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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 106ème jour de séance, 262ème séance

3ème SÉANCE DU JEUDI 17 JUIN 2004

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      SERVICE PUBLIC DE L'ELECTRICITE
      ET DU GAZ (suite) 2

      AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite) 2

      ORDRE DU JOUR DU LUNDI 21 JUIN 2004 15

La séance est ouverte à vingt-deux heures.

SERVICE PUBLIC DE L'ELECTRICITE ET DU GAZ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite)

M. Daniel Paul - Par l'amendement 1636, nous demandons que le Gouvernement invite ses partenaires européens à renégocier les conclusions du Conseil européen de Barcelone de mars 2002. En attendant, le processus de libéralisation de l'énergie devrait être suspendu.

Des décisions essentielles pour notre avenir - âge de la retraite, fonds de pension, libéralisation des services publics, politique salariale et flexibilité du travail- ont été prises au sommet de Barcelone. Le document « Conclusions de la présidence » a été élaboré en toute discrétion, au mépris des principes fondateurs de la démocratie parlementaire. « L'usage public de la raison devrait être au c_ur du projet parlementaire » disait pourtant le philosophe allemand Jürgen Habermas.

Alors que la grande affaire de ce sommet consistait à déterminer les délais dans lesquels serait libéralisé le marché de l'énergie et quel degré de libéralisation serait atteint, on ne peut parler de victoire de la diplomatie française.

Bernard Cassin, ancien président d'Attac, dans un article paru dans le monde diplomatique en avril 2002, a dénoncé ce qui est le véritable scandale de ce sommet : l'engagement d'un gouvernement sur des sujets de la plus haute importance, sans en avoir au préalable informé les populations concernées : on s'est plus soucié des marchés.

Pis encore, les gouvernements ne se sont même pas interrogés sur le bien-fondé de la libéralisation du marché de l'énergie, pour ne pas parler des télécoms ou des transports.

Les décisions prises à Barcelone n'ont aucune légitimité. Comment alors s'étonner du désintérêt des électeurs?

Le seul intérêt de ce sommet fut de faire de l'Europe des commissaires de Bruxelles la coupable idéale quand des décisions politiques difficiles sont à prendre. Une négociation s'impose donc.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques - Avis défavorable, car il s'agit là d'une injonction au Gouvernement .

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Même avis.

L'amendement 1636, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - L'amendement 1616 tend à ce que la France demande, par l'intermédiaire du ministre chargé de l'énergie, la suspension de la transposition des directives relatives à la libéralisation de l'énergie jusqu'à la production d'un bilan contradictoire sur les effets de la libéralisation du secteur énergétique.

M. le Rapporteur - Pour les mêmes raisons, avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Défavorable, bien que je sois très flatté de votre confiance en mon pouvoir de conviction !

L'amendement 1616, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - L'amendement 1619 tend à ce que la France demande un moratoire sur les directives européennes jusqu'à la réalisation d'un bilan sur les effets de la libéralisation de l'énergie, en termes d'emplois, d'efficacité économique et de tarifications. La France devra par ailleurs s'engager à renoncer à l'extension de l'éligibilité aux clients domestiques prévue par les directives au plus tard au 1er juillet 2007.

L'Europe de l'énergie ne va pas dans la bonne direction, les multiples suppressions d'emplois et les déboires d'EDF en Allemagne en témoignent.

M. le Rapporteur - Il s'agit d'une nouvelle injonction au Gouvernement. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. François Brottes - Cet amendement reprend la position défendue par le précédent gouvernement, à savoir le refus d'ouvrir l'énergie à la concurrence pour les consommateurs domestiques. C'est important de le réaffirmer car il n'y a rien d'inéluctable en ce domaine, malgré les récents propos de Mme Fontaine ; M. Devedjian n'est peut-être pas aussi catégorique.

S'agissant des bilans, la Commission s'en passe trop souvent, ou se contente d'études globales, alors que c'est d' analyses pointues que nous aurions besoin en la matière.

M. le Ministre délégué - A nouveau, je remercie du fond du c_ur MM. Paul et Brottes pour la confiance qu'ils témoignent au ministre chargé de l'énergie : à moi seul, je pourrais donc obtenir un moratoire sur les directives européennes ! Vraiment, je suis très touché.

M. Daniel Paul - N'altérez pas mon propos...

M. le Ministre délégué - C'était trop beau !

M. Daniel Paul - Si le Gouvernement s'engageait à défendre une approche nouvelle auprès de la Commission et au sein du Conseil des ministres de l'énergie, je suis persuadé qu'il trouverait des alliés parmi les pays de l'Union qui ont déjà fait l'expérience de la libéralisation du secteur énergétique. Il n'est bien sûr pas question d'une quelconque obligation de résultat, mais il vaudrait la peine d'essayer de construire un nouveau rapport de forces.

L'amendement 1619, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - Nous l'avons amplement démontré, les bénéfices attendus de l'ouverture à la concurrence sont largement illusoires. Plusieurs grands patrons - celui de la SNCF comme celui de Saint-Gobain - et des responsables de l'Union française de l'électricité ont d'ailleurs déjà exprimé leur inquiétude face à l'augmentation des tarifs. C'est ce qui justifie que, par notre amendement 1600, nous demandions « la renégociation des directives européennes impliquant l'ouverture à la concurrence du secteur énergétique ».

M. le Rapporteur - Rejet : il s'agit encore d'une injonction au Gouvernement.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. François Brottes - Ce n'est pas une injonction, mais un soutien au Gouvernement pour une renégociation qui s'impose en raison des particularités du secteur de l'énergie.

L'amendement 1600, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - Le Gouvernement se montre décidément rétif à nos arguments, mais il n'est pas nécessaire d'avoir la certitude de réussir pour persévérer !

