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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 102ème jour de séance, 250ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 10 JUIN 2004

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Sommaire

      HABILITATION À SIMPLIFIER LE DROIT 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 5

      QUESTION PRÉALABLE 15

La séance est ouverte à neuf heures trente.

HABILITATION À SIMPLIFIER LE DROIT

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat - Je suis très heureux de vous présenter le deuxième projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

L'Etat, c'est le service public, et le service public, c'est le service du public. Ce sont les attentes de nos concitoyens qui dictent nos objectifs d'efficacité et de rapidité. Contrairement à ce que certains croient, ce n'est pas la quadrature du cercle : les nouvelles technologies nous permettent de réaliser de formidables gains de productivité dans l'administration.

Cette réforme de l'Etat doit faire trois gagnants : l'usager, l'agent - cinq millions de Français travaillent pour le service public - et, enfin, le contribuable, qui doit « en avoir pour son argent ».

Nous devons déterminer les missions de l'Etat, évaluer les moyens financiers et humains nécessaires à leurs réalisations, organiser le service public en fonction de ces critères.

Certaines missions réclameront plus de personnels, je pense en particulier aux secteurs de la santé, de l'éducation, de la sécurité. En revanche, dans d'autres secteurs, il est possible d'agir plus efficacement avec moins d'effectifs, il ne faut pas avoir peur de le dire.

Notre réforme comporte quatre volets.

Tout d'abord, la stratégie : il s'agit de voir clair et loin, de mettre en place un plan d'action à travers les SMR, stratégies ministérielles de réforme, qui se traduiront par des actions très concrètes dont vous pourrez apprécier les bienfaits dans les prochaines semaines, à l'occasion du PLF de 2005 et de la mise en _uvre de la LOLF.

Deuxième élément : la rénovation de la gestion des ressources humaines. L'Etat, sur ce point, est en retard et peut faire beaucoup mieux pour valoriser le travail et les carrières des fonctionnaires.

Troisième élément : l'administration électronique. Dans de nombreux pays, c'est l'introduction des nouvelles technologies qui a permis d'agir mieux, à moindre coût, tout en améliorant les conditions de travail. L'administration électronique, à laquelle nous avons donné le nom de code ADELE, est donc un élément clef de la réforme de l'Etat.

Quatrième axe : la simplification, qui permet de conforter deux valeurs de la République. La première est l'égalité. Rabelais disait que les lois sont comme les toiles d'araignée : les petits moucherons s'y font prendre et les gros frelons passent à travers ! Ce sont en effet les plus faibles de nos concitoyens qui sont les victimes de la complexité, les plus forts ayant les moyens de se faire bien conseiller. Un droit complexe est injuste par définition, un droit simple est républicain. La seconde est la dimension économique de cette action de simplification. Les entreprises doivent consacrer l'essentiel de leurs ressources à leurs clients, à l'innovation ! Outre la baisse des charges sociales et des impôts, il faut donc aussi baisser l'impôt paperasse qui pèse sur notre compétitivité.

Nous organisons nos exercices de simplification annuellement. En vous proposant notre deuxième projet de loi d'habilitation, nous sommes déjà en train de songer au suivant, pour lequel Eric Woerth et moi souhaitons utiliser une méthode différente. Nous avons voulu identifier ceux de nos concitoyens qui sont les premières victimes de la complexité, et avons abouti à cinq catégories.

La première est constituée des familles, et surtout des mères de famille, qui s'occupent le plus souvent des tâches administratives - passeport, formalités de la vie quotidienne... La deuxième est constituée des très petites entreprises : nous devons construire un droit nouveau leur permettant de se développer, car ce sont elles qui créeront des emplois dans les années qui viennent. La troisième concerne les maires, ces citoyens qui ont accepté de consacrer une partie de leur temps au service public. Tous nous disent qu'ils sont submergés par la paperasse qui les écarte de l'essentiel. La quatrième catégorie, ce sont les fonctionnaires, qui sont les plus à même de dire ce qui pourrait simplifier la vie des Français. La réforme de l'Etat ne doit pas venir d'en haut, mais de ceux qui sont en contact avec les réalités quotidiennes. Enfin, il y a les investisseurs étrangers, qui ont envie d'apporter des capitaux et des projets dans notre pays et à qui nos procédures ne semblent pas de la plus grande hospitalité ! Ces cinq catégories structureront le troisième projet de loi d'habilitation, et nous comptons sur les parlementaires, qui sont aux avant-postes, pour nous aider à le construire.

Simplifier le droit, c'est également s'assurer que la loi occupe sa véritable place. Notre système politique est fait de telle sorte que si les annonces sont très médiatisées, l'action tarde ensuite beaucoup. Le Gouvernement a le souci de traduire rapidement ses décisions dans les faits. Il faut réduire ces délais, insupportables pour les citoyens. Nous avons beaucoup débattu de la loi sur l'initiative économique, qui a été publiée au Journal officiel le 3 août 2003, mais certains décrets d'application ne sont toujours pas sortis ! Nous devons donc réviser nos procédures.

Je terminerai avec deux mesures que je trouve emblématiques de ce projet de loi. D'abord, la création du régime social des indépendants, dont beaucoup de gouvernements ont rêvé et qui est attendue par pratiquement deux millions de très petites entreprises, de commerçants et d'artisans. Notre régime comprend plusieurs organismes de prélèvements sociaux et chacun y va de sa cotisation, de son assiette, de son taux et de son échéancier... Je rends un hommage appuyé aux présidents de la CANAM, de l'ORGANIC et de la CANCAVA, qui ont accepté de s'engager dans cette réforme difficile - la fusion des trois organismes, donnant naissance au RSI. Il s'agit de la première réforme d'organisation de la sécurité sociale depuis sa création : ce n'est pas une mince affaire ! Nous veillerons à ce que le RSI soit géré par des commerçants et des artisans, élus par leurs pairs, et à ce qu'ils gardent une maîtrise totale de toute la chaîne, des opérations courantes aux relations avec les affiliés. A ce propos, une réforme corollaire à celle du RSI est restée quelque peu inaperçue. Jusqu'à présent, lorsqu'un commerçant ou un artisan avait des difficultés de trésorerie et ne pouvait acquitter ses prélèvements obligatoires, l'huissier intervenait immédiatement, sans même un préavis. Un fonds d'action sociale va être mis en place, grâce auquel des personnes qui connaissent le monde de l'entreprise leur accorderont un étalement des cotisations, un échéancier établi en fonction de la situation de l'entreprise. Cette mesure va grandement humaniser le régime et les représentants des commerçants et artisans y sont vivement favorables.

La deuxième mesure, si elle peut paraître mineure, est fortement symbolique : il s'agit de la modification du statut des pupilles de la Nation. C'est une façon de reconnaître le sacrifice que ceux qui se sont engagés dans la police ou la gendarmerie par exemple, au péril de leur vie, pour protéger leurs concitoyens. Ils laissent des orphelins qui ressentiront leur perte toute leur vie, et non pas seulement pendant leur minorité. Il était important que la République accorde à ces enfants une reconnaissance symbolique, dont j'espère qu'elle fera l'unanimité sur ces bancs.

La tâche est donc immense. Simplifier est souvent très difficile, d'autant qu'il existe un véritable lobby en France de ceux qui ont intérêt à ce que tout soit compliqué. Le Gouvernement a eu le courage de passer outre les réticences et les peurs et de construire un droit plus simple et plus démocratique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Eric Woerth, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat - Si ce projet de loi d'habilitation a un objectif clair, simplifier la vie des Français, il amène à aborder un nombre considérable de domaines, tant la complexité a envahi la vie quotidienne de nos concitoyens. Dans un souci d'efficacité et de cohérence, le Gouvernement a donc estimé que la procédure de l'article 38 de la Constitution était la mieux adaptée. Elle conserve bien sûr aux assemblées la prérogative éminente de fixer des objectifs précis, sans entrer dans le détail des mesures techniques.

Les mesures que nous vous proposons aujourd'hui sont de trois ordres. Il s'agit d'abord de moderniser certaines règles de portée générale, afin d'améliorer la sécurité juridique et de lever certains obstacles législatifs à la dématérialisation des procédures, ensuite d'alléger une série de procédures administratives et enfin de poursuivre la politique de codification systématique voulue par le Président de la République et entamée en 1995. Je souhaite appeler votre attention sur certaines des mesures envisagées, qui me paraissent emblématiques. Nous voulons d'abord réconcilier les Français avec leurs administrations. D'abord, il faut clarifier le droit lorsque l'accumulation des lois et règlements l'a rendu incertain ou illisible. L'exemple du droit de l'urbanisme montre combien la liberté des citoyens s'en trouve entamée : chaque année, un million de Français effectuent des démarches liées à l'urbanisme, domaine obscurci par de nombreuses législations peu cohérentes. Le Gouvernement veut entièrement réécrire les livres du code de l'urbanisme consacrés au permis de construire et à la déclaration de travaux, et réactualiser certaines règles concernant le patrimoine culturel.

