement général à la base de 16 %, réduction de la taxe professionnelle pour embauche-investissement. A l'initiative de la commune de Pantin, d'autres collectivités, dont la mienne, intentèrent d'ailleurs, avec succès, un recours contre l'Etat, et celui-ci fut en effet condamné à leur restituer ce qu'il leur avait carotté...

M. Augustin Bonrepaux - Carotté par qui ?

M. Michel Bouvard - Il fallait d'urgence stopper le processus, d'autant que les charges des départements s'étaient par ailleurs alourdies du fait des 35 heures, de la mise en place de l'APA et de la réforme des SDIS.

Avec ce projet de loi organique, le Gouvernement traduit son engagement de mettre en _uvre la réforme constitutionnelle sans attendre l'adoption du projet de loi relatif aux responsabilités locales, conformément à notre souhait.

La définition des ressources propres qui figure à l'article 2 répond aux attentes des élus comme à celles du Conseil constitutionnel que nous avions, à plusieurs reprises, saisi à l'occasion de lois de finances. Il était notamment utile de préciser la notion « d'impositions de toute nature. » Nous nous réjouissons donc de l'amendement déposé conjointement par le rapporteur et le rapporteur général, et espérons qu'il sera adopté.

Nous nous félicitons également que 2003 ait été prise pour référence pour fixer le ratio plancher d'autonomie financière des différentes catégories de collectivités, dans la mesure où elle a été l'année de la dernière étape de la réforme de la part salariale de la taxe professionnelle.

Si le groupe UMP approuve globalement ce texte, je souhaite néanmoins évoquer deux sujets qui devront être pris en considération, notamment dans le cadre des travaux du comité des finances locales et lors de l'examen de la loi de finances pour 2005.

La fiscalité locale est complexe pour les contribuables, mais aussi pour les élus eux-mêmes. Il faudra impérativement la simplifier afin que le citoyen puisse savoir quelle collectivité vote et perçoit quelle taxe. Une forme de spécialisation de l'impôt en découlera nécessairement.

Enfin, il conviendra de revoir les critères de la péréquation. Celle-ci ne peut s'effectuer sur le seul critère du potentiel fiscal par habitant. Si les charges des collectivités sont bien évidemment fonction de la composition sociale de leur population, généralement prise en compte, elles sont également, pour l'exercice de certaines compétences, fonction de la géographie. Pour une péréquation équitable, il est indispensable de prendre en compte les deux aspects. J'ai déjà eu l'occasion de rappeler le très grand écart dans les dépenses de voirie entre un département comme la Savoie et un département comme la Loire-Atlantique. Le premier se voit transférer sur les routes nationales 140 000 m² de murs de soutènement contre seulement 400 m² au second. Ignorer ces réalités, comme c'est aujourd'hui le cas, aboutit à de criantes injustices. Il conviendra de même qu'outre le potentiel fiscal par habitant, le revenu moyen par habitant soit retenu comme critère. Il serait en effet profondément anormal que l'évolution du prélèvement au bénéfice de la DFM des départements aboutisse à augmenter la fiscalité pour des populations dont le revenu moyen serait inférieur à la moyenne nationale.

On n'apporte aucune garantie si on cause des injustices au sein d'une même catégorie de collectivité. Les critères retenus par la précédente majorité pour la répartition du Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie - critères sur lesquels M. Falco n'est malheureusement pas revenu - montrent les aberrations du système. Les écarts sont sidérants compte tenu des revenus moyens par département.

De même devront être appréciées les charges liées à l'accueil de population temporaire, dans le cadre du débat sur les effets pervers de la cristallisation de la dotation touristique décidée en 1994.

Monsieur le ministre, pour le groupe UMP ce texte marque donc un incontestable progrès vers l'autonomie financière des collectivités locales, grâce en particulier aux précisions apportées par nos commissions, mais il ne constitue pas un aboutissement. Il appartiendra en effet au Parlement pendant l'examen des lois de finances, de garantir l'autonomie à partir des travaux du Comité des finances locales, qui est l'indispensable lieu de concertation avec les représentants élus des collectivités, mais qui ne saurait se substituer à la représentation nationale.