Par l'amendement 1604, nous demandons que le Gouvernement soumette « à ses partenaires européens le projet d'insérer systématiquement une clause de réversibilité dans les directives européennes existantes ». L'expérience devrait vous convaincre de l'utilité de cette mesure de précaution : certaines directives se sont révélées nocives - en particulier celle qui nous occupe - et il serait donc de bonne politique que l'Europe se ménage la possibilité de faire marche arrière, le cas échéant. L'exemple allemand notamment devrait nous faire réfléchir : en 1998, ce pays a été le premier à libéraliser à 100 % son marché de l'électricité et du gaz, mais cet empressement n'a pas été couronné de succès, loin s'en faut. En effet, si entreprises et particuliers ont légalement la possibilité de choisir leur fournisseur d'énergie, 700 000 seulement des 50 millions de consommateurs ont usé de cette faculté et deux grandes entreprises produisent et transportent 90 % de l'énergie consommée.

Avant cette libéralisation, il n'y avait qu'un seul fournisseur par localité. La concurrence a remis en cause ces monopoles en introduisant une nouvelle contrainte : les fournisseurs sont tenus de sortir de leur Land d'origine pour conquérir des marchés dans le reste du pays. Cela exige de lourds investissements, que les municipalités financent en ouvrant le capital de leurs régies au secteur privé. Pratiquement toutes ces régies ont ainsi été transformées en sociétés anonymes. Ce retrait des municipalités du capital, et donc des organes de décision, n'est pas sans risque. En effet, les régies ne bornaient pas leur activité à la fourniture d'énergie : elles gèrent également l'eau, le chauffage urbain et le traitement des déchets. Voyant cette organisation menacée, les syndicats et les usagers se sont mobilisés. A Düsseldorf, ils ont réussi à faire échouer la vente de la régie.

La loi allemande permet désormais à qui veut de vendre du courant aux particuliers comme aux industriels. Les entreprises qui disposent du réseau de distribution sont donc obligées de le louer. Faute d'autorité de régulation, les prix varient d'un réseau à un autre et un protectionnisme voilé s'est installé, les compagnies exigeant des droits de passage prohibitifs quand elles ne refusaient pas purement et simplement ce passage en prétextant une surcharge du réseau.

L'Allemagne s'est apparemment comportée en bon élève mais, dans les faits, le protectionnisme y est bien réel. Cet exemple devrait vous inciter, sinon à renoncer à ce projet, du moins a n'avancer dans la voie de la libéralisation qu'avec la plus extrême prudence.

M. le Rapporteur - Il s'agit à nouveau d'une injonction. Quant au raisonnement, il est surprenant : souhaiteriez-vous un marché fermé comme celui de l'Allemagne ?

M. le Ministre délégué - Rejet également.

M. Christian Bataille - M. Paul a raison de souhaiter une sorte de droit à l'erreur. Je pense que tout le monde a vu The Navigators, le film de Ken Loach qui montre les effets de la libéralisation de chemin de fer britannique : déraillements, désillusions de toutes sortes. Les Anglais ont dû faire marche arrière... Or l'Europe a adopté, s'agissant de cette ouverture des marchés, une politique irréaliste qui s'apparente à celle du rouleau compresseur. Pour une fois, elle ferait bien mieux de s'inspirer des Etats-Unis, qu'on donne comme modèle de libéralisme mais qui ont en fait opté pour la diversité : certains Etats ont opté pour la libéralisation, d'autres non ; certains se sont regroupés pour constituer un marché commun de l'électricité, d'autres non. En 2003, les principes de marché ne s'appliquaient qu'à 40 % de la population américaine. Des régions entières y échappent : Sud-Est, Midwest, Centre-Sud, Sud-Ouest, Nord-Ouest et même Floride ! La même diversité serait sans doute souhaitable en Europe : les Etats européens n'ont pas les mêmes traditions en matière d'organisation du marché de l'électricité. Le Gouvernement devrait donc exiger une possibilité de modulation.

M. Jacques Desallangre - Quand le ministre délégué ironise en disant qu'il se voit mal faire bouger l'Europe à lui seul, on comprend immédiatement qu'il a jeté le manche après la cognée et que le volontarisme politique lui est étranger. Je prétends, au contraire, que la France peut avoir son rôle à jouer dans l'Union.

En Europe, en matière d'énergie, la demande d'énergie continue de croître, les « paniers » sont très divers et les taux d'indépendance s'orientent à la baisse. La compétitivité est compromise et le prix de l'électricité devient un sujet de préoccupation. Or, malgré les gains de compétitivité qu'on peut attendre de la constitution d'un marché européen de l'électricité, plusieurs facteurs rendent probable une hausse de ce prix : émissions de CO2 croissantes, potentiel d'énergies renouvelables limité... Pour surmonter ces éléments de fragilité, l'Europe doit se fixer des objectifs clairs et se donner les moyens de les atteindre. Je n'ai pas la réputation d'être un pro-européen acharné, mais il me semble que nous pouvons au moins nous entendre sur certains points : faire de l'énergie un facteur de compétitivité économique, construire un marché ouvert et intégré, lutter contre l'effet de serre, contribuer à la solidarité en même temps qu'à l'émergence de groupes européens. Il conviendrait aussi de travailler à une politique commune et à un pacte de stabilité énergétique, de fixer des règles communes pour la sécurité de l'approvisionnement, de définir des outils de compétitivité communs, de faire converger nos politiques vers un modèle commun, de relancer la politique de maîtrise de l'énergie.

Tout cela n'est pas contradictoire avec notre spécificité et avec tout ce qui fait notre attachement au service public.

M. Alain Bocquet - Absolument !

M. François-Michel Gonnot - En ces instants où l'équipe de France lutte vaillamment en terres portugaises, il n'est pas étonnant que certains veuillent refaire le monde (sourires)... et que M. Paul nous présente un amendement anti-européen ! (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Muguette Jacquaint - Pas du tout !