Ensuite, nous voulons abroger les procédures absurdes ou redondantes qui relèvent d'un autre âge. Tel est le cas de la prestation de serment de certains fonctionnaires devant le préfet, ou de certains paraphes et cotations de documents officiels, rendus totalement obsolètes par le développement de l'électronique.

Enfin, dans les relations entre l'administration et les usagers, nous voulons autoriser le recours aux outils de communication modernes, en définissant un cadre général unifié qui apporte aux autorités administratives et aux usagers une véritable sécurité juridique et technique, alors que les télé-procédures qui existent à ce jour ont à chaque fois fait l'objet de textes spécifiques.

Le renforcement de la sécurité juridique des entreprises est notre deuxième grande préoccupation. J'en prendrai deux exemples.

Le plus parlant est l'extension aux prélèvements douaniers et sociaux des procédures dites de « rescrit ». Aujourd'hui, en effet, les URSSAF et les douanes ne sont pas liées par les positions qu'elles prennent lorsqu'elles interprètent les textes relatifs aux prélèvements qu'elles recouvrent ; une entreprise peut ainsi se trouver condamnée du fait que l'interprétation à laquelle elle croyait pouvoir se fier n'était pas légale. Nous devons mettre fin à cette anomalie ; c'est l'un des éléments du plan présenté par le Premier ministre pour rendre notre territoire plus attractif pour les investisseurs étrangers.

Deuxième exemple : les régimes d'autorisation administrative. On en compte plus de 4 000. Je souhaite que nous les réexaminions un par un, afin de nous assurer de leur utilité. Si celle-ci n'est pas avérée, nous proposerons soit leur remplacement par un régime déclaratif, soit, comme l'a souhaité votre commission des lois, leur suppression pure et simple.

Enfin, simplifier, c'est aussi rationaliser le fonctionnement des pouvoirs publics.

Je pense en particulier aux enquêtes publiques, qui sont certes un facteur de transparence et de participation civique, mais dont la conduite est considérablement compliquée par la superposition de règles multiples. Souvent, les projets sont découpés en tranches, donnant lieu à autant d'enquêtes. Six enquêtes distinctes ont ainsi été conduites pour le projet du Stade de France ! Nul n'y gagne : ni les pouvoirs publics, qui doivent constituer des dossiers successifs, ni l'opinion, qui n'est pas interrogée sur un projet global.

Je veux aussi souligner tout l'intérêt de l'amendement que nous vous proposerons pour renforcer les obligations du pouvoir exécutif concernant les textes d'application des lois. On ne peut admettre, en effet, que les décisions du Parlement restent inappliquées, faute pour le Gouvernement de prendre les décrets, arrêtés et circulaires d'application. Certes, à l'initiative du Premier ministre, des progrès substantiels ont été réalisés, mais il faut les consolider. Nous suivons le chemin tracé par l'Assemblée, sur proposition de M. Warsmann : le Gouvernement présentera un rapport aux commissions parlementaires six mois après l'entrée en vigueur de chaque loi et devra indiquer les motifs du retard éventuellement pris pour l'application de certaines dispositions.

Simplifier, supprimer, alléger, pour clarifier durablement le lien entre l'usager-citoyen et notre administration : tel est le but. Renforcer l'efficacité de notre Etat dans tous ses rouages, c'est donner à tous nos concitoyens de plus sûrs motifs d'apprécier le « modèle français » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Etienne Blanc, rapporteur de la commission des lois - L'objectif de ce projet de loi d'habilitation n° 2 est de tenter de simplifier notre droit. Nous avons eu à examiner en commission l'exposé technique de 200 mesures très différentes, d'importance inégale mais toutes utiles. C'est la matière qui veut cela.

Simplifier le droit, c'est d'abord comprendre pourquoi il est complexe, analyser le parcours législatif et réglementaire qui a conduit à cette complexité. C'est ensuite s'assurer que la simplification envisagée ne crée pas plus de complexité qu'elle ne prétend en supprimer.

Les critiques qui ont été faites à ce texte méconnaissent l'intention du Gouvernement. Depuis 2002, a été lancée une véritable politique de simplification de notre droit. Tous les ans, les ministères doivent préparer un projet de simplification. Deux outils ont été mis en place : la commission d'orientation de la simplification administrative, composée d'élus - sénateurs, députés, élus locaux -, chargée de suivre le projet de loi d'habilitation et les ordonnances produites tout au long de l'année en application de celle-ci ; les circulaires d'août et septembre 2003, visant, dans chaque ministère, à charger un haut fonctionnaire de la qualité de la réglementation et à mettre au point une charte de la qualité.

Pourquoi ce projet de loi d'habilitation n°2 ? D'aucuns diront que le Parlement se trouve dessaisi de ses prérogatives. Déjà, on nous avait dit qu'il serait sans doute difficile de prendre autant d'ordonnances que le premier projet de loi d'habilitation en prévoyait : vingt et un ont été prises. On nous avait dit aussi que le Parlement était dessaisi de son pouvoir de contrôle. Mais le texte qui vous est soumis prévoit la ratification des ordonnances, sur lesquelles rien n'interdit que des amendements soient déposés.

On nous dit par ailleurs que c'est un texte fourre-tout. Je ne le crois pas, même si, compte tenu de la complexité de la matière, 200 mesures sont répertoriées. Les rapports s'accumulent pour constater que notre droit n'est pas très intelligible pour nos concitoyens ; c'est sans doute la première fois qu'une telle entreprise de simplification est lancée, et il n'y a pas de simplification sans recours à l'article 38 : la mécanique parlementaire est en effet ainsi faite que les textes que nous produisons sont complexes.

Bossuet disait que l'art de la politique est de faire des choses simples pour rendre les gens heureux : tel est l'objectif de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. Jérôme Lambert - L'examen de ce projet intervient trois jours avant le scrutin européen de dimanche. C'est sans doute la première fois que notre assemblée est amenée à travailler ainsi, à quelques jours d'une consultation importante. Alors qu'il nous faut mobiliser les Français, nous voici retenus à l'Assemblée, nos travaux n'ayant pas été interrompus une seule journée. Je tiens au nom du groupe socialiste à protester contre l'organisation de nos débats dans de telles conditions.

Qui plus est, nous devions commencer l'examen de ce texte mardi. Or, nous sommes jeudi et beaucoup de nos collègues qui avaient pris des dispositions pour participer au débat se trouvent aujourd'hui, du fait d'engagements, y compris dans la campagne électorale, empêchés d'être présents...

M. le Ministre - Qui est responsable de ce retard ?

M. Jérôme Lambert - ...ce qui va affaiblir le rôle d'expertise et le pouvoir de contrôle que notre Parlement doit jouer dans ce domaine très sensible et qui renforce notre souhait que ce texte ne soit pas adopté à l'issue d'un débat tronqué, organisé à la va-vite à la veille d'échéances politiques importantes.

L'examen d'un projet visant à « simplifier le droit » n'aurait pourtant pas dû nous inquiéter... Mais l'intention du Gouvernement étant à l'évidence de dessaisir le Parlement de son pouvoir de faire la loi, nous ne pouvons que nous montrer méfiants !

Cette méfiance est alimentée aussi par la complexité de ce texte : 62 articles, plus de 200 sujets différents et auxquels sont encore venus s'ajouter, par voie d'amendements, certaines autres dispositions, portant principalement sur la ratification d'ordonnances prises précédemment. La complexité de ce texte est manifeste, comme si le Gouvernement n'était pas en mesure de présenter des textes simples... en matière de simplification ! Il faut dire que, pour lui, « simplifier » est synonyme de « réformer », c'est-à-dire bien souvent de « régresser », surtout en matière de droits sociaux, nous le voyons encore ici en de multiples occasions.

Voilà donc une nouvelle démonstration de ce qu'est votre politique, le mépris du dialogue social s'ajoutant à celui des droits du Parlement. Au fil des articles, nichés entre deux phrases, nombreux sont les projets de simplification compliqués, faisant régresser les droits sociaux, dangereux pour la sécurité juridique à laquelle ont droit nos concitoyens.