Le groupe UMP approuve ce texte et remercie par avance le Gouvernement d'accepter les amendements des commissions, qui amélioreront fortement le dispositif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Balligand - Je commenterai ce projet de manière modérée, comme je l'ai fait à propos du texte sur les transferts de compétences et comme j'ai l'habitude de débattre, au sein de l'Institut de la décentralisation, avec Adrien Zeller, Gilles Carrez et Pierre Méhaignerie.

Mais je suis obligé de vous dire, Monsieur le ministre délégué - et je ne parle pas seulement au nom du groupe socialiste - que les élus sont inquiets. Vous pouvez faire les plus beaux discours, que cela n'y changera rien. Voyez la déclaration commune des associations d'élus.

On peut toujours intenter des procès. M. le rapporteur invoque « la vérité »... Je sais ce que cela signifie, moi qui représente le département où fut élu Saint-Just et où naquit Fouquier-Tinville.

M. Charles de Courson - Tristes références !

M. Jean-Pierre Balligand - Mais le Premier ministre qui a inventé l'abattement forfaitaire de 16 %, n'est-ce pas Alain Juppé ? Ce n'est pas très vieux, cela...

Je suis de ceux qui ont voté les lois de décentralisation de 1982 et de 1983, et j'en suis fier. Avec Auguste Bonrepaux, j'ai été élu en 1981. J'étais de ceux qui préparaient ces textes aux côtés de Pierre Mauroy. Mais il faut le dire, nous avancions à tâtons.

J'ai présidé depuis un conseil général. Je ne suis pas sûr que la décentralisation qui se prépare soit identique à celle que j'ai connue. En effet, l'investissement et le fonctionnement, ce n'est pas la même chose. Gérer des charges et des salaires, ce n'est pas construire des collèges et des lycées. Quand on investit, on peut étaler l'effort dans le temps. En revanche, c'est chaque mois qu'il faut payer les charges et les salaires. Les conseils généraux savent gérer du personnel, mais ce n'est pas le cas des régions, qui vont devoir créer des services à cet effet. Il y aura des coûts fixes. Leur montant a-t-il été calculé ? En dépit de ses annonces solennelles au lendemain de la déroute de la droite aux élections cantonales et régionales, en dépit des déclarations de son nouveau ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Raffarin a finalement décidé de reprendre sans aucun changement son arsenal législatif censé former l'acte II de la décentralisation.

Malgré nos 64 heures de débat en février, malgré la réponse particulièrement violente que la France des régions et des cantons lui a adressée les 21 et 28 mars 2004, le Gouvernement persiste donc dans sa volonté de réduire cette grande idée de la décentralisation au démantèlement de l'Etat, à l'étouffement des finances locales et à la rupture de l'égalité entre les citoyens.

M. le Ministre délégué - Pourvu que Pierre Mauroy ne vous entende pas !

M. Jean-Pierre Balligand - Ne vous inquiétez pas.

Les députés socialistes, eux non plus, n'ont pas modifié leur position. Ce que nous vous disions hier à propos du projet sur les responsabilités locales, quand la gauche présidait huit régions métropolitaines et quarante et un départements, nous vous le redisons aujourd'hui, avec la même force, alors que la gauche dirige vingt-quatre exécutifs régionaux, cinquante et un exécutifs départementaux et qu'elle préside aux destinées de l'Association des régions de France et de l'association des départements de France.

Ardent défenseur de la décentralisation, je n'ai jamais cessé d'être favorable à des transferts de compétences maîtrisés, à des compensations financières pérennes et évolutives - ce qui nécessite un effort de péréquation -, à une clarification du paysage institutionnel - qu'il s'agisse des collectivités elles-mêmes ou des compétences qu'elles assument -, à la reconnaissance constitutionnelle et démocratique du fait intercommunal, aux agglomérations, aux pays et aux ensembles régionaux.

Mais nous vous répétons ce que nous vous avons toujours dit, à savoir que l'ordre législatif que vous persistez à suivre est une aberration. Il aurait fallu discuter du cadre financier de la réforme avant de débattre de la nature des transferts. L'examen - et pas seulement le vote - du présent projet de loi organique aurait dû précéder celui de tous les projets de loi ordinaires sur ce sujet, même en première lecture. Ce n'est pas ce que vous avez fait, en dépit de ce simulacre médiatique qu'a été le report d'une semaine du vote solennel du projet relatif aux responsabilités locales et de l'examen du présent projet de loi organique.