M. François-Michel Gonnot - Nous sortons d'une campagne européenne...

Mme Muguette Jacquaint - Elle ne vous a guère réussi !

M. François-Michel Gonnot - ...au cours de laquelle vous n'avez jamais plaidé pour la réversibilité des directives...

M. Alain Bocquet - Mais si !

M. François-Michel Gonnot - Non plus du reste que pendant toute la période où vous avez soutenu le gouvernement Jospin. Assumez votre passé !

M. le Ministre délégué - Ça, c'est peut-être beaucoup demander !

M. François-Michel Gonnot - Votre proposition est risible et il n'est pas sérieux de venir la défendre ! (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Alain Bocquet - Dogmatique !

M. Daniel Paul - A l'évidence, votre conception de ce que doit être la construction européenne est très différente de la nôtre...

M. François-Michel Gonnot - C'est sûr !

M. Daniel Paul - Mais il est faux de dire que nous n'avons jamais dénoncé les effets pervers de certaines directives...

M. le Ministre délégué - Vous avez soutenu la décision de Barcelone de mars 2002 ! Vous n'avez pas démissionné du Gouvernement !

M. Alain Bocquet - Nous avons eu tort ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. Daniel Paul - L'expérience de ces dernières années montre que tous ceux qui se sont engagés dans la voie de la libéralisation du domaine de l'énergie ont eu à le regretter. Nous voulons une Europe respectueuse du principe de la sécurité des approvisionnements énergétiques que seul le service public permet de respecter ; vous, vous voulez une Europe ultra-libérale à la Thatcher, pour créer une démocratie d'actionnaires !

L'amendement 1604, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Asensi - Notre amendement 1605 vise à ce que le gouvernement français soumette à ses partenaires européens le projet d'insérer une clause de réversibilité dans les directives européennes déjà promulguées. La réversibilité des normes est un élément constitutif de la démocratie. Les commissaires européens ne sont pas infaillibles...

M. Alain Bocquet - Ils ne sont pas de droit divin !

M. François-Michel Gonnot - Soyons sérieux ! Les directives ne sont pas arrêtées par les commissaires !

M. François Asensi - Présente sur tous les continents, EDF mène déjà une politique mondiale. Il n'y a pas lieu de faire évoluer son statut en vertu d'une directive dont tous les effets n'ont pas été évalués. Pourquoi se priver de la possibilité de revenir en arrière s'il y a lieu ? Il faut dresser un bilan objectif de l'impact prévisible de la réforme et se prononcer en connaissance de cause. Il n'y a rien dans cette démarche qui s'apparente à une injonction au Gouvernement !

M. Alain Bocquet - Tout à fait. Il n'y a rien de subversif là dedans !

M. le Rapporteur - Défavorable. Votre proposition tend bien à faire une injonction au Gouvernement.

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement car il est inutile d'inscrire dans la loi une clause de réversibilité. Par essence, les institutions démocratiques telles que l'Union européenne peuvent revenir sur leurs décisions et défaire ce qu'elles ont construit.

M. Alain Bocquet - Peut-être, mais ça va mieux en le disant !

M. François Brottes - Monsieur le ministre, quelques éclaircissements s'imposent. En régime de codécision, lorsque le Parlement et le Conseil européens sont engagés, quelles sont les modalités de révision des directives ? Vous indiquez que tout est réversible. Soit, mais selon quelle méthode ?

L'amendement 1605, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Daniel Paul - Notre amendement 1609 tend à ce que le ministre chargé de l'énergie demande le gel du processus d'ouverture à la concurrence ...

M. François-Michel Gonnot - C'est lui accorder beaucoup de pouvoir !

M. Daniel Paul - ... afin de permettre la réalisation d'un bilan contradictoire sur les effets de la libéralisation du secteur énergétique. Nous savons tous que l'objectif du Gouvernement est de modifier le statut des entreprises dans un premier temps, pour pouvoir les privatiser ultérieurement sans avoir à revenir devant le Parlement. Mais il fait fausse route. L'expérience britannique - fondée sur la même méthode de démantèlement du service public de l'énergie par dissociation des activités de production, de transport et de distribution - nous l'enseigne. Laisser aux marchés le soin de pourvoir aux indispensables investissements de long terme revient à y renoncer purement et simplement. Il faut geler le processus tant qu'il est encore temps plutôt que de s'exposer aux avatars qui ont tant nui à nos voisins britanniques.

L'amendement 1609, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Muguette Jacquaint - Notre amendement 1608 tend à ce que la France adresse à l'OMC une demande de gel des négociations actuelles sur les services publics, afin de permettre de réaliser un bilan contradictoire sur les effets de la libéralisation engagée par cette institution depuis 1995. Les engagements pris au niveau mondial depuis cette date aboutissent à une transformation radicale de notre société, avec à la clé l'abandon des services publics ou leur réduction à des niveaux si bas qu'ils ne peuvent plus corriger les inégalités. Il s'agit bien ici de faire un choix de société, un choix politique qui engage le long terme.

Le secteur de l'énergie est concerné par ces négociations qui se déroulent dans des conditions opaques sous l'égide de la Commission européenne sans concertation avec les parlements nationaux. L'argument traditionnel selon lequel l'ouverture des échanges serait sans impact sur le caractère public de la propriété des entreprises de service n'est pas recevable, car la mise en concurrence des entreprises publiques les soumettra à des exigences de rentabilité telles qu'elles ne pourront plus assumer leur mission de service public. Leur moindre efficacité servira alors de prétexte à leur privatisation.

Il faut absolument geler les négociations sur les services publics menées dans le cadre de l'AGCS pour permettre qu'un vrai débat ait lieu et que les peuples puissent choisir le type de société où ils veulent vivre.