Tout aussi suspecte est votre volonté de dissimuler vos véritables intentions, qui fonde cette exception d'irrecevabilité. Faute d'indiquer clairement ses effets néfastes pour les Français modestes, ce projet ne répond pas à l'attente du Conseil constitutionnel d'une information claire du Parlement sur les intentions du Gouvernement quant aux habilitations qu'il sollicite. Dans des conditions aussi obscures, le Parlement ne peut accepter de se dessaisir de son droit de faire la loi.

Les ratifications d'ordonnances qui nous sont présentées, parfois sous la forme d'amendements de plusieurs pages au projet initial, sont formulées de façon aussi vague que les habilitations, ce qui rend notre travail particulièrement complexe et qui risque de provoquer des erreurs, on l'a vu à l'occasion de la précédente loi d'habilitation. Comment accepter de légiférer dans ces conditions ? Comment suivre un gouvernement qui prend le risque d'obscurcir le droit au lieu de le simplifier ? Comment prendre clairement position sur des sujets présentés de façon aussi vague et sur lesquels les intentions du Gouvernement n'apparaissent pas clairement ?

Simplifier, en compliquant l'attention que les parlementaires doivent porter aux textes qui leur sont soumis, voilà une pratique singulière et inquiétante ! Le recours aux ordonnances, s'il est prévu par l'article 38 de la Constitution, n'en demeure pas moins peu usité. Il est souvent justifié par l'urgence, par l'évidence ou l'insignifiance de certains sujets, mais il masque aussi, trop souvent, les réticences du Gouvernement à ouvrir un débat de fond sur certains sujets délicats. Tel fut le cas en 1995, lorsque M. Juppé avait réformé la sécurité sociale par ordonnances. Décidément, c'est une marotte !

L'urgence, c'est par exemple quand il faut transposer des directives européennes qui ont été bloquées sur des bureaux ministériels pendant des années...

M. Guy Geoffroy - Les vôtres !

M. Jérôme Lambert - ... et que les instances européennes mettent la France en demeure de respecter ses engagements ! L'évidence et l'insignifiance, c'est quand il nous est proposé d'uniformiser les différentes appellations des « Français de l'étranger »...

Les réticences, ce sont celles du Gouvernement à ouvrir un débat avec la représentation nationale sur les vrais sujets politiques noyés dans un fatras d'autres propositions, ce maelström législatif étant mis à profit pour faire passer des mesures qui n'ont rien à voir avec la simplification administrative.

Ce texte est un mélange de tout cela, ce qui rend son examen particulièrement fastidieux et difficile, le rapporteur l'a honnêtement reconnu. En outre, la commission des lois est la seule saisie, alors que quatre au moins de nos six commissions permanentes sont concernées par les multiples sujets abordés. Toutes les compétences de notre assemblée n'ont donc pas été mobilisées et le Gouvernement a choisi de passer en force, mais aussi en vitesse, puisque l'urgence a été déclarée, ce qui limite plus encore nos moyens d'examiner au fond les dispositions de ce texte. Précipitation et imprécision privent le Parlement des informations nécessaire à sa bonne compréhension, renforçant ainsi son caractère anticonstitutionnel !

La commission n'a consacré qu'une heure à l'examen de ce projet, en dédiant une bonne partie à l'examen des dizaines d'amendements rédactionnels de notre rapporteur. Or une mauvaise rédaction est souvent le signe d'un projet bâclé. Quand, qui plus est, ce projet vise à dessaisir le Parlement de son pouvoir suprême de légiférer, n'est-il pas légitime de s'en inquiéter ? C'est ce que nous faisons avec cette exception d'irrecevabilité.

Nous ne pouvons nous dessaisir de nos droits à faire la loi sur la base de ce texte fourre-tout où se côtoient des mesures insignifiantes, la récriture de pans entiers de notre droit, et des dispositions très controversées, que le Gouvernement voudrait évacuer par un tour de passe-passe législatif...

Eviter le débat dans la société, éviter le débat dans notre assemblée pour faire la loi dans le secret des cabinets ministériels, c'est un mauvais procédé que le groupe socialiste tient à dénoncer.

Il y a un an, lors de l'examen, dans les mêmes conditions de la première loi d'habilitation, j'avais déjà dénoncé de telles méthodes, et je suis obligé aujourd'hui de le faire à nouveau. Les choses vont d'ailleurs de mal en pis puisqu'il y a un an, nous avions eu du moins en commission d'intéressants échanges avec MM. Delevoye et Plagnol sur les intentions du Gouvernement.

Cette fois, je l'ai dit, après une courte présentation du rapporteur, qui a souligné la complexité de ce texte comportant plus de 200 mesures, la commission a bouclé son travail sans qu'aucune des mesures proposées, à l'exception de celle relative au régime de protection sociale des travailleurs indépendants, commerçants et artisans, ne fasse l'objet d'un débat de fond.

Cet examen à la va-vite s'est doublé de la présentation surprise d'amendements, que nous n'avons pu examiner, qui visent à la ratification de nombreuses ordonnances déjà prises.

Force est de constater que nous ne disposons que de versions bien abrégées des projets d'ordonnances ou de ratification d'ordonnances. Comment dans ces conditions, exprimer un avis éclairé, comment faire correctement notre travail de législateurs ? Parce que c'est impossible, nous considérons que le rôle du Parlement est bafoué et nous demandons au Gouvernement de nous présenter ses projets de façon plus claire, plus élaborée, de nous donner le temps de les étudier. Pour cela, le meilleur moyen de lui imposer le respect de nos prérogatives, c'est de voter cette exception d'irrecevabilité !

Le caractère fourre-tout de ce texte n'est pas sans rappeler les projets portant diverses dispositions d'ordre économique ou financier, dont la pratique a été stigmatisée par le Conseil d'Etat, au nom de la sécurité juridique. En agissant à grande échelle par ordonnances, le Gouvernement prend le risque de fragiliser le droit au lieu de le simplifier. Or, quand on fragilise le droit, finalement, on complique la vie de nos concitoyens. La dernière loi d'habilitation en est un exemple. Sur l'ordonnance sur le partenariat public-privé, le Conseil d'Etat n'a-t-il pas soulevé des problèmes très complexes ? Au fond, cette nouvelle demande d'habilitation ne vise-t-elle pas à corriger certaines ordonnances précédentes ? Nous demandera-t-on alors, dans quelques mois, de corriger les erreurs d'aujourd'hui ? Les dizaines d'amendements de rédaction ou de précision que le rapporteur a fait adopter en commission prouvent à quel point ce projet est flou et mal écrit.

J'en viens à quelques exemples de l'inconstitutionnalité de ce texte.

L'article 46 autorise le Gouvernement à adapter les mesures relatives aux marchés publics au droit communautaire. Sa formulation ambiguë contrevient à l'article 38 de la Constitution qui fait obligation au Gouvernement « d'indiquer avec précision au Parlement la finalité des mesures qu'il se propose de prendre ».

En janvier dernier, une ordonnance prise dans le cadre de la dernière loi d'habilitation devait déjà remettre à plat le droit des marchés publics. Lors du débat législatif, beaucoup d'entre nous avions appelé, en vain, l'attention du Gouvernement sur les difficultés qui résulteraient du dispositif proposé.

M. François Sauvadet - Ce n'est pas faux.

M. Jérôme Lambert - Nous avions raison, ce qui explique qu'on essaye aujourd'hui de refaire ce qui n'a pas été bien fait.

Pourtant, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat, l'article 21 de la loi du 7 août 1957 et l'article premier du décret loi du 12 novembre 1938 autorisent déjà le Gouvernement à élaborer la réglementation des marchés publics et à étendre par voie réglementaire les dispositions législatives et réglementaires relatives à la passation et à l'exécution de ces marchés. Dès lors, est-il opportun de lui accorder une nouvelle habilitation ? Dans l'exposé des motifs, le Gouvernement explique que cette seconde habilitation proroge celle prévue par l'article 5 de la loi du 2 juillet 2003 pour mettre le droit national en conformité avec le droit communautaire des marchés publics. Il précise même que la transposition finale ne peut avoir lieu que lorsque les dispositions communautaires seront opposables aux Etats membres, c'est-à-dire à la date de leur publication. L'argument prête à sourire : la réforme du code des marchés publics, qui intègre de nombreuses dispositions prévues par la directive européenne publiée au Journal officiel de l'Union le 30 avril 2004, a été publiée le 8 janvier et est entrée en vigueur le 10 janvier, soit quatre mois avant que le texte communautaire soit opposable !