Dire que le Gouvernement avait promis, dès le 1er avril, par la voix officielle de son Premier ministre, de « consulter les présidents des groupes parlementaires et les présidents des associations d'élus » avant de passer au vote d'un texte qui avait réussi à mécontenter tout le monde ! Mais les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. Nous revenons à la case départ : mêmes incohérences, mêmes incertitudes. Seul le visage du ministre de tutelle a changé...

Votre projet n'était pas un bien pour nos collectivités ; votre attitude, faite de revirements et d'obstination, n'est pas non plus une victoire pour la démocratie. Nos concitoyens vous ont pourtant montré, par leur participation mais aussi par leur vote, à quel point ils étaient prêts à faire vivre la décentralisation d'une manière différente de la vôtre.

Or, que proposez-vous ? Un report de charges dans des secteurs en pleine crise ou dont le développement n'est pas contrôlé, comme le revenu minimum ou la voirie, avec comme seule contrepartie le transfert d'une partie de la TIPP, ressource passive sur laquelle les collectivités n'auront aucune prise et dont la croissance est faible.

Il suffit pour s'en rendre compte de se reporter au rapport du Sénat qui compare l'évolution de la TIPP à celle des dépenses au titre du RMI et à l'indice de progression de la DGF. Il ne faut pas raconter d'histoires aux élus ! La TIPP, depuis 1993, a d'abord augmenté de 11,64 % en 1994, puis, les années suivantes, de 1,5 %, 3,52 %, 1,4 %, 2,3 % et 5,05 %, avant de reculer de 1,53 % en 2000 et de 3,55 % en 2001, pour augmenter de 2,36 % en 2002. Comme on peut le voir sur le graphique publié dans Le Monde, le produit de la TIPP n'évolue pas du tout de manière linéaire. Le rapporteur lui-même s'est d'ailleurs interrogé sur ce point. Ces chiffres ne sont pas discutables...

M. le Ministre délégué - Ils ne sont pas dramatiques !

M. Jean-Pierre Balligand - Si, car l'on voit bien qu'il ne s'agit pas d'une ressource pérenne et augmentant régulièrement, alors que les charges, elles, outre qu'elles auront été sous-estimées au départ, augmenteront de façon constante.

Le risque de rupture de l'égalité entre les citoyens est donc bien réel, puisque le mécanisme de péréquation n'est toujours pas défini. Et celui d'une explosion de la fiscalité locale l'est encore plus, puisqu'en l'absence de contrepartie adéquate, les compétences nouvelles devront être financées soit par des impôts nouveaux, soit par l'emprunt. A moins que vous ne décidiez de substituer l'usager au contribuable, comme l'ont envisagé sans retenue certains élus de la majorité. Cette idée pourrait finalement être la clé de voûte de votre réforme, conformément à la vision économiquement libérale que vous avez de la décentralisation.

Les définitions des notions de « ressources propres », « ensemble de ressources » et de « part déterminante », auxquelles se bornent les quatre articles du projet ne suffiront pas à rassurer nos collectivités. Les grandes associations d'élus communaux et intercommunaux, pourtant peu suspectes de vouloir s'opposer frontalement au Gouvernement, vous l'ont d'ailleurs fait savoir. Réunies à Paris le 7 avril dernier, elles ont adopté une déclaration commune, qui énonce dix priorités et qui devrait être pour le Gouvernement une leçon de sagesse, de bon sens et d'humilité. Je cite les priorités 4 et 5 : « Nous demandons que le remplacement de la taxe professionnelle intervienne après le vote de la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités locales. Avec la définition de la notion de ressources propres. Et en sachant que, pour nous, une ressource propre est une ressource dont l'assemblée délibérante peut faire varier l'assiette et/ou le taux. Cela écarte toute tentation de transférer des impôts nationaux aux collectivités locales. De tels impôts, dont les collectivités ne maîtriseraient ni l'assiette ni le taux, s'apparenteraient, en fait, à des dotations de l'Etat. Ils ne pourraient pas entrer dans le calcul de la « part minimale » de ressources propres devant être obligatoirement présente dans l'ensemble des ressources locales ».Tout est dit ou presque et je comprends que cela mette la majorité parlementaire mal à l'aise...