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis défavorable à cet amendement qui constitue une injonction au Gouvernement.

M. le Ministre délégué - Même avis.

L'amendement 1608 mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Nous en arrivons aux amendements identiques 555 à 567.

M. Christian Bataille - Par l'amendement 555, nous proposons d'insérer l'article suivant : « La souveraineté du peuple n'est pas absolue lorsque les services essentiels du pays sont entre les mains d'actionnaires privés. » Cette formulation abrupte va sans doute susciter l'ironie de M. Gonnot, mais elle reprend une idée exprimée dans le Préambule de la Constitution de 1946 et dans le programme du Conseil national de la Résistance, qui prévoyait notamment le retour à la nation des sources d'énergie. Le contexte a changé c'est vrai, mais il n'est pas inutile, à l'heure où l'on ouvre le capital d'EDF et GDF, de rappeler ce principe posé par M. Ramadier, rapporteur de la loi de 1946 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). J'entends certains dire qu'ils n'étaient pas nés en 1946...

M. François-Michel Gonnot - Mais c'est vrai !

M. le Ministre délégué - Moi malheureusement j'étais né !

M. Christian Bataille - Déjà nés ou non, nous sommes tous héritiers et comptables de ces principes.

M. Bernard Carayon - La liberté du commerce et de l'industrie est également un principe constitutionnel !

M. Christian Bataille - Je vous invite tous à adopter notre amendement pour vous conformer à l'esprit du Préambule de 1946.

M. le Rapporteur - Le rapporteur de la loi de 1946, Paul Ramadier avait plutôt ferraillé avec le ministre de la production industrielle, ne l'oublions pas. Rappelons-nous aussi que le texte avait mis dix-huit mois avant d'être discuté dans l'hémicycle, tant il était difficile de concilier les points de vue des trois forces en présence : communistes, SFIO, MRP. La loi de 1946 fut donc le résultat d'un compromis entre ces trois mouvements, elle ne fut pas exactement celle que voulait Marcel Paul. Cela étant, une fois la loi votée, le ministre de la production industrielle fit prévaloir sa vision. C'est ainsi qu'il nomma un seul président à la tête des deux établissements publics, alors que la loi en prévoyait deux. Si je fais ce rappel historique, c'est pour montrer que rien ne s'est exactement passé comme prévu ni comme certains le disent.

Il est écrit dans le Préambule de 1946 que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » L'amendement est redondant par rapport à cette disposition constitutionnelle. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - La phrase de votre amendement n'est pas celle du Préambule de 1946, Monsieur Bataille...

M. Christian Bataille - Je n'ai pas prétendu le contraire, j'ai dit qu'elle en reprenait l'esprit.

M. le Ministre délégué - Ah ? J'avais sans doute mal compris... Vous ne vous référez donc ni à la Constitution, ni au Préambule. Fort heureusement d'ailleurs, car pour moi, la souveraineté du peuple est toujours absolue et inaliénable.

M. Jacques Desallangre - Vous nous faites prendre des vessies pour des lanternes, Monsieur le ministre ! Il est bien évident qu'un EPIC et une SA, ce n'est pas la même chose. La deuxième ne préserve pas l'intérêt général et ne répond pas aux principes qui ont inspiré le législateur de 1946. J'avais pour ma part huit ans en 1946 et je veux bien que l'on prétende que tout ce qui est moderne est forcément meilleur, mais enfin il me semble que l'on n'a toujours pas fait mieux que la devise de 1789 : liberté, égalité, fraternité. Quant au traité de Maastricht, il est plus récent et plus moderne que le programme du CNR, mais permettez-moi tout de même de préférer le second.

Le service public doit échapper à la loi du marché, car il est un élément essentiel de cohésion sociale et de solidarité, il répond aux outrances de l'économie libérale de marché et permet de corriger les inégalités sociales.

M. François-Michel Gonnot - Alors pourquoi avez-vous tant privatisé ?

M. Bernard Carayon - Plus qu'aucun Gouvernement !

M. Jacques Desallangre - Il faut absolument sortir le service public de l'économie concurrentielle.

M. François Brottes - Mon amendement 558 est identique à celui de M. Bataille. A ce dernier, Monsieur le ministre, vous avez objecté que la disposition que nous proposons n'était pas dans la loi : mais c'est précisément pourquoi nous voulons l'y mettre !

M. le Ministre délégué - Vous voulez modifier le Préambule de 1946 ?

M. François Brottes - Nous sommes convaincus que l'intérêt national ne se sous-traite pas à des intérêts privés. Je ne dis pas que nous n'avons pas fauté sur ce point...

M. François-Michel Gonnot - Lourdement !

M. François Brottes - ...mais, contrairement à d'autres, nous savons prendre du recul et voir à quels écueils cela peut conduire quand il s'agit d'entreprises porteuses de missions de service public très importantes.

Il ne faut évoquer qu'avec respect ceux qui ont bâti le programme du Conseil National de la Résistance, en un temps où dominaient le souci de l'intérêt général et la volonté de construire un avenir meilleur. Ce respect est d'ailleurs partagé dans notre hémicycle. La souveraineté populaire, nous y sommes tous attachés, et M. le ministre l'a dit ; mais pour nous, elle ne se monnaye pas. Nous souhaitons donc que cette dimension soit reconnue dans le texte, s'il doit s'agir d'un texte fondateur comme l'affirme le ministre d'Etat.

Mme la Présidente - Puis-je considérer que l'ensemble des amendements identiques est défendu ?

M. François Brottes - Les députés présents défendent leurs amendements.

M. le Rapporteur - Avis défavorable comme sur le 555.

M. le Ministre délégué - Défavorable.

Les amendements 555 et 558, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Christian Bataille - J'entends dire des absurdités sur la Constitution de 1946. Celle qui nous régit est la Constitution de 1958, toute imprégnée des principes de la précédente, et je suis surpris d'entendre que des représentants de la nation jugent ces principes archaïques : ce sont nos principes constitutionnels !