Cette réforme du code des marchés publics pose d'ailleurs toujours des problèmes de fond. Elle méconnaît la plupart des réserves exprimées par le service central de prévention de la corruption dans son rapport d'activité pour 2003. La Commission a saisi la Cour de justice pour manquement de la France aux obligations de transparence et de publicité. Enfin, la possibilité de marchés globaux réduit l'accès des PME aux marchés publics. Elus et acheteurs publics sont inquiets de cette insécurité juridique.

Dès lors, le but du Gouvernement n'est-il pas avant tout de tirer bénéfice de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 novembre 2001 qui induisait une amnistie pour les délits de favoritisme commis antérieurement à la réforme ? Si c'est cela, il a échoué, car dans son arrêt du 28 janvier 2004, la Cour de cassation a jugé que l'introduction de dispositions plus permissives était sans effet sur la répression des délits de favoritisme commis dans le cadre de l'ancienne réglementation. Aucun de ses objectifs, y compris ceux qui sont inavouables, n'a été atteint. Aussi, plutôt que d'accorder au Gouvernement une nouvelle habilitation, exigeons qu'il modifie le code des marchés publics pour assurer la transparence, l'égalité d'accès et la sécurité juridique.

Autre exemple : prétextant le caractère technique de ces mesures, le Gouvernement, par les articles 48, 49 et 50, veut empêcher le Parlement de légiférer sur des pans importants de la politique sanitaire et sociale. Nous venons de débattre du projet sur le handicap, nous allons le faire sur l'assurance maladie. C'était le cadre naturel pour discuter de telles dispositions.

M. François Sauvadet - Ce n'est pas faux.

M. Jérôme Lambert - L'article 48 porte sur la simplification des relations entre l'Etat et les caisses de protection sociale, les conventions des professions de santé, la révision des tableaux des maladies professionnelles. Il modifie les procédures du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. On est déjà loin de la clarté souhaitée par le Conseil constitutionnel. Il fusionne également les caisses d'assurance vieillesse et la caisse maladie des travailleurs indépendants...

M. Guy Geoffroy - A la demande des intéressés !

M. Jérôme Lambert - Mais le gouvernement ne dit pas quelles sont ses intentions en ce qui concerne le personnel de ces caisses, ce qui est pourtant essentiel pour que ces dispositions imparfaites soient appliquées.

L'article 49 supprimerait les commissions d'admission à l'aide sociale. Après le mauvais coup qu'on a voulu porter aux centres communaux d'action sociale à l'occasion de la décentralisation, c'est inadmissible. Nous demanderons leur rétablissement par amendement. Serait également modifiée la tarification des établissements pour personnes âgées et handicapées. Les familles et les départements vont-ils payer encore plus ?

L'article 50 renvoie aux ordonnances la gouvernance de l'hôpital. On ne peut en traiter sans remettre à plat son financement. Le groupe socialiste refuse que la tarification à l'activité s'applique selon les mêmes critères dans le public et dans le privé. L'audit prévu ne sert qu'à gagner du temps. De toute façon, une telle question ne peut être traitée dans ce texte. D'autre part, le Gouvernement avait dit aux partenaires sociaux que la nouvelle organisation interne de l'hôpital ne ferait pas l'objet d'une ordonnance. Or ce projet modifie la gestion des carrières des praticiens sans qu'il y ait eu de négociations. Les intéressés s'estiment trompés, et hier, lors des questions au Gouvernement, M. Douste-Blazy a été pris en flagrant délit de mensonge. Si les ordonnances doivent servir à tromper les interlocuteurs du Gouvernement, où est la clarté requise par l'article 38 de la Constitution ?

Par l'article 4, le Gouvernement sollicite une habilitation pour réformer le droit de la filiation. C'est extrêmement critiquable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Oh oui !

M. Jérôme Lambert - La représentation nationale ne pourra donc débattre d'un élément du droit de la famille de plus en plus central à mesure que s'affaiblit le lien conjugal.

Les progrès de la génétique ont fragilisé le lien de filiation. La possibilité aujourd'hui de prouver scientifiquement la paternité ou l'absence de paternité ouvre de nouveaux champs de conflits au moment de la séparation des parents.

Et que dire du nouveau droit pour tout enfant d'accéder à ses origines depuis la loi du 22 janvier 2002 ? Deux principes apparemment contradictoires semblent maintenant coexister, puisque l'article 342 du code civil permet à tout enfant naturel dont la filiation n'est pas légalement établie de réclamer des subsides à celui qui a eu des relations avec sa mère pendant la période légale de conception, tandis l'article L. 147-7 du code de l'action sociale dispose que l'accès d'une personne à ses origines ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit.

Peut-on admettre qu'au nom de la « vérité biologique », le lien de filiation puisse être à tout moment remis en cause?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Ce sont de vraies questions!

M. Jérôme Lambert - Quelle place accorder à la filiation élective et au vécu social, possession d'état ? Le droit de la filiation est une question essentielle qui ne peut se satisfaire d'une réforme décidée par des spécialistes. A cet égard, je rappelle à la majorité qui reste sans voix face à une réforme du droit de la famille par ordonnances que, sous la précédente législature, elle n'a eu de cesse de critiquer des réformes qui avaient au moins le mérite d'être débattues.

D'autres dispositions n'auront pas l'accord du groupe socialiste.

Tout d'abord, l'article 3 autorise la sous-traitance du développement et de la maintenance des sites Internet du secteur public par le secteur privé, sans poser la question du risque de débudgétisation des dépenses ni de la circulation des informations.

L'article 8 tend à modifier le régime juridique des associations, fondations et congrégations, en substituant au régime d'autorisation en matière de libéralités un régime déclaratif. N'aurait-il pas été préférable de limiter ce régime aux associations reconnues d'utilité publique ? L'argent est volatile, et un contrôle a posteriori ne permettra pas toujours de retrouver les sommes éventuellement contestées ; vous encouragez les fraudes !

L'article 12 concerne les aides personnelles au logement. En modifiant récemment le mode de calcul et de versement de l'aide personnalisée au logement, vous en avez exclu 250 000 allocataires. Vous proposez de fusionner les deux fonds de financement, mais ces questions ne seront pas réglées pour autant.

Par ailleurs, le renvoi au règlement de la date d'actualisation du barème de l'aide personnalisée au logement, prévue aujourd'hui au 1er juillet, peut conduire à un décalage dans le temps, et à des situations préoccupantes pour les ménages les plus en difficulté.

Enfin, en supprimant l'abattement forfaitaire pour les ménages où l'homme et la femme travaillent, sous le prétexte du faible montant de cet abattement - 76 € - vous faites des économies sur le dos des plus modestes.

L'article 13 autorise à simplifier le régime des autorisations en matière d'urbanisme alors que l'expertise des élus, sur des sujets complexes, est souvent préférable à celle des technocrates.

De surcroît, le Gouvernement envisage de supprimer le certificat de conformité qui permet à l'administration de constater les infractions au permis de construire, privant ainsi les maires d'un outil important dans la maîtrise de l'urbanisme.

L'on voudrait saluer l'encouragement, donné par l'article 14, à la conclusion de conventions pour le logement locatif privé bénéficiant des aides de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, mais les gels de crédits intervenus en 2003, et ceux qui sont encore attendus, nous laissent pessimistes.

L'article 15 permet d'harmoniser la définition des surfaces bâties en matière d'urbanisme, d'habitat, de construction, mais la notion de surface habitable minimale, issue de la loi SRU ne risque-t- elle pas d'être remise en cause ? En effet, face au lobbying de certains propriétaires qui souhaiteraient louer leurs chambres de service, le Gouvernement a répondu qu'il réfléchirait à la modification du dispositif : est-ce là votre réponse ?

L'article 16, en matière de droit forestier, étend le champ des dispenses d'autorisation des coupes de bois, ce qui n'est pas sans risque pour l'environnement. Par ailleurs, ne pas distribuer préalablement aux maires des communes concernées un document départemental de gestion de l'espace agricole est assez contestable, surtout à l'heure de la décentralisation à laquelle vous êtes si attachés!

L'article 20 autorise des mesures de simplification en faveur des entreprises, notamment en matière d'autorisation administrative, de contrôle et de sanctions. Ces dispositions mériteraient plus de précision.

L'article 25 se rapporte à la réforme de l'assurance construction.