La Commission européenne vient au surplus de vous infliger un sérieux revers. Prompts à faire miroiter le grand soir sans concertation préalable avec les autorités bruxelloises - je pense à la TVA dans la restauration -, vous avez une nouvelle fois fait preuve de précipitation en annonçant que les régions pourraient moduler in fine le taux de TIPP. En réalité, une directive d'octobre 2003, que le Gouvernement aurait d'ailleurs dû connaître, vous oblige à renoncer à ce mirage.

Dans ces conditions, demander aux présidents de région, comme l'a fait le Premier ministre, de « s'engager sur un moratoire fiscal pendant la première partie de leur mandat, c'est-à-dire trois ans », est inopportun, voire scandaleux !

Tout d'abord, une telle intimation doit désormais être considérée comme anticonstitutionnelle, depuis que le même Premier ministre - mais il est vrai qu'il s'agissait à l'époque de Raffarin II ! - a fait graver dans la Constitution le principe de « libre administration des collectivités territoriales »...

Ensuite, cette demande ressemble bel et bien à une tentative d'étouffement de nos finances locales, car, compte tenu de l'obstination du Gouvernement à transférer aux régions les 90 000 salariés techniques, ouvriers et de service de l'éducation nationale, il va de soi que les états-majors régionaux seront obligés d'augmenter la fiscalité locale s'ils ne veulent pas endetter leurs régions comme le Gouvernement endette la France.

Que Raffarin III ne se défausse donc pas lâchement de ses responsabilités : il sera clairement et publiquement désigné comme le seul responsable de toute évolution de la fiscalité locale défavorable à nos administrés !

Le plus étonnant sans doute est que la position défendue aujourd'hui par ce Gouvernement en matière d'autonomie financière des collectivités locales ne correspond en rien aux promesses faites avant juin 2002 par certains parlementaires alors dans l'opposition.

M. le Président - Concluez, je vous prie. Nous avons encore trois orateurs à entendre.

M. Jean-Pierre Balligand - J'en veux pour preuve une « proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières », déposée au Sénat en juin 2000 par MM. Christian Poncelet, Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et... Jean-Pierre Raffarin !

M. le Président - Vous avez dépassé votre temps de parole, concluez ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Balligand - Son article premier tendait à introduire dans la Constitution un nouvel article rédigé comme suit... :

M. le Président - Il faut terminer.

M. Jean-Pierre Balligand - Un instant tout de même. « La libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de ressources fiscales dont elles votent les taux dans les conditions prévues par la loi. Les ressources fiscales représentent la part prépondérante des ressources des collectivités territoriales ». Autrement dit, le texte d'aujourd'hui est en totale contradiction avec une proposition de loi signée par Jean-Pierre Raffarin !

Nous défendrons, quant à nous, des amendements qui rejoignent les demandes formulées par les associations d'élus locaux, car nous ne devons pas tenir ici un discours différent de celui que nous tenons, les uns et les autres, devant ces structures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Morel-A-L'Huissier - C'est avec un réel plaisir que je prends la parole sur un texte qui se situe au c_ur du grand mouvement de décentralisation voulu par le Président de la République et par le Premier Ministre : grande réforme qui tient compte des insuffisances des lois Defferre, mais aussi de la nécessité de responsabiliser davantage les exécutifs locaux.

Nous en bouclons aujourd'hui le volet institutionnel et nous entrons dans une ère nouvelle, où la France disposera d'outils juridiques en adéquation avec la reconnaissance de son organisation décentralisée.

Reprenant les propos du président Pascal Clément, je me bornerai à dire qu'il s'agit « d'une avancée espérée depuis vingt ans ». Les dispositions sur l'autonomie financière constituent le pivot de cette réforme attendue, qui interpelle les parlementaires, les élus locaux mais également les contribuables - surtout quand certains agitent le chiffon rouge de l'augmentation des impôts locaux.

Or, précisément, le texte qui nous est soumis apporte les réponses adéquates dont notre pays et nos institutions avaient besoin. Notre rapporteur a clairement démontré l'érosion de l'autonomie financière des collectivités territoriales entre 1997 et 2002, avec le démantèlement de la fiscalité locale et la recentralisation des finances locales ; et d'autre part l'absence de visibilité des dotations de l'Etat et l'accroissement des charges non compensées - on l'a vu récemment avec l'APA.