Par l'amendement 568 je propose d'inscrire dans la loi que "toute entreprise chargée de missions de service public pour la distribution d'énergie, bien de première nécessité, ne peut voir son capital ouvert à des actionnaires privés". Il ne s'agit pas de la lettre de la Constitution, Monsieur le Ministre, mais de son esprit, celui du neuvième alinéa du Préambule de 1946. Votre projet remet en cause ce principe : même si M. Sarkozy et vous-même affirmez qu'il n'est pas question de privatisation, la transformation de l'EPIC en société anonyme ouvre la voie aux intérêts privés, et est donc contraire aux principes constitutionnels. Cet amendement est dans l'esprit de la Constitution de 1946, et mon propos complète celui de M. le rapporteur, qui nous a rappelé que le gouvernement de 1946 rassemblait socialistes, communistes et MRP sous la haute autorité du Général de Gaulle.

M. François Brottes - Mon amendement 571 est identique à celui de M. Bataille, et je suis sûr qu'il fera l'unanimité. Pourquoi ? Parce que M. Sarkozy a affirmé qu'EDF resterait à 100% publique. En l'écrivant dans la loi, vous avez l'occasion de prouver que son propos n'était pas un rideau de fumée, mais se traduira dans les faits. C'est pourquoi je suis certain que la majorité, soucieuse de ne pas désavouer son ministre, votera cette proposition. D'autant que beaucoup sont aux abois ; le président d'un grand groupe n'a-t-il pas laissé entendre qu'il envisageait une participation au capital d'EDF ? Votez donc l'amendement : si vous changez d'avis dans un an, vous pourrez le modifier, et en le votant aujourd'hui vous prouverez que la parole du ministre vaut quelque chose.

M. David Habib - Mon amendement 578 est identique aux deux précédents. C'est un amendement de protection qui permet de respecter le calendrier annoncé par le ministre d'Etat, qui a souhaité constituer une commission ad hoc, pluraliste, chargée de faire le point sur les deux entreprises. On ne peut que partager cette volonté de clarification ; mais il en résulte qu'il ne faut pas aujourd'hui livrer au secteur privé le bien public. A détricoter le service public de l'énergie, c'est la nation entière qui serait perdante.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, pour des raisons déjà indiquées. Je m'étonne de la portée de cet amendement : une composante de l'opposition qui, pendant les cinq ans où elle a été aux affaires, a privatisé davantage que tout autre gouvernement en France, nous propose en somme aujourd'hui de renationaliser des pans entiers de notre économie ! A bien lire l'amendement, il conduirait par exemple à nationaliser Électricité de Strasbourg, ou les sociétés pétrolières... Tel est donc votre programme : nous en prenons acte.

M. le Ministre délégué - Même avis.

M. Christian Bataille - Ce n'est pas un programme, c'est un rappel constitutionnel.

M. François Brottes - Nous visons les entreprises chargées de missions de service public.

M. le Rapporteur - C'est le cas d'Électricité de Strasbourg, ainsi que des sociétés pétrolières pour leurs stocks stratégiques.

Les amendements 568, 571 et 578, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François Brottes - Ce qui vient de se passer montre que les 100% de capital public annoncés par le ministre d'Etat ne sont qu'un rideau de fumée. Pour intégrer cette contradiction, je demande une suspension.

La séance, suspendue à 23 heures 10, est reprise à 23 heures 35.

M. Daniel Paul - Notre amendement 1606 vise à indiquer que toute loi de transformation de l'établissement public industriel et commercial Electricité de France est anticonstitutionnelle.

En effet, l'alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946, repris par le Préambule de la Constitution de 1958, énonce que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit pouvoir devenir la propriété de la collectivité ». Pour concourir à la réalisation de cet objectif, la forme juridique d'établissement public à caractère industriel et commercial, créée par la loi de 1946, introduit un type de propriété indivise et inaliénable d'entreprises publiques sans capital ni actions. L'Etat en est juridiquement propriétaire à 100 % pour le compte de la collectivité nationale, celle-ci ne disposant pas de la personnalité morale ; il ne dispose pas pour autant de la propriété de son capital, qui est inaliénable et indivisible.

Ainsi EDF, comme GDF, assure un service public national, propriété de la collectivité, qui a un caractère constitutionnel. La loi de nationalisation d'EDF et GDF du 8 avril 1946 affirme : « Le solde des biens, droits et obligations transférés aux établissements publics prévus par la présente loi constitue le capital de l'établissement. Ce capital appartient à la nation. Il est inaliénable et en cas de perte d'exploitation, il doit être restitué sur les résultats des exercices antérieurs ».

Le projet prévoit un transfert de propriété qui conduit à spolier la collectivité. Toute modification du statut juridique d' EDF et GDF ne peut être décidée que par la nation elle-même, c'est-à-dire par référendum.

L'amendement 1606, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jacques Desallangre - L'amendement 1607 a le même objet, concernant cette fois Gaz de France.

Le 8 juin, sur la chaîne Public Sénat, le commissaire européen à la concurrence, M. Mario Monti, a déclaré : « L'Union européenne est complètement neutre sur la question de la propriété privée ou publique des entreprises. Ce choix appartient exclusivement aux Etats membres ». La Nation s'est dotée en 1946 d'outils de service public performants, à savoir EDF et GDF, mais aussi d'une Constitution dont le préambule fait encore partie de notre bloc de constitutionnalité. Etant contraire à ce préambule, ce projet est anticonstitutionnel. Seule la Nation souveraine est en mesure d'abroger le 9° alinéa du Préambule de 1946 ; en cas de coup de force, comptez sur nous pour nous associer à la saisine du Conseil constitutionnel.