Depuis quelques années, prétextant une hausse des sinistres et une judiciarisation de la société, les assurances se sont engagées dans une véritable dérive tarifaire, tout en réclamant un élargissement du champ de l'assurance obligatoire et un renforcement des conditions requises pour faire jouer la garantie.

En réalité, les assurances subissent les contrecoups du 11 septembre 2001 et de la chute des cours boursiers, et cherchent à rétablir leur situation financière en augmentant les primes des assurances obligatoires.

Ce constat vaut pour la responsabilité médicale. Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, les professionnels de santé sont tenus de souscrire une assurance en responsabilité. Le montant des primes n'a dès lors cessé d'augmenter, malgré la restriction, fin 2002, du champ des préjudices couverts par l'assurance obligatoire.

Même chose pour l'assurance automobile, obligatoire depuis 1985.

Qu'en est-il aujourd'hui de l'assurance construction ? Les professionnels, assujettis à l'obligation d'assurance depuis la loi Spinetta de 1978, dénoncent la hausse de leurs prime conjuguée à la réduction des garanties. C'est maintenant au tour des entreprises de BTP de passer à la caisse ! Là encore, les réponses du Gouvernement ne sont pas équitables. Les sous-traitants seront tenus de souscrire une assurance construction, ce qui va accroître les recettes des assureurs, alors même que le champ des dommages couverts sera restreint.

C'est pourtant la politique de hausse abusive des tarifs qu'il faudrait juguler, mais le Gouvernement va donner aux assureurs une raison supplémentaire d'augmenter leurs tarifs. En permettant, à travers la future ordonnance sur les contrats de partenariat, à l'Etat comme aux collectivités territoriales, de passer des marchés globaux attribuant à une même entreprise la conception, la construction et le financement des équipements publics, le Gouvernement favorise la confusion et l'irresponsabilité, ce qui a valu à ADP d'être mis à l'indexe par le rapport 2002 de la Cour des comptes dans le cadre de la réalisation du terminal E2 de Roissy.

Cette pratique conduira à une augmentation du nombre des sinistres dans la construction. La réduction des coûts et l'accélération des délais de construction minent aujourd'hui la qualité architecturale, et ce n'est pas en se concentrant sur la réforme de l'assurance construction qu'on y apportera des solutions.

L'article 27 ouvre la voie à une simplification du droit applicable aux changements d'affectation des locaux. Certes, il est souhaitable de clarifier la notion de locaux à usage d'habitation, et de redéfinir le champ d'application et le régime de l'autorisation. Cependant, l'habilitation demandée ne prévoit pas explicitement la décentralisation du régime d'autorisation de changement d'affectation des locaux aux communes. La décentralisation du dispositif avait d'ailleurs déjà fait l'objet d'un amendement du groupe socialiste lors de l'examen du texte sur les responsabilités locales.

La simplification des formalités d'acquisition des prestations de formation et l'harmonisation des procédures de contrôle en matière de formation professionnelle prévues à l'article 37 ne doivent pas conduire au développement d'actions de formation de qualité discutable, voire à une utilisation détournée des fonds de la formation professionnelle.

Je rappelle de plus que toute simplification, adaptation ou harmonisation des procédures de contrôle et des sanctions en matière de formation professionnelle doivent respecter les principes affirmés par la loi du 4 mai dernier. Celle-ci a modifié un certain nombre d'articles du code du travail relatifs au contrôle de la formation professionnelle, ainsi qu'un article relatif aux dispositions pénales. Il est curieux que le Gouvernement envisage déjà de modifier par ordonnances le droit du travail !

Concernant la mise en _uvre des mesures destinées à anticiper l'évolution des compétences par voie de conventions entre l'Etat et les organisations professionnelles, l'exposé des motifs souligne que la loi du 4 mai n'a pas pris en compte les évolutions vers la contractualisation de politiques de développement de compétences avec les entreprises et les branches professionnelles. Or, la participation de 1,6 % de la masse salariale des employeurs au développement de la formation continue a fait l'objet d'âpres discussions lors de la négociation de l'ANI de septembre 2003.

A cette occasion, le Medef...

M. François Sauvadet - Ah ! Il nous manquait ! (Sourires)

M. Jérôme Lambert - ... aurait souhaité passer d'une obligation légale du financement de la formation professionnelle continue à une obligation conventionnelle variable selon les branches voire les entreprises. Est-ce pour satisfaire sa demande que vous présentez ce projet ?

L'article 40 doit être précisé de façon importante, en particulier en ce qui concerne le mode de calcul du taux de compétence en dernier ressort des conseils de prud'hommes.

L'article 41 propose aux établissements publics à caractère scientifique ou technologique de présenter leur comptabilité selon les usages du commerce. C'est inacceptable.

L'article 42 propose, quant à lui, de simplifier et d'harmoniser les différents régimes d'enquête publique, mais il reste muet sur les opérations concernées. Des éclaircissements sur son champ d'application sont indispensables.

Le Gouvernement prévoit d'alléger les procédures d'adoption ou de révision des schémas des services collectifs. Mais, les arguments utilisés ne sont pas probants, d'autant que le texte ne précise même pas quels schémas seraient supprimés.

L'article 48 prévoit la création d'un régime social unifié des travailleurs indépendants et le transfert aux URSSAF de l'encaissement des cotisations personnelles de sécurité sociale des travailleurs indépendants. Une partie de cette réforme est sans doute souhaitable, mais il est contestable d'exclure la représentation nationale de la réflexion au moment même où nous allons discuter de la réforme de l'assurance maladie.

L'article 50 prévoit de réformer les règles de fonctionnement des établissements publics de santé et notamment les règles de gestion des directeurs et des praticiens hospitaliers. La confédération des hôpitaux généraux et le collectif des syndicats de praticiens hospitaliers s'étonnent de ces dispositions, c'est le moins que l'on puisse dire. Le ministre de la santé avait en effet annoncé que cet objectif ne ferait pas l'objet d'une ordonnance. Comment, dans ces conditions, vous faire confiance ? Comment accepter les dispositions d'un texte fourre-tout, si mal écrit que le rapporteur a été obligé de déposer plusieurs dizaines d'amendements rédactionnels ? Je vous conseille en particulier la lecture de son amendement 51, qui fait plus de quatre pages ! Il sera difficile de faire pire dans la complexification du droit.

Je vous demande, en votant cette exception d'irrecevabilité, de dire au Gouvernement que nous souhaitons tous travailler dans des conditions plus respectueuses : il y va des droits du Parlement, de la sécurité juridique et de l'intérêt de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - Ce texte serait donc confus et viserait à noyer un certain nombre de mesures qui toucheraient au fond du droit. Les travaux en commission ont pourtant démontré que la plupart des mesures proposées sont techniques, qu'elles visent à simplifier et à clarifier les procédures.

M. Lambert prétend que, concernant la filiation, réformer le code civil par voie d'ordonnances créerait un précédent. Mais notre code civil s'est adapté au fil du temps au principe d'égalité absolue entre enfants naturels, légitimes ou adultérins, sans que toutes les conséquences formelles de cette évolution aient été tirées.

M. Jérôme Lambert - Il faut donc en débattre !

M. le Rapporteur - Nous voulons clarifier le droit de la filiation, non pas toucher au fond du droit.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Mais vous touchez au fond !

M. le Rapporteur - La loi d'habilitation détermine un champ limité, qui n'est ni trop restrictif ni trop vaste. Elle est donc bien conforme à l'article 38 de la Constitution.

La procédure de ratification préserve les droits du Parlement...

M. Guy Geoffroy - Absolument !

M. le Rapporteur - ...puisque rien n'interdit d'amender un certain nombre d'ordonnances.

Enfin, dois-je rappeler les ordonnances du 6 janvier 1982 qui, elles, touchaient au fond du droit : réduction du temps de travail, réforme de la législation des congés, modification des règles sur le travail à temps partiel, création d'un nouveau CDD. Ce n'est pas le cas de celles que nous proposons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Secrétaire d'Etat - S'agissant de la procédure, l'article 38 de la Constitution permet de légiférer par ordonnances. Nous utilisons cette possibilité comme d'autres gouvernements l'ont fait avant nous, et nous le faisons de manière particulièrement scrupuleuse au regard des exigences du Conseil constitutionnel.

Quant au moment, il est toujours bien choisi lorsqu'il s'agit de travailler. Nous proposerons d'ailleurs l'année prochaine un nouveau projet de simplification, car en ce domaine la continuité est essentielle. C'est le seul moyen, dans un environnement juridique extrêmement complexe, de montrer aux usagers que nous tenons à simplifier les règles.