Il fallait réagir et la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a apporté le cadre juridique qui permettra désormais aux collectivités locales d'exercer pleinement leurs compétences. Le texte proposé apporte les nécessaires précisions sur la notion de ressources propres, sur les ressources qui doivent être prises en compte et sur le seuil en deçà duquel l'autonomie financière est considérée comme n'étant plus assurée.

Je me félicite particulièrement de l'article 4, qui institue un véritable mécanisme de garantie de l'autonomie financière en prévoyant que le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l'évolution des recettes et sur les mesures correctrices nécessaires s'il apparaissait que les règles posées à l'article 3 n'étaient pas respectées. Nous aurons ainsi régulièrement l'occasion de nous exprimer en tant que parlementaires. A titre provisionnel, permettez au député de la ruralité que je suis de faire quelques commentaires pour prendre date.

Oui à plus de responsabilités, oui à l'exercice plein et entier de nos compétences locales, oui également à plus de moyens financiers. Autonomie financière et péréquation doivent être les principes fondamentaux qui président à l'avenir de nos territoires. Je pense notamment à la dotation minimale de fonctionnement tant défendue par le Président Barrot, je pense également au déplafonnement de la DGE sur des projets structurants pour nos communes et nos intercommunalités rurales. Et je resterai vigilant pour défendre les budgets communaux et intercommunaux, afin qu'ils puissent continuer d'assurer l'aménagement de nos espaces ruraux.

S'il veut responsabiliser les élus et les rapprocher des citoyens, notre pays doit préserver l'autonomie financière des collectivités locales tout en assurant une nécessaire péréquation entre celles-ci. Nous posons aujourd'hui des bases claires et je tiens à vous dire, Monsieur le Ministre, que nous faisons _uvre utile pour notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Martin - Gaston Defferre, parlant de décentralisation disait que « derrière un mot, il n'est pas rare qu'existent des projets bien différents ». Nous y sommes !

L'examen du projet de loi organique préalablement au vote des transferts de compétences est certes une victoire du bon sens en même temps que la satisfaction d'une exigence du groupe socialiste. Hélas, ce texte vient alimenter les inquiétudes nées de l'examen, en première lecture, du projet sur les responsabilités locales, dont on peut se demander s'il reviendra, et dans quel état, devant notre assemblée.

Notre collègue Geoffroy prédit avec enthousiasme que notre pays disposera bientôt des outils qui conviennent à son organisation décentralisée, et qu'il juge fondée sur l'adhésion populaire, l'innovation et la responsabilité locale. Je voudrais me réjouir avec lui mais je ne le peux pas.

Parce qu'elle se traduit trop souvent par une lente mais inexorable disparition des services publics, la décentralisation ne bénéficie plus aujourd'hui de « l'adhésion populaire » du début des années 80, et je doute fort que le référendum local suffise à la réhabiliter.

Il en est de même pour « l'innovation » réputée se manifester au travers des « expérimentations », mais qui risque fort d'accroître encore un peu plus les disparités territoriales. Le législateur transfèrera en fait des compétences qu'exerceront les collectivités en fonction de leurs possibilités financières : aux plus riches, les compétences nouvelles, aux plus pauvres, les miettes et les regrets éternels.

Enfin, la « responsabilité locale » aboutira probablement à une responsabilité bien limitée, dès lors que les mécanismes fondamentaux de la fiscalité locale ne sont pas traités. Ainsi lorsque les Hauts-de-Seine augmentent leur fiscalité locale d'un point, il faudrait que le Gers augmente la sienne de vingt points pour obtenir une recette équivalente.

Contrairement à ce qu'affirme le rapporteur la nouvelle durée de travail dans la fonction publique territoriale n'a pas eu pour principale conséquence « d'affaiblir durablement les marges de man_uvres financières des collectivités locales », mais de renforcer durablement leur présence sur un terrain dont l'Etat se retire, chaque jour davantage.

M. le Rapporteur - Mais comment donc !

M. Philippe Martin - En réalité, les « marges de man_uvre » de nos collectivités risquent d'être durablement affaiblies par votre approche de la décentralisation.

Notre inquiétude repose aussi sur la disparition corps et âme du principe de péréquation dans le texte qui nous est soumis. On le vérifiera à l'occasion du transfert des routes nationales aux départements.