M. le Rapporteur - Défavorable.

M. le Ministre délégué - Défavorable.

M. François Brottes - On sent bien l'inquiétude du gouvernement quant à la constitutionnalité de ce texte. Depuis quelques jours, il tente de rassurer en disant « Nous ne privatisons pas ». Mais qui a dit : « La privatisation d'EDF est inscrite dans les faits. Je propose que tout ou partie des recettes considérables qui sont à attendre de cette privatisation soient affectées au financement de la modernisation de l'Etat » ? M. Nicolas Sarkozy ! C'est une dépêche du 6 juin 2001. Mais, aujourd'hui, le Gouvernement suscite un rideau de fumée pour éviter des troubles sociaux. Adopter cet amendement témoignerait de sa bonne foi.

M. Christian Bataille - Mon intention n'est pas de vous citer l'intégralité du courrier adressé par le commissaire Mario Monti à M. Imbrecht, dont les termes sont à présent suffisamment connus pour ne pas être répétés, mais de rappeler que M. Sarkozy, contraint à entendre le contenu de cette missive, s'est énervé, et a fini par déclarer, en substance, que la plume de M. Monti avait glissé et qu'il ne fallait pas attacher trop d'importance à cette lettre. Fort bien, mais il se trouve que la commission d'enquête sur les entreprises publiques, réunie en juillet 2003 sous la présidence de M. Douste-Blazy, a auditionné M. Monti. Et que lui a-t-il dit ? Que le traité de Maastricht ne préjuge en rien du régime de propriété des entreprises des Etats membres, la seule limite étant que les entreprises publiques ne doivent pas être privilégiées au détriment des entreprises privées...

M. le Ministre délégué - Voilà !

M. Christian Bataille - ...que l'Etat doit se comporter comme un actionnaire privé, et qu'il peut accorder sa garantie financière à un EPIC, à condition que cette garantie soit rémunérée aux mêmes conditions qu'elle le serait sur le marché. Autrement dit, l'incompatibilité que vous alléguez n'existe pas...

M. le Ministre délégué - Il y a bel et bien incompatibilité avec le statut des EPIC.

M. Christian Bataille - M. Monti a ajouté que l'Europe a besoin d'entreprises compétitives mais qu'il importe peu qu'elles soient publiques ou privées, et il a conclu que certaines appréciations portées sur la Commission européenne sont erronées, en premier lieu celle qui consiste à prétendre qu'elle aurait une préférence pour les entreprises privées, alors que le choix relève de la seule responsabilité des Etats membres. En bref, la plume du commissaire Monti n'avait pas dérapé, et il exprimait bel et bien la doctrine de la Commission européenne, qui reflète celle des Etats membres. Autrement dit, le gouvernement français doit assumer ses choix.

L'amendement 1607 mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Nous arrivons à une série d'amendements soumis à discussion commune, dont douze identiques.

M. François Asensi - L'amendement 1620 tend à créer un EPIC dénommé « Electricité et Gaz de France », issu de la fusion d'EDF et de GDF. Cette fusion est nécessaire pour des raisons commerciales, pour des raisons d'efficacité et d'économie d'échelle, pour des raisons financières et stratégiques et pour des raisons sociales. Elle permettrait aussi de faire travailler ensemble différentes équipes de chercheurs. La refuser, c'est courir délibérément à la catastrophe, à la disparition d'énergéticiens français indépendants. L'accepter servirait la politique énergétique française, et ce serait un bien meilleur investissement que de viser une course dispendieuse au gigantisme international. La fusion ne dépend que d'une volonté politique, puisque aucun obstacle juridique ne l'interdit. Mais le Gouvernement dissimule son absence de vision à long terme derrière des arguments douteux, alors qu'il s'est prononcé tout récemment en faveur de la fusion entre Sanofi et Aventis. Les enjeux sont au moins aussi importants et ils mériteraient que le Parlement prenne position en faveur de la fusion, d'autant plus facile à réaliser qu'elle existe déjà en grande partie sur le terrain.

M. Christian Bataille - L'amendement 581, et nos amendements identiques, qui proposent la fusion d'EDF et de GDF au sein d'un EPIC unique, répondent à une suggestion du ministre des finances qui, lors du débat sur le projet de loi d'orientation sur l'énergie, avait déclaré que cette option était ouverte et qu'elle devrait être débattue lors de l'examen de ce projet. Il importe évidemment d'analyser l'ensemble des montages possibles pour préserver ces entreprises publiques avant de décider une ouverture éventuelle du capital. Pour notre part, nous considérons que la fusion conforterait notre indépendance énergétique et maintiendrait un niveau élevé de sûreté. Naturellement, la fusion ne réglerait pas à elle seule tous les problèmes en suspens et elle devrait se faire dans une parfaite transparence. Nous espérons que le Parlement suivra la suggestion du ministre d'Etat, et débattra de cette possibilité.

M. François Brottes - En proposant la fusion, je voudrais associer à mon propos nos collègues Birraux, scientifique rigoureux, et Gonnot, qui a fait la preuve de son sens de l'Etat en différentes occasions (M.Gonnot opine en souriant). Ne pas s'interroger sur l'utilité d'une fusion avant de soumettre au vote du Parlement une proposition de changement de statut contrarierait M. Birraux, car c'est une grande incohérence. Par ailleurs, M. Gonnot devrait participer à cet important débat, puisqu'il a fait, en son temps, une communication sur ce point qui a quelque peu ému ses amis politiques. Nous aimerions savoir à quelles conclusions il est parvenu, puisque le rapporteur nous répondra sans doute : « Circulez, il n'y a rien à voir ! »... Prétendre que la fusion induirait un monopole qui obligerait le nouvel EPIC à se séparer de pans entiers de ses activités reste à démontrer, puisque c'est bien entendu sur le plan européen que l'analyse doit être conduite. Pourquoi, alors, agiter cet épouvantail ? Le sujet est grave, et il préoccupe les usagers comme les personnels. Poussons notre réflexion à son terme, et réalisons un grand pôle énergétique en France.