Enfin, vous critiquez le nombre d'articles du texte, mais il est à l'image du droit ! Cette diversité est inhérente à l'exercice ! Vous confondez aussi les objectifs et les modalités de la simplification : il est compliqué de simplifier ! Ce qui compte, c'est le résultat pour nos concitoyens. Nous sommes des professionnels, c'est à nous d'affronter la complexité.

M. Jérôme Lambert - Nous sommes des élus !

M. le Secrétaire d'Etat - J'espère que les élus sont tous des professionnels de la vie publique : demandez donc aux maires s'ils ne le sont pas !

Enfin, ce texte se met au service des plus faibles, et en la matière, les intentions du Gouvernement ne peuvent être sujettes à caution. La simplification et la transparence profitent toujours aux plus faibles. M. Lambert ne m'a pas semblé très convaincant quand il s'est fait l'ambassadeur de la lourdeur administrative. Notre société a besoin de simplification, et les usagers nous le demandent. Cet objectif devrait réunir la droite et la gauche et je demande le rejet de cette motion d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Guy Geoffroy - Dans son long développement, M. Lambert s'est efforcé de démontrer l'inconstitutionnalité de ce projet de loi. En réalité, il a tourné en rond pendant un quart d'heure avec un certain nombre de caricatures, avant de lancer le véritable débat pendant trois quarts d'heure, tout en se plaignant bien sûr que le débat était tronqué !

Le premier élément de son argumentation pourrait faire sourire. A trois jours du scrutin européen, nous n'aurions pas le droit de légiférer ! Pire, notre présence ici priverait le pays d'un certain nombre de compétences. Voilà qui est aimable pour les parlementaires qui sont venus travailler aujourd'hui ! M. Lambert a repris un certain nombre d'antiennes qui ne relèvent pas de la démonstration, mais de l'affirmation gratuite, comme parler de débat tronqué, de dessaisissement du Parlement, de dissimulation suspecte, de passage en force et de tours de passe-passe... alors que, de toute façon, les gels budgétaires empêcheraient les politiques d'être mises en _uvre !

Tout cela n'est pas très sérieux, à propos d'une disposition constitutionnelle qui est loin d'être mineure. L'article 38 est utile en général, et essentiel en cette matière qui est directement liée à l'intérêt général. N'oublions pas que les ordonnances ont valeur législative à partir du moment où le projet de loi autorisant leur ratification est déposé et où cette ratification est opérée. Or, tant pour le projet de loi d'habilitation de l'an passé que pour le présent - et même le suivant, qui est préparé dans la plus grande transparence -, le Gouvernement et le rapporteur veillent à ce que les ordonnances soient ratifiées le plus rapidement possible. Et comment s'offusquer, au nom qui plus est d'un débat tronqué, que le Parlement, à l'occasion de la ratification des ordonnances, se prévale de son droit d'amendement ? Il n'y a aucune volonté de dessaisir le Parlement, mais au contraire une utilisation dynamique de la Constitution pour faire évoluer le droit et le rendre plus accessible.

Depuis le début de la Ve République, 250 ordonnances ont été prises, dont plus du quart entre 1997 et 2002 ! Ce qui était vrai hier ne le serait donc plus aujourd'hui ? Vous direz sans doute que vous aviez de bonnes raisons et pas nous, mais les Français n'ont pas la mémoire si courte ! Vous ne pouvez pas critiquer une procédure que vous avez si souvent employée. Vous avez notamment utilisé les ordonnances pour la transposition de directives européennes - et personne n'a d'ailleurs contesté dans vos rangs, lors de la discussion du texte de transposition dont j'étais le rapporteur récemment, que ce que vous aviez fait en la matière était beaucoup plus opaque et critiquable que ce que nous proposons !

La vérité, c'est qu'il y a ceux qui veulent faire simple, pour le bonheur du pays, et ceux qui ne veulent pas, afin de continuer à prospérer sur le malheur de certains. Nous faisons partie des premiers, et le groupe UMP refusera de voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Brunhes - Je regrette vivement l'absence du ministre de la réforme de l'Etat, qui était à la tribune tout à l'heure pour nous annoncer ses principes et n'est plus là pour écouter ce que nous avons à lui dire. C'est manquer singulièrement de respect envers le Parlement. Et si je ne mets pas en cause la compétence de M. Woerth, je regrette le procédé.

Sur le fond, si simplification il doit y avoir, c'est bien parce qu'il y a eu complexification ! L'accumulation des textes législatifs ne date pas d'hier. Pierre Mazeaud, ancien député et maintenant président du Conseil constitutionnel, s'en est plaint dans son ouvrage Rappel au Règlement. C'est le Gouvernement qui est responsable de cette inflation législative, puisqu'il est seul maître de l'ordre du jour ! La situation est telle que notre groupe a dû demander une audience au Premier ministre et au Président de l'Assemblée nationale pour dénoncer les conditions de travail du Parlement. Des textes discutés en Conseil des ministres le mercredi viennent en discussion la semaine suivante, après quelques heures en commission sur la base d'un rapport rédigé la veille. Voilà ce qui provoque la mauvaise rédaction des lois et cette aberration qui conduit à un mois de session extraordinaire alors que nous avons la session unique.

M. Dutreil dit vouloir se pencher sur les procédures législatives : que ne l'a-t-il fait depuis deux ans ? Je vous l'accorde, les gouvernements précédents n'ont pas fait mieux, c'est un problème de fond. Je ne vous rappellerai qu'un des exemples pris par M. Mazeaud : un virage du Parc des Princes prend feu, la semaine suivante, la ministre de la jeunesse et des sports, Mme Alliot-Marie dépose un projet de loi ! Il y a donc un vrai problème, et M. Dutreil a raison de vouloir l'examiner. Sans compter le nombre de textes législatifs qui relèvent en fait du règlement !

En ce qui concerne la procédure des ordonnances, vous affirmez qu'il est de bonne guerre d'utiliser l'article 38. Mais vous ne l'utilisez pas, vous en abusez !

M. Guy Geoffroy - Affirmation gratuite !

M. Jacques Brunhes - Les lois d'habilitation comprenaient jusqu'à présent un, deux, voire trois articles ! C'était l'usage. Mais votre premier texte contenait vingt et un articles, et celui-ci une soixantaine, avec deux cents mesures ! Vous battez tous les records ! Et avec son rapport de 810 pages, le rapporteur va entrer dans le Guiness !

On ne saurait prétendre qu'il s'agit seulement de mesures techniques. C'est impossible ! La preuve qu'il y a des mesures de fond, c'est qu'alors que nous nous apprêtons à débattre de l'assurance maladie le mois prochain, apparaît un article entier sur la gouvernance de l'hôpital !

Nous voterons donc l'exception d'irrecevabilité.

M. François Sauvadet - Nous pourrions tous nous retrouver pour défendre les prérogatives du Parlement. D'abord, celles qui concernent l'élaboration de la loi. Ensuite, le contrôle de l'application de la loi, sur lequel nous devons progresser. Nous avons créé des outils nouveaux, à nous de les faire fonctionner : nous avons un office d'évaluation des conditions d'application de la loi ; j'en suis membre, mais mon agenda prouve qu'il ne fonctionne pas !

Quelle que soit la majorité, nous sommes habitués à voir arriver des amendements gouvernementaux de dernière minute. Bien sûr, cette évolution mérite de notre part une réflexion, comme, de façon plus générale, notre mode de fonctionnement : celui-ci devait être modifié par la session unique, notamment en ce qui concerne les séances tardives ; nous avons progressé, mais pas suffisamment, et il est heureux que nous amorcions ce débat.

Cela dit, je n'ai pas été convaincu par l'argumentation de notre collègue. Bien sûr, le fait de légiférer par ordonnances impose, si nous ne voulons pas être dépossédés de nos prérogatives, de bien en préciser le champ : c'est tout le sens du débat qui va s'engager et qui devra aller au fond. Mais je n'ai pas compris pourquoi nous ne devrions pas légiférer à trois jours d'un scrutin européen... En revanche, quand je vois des conseils régionaux se réunir partout en France pour faire le procès de la décentralisation, le lien me paraît évident ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Une autre évidence, c'est qu'il nous faut simplifier notre droit. Nos compatriotes attendent cela de nous ; faisons-le dans le respect des prérogatives de chacun. Passage en force, dites-vous ? Allons ! Le débat ne va-t-il pas avoir lieu ? En revanche, oui, il y a urgence pour nos compatriotes. Je me réjouis notamment pour les artisans et commerçants.