Historiquement, les routes ont été la priorité constante de l'Etat, et elles assurent aujourd'hui encore 90 % du transport terrestre. Or, après s'être défait en 1972 de 53 000 km de routes, l'Etat envisage de se délester de 15 000 à 20 000 km sur les 36 000 qui composent désormais le réseau national, sans du reste nous fournir une carte précise des itinéraires concernés. Or, l'état physique du réseau en jeu est très alarmant, à tel point que Jean Arthuis, sénateur et président du département de la Mayenne, a récemment affirmé que « si rien n'est fait, les départementales seront bientôt en meilleur état que les nationales ». La Cour des comptes a estimé à près de 220 millions par an, pendant dix ans, le coût de la remise à niveau de la quasi-totalité du réseau que le Gouvernement se propose de transférer aux départements, alors même que les crédits destinés à ces infrastructures sont en constante diminution.

Ainsi dans mon département du Gers, le transfert envisagé de 100 km de la RN21, pour laquelle l'Etat n'a réalisé aucun investissement majeur depuis près de 30 ans, pourrait aboutir à une charge de modernisation de 125 millions, soit huit années du budget annuel que consacre le département à sa voirie. Ce n'est pas acceptable, comme n'est pas acceptable qu'ici, la route, et donc les investissements, restent nationaux, et que là, parce que l'Etat l'aura décidé, cette même route revienne à la charge d'un département qui n'en peut mais.

La décentralisation dans le domaine routier ressemble de plus en plus au jeu des 7 familles, et la « mauvaise pioche » condamnera irrémédiablement l'équilibre budgétaire de la collectivité malchanceuse.

Dans le Gers comme ailleurs sans une péréquation digne de ce nom, la décentralisation que vous proposez se traduira par une réduction des marges de man_uvre des collectivités, qui devront soit renoncer aux politiques mises en _uvre mais qui ne relèvent pas d'une compétence obligatoire prévue par la loi, soit augmenter une fiscalité locale souvent déjà très élevée.

Si le Gouvernement souhaite vraiment lever ces préalables, encore faut-il que l'évaluation des compensations, et surtout de leur régime n'entraîne pas un recul de l'autonomie fiscale des conseils généraux ni un renforcement des inégalités de ressources entre les départements.

Ainsi votre texte prive non seulement les collectivités locales d'une perspective sereine de développement mais il leur ôte une garantie fondamentale en transformant les finances locales en variables d'ajustement des finances publiques. Faute d'inscrire dans la loi des mécanismes de redistribution des ressources en direction des collectivités, l'autonomie financière que vous prétendez instituer ne sera qu'un leurre, et la décentralisation un marché de dupes.

Nous regrettons d'autant plus que la commission des lois ait rejeté les amendements déposés par René Dosière aux articles 3 et 4 qui tendaient à assurer, entre collectivités un niveau comparable de services publics et une véritable capacité de développement. Vous aviez là pourtant la possibilité de « rétablir la confiance des élus » à laquelle, Monsieur le ministre, vous avez déclaré être attaché, ces milliers d'élus locaux, qui vous disent, comme hier Daniel Hoeffel, leur « profond désaccord » avec votre dispositif.

M. le Ministre délégué - Beaucoup nous approuvent !

M. Philippe Martin - Voilà une trentaine d'années, François Mitterrand , qui s'y connaissait en matière de collectivités locales, déclarait que « 500 000 conseillers municipaux, sans compter ceux qui voudraient l'être, cela vaut mieux pour la démocratie qu'un régiment de sous-préfets ».

Mon attachement personnel au corps préfectoral m'empêche de reprendre l'intégralité de ces mots à mon compte, mais tout de même, entendez les représentants de ces élus qui tous vous disent qu'il faut revoir votre copie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Pélissard - Depuis 1997, les ressources fiscales des collectivité locales diminuent. Je ne reprendrai pas la litanie des textes qui ont supprimé des taxes, des droits, des impôts dévolus à nos collectivités, en leur substituant des compensations et non pas des dégrèvements.

Le Gouvernement a décidé de mettre fin à ces pratiques.

L'article 2 du projet donne une liste exhaustive des ressources propres, depuis les impositions de toutes natures jusqu'aux dons et legs.