M. David Habib - Quel projet d'entreprise souhaitons nous assigner à EDF et GDF? Au terme de ces deux jours de travaux, force est de constater que nous n'avons pu dégager de perspective industrielle pour ces deux entreprises. Le ministre a esquivé la question en s'abritant derrière l'indispensable réflexion. Christian Bataille, François Asensi, et François Brottes ont su nous convaincre de la nécessité de préserver un service public de l'énergie, mais il est aujourd'hui nécessaire de réfléchir aux nouvelle données spatiales ou technologiques.

On parle partout de « champion », et chacun reconnaît que EDF plus GDF, c'est un atout pour le secteur de l'énergie. Vous m'avez répondu hier, Monsieur le ministre, en m'interrogeant sur les bienfaits de la fusion entre Elf et Total, mais pourquoi s'exonérer d'un bilan sur les mérites d'une fusion entre EDF et GDF?

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Je suis surpris par la quantité d'amendements déposés par l'opposition sur cette question, et je me demande bien ce qu'ont fait leurs auteurs entre 1997 et 2002!

M. François Brottes - On ne modifiait pas le statut!

M. le Rapporteur - Vous n'avez déposé aucune proposition de loi !

M. Alain Bocquet - Le groupe communiste, si !

M. Christian Bataille - Le problème ne se posait pas comme aujourd'hui.

M. le Ministre délégué - C'est vrai, le problème se pose, mais on ne peut le traiter par un simple amendement. Nous aurons en effet besoin d'opérateurs qui proposent une offre diversifiée. Les électriciens doivent pouvoir proposer du gaz et les gaziers de l'électricité. Il faudra y réfléchir au niveau de l'entreprise - à cet égard, les dirigeants ne sont pas très enthousiastes - mais aussi au niveau européen. Nous devons évaluer l'impact d'une telle décision.

Le débat est ouvert, et le gouvernement a décidé de prendre le temps de la réflexion. Pour ces raisons, avis défavorable.

M. François Brottes - Vous prétendez depuis le début que le changement de statut est principalement dû à la question du principe de spécialité. Or, la fusion conforterait ce principe, en l'élargissant, et le changement de statut n'aurait alors plus de raison d'être ! C'est vrai, il faut réfléchir, mais il n'est pas sérieux aujourd'hui de débattre d'un texte qui contient encore tant de zones d'ombre.

M. Jacques Desallangre - Ce n'est pas d'aujourd'hui que je souhaite la fusion! J'avais déjà apporté une contribution en ce sens au livre blanc de Nicole Bricq. En effet, puisque EDF et GDF sont appelés à devenir tous deux des énergéticiens, l'intérêt pour la France n'est - il pas d'avoir un seul opérateur fort, d'autant plus que l'immense majorité du personnel y est favorable?

Quelles contreparties Bruxelles pourrait-elle exiger? Déjà, EDF et GDF ont dû en accepter un certain nombre, en l'absence même de fusion, mais je rappelle que rien n'interdit une fusion sans contrepartie. En effet, le projet de mémorandum que le gouvernement français veut défendre à Bruxelles, remis aux fédérations syndicales en avril 2004, indique que c'est désormais à l'échelle du marché unique que doivent être appréciées les parts de marché de chaque électricien ou gazier, et non à l'échelle des marchés nationaux. Or, la nouvelle EDF-GDF fusionnée ne détiendrait pas une part prépondérante de ce marché européen. La décision est uniquement politique. A l'inverse, le projet de loi conduirait à une séparation définitive entre EDF et GDF, notamment en raison de la recherche d'alliances incompatibles.

La Commission européenne n'a pas les moyens d'interdire la fusion et d'exiger des contreparties exorbitantes. En effet, elle n'est pas une opération de dimension communautaire au sens du règlement anticoncentration. Les deux entreprises réalisent chacune plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires dans un seul et même Etat membre. Du reste, si ce critère n'était pas rempli, il suffirait de céder quelques actifs en Europe. L'initiative appartient au législateur et non à deux opérateurs économiques indépendants. Par ailleurs, ces deux entreprises ne sont pas distinctes en ce sens qu'elles ont 65 000 salariés en commun.

Les deux marchés du gaz et de l'électricité ont toujours été considérés par la Commission européenne comme deux marchés distincts. La fusion ne crée pas une position dominante sur le marché européen, pas plus que sur le marché français, dés lors que les conditions d'ouverture du marché sont remplies.

La négociation est possible, et vouloir la reporter aux calendes grecques prouve que vous voulez en discuter une fois que les dés auront été jetés.

M. Claude Birraux - M. Brottes est malin, et a fait mine de m'associer à cet amendement, mais il n'a pas bien compris la portée de mon intervention sur les effets à long terme de la politique énergétique. Je vous ai dit que vos préoccupations étaient uniquement littéraires puisque le gouvernement, comme le préconisait un rapport que j'avais rédigé avec Christian Bataille, s'était engagé à lancer l'EPR, pour que, le moment venu, EDF soit capable de remplacer son parc actuel de centrales nucléaires. Je vous ai simplement rappelé qu'un amendement de Christian Bataille précisait encore davantage cette question dans le texte d'orientation de l'énergie. Nous avons du reste voté ce texte, mais vous vous êtes prononcés contre!

Dieu nous épargne un prochain accord électoral à gauche, car je suis prêt à parier qu'il comprendrait le renoncement à l'EPR et au nucléaire. Le changement de statut est la meilleure garantie contre ces deux fléaux.