Au nom du groupe UDF, j'invite donc mes collègues à repousser cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L'article 38 existe, certes, mais le problème est de savoir comment et pourquoi on s'en sert ! Sous prétexte de simplifier le droit, le Gouvernement utilise le dispositif des ordonnances. Considérez-vous que procéder ainsi, c'est permettre au Parlement d'exercer pleinement ses prérogatives ? Et ne nous dites pas que la ratification sera l'onction donnée par le Parlement à ce qu'aura fait le Gouvernement, alors que, eu égard au contenu de ce texte, nous n'aurons pas les moyens de comprendre ! En outre, on nous demande des ratifications implicites par voie d'amendements reprenant des dispositions figurant à l'origine dans une ordonnance. Nous connaissons ces techniques, qui ont pour finalité d'empêcher l'ouverture d'un vrai débat !

Le rapport déposé il y a deux jours par M. Blanc illustre, par son volume, la situation dans laquelle nous nous trouvons. Pourquoi ce texte n'a-t-il été examiné que par la commission des lois ? Il est scandaleux que les autres commissions, chacune dans leur domaine de compétences, n'aient pas pu s'en saisir.

De même, nous n'aurons pas les moyens de connaître, sur chaque sujet, les véritables intentions du Gouvernement : il faudrait pour cela que les ministres concernés viennent l'un après l'autre nous les expliquer. Nous sortons d'un débat sur le divorce, et nous voyons apparaître une ordonnance sur la filiation, qui pose de multiples problèmes... De même, alors que nous allons débattre de la sécurité sociale, voilà qu'on nous impose une ordonnance sur l'hôpital. Même chose pour les règles d'urbanisme.

Si le Gouvernement refuse de supprimer des articles ou de mieux préciser ses intentions, nous irons jusqu'au bout du processus sur le plan constitutionnel. J'invite mes collègues à voter cette exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 11 heures 45, est reprise à 11 heures 55.

QUESTION PRÉALABLE

M. Jacques Brunhes - Ce projet tend à permettre le recours à la procédure des ordonnances de l'article 38 de la Constitution pour habiliter le Gouvernement à simplifier le droit et adopter ainsi quelques deux cents mesures différentes.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez dit tout à l'heure que nous étions des professionnels de la politique...

M. le Secrétaire d'Etat - De la vie publique...

M. Jacques Brunhes - Mais nous sommes des élus, dont le mandat dépend des électeurs, qui peuvent nous sanctionner ou nous réélire, c'est différent !

C'est bien pourquoi nous considérons qu'il n'est pas possible de banaliser une telle procédure, qui ne respecte pas les droits de la représentation nationale, qui déroge au principe de séparation des pouvoirs et qui prive le Parlement de la possibilité de débattre.

Sans remonter à M. Juppé, déjà, l'année dernière, le groupe communiste s'était opposé au recours aux ordonnances, dénonçant un projet qui comportait alors vingt-neuf articles. Celui-ci en contient soixante et un... C'est sans précédent, et c'est une des raisons de cette motion de procédure.

L'argument de l'encombrement de l'ordre du jour ne tient pas dans la mesure où le Gouvernement en est le maître. S'il est surchargé depuis deux ans, s'il l'est plus encore en juin et au cours de la session extraordinaire, c'est vous qui portez la responsabilité de l'inflation législative...

On le voit, le recours aux ordonnances n'est qu'un moyen d'aller vite, tout en nous privant de la possibilité de débattre publiquement de ces réformes.

Mais, même sans demander d'habilitation, certains ministres empiètent déjà, dans leurs activités quotidiennes, sur les compétences du législateur. Ainsi, le ministre de l'économie a décidé d'exonérer temporairement les enfants et petits-enfants de droits de succession. Le sénateur Charasse s'en est ému, et notre Président, Jean-Louis Debré, s'est interrogé sur le fait qu'une telle mesure n'ait pas été débattue au Parlement. En effet, l'article 34 de la Constitution prévoit expressément que « la loi fixe les règles concernant les successions et libéralités » et le ministre d'Etat s'est donc bien arrogé un droit qui relève strictement de la compétence parlementaire.

Vous connaissez l'hostilité historique du groupe communiste à l'utilisation des ordonnances de l'article 38, qui permettent au Gouvernement de dessaisir le Parlement de son pouvoir législatif : nous demander ainsi un chèque en blanc, c'est mépriser l'institution parlementaire ! Comment, en déléguant son pouvoir, le Parlement exercera-t-il son contrôle sur l'activité de l'exécutif ?

Depuis deux ans, notre assemblée est devenue une véritable chambre d'enregistrement, qui examine au pas de charge des projets qui remettent souvent en cause des droits fondamentaux, et qui ont été validés dans le secret des cabinets ministériels - pour ne pas polémiquer, je ne mentionne pas un grand syndicat patronal.

Une telle procédure devrait rester exceptionnelle. L'utilisation que vous en faites nous inquiète : va-t-elle devenir une pratique habituelle ? Le précédent ministre de la fonction publique envisageait de présenter des projets d'habilitation à un rythme soutenu, et vous avez déjà annoncé un troisième texte.

On peut donc s'interroger légitimement sur la place qu'occupe désormais la représentation nationale dans l'élaboration de la loi. M. Dutreil a posé la question. Il n'a pas donné la réponse.

D'autre part, la loi doit être intelligible, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel en 1999. Si nous sommes écartés de sa rédaction, comment serons-nous sûrs qu'elle le sera ? De façon générale, les ordonnances sont source d'insécurité juridique. Pendant le délai parfois long qui les sépare de la loi de ratification, elles coexistent avec d'autres dispositions non encore abrogées. C'est l'inverse d'une simplification du droit.

Quant au contrôle qu'exercerait le Parlement lors de l'examen des lois de ratification, il ne permet jamais de revenir sur le contenu des ordonnances. Et si le Gouvernement a obligation de déposer un projet de loi de ratification, il n'a pas celle de l'inscrire à l'ordre du jour. Pis encore, la ratification peut intervenir à l'occasion d'une nouvelle demande d'habilitation. C'était le cas l'an dernier, ce l'est encore cette fois. Le contrôle parlementaire reste bien virtuel.

Mais ce que vous voulez, au fond, c'est pouvoir agir sans les inconvénients du débat parlementaire, en toute discrétion, sans avoir à répondre à d'éventuels amendements ou à certaines pressions syndicales ou revendicatives. Les ordonnances le permettent. Le Gouvernement aurait tort de s'en priver.

Pourtant sous la précédente législature, vous dénonciez le recours à l'article 38 pour bâillonner le Parlement, et vous avez défendu de nombreuses motions à ce sujet.

M. Guy Geoffroy - Le Gouvernement que vous souteniez y avait donc recours, et copieusement !

M. Jacques Brunhes - Ceux qui, hier, critiquaient cette atteinte grave aux prérogatives du Parlement, l'acceptent aujourd'hui les yeux fermés, et à quelle échelle ! Le Premier ministre envisageait d'y recourir - avant les élections - pour l'assurance maladie, et ce texte comporte des mesures relatives aux organismes de sécurité sociale. L'organisation de l'hôpital ne devait pas se faire par ordonnances, avait dit le ministre de la santé. C'est ce qui vient d'être fait.

Simplifier le droit est pourtant un objectif louable, utile pour bien des professionnels. Si l'on vous en croit d'ailleurs, certains voudraient conserver cette complexité dont ils tirent avantage. Souvent en effet, nous avons le sentiment de travailler au bénéfice des cabinets d'avocats et des experts. Nul n'est censé ignorer la loi. Mais il y a plus de 8 000 lois et de 100 000 décrets en vigueur, probablement davantage même, car l'inflation législative se poursuit. Le problème n'est pas nouveau, et Mme Chandernagor avait présenté un rapport à ce sujet.

Nous souhaitons donc tous faciliter l'accès au droit, mais pas selon le procédé que vous voulez utiliser.

Sur le fond, sous prétexte de simplifier le droit, vous modifiez des droits sans débat parlementaire. Comme en 2003, le Gouvernement invoque le caractère technique de certaines mesures. Mais, avec ses soixante et un articles et 200 mesures proposées, le texte mérite toute notre attention. Les parlementaires en sont parfaitement capables. A qui fera-t-on croire que les dispositions relatives au droit de la filiation, à l'aide juridictionnelle, à l'urbanisme et au logement, à la sécurité sociale, aux laboratoires de recherche ou à la santé sont purement techniques ? Nous ne pouvons les laisser prendre dans le cadre d'ordonnances élaborées par des groupes anonymes et irresponsables.