M. Augustin Bonrepaux - Et la taxe professionnelle ?

M. Jacques Pélissard - Cette liste exclut d'office les dotations budgétaires versées par l'Etat.

M. René Dosière - Est-ce conforme à l'avis du Medef ?

M. Jacques Pélissard - Cela signifie que l'Etat, s'il décide de supprimer une ressource fiscale, devra la remplacer par un autre impôt, ce qui répond à une attente des collectivités locales.

Celles-ci peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toute nature, précise l'article 72-2 de la Constitution, et la loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux. S'agit-il d'une simple faculté ? Dans ce cas, le transfert d'impôts nationaux comme ressource propre serait considéré comme préservant l'autonomie financière des collectivités, même si ces dernières n'ont pas la possibilité d'en moduler le taux. Dès lors l'Etat disposerait de marges de man_uvre pour de futures réformes fiscales et transferts de compétences.

M. Augustin Bonrepaux - C'est bien là le problème !

M. Jacques Pélissard - Au contraire, les associations d'élus considèrent que l'autonomie financière doit reposer sur une plus grande autonomie fiscale, impliquant une forte responsabilisation des élus (M. Charles de Courson applaudit). Le bureau de l'AMF a estimé qu'une ressource propre était celle dont l'assemblée délibérante peut faire varier librement le montant, par l'assiette ou par le taux. En octobre 2000, une étude réalisée à sa demande stigmatisait le remplacement de recettes fiscales directes par des dotations définies par l'Etat. Elle démontrait la détérioration progressive du lien fiscal entre les collectivités et les contribuables locaux : à la suite des réformes de 1998 et 1999, les communes ont vu la part des recettes payées par les contribuables locaux passer de 50 à 41 % ! En janvier 2001, l'AMF estimait que le principe de libre administration nécessitait en premier lieu de garantir l'autonomie fiscale. Elle affirmait ne pouvoir se satisfaire qu'une part de plus en plus importante des ressources des collectivités provienne de l'Etat, pour compenser une exonération, un abattement, voire la suppression d'un impôt.

L'autonomie fiscale des collectivités est en effet essentielle, parce que l'impôt local permet de faire financer par les habitants intéressés les services et les équipements produits collectivement. Voter l'impôt permet de renforcer la responsabilité de la collectivité, face à des citoyens qui veulent comprendre à quoi sert leur argent. Disposer d'un pouvoir fiscal est, pour les élus locaux, un élément fondamental de sécurité alors que l'évolution des ressources provenant de l'Etat ne peut être prévue. Cette autonomie fiscale doit reposer sur des impôts clairement identifiés, acceptables et évolutifs (M. Charles de Courson applaudit). Les élus locaux sont donc d'accord avec les objectifs de la loi organique tendant à garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales, mais ils s'interrogent sur la rédaction du texte.

Enfin, le cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution indique que les dispositifs de péréquation sont prévus par la loi ordinaire. Il n'appartient certes pas à la loi organique de fixer les conditions de la péréquation, mais si nous n'excluons pas les dotations de péréquation du calcul du ratio entre les ressources propres et l'ensemble des ressources des collectivités, l'obligation constitutionnelle d'améliorer la péréquation sera contrariée. Une augmentation de la péréquation pourrait en effet aboutir à la diminution du ratio des ressources propres. Il serait donc préférable de ne pas tenir compte des crédits consacrés à la péréquation dans le total des ressources des communes.

Le texte que vous nous présentez est capital. Articulé avec la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, il constitue une avancée importante pour les collectivités locales. J'espère qu'il pourra être amélioré au cours de la navette, dans l'intérêt du partenariat loyal qui marque les relations entre l'Etat et les communes de France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Prochaine séance, ce matin, jeudi 13 mai à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 13 MAI 2004

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de résolution (n° 1581) de MM. Didier MIGAUD, Augustin BONREPAUX, Jean-Marc AYRAULT, François HOLLANDE et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur la dégradation des comptes publics depuis juin 2002.

Rapport (n° 1591) de M. Didier MIGAUD, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi organique (n° 1155) pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Rapport (n° 1541) de M. Guy GEOFFROY, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Avis (n° 1546) de M. Gilles CARREZ, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

A VINGT ET UNE HEURE TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


© Assemblée nationale