M. François-Michel Gonnot - Je vais chanter une chanson un peu différente...

La fusion est aujourd'hui devenue un slogan, que la gauche reprend. Mais, puisque M. Brottes me prête quelque inclination pour cette idée, je vais essayer de mettre les choses au point. Il est vrai que j'ai déposé, le 13 juin 2003, une proposition de loi en ce sens, mais mon objectif était avant tout de susciter le débat et de faire en sorte qu'il soit posé en termes nouveaux. L'initiative n'a tout d'abord pas été bien comprise mais, fort heureusement, le ministre d'Etat il y a quelques jours, puis le ministre délégué maintenant ont pris position dans l'esprit que je souhaitais voir prévaloir.

Il ne s'agit certes pas de fusionner les deux EPIC pour en avoir un gros. C'est peut-être la solution vers laquelle aurait incliné la gauche, qu'elle aurait en tout cas mise à l'étude, mais le fait est qu'elle n'a pas agi en ce sens. Tentons donc d'aller au-delà du slogan : le fait que notre électricien devienne aussi un gazier et notre gazier un électricien risque de faire problème dans quelques années. Déjà, EDF doit vendre, acheter et utiliser l'équivalent de 40 % du gaz que commercialise GDF, mais ce partout sauf en France ! J'ai donc souhaité que le gouvernement réfléchisse à cette question complexe, non en termes de projet d'entreprise comme on l'a dit, mais en termes de projet industriel. En effet, si nous voulons que ces deux magnifiques entreprises s'adaptent à l'ouverture du marché, nous devons également tout faire pour qu'elles soient porteuses d'un tel projet, au niveau européen, dans l'intérêt de l'ensemble de la filière.

J'ai donc consulté syndicats et experts et je me suis décidé à élaborer un schéma qui ne consiste pas simplement en la transformation de deux EPIC en SA. L'exercice a ses limites, mais je n'ai jamais prétendu détenir la solution. Il faut d'abord s'assurer si ce projet apporte un plus aux deux entreprises, s'il favorise un rapprochement entre elles et s'il est, en outre, « eurocompatible ». Il faut aussi tirer les leçons de ce qu'on fait ailleurs.

L'expérience m'a convaincu de l'extrême complexité du problème et, je le répète, j'ai apprécié que les ministres n'aient pas écarté l'idée, qu'ils souhaitent au contraire en peser les avantages et les inconvénients. C'est au fond la meilleure réponse qu'on puisse faire aux interrogations que viennent de formuler les uns et les autres, tant le choix peut être lourd de conséquences. Je me félicite donc de l'annonce de la création d'une commission pilotée par l'Etat, et composée notamment de représentants des entreprises, des syndicats et du Parlement, étant entendu que nous en redébattrons dans un an pour voir si l'augmentation de capital s'impose.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous sommes opposés à la fusion de deux EPIC en un seul. D'ailleurs, s'ils croient tant à cette solution, que nos collègues de gauche ne l'ont-ils appliquée lorsqu'ils le pouvaient ?

M. François Brottes - La situation n'était pas la même !

M. Jean Dionis du Séjour - Non, la réalité, c'est que le parti socialiste a changé !

M. Christian Bataille - Comme girouettes, vous vous posez là !

M. Jean Dionis du Séjour - Si vous en venez aux insultes, c'est que j'ai touché juste !

M. Patrick Braouezec - Si le PS a changé, c'est en bien !

M. Jean Dionis du Séjour - Ce gros EPIC ressemblerait fort à France Télécom, à qui ce schéma a interdit toute participation croisée, avec les résultats que l'on sait, à l'été 2000. Nous sommes contre par conséquent. Mais l'amendement pose une autre question, qui mérite effectivement d'être débattue : celle de la constitution d'un groupe EDF-GDF. Nous aborderons pour notre part ce point à l'article 20, mais je note déjà que la situation des deux entreprises est très différente : EDF est le premier électricien mondial, tandis que GDF est loin d'occuper un rang comparable dans son domaine. Cependant, je suis assez favorable à l'idée d'un « champion » européen, au sens où l'entendait M. Sarkozy lorsqu'il a travaillé au rapprochement entre Aventis et Synthélabo - sans heurter cependant le droit européen, car un groupe EDF-GDF aurait forcément une position dominante, au moins sur certains marchés nationaux.

Enfin, il faudra effectivement procéder à une analyse serrée, métier par métier, des synergies possibles, mais également des redondances car celles-ci risqueraient fort d'entraîner des suppressions d'emplois. A l'article 20, je proposerai donc de constituer une mission parlementaire afin d'instruire ce dossier.

M. Alain Bocquet - La décision sur cette question de la fusion, décisive pour la modernisation de notre secteur énergétique, exigerait une présence plus nombreuse. En application de l'article 61, alinéa 2, de notre Règlement, je demande par conséquent la vérification du quorum.

Mme la Présidente - Je suis donc saisi par le président du groupe communiste et républicain d'une demande, faite en application de l'article 61 du Règlement, tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur l'amendement 1620.

Je constate que le quorum n'est pas atteint.

Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61, le vote sur l'amendement 1620 est reporté à la reprise de la discussion du projet de loi.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, le lundi 21 juin, à 15 heures.

La séance est levée, le vendredi 18 juin, à 0 heure 30.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU LUNDI 21 JUIN 2004

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat (n° 1661), modifiant les articles 1er et 2 de la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques et relative au recouvrement, par les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage, des prestations de solidarité versées entre le 1er janvier et le 1er juin 2004 aux travailleurs privés d'emploi dont les droits à l'allocation de retour à l'emploi ont été rétablis.

Rapport (n° 1673) de M. Dominique DORD, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 1613) relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

Rapport (n° 1659) de M. Jean-Claude LENOIR, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

Avis (n° 1668) de M. Bernard CARAYON, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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