M. Guy Geoffroy - Oh !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - C'est objectif, cela n'a rien d'injurieux.

M. Jacques Brunhes - Nous ne pouvons vous accorder un tel blanc-seing. Une réflexion de fond s'impose, d'autant que nous sommes tous d'accord sur ces bancs pour simplifier les procédures et démarches administratives. Il existait d'ailleurs un groupe de travail à ce sujet. Mais il ne s'est jamais réuni.

M. François Sauvadet - C'est vrai !

M. Jacques Brunhes - De même, les bonnes intentions de M. Séguin et de M. Mazeaud sur le suivi des lois n'ont jamais été suivies d'effet. Ajoutons que dans bien des cas, les décrets d'application ne sortent même pas. M. Mazeaud en rendait responsable l'administration. Mais un ministre peut faire publier un décret, s'il en a la volonté politique.

En réalité, en prenant cette initiative, le Gouvernement cherche à modifier des règles sensibles sans associer à la réflexion le Parlement ni les partenaires sociaux. Le rapporteur, en commission, s'est contenté de rappeler que la loi d'habilitation du 2 juillet 2003 visait à réécrire ou supprimer des textes obsolètes et à « simplifier nombre de procédures », sans rappeler que cette expression recouvrait un bouleversement du code des marchés publics ni qu'en vertu de l'ordonnance du 15 avril 2004 allégeant certaines formalités, le Gouvernement a aussi supprimé la prise en charge par la sécurité sociale des frais médicaux d'une femme enceinte durant les quatre derniers mois de sa grossesse. Ce ne sont que quelques exemples, mais ils sont révélateurs.

Le pire reste à venir avec ce nouveau projet de loi d'habilitation, d'autant plus que toutes les ordonnances n'ont pas été prises en vertu de la précédente. Si nous souscrivons à certaines dispositions mineures, il n'en va de même pour tout ce qui touche au droit de la filiation et à l'aide juridictionnelle, sans parler des mesures relatives à l'urbanisme, au logement, au régime social des travailleurs indépendants, aux organismes de sécurité sociale, à l'administration hospitalière. Sur chacun de ces sujets, le Gouvernement a déposé depuis deux ans divers textes, pourquoi ne pas les reprendre ?

Quant à la simplification des relations entre l'usager et les administrations, encore faudrait-il leur donner les moyens de se réorganiser !

Monsieur le ministre, si vous pensez réformer l'Etat en vous passant des parlementaires et des usagers, vous courez à l'échec ! Mais le Gouvernement est clair : il veut avoir les mains libres pour appliquer son programme ultra-libéral !

Et j'en profite pour signaler qu'il n'est pas coutumier de voir le Parlement se réunir à la veille d'une élection, mais je le répète, l'inflation législative est telle que le Gouvernement ne s'en sort pas.

M. François Sauvadet - Le programme de travail a été décidé à la Conférence des présidents, où la gauche était représentée.

M. Jacques Brunhes - En conclusion, il n'y a pas lieu de délibérer sur ce projet de loi d'habilitation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Tout d'abord, vous fustigez le champ du projet de loi d'habilitation, sans nous expliquer en quoi il serait trop large. Au contraire, vous vous référez à l'exemple du code des marchés publics qui, justement, relève du pouvoir réglementaire.

Par ailleurs, vous prétendez à tort que la procédure de l'ordonnance est source d'insécurité juridique, alors que les ordonnances, tant qu'elles ne sont pas ratifiées, ont une force exclusivement réglementaire. Les choses sont claires.

Enfin, le rapport déposé par le Gouvernement en mars 2004 précisait les ordonnances dont la ratification serait sollicitée devant le Parlement, mais le droit d'amendement n'a pas été utilisé pour toucher au fond ! C'est bien la preuve qu'il ne s'agit que de dispositions techniques sur lesquelles tout le monde s'accorde, en dehors du jeu politique.

Pour ces raisons, nous ne voterons pas cette question préalable.

M. le Secrétaire d'Etat - « Dépossession du Parlement », le grand mot est lancé ! La Constitution, votée par les Français, nous permet de légiférer par ordonnances en son article 38, et nous le faisons, de surcroît pour une bonne cause : simplifier le droit.

J'ai entendu parler d'irresponsabilité, mais qui porte les ordonnances ? Le pouvoir politique ! Nous allons ratifier des ordonnances issues du premier projet de loi d'habilitation : la ratification est alors explicite, et le Parlement peut réagir, ce qui n'a pas toujours été le cas.

Enfin, il n'est pas question d'idéologie. Il s'agit tout simplement de simplifier dans un souci de performance.

J'appelle les parlementaires à rejeter cette question préalable.

M. Guy Geoffroy - M. Brunhes prétend, que si nous en arrivons à légiférer par ordonnances, c'est que l'ordre du jour est surchargé : le Gouvernement légifèrerait toujours davantage tout en voulant simplifier le droit.

En réalité, la France a besoin d'être réformée, et le Gouvernement s'y attelle, tout en ayant le courage de s'attaquer avec pragmatisme à la simplification de notre droit.

Vous protestez contre l'absence de débat, mais n'avez-vous pas eu l'occasion de vous exprimer par la défense des motions de procédure, comme vous le ferez encore au cours de la discussion générale ?

Les sujets concernés ne sont pas suffisamment importants pour justifier des projets de loi distincts, soumis à l'ensemble des procédures.

Par ailleurs, vous avez laissé entendre que le dépôt du projet de loi de ratification avait pour objet de conserver à l'ordonnance son statut de loi, alors qu'il tend à ce que l'ordonnance ne devienne pas caduque. Ce n'est pas le dépôt du projet de loi, mais la ratification qui donne force législative à l'ordonnance.

Que la rapidité soit le corollaire de l'opacité, que l'ampleur du texte exclue la procédure de l'article 38, ce sont de simples déclarations de principe auxquelles nous n'adhérons pas. Le ministre l'a dit, l'étendue du projet se justifie par les nombreuses modifications de détail.

Vous prétendez que les partenaires n'auraient pas été sollicités. Or, nous aurons l'occasion de débattre du régime social des travailleurs indépendants et vous verrez alors que notre initiative a été proposée à la demande même des trois caisses concernées.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne votera pas la question préalable.

M. Jérôme Lambert - Selon M. le rapporteur, la question préalable de M. Brunhes ne précisait pas en quoi le champ d'habilitation serait trop large. Or, une bonne quinzaine de dispositions font douter des intentions du Gouvernement. Le groupe socialiste a parfaitement entendu notre collègue.

S'il était seulement question de mesures de simplifications, nous ferions certes une résistance symbolique au nom des droits du Parlement, mais ne tiendrions assurément pas le discours que nous tenons car nous sommes favorables à la simplification du droit.

En fait, ce projet comporte des dispositions qui peuvent sensiblement modifier le droit. Certes, nous disposons de projets de ratification d'ordonnances, le droit est donc sauf. Mais les avez-vous lus ? Ils sont incompréhensibles, et cela ne correspond donc pas aux exigences du Conseil constitutionnel.

Enfin, M. le ministre a affirmé que le droit doit être au service du plus faible, et c'est très bien, mais qu'en est-il de cette déclaration lorsque vous réduisez les aides juridictionnelles ?

Le groupe socialiste votera donc cette question préalable.

M. François Sauvadet - Je rappelle qu'il y a un ordre du jour, défini en Conférence des présidents.

M. Jacques Brunhes - Nous avons protesté contre cet ordre du jour.

M. François Sauvadet - Il y a un règlement.

Certes, il faudra veiller à ne pas proposer des calendriers trop serrés afin que le Parlement puisse travailler dans de bonnes conditions. Ainsi, la discussion du projet sur les droits des personnes handicapées aurait dû sans doute être mieux organisée, mais il ne faut pas faire de cette question un enjeu politique.

Votre question préalable est d'ailleurs contradictoire puisque vous souhaitez à la fois que le champ de la loi d'habilitation et de l'ordonnance soit précisé et, en même temps, mettre fin à notre débat.

Sur certains points, un toilettage s'impose : je pense en particulier aux prestations de serment, qui relèvent d'un autre temps. Nous devons au contraire très vite délibérer. En conséquence, le groupe UDF ne votera pas la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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